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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Rappel au Règlement

Mises au point au sujet de votes

CMP (Nominations)

Épargnants et exploitations agricoles françaises

Discussion générale

Mme Vanina Paoli-Gagin, auteur de la proposition de loi

M. Christian Klinger, rapporteur de la commission des finances

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

M. Raphaël Daubet

M. Martin Lévrier

Mme Isabelle Briquet

M. Laurent Somon

M. Dany Wattebled

M. Michel Canévet

M. Daniel Salmon

M. Éric Bocquet

M. Guillaume Chevrollier

Discussion des articles

ARTICLE 1er

M. Daniel Salmon

ARTICLE 2

M. Daniel Salmon

M. Marc Laménie

ARTICLE 4

Mise au point au sujet d'un vote

Interdire l'usage de l'écriture inclusive

Discussion générale

Mme Pascale Gruny, auteur de la proposition de loi

M. Cédric Vial, rapporteur de la commission de la culture

Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture

M. Martin Lévrier

M. Yan Chantrel

M. Étienne Blanc

M. Aymeric Durox

Mme Marie-Claude Lermytte

Mme Annick Billon

Mme Mathilde Ollivier

M. Pierre Ouzoulias

Mme Maryse Carrère

Mme Else Joseph

Discussion des articles

ARTICLE 1er

Mme Marie-Pierre Monier

Mme Colombe Brossel

M. Adel Ziane

M. Pierre Ouzoulias

Mme Mathilde Ollivier

Mme Laurence Rossignol

M. Mickaël Vallet

Mme Mélanie Vogel

M. Max Brisson

M. Patrick Kanner

M. Daniel Salmon

M. Stéphane Piednoir

Mme Cécile Cukierman

ARTICLE 2

Vote sur l'ensemble

M. Yan Chantrel

M. Bruno Retailleau

Mme Annick Billon

Mme Françoise Gatel

Mme Cécile Cukierman

Mme Laurence Rossignol

Mme Mathilde Ollivier

M. Daniel Salmon

M. Max Brisson

M. Cédric Vial, rapporteur de la commission de la culture

Ordre du jour du mardi 31 octobre 2023




SÉANCE

du lundi 30 octobre 2023

14e séance de la session ordinaire 2023-2024

Présidence de Mme Sylvie Robert, vice-présidente

Secrétaires : Mme Véronique Guillotin, M. Philippe Tabarot.

La séance est ouverte à 16 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu intégral publié sur le site internet du Sénat, est adopté sous les réserves d'usage.

Rappel au Règlement

Mme Nathalie Goulet.  - Rappel au Règlement sur le fondement de l'article 29. Nous avons observé avec effroi les manifestations sur un aéroport du Daghestan, où une foule compacte a envahi le tarmac pour passer à tabac les passagers arrivés d'Israël, rappelant les pires pogroms. À Istanbul, certaines librairies ont été interdites aux Juifs. En France, les actes antisémites augmentent de manière exponentielle ; je sais que le ministre de l'intérieur y est attentif, mais je veux dire notre inquiétude devant un tel déferlement de haine, qu'on ne pensait plus voir après la Shoah.

Récemment, le Sénat votait une résolution contre l'antisémitisme ; M. Karoutchi s'étonnait qu'une telle démarche soit encore nécessaire en 2023. L'antisémitisme n'est pas une opinion mais un délit. Soyons réactifs et luttons contre ce fléau, ici comme ailleurs.

Mme la présidente.  - Acte est donné de votre rappel au Règlement.

Mises au point au sujet de votes

Mme Isabelle Briquet.  - Lors du scrutin public n°10 du 24 octobre 2023, Mme Marion Canalès, MM. Rémi Cardon, Yan Chantrel, Mme Hélène Conway-Mouret, M. Vincent Éblé, Mme Frédérique Espagnac, M. Hervé Gillé, Mme Gisèle Jourda, M. Éric Kerrouche, Mmes Monique Lubin, Marie-Pierre Monier, Corinne Narassiguin, MM. Alexandre Ouizille, David Ros, Lucien Stanzione, Jean-Claude Tissot, Simon Uzenat, Adel Ziane et moi-même souhaitions voter pour.

M. Raphaël Daubet.  - Lors du scrutin public n°19 sur l'ensemble du projet de loi Inflation, Mme Nathalie Delattre souhaitait voter pour.

Mme la présidente.  - Acte vous est donné de ces mises au point. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l'analyse politique du scrutin.

CMP (Nominations)

Mme la présidente.  - Des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur le projet de loi portant mesures d'urgence pour lutter contre l'inflation concernant les produits de grande consommation ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la Présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre Règlement.

Épargnants et exploitations agricoles françaises

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises, présentée par Mme Vanina Paoli-Gagin et plusieurs de ses collègues.

Discussion générale

Mme Vanina Paoli-Gagin, auteur de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et du RDPI ; M. Paul Toussaint Parigi applaudit également.) J'ai eu l'occasion de visiter un lycée agricole dernièrement ; professeurs et élèves partagent la même passion, le travail de la terre, la même ambition, nourrir le pays, mais aussi la même préoccupation, la transmission.

Pour la première fois, ces lycéens ne sont pas nécessairement issus du monde agricole. C'est une modification sociologique de long cours. La majorité des agriculteurs de demain ne seront plus des enfants de paysans. Cette évolution est générale ; en témoignent les chiffres du rapport de la Cour des comptes remis à notre commission des finances.

Premier chiffre : le nombre d'agriculteurs a été divisé par cinq depuis 1955, passant de 2,5 millions à 500 000. La proportion des agriculteurs dans la population active s'est effondrée.

Deuxième chiffre : un exploitant agricole sur deux partira à la retraite d'ici dix ans. Il est urgent de préparer la relève.

Troisième chiffre : depuis l'an 2000, la surface moyenne des exploitations est passée de 42 à 69 hectares. Acquérir une exploitation est de plus en plus difficile.

Même si les terres françaises sont moins chères qu'ailleurs en Europe, le coût du foncier demeure une barrière à l'entrée. L'acquisition des outils de production en est une autre : ce sont les deux leviers sur lesquels agir.

Monsieur le ministre, ces problématiques ont été abordées lors des travaux préparatoires à votre plan pour l'avenir de l'agriculture. Je suis sûre que vous ferez des propositions concrètes, mais le Sénat ne perd jamais son temps quand il veut contribuer à l'avenir de notre agriculture. D'où cette proposition de loi.

De quoi s'agit-il ? Créer un nouveau véhicule pour acquérir du foncier agricole, qui sera ensuite donné à bail à long terme à un agriculteur, sous le statut du fermage. Je proposais de le nommer groupement foncier agricole d'épargnants (GFAE) afin de drainer l'épargne privée vers l'acquisition de terres et renforcer notre souveraineté alimentaire. La mobilisation de l'épargne privée est un vrai levier pour réaliser les investissements nécessaires sans alourdir notre dette, qui bat des records, ou augmenter les impôts. L'épargne accumulée durant le covid, c'est trois fois le plan de relance ou encore la valeur de l'ensemble du foncier agricole français !

Ces capitaux seront utilisés de la même manière que dans un groupement foncier agricole (GFA) classique. Le dispositif porte sur la collecte, non la destination.

Contrairement à ce que d'aucuns voudraient faire croire, je ne remets pas en question le fermage ou le rôle des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer). Une fois l'argent collecté et le terrain acquis, toutes les règles des GFA s'appliqueront aux GFAE.

Le risque de prédation par des acteurs étrangers n'est donc pas un argument opposable - même, si élue d'un terroir viticole, je suis consciente du problème.

Non, un investissement dans un groupement foncier n'a pas vocation à être un produit d'épargne liquide. Ces groupements seront soumis aux dispositions du code monétaire et financier. Je m'en suis remise à la sagesse de notre rapporteur, qui a renommé les GFAE en groupements fonciers agricoles d'investisseurs (GFAI), sur le modèle des groupements forestiers d'investissement (GFI), qui ont prouvé leur efficacité sans pour autant transformer nos forêts en places de marché.

Ce texte ne remet en cause ni les GFA, ni les Safer ni les aides à l'installation. Il vise à préparer la relève, ce qui suppose d'adapter notre modèle aux aspirations des jeunes générations. L'hybridation progresse et le rapport à la propriété évolue. Pour beaucoup de jeunes, c'est l'usage qui prime, non la propriété. Nous devons fédérer les énergies autour de l'objectif clé de la souveraineté alimentaire et de l'excellence agricole. Ma proposition de loi apporte une petite pierre à ce vaste édifice ; j'espère qu'elle enrichira votre plan, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, du RDPI et du RDSE ; Mme Sylvie Vermeillet applaudit également.)

M. Christian Klinger, rapporteur de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous prenons conscience du déclin de notre secteur agricole. Les constats sont connus : conditions de travail peu enviables, rémunération insuffisante, enjeux environnementaux prégnants, concurrence de pays non soumis aux mêmes normes. Or la réaction du Gouvernement se fait attendre, tout comme le calendrier du projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles.

En moins de soixante-dix ans, le nombre d'exploitants a été divisé par cinq. Pas moins de 43 % des agriculteurs partiront à la retraite d'ici à 2033. Le sujet du renouvellement générationnel est majeur, alors que la moitié des candidats n'est plus issue du monde agricole et ne dispose donc pas d'un capital foncier. Cela suppose de faire évoluer notre modèle. Régulation, droit du travail, accompagnement des cédants, fiscalité, portage du foncier : les pistes sont nombreuses.

Cette proposition de loi ne prétend pas résoudre toutes les difficultés - qui le pourrait ? -, mais elle s'attache au portage collectif du foncier, au soutien à l'installation et à la transmission des exploitations.

Je salue le travail de Mme Paoli-Gagin et l'intérêt de nos échanges. La commission a estimé que l'abondance d'épargne des Français devait être mobilisée dans des formes éthiques au service des agriculteurs, de la souveraineté alimentaire et d'un retour à la terre. La création d'un nouveau véhicule d'investissement, le GFAI, est un outil parmi d'autres qui pourrait convenir à certains agriculteurs, notamment en raison du coût du foncier dans leur territoire.

Ces groupements ont suscité des interrogations ; ce n'est pourtant pas le grand soir du monde agricole !

« Il faut que tout change pour que rien ne change ». Que tout change : le but est de mobiliser l'épargne de personnes physiques pour aider les agriculteurs à s'installer. Que rien ne change : les GFAI ne remettent nullement en cause le régime des baux ruraux. Les détenteurs de parts de GFAI ne pourront pas s'immiscer dans la vie de l'agriculteur, qui doit rester maître chez lui.

Nous avons modifié le nom du GFAE, devenu GFAI. Comme tout produit financier, il comporte des risques. Peu liquide, aux perspectives de rendement faible ? Il est en réalité directement inspiré du modèle des GFI. La commission a rendu la composition des actifs un peu plus liquide et prévu que les apports en numéraire devaient être utilisés sous deux ans - et non trois - pour des investissements à vocation agricole.

L'article 2 prévoit que les Safer pourront préempter des parts de GFAI - là encore, rien ne change.

Les règles protectrices des GFA sont conservées ; par exemple, l'article 3 précise que les personnes physiques disposeront d'un droit de vote double de celui des personnes morales.

Aux termes de l'article 4, les donataires de parts de GFAI bénéficient d'une exonération des droits de mutation à titre gratuit (DMTG), et les détenteurs de ces parts, d'une exonération partielle ou totale de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI), afin d'inciter davantage d'épargnants à acquérir ces produits et pour compenser des rendements limités.

La commission des finances vous propose donc un dispositif équilibré. Compte tenu de la hausse du coût du foncier dans certaines régions, il favorisera l'installation des agriculteurs et la transmission des exploitations sans remettre en cause ce principe cardinal : l'agriculteur doit rester maître chez lui. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP et RDSE)

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Prix du foncier et statut du fermage sont un atout pour la compétitivité de notre agriculture, mais la difficulté d'accès au foncier est un frein pour les jeunes générations, qui, de plus en plus souvent, ne sont pas issues du monde agricole.

La souveraineté alimentaire figurait au coeur des concertations sur le pacte d'orientation pour le renouvellement des générations annoncé par le Président de la République. Je tiens à saluer cet exercice démocratique inédit, mené à l'échelle nationale, avec un volet ultramarin. Outre les écosystèmes agricole et alimentaire, celui-ci a mobilisé les secteurs de l'éducation, de la recherche ainsi que le monde associatif, les élus locaux, les parlementaires, les jeunes de l'enseignement agricole et la société civile.

Ces consultations montrent qu'il est possible d'oser le consensus, au-delà des excès et des caricatures. (Marques d'ironie sur les travées du GEST) La concertation a mis en exergue le besoin de faciliter l'accès aux outils de production et de développer le portage du foncier.

Les GFA sont utiles pour drainer les capitaux en faveur de l'agriculture et décharger les agriculteurs du poids de l'investissement dans le foncier, mais ne peuvent ouvrir leurs parts sociales au public. La faible rentabilité du foncier agricole, la responsabilité illimitée de l'investisseur en cas de pertes, la faible liquidité, l'absence d'un marché des parts et la difficile négociation des conditions de sortie des propriétaires freinent le recours aux GFA.

Pour y remédier, vous proposez un nouvel outil, inspiré des GFI. Je salue la qualité des travaux du rapporteur et de la commission.

J'y vois une capacité à augmenter le nombre d'investisseurs et à apporter de nouveaux capitaux dans les exploitations agricoles. Nous pourrions atteindre une profondeur de marché de 100 millions d'euros par an avec cette mesure.

La proposition de loi ne remet pas en cause les baux ruraux. Elle n'est pas une solution miracle, mais s'avérera utile, combinée avec d'autres dispositifs, dont les 400 millions d'euros de soutien aux solutions de portage innovantes dans le cadre du fonds de soutien aux entrepreneurs du vivant, financé par France 2030.

Ainsi, l'État abondera différentes structures en complément de l'outil que vous créez.

Ensuite, le GFAI présente des garanties de maîtrise des capitaux - la souveraineté sur le foncier est stratégique. Tel n'est pas le cas de certains outils actuels. La commission a exprimé ces préoccupations : je sais l'auteure du texte attentive à ce sujet.

Nous entendons préserver la diversité des modèles agricoles.

Les débats répondront aux difficultés de mise en oeuvre des GFAI.

Le foncier est crucial au renouvellement des générations, tout comme la formation et la capacité des exploitants à mener les grandes transitions. Nous avons besoin d'un discours plus positif, mais aussi des perspectives d'avenir pour les jeunes et les moins jeunes qui veulent rejoindre l'agriculture : foncier, investissements, transitions. Le vote du Parlement sera un signal fort. Je serai attentif à cette question dans le cadre de la concertation - je m'y engage. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et des groupes INDEP et UC)

M. Raphaël Daubet .  - Dans mon département du Lot, les parcelles sont petites, mais l'attachement à la terre est grand. Mon grand-père paysan, né en 1904, se déclarait propriétaire dans les actes d'état civil, alors qu'il ne possédait que quelques hectares de vallée et de lande sur le causse - une fierté pour moi aussi.

Bien sûr, cette proposition de loi semble loin de ces préoccupations anthropologiques, mais elle répond à de nouvelles réalités, en d'autres lieux, en d'autres temps. Longtemps, un principe a été au centre de notre conviction : « La terre, à ceux qui la travaillent ». En dissociant les deux, ce texte touche à une fibre sensible.

Ainsi, par principe, mon premier élan était de m'opposer à un apparent pas de plus vers la marchandisation de la terre. Mais l'écueil serait l'enjeu idéologique. Ce qui compte, c'est plus la stabilité du foncier que la propriété, et le bail rural y suffit souvent. Les Safer conserveraient leurs droits de préemption : les garde-fous existent donc.

L'exploitant sera-t-il encore plus un exploité ? Pas sûr. Le mal est ailleurs. En une génération, nous avons perdu les deux tiers des agriculteurs. Selon Jérôme Fourquet, l'agriculture est le plus grand plan social silencieux de notre histoire contemporaine. Attirer l'épargne des Français vers le foncier n'est donc pas inintéressant.

Cependant, les capitaux devraient aller non au foncier mais à la recherche et au développement, face à l'abandon planifié de la chimie, à la pénurie de main-d'oeuvre et à l'abandon des fossiles. Les agriculteurs ne pourront y répondre seuls. Capitaux publics et privés devront répondre à cette nouvelle ère du machinisme agricole : c'est le prix de la souveraineté alimentaire.

Le RDSE votera malgré tout cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE et des groupes INDEP et UC ; M. Thierry Cozic applaudit également.)

M. Martin Lévrier .  - Cette proposition de loi s'inscrit dans le contexte de transformation de l'agriculture française. La baisse du nombre des exploitations, dont la taille augmente, n'est pas une exception française. Ainsi, 6 000 exploitants ne sont pas remplacés chaque année. Il faut donc soutenir le renouvellement.

La Cour des comptes a ainsi souligné récemment les insuffisances dans les instruments d'aide et la faiblesse de la politique de transmission des exploitations. La proposition de loi de Mme Paoli-Gagin vise donc à associer les épargnants à cette transmission, via les GFAE. Un agriculteur conclurait alors un bail de long terme sous statut de fermage, distinguant l'acquisition du foncier de l'appareil productif.

Le rendement et la liquidité du GFAE risquent de décourager des investisseurs, mais nous devons explorer de nouvelles voies. Les pistes du ministère de l'agriculture pourraient corriger des angles morts de cette proposition de loi.

La question de la transmission des exploitations est cruciale, comme la sauvegarde de la souveraineté alimentaire. Cette proposition de loi a émergé dans le cadre des concertations ouvertes par le ministre de l'agriculture en décembre 2022. Nous remercions son auteure, mais il faudra y travailler dans le cadre de la future loi d'orientation de l'agriculture.

C'est pourquoi notre groupe est favorable à cette proposition de loi tout en appelant à cette future discussion. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC)

Mme Isabelle Briquet .  - Le foncier est crucial pour la souveraineté alimentaire de la France, alors que le nombre d'exploitations et d'exploitants diminue. La méthode de ce texte ne nous convient pas. Les GFAE, devenus GFAI à la commission des finances, renforcent en effet une approche capitaliste de la gestion agricole : le foncier devient un investissement financier, non un outil de production.

Cette financiarisation illustre les défis actuels de l'agriculture : changement climatique, gestion de l'eau, entre autres. Cette approche capitaliste nous en écarte. Ce dispositif, sans étude d'impact, comporte un risque d'éviction, notamment au détriment des forêts, et d'inefficacité économique.

De plus, les problèmes d'installation demeureront, car le seul outil capable d'y remédier, la régulation foncière, est laissé de côté. L'agriculture à taille humaine disparaît.

L'acquisition du foncier est un frein, mais elle ne résume pas le problème de la transmission - n'oublions pas la reprise du capital de l'exploitation.

En outre, la perspective d'une loi d'orientation rend cette proposition de loi peu opportune.

Il faut repenser notre agriculture dans le sens des enjeux environnementaux et de biodiversité.

Enfin, le texte repose sur une baisse de la fiscalité, ce qui affaiblit la capacité de l'État à financer les services publics.

En conclusion, nous privilégions une approche plus globale et plus durable, qui devra être abordée durant l'examen de la loi d'orientation. Il faut prendre en compte les besoins de la société, les défis environnementaux et la responsabilité budgétaire. Le groupe SER votera donc contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Éric Bocquet applaudit également.)

M. Laurent Somon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Dany Wattebled applaudit également.) Il y a urgence : la moitié des agriculteurs a plus de 50 ans et transmettra bientôt son exploitation. Je salue le travail de Christian Klinger qui a encadré la proposition de loi au bénéfice de l'agriculteur. Maintien des baux ruraux, renouvellement de droit, barème des loyers établi par le préfet, droit de préemption des Safer garantissent une jouissance paisible d'un bien par son fermier. Néanmoins, des interrogations demeurent.

Ainsi, le dispositif doit répondre aux besoins des agriculteurs tout en étant attractif pour les épargnants, sans devenir un objet de spéculation foncière ni contrarier la liberté d'entreprendre ou de s'organiser entre producteurs. Ne risque-t-il pas de financiariser encore plus l'agriculture, alors que 60 % de la surface agricole utile - 80 % dans la Somme - est déjà portée par des tiers et louée en fermage ? Les Safer interviennent déjà sur 25 % à 30 % des ventes.

Les GFAI ne contraindront-ils pas encore les fermiers en posant des conditions agronomiques ou variétales ? Les agriculteurs ne seront-ils pas dépossédés de leur liberté d'assolement ou de plan d'élevage ?

Le rapporteur souligne les limites de cette proposition de loi qu'il présente comme une piste de réflexion parmi d'autres - comme celle de développer des GFA mutuels, dans le cadre de l'élaboration des projets alimentaires territoriaux (PAT), auxquels collectivités territoriales, Safer et investisseurs privés pourraient participer, pour offrir à l'exploitant une forme de maîtrise du foncier.

Le rapport du ministère de l'agriculture de 2023 comme le rapport Gendron-Granger de 2017 appellent à définir des objectifs clairs, à faire évoluer les outils de régulation et à diversifier les outils de portage du foncier. La loi d'orientation agricole sera l'occasion de fixer un cadre. Rappelons que les GFA ont été créés dans la foulée des lois d'orientation de 1960 et 1962. Discuter des outils avant de définir les objectifs et de stabiliser le cadre réglementaire, c'est mettre la charrue avant les boeufs. Nous nous associons à la prudence du rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Dany Wattebled .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Le foncier agricole est stratégique pour notre souveraineté alimentaire et économique. Je salue le travail de Vanina Paoli-Gagin, dans la continuité des travaux de notre groupe sur le sujet. Nous remettons l'ouvrage sur le métier. Les problématiques varient d'un territoire à l'autre. Dans la plupart des territoires frontaliers, les tensions tiennent aux écarts de prix d'un pays à l'autre : 6 000 euros l'hectare en France, contre 12 000 en Espagne, 21 000 en Allemagne, 30 000 en Suisse, 63 000 aux Pays-Bas. Ce différentiel facilite le rachat des terres agricoles françaises par les étrangers, comme dans les Flandres.

Il faut garder à l'esprit ces tensions, alors que ces frontières sont partagées avec nos amis européens. Le sentiment de dépossession est bien présent. Ne le négligeons pas, car nous savons à quoi il mène.

J'espère que cette proposition de loi renforcera notre souveraineté. Les GFAI permettront aux Français de se mobiliser. L'enjeu est d'attirer davantage de capitaux vers le foncier agricole.

Quoi qu'il en soit, monsieur le ministre, votre plan pour l'avenir de l'agriculture devra apporter des solutions concrètes, notamment pour les territoires frontaliers comme le Nord. Plus que jamais, l'Europe doit jouer collectif pour préserver notre souveraineté, mais notre pays, qui a su conserver des prix relativement bas grâce aux Safer, ne doit pas être perdant dans l'affaire. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Martin Lévrier applaudit également.)

M. Michel Canévet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Nous remercions le groupe Les Indépendants et Vanina Paoli-Gagin pour cette proposition de loi importante. La France est un grand pays rural. Nous sommes attachés à l'avenir de cette ruralité, nous tenons à ce que nos campagnes restent actives et assurent notre souveraineté alimentaire.

Or le nombre d'exploitants a été divisé par cinq depuis 1955 : il reste moins de 500 000 exploitants, pour 400 000 exploitations. Il faut inverser cette érosion, alors que 45 % des exploitants ont plus de 55 ans. C'est dire le défi auquel nous sommes confrontés pour assurer le renouvellement des générations.

Je salue le travail du rapporteur ainsi que celui de la Cour des comptes, dont le rapport, remis à la demande de la commission des finances du Sénat, appelait à « promouvoir une palette d'instruments juridiques, financiers et comptables » pour assurer la variété des formes d'exploitation. Il s'agit de compléter les outils existants.

Je ne crois pas à une marchandisation de l'agriculture : 60 % des exploitations fonctionnent déjà en location. C'est un Finistérien célèbre, François Tanguy-Prigent, qui a institué le statut du fermage en 1946 ! (M. Ronan Dantec le confirme.)

Réfléchissons plutôt à faciliter les transmissions, difficiles pour beaucoup d'exploitations, en mobilisant l'épargne publique. On rencontre les mêmes difficultés dans le secteur maritime pour le renouvellement des flottilles ; là aussi, il faut mobiliser l'épargne.

Le groupe UC votera cette proposition de loi sans réserve.

Nous devons agir pour une agriculture plus vertueuse. En Bretagne, le succès des mesures agro-environnementales (MAE) nous mène dans une impasse financière ! Les exploitants sont nombreux à s'engager dans des pratiques plus vertueuses ; il faut les accompagner davantage pour favoriser une agriculture plurielle, en trouvant de nouvelles formes de financement. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains)

M. Daniel Salmon .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Les enjeux sont immenses. La régulation du foncier agricole est indispensable pour favoriser l'installation de nouveaux agriculteurs, lutter contre l'agrandissement excessif des exploitations et l'accaparement des terres, assurer la transition écologique et garantir une vraie souveraineté alimentaire.

La création d'un nouveau véhicule de portage, les GFAI, nous laisse perplexes.

M. Michel Canévet.  - Dommage !

M. Daniel Salmon.  - Loin de faciliter la transmission de terres agricoles, cet outil offre surtout aux investisseurs un traitement fiscal et successoral favorable. En étant conditionné à la conclusion de baux à long terme, plus chers, il risque de de provoquer une augmentation des loyers, donc de freiner l'installation de nouveaux actifs. C'est du reste ce qu'on observe depuis la création des GFI forestiers, modèles de vos GFAI : le prix du foncier a augmenté pour les forestiers locaux.

En l'absence d'encadrement, ce nouvel outil risque de renforcer la concentration des terres et le développement de l'agro-industrie. Les dispositifs de portage foncier doivent, au contraire, favoriser des exploitations à taille humaine, pourvoyeuses d'emplois et vertueuses.

Le glissement vers une logique de financiarisation du foncier ne garantit ni le renouvellement générationnel ni la transition écologique.

Ce texte ne tient pas compte de la nécessité de changer de modèle, alors que les crises climatiques et environnementales nous poussent à agir. La terre agricole devrait être considérée comme un bien commun.

Le débat sur le foncier agricole se résumera-t-il à cette proposition de loi, ou y consacrerons-nous le temps nécessaire lors de l'examen du projet de loi d'orientation agricole ? Monsieur le ministre, vous ne pourrez pas faire l'impasse sur la question de la régulation du foncier. Vous pourrez compter sur notre groupe pour avancer des propositions.

Vu la faiblesse du revenu agricole, est-il pertinent de mettre le foncier dans les mains d'investisseurs préoccupés avant tout de rendement ? (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Éric Bocquet .  - « Préserver le caractère familial de l'agriculture » et « faciliter l'accès au foncier » sont les objectifs assignés à l'État par l'article 1er du code rural. Or une exploitation sur cinq dépasse les 136 hectares, et les deux tiers des cessions se font au profit de l'agrandissement. Les exploitations sont devenues si grandes que seules des firmes peuvent les reprendre. Ce phénomène empêche la transmission en faveur d'une agriculture de proximité, à taille humaine, susceptible de faire évoluer les pratiques agricoles.

Le besoin de renouvellement générationnel est énorme. Il y a urgence à favoriser l'installation de jeunes, qui, à 60 %, ne sont pas issus du milieu agricole, et à suivre enfin le cap agricole que nous nous sommes fixé. C'est impératif si nous voulons la cohabitation de plusieurs modèles agricoles et la survie d'un modèle familial.

Face au renchérissement et à la raréfaction du foncier, les textes proposés depuis deux ans ne sont pas à la hauteur. Pis, ils étendent la logique de marché à ce bien commun qu'est la ressource foncière.

Le présent texte propose un nouveau véhicule d'investissement défiscalisé en direction des plus aisés, sans aucune étude d'impact. Les terres concernées pourront être louées à tout agriculteur, grand ou petit. Comment être sûr que le dispositif ne bénéficiera pas essentiellement aux grandes structures, qui pourront payer des loyers plus élevés ?

Comment éviter le risque de renchérissement des baux ruraux ? Le GFAI est un produit financier à risque, dont le détenteur recherchera une rentabilité plus importante. La maîtrise du coût du fermage s'oppose à la recherche du rendement.

Ce produit prétendu éthique n'est, en outre, pas ciblé. À qui profitera-t-il : à l'installation, à l'agrandissement, au verdissement de l'agriculture ? Prenons garde à ce que la terre ne devienne pas un nouveau terrain de jeu pour les fonds d'investissement - bref, une marchandise.

Nous devons répondre à la banalisation d'une vision capitalistique de l'agriculture, où les travailleurs agricoles sont salariés et où les conditions de travail sont une variable d'ajustement pour des détenteurs du capital foncier toujours plus éloignés du monde agricole. Nous appelons à une réforme en profondeur de la régulation foncière et des Safer, dans le cadre de la prochaine loi d'orientation agricole.

Destiné aux gros patrimoines en quête de défiscalisation, le GFAI tourne le dos à la logique coopérative des GFA et risque d'accélérer la tendance à la concentration des terres dans les mains de grands groupes financiers, au détriment des jeunes agriculteurs. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER)

M. Guillaume Chevrollier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les difficultés d'installation et de transmission sont bien connues de notre assemblée. Baisse du nombre d'exploitants, augmentation de la surface moyenne, disparition progressive du modèle familial : ces tendances se poursuivent. Si les agriculteurs ne peuvent plus s'installer dans de bonnes conditions, comment défendre notre modèle et notre puissance agricole ? Dans la Mayenne, nous avons perdu plus de mille exploitations, et 17 % des chefs d'exploitation. Le coût d'installation pour un jeune agriculteur avoisine le million d'euros.

La région Pays-de-la-Loire a lancé le dispositif « territoire pilote » pour faciliter la transmission ; son efficacité réside dans l'animation d'un réseau local au plus près de nos territoires agricoles. Le défi est de taille : une véritable transformation des modèles agricoles.

Une première réponse, dans les années 1970, a été la création des GFA. Dans la continuité, cette proposition de loi crée des GFAE, pour financer un système de fermage visant à faciliter l'installation des jeunes. Cet outil complémentaire, quoiqu'intéressant, appelle quelques réserves. Comme le rapporteur, je doute de son attractivité, car sa portée est limitée. Je regrette l'absence d'étude d'impact. S'il peut faciliter l'installation, ce projet peut-il favoriser la transmission ? Veut-on vraiment promouvoir le modèle de la location ? Certes, un candidat sur deux à l'installation n'est désormais plus issu du milieu agricole.

Face à l'érosion du potentiel de production, nous devons promouvoir la diversité des modèles et adapter l'agriculture française aux mutations.

Monsieur le ministre, nous vous interpellons sur l'enjeu majeur de la transmission dans un contexte de transition environnementale. Le foncier est un enjeu, mais la rentabilité économique de nos exploitations en est un autre. Il faut aussi lutter contre l'agribashing. Nous attendons le projet de loi d'orientation agricole annoncé. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Raphaël Daubet applaudit également.)

M. Marc Fesneau, ministre.  - Faut-il toucher à de grands équilibres, mettre le doigt dans cet engrenage ? Ce n'est pas dit. Le monde a changé, il faut des outils nouveaux. Certes, le renouvellement des générations est lié à la souveraineté alimentaire, mais pas seulement. Il dépend aussi des capacités de dialogue du monde agricole avec la société : l'Irlande compte 5 millions d'habitants et 135 000 exploitations agricoles. En Italie, où le nombre d'habitants est moindre qu'en France, il y a plus de 1 million d'exploitations agricoles. En Espagne, pour 47 millions d'habitants, on compte 900 000 exploitations. Le renouvellement est un fait économique, écologique et sociologique. Le rapport entre le nombre d'exploitants agricoles et la population est un sujet majeur.

L'outil créé par cette proposition de loi ne vise pas à résoudre l'ensemble des problèmes, mais à poser une pierre pour le renouvellement des générations par l'accès au foncier.

Monsieur Bocquet, il y a déjà des risques d'éviction ; c'est la raison de cette proposition de loi, destinée à lutter contre l'éviction liée aux difficultés d'accès au foncier. Dans le Loir-et-Cher, une terre qui coûtait 5 000 euros est désormais achetée 10 000, voire 14 000 euros, par des gens qui n'ont rien à voir avec l'agriculture. Ne nions pas la réalité. Il y a un besoin de régulation.

Cela ne vient pas remettre en cause le statut du fermage. Le risque d'éviction est donc limité. C'est un élément de sécurisation. Le statut du fermage et son encadrement constituent des avantages comparatifs immenses.

La loi Sempastous vient de se déployer, attendons qu'elle produise ses effets de régulation.

Une approche plus globale - sociétale, environnementale, mais aussi en termes de souveraineté - est nécessaire.

N'oublions pas que les groupements fonciers forestiers ont été créés en 2014 dans une loi proposée par... Stéphane Le Foll.

Telle que la proposition de loi a été rédigée, l'objectif n'est pas de rajouter des contraintes à ceux qui veulent s'installer. L'agriculteur reste maître chez lui, sans que les investisseurs interviennent. Monsieur Chevrollier, vous envisagez que des collectivités s'impliquent... Le risque d'immixtion est le même : je connais des collectivités qui pourraient exiger telle culture plutôt que telle autre.

Le sentiment de dépossession peut être double. Monsieur Wattebled, votre territoire frontalier rencontre des problèmes spécifiques - même s'ils peuvent se retrouver ailleurs -, car le prix de nos terres agricoles est le plus bas d'Europe. C'est, certes, le facteur le plus puissant de notre compétitivité, mais nos voisins peuvent être intéressés par les terres à vendre. Le risque d'éviction est donc plus élevé. Nous devons travailler avec les Safer pour renforcer la régulation.

Monsieur Canévet, il faut multiplier les outils, en effet. Celui proposé par la proposition de loi nous semble intéressant. La puissance du statut du fermage est cruciale, mais certains exploitent en dehors de ce statut. Nous avons besoin de le remettre au coeur du dispositif.

J'en viens aux mesures agroenvironnementales territoriales (MAET) et à la question bretonne... Les moyens de l'État sont certes plus importants que dans la précédente programmation, mais les candidats sont encore plus nombreux - ce qui est plutôt une bonne nouvelle. Nous travaillons avec les agences de l'eau pour que les agriculteurs ne soient pas découragés de choisir des MAE systèmes, les plus intéressantes pour la Bretagne.

Monsieur Salmon, les groupements forestiers ne fonctionneraient pas ? Le prix du foncier forestier augmente car c'est devenu une valeur refuge, que certains y ont intérêt, mais surtout parce qu'on paie enfin le bois à sa juste valeur ! Pendant trente à quarante ans, il était le plus souvent considéré comme un résidu, hormis le chêne ou certains résineux dans le Sud-Ouest. L'augmentation de son prix est plutôt une bonne nouvelle, y compris pour le renouvellement forestier, car cela attire les investissements. Tant mieux si des gens découvrent l'intérêt de la forêt !

Cette proposition de loi ne prétend pas tout résoudre. Seulement 1,7 % des terres en France appartiennent à la puissance publique. Le foncier agricole est privé. Ce n'est pas un gros mot ! L'enjeu est de trouver des mécanismes de régulation. En Bretagne, la régulation fonctionne : le taux de renouvellement est plus important qu'ailleurs, car les acteurs se sont mis autour de la table. Nous avons besoin de travailler sur le foncier, par les capitaux et par la régulation.

Monsieur Bocquet, nous devons éviter d'avoir une vision de rentabilité excessive. Nous ne devons pas demander à l'agriculture un rendement qu'elle ne peut produire. Mais l'agriculture n'en a pas moins besoin de capitaux. Il faut distinguer spéculation capitalistique et besoin de capitaux, indispensables pour la transmission et l'installation, notamment dans le secteur de l'élevage. Le groupement foncier est là pour produire de l'installation, non de l'investissement : telle est notre logique.

Monsieur Chevrollier, ce dispositif vient en compléter d'autres. Vous vous interrogez sur la location, mais la moitié des agriculteurs français sont locataires ! (M. Michel Canévet le confirme.) Le statut du fermage vient consacrer et protéger le statut de locataire. Je n'ai pas d'avis préétabli sur la question, mais plus le nombre d'exploitants non issus du milieu agricole est élevé, plus le statut de locataire sera privilégié.

Si l'on évoque le renouvellement des générations, il faut parler aussi du foncier, des besoins en capitaux, de la formation, de la fiscalité et des conditions de travail, qui sont différentes d'il y a cinquante ans. Le sujet de la rémunération est en outre central : sans modèle économique tenable, nous n'y parviendrons pas.

On ne peut pas parler d'installation en agriculture quand, chaque jour, on démolit l'image de l'agriculture. (On renchérit sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains.) Comment encourager les jeunes à devenir agriculteurs quand les murs sont tagués, voire qu'il y a des intrusions pour juger de tel système agricole ? C'est un beau métier, dont nous avons besoin. Encourageons les agriculteurs à réussir cette transition, au lieu de les décourager ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; M. Christopher Szczurek applaudit également.)

Discussion des articles

ARTICLE 1er

M. Daniel Salmon .  - Cet article ne fait aucunement référence à l'installation. Le dispositif peut donc soutenir des logiques d'agrandissement et d'accaparement foncier.

Les baux de long terme permettent d'avoir un fermage de 15 à 25 % supérieur aux baux de court terme. Pourquoi les avoir choisis, sinon pour satisfaire les investisseurs ? Entre investisseur et spéculateur, il n'y a parfois qu'un pas...

Le fermage est un outil essentiel de la politique foncière. Cette proposition de loi est une petite pierre, mais n'est-ce pas une pierre qu'on enlève au bas du mur et qui fragilise tout l'édifice, notamment le statut du fermage ?

Nous voterons contre l'article 1er.

Mme la présidente.  - Amendement n°4, présenté par M. Klinger, au nom de la commission.

Après l'alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« ...° Les statuts prévoient au profit des membres du groupement autres que les personnes morales un droit de préférence pour l'acquisition des parts mises en vente. Les statuts peuvent accorder un droit de priorité aux associés participant à l'exploitation des biens du groupement, notamment en vertu d'un bail à long terme ;

M. Christian Klinger, rapporteur.  - Avec cet amendement, les statuts du GFAI prévoiront un droit de priorité pour les membres du groupement et les associés, qui doivent toujours bénéficier des clauses protectrices du régime juridique des baux ruraux.

M. Marc Fesneau, ministre.  - Sagesse. Cela permet de renforcer la protection des membres du GFAI, mais aussi de ne pas pénaliser les exploitants.

L'amendement n°4 est adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°1, présenté par M. Bocquet et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.

Alinéa 6

Remplacer les mots : 

long terme

par les mots : 

des personnes physiques ou des actifs agricoles, exploitant, après la conclusion du nouveau bail, moins de la surface agricole moyenne départementale, ou son équivalent par chef d'exploitation, s'engageant dans la transition agroécologique 

M. Éric Bocquet.  - Comme nombre d'organisations agricoles, nous pensons qu'il aurait fallu agir par la régulation foncière avant d'inventer un nouvel instrument de portage du foncier. Nous réservons dans cet amendement le bénéfice de ce portage à l'agriculture familiale et paysanne. Actuellement, 14 % des terres agricoles françaises appartiennent à des grands groupes comme Auchan, Chanel ou L'Oréal !

La spéculation et la mécanisation ont transformé l'outil de production. Elles augmentent les coûts de reprise, ce qui pose problème aux jeunes s'installant hors cadre familial. Sans ce calibrage, ce texte ne remplira pas ses objectifs affichés.

M. Christian Klinger, rapporteur.  - Avis défavorable. Notre objectif est que la création des GFAI ne se traduise pas par de nouvelles règles pour les agriculteurs, qui doivent rester maîtres chez eux. Les baux consentis dans le cadre d'un GFAI doivent donc respecter strictement les règles des baux ruraux, ni plus ni moins. L'engagement dans la transition écologique est un objectif louable, mais ne l'introduisons pas ici. Cela répond aux interrogations de M. Somon.

En outre, la participation des personnes morales aux GFAI est très encadrée.

M. Marc Fesneau, ministre.  - Attention : ne mettons pas dans le GFAI des choses qui n'ont pas lieu d'y être. À force de contraintes supplémentaires, on risque de pousser à l'agrandissement, non à la transmission ! À chaque installation, nous pouvons voir les moyens publics à mobiliser et nous demander si le modèle agricole est viable.

L'amendement n°1 n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°3, présenté par M. Bocquet et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.

Alinéa 6

Compléter cet alinéa par les mots :

en favorisant les projets d'installations

M. Éric Bocquet.  - Nous souhaitons prioriser les objectifs de ce nouvel outil en faveur de l'installation, non de l'agrandissement. Les exploitants capables de payer des loyers plus élevés sont ceux qui ont déjà le plus de surface. Une exploitation sur cinq est une grande exploitation, et celles-ci représentent 40 % du territoire métropolitain.

Actuellement, deux tiers des terres libérées, selon Terres de liens, vont à l'agrandissement. En 2019, 21 000 départs ont concerné des exploitations de 69 hectares en moyenne, sur 1,5 million d'hectares, pour 14 000 arrivées sur 490 000 hectares, avec des exploitations de 35 hectares en moyenne.

M. Christian Klinger, rapporteur.  - Retrait ou avis défavorable. La précision n'est pas nécessaire : le groupement supportant le coût du foncier, il s'adresse à un agriculteur qui s'installe. Elle pourrait aussi être contreproductive.

M. Marc Fesneau, ministre.  - Même avis.

M. Daniel Salmon.  - Il faut des garde-fous. Les amendements de M. Bocquet encadrent une proposition de loi qui va dans le sens de la spéculation foncière. J'espère que la future loi d'orientation abordera ce sujet.

L'amendement n°3 n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°5, présenté par M. Klinger, au nom de la commission.

Alinéa 12

Remplacer le mot :

épargnants

par le mot :

investissement

L'amendement de coordination n°5, sur lequel le Gouvernement a émis un avis de sagesse, est adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°6, présenté par M. Klinger, au nom de la commission.

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

« ... - L'application des dispositions du présent article ne permet de déroger à aucune des règles applicables aux baux ruraux prévues au chapitre VI du titre Ier du livre IV du code rural et de la pêche maritime.

M. Christian Klinger, rapporteur.  - Cet amendement prévoit que les règles des GFAI ne pourront en aucun cas déroger à celles des baux ruraux.

M. Marc Fesneau, ministre.  - Sagesse, même si cela me semble satisfait.

M. Christian Klinger, rapporteur.  - Ceinture et bretelles ! (Sourires)

L'amendement n°6 est adopté.

L'article 1er, modifié, est adopté.

ARTICLE 2

M. Daniel Salmon .  - « Les Safer peuvent exercer leur droit de préemption sur la totalité des parts des groupements », dispose l'article 2. Or le code rural ne mentionne de préemption que sur une partie des parts. Devons-nous y voir une évolution ? Une préemption sur toutes les parts est quasiment impossible...

M. Marc Laménie .  - Cette proposition de loi touche à des problèmes essentiels pour le monde agricole et ses jeunes. Les Safer ont été mises en place par la loi d'orientation agricole du 5 août 1960, à une époque où il y avait beaucoup plus d'agriculteurs. J'ai siégé au conseil d'administration de la Safer de Champagne-Ardenne comme représentant du conseil général. Le rôle des élus était très important pour favoriser l'installation des jeunes. Ouvrir la possibilité de préempter jusqu'à 100 % est positif. Je voterai cet article.

L'article 2 est adopté, de même que l'article 3.

ARTICLE 4

Mme la présidente.  - Amendement n°2, présenté par M. Bocquet et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.

Supprimer cet article.

M. Éric Bocquet.  - Supprimons cette niche fiscale, qui s'ajoute aux 465 niches existantes, pour un coût total de 94 milliards d'euros, selon le rapport de la Cour des comptes de juillet dernier - un montant qui donne le tournis...

M. Christian Klinger, rapporteur.  - Avis défavorable. Ce serait contraire à la position de la commission. Les GFAI doivent fonctionner comme les GFA.

M. Marc Fesneau, ministre.  - Même avis : il ne faut pas dévitaliser le dispositif, qui doit rester incitatif pour nos concitoyens.

M. Daniel Salmon.  - Nous sommes totalement opposés à l'exonération d'IFI de quelques personnes qui investiront dans le foncier agricole dans le seul but de voir leur part augmenter. Il faut toujours conditionner les politiques fiscales - là, on parle dans le vide, comme toujours !

Mme Vanina Paoli-Gagin.  - Nous voulons permettre aux Français de mettre plus de sens dans leur épargne en reprenant un dispositif existant. Votre préoccupation est complètement déconnectée du fonctionnement des marchés. Les investisseurs, au vu de la durée et du blocage de l'épargne, ne viendront pas faire de la spéculation ni chercher les taux de rentabilité interne (TRI).

De plus, la petite musique selon laquelle on financerait des exploitations qui ne respectent pas les exigences de la transition environnementale est contracyclique : les investisseurs voudront bien évidemment financer des exploitations exemplaires. J'ai du mal à comprendre vos injonctions contradictoires. Ayez confiance ! (Ironie à gauche)

L'amendement n°2 n'est pas adopté.

L'article 4 est adopté.

La proposition de loi est adoptée.

(« Bravo ! » et applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDPI et du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains)

La séance est suspendue à 17 h 50.

Présidence de Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente

La séance reprend à 21 h 30.

Mise au point au sujet d'un vote

Mme Annick Billon.  - Lors du scrutin public n°9 sur l'amendement n°2 rectifié quinquies à la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels, Hervé Maurey souhaitait voter pour.

Mme la présidente.  - Acte vous est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l'analyse politique du scrutin.

Interdire l'usage de l'écriture inclusive

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à interdire l'usage de l'écriture inclusive, présentée par Mme Pascale Gruny et plusieurs de ses collègues.

Discussion générale

Mme Pascale Gruny, auteur de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Philippe Folliot applaudit également.) Nous avons inauguré ce matin la Cité de la langue française, à Villers-Cotterêts, où François Ier a signé en août 1539 l'ordonnance instituant le français comme langue administrative du royaume. Ce n'est pas un hasard si le Président de la République a choisi cette ville de l'Aisne, berceau d'écrivains tels que Dumas, La Fontaine ou Racine.

La langue participe de la construction de notre lien social, que les partisans de l'écriture inclusive cherchent à déconstruire depuis plusieurs années. Ils veulent affaiblir la langue, en la rendant illisible, imprononçable et impossible à enseigner. L'Académie y voit un péril mortel.

Parce qu'elle fragmente les mots et les accords, une telle graphie nous fait buter sur les mots et oublier le sens de la phrase : seul un expert peut en déchiffrer le sens.

L'écriture inclusive bat en brèche la mission première de l'école : apprendre à lire. Elle pénalise les enfants en situation de handicap, les dyslexiques. Censée inclure, elle exclut.

Elle est le résultat d'une démarche militante dictée par la doxa du temps présent, domaine réservé d'une élite. Elle n'est rien d'autre qu'un nom de domaine déposé par une agence de communication. (M. Thomas Dossus et Mme Mathilde Ollivier s'en amusent.)

Ses défenseurs voudraient nous faire croire que les femmes sont violentées, amoindries par la langue française. C'est franchement méconnaître les règles du genre grammatical ! Les mots n'ont pas de sexe ni de sexualité : on dit une échelle, mais un escabeau. Une grenouille peut être un papa grenouille. (Sourires)

Tenir la langue responsable des discriminations des femmes revient à nier la diversité des systèmes linguistiques. Le persan n'a pas de catégorie de genre ; pourtant, les femmes subissent bien des discriminations en Iran ! Ne nous trompons pas de combat et concentrons plutôt nos efforts sur les violences conjugales ou les disparités salariales.

En créant de nouvelles difficultés, l'écriture inclusive entraînerait le déclin du français parlé dans le monde et renforcerait la langue anglaise.

Les circulaires de 2017 et 2021 sont aujourd'hui insuffisantes pour endiguer le phénomène ; elles ne traitent en outre qu'une partie du sujet. Certains syndicats et enseignants s'y opposent. L'écriture inclusive est même gravée sur une plaque commémorative de l'Hôtel de Ville de Paris !

M. Rémi Féraud.  - Et alors ?

Mme Pascale Gruny.  - Une seule réponse est possible : la loi doit se prononcer avec fermeté. Ce texte énonce un principe clair : l'interdiction de recourir à l'écriture inclusive dans tous les cas où le droit exige un document rédigé en français, dans toute la sphère publique, mais aussi dans le domaine privé ou le monde du travail. L'énumération n'est pas exhaustive : cette disposition a vocation à s'appliquer de manière systématique dès lors que le français est exigé.

Je remercie Cédric Vial pour la qualité de son travail ; il a par exemple interdit les néologismes sur les pronoms, de type « iel ». Je salue aussi l'intégration de la proposition de loi d'Étienne Blanc, qui prévoit que tout acte juridique utilisant l'écriture inclusive soit nul de plein droit.

Ce n'est pas un combat d'arrière-garde. (Marques d'ironie sur les travées du groupe SER)

Mme Laurence Rossignol.  - Non, vous représentez l'avant-garde !

Mme Pascale Gruny.  - Nous voulons seulement protéger la langue française. Nous réaffirmons le droit au français pour chacun.

J'attends du Président de la République qu'il soutienne cette initiative. Ce matin, à Villers-Cotterêts, il a appelé « à ne pas céder aux airs du temps », expliquant qu'il n'était pas nécessaire d'ajouter des points ou des tirets au milieu des mots pour rendre notre langue visible.

Maupassant disait que la langue française est « une eau pure que les écrivains maniérés n'ont jamais pu et ne pourront jamais troubler. »

M. Mickaël Vallet.  - Tout se tient !

Mme Pascale Gruny.  - Parce que le français est notre destinée commune, parce que nous sommes les dépositaires temporaires des mots qui ont sculpté notre langue, parce qu'il est de notre devoir de transmettre à nos enfants une langue compréhensible, je vous invite à voter ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)

M. Cédric Vial, rapporteur de la commission de la culture .  - « La langue de la République est le français », dispose l'article 2 de la Constitution. « Elle est une langue de liberté et d'universalisme », déclarait ce matin le Président de la République. « La langue française est une femme », disait Anatole France, pour exprimer tout son amour à la langue française. (On s'en amuse sur les travées du groupe SER et du GEST.)

Pourtant, la langue française serait sexiste pour les partisans de l'écriture dite inclusive, car elle serait le reflet de la domination masculine. Dès lors, la littérature française serait-elle dépassée, car intrinsèquement sexiste ?

Reconnaissons que la langue française est fragile, notamment face à l'anglais.

Il n'existe pas de définition claire de l'écriture dite inclusive. Ainsi, nous proposons non pas de l'interdire, mais de protéger la langue française de ses dérives.

La féminisation des noms de métiers et de fonctions ne pose aucune difficulté - elle doit être promue, tout comme les termes épicènes. Idem pour la double flexion, bien utilisée.

En revanche, l'utilisation du point médian est problématique, comme les néologismes associés aux pronoms tels que « iel » ou « als ». Soyez-en sûrs : la créativité des partisans de l'écriture inclusive ne s'arrêtera pas là.

M. Thomas Dossus.  - C'est vrai !

M. Cédric Vial, rapporteur.  - Certains souhaitent modifier la syntaxe : ils préconisent par exemple l'accord de proximité, en parlant d'« hommes et de femmes radieuses ».

L'écriture dite inclusive se répand rapidement, notamment sous l'influence du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE), qui a publié un guide pratique pour en faire la promotion.

À l'université, l'écriture dite inclusive est couramment répandue. On s'y rallie pour éviter d'être classé comme « rétrograde », selon les termes de Yan Chantrel, l'orateur de la Nup·e·s. (L'orateur prononce : « Nup point e point s » ; rires à droite.)

L'écriture non genrée est déjà très utilisée outre-Atlantique. Se pose alors la question de l'universalité du langage, et de sa capacité à représenter un monde commun plutôt que d'insister sur nos différences. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Marie-Claire Carrère-Gée.  - Très bien !

M. Cédric Vial, rapporteur.  - L'écriture dite inclusive est une menace pour l'intelligibilité et l'accessibilité de la langue : elle n'a aucun des ingrédients de l'inclusion. Quelque 11 % des jeunes participant à la Journée défense et citoyenneté (JDC) lisent avec difficulté. L'écriture dite inclusive exclut les 2,5 millions de personnes souffrant d'illettrisme et les 6 à 8 % présentant des troubles « dys ».

L'accessibilité et l'intelligibilité de la loi sont une exigence constitutionnelle (M. Mickaël Vallet acquiesce) ; l'écriture dite inclusive va à rebours du Falc, le français facile à lire et à comprendre.

Enfin, ce n'est pas une évolution spontanée de la langue, mais une nouvelle grammaire militante imposée. Lors de nos auditions, certains ont parlé de combat pour la cause féministe et LGBT. Dans un combat, il y a des combattants...

Mme Mélanie Vogel.  - ... ou des combattantes !

M. Cédric Vial, rapporteur.  - ... - les militants - et les combattus - tous les autres. Il faudrait choisir son camp, celui des progressistes ou des conservateurs.

Mme Laurence Rossignol.  - C'est souvent le cas.

M. Cédric Vial, rapporteur.  - Remettre en question la neutralité du langage n'est pas critiquable dans les correspondances privées ; ce n'est pas le cas pour les services publics.

Le droit applicable est constitué de deux circulaires : l'une de 2017 et l'autre de 2021. Mais cela ne suffit pas. Cette proposition de loi s'inscrit dans le cadre de la loi Toubon, qui définit le corpus de textes devant être rédigés en français.

La commission a restreint les innovations grammaticales, telles que « iel », « als », « toustes » ou « celleux » ; elle a interdit l'utilisation de l'écriture dite inclusive à toutes les personnes chargées d'une mission de service public ; enfin, elle a prévu la nullité de plein droit de tout document juridique écrit en écriture inclusive, reprenant ainsi la proposition d'Étienne Blanc.

Continuons de faire progresser l'égalité hommes-femmes là où elle est vraiment menacée.

Hugo, qui a siégé sur ces travées,...

Mme Cécile Cukierman et M. Pierre Ouzoulias.  - (Montrant du doigt la médaille fixée au pupitre utilisé jadis par Victor Hugo, à l'extrême gauche) Ici !

M. Cédric Vial, rapporteur.  - Vous avez raison de le rappeler, chers collègues...

Selon Hugo, les langues meurent lorsque « la logique de la langue s'altère, les analogies s'effacent, les étymologies cessent de transparaître sous les mots, une orthographe vicieuse attaque les racines irrévocables, de mauvais usages malmènent ce qui reste du bon vieux fonds de l'idiome. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mmes Marie-Claude Lermytte et Annick Billon applaudissent également.)

Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) En ce jour d'inauguration de la Cité internationale de la langue française, à Villers-Cotterêts, où fut rédigée l'ordonnance de 1539, nous sommes rassemblés pour débattre de notre langue, cette passion française. Le français est un symbole de cohésion et de diversité, nous liant à 321 millions de francophones.

Légiférer sur notre langue, c'est légiférer sur l'un de nos biens les plus précieux : précaution et sagesse s'imposent. Or l'écriture dite inclusive fait l'objet de polémiques depuis plusieurs années.

La loi Toubon, que vous proposez de compléter, est le socle légal qui garantit l'emploi de la langue française dans les circonstances de la vie quotidienne. Elle assure un droit au français dans la culture, l'enseignement, le travail et les services publics. Elle n'a toutefois pas vocation à imposer un usage standardisé du français.

Vous souhaitez interdire l'écriture inclusive dans tous les documents exigés par le droit.

Le point médian fragmente les mots et rend la lecture difficile. L'apprentissage de la langue est empêché, et met en difficulté les plus fragiles ou les personnes en situation de handicap.

Quelques mois après le début du précédent quinquennat, le Gouvernement a donc posé des règles précises, avec la circulaire de 2017 prohibant l'utilisation du point médian, puis avec celle de 2021 portant sur les actes administratifs de l'éducation nationale. Les principes de ces circulaires sont clairs : clarté et intelligibilité de la langue. (M. Pierre Ouzoulias le confirme.)

Votre proposition de loi étend l'interdiction à l'ensemble des personnes publiques, y compris aux collectivités territoriales. Nous y sommes favorables, sous réserve du respect de leur libre administration. (Mme Marie-Claire Carrère-Gée proteste.)

Concernant la nullité de plein droit de tout acte juridique, le Gouvernement est réservé. C'est justifié pour un contrat de travail. Mais l'est-ce pour un contrat de bail ? Cela semble excessif. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision de 1994, a opéré une distinction entre personnes publiques et privées, souhaitant préserver la liberté d'expression : chacun doit pouvoir choisir les termes les plus appropriés à l'expression de sa pensée.

J'en viens aux néologismes, que vous souhaitez également exclure. On dépasse la question de l'intelligibilité du langage pour s'intéresser à ses évolutions. Le Président de la République l'a dit ce matin : la langue française est mouvante, car elle est infiniment vivante. Cela peut donner lieu à une féminisation du langage, à laquelle je suis favorable.

« La langue française n'est pas fixée, et ne se fixera point », pour reprendre la phrase de Victor Hugo affichée dans la Cité de Villers-Cotterêts. Ayons confiance dans les institutions chargées de cette évolution.

Nous avons la possibilité d'inclure le féminin de mille manières. Non au point médian et à toutes les complexités graphiques qui rendent la langue illisible. Oui à la féminisation des noms de métiers, à la double flexion, aux mots épicènes. Non à l'enfermement de la langue.

Votre rôle en tant que législateur n'est pas de faire la police de la langue, mais de garantir l'égalité devant la langue.

Pour conclure, avis de sagesse. (M. Pierre Ouzoulias applaudit ; marques de déception à droite)

M. Martin Lévrier .  - « Moi, général de Gaulle, actuellement à Londres, j'invite les officier·e·s et les soldat·e·s français·e·s qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j'invite les ingénieur·e·s et les ouvrier·e·s spécialisé·e·s des industries d'armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, à se mettre en rapport avec moi ». (L'orateur prononce les points médians et les marques d'accord ; rires à droite et sur certaines travées au centre) Comment gagner la guerre avec un discours si peu intelligible ?

L'écriture inclusive, notamment le point médian, complexifie la langue, avec des conséquences néfastes sur son apprentissage, alors que la baisse du niveau de français s'accentue.

Est-il besoin de rappeler que cette écriture exclut, notamment les personnes atteintes de handicap cognitif ? Elle favorise l'anglais comme langue dominante dans la francophonie.

C'est pourquoi nous aurions pu être favorables à la proposition de loi de Mme le sénateur Gruny. Mais deux textes existent déjà. La circulaire du 21 novembre 2017 relative aux textes publiés au Journal officiel prévoit que l'intitulé des fonctions occupées par une femme doit être systématiquement féminisé et proscrit l'emploi de l'écriture inclusive. La circulaire du 5 mai 2021 relative à l'enseignement rappelle que les règles grammaticales et syntaxiques s'imposent.

Il nous semble plus pertinent d'élargir le périmètre de ces circulaires plutôt que de voter cette proposition de loi probablement inconstitutionnelle. Dans sa grande majorité, le groupe du RDPI s'abstiendra donc. (Ironie à droite)

M. Yan Chantrel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Alors que les Français souffrent de l'inflation et du mal-logement, que la guerre est aux portes de l'Europe et que le conflit israélo-palestinien menace d'embraser le monde, la droite sénatoriale n'a rien trouvé de mieux que de légiférer sur des marques de ponctuation (M. Francis Szpiner applaudit et ironise), cédant à ses lubies réactionnaires. (L'ironie redouble à droite.) Voici donc la neuvième proposition de loi sur le sujet depuis 2018 !

Pourquoi un langage non sexiste est-il nécessaire ? Parce que la France est très mal classée en matière d'égalité des sexes ; parce que les Françaises ne perçoivent que 75 % du salaire de leurs homologues masculins ; parce que les comités exécutifs des 120 plus grandes entreprises françaises ne comptent que 26 % de femmes ; parce que seules trois entreprises du CAC 40 sont dirigées par une femme ; parce qu'il n'y a que 126 sénatrices.

M. Max Brisson.  - Quel rapport ?

M. Yan Chantrel.  - D'où vient ce plafond de verre ? De nos politiques publiques qui ne sanctionnent pas suffisamment, mais aussi de la persistance des stéréotypes sexistes, qui passent notamment par la langue. C'est pourquoi nous devons adopter un langage non sexiste, inclusif, c'est-à-dire un ensemble d'attentions lexicales, syntaxiques et graphiques. C'est cette aspiration à l'égalité que veulent interdire les partisans de la proposition de loi. Ce sont eux, les apôtres de la cancel culture !

M. Max Brisson.  - Trop, c'est trop !

M. Yan Chantrel.  - Examinons le fond de la pensée de M. Blanc et de Mme Gruny, dont le rapporteur a fusionné les propositions en un texte unique.

M. Blanc explique : « Notre pays est la proie de revendications diversitaires et victimaires toujours plus véhémentes. L'exigence d'une langue « féminisée » est l'une de ces revendications. Il est de notre devoir de nous y opposer. » La cible de son texte, c'est la féminisation de la langue et de la société. Il faudrait pour M. Blanc que le masculin l'emporte sur le féminin.

M. Étienne Blanc.  - Je confirme !

M. Yan Chantrel.  - Quant à Mme Gruny, elle continue à se désigner sous le vocable masculin : sénateur, conseiller départemental, vice-président... (« Et alors ? » à droite) Selon elle, il faudrait interdire toutes les ponctuations médianes, y compris la parenthèse que l'on trouve sur les cartes d'identité (M. le rapporteur le conteste), mais aussi les doubles flexions, comme « sénatrices et sénateurs ». C'est l'existence même de la forme féminine que la droite sénatoriale refuse.

M. Stéphane Piednoir.  - C'est faux !

M. Yan Chantrel.  - La langue française n'appartient pas aux législateurs et aux législatrices que nous sommes, mais aux locuteurs et aux locutrices qui la font vivre.

J'étais moi aussi à Villers-Cotterêts, dans cet écrin qui nous rappelle que la langue française est parfaitement équipée pour le féminin - autrice, mairesse et commandante existent depuis le Moyen-Âge ! Dans la préface de Cromwell, Victor Hugo nous rappelle que quand les langues se fixent, elles meurent. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

M. Étienne Blanc .  - Dans sa lettre ouverte sur l'écriture inclusive, l'immortelle Hélène Carrère d'Encausse écrivait : « Une langue procède d'une combinaison séculaire de l'histoire et de la pratique, ce que Lévi-Strauss et Dumézil définissaient comme "un équilibre subtil né de l'usage ". En prônant une réforme immédiate et totalisante de la graphie, les promoteurs de l'écriture inclusive violentent les rythmes d'évolution du langage selon une injonction brutale, arbitraire et non concertée, qui méconnaît l'écologie du verbe. »

Je pourrais m'arrêter là, car tout est dit. Oui, l'écriture dite inclusive menace la langue française, que Maurice Druon comparait à une horlogerie suisse de la pensée.

L'écriture inclusive trouve ses racines dans une idéologie qui affirme la prééminence des identités. C'est une idéologie mortifère imposée depuis les campus américains et d'Europe du Nord. Elle vise à détruire le français, dans une culture woke qui remet en question notre civilisation. Pour les wokistes, notre langue serait sexiste, il faudrait donc la détruire.

Dumézil et Lévi-Strauss rappelaient dès 1984 qu'il n'y a aucune équivalence entre genre grammatical et genre naturel. Pour l'Académie française, l'usage du masculin neutre souligne qu'il y a du commun entre les deux sexes. Elle considère que l'écriture inclusive crée une confusion qui confine à l'illisibilité.

Le Président de la République l'a rappelé ce matin à Villers-Cotterêts, malgré les critiques de Mme Rousseau.

Avec ses deux articles, l'ordonnance de 1539 était un modèle de clarté. J'ai moi-même déposé une proposition de loi composée d'un article unique de trois lignes, déclarant nul tout acte juridique écrit en écriture inclusive. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, d'avoir repris cette idée. La nullité confère à cette proposition de loi une remarquable efficacité : tout citoyen pourra saisir le juge pour obtenir cette sanction.

Ainsi, nous sauverons notre langue française, ce bien si précieux ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Aymeric Durox .  - Il y a encore dix ans, cette proposition de loi aurait fait sourire. Mais elle apparaît aujourd'hui nécessaire, au regard de la déconstruction de notre société.

Le Président de la République a déclaré ce matin à Villers-Cotterêts - ville très bien gérée par un maire du Rassemblement national...  - qu'il fallait conserver les fondements de la langue française. On doute parfois de sa sincérité, mais ne boudons pas notre plaisir.

En 2017, l'Académie française considérait que l'écriture inclusive aboutissait à une langue désunie et illisible. L'ancien professeur que je suis ne peut qu'approuver.

C'est une démarche idéologique et méthodique de déconstruction de la langue française qui repose sur une vision dévoyée de l'égalité et sur un communautarisme rampant. C'est un défi aux idéaux de la Révolution et au rayonnement de notre langue, que nous avons pour mission sacrée de protéger.

À l'heure de l'uniformisation de la mondialisation, quel serait l'avenir d'une telle langue face à un « globish » si simple et qui gagne déjà notre jeunesse ?

Le Rassemblement national a déposé une proposition de loi à l'Assemblée nationale, adoptée en commission avec le soutien du groupe Les Républicains : mais, quel courage, aucun député de ce groupe n'est venu soutenir notre texte en séance, et il a été rejeté par le groupe Renaissance allié à la Nupes !

Nous voterons cette proposition de loi au nom de l'intérêt supérieur du pays. (MM. Christopher Szczurek et Joshua Hochart applaudissent.)

Mme Marie-Claude Lermytte .  - La France excelle toujours dans ce genre de polémiques inutiles, alors que notre belle langue devrait nous rassembler.

Si l'écriture inclusive part de bons sentiments, elle est contre-productive. Elle saccage notre grammaire patinée par les usages et constitue un obstacle à la lecture et à l'écriture. Nombre de jeunes ne savent ni lire ni écrire à leur entrée en sixième. Et interrogez les professeurs de l'université ! Il faudra quelques générations pour que nos enfants maîtrisent de nouveau notre langue, après des décennies d'errements en matière de méthodes d'apprentissage. N'en rajoutons pas !

La langue ne doit pas être un facteur d'exclusion. Avant d'introduire les artifices de l'idéologie, apprenons les bases de l'orthographe et de la grammaire et transmettons modestement le goût tout simple de la lecture.

Qu'une élite veuille utiliser l'écriture inclusive, fort bien. Nous ne sommes pas des censeurs. Mais la sphère publique doit s'en garder.

Madame la ministre, les deux circulaires s'appliquent-elles ?

Les valeurs qui nous animent sont celles de la République, de la liberté, de l'égalité et de la fraternité : quatre féminins qu'aucun masculin ne revendique. Le groupe INDEP votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC)

Mme Annick Billon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; MM. Bruno Retailleau, Marc Laménie et Max Brisson encouragent l'oratrice.) Voilà trente ans, la loi Toubon a garanti le droit au français. Avant elle, l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 a affirmé la primauté de cette langue. Hasard du calendrier, nous examinons cette proposition de loi le jour de l'inauguration de la Cité internationale de la langue française, à Villers-Cotterêts.

Les défenseurs de l'écriture inclusive affirment que langue et pensée sont liées : une société qui inclut les femmes dans son langage les inclurait dans la société. J'en doute.

Les femmes ne sont pas mieux considérées chez les anglophones, malgré une langue non genrée. Même chose pour le chinois et le turc : ces deux pays ne sont pas des modèles d'égalité entre les femmes et les hommes !

Le recours au masculin en France n'a pas vocation à occulter le féminin. Le masculin, genre non marqué qui a valeur de neutre, est utilisé lorsqu'il n'y a pas lieu de prendre en considération le sexe de la personne concernée. Au contraire, mettre un suffixe féminin pose la femme comme accessoire.

La condition des femmes ne s'améliorera pas grâce à un point médian, mais grâce à des progrès dans la lutte contre les violences, dans la prise en charge de leur santé, dans la protection de leurs droits fondamentaux. C'est tout le sens de mes six années à la tête de la délégation sénatoriale aux droits des femmes. J'ai la conviction que l'écriture inclusive n'aurait pas fait avancer nos combats. Nous avons donné la parole aux femmes et proposé des mesures concrètes, comme la proposition de loi visant à renforcer l'accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique.

Selon une étude de juin dernier, un jeune Français sur neuf est en difficulté pour lire. Souhaitons-nous aggraver cette situation ? L'écriture inclusive est une langue d'exclusion pour plusieurs millions de Français. Elle est compliquée à appréhender surtout pour nos concitoyens ayant des difficultés comme la dyslexie.

Le français, c'est notre patrimoine. Alain Rey, fondateur du Petit Robert, disait de l'écriture inclusive : elle est inutile, car elle ne peut se représenter à l'oral. Un texte qui ne peut se parler, quelle aberration !

Je salue le travail de Cédric Vial. Le groupe UC entend mettre non pas un point médian, mais un point final à ce débat en votant cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP)

Mme Mathilde Ollivier .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Ce texte n'est pas sans rappeler le texte du RN du 19 septembre dernier. (M. Aymeric Durox acquiesce.)

Au Sénat, on respecte le travail de fond, dit-on : mais le premier texte que j'examine est un texte démagogique...

M. Max Brisson.  - Vous vous y connaissez en démagogie !

Mme Mathilde Ollivier.  - Vous faites au Sénat ce que le RN fait à l'Assemblée nationale. (Indignation à droite)

L'écriture inclusive est un outil de féminisation de la langue. Le point médian n'en est qu'une des composantes, il y a aussi la féminisation, la double flexion, les mots épicènes... (Mme Françoise Gatel s'amuse.)

Il y a trois siècles, le grammairien Nicolas Beauzée disait que la supériorité du genre masculin venait de la supériorité du mâle sur la femme. (On rit à droite.) J'ai donc décidé de faire de mon discours une ode à l'égalité !

M. Max Brisson.  - Oh !

Mme Mathilde Ollivier.  - L'écriture inclusive, c'est aller sur le chemin de l'égalité entre les femmes et les hommes. La Belgique et le Canada préconisent l'écriture inclusive, et vous, à rebours de l'histoire, souhaitez l'interdire.

Les femmes sont moins enclines à répondre à une annonce quand elle est rédigée au masculin. (Mme Pauline Martin le conteste.) Notre groupe, progressiste et féministe, est pour l'écriture inclusive : c'est un levier indispensable pour favoriser la visibilité des femmes et des minorités de genre.

Ni menace ni révolution, l'écriture inclusive vient bousculer la domination masculine présente dans notre langue depuis des siècles. Il est temps que l'on n'apprenne plus aux petites filles et aux petits garçons que le masculin l'emporte sur le féminin.

La langue française transmet une histoire marquée par le patriarcat. Vous vous battez contre un point médian, nous nous battons pour une société plus égalitaire et inclusive ! (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)

M. Pierre Ouzoulias .  - Quel paradoxe : débattre de formes grammaticales que l'on n'entend pas et qui n'apparaîtront pas dans nos comptes rendus... (Sourires)

Personnellement, je ne sais ni lire ni écrire l'écriture dite inclusive ; quant à mon groupe, il est opposé à cette forme d'écriture qui complexifie la compréhension de la langue écrite. (Applaudissements sur les travées du RDPI et des groupes UC et Les Républicains)

Le jour de l'inauguration de la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts et trente ans après la loi Toubon, il eût été de bonne politique que nous profitassions de ce moment pour nous interroger sur le déclin de la langue française. (Sourires)

L'intelligibilité du discours public, aujourd'hui, est corrompue par les anglicismes et les barbarismes.

Historiens et juristes débattent encore pour déterminer si le « langage maternel français » cité par l'ordonnance de Villers-Cotterêts désigne le français ou les langues écrites en France.

Je remarque, cum grano salis, que cette proposition de loi se rapproche de la loi du 2 thermidor an II prise à l'initiative de Robespierre huit jours avant son exécution, selon laquelle tout acte rédigé dans une autre langue que le français ne pourrait être enregistré.

Aux termes de notre Constitution, la langue de la République est le français. Mais le français n'est pas la langue de toute la France. Un acte de normalisation ne doit pas ébranler le statut toujours fragile des langues régionales.

M. Max Brisson.  - Très bien !

M. Pierre Ouzoulias.  - Le Conseil constitutionnel a censuré une partie de la loi Toubon, considérant que le législateur ne pouvait imposer l'usage de tel mot ou tel mot. Je doute que l'article 2 de la proposition de loi respecte cette jurisprudence.

Revient-il au seul législateur français d'édicter des normes pour les 300 millions de francophones, majoritairement des Africains ? La francophonie mérite mieux que cette querelle franco-française.

Ne souhaitant pas trancher ce débat inepte, nous ne participerons pas au vote, mais souhaitons un grand débat sur la loi Toubon et la place du français dans le monde. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, du RDPI et du RDSE ; M. Mickaël Vallet applaudit également.)

Mme Maryse Carrère .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Michel Canévet applaudit également.) La langue française pourrait être un terrain d'entente : elle le fut, d'ailleurs, lors du vote unanime de la loi Bas-Lauriol, en 1975 - mais bien moins vingt ans plus tard pour la loi Toubon.

L'examen de ce texte s'inscrit dans un débat sociétal et dans le contexte plus global du combat pour l'égalité entre les femmes et les hommes et la reconnaissance des identités de genre.

Le français est une langue vivante. Mais à quoi répond l'écriture inclusive : une demande de la population, une évolution spontanée de la langue parlée ? Gardons-nous de faire de notre langue un instrument de propagande militante ou un outil clivant au service d'une idéologie.

M. Bruno Retailleau. - Très bien !

Mme Maryse Carrère.  - La féminisation de notre langue est nécessaire, à travers la double flexion, les termes épicènes et l'accord des métiers et fonctions avec le genre de la personne concernée. Mais le point médian et les néologismes à la sémantique perfectible nuisent à l'intelligibilité de la langue et aggravent l'exclusion scolaire.

Reste que la loi n'a pas pour mission de régir la langue. Jacques Toubon l'a rappelé : il n'y a pas lieu de légiférer sur une variante du français. Pour le Conseil constitutionnel, l'article XI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen interdit au législateur d'imposer aux personnes privées l'usage d'une terminologie officielle.

Le Gouvernement doit assumer ses responsabilités en s'assurant de la bonne application du droit en vigueur. Je pense aux dérives extrêmes de l'écriture inclusive dans nos Universités ; de nouvelles circulaires sont nécessaires pour les encadrer.

Si le français veut conserver sa vocation universelle, il doit exprimer toutes les réalités nouvelles. C'est l'usage qui gouverne la langue. Il évolue, enrichissant la langue de termes empruntés aux langues étrangères ou régionales, à l'argot ou à l'invention linguistique. À nous de rendre pour la sphère publique des arbitrages justes et proportionnés.

Le RDSE ne souhaite pas entrer dans un débat où prises de position partisanes et sans nuance font foi. Certains de ses membres sont fermement opposés aux excès de l'écriture inclusive, d'autres trouvent ce texte disproportionné. Nous nous partagerons donc entre abstention et vote favorable. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Françoise Gatel applaudit également.)

Mme Else Joseph .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La manière dont nous parlons et écrivons est bien plus qu'un code normatif : un code humain et civilisationnel, qui en dit long sur ce que nous sommes. Attenter à la langue, c'est déconstruire le pacte qui permet aux hommes et aux femmes de vivre ensemble.

Depuis quelques années, nous assistons à la prolifération de graphies qui visent à faire ressortir l'existence d'une forme féminine, mais, au nom d'une prétendue modernité, donnent naissance à des formulations lourdes et sans beauté.

L'écriture inclusive repose sur une lecture idéologique de l'évolution de la langue. Le genre neutre a été absorbé par le masculin, mais ce n'est pas une affaire de misogynie ! La circulaire du 21 novembre 2017 reconnaît au demeurant que le masculin est une forme neutre. Il y a d'autres manières pour affirmer l'égalité entre les hommes et les femmes que de détricoter notre belle langue.

L'écriture inclusive n'est pas une évolution normale de la langue française, pas même une évolution tout court : c'est une démarche militante, un choix imposé par des cénacles restreints au nom d'une conception dévoyée de la modernité. (Mme Mélanie Vogel ironise.) Pour les jeunes qui ont des difficultés à apprendre notre langue, ce sera, au contraire, une écriture exclusive ; le risque est même de renforcer l'anglais.

Contre ce choix idéologique, nous ne pouvons que déplorer une certaine impuissance publique. Les circulaires de 2017 et 2021 n'ont pas eu les effets escomptés, peut-être parce qu'elles n'étaient pas les bons textes dans notre hiérarchie des normes. À un certain moment, c'est au législateur de prendre ses responsabilités.

Voilà quelques mois, dans un contentieux relatif à une collectivité locale, le juge administratif s'est retranché derrière le silence de la loi Toubon. Il convient de préciser que les textes imposant la langue française excluent l'usage de graphies dénaturantes. Tel est l'objet de cette proposition de loi, fruit des travaux de nos collègues Pascale Gruny et Étienne Blanc.

Le Conseil constitutionnel a censuré l'usage de signes diacritiques dans la transcription des actes d'état civil. Il est donc possible d'exclure des usages qui n'ont rien à voir avec notre langue. Le législateur ne doit pas se laver les mains, au risque de voir la priva lex l'emporter.

En ce jour d'inauguration de la Cité internationale de la langue française, votons ce texte sur un enjeu important ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Discussion des articles

ARTICLE 1er

Mme Marie-Pierre Monier .  - Que le premier texte de la mandature sur la culture soit celui-ci me rend perplexe.

Oui, la langue contribue à façonner notre représentation du monde. Les limites de mon langage sont les limites de mon monde, disait Wittgenstein. Repoussons ces limites et oeuvrons à un monde plus égalitaire !

Lorsque notre collègue Marie-Arlette Carlotti a été élue questeure, on s'est interrogé sur la féminisation de son titre. Les auteurs de ce texte voudraient nous faire revenir au temps où la question ne se serait même pas posée.

Loin de toute caricature, les outils pour s'exprimer de manière plus égalitaire sont variés et la préoccupation de se faire comprendre du plus grand nombre, partagée. Dans cet esprit, le HCE appelle à concilier clarté de la langue et meilleure visibilité des femmes.

La langue est toujours en mouvement, ne cherchons pas à l'enfermer dans des carcans coercitifs : là est le péril mortel ! (Applaudissements sur des travées du groupe SER ; M. Thomas Dossus applaudit également.)

Mme Colombe Brossel .  - Ainsi donc, il y aurait urgence... La droite au Sénat, quelques jours après le RN à l'Assemblée nationale, nous propose un texte qui, certainement, va résoudre les difficultés quotidiennes que rencontrent nos concitoyens.

Il s'agit d'interdire toutes les dimensions de l'écriture inclusive. Mais, alors, on n'aurait plus le droit de dire « mesdames, messieurs les sénateurs » ! (On le conteste à droite et sur des travées au centre ; M. Joshua Hochart proteste.)

M. Max Brisson.  - N'importe quoi !

Mme Colombe Brossel.  - Nous aurions pu débattre du point médian, qui est l'aspect le plus décrié, mais est-il vraiment nécessaire de légiférer sur le sujet ? Une langue évolue, elle reflète les combats du temps - aujourd'hui, contre l'invisibilisation des femmes. C'est un beau mot que celui de combattante !

Attachés au combat pour l'égalité des droits, nous voterons contre cette proposition de loi rétrograde. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Ghislaine Senée applaudit également.)

M. Adel Ziane .  - Cette proposition de loi m'interpelle, parce qu'elle est en complet décalage avec les urgences dans notre pays.

Vous confondez volontairement l'écriture inclusive et le point médian, qui en est un des aspects. « Françaises, Français, aidez-moi » : c'est le général de Gaulle qui a popularisé la double flexion !

Vous citez Orwell, mais, dans 1984, l'État impose aux citoyens une langue appauvrie ; rien de comparable avec l'écriture inclusive.

La langue française vit ; elle a connu de grandes évolutions, qui ont préservé sa vivacité et sa pertinence.

Certes, le point médian n'est pas facile à lire. Mais simplifier, c'est aussi exclure : « Lorsque les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l'emporte », disait ainsi l'abbé Bouhours... L'écriture inclusive se fonde sur une autre logique.

M. Pierre Ouzoulias .  - L'alinéa 3 de cet article vise l'article 7 de la loi Toubon, relatif aux publications en langue étrangère... Il est donc sans objet.

Par ailleurs, 36 % des 2 357 thèses soutenues en France l'an dernier étaient écrites en anglais. En mathématique, informatique, physique ou économie, l'anglais est devenu majoritaire. La situation est pire encore pour les articles scientifiques. Il s'agit de savoir si, demain, le français sera encore une langue scientifique ! (MM. Jean Hingray et Michel Laugier applaudissent.)

M. Mickaël Vallet. - Bravo !

Mme Mathilde Ollivier .  - D'aucuns ont argué des difficultés que rencontreraient les personnes dyslexiques. Mais aucune étude ne les prouve ! (On renchérit sur les travées du GEST et sur des travées du groupe SER ; exclamations sur de nombreuses travées à droite) Une étude montre, en revanche, que les lecteurs s'habituent au point médian après les difficultés du début.

Le Sénat avance à reculons, comme à son habitude. (Mme Françoise Gatel proteste.) Vous dénoncez des néologismes, mais qui définit ce que sont les néologismes ? « Iel » est déjà dans le Robert : est-ce un dictionnaire militant ? (Protestations à droite ; Mme Pascale Gruny s'exclame.)

M. Larcher nous a demandé une cure d'austérité normative : et si nous commencions en n'adoptant pas ce texte ? (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)

Mme Laurence Rossignol .  - (Exclamations à droite) Oui, l'écriture inclusive est militante. C'est un fait : depuis des années, l'égalité hommes-femmes n'avance pas... Peut-être que les raisons en sont dans les représentations. Dès cinq ou six ans, les petites filles pensent qu'elles sont moins douées que les garçons : tout notre travail, c'est de leur ôter cette idée de la tête !

Le Président de la République dit que le neutre est masculin. C'est vrai, mais le masculin, lui, est loin d'être neutre : il est viril, fondé sur des perceptions de la différence des sexes.

Pensez-vous que, en adoptant ce texte, vous m'empêcherez d'écrire en écriture inclusive ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

MM. Max Brisson et Stéphane Piednoir.  - Ce n'est pas le sujet !

M. Mickaël Vallet .  - D'un côté, ce débat m'enthousiasme, car il est important que le politique se préoccupe de la langue. De l'autre, je suis navré par son étroitesse. La féminisation ne pose plus problème : mais il fut un temps où elle faisait polémique ! Parmi les linguistes ayant lutté pour la féminisation, certains sont opposés à l'utilisation systématique du point médian ; je suis de leur avis. L'utiliser tout le temps n'est pas tenable, il n'est donc pas nécessaire de légiférer  - cela tombera tout seul. Mais il n'est pas interdit de faire preuve d'intelligence : on peut dire « chères et chers » et écrire « cher·e·s ».

Mme Mélanie Vogel .  - L'écriture inclusive est une opération militante, dites-vous. Mais vous êtes les héritiers de militants qui, au XVIIe siècle, ont eu le projet politique de masculiniser la langue. Quand on dit que le masculin est plus noble que le féminin, ce n'est pas exactement une affirmation d'une neutralité absolue... Quand on supprime mairesse, doctoresse ou poétesse et qu'on garde femme de ménage, nourrice ou servante, il ne faudrait pas y voir l'expression d'un projet politique sexiste ?

Ceux qui militent pour que le masculin l'emporte sur le féminin militent pour un monde sexiste. Ceux qui militent pour que chacun se sente représenté dans la langue militent pour une société plus égalitaire et plus juste. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Laurence Rossignol et M. Patrice Joly applaudissent également.)

M. Max Brisson .  - Socialistes et écologistes sont pour la déconstruction. Mais vous, madame la ministre, que pensez-vous ? Vous nous donnez un peu le vertige... C'est le « en même temps » dans toute sa splendeur ! Vous assurez que les garde-fous actuels nous protègent, tout en décrivant les menaces qui prouvent leur insuffisance. Ils le sont déjà dans l'enseignement supérieur et le seront demain dans le secondaire. C'est pourquoi il faut légiférer ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Patrick Kanner .  - Chers collègues sénatrices et sénateurs, camarades, compagnons et compagnonnes... (mouvements divers), Mme la ministre pense comme le Président de la République - c'est normal pour une ministre.

La langue française, comme toutes les langues, est soumise aux évolutions de la société ; des anglicismes apparaissent, des apports régionaux l'enrichissent. Nous ne pouvons pas encadrer cette vie de la langue, ce que la proposition de loi prétend faire.

Depuis trop longtemps, femmes et hommes ne sont pas traités de la même manière. Aucune obligation n'est faite d'utiliser l'écriture inclusive, mais, vous, vous voulez l'interdire : quelles sont vos motivations réelles ?

Censurer l'écriture inclusive, c'est invisibiliser toutes les avancées que nous avons faites.

Plusieurs voix à droite.  - En quoi ?

M. Patrick Kanner.  - Nous voterons contre cette proposition de loi !

M. Daniel Salmon .  - Vous avez une drôle de vision de la langue... Une langue vit : le français de Maupassant n'est pas celui de Montaigne. On disait « ça pleut », puis on s'est mis à dire « il pleut ».

Enseignant, j'ai connu la réforme de simplification de 1990 ; ceux qui combattent aujourd'hui l'écriture inclusive au nom de la simplicité sont les mêmes qui, à l'époque, rejetaient la simplification  - par exemple, mettre deux « r » à chariot comme à charrette !

M. Thomas Dossus. - C'est vrai !

M. Daniel Salmon.  - Vous célébrez Villers-Cotterêts, mais, en Bretagne, on n'a jamais applaudi cette ordonnance, qui a tué les langues régionales au profit d'une langue parlée par un vingtième du pays.

Vous voulez fossiliser la langue française : c'est normal, vous êtes toujours du côté du fossile ! (Applaudissements sur les travées du GEST ; protestations à droite)

M. Stéphane Piednoir .  - Je suis frappé par la mauvaise foi de certains collègues, qui font un amalgame entre la féminisation, largement admise, et le hachage menu de la langue ou des pronoms dépourvus de tout sens. Nous commençons tous nos discours par « Madame, monsieur » : personne ne remet en question la double flexion, comme vous l'appelez. Il s'agit simplement de mettre en place des garde-fous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Cécile Cukierman .  - Ce débat passionnant ne doit pas devenir passionnel. Malheureusement, notre société connaît de moins en moins le sens de la mesure, et l'hystérisation des débats pousse les uns et les autres à tenir des propos qui dépassent parfois leur pensée.

Le français n'est pas en train de s'effondrer, et l'écriture inclusive n'est pas l'alpha et l'oméga du combat pour l'égalité entre les femmes et les hommes - qui passe avant tout par l'égalité salariale.

La langue nous permet de faire société ; c'est par elle que l'homme devient l'animal politique dont parle Aristote. Il s'agit donc d'un enjeu éminemment politique. La fille de mère catalane que je suis ne saurait dire le contraire : j'apprenais cette langue interdite par Franco en Espagne.

Par ailleurs, il y a une vraie différence entre langues écrite et orale.

Cette proposition de loi ne répond pas à ces défis. C'est pourquoi nous ne prendrons pas part au vote.

Mme la présidente.  - Amendement n°1, présenté par M. Chantrel et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Supprimer cet article.

M. Yan Chantrel.  - Nous proposons la suppression de cet article.

Le véhicule est inapproprié : la loi Toubon ne vise pas les variantes ou les évolutions internes à notre langue, comme Jacques Toubon lui-même l'a rappelé. Elle protège le français, mais ne définit pas ce qu'est le bon français.

Ensuite, ce texte est très mal calibré. On pourrait parler du point médian, qui n'est qu'une abréviation. Mais vous prétendez interdire l'écriture inclusive, ce qui rendrait caduques vos pièces d'identité ou les déclarations d'impôt, où figurent des parenthèses ! Vous supprimeriez aussi les doubles flexions. (On le conteste à droite.)

M. Cédric Vial, rapporteur.  - Avis défavorable. M. Chantrel ressasse cet argument des parenthèses, mais elles n'existent plus sur les cartes d'identité. Au demeurant, il ne s'agit pas d'un masculin générique. Nous sommes d'accord, monsieur Chantrel, sur le fait que nous resterons en désaccord...

Je remercie Mmes Rossignol et Vogel d'avoir reconnu qu'il s'agit d'un acte militant. Pour cette dernière, la langue est le véhicule de nos valeurs : nous ne ferons pas de covoiturage cette fois-ci ! (Rires et applaudissements à droite)

Mme Rima Abdul-Malak, ministre.  - Sagesse. Monsieur Brisson, il me semble avoir été claire : si la proposition de loi se bornait à transcrire dans la loi les deux circulaires et à les étendre à tous les actes publics, le Gouvernement y aurait été favorable. Mais l'extension aux actes privés et l'interdiction des néologismes nous semblent aller trop loin.

M. Mickaël Vallet.  - La loi Toubon a été préparée par Catherine Tasca. Elle a été déférée au Conseil constitutionnel par la gauche - ce fut une erreur partisane. Aujourd'hui, la droite se concentre sur des sujets de niche, alors que la loi Toubon, elle, est globale.

Pendant ce temps, les circulaires ne sont pas appliquées. Dans mon département, le préfet a organisé une conférence de presse pour créer un label départemental « Safe place ». Et de déclarer en riant : « heureusement que le sénateur Vallet n'est pas là, sinon, qu'est-ce qu'on aurait pris »... Ce label, déclaré illégal, a été supprimé. Faisons respecter le droit des citoyens à la compréhension ! Madame la ministre, faites-vous appliquer la loi ? (M. Pierre Ouzoulias renchérit.)

Mme Laurence Rossignol.  - Oui, nous avons une lecture militante, féministe, des stéréotypes véhiculés par la langue. Mais vous, vous êtes militants sans le reconnaître. (M. Mickaël Vallet approuve.) Dans cette affaire de langue, il y a un signal politique. Ce n'est pas un hasard si vous revenez sur ce sujet, quelques jours après que le RN l'a inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Pourquoi cette passion subite des droites pour la langue ? Parce que vous avez une peur anthropologique ! Celle des féministes et LGBT, qui sont les deux bêtes noires de tous les réactionnaires du monde, de Bolsonaro à Trump et Poutine. (Marques d'indignation à droite)

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Caricature !

Mme Marie-Claire Carrère-Gée.  - Vous n'avez pas le monopole du féminisme !

M. Yan Chantrel.  - Vous prétendez que votre texte n'interdit pas les doubles flexions. Mais vous visez bien « les graphies faisant ressortir le genre féminin ». Les doubles flexions sont donc concernées.

M. Cédric Vial, rapporteur.  - Pas du tout !

M. Yan Chantrel.  - Comme l'a expliqué Mme Rossignol, vous êtes des militants. Vous voulez normer la langue, prenant en cela une pente dangereuse : même Jacques Toubon vous le dit ! Votons cet amendement pour mettre fin à ce spectacle. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

M. Marc Laménie.  - Je salue le travail de Mme Gruny et de la commission. Je ne suis pas un spécialiste de l'écriture inclusive, pas du tout même. Mais nous sommes tous favorables à l'égalité entre les femmes et les hommes. Ce ne sont pas les mêmes sujets. Je suivrai l'avis de la commission. (Mme Pascale Gruny applaudit.)

L'amendement n°1 n'est pas adopté.

L'amendement rédactionnel n°3, accepté par le Gouvernement, est adopté.

L'article 1er, modifié, est adopté.

ARTICLE 2

Mme la présidente.  - Amendement n°2, présenté par M. Chantrel et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Supprimer cet article.

M. Yan Chantrel.  - Le rapporteur aime se référer à l'ordonnance de Villers-Cotterêts, dont l'article 110, toujours en vigueur, énonce un principe de clarté. C'est bien pour cela que nous défendons l'écriture inclusive : le masculin générique que vous défendez est ambigu. Si je dis « les sénateurs se fichent pas mal de l'égalité femmes-hommes », on ne sait pas si je parle des sénateurs hommes ou des sénateurs femmes et hommes... Et dans la disposition constitutionnelle « La loi favorise l'égal accès des hommes et des femmes... », un masculin générique n'aurait pas de sens.

M. Stéphane Piednoir.  - C'est absurde...

M. Cédric Vial, rapporteur.  - Avis défavorable. Monsieur Chantrel je redis que le masculin de « né » n'est pas générique. Mais il n'y a pas pire sourd que celui - ou celle - qui ne veut pas entendre !

M. Max Brisson.  - Très bien !

Mme Rima Abdul-Malak, ministre.  - Sagesse.

M. Mickaël Vallet.  - Nous sommes tous tombés dans un piège, pour des raisons historiques et partisanes d'un côté, pour des raisons d'étroitesse d'esprit de l'autre. (On s'indigne à droite.)

Le problème est bien l'anglicisation de notre langue. Nos administrés n'y comprennent rien. La sagesse sénatoriale devrait plutôt nous inciter à évaluer la loi Toubon, pour l'améliorer et l'adapter au contexte actuel.

Madame la ministre, comment souffrez-vous le French Impact, Choose France ? « My French Bank » à La Poste ? Sarthe Me Up, Made in Jura, I Love Lyon dans les collectivités territoriales ? Quant à la carte nationale d'identité, comment se fait-il que Marlène Schiappa ait choisi d'inscrire l'anglais ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; MM. Aymeric Durox et Joshua Hochart applaudissent également.)

Mme Mélanie Vogel.  - M. Lévrier veut démontrer avec l'appel du 18 juin que le point médian serait illisible. Mais il n'est que l'abréviation d'une double flexion. Voyez ici : « Art. 2 Amdt n°2 », et pourtant nous comprenons tous parfaitement ce dont il s'agit ! (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER ; marques d'ironie à droite)

L'amendement n°2 n'est pas adopté.

L'amendement rédactionnel n°4, accepté par le Gouvernement, est adopté.

L'article 2, modifié, est adopté.

Vote sur l'ensemble

M. Yan Chantrel .  - Le groupe SER votera contre cette proposition de loi, car ce n'est pas un objet législatif sérieux.

De plus, elle est totalement rétrograde. Sa vraie cible, c'est l'égalité hommes-femmes. Elle contrevient à la loi de 2014, selon laquelle toutes les politiques publiques - y compris l'écriture de la loi - doivent concourir à cet objectif.

Il n'appartient pas au législateur de dire ce qu'est le bon ou le mauvais français. Cette proposition de loi est contraire au principe constitutionnel de libre communication des pensées et des opinions. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Bruno Retailleau .  - Il est drôle de voir la gauche recourir aux vieilles méthodes : on nous compare à Trump, Poutine ou Bolsonaro. Vous vous trompez de combat. Cette écriture faussement inclusive, c'est celle de l'exclusion, imprononçable à l'oral. C'est une écriture pour l'entre-soi, réservée à des cercles militants, à des précieuses ridicules aurait dit Molière.

Les circulaires ne sont pas appliquées, les jurisprudences sont contradictoires. C'est donc à nous, législateurs, d'agir. Hugo disait qu'il fallait faire entrer le droit dans la loi.

Mais il s'agit plus que de syntaxe.

Mme Laurence Rossignol.  - Nous y voilà !

M. Bruno Retailleau.  - Dans toute nation, il y a un lien entre la Cité et la langue. Pourquoi avons-nous une Académie française ? Quelle est la langue des JOP ? Nous voulons que le français ne soit pas la langue du différencialisme, mais de l'universalisme. Nous devons avoir une indifférence à la différence. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Annick Billon .  - L'évolution de la société ne peut se résumer à l'écriture inclusive. Pour faire progresser l'égalité hommes-femmes, il faut des budgets, des lois ; il faut améliorer l'éducation à la vie affective et sexuelle - trois heures par an, trop souvent oubliées -, l'accès aux soins, l'égalité salariale, etc.

Non, il n'y a pas les féministes d'un côté, les réactionnaires de l'autre. La majorité sénatoriale a porté des textes en faveur de l'égalité hommes-femmes et de la lutte contre les violences intrafamiliales. Ce n'est pas l'écriture inclusive qui fera baisser le nombre de féminicides !

La majorité sénatoriale aime la langue française et son patrimoine. Le groupe UC votera cette proposition de loi et souhaite mettre un point final à ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

Mme Françoise Gatel .  - Oui, monsieur Chantrel, il faut se battre contre l'invasion de l'anglais.

Madame Vogel, le ridicule ne tue plus depuis les précieuses ridicules. Votre assimilation entre abréviation et point médian ne tient pas. Personnellement, je ne comprends rien à bien des abréviations utilisées dans d'autres métiers que le mien.

Chacun peut déposer les propositions de loi qu'il veut ; je regrette les leçons de morale. Non, nous ne sommes pas des fossiles politiquement incorrects. Notre langue est un bien commun, qui doit rester accessible à tous.

République et démocratie s'écrivent au féminin, et nos valeurs fondamentales - liberté, égalité, fraternité - aussi. Je me réjouis de les partager avec mes collègues masculins. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

Mme Cécile Cukierman .  - Non, la gauche n'est pas pour l'écriture inclusive. À gauche, certains sont pour, d'autres contre.

Pour mon groupe, la langue fait société. L'enjeu de l'égalité est double : égalité entre femmes et hommes, mais aussi égalité d'accès aux savoirs. En l'état, l'écriture inclusive ne répond pas à ces enjeux. Le français est une langue vivante, qui évoluera avec la société.

La reconnaissance de la place des femmes dans la société mérite mieux que notre débat de ce soir.

Mme Laurence Rossignol .  - Il y a toujours des gens pour expliquer aux féministes quels devraient être leurs combats : c'est vieux comme l'histoire de ce mouvement !

Notre système est cohérent. Nous sommes attachés à l'évolution de la langue, car le neutre masculin invisibilise les femmes : il est entendu comme un masculin.

Je vous rappelle l'affiche « un homme enceint »...

M. Joshua Hochart.  - Ça n'existe pas !

Mme Laurence Rossignol.  - En quoi cela choque-t-il plus que « madame le sénateur » ? (Protestations à droite) C'est parce qu'il y a eu de plus en plus de femmes au Sénat que l'on a commencé à dire « madame la sénatrice ». (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

Mme Mathilde Ollivier .  - Le GEST ne votera pas ce texte. C'est la majorité sénatoriale qui a choisi de débattre de l'écriture inclusive. L'écriture inclusive répond à un besoin de certaines communautés... (On note le mot à droite et au centre.)

Mme Pascale Gruny.  - C'est le communautarisme qui est dangereux !

Mme Mathilde Ollivier.  - C'est pour cela que nous défendons le point médian. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Daniel Salmon .  - Vous vous fourvoyez : on peut aimer les vieilles pierres, mais les châteaux ont évolué. Pourquoi cette « stéphanebernisation » qui voudrait tout figer ? (Marques d'amusement) Personne ne se plaint que Guillaume le Conquérant ait importé le français en Angleterre !

M. Pierre Ouzoulias.  - Le normand !

M. Daniel Salmon.  - Le mot « coach » vient du mot « cocher ». Ce qui vous intéresse, c'est la domination française, mais pas la langue française. Vous vous indignez du tilde du petit Fañch : il est toujours question de domination.

M. Retailleau parle des précieuses ridicules, en parlant de femmes qui souhaitaient être savantes ! Il y a ici des précieux ridicules. (Applaudissements sur les travées du GEST)

Mme Françoise Gatel.  - Et des moralistateurs !

M. Max Brisson .  - Madame Rossignol, c'est grâce à Mme Gruny que nous avons un questeur qui est une femme.

Voilà longtemps que je n'avais pas été traité de conservateur. Mais ça fait du bien ! (Sourires) On revient aux sources.

Je regrette, madame Rossignol, que vous ayez voulu ramener ce débat au combat légitime pour l'égalité. Mais je voudrais que l'on parle aussi du combat des maîtres dans les écoles, pour apprendre le français à leurs élèves. (Mme Marie-Claire Carrère-Gée applaudit.)

Ceux qui voulaient simplifier l'orthographe en 1990 veulent maintenant, par idéologie, complexifier la langue. Moi, je pense aux professeurs et aux élèves !

M. Pierre Ouzoulias.  - Il y a déjà une circulaire.

M. Max Brisson.  - Je voterai cette proposition de loi avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Cédric Vial, rapporteur de la commission de la culture .  - Je remercie Mme Gruny et M. Blanc pour leurs initiatives, M. Lafon pour sa confiance et tous nos collègues : certains sont capables de faire preuve de nuance, comme MM. Ouzoulias et Vallet, nous invitant à élargir le débat.

Ce soir, je suis convaincu que nous avons fait oeuvre utile. Encore une fois, vous nous avez rappelé que vous étiez dans une logique militante. (Marques de protestation à gauche) Or la langue n'est pas une opinion. Nos agents publics doivent rester neutres.

M. Max Brisson.  - Très bien !

M. Cédric Vial, rapporteur.  - Madame la ministre, j'espère que ce texte pourra poursuivre sa route avec le soutien du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

À la demande des groupes Les Républicains et SER, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°20 :

Nombre de votants 325
Nombre de suffrages exprimés 303
Pour l'adoption 221
Contre  82

La proposition de loi est adoptée.

(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)

Prochaine séance demain, mardi 31 octobre 2023, à 9 h 30.

La séance est levée à 23 h 55.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mardi 31 octobre 2023

Séance publique

À 9 h 30 et de 14 h 30 à 18 h 30

Présidence : M. Pierre Ouzoulias, vice-président, M. Mathieu Darnaud, vice-président

Secrétaires : M. Jean-Michel Arnaud - Mme Catherine Conconne

1. Quarante-quatre questions orales

2. Proposition de loi portant amnistie des faits commis à l'occasion de mouvements sociaux et d'activités syndicales et revendicatives, présentée par Mme Cathy Apourceau-Poly, Mme Éliane Assassi, Mme Laurence Cohen et plusieurs de leurs collègues (n°926, 2022-2023)

3. Proposition de loi constitutionnelle visant à abroger l'article 40 de la Constitution, présentée par Mme Éliane Assassi, M. Éric Bocquet, M. Pascal Savoldelli et plusieurs de leurs collègues (n°732, 2022-2023)