Plan budgétaire et structurel national à moyen terme et sur l'orientation des finances publiques
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur le plan budgétaire et structurel national à moyen terme et sur l'orientation des finances publiques, à la demande de la commission des finances.
M. Antoine Armand, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie . - Je suis heureux de m'exprimer pour la première fois à cette tribune.
C'est la première fois que le débat d'orientation des finances publiques prend cette forme et s'appuie sur le plan budgétaire et structurel national à moyen terme (PSMT), conforme à la nouvelle réglementation européenne. Son but est de proposer une trajectoire équilibrée qui tienne compte des questions financières, économiques et de croissance.
Je vous prie d'excuser l'absence de Laurent Saint-Martin, retenu à l'Assemblée nationale.
La croissance mondiale s'élèverait à 3,2 % en 2024 et à 3,4 % en 2025. Les chocs successifs - pandémie, guerre en Ukraine - continuent de ralentir la croissance. Dans la zone euro, elle devrait atteindre 1,4 % en 2025, loin des 3 % de la croissance américaine.
La croissance française demeure stable, à 1,1 % pour 2024, avec une croissance au troisième trimestre 2024 qui est le double des deux trimestres précédents, à 0,4 % - c'est un élan pour les prochains mois. En 2025, la croissance, tirée par la consommation des ménages et par l'investissement des entreprises, devrait s'établir à 1,1 % selon les estimations de mes services.
À moyen terme, grâce à l'assouplissement du crédit, le retour à la normale de l'inflation - 1,8 % en 2025 - et le soutien public renouvelé à l'économie, la croissance française devrait atteindre 1,4 % en 2026, 1,5 % en 2027 et en 2028.
Les fondamentaux de cette croissance sont la réforme de l'assurance chômage, les mesures de soutien à l'apprentissage, la réforme des retraites, et la progression du taux d'emploi, la plus élevée depuis la création de l'indicateur en 1975.
Notre dette est colossale : 3 300 milliards en 2024.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. - C'est lui qui le dit...
M. Antoine Armand, ministre. - C'est le résultat d'un demi-siècle de déficits successifs. Depuis 1974, notre dette a augmenté de 100 points de PIB. Entre 2008 et 2013, elle a augmenté de 25 points, contre 15 points entre 2019 et 2024.
Ce niveau affecte notre souveraineté, notre crédibilité et notre capacité à aborder l'avenir. Quelque 50 milliards d'euros seront versés en 2024 au titre des intérêts de la dette - 1 euro de dépense sur 8, ce sera prochainement notre premier poste de dépenses.
Cela touche notre capacité à nous financer : le spread avec l'Allemagne s'élevait à 0,5 point au début de l'année, désormais à 0,8. Le Portugal se finance à dix ans à un taux plus faible que le nôtre.
Cela ne peut pas durer. Des efforts - difficiles - doivent être faits, à l'instar d'autres pays européens.
Dans le PLF 2025, nous proposons de ramener le déficit public sous 5 % en 2025, soit un effort de 60 milliards d'euros par rapport à la croissance spontanée de nos dépenses publiques, avec 40 milliards de réductions de dépenses et 20 milliards sur des contributions fiscales exceptionnelles. L'objectif de ce PSMT est de passer sous la barre des 3 % de déficit en 2029, pour être conforme aux exigences européennes, bien sûr, mais aussi pour nous fixer un horizon de désendettement.
Le PLF 2025 est la première pierre de cette stratégie, avec plusieurs piliers. Le premier, c'est l'efficacité et la soutenabilité des dépenses. Les dépenses publiques atteignent 57 % de la richesse nationale. Nous fusionnerons des opérateurs publics, nous moderniserons notre système de santé, notamment en matière de lutte contre la fraude. Nous renforcerons l'efficacité de la dépense publique, grâce à de nombreuses revues de dépenses.
Nous voulons réitérer ce travail pour supprimer 5 milliards d'euros de dépenses non prioritaires entre 2025 et 2027. Cette revue portera avant tout sur les niches fiscales et sociales, parfois contraires à nos objectifs en matière d'emplois ou de transition écologique. L'ensemble des administrations publiques seront mobilisées, ainsi que les parlementaires qui le souhaitent. Nous publierons un rapport annuel.
Nous devons suivre beaucoup mieux l'évolution de la dépense publique, pour mieux anticiper les prévisions, y compris au sein d'une même année.
Il est difficile de réduire la dépense publique, mais aussi d'assumer une hausse temporaire des prélèvements, même si elle est ciblée. Toutes les augmentations d'impôts que nous pourrons éviter par des réductions de dépenses seront retenues.
Le deuxième pilier, c'est la transition écologique et énergétique. Entre 1990 et 2022, nos émissions de gaz à effet de serre ont baissé de 25 % - moins 5,8 % en 2023 - mais la route pour respecter l'accord de Paris est encore longue.
C'est tout l'intérêt de la planification écologique, traduite par la loi Industrie verte, le verdissement de la commande publique, le plan France 2030 ou encore le financement de projets industriels, qui ont besoin de capitaux privés et publics pour asseoir notre souveraineté. Nous voulons développer l'ensemble des énergies décarbonées - le nucléaire au premier chef, avec le développement de nouveaux réacteurs innovants, mais aussi les énergies renouvelables.
Nous devrons aussi réduire la demande avec la sobriété et la rénovation énergétiques dans tous les secteurs, y compris public. Nous devrons décarboner.
Le troisième pilier, c'est la réindustrialisation et la poursuite de l'agenda compétitivité français et européen, ambition du Premier ministre à travers le Livret industrie. La compétitivité réglementaire est essentielle, face au dumping de certains États. L'alignement des droits des TPE et des PME avec ceux des particuliers est un autre axe. Les efforts de simplification et de réindustrialisation doivent être portés par les collectivités territoriales.
Quatrième pilier, le soutien à l'emploi et la hausse du niveau de vie passent par l'apprentissage et l'amélioration de la formation professionnelle, l'amélioration du taux d'emploi et des taux d'insertion des plus jeunes et des seniors, grâce à la concertation avec les partenaires sociaux. Rétablissons la confiance entre l'État et nos concitoyens et avec les entreprises. Cette crédibilité suppose la transparence sur la publication des statistiques des services de mon ministère, dont je salue le travail. Je le reconnais humblement : vous avez légitimement constaté l'ampleur des écarts entre les prévisions et les exécutions budgétaires. Nous sommes dans un contexte européen d'incertitude radicale - en Allemagne, le décalage de recettes atteint 12 milliards d'euros en dépenses, et l'équivalent en recettes. Nous devons avoir un suivi plus régulier, en débattre avec des économistes et le Parlement, et l'améliorer.
Nous voulons retrouver un niveau de déficit satisfaisant, pas seulement parce que c'est une priorité budgétaire, mais aussi parce que c'est une priorité politique définie par le Premier ministre.
Ainsi, nous pourrons libérer l'investissement, encourager l'emploi, développer nos entreprises et conserver, comme Français, une voix forte en Europe, au service de notre modèle économique et démocratique. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP)
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP) Le PSMT, transmis demain à la Commission européenne, traduit l'engagement de la France envers ses partenaires, et ce de façon concrète. Placée en procédure pour déficit excessif depuis juillet dernier, la France pourrait être mise en demeure, faute d'actions pour le corriger, avec une sanction de 1,5 milliard d'euros tous les six mois.
Cette correction est réalisée par le PSMT pour quatre à cinq ans. Issu de la récente réforme des règles budgétaires européennes, il constitue le premier document du genre ; c'est en quelque sorte une fusion du programme de stabilité et du programme national de réforme. L'indicateur central est non plus le solde structurel mais celui des dépenses primaires, qui est à la main des États, à savoir les dépenses publiques diminuées des dépenses d'indemnisation du chômage, des nouvelles mesures en recettes, des dépenses cofinançant les programmes de l'Union européenne et de la charge de la dette. Le ratio dette sur PIB doit être orienté à la baisse à la fin de l'ajustement et le déficit ramené à moins de 3 %.
Des garde-fous ont été ajoutés pour les pays en procédure pour déficit excessif à la demande de l'Allemagne : le ratio de la dette sur PIB doit être réduit d'un point par an en moyenne ; un ajustement budgétaire doit être réalisé tant que le déficit n'atteint pas 1,5 point de PIB.
L'objectif du PSMT 2025-2029 est de ramener la dette publique sur une trajectoire descendante et le déficit public à moins de 3 % durant une période d'ajustement allongée de quatre à sept ans, si possible, grâce aux réformes récentes : retraites, assurance chômage, verdissement, simplification de la vie économique, refonte des allégements de cotisations sociales. On y trouve peu d'informations sur les actions restant à entreprendre. Espérons que le PSMT sera suffisant pour prolonger la période d'ajustement.
La trajectoire de dépenses nettes sous-jacente au PSMT est différente de la trajectoire de référence de la Commission communiquée en juin dernier, car la prévision de déficit public pour 2024 était alors bien inférieure à l'actuelle. Le niveau minimal d'ajustement structurel primaire requis s'élevait, pour un ajustement sur sept ans, à 0,6 point de PIB potentiel par an. En réalité, au regard de la dégradation de notre situation budgétaire, il devra être au moins de 0,76 point de PIB par an entre 2025 et 2031, soit environ 23 milliards d'euros.
La trajectoire de dépenses nettes finalement retenue dans le PSMT suppose une stabilité de la dépense primaire nette en 2025 puis une augmentation annuelle de 1,4 % entre 2026 et 2028, puis de 1,9 % en 2029, correspondant à un ajustement structurel primaire moyen, significatif, de 0,78 point de PIB sur la période.
L'ajustement est concentré sur 2025 à hauteur de 1,4 point de PIB puis diminuera en 2026 avant de légèrement augmenter ensuite.
Ce n'est que dans plusieurs années que nos finances publiques seront à l'équilibre.
Le scénario macroéconomique sous-jacent du PSMT est plus prudent que celui du programme de stabilité 2024-2027. Le chiffre est plus conforme avec le scénario des conjoncturistes : la croissance à long terme, elle, serait de 1,2 % par an selon le consensus des économistes et le FMI. Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), début octobre, estimait que ce nouveau scénario de PIB potentiel est « raisonnable ».
Plus conservatrice que les précédentes, cette prévision débouche sur un scénario de croissance effective peu optimiste : 1,1 % en 2025, mais 1,4 % en 2026, 1,5 % pour 2027 et 2028. L'assouplissement de la politique monétaire peut y contribuer, mais la réduction du déficit public pourrait à l'inverse modérer la croissance.
Toutefois, les prévisions de croissance nominale, qui comptent le plus pour déterminer le solde public, me semblent raisonnables.
L'objectif du PSMT est de placer chaque pays sur une trajectoire viable des finances publiques.
Je me félicite du regain de rigueur qui a présidé à l'exercice : les hypothèses semblent cohérentes et crédibles. Bien que la situation soit alarmante, les hypothèses laissent espérer un redressement.
La réduction du déficit public se poursuivrait les années suivantes, jusqu'à 4,6 % en 2027-2028, pour atteindre, en 2029, 2,8 % du PIB.
Hélas, nous ne pouvons respecter nos engagements dès 2027, comme le prévoyait la loi de programmation des finances publiques (LPFP).
Alors que Bruno Le Maire répétait encore début septembre que les 3 % étaient atteignables dès 2027, tel n'est pas le cas.
La dérive de 2023-2024 a fait dérailler la dette publique française. Celle-ci augmenterait progressivement jusqu'en 2027 pour atteindre plus de 116,5 % du PIB, un niveau jamais atteint depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Colossale, la dette fait courir un risque pour notre souveraineté ; réfléchissons à une dette hors marché. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)
M. Claude Raynal, président de la commission des finances . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains) Si la commission des finances a demandé de débattre du PSMT, c'est qu'il est stratégique.
Je me félicite de l'avis du HCFP sur le PSMT. En revanche, je déplore que le document n'ait été transmis dans une version provisoire que le 20 octobre dernier, contrairement au délai prévu par la Lolf. Si vous n'êtes pas responsable de cette dérive du calendrier, la loi organique n'a pas été respectée et c'est le Parlement qui en fait les frais.
Les parlementaires consacrent du temps à l'examen des LPFP alors que la trajectoire des finances publiques y est déclaratoire, tandis qu'ils doivent examiner à la hâte ce document réellement engageant. Un débat, c'est mieux que rien, mais ce n'est pas grand-chose ! (M. Jean-Raymond Hugonet s'en amuse.)
En juillet, la France a été placée sous la procédure de déficit excessif. Le Conseil lui adressera prochainement une recommandation. De deux choses l'une : ou bien le PSMT satisfera Bruxelles, ou il exposera la France à des mesures de redressement contraignantes : en cas de non-respect, la France pourrait être sanctionnée financièrement à hauteur de 0,05 % de son PIB par semestre.
Le PSMT prévoit une liste d'investissements et de réformes justifiant un allongement à sept ans de la période d'ajustement pour ramener le déficit public sous les 3 %. La trajectoire du déficit doit baisser de 1 point de PIB par an en moyenne. Chaque année, un rapport devra être envoyé à la Commission européenne pour vérifier que les réformes sont effectivement mises en oeuvre. Cette liste est donc déterminante, mais le document qui nous a été envoyé est bien pauvre...
La trajectoire est meilleure que le programme de stabilité. Mais prévoir une croissance de 1,4 % à 1,5 % en 2026 me semble optimiste. Certes, la politique d'assouplissement budgétaire relancera l'investissement. La baisse de l'inflation relancera la consommation. Mais attention aux conséquences du redressement budgétaire.
Ne nous y trompons pas : la situation de nos finances publiques est critique. Faut-il moins de dépenses ou plus de recettes ? Ce sont des choix politiques.
Mais pour redonner à l'action publique ses lettres de noblesse, il faut des comptes publics en bon état. Depuis trente ans, les seuls redressements ont eu lieu sous le gouvernement de Lionel Jospin et au début du précédent quinquennat, grâce à l'action déterminée du président Hollande. (M. Jean-François Husson et Mme Élisabeth Doineau s'en amusent.) Je vous laisse méditer ce point d'histoire ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; MM. Grégory Blanc et Marc Laménie applaudissent également.)
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains) Le PSMT était attendu. En avril dernier, j'étais perplexe, car le Gouvernement n'indiquait pas ce qu'il comptait faire concrètement.
Avec le PSMT, la situation est analogue, surtout pour les finances sociales. C'était difficilement évitable, alors que nous avons du mal à nous mettre d'accord dans le PLF et le PLFSS...
Le projet de PSMT aborde peu les dépenses sociales ; les administrations de sécurité sociale (Asso) ne sont pas évoquées au-delà des années 2024 et 2025 ; l'effort de répartition entre les administrations publiques n'est pas indiqué. C'est un recul par rapport aux précédents programmes de stabilité.
Le PLFSS est lui aussi très vague sur les perspectives après 2025. Certes, il comprend une programmation à moyen terme, par ailleurs très préoccupante, puisque le déficit de la sécurité sociale atteindrait 20 milliards d'euros en 2028.
Toutefois, cette programmation n'en est pas vraiment une : c'est une projection ne tenant compte que des mesures prévues et faisant montre de volontarisme pour l'Ondam et la croissance du PIB.
Après un effort structurel primaire de 1,6 point de PIB en 2025, cet effort serait de 0,7 ou 0,8 point de PIB jusqu'en 2029, soit 25 milliards d'euros. Je vois mal comment cet effort ne concernerait pas la sécurité sociale.
Dès lors, pourquoi ne pas modifier l'annexe au PLFSS en intégrant un certain nombre de mesures de redressement ? C'est une simple question, monsieur le ministre... (Sourires) Ainsi, il serait possible de réaliser de nouveaux transferts de la dette à la Cades.
Ne jouons pas avec la pérennité de notre système de protection sociale ; ne nous contentons pas de la trajectoire inquiétante annexée au PLFSS.
La Commission et le Conseil se prononceront prochainement sur le PSMT : nous sommes sous la surveillance des autorités européennes, des marchés financiers, mais aussi sous celle des Françaises et des Français (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDPI)
M. Vincent Delahaye . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Autant le dire tout de suite, je doute que ce plan budgétaire ne rassure vraiment nos partenaires européens.
Les ministres passent, mais Bercy reste. Vos intentions sont bonnes, certes, mais la méthode proposée par Bercy n'est pas adaptée : nous sommes toujours dans le virtuel, le tendanciel. Vous nous dites que ce dernier s'élève à 7 %. Mais comment le validez-vous ?
J'apprécie les travaux du HCFP, qui s'est dit incapable de se prononcer sur la pertinence de ce taux. Comment le serions-nous nous-mêmes ?
Regardons la réalité en face : les dépenses courantes et les dépenses exceptionnelles sont mélangées, depuis des années ! Vous avez fourni un document intéressant : les budgets des ministères à la fois en 2019 et 2025. Entre 2019 et 2025, les budgets des ministères ont augmenté de 100 milliards d'euros ! Si ces dépenses avaient augmenté uniquement de l'inflation, nous aurions économisé 33 milliards d'euros ! Nous pourrions ainsi proposer d'augmenter de la moitié de l'inflation. Qu'en pensez-vous, monsieur Savoldelli ? Ce ne serait pas de l'austérité, puisque les dépenses augmenteraient tout de même...
J'en viens aux retraites, un quart de nos dépenses pour la moitié de notre déficit et de notre dette. Or le document traite de ce sujet en 3 pages sur un total de 218 !
La réforme des retraites de 2023 ne traite que 10 % du problème. Ceux qui veulent la remettre en cause sont des irresponsables. Le déficit des retraites, c'est avant tout celui des régimes publics. Il faudrait avoir le courage politique d'engager une nouvelle réforme.
Le nucléaire, c'est 14 lignes sur 218 pages. Le Gouvernement souhaite le relancer et prévoit 1 milliard d'euros sur cinq ans pour le nouveau nucléaire, mais aucun investissement n'est prévu en faveur de l'ancien. Nous avons repris EDF, ce qui nous a coûté 10 milliards d'euros. L'entreprise est très endettée et présente des résultats en dents de scie, mais l'actionnaire principal ne prévoit aucun investissement. Ce n'est pas raisonnable.
Les dépenses ont dérapé aussi à cause des lois de programmation, que je n'ai pas votées. Madame la rapporteure générale, les rémunérations ont augmenté de 13 milliards d'euros dans le cadre du Ségur, mais ces mesures n'étaient pas financées. Ce n'était pas responsable !
S'agissant des recettes, monsieur le ministre, j'aimerais bien qu'on ne soit pas aussi optimiste. Le produit de l'impôt sur le revenu va-t-il réellement augmenter de 6 milliards d'euros l'année prochaine ? Et les recettes fiscales globales de 37 milliards ?
Vous avez annoncé un effort portant principalement sur les dépenses, mais le HCFP a établi qu'il porte sur les recettes à 70 % et seulement à 30 % sur les dépenses. Il faut inverser cette répartition.
Dans le cadre des débats budgétaires, vous nous trouverez à vos côtés chaque fois qu'il y aura des voies d'économies - c'est le cas avec l'augmentation du nombre de jours de carence des fonctionnaires. Ayons le courage de réduire clairement la dépense publique : de nombreuses entreprises craignent de licencier, voire de disparaître, si les efforts nécessaires ne sont pas faits. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains)
M. Pascal Savoldelli . - Ce document assez complet permet un débat éclairé. Je vous félicite pour sa qualité - c'est assez rare depuis quelques années.
Sur le fond, en revanche, l'autosatisfaction est toujours de rigueur - pour ne pas dire d'austérité. Les politiques menées auraient porté leurs fruits pour l'attractivité de la France, les crises successives mis en lumière la résilience de la France... Cette constance dans l'autocélébration dissimule des choix politiques tragiques pour nos finances publiques.
La France n'est plus un pays industriel - nous, communistes, le regrettons. Pour la part de valeur ajoutée industrielle nous sommes en 24e position sur 27 en Europe, devant Malte, Chypre et le Luxembourg. Seuls 5 % des emplois créés ces dernières années sont industriels. Si les emplois dans l'énergie verte augmentent, ils baissent dans l'immense majorité des secteurs industriels. Certes, le solde net de créations d'entreprises est positif, mais il s'agit d'entreprises peu pourvoyeuses d'emplois. Ces résultats sont à mettre en regard du coût de la politique de l'offre menée depuis plusieurs années. Les baisses d'impôts et de cotisations représentent 52,9 milliards d'euros chaque année, de façon pérenne.
Autre motif d'autosatisfaction : la France attirerait toujours autant les investisseurs. Cessez de brader notre souveraineté et notre modèle social ! Un emploi créé dans l'industrie coûte plus de 400 000 euros aux finances publiques. Le capital est subventionné, pour ne pas dire assisté...
Le secteur du luxe a profité à plein de la mondialisation, l'industrie s'est effondrée : hors agroalimentaire, sa part est passée de 33 à 14 %. Pour rattraper son retard, l'Union européenne doit réaliser des investissements massifs : empruntons 800 milliards d'euros aux marchés financiers, nous suggère M. Draghi. L'emprise des marchés financiers sur les économies et les États européens s'en trouvera renforcée.
Le Gouvernement décide d'un ajustement structurel plus de deux fois supérieur au 1,2 point de PIB préconisé par l'Union européenne. Cette violence n'est pas prescrite par le médecin européen, l'ordonnance émane du Gouvernement.
« Effort partagé » : on sent que la formule a été travaillée... (MM. Jean-Raymond Hugonet et Stéphane Le Rudulier s'en amusent.) En réalité, ce sont les classes populaires, moyennes et les collectivités territoriales qui paieront le gros du tribut. Nous ferons tout notre possible pour y remédier.
M. Grégory Blanc . - Comme Pascal Savoldelli, je trouve ce document bien documenté jusqu'en 2025. Après, c'est la vacuité qui l'emporte...
Vos projections sont une littérature floue, notamment sur les perspectives de croissance et la nature des réformes à conduire. Le HCFP l'a lui-même indiqué, certes en termes plus diplomatiques.
Rien sur l'avenir des comptes de la nation ni les réformes à mener. C'est d'autant plus fâcheux que cet exercice pourrait être utile pour définir un horizon commun. Hélas, vous le discréditez, après avoir discrédité la LPFP et le programme de stabilité, caducs au bout de quelques semaines.
Un exemple prouve que votre document est déjà caduc : vous prévoyez une hausse des recettes de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) de 1 milliard d'euros en 2025. Comment est-ce possible dans un contexte d'électrification du parc automobile et alors que le prix du pétrole va baisser ?
La transition écologique s'impose à nous. Nous devons adapter notre système fiscal dans cette perspective.
Votre majorité, réunion des libéraux et des conservateurs, a abandonné le slogan de la « stabilité fiscale ». Après des années de baisse des impôts, vous savez qu'il n'y a pas d'autre solution. Mais aucune réforme de notre architecture fiscale n'est prévue. Or les acteurs ont besoin de lisibilité, pas d'un pilotage au coup par coup.
Les collectivités territoriales réalisent les deux tiers de l'investissement public, mais vous leur reprochez d'agir, voire les en empêchez en touchant à leur épargne. Dans ces conditions, comment pensez-vous respecter l'accord de Paris, pourtant réaffirmé dans votre document ?
Votre plan dit, en même temps, tout et son contraire. Avec si peu de crédibilité, comment la parole de la France peut-elle porter ? La crédibilité, ce ne sont pas uniquement des chars Leclerc et des canons Caesar, c'est aussi une trajectoire financière sincère et des documents sérieux. Or ce plan est proche de l'insincérité, donc non respectueux. Nous avons pourtant besoin d'une France respectée, notamment pour faire évoluer les règles européennes.
Enfin, vous engagez-vous à faire voter une loi de finances rectificative ?
M. Victorin Lurel . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Tous les collègues l'ont dit : on nous a trompés. L'ancien ministre nous disait, il y a peu encore : tout va bien, ne vous inquiétez pas... En mars dernier déjà, notre rapporteur général parlait de la chronique d'une dérive budgétaire annoncée, mais le Gouvernement n'a rien écouté.
Nous recevons maintenant, dans des conditions un peu surréalistes, un rapport dont je ne suis même pas sûr qu'il soit achevé. Ce document exige des Français plus que ce que demande la Commission européenne. On leur demande de faire une course de vitesse en portant une grosse charge sur le dos !
Je ne partage pas les orientations du ministre et de certains de nos collègues, qui estiment qu'on ne va pas encore assez loin. Ainsi, M. Delahaye soutient que ce PSMT n'est pas austéritaire. (M. Vincent Delahaye renchérit.) Bien sûr qu'il l'est terriblement !
Le HCFP n'a pu se prononcer de manière assurée, compte tenu des approximations et incertitudes. Vous soutenez, sur la base de vos prévisions de croissance, que les ménages consommeront davantage. C'est pure spéculation !
Nous sommes devant un mur. Et, je le répète, vous demandez un effort supérieur à ce que demande l'Union européenne. Vous voulez sortir au plus vite de la procédure pour déficit excessif et faire plaisir aux agences de notation, mais une allure moins rapide est possible, avec des efforts étalés, mieux répartis et plus ciblés. Vous faites le choix d'un budget austéritaire, qui aura un effet récessif.
Le même effort pourrait être plus justement réparti : c'est le sens du contre-budget que le groupe SER proposera sous peu. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
M. Marc Laménie . - Je remercie les commissions pour l'organisation de ce débat, qui porte sur un champ très vaste - les trois fonctions publiques sont concernées - en même temps que sur des masses financières considérables. De 800 milliards d'euros, le budget de la sécurité sociale est supérieur à celui de l'État, mais avec un déficit bien moindre.
Voilà cinquante ans que la France ne connaît plus d'excédent budgétaire. L'État a oublié de se comporter en bon gestionnaire. Chaque Français naît désormais avec une dette de 44 000 euros. Le redressement n'est plus une option, mais une nécessité.
Notre dépense publique ne doit pas excéder nos recettes : c'est du bon sens, celui que pratiquent chaque jour nos concitoyens. Les imagine-t-on se comporter comme le fait l'État ? Aucun père, aucune mère ne le ferait sur la durée.
Nous sacrifions l'investissement et la préparation de l'avenir. Notre addiction à la dépense publique crée un cercle vicieux : nous empruntons pour rembourser les emprunts.
L'État veut tout faire, alors qu'il devrait se concentrer sur les missions les plus importantes : justice, sécurité, armée, éducation, santé, investissement dans les infrastructures et la transition écologique.
Cet équilibre n'est pas un idéal inaccessible : treize de nos voisins présentent un déficit inférieur à 3 % du PIB. Agissons donc ! Il y va de l'image de notre pays.
Ce PSMT vise à remettre la France sur les rails. Le Gouvernement entend renouer avec le bon sens et tourner la page de cinquante ans de déficits non maîtrisés. La revue des dépenses est nécessaire pour que chaque euro soit utilisé de manière efficace au service des Français. C'est ainsi que nous pourrons regarder l'avenir avec sérénité (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Raymond Hugonet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La réforme de la gouvernance économique européenne prévoit la remise de ce PSMT, censé prévoir une trajectoire soutenable de dette publique.
Vous avez bien entendu : trajectoire soutenable de dette publique. J'hésite à convoquer Molière ou le plus grand de tous les sénateurs, Victor Hugo. Le premier aurait dit : « Ah ! Qu'en termes galants ces choses-là sont mises ! » Et le second : « Ô ministres intègres, conseillers vertueux, voilà votre façon de servir... » On n'emploie plus cette langue, mais la comédie des mots demeure.
Après sept années délétères d'incurie budgétaire, cet exercice relève de la boule de cristal ou du bonneteau, selon qu'on préfère la caravane ou le parapluie. (Sourires)
Quelles sont les réformes que notre pays s'engagerait à mettre en oeuvre pour bénéficier d'une extension de quatre à sept ans de la période d'ajustement ? Comment la France entend-elle réduire son déficit budgétaire ? Faut-il croire à l'amélioration du ratio d'endettement prévue en 2028 ?
Les réponses à ces questions sont indispensables pour apprécier le réalisme de la fameuse trajectoire. Certes, l'évaluation de la croissance potentielle et le nouveau scénario de PIB potentiel sont raisonnables - nous nous en félicitons. De même, on peut admettre que le scénario de réduction sous les trois points de PIB, passant de 2027 dans le programme de stabilité à 2029 dans ce PSMT, se rapproche de la crédibilité. Mais la technostructure, sous l'ardente férule des ronds de cuir bruxellois, continue de s'ingénier à nous faire prendre des vessies pour des lanternes.
La réalité crue, c'est que l'amorce de décrue du ratio d'endettement en 2028 est affectée par l'incertitude. La réalité crue, c'est que la France demeurera le plus mauvais élève de la zone euro, avec la Grèce et l'Italie. La réalité crue, c'est que la charge de la dette devrait s'élever à 72,3 milliards d'euros en 2027, contre 39 milliards en 2023. La réalité crue, c'est que la totalité de l'impôt sur le revenu ne servira plus qu'à rembourser les intérêts de la dette et que les marges de manoeuvre pour faire face à un éventuel choc conjoncturel seront extrêmement réduites. La réalité crue, c'est que la soutenabilité à moyen terme appelle des efforts immédiats et soutenus dans la durée.
La France doit respecter son PSMT tout en veillant à ne pas affecter son potentiel de croissance. Charité bien ordonnée commence par soi-même : j'économiserai le temps de parole pour ne pas épuiser nos nerfs avant d'entrer dans le tunnel budgétaire... Nous serons à vos côtés, monsieur le ministre, pour réaliser des économies justes et équitables. La France ne peut plus supporter la langue de bois et l'insincérité. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)
Mme Patricia Schillinger . - Ce plan est crucial pour poser les bases de finances publiques durables dans un contexte incertain.
Les crises récentes ont mis à rude épreuve nos finances publiques. Il est impératif que nous reprenions le contrôle de la situation budgétaire.
Le RDPI souscrit pleinement à l'objectif de redressement des comptes. La dette s'élève à 114,7 % du PIB, c'est très préoccupant : notre souveraineté et notre crédibilité sont en jeu. Étaler l'effort jusqu'en 2029 est une décision pragmatique, pour ne pas fragiliser la croissance ni les services publics essentiels.
Pour réaliser les économies, nous devons faire preuve de méthode et de détermination. Cela dit, cet effort ne doit pas se faire au détriment des plus vulnérables.
M. Victorin Lurel. - C'est pourtant le cas !
Mme Patricia Schillinger. - Nous devons notamment préserver les services publics dans les territoires ruraux et ultramarins. La réduction des dépenses ne doit pas accentuer les inégalités. Je pense aux déserts médicaux, un problème qui n'épargne pas le Haut-Rhin.
Les collectivités territoriales sont appelées à prendre leur part de cet effort ; en responsabilité, elles l'assumeront. Mais l'effort doit rester supportable et les collectivités conserver une capacité d'action suffisante pour répondre aux besoins du quotidien et fournir des services publics de proximité de qualité.
La revue annuelle des dépenses est cruciale pour réaliser des économies structurelles. Il s'agit de mieux dépenser et pas seulement de moins dépenser, mais aussi de dégager des moyens pour investir dans la transition écologique et la réindustrialisation. Dans une économie de plus en plus axée sur le développement durable, la France doit être un leader européen de l'économie verte.
Le taux de chômage est historiquement bas, mais, pour maintenir cet élan, favorisons l'accompagnement des jeunes vers le travail. La réforme de l'assurance chômage est une priorité, et il revient aux partenaires sociaux de trouver un nouvel accord.
Plus de 1 million de travailleurs demeurent sous le seuil de pauvreté. Il est important que le travail paie et assure sécurité et considération.
Ceux qui bénéficient le plus de la croissance doivent participer de façon proportionnée à l'effort collectif. C'est une question de justice sociale et de cohésion.
Ce plan est un premier pas vers le nécessaire redressement budgétaire. Le chemin qui nous attend est semé d'embûches, mais je suis convaincue que nous réussirons. Faisons preuve de détermination et de courage, notamment en osant une réforme profonde de l'État.
M. Raphaël Daubet . - J'aborde ce débat avec prudence, sachant que les prévisions ne se réalisent que rarement.
Cela dit, votre scénario - le retour sous les 3 % d'ici à 2029 - paraît réaliste, a fortiori si on le compare avec la trajectoire du précédent gouvernement. Maîtriser la dépense publique, renforcer la lutte contre la fraude fiscale, cela paraît raisonnable et rassurant.
J'identifie toutefois deux faiblesses. Vous évaluez la croissance autour de 1,2 %. Pourtant, les remontées du terrain sont des signaux d'alerte. Les données de l'Insee sont encourageantes pour mon département du Lot, mais le bilan économique des exploitations agricoles comme les tensions de recrutement dans l'industrie et l'artisanat font craindre un retournement. La consommation des ménages souffre de fragilités. Voilà le facteur le plus inquiétant : la défiance. Nous faisons face à une triple crise de confiance : économique, démocratique et fiscale. Bref, cette trajectoire est surtout un pari sur l'avenir.
Deuxième faiblesse : la croissance ne se décrète pas. Elle suppose une stratégie courageuse, ambitieuse, dépassant l'arithmétique budgétaire. Un choc d'investissement public constituerait un levier pour relancer l'économie, car les investissements publics ont un effet multiplicateur avéré. Les collectivités territoriales sont les premiers investisseurs publics.
M. Victorin Lurel. - Elles sont matraquées !
M. Raphaël Daubet. - Cette année, dans le Lot, 50 % des projets des communes - écoles, crèches, logements, maisons de santé - sont tombés à l'eau faute de subventions de l'État. La maîtrise des dépenses publiques ne devrait pas porter sur les dotations d'investissement : au contraire, il faut redonner des marges de manoeuvre à l'échelon local.
Nous devons faire de la recherche et de l'innovation le coeur de notre croissance, or la France occupe la douzième place en la matière.
Dernier levier : construire plus de logements, notamment sociaux.
Ne confondons pas rigueur et renoncement. Les nations qui sortent grandies des crises sont celles qui ont su conjuguer responsabilité budgétaire et audace dans l'investissement. Les projets sont là, les besoins sont criants, les élus locaux sont prêts. Ne laissons pas la prudence d'aujourd'hui hypothéquer la croissance de demain.
Mme Florence Blatrix Contat . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Ce débat s'inscrit dans un contexte particulier : la France fait l'objet d'une procédure pour déficit excessif depuis juillet dernier, avec un déficit prévu à 6,1 % cette année ; dès 2025, les nouvelles règles européennes nous imposeront de réduire notre dette d'un point par an et de ramener notre déficit sous les 3 %.
La France a opté pour un plan d'ajustement sur sept ans, accompagné d'un plan de réformes et d'investissements. Nous saluons cette prolongation, tant l'effort est important.
Ce PSMT reporte le retour à un déficit sous les 3 % à 2029. Il prévoit un ajustement annuel structurel primaire très élevé, de 0,78 point de PIB, soit 23 milliards par an, un objectif jamais atteint.
La Commission attend de vraies mesures. Or vous proposez un catalogue de mesures déjà prises dans le passé, avec le résultat que l'on connaît... Comment expliquer que la politique qui nous a conduits dans le mur nous sortira du marasme ?
Le HCFP se dit incapable d'évaluer le réalisme de cette trajectoire.
À quel rythme devons-nous avancer ? Selon les économistes, il faut lisser l'effort : un choc dès la première année entraînerait une récession, avec à la clé des coupes encore plus drastiques. Selon l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), un ajustement de 60 milliards d'euros en 2025 coûterait 0,8 point de croissance dès l'année prochaine. Même le FMI met en garde !
Si vous ne réévaluez pas le calendrier, vous nous exposez à de graves difficultés. Ne sacrifiez pas les investissements d'avenir ! L'urgence n'est pas que budgétaire, elle est aussi écologique. Le rapport Pisani-Ferry-Mahfouz estime qu'il faut au moins 34 milliards d'euros supplémentaires par an pour la transition écologique. La dette écologique, elle, est bien irréversible.
La Commission européenne aura bien du mal à croire à cette stratégie. Ce plan témoigne d'une grande légèreté face aux enjeux économiques et financiers. Il faut revoir le ciblage et la trajectoire pour ne pas hypothéquer l'avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Jean-François Husson applaudit également.)
M. Stéphane Le Rudulier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Débattre de la trajectoire de nos finances publiques n'a jamais été aussi important.
Les Français se posent beaucoup de questions. Premièrement, comment en sommes-nous arrivés là ? Comment accepter que le Premier ministre ait découvert une situation bien plus dégradée que ce qu'avait annoncé...
M. Victorin Lurel. - Dissimulé !
M. Stéphane Le Rudulier. - ... votre prédécesseur ? Le rapporteur général avait pourtant alerté sur la gravité de la situation.
Quelles mesures structurelles mettre en oeuvre pour tenir une trajectoire vertueuse et revenir sous la barre des 3 % de déficit en 2029 ?
Cela fait des années que nous avons perdu le contrôle des finances publiques. En 2024, le déficit s'élève à 6,1 % du PIB, quand les prévisions tablaient sur 4 %. La dette publique, de 3 228 milliards d'euros, atteint 112 points de PIB, contre 14,5 sous Valéry Giscard d'Estaing. Elle a augmenté de 1 000 milliards depuis 2017.
M. Victorin Lurel. - Sarkozy avait fait 600 milliards !
M. Stéphane Le Rudulier. - La charge de la dette explose : en 2026, elle représentera le premier poste de dépenses de l'État. Face à la crise budgétaire, nous devons sortir des guerres idéologiques - c'est le rôle du Sénat.
Cherchons, au-delà de la colline, des solutions pérennes. Inspirons-nous de la renaissance française de 1958, quand de Gaulle résumait ainsi la situation budgétaire de l'époque : « En somme, l'alternative, c'est le miracle ou la faillite. » La faillite, nous y sommes. Avec de Gaulle, ce fut le miracle, grâce à une baisse massive des dépenses publiques. Inspirons-nous de ce modèle.
Le groupe Les Républicains a formulé des propositions. Notre pays compte 1 200 agences, qui coûtent 80 milliards d'euros. Il y a moyen de faire quelques économies en rationalisant.
La relance passera aussi par une nouvelle vague de décentralisation intelligente, reposant sur la responsabilité des élus, et par une réforme de la fiscalité locale, annoncée par le Président de la République en 2017, mais qui n'a jamais eu lieu.
La simplification s'impose face au poids des normes. Nous sommes au carrefour de notre destin national.
M. Antoine Armand, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie . - Je vous remercie pour vos nombreuses interventions.
M. Husson a repris l'adjectif « colossal » pour qualifier la dette. Il faut considérer le chiffre brut, mais aussi le rapporter au PIB.
Il y a une différence entre un budget d'effort ou de rigueur et un budget d'austérité : un budget dont la totalité des dépenses augmente de 0,4 % en volume, hors inflation, n'est pas austéritaire. Je regrette que nous n'arrivions pas à faire baisser la dépense dès l'année prochaine. On ne peut, sans perdre le sens des mots, parler d'austérité quand les dépenses de la sphère sociale augmentent de 2,7 %, quand aucun des principaux postes de dépenses de l'État ne baisse, quand le budget des armées ou de la transition écologique augmente, en valeur et en volume.
C'est pourquoi nous avons besoin de baisser rapidement la dette, c'est pourquoi nous consentons l'année prochaine un effort supérieur à ce que nous demande la Commission européenne. Question de crédibilité, alors que nos déficits filent ! Si nous voulons être crédibles, nous devons l'être dès l'année prochaine. Nous ne le faisons pas pour la Commission européenne, mais pour que l'écart de taux avec l'Allemagne se resserre, pour pouvoir investir dans la transition écologique ou la défense plutôt que dans le remboursement de la dette !
Même si le déficit passe sous les 3 % en 2029, la dette doit continuer à baisser. Nos voisins d'outre-Rhin s'y emploient, alors que leur endettement est deux fois moindre que le nôtre.
Monsieur Raynal, je regrette comme vous les délais d'élaboration et de transmission de ce PSMT, en partie imputables au contexte politique.
L'ensemble du programme gouvernemental de réformes n'est pas intégré au PSMT, car la feuille de route tracée par Michel Barnier est en train d'être déclinée dans chaque ministère. Tout n'est pas documenté, je le concède. Le prétendre serait même irrespectueux, compte tenu de l'effort qu'il reste à mener.
Aucun économiste ne prévoit de récession l'an prochain, mais certains redoutent l'effet récessif de la baisse des dépenses. Cela dit, nous estimons que la composition de la croissance ne sera pas la même l'an prochain : en 2024, elle était portée par les exportations ; en 2025, la consommation et l'investissement des entreprises joueront un rôle accru.
Deuxième raison, les efforts de prélèvements obligatoires sont ciblés sur les personnes gagnant plus de 250 000 euros et sur 400 grands groupes bénéficiaires, dont le chiffre d'affaires dépasse 1 milliard. Ce sont ceux qui sont les moins sujets à des effets récessifs. Reste que si nous trouvons des économies permettant de nous passer de ces prélèvements supplémentaires, j'en serai ravi. Dans notre pays qui a le plus fort taux de prélèvements obligatoires au monde, la solution n'est pas davantage d'impôts !
Madame Doineau, je vous rejoins sur la place insuffisante faite à la sphère sociale - le défaut de ce premier PSMT est qu'il n'émane que d'un seul ministère, mais je vous renvoie tout de même à la page 86. Sur la dette sociale, il faut regarder les choses en face. Certaines branches sont à l'équilibre, voire excédentaires. Il ne faut pas faire peser l'effort en priorité sur les régimes qui fonctionnent.
Monsieur Delahaye, en matière de retraites, nous ne sommes pas au bout du sujet. Chaque année, nous y consacrons des dizaines de milliards d'euros. Quand 40 % de notre budget est consacré au remboursement de la charge de la dette et au paiement d'agents publics à la retraite, difficile de tourner notre budget vers l'investissement. Je connais les travaux du Sénat sur le sujet, nous y reviendrons.
En matière de nucléaire, il faut différencier les investissements dans le nouveau nucléaire, via un schéma de financement avec l'État, du financement de la maintenance du parc actuel, qui incombe à EDF.
Monsieur Savoldelli, on peut débattre du sens de la réindustrialisation, mais pas dire que le pays ne s'est pas réindustrialisé ! Même si la part de l'industrie a baissé, nous avons créé des emplois industriels nets. Ce n'est pas être sectaire que de le reconnaître. Depuis 2016, nombre d'emplois industriels ont progressé, oui - plus dans certains secteurs que dans d'autres, mais on ne peut appeler à la transition écologique et numérique et s'en étonner : certains secteurs déclineront, d'autres progresseront.
Vous avez mentionné le rapport Draghi ; on pourrait aussi évoquer le rapport Letta, ou le rapport Noyer.
Lors du Conseil « compétitivité », quand j'appelle à davantage d'investissements publics et privés, mes homologues s'interrogent sur notre niveau de dette publique. Pour être crédibles, il faut déjà avoir des finances publiques aussi saines que celles de nos partenaires.
Ce n'est pas un budget « violent », quand la dépense publique augmente et quand la dépense sociale augmente de 2,7 % !
M. Thierry Cozic. - C'est ce que disent pourtant 75 % des Français.
M. Antoine Armand, ministre. - Les enquêtes d'opinion ne reflètent pas l'évolution de la dépense publique.
M. Victorin Lurel. - Nous n'avons pas la même conception de l'austérité !
M. Antoine Armand, ministre. - Si l'on recule chaque fois qu'une économie déplaît, pas étonnant que nos déficits filent ! Avec 3 300 milliards de dettes, je ne vais pas m'arrêter au vocabulaire.
Monsieur Blanc, vous vous étonnez de nos estimations sur la TICPE, mais, je l'ai dit, dans nos hypothèses, la consommation et l'investissement des entreprises croissent, donc la consommation énergétique, donc les recettes.
M. Grégory Blanc. - Donc vous ne respectez pas les accords de Paris ! CQFD !
M. Antoine Armand, ministre. - L'accord de Paris, c'est 2050 ; notre prévision de recettes, c'est pour 2025.
Vous avez dit que la France était inadaptée en matière de changement climatique. (M. Grégory Blanc le conteste.) Réformer la fiscalité environnementale pour la rendre incitative, c'est difficile. Le chantier n'est pas en jachère, mais la priorité n'était pas au chamboule tout fiscal. Nous avons présenté le premier plan d'adaptation au changement climatique, regardé par nos partenaires européens ; il faudra le financer, d'où la hausse du budget de la transition écologique.
Monsieur Lurel, vous avez parlé d'une « course de vitesse ». Mais rares sont nos partenaires européens qui pensent que nous allons trop vite ! Avec 3 300 milliards d'euros de dette, 6 % de déficit, une dépense publique aussi élevée, un taux de prélèvements obligatoires record, une trajectoire sur sept ans au lieu de quatre pour revenir sous les 3 %, rares sont ceux qui pensent que la France va trop vite ! Je crains plutôt que nous n'allions pas assez vite. Nous avons choisi ce rythme car il fallait préserver la croissance et augmenter le budget de la transition écologique.
M. Laménie a parlé de sérénité : difficile d'en avoir, à ce niveau de déficit et de dépense publique ! Les revues de dépenses sont un marronnier - la dernière étant Cap 2022. Nous disposons de beaucoup d'éléments, reste à trouver des consensus pour sortir de la logique de rabot et faire des choix difficiles. Baisser la dépense publique sera difficile et impopulaire. Nous devrons sans doute choisir de nous concentrer sur certaines missions régaliennes de l'État, quitte à renoncer à d'autres domaines. Ce travail de revue de dépenses doit se faire non pas globalement mais mission par mission.
Ce n'est pas un acte de faiblesse, au contraire. Le travail sur les agences et les opérateurs est indispensable, pour des raisons d'efficacité d'abord, mais ne dégagera pas d'économies massives, puisque les agents réintégreront l'administration centrale. La véritable source d'économies, c'est décider que tel ou tel champ d'action ne relève plus du financement public.
Monsieur Hugonet, comme vous avez des lettres, vous avez su lire sous les chiffres. Vous regrettez l'incertitude. Je ne prétends pas présenter un plan garanti, tant la situation est incertaine. Aucun pays ne sait prévoir le niveau de croissance dans deux ou trois ans, et encore moins les chocs éventuels. Les économistes constatent une perte pérenne de PIB d'au moins un point à la suite du covid.
La dépense primaire, voilà notre indicateur. Ajuster perpétuellement la recette à la dépense se traduit par une dépense publique et des prélèvements obligatoires extrêmement élevés, ce qui devient problématique quand la croissance stagne à 1 %, que les services publics ne donnent pas satisfaction et que le coût de financement de la dette augmente - signe d'un manque de crédibilité de notre trajectoire, faute de redressement. Le Premier ministre en a fait une priorité.
Madame Schillinger, vous avez évoqué les inégalités territoriales, les déserts médicaux, l'accès aux services publics. Le Premier ministre a voulu préserver les enveloppes pour les maisons France Services, afin de rétablir cette proximité essentielle - c'est l'élu d'un territoire rural et montagnard qui vous le dit.
Je porterai dans le PLF des améliorations pour financer la décarbonation de l'industrie, clé de la compétitivité de demain.
Sur les emplois et les salaires, le projet du Gouvernement - sans doute perfectible- s'inspire du rapport Bozio-Wasmer, qui souligne que les allègements de cotisations sociales sont des trappes à bas salaires. C'est mauvais pour les salariés et pour la croissance. Nous avancerons sur ce sujet dès le prochain budget.
Monsieur Daubet, je partage vos inquiétudes sur les signaux faibles - l'agriculture, l'industrie, notamment. Si nous n'arrivons pas à trouver les marges budgétaires suffisantes, les signaux faibles deviendront plus forts. Autre point : l'Europe doit sortir d'une forme de naïveté industrielle et commerciale. La Chine et les États-Unis ont depuis longtemps une autre approche en la matière, nous devons prendre en compte cette dimension hostile. À l'initiative de la France, la Commission européenne a adopté une hausse des droits de douane de 35 % sur l'importation de véhicules de certains pays asiatiques, où les aides d'État sont massives. Il faut lutter contre ces pratiques distorsives et agressives.
Nous devrons aussi réfléchir à un rééquilibrage des missions de l'État entre fonction publique et secteur privé.
Madame Blatrix Contat, si nous mentionnons les réformes des retraites ou de l'assurance chômage, c'est qu'elles auront des effets macroéconomiques sur le taux d'emploi ou sur les finances publiques. Nos partenaires européens regardent d'ailleurs avec attention ce que nous allons faire : si nous revenons sur ces réformes, nous courrons un risque économique et financier.
Nous devons montrer que nous sommes capables de faire un effort important dès l'année prochaine. Notre crédibilité est en jeu.
Monsieur Le Rudulier, je partage votre inquiétude sur la perte de contrôle. Je ne comparerai jamais la France à une entreprise, mais quelle entreprise pourrait avoir ce niveau de dette et de déficit sans se soucier de ses dépenses ? Si nous visons l'efficacité, le Gouvernement, le Parlement, les experts doivent examiner régulièrement la dépense publique pour garder le contrôle. Il y va de notre crédibilité.
Au-delà de la colline - de la montagne ! -, nous sommes face à un mur d'investissements dans la transition écologique. En France, nous bénéficions d'un écosystème d'innovation important, avec des taux de croissance de 7 à 9 %. Mais en Chine, aux États-Unis, ce sont des taux à deux chiffres. Pour pouvoir financer ces secteurs au même niveau que le font les pays innovants, il nous faut faire des économies ailleurs - sur les agences, ou sur le millefeuille territorial, en suivant les pistes du rapport Woerth et du rapport Ravignon. Après les rapports, des actes !
Prochaine séance, mardi 5 novembre 2024, à 9 h 30.
La séance est levée à minuit.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mardi 5 novembre 2024
Séance publique
À 9 h 30, 14 h 30 et le soir
1. Questions orales
2. Explications de vote puis vote sur la deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, visant à améliorer le repérage et l'accompagnement des personnes présentant des troubles du neuro-développement et à favoriser le répit des proches aidants (texte de la commission, n°97, 2024-2025)
3. Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l'échelle locale (texte de la commission, n°86, 2024-2025)
4. Trois conventions internationales examinées selon la procédure d'examen simplifié :
=> Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sur la création d'un espace aérien commun entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la République d'Arménie, d'autre part et de l'accord sur la création d'un espace aérien commun entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et l'Ukraine, d'autre part (procédure accélérée) (texte de la commission, n°687, 2023-2024)
=> Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Indonésie relatif à la coopération dans le domaine de la défense (procédure accélérée) (texte de la commission, n°722,2023-2024)
=> Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'État indépendant de Papouasie-Nouvelle-Guinée relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces (texte de la commission, n°602, 2023-2024)
5. Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de l'accord se rapportant à la convention des Nations unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale (texte de la commission, n°724, 2023-2024)
6. Proposition de loi tendant à renforcer les moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes, présentée par Mme Marie Mercier et plusieurs de ses collègues (procédure accélérée) (texte de la commission, n°99, 2024-2025)