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Table des matières
Débat sur le bilan annuel de l'application des lois
M. Gérard Larcher, président du Sénat
M. Claude Bérit-Débat, président de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire
M. Michel Houel, au nom de la commission des affaires économiques
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture
M. Jean-Jacques Filleul, vice-président de la commission du développement durable
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances
M. Philippe Bas, président de la commission des lois
Questions cribles sur la dotation globale de fonctionnement
Modifications de l'ordre du jour
Ordre du jour du mardi 16 juin 2015
SÉANCE
du jeudi 11 juin 2015
116e séance de la session ordinaire 2014-2015
Salle Clemenceau
présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : M. Serge Larcher, M. Jean-Pierre Leleux.
La séance est ouverte à 11 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Débat sur le bilan annuel de l'application des lois
M. Gérard Larcher, président du Sénat . - Lors des travaux relatifs à la réforme de nos méthodes de travail, j'ai redis notre attachement au contrôle parlementaire, une priorité de même rang que la fonction législative. Notre mission de contrôle offre une grande diversité. Les parlementaires posent 5 000 questions écrites par an au Gouvernement ; nous demeurons attachés à un délai de réponse le plus bref possible. S'y ajoutent les questions orales et questions d'actualité au Gouvernement.
Ce contrôle est une des marques de fabrique du Sénat, qui a un rôle particulier à jouer, au-delà de la confrontation politique, naturelle en démocratie. Le nouvel article 24 de la Constitution entérine ces missions de contrôle et d'évaluation des politiques publiques.
Nous sommes aujourd'hui en salle Clemenceau pour le débat relatif à l'application des lois. Je donne à présent la parole à M. Claude Bérit-Débat.
M. Claude Bérit-Débat, président de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire . - Deux nouveautés cette année pour le débat annuel sur l'application des lois puisque nous sommes réunis dans la salle Clemenceau, sans doute plus appropriée à un tel débat, et que c'est au nom de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire que je vous présente la synthèse des observations des commissions permanentes. L'excellent travail de l'ancienne Commission sénatoriale à l'application des lois a beaucoup contribué à diffuser la nouvelle culture de contrôle et d'évaluation insufflée par la révision de 2008.
Le rapport que j'ai remis contient tous les chiffres utiles et toutes les données pertinentes élaborés à partir du travail de nos services et recoupées avec celui du Secrétariat général du Gouvernement. Nous avons d'ailleurs reçu M. Marc Guillaume récemment.
Le bilan fait d'abord apparaître une production législative soutenue : 66 lois, hors conventions internationales, promulguées en un an, soit 30 % d'augmentation en un an ; 40 % des lois sont d'origine parlementaire - le Sénat a été à l'initiative d'une loi sur sept. Le pourcentage de leur application, totale ou partielle, atteint 94 %, mais ce chiffre est trompeur, car il tient compte des 27 textes n'appelant aucune mesure réglementaire.
Le décompte par mesures est plus révélateur, qui fait apparaître un taux d'application des lois de 65 %. Malgré une stagnation depuis cinq ans, il demeure supérieur au taux, calamiteux, de 15 % à 30 %, observé avant 2010. Les écarts sont grands selon les commissions et selon les ministères.
Autre tendance : sur cinquante-quatre lois votées entre le 20 juin 2012 et le 30 septembre 2013, seules deux n'ont fait l'objet d'aucun début d'application.
La circulaire du 29 février 2008 demande aux différents ministères de publier les décrets d'application dans les six mois ; dans les faits toutefois, sur 491 décrets, 86 % sont sortis en moins d'un an, dont 30 % dans les six mois, pour un délai moyen de huit mois et cinq jours.
Ces dix dernières années, 60 % des lois seulement demandant un rapport ont été suivies d'effets. Sans doute, demandons-nous trop de rapports... Mais le constat est là, et c'est une atteinte à la fonction constitutionnelle de contrôle du Sénat.
Enfin, une donnée qualitative : les décrets tendent parfois à s'écarter de la loi, et même la circulaire du décret, de sorte que le droit appliqué sur le terrain n'est plus conforme à la volonté du législateur. Les élus locaux connaissent bien cette situation. J'ai en outre évoqué avec le Secrétaire général du Gouvernement le retard des réponses aux questions posées par les sénateurs.
Les chiffres de 2013-2014, sans être exceptionnels, sont positifs. Il faut en donner acte au Gouvernement, qui a pris le sujet à bras le corps. La communication mensuelle, en conseil des ministres, sur l'application des lois est une avancée.
Le suivi de l'application des lois, mené aux côtés du Gouvernement et au service de nos concitoyens, est une forme de contrôle au meilleur sens du terme. Les lois votées par le Parlement expriment la volonté générale, il importe d'en faire l'application la plus fidèle.
M. Michel Houel, au nom de la commission des affaires économiques . - Je vous prie d'excuser l'absence de M. Jean-Claude Lenoir. Sur les trente-quatre lois dont l'application est suivie cette année par notre commission, quatorze sont totalement applicables.
L'activité législative a été soutenue en 2013-2014, tant du fait du contenu que de la longueur de certains textes. La loi du 24 mars 2014, dite Alur, est emblématique : deux cent dix renvois à des décrets ou à des arrêtés y sont prévus. Le volet relatif au droit de l'urbanisme a été une catastrophe sur le terrain ; ma commune n'a pas fait exception. Le taux de parution de ces textes est de 16 % seulement. Le projet de loi Macron modifie plusieurs dispositions de la loi Alur, les conséquences en sont encore incertaines... L'abandon de certains dispositifs est probable.
La loi du 31 juillet 2014 relatif à l'économie sociale et solidaire présente un taux d'application de 28 % ; celle relative à l'artisanat, au commerce et aux TPE, de 26 %. Sur les trente-quatre lois dont nous suivons l'application, une seule a fait l'objet d'un rapport, celle relative à la consommation, dont le rapport a été rendu neuf mois et non six après sa promulgation.
Trois rapports seulement ont été rendus sur la période - vingt-sept étaient attendus, dont neuf pour la seule loi Alur. Il faut combattre la solution de facilité consistant à demander un rapport sur les dispositions dont on ne peut obtenir l'inscription dans la loi. Il y a peut-être une solution : moins légiférer.
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères . - L'essentiel de l'activité de notre commission consiste en l'examen de projets de loi de ratification ou d'approbation de traités ou accords internationaux : vingt-deux en 2013-2014. Ces textes n'entrent toutefois pas dans le champ du bilan dressé par M. Bérit-Débat.
Deux lois de programmation ont été promulguées, la loi de programmation militaire pour la période 2014-2019, que nous nous apprêtons à actualiser, et la loi d'orientation et de programmation sur la politique de développement et de solidarité internationale - cette dernière a été rendue totalement applicable moins de six mois après la promulgation. Aucun texte ne demeure inapplicable.
Notons toutefois qu'il a fallu attendre le 16 mars 2015 pour que soit publié le décret en Conseil d'État prévu par la loi du 28 juillet 2011 tendant à faciliter l'utilisation des réserves militaires et civiles en cas de crise majeure. Ce qui était tout à fait anormal, surtout dans le contexte que nous connaissons.
La loi du 18 décembre 2013 de programmation militaire pour 2014-2019 présente un taux d'application de 94 % ; les trois derniers décrets en Conseil d'État ont été publiés le 29 mars 2015.
La commission a reçu en juin 2014 le rapport sur l'exécution de la loi de programmation militaire ainsi que les deux bilans semestriels, que le ministre de la défense a lui-même présentés. Le rapport global sur l'application de la loi a été remis sept mois après sa promulgation. La commission regrette en revanche de n'avoir pas reçu en temps et en heure celui relatif à la loi d'orientation pour le développement, alors que tous ses textes d'application, eux, ont été publiés rapidement. En conclusion, le bilan est, pour nous, positif.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales . - J'appuie les principaux constats faits par Claude Bérit-Débat.
Au 31 mars 2015, 78 % des textes d'application avaient été pris, chiffre identique à celui de l'année précédente - alors que le nombre de textes à appliquer a doublé. Ce satisfecit doit être nuancé : les disparités restent grandes suivant les textes. Les priorités gouvernementales - retraites, lois de financement de la sécurité sociale, formation professionnelle - sont rapidement mises en oeuvre, les textes d'origine parlementaire le sont moins. Les textes relatifs au don de jours de repos pour enfants malades n'ont paru que très récemment. La loi sur les maisons de naissance attend toujours le décret nécessaire pour sécuriser leur cadre juridique et financier, alors que le cahier des charges a été établi par la HAS en septembre dernier. L'article 8 de la loi HPST de 2009, qui crée la possibilité de créer des fondations, n'a été rendu applicable qu'il y a quelques mois...
La parution rapide des textes réglementaires n'est pas toutefois gage d'efficacité. L'arrêté de février 2015 relatif à l'article 28 de la loi bioéthique de juillet 2011 n'a que très partiellement respecté la volonté du législateur : il ne fixe pas les critères attendus pour définir de façon objective la marge d'appréciation laissée aux praticiens dans le cadre des activités d'assistance médicale à la procréation avec tiers donneur.
Je souligne enfin le faible taux de remise de rapports au Parlement, ce qui nous invite sans doute à davantage de discernement...
Le bilan est donc contrasté mais la tendance positive.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture . - Notre commission est particulièrement attachée à cet exercice. La plupart des textes d'application relatifs à notre domaine sont parus. Sur la loi de refondation de l'école, il en manque toutefois deux importants, l'arrêté définissant la périodicité et le contenu de la visite médicale et le décret relatif à l'attestation de maîtrise du socle commun de connaissances par le diplôme du brevet, celui-ci devant être pris en 2016 ou 2017.
Nous assistons aussi à un phénomène qui prend de l'ampleur, l'existence de mesures d'application non prévues expressément - c'est le cas du décret relatif à la réforme du collège, dont une mention incertaine figurait dans le rapport annexé. La réforme des programmes est en cours d'élaboration, qui fera l'objet d'une circulaire ; il serait bon que celle-ci nous fût transmise en temps et en heure.
Le texte relatif aux critères d'attribution du logement étudiant est en phase de concertation ; pouvez-vous, monsieur le ministre, nous en dire davantage, ainsi que sur le décret relatif aux échanges universitaires et scientifiques ? Notre déplacement au Maroc nous a convaincus de l'utilité de la coopération internationale en la matière.
Enfin, la loi relative à l'indépendance de l'audiovisuel public est désormais intégralement applicable, même si le décret définissant les conditions de contribution des éditeurs à la production indépendante a pris un an de retard...
M. Jean-Jacques Filleul, vice-président de la commission du développement durable . - La mise en application des lois s'améliore relativement, mais les taux et les délais de publication sont encore insuffisants.
Cinq lois sont devenues totalement applicables, dont celle du 16 avril 2013 sur l'expertise indépendante et la protection des lanceurs d'alerte, d'initiative écologiste et sénatoriale. Deux décrets de décembre 2014 en ont précisé les modalités d'application, dont la liste des organismes devant tenir un registre des alertes.
La loi relative aux activités privées de protection des navires a également été rendue applicable, dans les six mois suivant sa publication.
Aucune des lois n'est totalement inapplicable, ce qui n'a pas toujours été le cas ; 35 % des lois adoptées ces dix dernières années sont encore en attente de décrets d'application ; cinq ont fait l'objet de mesures d'application l'an passé.
Le retard, voire l'absence de remise des rapports d'information, est à déplorer : la moitié des rapports n'ont pas été remis. Cela témoigne de l'inutilité des amendements parlementaires qui en demandent ; mais il arrive qu'ils soient justifiés, il est dommage que le Gouvernement n'y accorde qu'une importance relative...
La loi du 4 août 2014 sur la réforme ferroviaire a fait l'objet de plusieurs textes d'application, mais il en reste de majeurs à prendre : le décret socle, celui relatif à la sécurité interne de la SNCF ou celui relatif au transfert de propriété vers les régions. L'application de ces dispositions ne saurait être davantage retardée. Il y va de la pérennité du succès de la réforme de notre système ferroviaire auquel, on le sait, je suis particulièrement attaché.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances . - Je me réjouis que le Sénat s'implique aussi activement dans le contrôle de l'application des lois et je salue le travail de Claude Bérit-Débat. La commission des finances est particulièrement concernée, puisqu'elle a été saisie au fond d'une trentaine de lois.
Les deux tiers des textes d'applications attendus sont parus, c'est plus que l'an dernier mais moins que l'année précédente. Deux seulement des onze rapports attendus nous ont été remis...
Certaines mesures ne sont toujours pas mises en oeuvre, faute de textes d'application : c'est le cas de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) sur les sacs plastiques. D'autres sont en application avant même la parution de tous les textes réglementaires, comme le crédit d'impôt développement durable.
L'évolution rapide du droit européen en matière bancaire rend notre réglementation rapidement obsolète - nous sommes peut-être entrés dans une ère de législation à durée déterminée... Nous sommes à trois semaines de l'entrée en vigueur des dispositions relatives à la séparation des activités bancaires ; la commission des finances en suit de près les préparatifs et s'assurera du contrôle effectif des règles.
La mise en application plus ou moins rapide des mesures législatives ne dépend pas toujours de textes réglementaires. Ainsi la révision des valeurs locatives des locaux professionnels impose-t-elle à l'administration de réaliser au plus vite les simulations nécessaires.
Le suivi de l'application des lois fait partie intégrante de notre mission de contrôle.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois . - La publication rapide des textes d'application des lois est un corollaire du respect de la volonté du législateur. Or l'objectif annoncé en 2012, soit un taux de 100 % d'application dans les six mois, est loin d'être atteint pour notre commission, puisque nous sommes à 54 % contre 92 % l'an passé - renouant par là avec le niveau des années antérieures. Il faut dire qu'hier le nombre de mesures réglementaires avait chuté en valeur absolue...
Cette appréciation quantitative doit toutefois être nuancée, elle ne dit rien sur le plan qualitatif, ni sur le niveau global d'application d'une loi. Il arrive ainsi que l'inapplication de mesures secondaires fasse baisser le taux, alors que la loi pour l'essentiel s'applique parfaitement sur le terrain. Reste qu'on ne peut se satisfaire qu'un texte d'application sur deux ne soit pas pris.
Notre charge de travail s'est considérablement accrue : quarante-quatre textes examinés au fond, vingt-neuf avis dont vingt et un budgétaires, treize rapports d'information. C'est inédit.
J'insisterai sur trois textes incomplètement adoptés : celui d'août 2014 sur l'individualisation des peines d'abord, pourtant adopté en procédure accélérée. C'est pour le moins incohérent. Le décret en Conseil d'État prévu à son article 35 rendrait pourtant effective la possibilité de réalisation de transactions pénales par des officiers de police judiciaire - excusez du peu !
La loi Maptam non plus n'est pas complètement appliquée. Le décret en Conseil d'État de l'article 58 n'est pas paru, relatif à la nature des biens pris en compte ainsi qu'aux critères d'éligibilité au Fonds pour la réparation des dommages causés aux biens des collectivités par les calamités publiques.
Idem pour la loi du 27 mai 2014 transposant une directive relative à l'information dans le cadre des procédures pénales, dont l'article 11 attend encore un décret important.
M. Patrick Abate . - En faisant le bilan de l'application des lois, nous interrogeons la performance du processus démocratique, celui-ci ne se résumant pas au débat parlementaire. Or les manquements à ce principe sont encore patents. Rappelons cette règle simple : toute loi votée doit être appliquée... D'autant plus que le taux d'application des lois d'initiative du Parlement -de celle du Sénat en particulier- est plus faible que celui des lois initiées par le Gouvernement.
Les rapports d'information demandés au Gouvernement participent également de la fonction de contrôle ; les manquements en cette matière sont encore nombreux. Il faut évoquer à ce propos l'article 40 de la Constitution ; la commission des finances censurant les propositions des parlementaires grevant les finances publiques, ceux-ci sont contraints de demander des rapports pour que le débat puisse s'ouvrir...
Nous continuons de faire face à une avalanche de textes, d'être contraints à travailler en procédure accélérée, et à siéger en session prétendument « extraordinaire »... Une réflexion sur nos méthodes de travail doit être engagée ; celles-ci nuisent à la qualité et à la lisibilité de la loi, au détriment des citoyens. Les progrès sont réels, mais insuffisants.
M. Jean-Claude Requier . - Le Sénat débat pour la cinquième fois de l'application des lois. Entre 2011 et 2014, la commission dédiée s'est acquittée de sa mission sous la présidence de David Assouline. L'expérience n'a pas été reconduite dans le souci de restituer aux commissions permanentes la plénitude de leurs prérogatives. Ce n'est pas qu'une question technique ; les enjeux de l'application des lois pour nos concitoyens sont réels.
Le rapport de Claude Bérit-Débat relève que le taux d'application des lois tourne autour de 60 à 65 %. Cela reste meilleur que les 15 à 30 % qui prévalaient auparavant.
La procédure accélérée devenue quasi-normale, n'entraine pas une application plus rapide : ce n'est plus qu'un prétexte pour se passer de deuxième lecture, et poursuivre l'examen des textes jusqu'au bout de la nuit...
Le retard du Gouvernement, qui exprime parfois un désaccord avec le Parlement - ou l'un de ses membres - peut aussi être causé par des difficultés techniques, des désaccords au sein même du Gouvernement ou la mauvaise rédaction de la loi elle-même. Il n'existe pas de véritable contrainte pour obliger le pouvoir réglementaire à s'acquitter de sa mission dans des délais raisonnables.
C'est pourquoi la proposition de loi du groupe RDSE visant à reconnaître une présomption d'intérêt à agir des parlementaires en matière d'excès de pouvoir tendait précisément à affermir la mission de contrôle de l'action du Gouvernement par le Parlement prévue, depuis la révision constitutionnelle de 2008, par l'article 24 de la Constitution.
Affirmer le pouvoir de contrôle du Parlement passe aussi par la limitation des empiétements sur ses pouvoirs. La proposition de loi tendant à simplifier la saisine du conseil national d'évaluation des normes (CNEN) va dans le bon sens.
M. Bérit-Débat a souligné le taux médiocre de remise des rapports - 60 %. Chaque article ou presque de la loi sur la transition énergétique demande un rapport. Pourtant comme disait Eisenhower à ses collaborateurs, « un schéma en dit souvent plus... qu'un long rapport ».
Les études d'impact seules sont insuffisantes : une proposition de loi organique à ce sujet est à l'ordre du jour. Comme l'on dit aux écoliers : il faut poursuivre les efforts engagés. Exécuter toujours mieux et toujours plus vite, voilà la mission de l'exécutif.
M. le président. - Nous essaierons la prochaine fois de faire un schéma !
Mme Esther Benbassa . - Il y a des schémas très compliqués.
Je remplace Mme Bouchoux, empêchée pour des raisons familiales. « L'exemplarité, ce sont des lois bien écrites et rapidement mises en oeuvre », disait justement le président de la République le 20 janvier dernier. Or, le décalage entre paroles et actes est patent.
Sur quatre lois écologistes définitivement adoptées, les chiffres ne sont pas aussi satisfaisants que ceux que M. Bérit-Débat a cités.
Le groupe écologiste, et Mme Blandin en particulier, souhaite savoir quand la loi du 6 avril 2013 sur l'indépendance de l'expertise et la protection des lanceurs d'alerte sera mise en oeuvre. Les décrets ont été pris, mais personne ne s'y conforme. Quand la commission nationale de déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement verra-t-elle le jour ? Nous attendons toujours la mission de préfiguration... Quant au droit d'alerte des salariés, de nombreuses entreprises ne disposent pas de registres obligatoires.
Aucune des mesures réglementaires prévues par la loi sur les ondes électro-magnétiques du 9 février 2015 n'a paru. Certes, le délai de six mois court encore, on nous dit que les décrets seraient en cours d'élaboration, mais nous sommes inquiets, d'autant que des « ajustements » seraient prévus au projet de loi relatif à l'activité et à la croissance, sur la définition des points atypiques. Nous serons très vigilants. Le Gouvernement ne doit pas revenir sur le consensus parlementaire.
La loi visant à mieux encadrer l'utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national prévoyait que le Gouvernement remette, avant le 31 décembre 2014, un rapport sur le développement de l'utilisation des produits de bio-contrôle et à faible risque, qui intéresse particulièrement M. Labbé, ici présent. Où en est-on ?
Je termine par une note optimiste. Une loi a été adoptée à notre initiative le 13 avril 2015 qui demande un rapport du Gouvernement sur la création de nouveaux indicateurs de richesse. Nous avons confiance, et espérons bien en débattre dès le mois d'octobre. Oui, monsieur Bérit-Débat, à qui profitent les lois si elles demeurent lettre morte, en tout ou partie ?
M. Jean-Claude Luche . - Comme disait John Locke, il n'est pas toujours nécessaire de faire des lois, mais toujours d'appliquer celles qui ont été faites. Ne pas appliquer la loi, c'est rompre le lien qui nous unit au peuple, et prendre le risque d'un rejet de la démocratie.
Il y va du respect des principes républicains, de l'effectivité de l'égalité républicaine. Législateurs, posons-nous toujours les questions suivantes : la loi est-elle applicable ? Si non, pourquoi ? Comment lever les blocages ? Les effets attendus sont-ils au rendez-vous ?
Entre le 1er juillet 2012 et le 30 décembre 2014, 59 % des décrets d'application seulement ont été publiés. Si des progrès ont été faits depuis 2012, les chiffres sont désormais en chute libre. En 2011, 80 % des textes promulgués avaient été appliqués. C'était encore insuffisant. Désormais, plus d'un tiers des textes ne sont pas encore entrés en application. Ainsi, la loi du 24 décembre 2012, interdisant la commercialisation de produits contenant du bisphénol A, qui a fait couler tant d'encre, n'est toujours pas effective...
Ne décevons pas les espérances tout à fait légitimes des citoyens. L'inflation législative est certes un fléau, mais il est normal que le droit devienne plus complexe, à mesure que la société le devient aussi. Le fléau réside davantage dans l'inutilité de nombreuses dispositions des lois non seulement lourdes, mais imprécises.
Le 1er juillet 2014, le Conseil Constitutionnel a réduit les études d'impact à un rôle formel. Le temps perdu à rédiger ou rééditer de nombreux rapports serait également mieux employé à appliquer la loi...
Alors que faire ? Mieux préparer les lois, concevoir des études d'impact indépendantes et approfondies, renoncer au contrôle au profit de l'exécution des lois elles-mêmes.
L'application des lois est trop importante pour être cantonnée à un débat annuel : elle doit devenir une priorité de notre action au quotidien.
M. David Assouline . - Je salue le travail du rapporteur. Le combat pour le contrôle de l'application du travail parlementaire est crucial. Nos concitoyens se défient des élites, non seulement politiques, mais aussi économiques, syndicales, médiatiques... S'ils doutent que la loi ait un impact réel sur leur vie, ce fossé s'approfondira.
Le Sénat a été précurseur, bien avant la révision constitutionnelle de 2008. Dès les années soixante-dix, ce fut notre marque de fabrique. Le président Bel a eu raison de proposer une commission dédiée, non pour déposséder les commissions permanentes, mais pour créer un centre de ressources, d'impulsion, d'appui et de rayonnement. La question va bien au-delà de ma personne. Cette commission a attiré l'attention de tous ceux qui s'intéressent à la loi.
Nos commissions permanentes sont soumises à un tel rythme de travail qu'elles n'ont pas les moyens de contrôler convenablement l'application des lois. Je regrette donc que la suppression de la commission sénatoriale pour l'application des lois n'ait été précédée d'aucun débat - décision brutale qui contraste avec les hommages rendus aujourd'hui, dont je ne mets pas en doute la sincérité.
Les problèmes sont connus. Le taux d'application des textes sont aux alentours de 65 %. Aucune « chute libre » depuis 2012, contrairement à ce que j'ai entendu. Revoyez vos chiffres, monsieur Luche ! Au cours de la décennie précédente, les chiffres étaient catastrophiques. C'est le Gouvernement Fillon qui, le premier, a réagi. Pas tout de suite : l'inflexion eut lieu en 2009-2010. Le Gouvernement actuel a institutionnalisé le processus, avec un bilan mensuel du ministre chargé des relations avec le Parlement, auparavant très informel - avec petits cartons passés aux ministres autour de la table du conseil. Les nombreux rapports exigés du Gouvernement sont eux autant de temps perdu, temps qui pourrait être consacré à la rédaction des décrets d'application et donc à l'application réelle de la loi.
Des disparités existent. À la commission de la culture, le taux est de 90 %...Tout simplement, parce qu'il n'y a que peu de textes La commission des affaires économiques, elle, examine des lois beaucoup plus bavardes, difficiles à appliquer...
Les lois d'initiative parlementaire sont moins appliquées que les autres, alors même qu'elles sont moins nombreuses, nous ne pouvons l'accepter. C'est vrai aussi des amendements parlementaires - et plus vrai encore de ceux qui viennent du Sénat.
Quant aux rapports, à nous de prendre nos responsabilités. Chaque fois qu'on veut soulever une question, sans parvenir à une traduction législative, on demande un rapport, qui demande beaucoup d'énergie aux services et ne sera guère lu... J'en appelle, par conséquent, à la responsabilité collective.
Sous la Ve République, l'initiative des lois appartient surtout au Gouvernement. Il est normal que les assemblées parlementaires les amendent mais la conséquence c'est l'ajout de dizaines d'articles... Peut-être vaudrait-il mieux que les parlementaires soient associés en amont à l'élaboration des projets de loi.
Le Parlement français a très peu de moyens. Raison de plus pour éviter les doublons entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Le temps est venu d'un travail en commun, pour le contrôle de l'application des lois déjà faites : réunions inter-commissions, etc.
Les choses vont dans le bon sens. Mieux appliquer les lois, simplifier les normes, tout cela donne de la crédibilité à l'action publique. Il faut légiférer moins et mieux : c'est aussi de notre responsabilité.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement . - Le débat annuel sur l'application des lois est devenu une tradition au Sénat. Je tiens à saluer la qualité du travail accompli par les commissions permanentes du Sénat et par le président Claude Bérit-Débat.
Depuis 1971, votre assemblée a acquis une expertise en la matière. Loin d'être technique, l'application des lois est un enjeu politique et démocratique : nous devrons respecter, faire valoir, mettre en musique la volonté du législateur, et éviter de nuire à la crédibilité de la parole publique. C'est aussi un enjeu d'efficacité : le moins que nous puissions faire, c'est de demander à l'administration d'être diligente. La volonté du président de la République et du Premier ministre commence à porter ses fruits, puisque le taux d'application des lois a progressé de dix points en un an, alors que le stock de textes à mettre en oeuvre ne cessait de grossir.
J'ai entendu, toutefois, vos motifs d'insatisfaction. Le dépôt de rapports, notamment : moins de la moitié de ceux de l'article 67 de la Constitution sont remis.
Mais une demande de rapport est souvent un moyen d'adresser un message politique, plus que d'obtenir des informations utiles. Des rapports moins nombreux seraient mieux rédigés et plus fructueux.
M. Houel m'a interrogé sur l'application de la loi Alur - sans que je sache s'il souhaitait qu'elle progresse... Une mobilisation exceptionnelle devrait permettre de prendre cent mesures d'ici la fin de l'année, et de porter le taux d'application à 75 %.
Des progrès très nets ont été enregistrés depuis mars sur l'application de la loi sur l'économie sociale et solidaire et de la loi sur l'artisanat. Le taux d'application de la première a progressé de dix points depuis le 31 mars. Celui de la seconde est passé de 26 % en mars à 68 % en janvier.
Merci de votre satisfecit monsieur le président Raffarin, le bilan de l'application de la loi sur le développement et la solidarité internationale sera remis dans une dizaine de jours.
Monsieur le président Milon, le projet de loi sur le dialogue social va conduire à ajuster les critères du compte pénibilité et à simplifier les procédures pour les entreprises. Quant aux maisons de naissance, un projet de décret a été transmis en mai au Conseil d'État, pour une application de la loi en juillet au plus tard.
L'arrêté de février 2015 que vous avez mentionné est pris sur le fondement de l'article 30 de la loi bioéthique, non de l'article 28.
Madame la présidente Morin-Desailly, il ne manque plus qu'une seule mesure pour que la loi de refondation de l'école soit intégralement applicable. La concertation explique certaines lenteurs... La loi sur l'enseignement supérieur et la recherche sera intégralement applicable dès cet été, les deux textes que vous avez cités seront publiés en juillet.
Monsieur Filleul, merci d'avoir souligné nos bonnes performances en ce qui concerne les lois relatives aux lanceurs d'alerte et à la protection des navires. Quant à la réforme ferroviaire, deux décrets importants seront pris dans les prochains mois, mais le décret-socle attendra l'an prochain : le taux d'application de la loi est pour l'heure de 52 %, et ne cesse de croître.
Madame la présidente André, une dizaine de mesures d'application de la loi de séparation bancaire manquent encore à l'appel, dont cinq sont bloquées par l'évolution du droit européen, dont vous avez souligné le caractère mouvant.
Une concertation est en cours sur la révision des valeurs locatives professionnelles.
Monsieur le président Bas, le décret sur la transaction pénale sera publié cet été. Quant à la loi Maptam, le taux de 50 %, insatisfaisant, s'explique par le fait que onze textes réglementaires verront leur base législative modifiée par la loi NOTRe. Les sept décrets restants seront publiés dans les prochains mois.
Monsieur Patrick Abate, les statistiques récentes montrent que les lois issues de propositions de loi sont appliquées à 77 %, celles issues de projets de loi, à 63 %.
Lorsque la procédure accélérée est engagée, le Parlement est certes en droit d'attendre que le Gouvernement fasse diligence. D'ailleurs, les lois adoptées selon cette procédure sont appliquées à 77 %, les autres à 57 %. Nous veillerons en particulier à ce que la loi sur la croissance et l'activité soit rapidement appliquée.
Monsieur Requier, selon vous, le décret d'avril 2014 sur le CNEN irait à l'encontre de la volonté du législateur. M. Vallini s'est engagé à le modifier, conformément à la proposition de loi que vous aviez adoptée fin mai, pour garantir pleinement le pouvoir de saisine des élus locaux.
Madame Benbassa, la loi sur les lanceurs d'alerte est désormais applicable à 100 %, après la publication de tous les décrets nécessaires entre mars et décembre 2014 ; je vous tiendrai informée de sa mise en oeuvre concrète.
Quant aux ondes électromagnétiques, un décret précisera la définition des « points atypiques », pour éviter toute insécurité juridique ; il sera précédé par une concertation vaste, mais non éternelle.
Je demanderai aux ministres de l'écologie et de l'agriculture de vous transmettre dans de brefs délais le document relatif au biocontrôle.
Des lois trop bavardes monsieur Luche ? Peut-être, mais il n'est pas rare que les amendements parlementaires surchargent la loi. Une réflexion est nécessaire sur le champ du pouvoir réglementaire.
M. le président. - L'article 41 de la Constitution !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. - En effet. Des outils de la Vè République, trop peu utilisés, pourraient être réactivés, comme la « délégalisation », voire de nouvelles irrecevabilités. Nous aurons l'occasion d'en débattre le moment venu de ces pistes intéressantes.
Monsieur Assouline, la commission sénatoriale de contrôle de l'application des lois avait formulé nombre de préconisations pertinentes, comme la baisse du nombre de rapports demandé au Gouvernement -j'y suis, vous l'avez compris favorable- et celui des décrets en Conseil d'État, qui devraient être limités aux matières les plus sensibles juridiquement, au profit de décrets simples.
L'application des lois est un travail quotidien pour les ministres et leur administration. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions tout au long de l'année.
M. le président. - Ce débat a été utile, il faudra continuer à le faire vivre. Je remercie, à cet égard, Claude Bérit-Débat et compte sur la qualité du dialogue que nous menons, monsieur le ministre, au sein de la Conférence des présidents, comme sur nos relations avec le Secrétariat général du Gouvernement.
La séance est suspendue à midi quarante-cinq.
La séance reprend à 15 heures.
Hémicycle
Questions cribles sur la dotation globale de fonctionnement
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur la réforme de la dotation globale de fonctionnement. La séance est retransmise en direct sur France 3 et Public Sénat.
M. André Gattolin . - Puisque j'ai l'honneur d'ouvrir cette séance, je vais vous poser une question générale : la réforme des régions aura un impact direct sur les inégalités territoriales puisque certaines inégalités interrégionales seront désormais intrarégionales. Quelles conséquences en tirer ? Ne faudrait-il pas transférer une partie de la dotation de péréquation régionale aux échelons inférieurs ? L'exemple de l'Ile-de-France est éclairant : la région la plus riche de France, une des plus riches d'Europe, est celle où s'accroissent le plus vite les inégalités et la ségrégation spatiale.
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale . - La fusion de certaines régions au 1er janvier prochain aura évidemment des conséquences sur leurs ressources fiscales et leurs dotations. Le projet de loi NOTRe précise les conditions d'harmonisation des tarifs et des taux. Des dispositions spécifiques seront prises dans le projet de loi de finances à venir.
Avec 200 millions d'euros consacrés à la péréquation, la règle restera inchangée. Le Gouvernement tiendra compte des spécificités de chaque région tout en évitant de déstabiliser les nouvelles régions. De toute façon, la réforme se fera à enveloppe fermée. Les simulations sont en cours, en concertation avec l'ARF, dans la perspective de la loi de finances pour 2016.
M. André Gattolin - La fusion des régions aura également un impact sur la répartition du Feder. Il serait bon d'avoir des projections pour savoir s'il n'y a pas trop de régions perdantes.
Mme Marie-France Beaufils . - Créée en 1979, la dotation globale de fonctionnement représente, avec 40 milliards d'euros en 2014 et 36,6 en 2015, le principal concours aux collectivités territoriales. Elle a été conçue dès l'origine pour remplacer les recettes fiscales. Madame Pires Beaune, qui poursuit la réflexion entamée il y a plusieurs mois avec Jean Germain, voudrait en conserver les principales caractéristiques tout en corrigeant les inégalités constatées dans sa répartition. Comment effectuer cette réforme alors que les collectivités territoriales subissent une réduction de leurs dotations pour satisfaire le dogme européen ?
M. André Vallini, secrétaire d'État. - C'est justement en raison de cette situation critique qu'il faut mener cette réforme. La moitié des montants de la dotation globale de fonctionnement demeurent figés pour des raisons historiques. La péréquation a été étendue pour le bloc communal, les collectivités territoriales ayant un potentiel fiscal supérieur à 75 % de la moyenne contribuent davantage depuis la loi de finances pour 2015. Nous poursuivrons dans cette voie.
Mme Marie-France Beaufils. - L'AMF évalue la perte pour les collectivités territoriales à 3,4 milliards d'euros. De petits aménagements ne suffiront pas, d'autant que le poids du chômage et les difficultés sociales pèsent bien plus que les petites évolutions dans le calcul du potentiel fiscal.
Mme Michèle André . - Mme Pires Beaune est venue le 27 mai devant notre commission des finances. Une réforme de la dotation globale de fonctionnement est en effet nécessaire : comment expliquer par exemple que 34 803 communes, soit 95 % d'entre elles, soient éligibles à la dotation de solidarité rurale, qui est une dotation de péréquation ? Notre collègue députée propose plusieurs pistes : créer une dotation unique de fonctionnement garantie à toutes les communes, mieux cibler la péréquation « verticale » pour l'articuler avec l'« horizontale », instituer une dotation générale de fonctionnement intercommunale, ainsi qu'une dotation générale de fonctionnement locale garantissant l'autonomie des communes, revoir les critères d'éligibilité et de répartition.
Aucune d'entre elles ne doit être écartée. Chacune doit être explorée et faire l'objet de simulations. Pouvez-vous me confirmer que telle est bien votre intention ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget . - Sur ce sujet délicat, cherchons ce qui doit nous rassembler : combattre l'illisibilité, l'injustice ; chercher l'égalité avec une dotation sociale pour que chaque collectivité territoriale puisse remplir ses missions ; renforcer la péréquation.
Le Gouvernement fera évidemment procéder à des simulations sur toutes les pistes. Il sera à l'écoute du Parlement et des élus.
Mme Michèle André. - Dont acte. Merci beaucoup.
M. Vincent Delahaye . - Les critères de répartition de la dotation globale de fonctionnement sont inadaptés et injustes. D'autant plus quand les dotations se réduisent. Le bloc communal, le plus sollicité par les citoyens, est le plus touché. Est-ce par volonté de supprimer les communes ?
Seconde question, certaines intercommunalités, souvent les plus anciennes, sont favorisées avec des écarts de un à onze. Quand la carte intercommunale s'achève, pourquoi cette prime à l'intégration maximale ? Là encore, le Gouvernement veut-il subrepticement favoriser la disparition des communes ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Poser des questions, c'est aussi chercher des réponses. Le Gouvernement n'est pas seul dans cette affaire. Le comité des finances locales a décidé de faire porter l'effort de réduction des dotations sur les intercommunalités plus que sur les communes : la part des premières dans la répartition des dotations n'est que de 23 %, mais elles supportent 30 % de l'effort, alors même que nous cherchons à les renforcer.
Quant à la mutualisation, à l'intégration intercommunale, nous y sommes évidemment favorables. Le Gouvernement n'a aucune intention cachée, il veut une réforme juste.
M. Vincent Delahaye. - Ce n'est pas le comité des finances locales qui a décidé de transférer les frais de gestion aux départements et aux régions.
Mme Catherine Procaccia. - Exact !
M. Vincent Delahaye. - La mutualisation, oui, mais l'intégration ? Elle a pour fonction de réaliser des économies d'échelle. Pourquoi l'encourager par la fiscalité quand l'argent est rare ?
M. Philippe Dallier . - Chacun s'accorde à le dire : il faut une réforme de la dotation globale de fonctionnement et de la péréquation. La dotation globale de fonctionnement est illisible, inefficace. La péréquation également : ma commune, en Seine-Saint-Denis, est éligible à la DSU mais contribue au FPIC !
La question est : comment faire avec une baisse de 12,5 milliards d'euros des dotations aux collectivités territoriales ? Cette politique coûterait 0,6 % de croissance, les collectivités territoriales représentant 70 % de l'investissement public. D'ici deux ans, les deux tiers des communes seront dans le rouge. Oui à la réforme mais de manière progressive ! (Applaudissements à droite)
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Je me réjouis : le groupe Les Républicains veut la réforme. Cela nous rassemble. La baisse que vous dites est échelonnée sur cinq ans ; elle représente 6 % des recettes des collectivités territoriales : 6 % sur cinq ans, ce n'est pas aisé mais cela peut se gérer.
Est-il opportun de mener la réforme dans cette situation ? Je le crois. Certains sont dans une position plutôt confortable, d'autres non. Faut-il demander le même effort à tous sans rien corriger ? J'attends vos propositions.
M. Philippe Dallier. - Vous dites que 6 % sur quatre ou cinq exercices, ce ne serait pas grand-chose ? Il est extrêmement difficile de réduire nos dépenses, constituées à 60 % de frais de personnel ! Nous ne maîtrisons ni la hausse du point d'indice ni l'évolution du glissement vieillesse-technicité, pas plus que les charges nouvelles décidées par l'État. L'électricité, le gaz, les communications renchérissent aussi !
Tenez compte de cet effet de ciseau entre baisse des dotations et poursuite de la hausse des dépenses, sinon les entreprises trinqueront : on avance 30 000 chômeurs de plus dans le bâtiment cette année. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jacques Mézard . - Le Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales tant que vous ne l'étoufferez pas par le non-cumul (Mme Catherine Procaccia s'esclaffe), doit veiller à l'équité entre elles, puisque l'égalité parfaite est impossible. Une réforme des dotations n'est envisageable qu'en début de mandat présidentiel. Le Gouvernement a fait le choix d'une baisse brutale de 12 milliards d'euros, qui contraint les collectivités territoriales à tailler dans leurs investissements. Certaines sont plus fragiles que d'autres. À quand la baisse péréquatrice ?
Confirmez-vous les conclusions du rapport du commissariat général à l'égalité des territoires, selon lesquelles la DGF serait désormais calculée à l'échelle des EPCI et versée aux EPCI ? Est-ce votre projet ? (Applaudissements à droite et au centre)
M. André Vallini, secrétaire d'État. - Oui, la DGF actuelle est injuste. Le Gouvernement tiendra le plus grand compte des conclusions de la mission parlementaire. Le comité des finances locales sera saisi et la Haute Assemblée sera la première concernée.
Le rapport du Commissariat général à l'égalité des territoires n'engage que lui.
Des mesures viennent d'être annoncées pour les communes : remboursement de la TVA, pérennisation des prêts à taux zéro de la Caisse des dépôts et consignations sur deux ans, fonds spécial d'un milliard d'euros, qui s'ajoutent à l'aide de 100 millions aux maires bâtisseurs et à la hausse de 200 millions d'euros de la DETER.
M. Jacques Mézard. - Selon quels critères ces fonds seront-ils répartis ? Le rapport que j'ai rédigé avec Philippe Dallier et Charles Guené montre que la majorité des communes sont en difficulté, un milliard ne suffira pas. Enfin, les projets de loi qui nous sont soumis sont généralement directement tirés des rapports du Commissariat général à l'égalité des territoires.
M. Alain Richard . - Chacun s'accorde sur la nécessité d'une réforme de la DGF. Sur la dotation universelle, la ruralité, un accord peut être trouvé, mais sur d'autres critères, nous en sommes loin. Les principes mêmes d'une nouvelle dotation intercommunale ne sont pas non plus définis. La réforme est d'autant plus difficile en période de disette budgétaire.
Je suis au regret de vous annoncer que nous sommes déjà le 11 juin... (Sourires) Ne serait-il pas raisonnable de nous donner un an de plus pour réfléchir ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Le meilleur moyen de ne pas aboutir, c'est de décider à l'avance qu'on n'aura pas le temps... Il y a quelques mois, beaucoup ne voulaient pas entendre parler d'une réforme de la dotation globale de fonctionnement. Ceux qui sont assis sur leurs privilèges font jouer tous les conservatismes. On trouvera toujours de bonnes raisons : la fin de la législature, la réforme en cours des valeurs locatives, la complexité de la chose.... Les chosent bougent à entendre les orateurs du groupe Les Républicains.
Nous avons les moyens de procéder à toutes les simulations nécessaires. Parmi elles, le calcul -je parle bien du calcul, et non du versement - à l'échelle de l'intercommunalité. Il y a des communes riches dans des intercommunalités pauvres, d'où des prélèvements qui ne se justifient pas. Avec de la volonté, nous pouvons aboutir dès la prochaine loi de finances.
M. Alain Richard. - Le FPIC a été mis en place au niveau intercommunal. Or, depuis trois ans, les difficultés de répartition interne n'ont pas été surmontées. En nous donnant l'année 2016 pour réfléchir, nous créerions les conditions d'une réforme partagée. D'autant que nous aurons plus de visibilité avec la fin du prélèvement pour contribution à l'équilibre des finances publiques. Il n'est d'ailleurs pas forcé que l'évolution des dotations soit toujours à la baisse...
M. Michel Bouvard . - Nul ne conteste, ni la nécessité d'une réforme, ni celle de la péréquation.
Les communes touristiques ne refusent pas la solidarité, mais veulent préserver la compétitivité du tourisme français. Alors que leurs dotations diminuent, les prélèvements du FPIC progressent inexorablement, jusqu'à deux ou trois millions pour certains.
La Cour des comptes souligne que la péréquation s'est construite par sédimentation sans grande cohérence. Entendez-vous créer une dotation globale de fonctionnement qui, comme avant 1995, comporte des mécanismes péréquateurs incitant à l'investissement des communes touristiques ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Les besoins des communes touristiques sont déjà pris en considération : décompte des résidences secondaires pour le calcul des dotations, taxe de séjour.... Faut-il une dotation spécifique ? Les communes de montagne non classées comme touristiques demanderaient aussi des mesures particulières, celles de Guyane une dotation liée à la surface, etc. On irait à l'encontre de l'objectif de simplification. Le Parlement y réfléchira.
M. Michel Bouvard. - Le décompte des résidences secondaires est loin de compenser les frais occasionnés par l'accueil de touristes. Une commune touristique, c'est à la fois une commune et une entreprise. Ne baissons pas la garde face à nos concurrents étrangers.
M. Vincent Eblé . - La situation des départements doit aussi être prise en compte, les écarts de dotation globale de fonctionnement, moindres que pour les communes, n'en existent pas moins. Ainsi, la Seine-et-Marne reçoit 113 euros par habitant, contre 152 euros dans les Hauts-de-Seine dont le potentiel financier est pourtant infiniment supérieur.
M. Roger Karoutchi. - Les Hauts-de-Seine sont bien gérés, c'est simple ! (Sourires)
M. Vincent Eblé. - Les bases de calcul datent de 1999, d'il y a 16 ans, soit de la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle ; la dynamique économique et démographique n'est pas prise en compte, c'est très préjudiciable. Nous demandons une réforme de la dotation générale de fonctionnement départementale au même rythme que pour les autres échelons !
M. André Vallini, secrétaire d'État. - Il faut commencer par le bloc communal, qui représente 22 milliards sur les 36 de la dotation globale de fonctionnement : c'est là où les inégalités sont les plus fortes. Le Gouvernement est néanmoins conscient des difficultés que vous pointez. Les accords de Matignon en 2013 ont assuré une meilleure couverture des trois allocations de solidarité.
La péréquation verticale et horizontale au profit des départements les plus pauvres progresse.
M. Vincent Eblé. - La réforme sera un jeu à somme nulle. La moitié des collectivités y perdront forcément, elles y sont donc hostiles. Elle n'en est pas moins urgente. L'État donne plus aux riches qu'aux pauvres !
Accord en CMP
M. le président. - J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi modifiant la loi du 2 juillet 2014 relative à l'octroi de mer est parvenue à l'adoption d'un texte commun.
Mme Catherine Procaccia. - Miracle !
Modifications de l'ordre du jour
M. le président. - Le Sénat examinera en séance publique la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie les mardi 16 et mercredi 17 juin prochains.
J'ai proposé au Gouvernement et aux présidents des groupes, qui m'ont donné leur accord, que les explications de vote en séance et le vote en salle des Conférences sur l'ensemble de ce texte d'importance aient lieu le mardi 23 juin à 14 heures 30.
Comme d'habitude, le temps attribué aux orateurs des groupes pour les explications de vote serait de sept minutes, à raison d'un orateur par groupe. Les sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe disposeraient de trois minutes, à raison d'un seul orateur également. La durée du scrutin serait fixée à une demi-heure.
En outre, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande de compléter l'ordre du jour du jeudi 18 juin 2015 par l'inscription, après l'espace réservé au groupe RDSE, des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi modifiant la loi du 2 juillet 2004 relative à l'octroi de mer. Le temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale serait d'une heure.
L'ordre du jour est ainsi réglé.
Réforme du Règlement du Sénat
M. le président. - La réforme du Règlement du Sénat que nous avons adoptée le 13 mai dernier a été soumise au Conseil constitutionnel. Je vous communiquerai sa décision aussitôt qu'elle m'aura été notifiée, ce devrait être aujourd'hui en fin de journée. Comme nous en sommes convenus, cette réforme sera mise en oeuvre à compter de la dernière semaine de la session ordinaire, selon un calendrier qui sera précisé par la Conférence des présidents lors de sa prochaine réunion. Je pense notamment à l'ajustement des temps de parole en séance publique.
Prochaine séance, mardi 16 juin 2015 à 14 h 30.
La séance est levée à 15 h 55.
Jacques Fradkine
Direction des comptes rendus analytiques
Ordre du jour du mardi 16 juin 2015
Séance publique
Secrétaires : MM. Serge Larcher et Philippe Nachbar
À 14 h 30 et le soir
1. Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 25 et 26 juin 2015.
2. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie (n° 348, 2014 2015)
Rapport de MM. Michel Amiel et Gérard Dériot, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 467, 2014 2015)
Avis de M. François Pillet, fait au nom de la commission des lois (n° 506, 2014 2015)
Texte de la commission (n° 468, 2014 2015)
En outre, de 14 heures 30 à 15 heures
Scrutin pour l'élection d'un juge suppléant à la Cour de justice de la République, en remplacement de M. Jean-René Lecerf.
(Ce scrutin secret se déroulera, pendant la séance, dans la salle des Conférences.)