Nouvelle organisation territoriale de la République (Procédure accélérée - Suite)
Discussion générale (Suite)
M. Michel Amiel . - Les schémas de coopération entre collectivités territoriales, indispensables, ne doivent pas étouffer l'identité de chacun. Or, ce projet de loi impose une techno-structure dont personne ne veut. Il est incontestable que Marseille doit conserver sa place. Seul un engagement financier massif de l'État peut redonner à la ville les moyens de ses ambitions. Le projet des élus du département, soutenu par la majorité des parlementaires, constitue la seule option. (Applaudissements au centre)
présidence de M. Claude Bérit-Débat, vice-président
Mme Jacqueline Gourault . - Vous arrive-t-il aussi souvent qu'à moi de vous entendre dire qu'il faut absolument simplifier l'action publique ? Recevez-vous comme moi des chômeurs angoissés par le labyrinthe administratif ? Si nous en sommes là, c'est la faute à personne et à tout le monde. Regardons vers l'avenir, comme nous y appelait M. Retailleau.
Oui, le Gouvernement a tergiversé. Non, l'ordre entre les trois textes n'est pas le bon -pas plus qu'en 2010.
Je m'efforcerai de participer à trois chantiers indispensables : clarification des compétences, non-tutelle d'une collectivité sur une autre, prise en compte de la diversité territoriale.
Oui aux compétences économiques des régions et des territoires. Oui aux compétences sociales des départements. Puisqu'il y a beaucoup de routes communales, il est logique que les routes demeurent aux départements. Il serait d'ailleurs temps de se préoccuper des tronçons de routes nationales restantes. (Applaudissements sur quelques bancs au centre et à droite)
Pour ma part, je regrette que les collèges et lycées ne soient pas confiés à la même collectivité territoriale.
Oui au schéma de développement économique puisque les régions sont compétentes, mais non à un schéma d'aménagement du territoire contraignant. Pas plus que la tutelle des régions, je ne souhaite la tutelle des départements sur d'autres collectivités. Pourquoi ne laisse-t-on pas les communes et intercommunalités s'organiser comme elles veulent, par exemple pour l'ingénierie ? (M. Bruno Sido et Mme Sophie Joissains approuvent)
Faut-il un seuil chiffré pour les intercommunalités ? Le plancher de 5 000 habitants a déjà donné lieu à des débats homériques en 2010. J'ai eu, ce matin, l'idée de créer des strates en fonction de la densité de population. (M. Bruno Sido s'exclame) Légiférons ensemble, même avec le centre, monsieur Retailleau, c'est l'intérêt commun ! (Applaudissements au centre)
présidence de Mme Jacqueline Gourault, vice-présidente
M. Bruno Sido . - Ce projet de loi, enfin, énonce qui fait quoi. Il aurait été utile d'en débattre avant de revoir la carte régionale... Les effets de la suppression de la clause de compétence générale auraient aussi dû être examinés auparavant.
Le rapport Raffarin-Krattinger aurait dû servir de base pour élaborer ce texte. En Allemagne, la CDU-CSU et le SPD ne se mettent-ils pas d'accord sur les sujets d'intérêt général ?
Le Gouvernement nous a servi une pièce en quatre actes pour détourner l'attention de nos concitoyens de la crise.
Premier acte : le président de la République confirme à Tulle l'intérêt des départements et promet de maintenir ce socle républicain qu'est le conseil général. Les cantons devaient être redécoupés, pour répondre aux évolutions démographiques, garantir la parité... et limiter la déroute électorale de la majorité.
Acte II : stupeur. Le nouveau Premier ministre, Manuel Valls, annonce la fin des départements que l'AFD elle-même a appris par la presse... Le Gouvernement, par démagogie, voulait couper des têtes. Le département était la victime idéale. La majorité gouvernementale ne réagit guère, mais n'en pense pas moins, comme en témoignent les crises à répétition...
Acte III : les élections régionales sont renvoyées à la fin 2015, les départementales avancées à mars 2015. En la matière, ce va-et-vient est peu propice à l'exercice de la démocratie locale ! Et à la fin, nos concitoyens pourront dire : tout ça pour ça ! Le seul sujet important, c'est le redressement des comptes publics et, à cette fin, il faut commencer par réfléchir au périmètre de l'action publique. Au lieu d'organiser un débat transparent sur le sujet, le Gouvernement taille dans les dotations aux collectivités territoriales, sans se soucier de l'impact sur l'économie. Pendant ce temps-là, l'État recrute à l'éducation nationale, sans que l'augmentation des effectifs ne nous fasse progresser dans les classements Pisa. Une fois de plus, le Gouvernement sacrifie l'investissement au fonctionnement !
L'État-providence craque de toute part. Le réformer, c'est le préserver. (Mme Cécile Cukierman s'exclame) Jamais les dépenses liées au RSA n'ont été aussi élevées. Verser une allocation aux chômeurs, rien de plus normal, mais ce droit n'est assorti d'aucune obligation de formation : on conforte ainsi les gens dans l'inactivité (nouvelles exclamations sur les bancs CRC) et ils se retrouvent finalement à la charge des départements.
La seule solution, c'est de confier l'accompagnement des chômeurs aux départements. Séparer formation et insertion est incohérent !
Le Gouvernement, qui prétend renforcer les régions, leur confie des compétences de proximité... Des conseils régionaux sis à des centaines de kilomètres seront-ils les mieux placés pour gérer les transports scolaires ? On pourrait en rire...
L'ADF, à majorité de gauche, a proposé des amendements de bon sens. Merci aussi à la commission des lois pour ses travaux.
Renforcer les compétences stratégiques des régions suppose de conforter les compétences de proximité des départements. Je pense par exemple aux gestionnaires d'établissements scolaires, qui relèvent encore de l'État, et aux lycées. On constituerait ainsi un pôle cohérent, de niveau départemental, tandis que les régions pourraient se concentrer sur leur coeur de métier. 20 000 habitants pour une intercommunalité, c'est beaucoup trop en milieu rural, et pas assez en ville.
Naguère, le Premier ministre Raffarin avait su imposer à l'administration sa volonté réformatrice. Hélas, l'État a conservé ses compétences sociales. Quant aux régions, c'est une véritable tutelle que l'État exerce sur elles.
Mme la présidente. - Veuillez conclure !
M. Bruno Sido. - Le vieux débat entre jacobins et girondins n'a jamais été tranché. Pour faire des économies, que l'État accepte enfin de ne plus s'occuper de tout !
Grâce à la commission des lois, je reste confiant sur l'issue de nos discussions. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Sylvie Robert . - Tout le réseau culturel issu de la décentralisation est menacé d'effondrement en raison des coupes budgétaires : une pétition tire aujourd'hui l'alarme. Le partenariat entre l'État et les collectivités territoriales doit être refondé.
Depuis les lois Defferre, et au-delà le CNR, notre politique culturelle se caractérise par la multiplicité des acteurs, étatiques ou territoriaux. Grâce à eux, les projets ont fleuri.
Ce projet de loi est fondé sur une tout autre conception. Il clarifie les compétences de chaque collectivité -hormis pour la culture, le sport et le tourisme. Ce texte ne renie pas la décentralisation du XXe siècle, il en est la prolongation actualisée.
Ne soyons pas, cependant, aveuglés par l'idéologie du changement. La culture et le sport sont confirmés comme des compétences partagées, nous nous en félicitons -et cela aurait pu être le cas pour toute la vie associative. Veillons à ce que la culture et le sport ne deviennent pas des compétences résiduelles, voire optionnelles. Ce serait une funeste palinodie, néfaste pour le rayonnement de la France et la qualité de vie de nos concitoyens. Rappelons les compétences de chaque collectivité : nous voyons aujourd'hui les ravages provoqués lorsque certains se désengagent.
La participation financière reste la meilleure marque de l'engagement. L'engagement est élégant lorsqu'il est habillé de mots ; il est beau quand il se couvre de faits (Bravo sur les bancs socialistes). Je plaide pour des schémas de développement culturel et sportif, non prescriptifs, dans le cadre des conférences territoriales de l'action publique. La décentralisation culturelle ne s'est jamais faite contre l'État. Cependant, d'un État prescriptif, nous devons passer à un état partenaire, gérant de la culture pour tous.
La liberté est inhérente à la culture. « Il n'y a pas de culture sans liberté de la culture. Il n'y a pas de pensée sans la liberté de pensée », disait Jean Grenier, ami de Louis Guilloux.
Les collectivités territoriales doivent continuer à oeuvrer pour offrir aux gens ce qu'ils ne savent pas encore qu'ils désirent selon le mot de Jean Vilar. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Cécile Cukierman . - J'insisterai sur les territoires ruraux et montagnards, éloignés des métropoles, qui ne doivent pas devenir des territoires interstitiels. Jean-Paul Dufrègne, président du conseil général de l'Allier, avec ses collègues de la Nièvre, de la creuse et du Cher, a lancé la démarche des nouvelles ruralités, refusant de présenter les territoires ruraux comme des victimes et cherchant à positiver en montrant la vie qui s'y exprime. Des Assises de la ruralité, organisées par Mme Pinel, il ressort que ces territoires ont besoin de services publics.
Or la création de grandes régions lointaines et le regroupement des administrations de l'État laissent présager le pire. La clause de compétence générale est condamnée alors même que l'on vante l'intelligence territoriale...
Vous direz, madame la ministre, que ce problème sera traité par un autre texte. Mais si nous mettons à mal l'organisation territoriale de la République, il sera trop tard.
La suppression par la commission des lois du seuil de 20 000 habitants pour les intercommunalités est une bonne chose -je ne chipoterai pas ,15 000, ce n'est pas mieux. Ce seuil est inaccessible dans de nombreux territoires ruraux ou de montagne.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Pas seulement !
Mme Cécile Cukierman. - Pourquoi éloigner encore des citoyens des centres de décisions ? Longtemps les territoires ruraux ont été perçus comme des territoires grevés de handicaps. Ils demeurent des territoires fragiles, dans la mondialisation : voyez l'exemple du numérique.
Ce texte entérine le remplacement des services publics par les services au public : glissement significatif. Cependant, Mme Lebranchu n'ayant parlé tout à l'heure que de « services publics », je ne doute pas qu'elle acceptera nos amendements...
Ce projet de loi poursuit dans la voie de la hiérarchisation des territoires et de la concentration des intercommunalités et des syndicats intercommunaux. Ainsi pour un opérateur privé, il sera plus juteux de traiter avec de gros syndicats des eaux ...
Ces territoires vont se vider : qui les occupera, les entretiendra ? Ce ne sont pas des réserves d'indiens, ils font la richesse de la France. Nous refusons de les brader et de les vendre à la découpe. (Applaudissements sur les bancs CRC)
Mme Sophie Joissains . - Je ne vois personne qui soit enthousiasmé par ce texte, qui le trouve porteur d'espoir... Paris décide de tout : aucune concertation avec les élus locaux, aucune étude d'impact.
Le Premier ministre a accordé aux élus provençaux un rendez-vous le 9 novembre. Nos EPCI seront maintenus jusqu'en 2020, un cadre financier a été défini. Hélas, depuis le rendez-vous que nous avons eu hier soir en préfecture pour finaliser cet accord, ce n'est plus acquis. Nous n'avons plus confiance. Or 113 communes, et parmi elles 18 de la communauté urbaine, sur 119 communes concernées sont hostiles à la métropole Aix-Marseille telle que votée. En raison de son périmètre d'abord : la Camargue et les Alpilles, particulièrement touristiques, sont tenues à l'écart, alors qu'elles sont cruellement mal desservies par les transports. Est-ce pour garantir l'élection de M. Vauzelle ?
Sur la répartition des compétences, vous n'avez tenu aucun compte de nos demandes.
Quant à la fiscalité, alors que la faiblesse de notre CFE contribue à notre compétitivité, les impôts devront augmenter, et leur produit sera capté par la ville-centre. Nous sommes d'accord pour compenser les charges de centralité, mais nous refusons de perdre notre autonomie financière.
Enfin, les communes de plus de 30 000 habitants seront surreprésentées.
Mme la présidente. - Merci de conclure.
Mme Sophie Joissains. - L'hégémonie de Marseille est inacceptable. Cette métropole de 3 178 km2 a été bâtie à l'emporte-pièce. (On s'impatiente sur les bancs socialistes)
Nous proposons d'adopter le régime et la métropole du Grand Paris, qui n'a pourtant pas été pensée pour nous.
Mme la présidente. - Je dois vous interrompre.
Mme Sophie Joissains. - Les maires sont furieux, à bout d'espoir : ne les décevez pas !
M. Henri de Raincourt . - Je veux saluer le travail de la commission et de nos deux rapporteurs, de deux sensibilités politiques différentes : c'est un beau symbole.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Absolument !
M. Henri de Raincourt. - Les collectivités territoriales ne sont ni de droite, ni de gauche. Je salue la suppression du seuil de 20 000 habitants, qui ne voulait rien dire. Les compétences stratégiques des régions ont été confortées, de même que les compétences de proximité des départements.
Dans l'Yonne, les élus de tous bords pendant la campagne des sénatoriales m'ont dit leurs inquiétudes.
Hier soir encore, lors d'une réunion au nord du département, ils me disaient : « De grâce, laissez-nous respirer ! Cette frénésie législative nous donne le tournis ! ».
Les départements jouent un rôle essentiel pour l'initiative locale, l'aménagement des territoires, le développement social, les entreprises locales. C'est un échelon de proximité incontournable. Vouloir à la fois de grandes régions démesurées, des départements asséchés, des EPCI déconnectés des réalités locales, et des communes dévitalisées mais responsables de tout, c'est bâtir une France technocratique, déshumanisée.
Toutes les réformes territoriales se sont donné pour objectif de rationaliser notre millefeuille territorial et de garantir une meilleure utilisation des fonds publics mais à condition de préserver la libre participation des collectivités. Ainsi en alla-t-il ave l'achèvement de la carte intercommunale. Laissons-la vivre la carte, avant de tout chambouler.
Rationalisation et participation vont de pair. Plus les dispositifs seront contraignants, moins les intercommunalités seront efficaces, de nouveaux organismes se surimposeront sans gain d'efficacité. Communes, intercommunalités, communes nouvelles, EPCI, syndicats, pôle de compétences, où allons-nous ? Ce n'est pas la voie de la démocratie, ni des économies !
Si le Gouvernement refuse la main tendue par le Sénat, il faut s'attendre à devoir rouvrir le dossier d'ici peu... Il y a une opportunité, il faut la saisir. (Applaudissements à droite)
M. Gérard Collomb . - Il y a un an, nous adoptions la loi Maptam, qui reconnaissait le fait urbain, la dynamique portée par les métropoles. Tous les spécialistes ont salué un grand pas en avant. En leur sein, en effet, se crée une part essentielle des richesses de notre pays. Comme l'a montré un colloque récent organisé par la métropole de Rouen, l'essentiel de la croissance depuis vingt ans, et surtout depuis la crise de 2008, provient des métropoles. Pourquoi ? Parce que nous sommes passés d'une économie de la production à une économie de la connaissance qui repose sur des écosystèmes de chercheurs, d'universités et d'entreprises -écosystèmes installés dans les métropoles. Comment celles-ci pourraient-elles se désintéresser de leurs universités, de leur rayonnement international, de leur attractivité ? Des pôles de compétitivité pour attirer les entreprises étrangères, de la stratégie d'innovation ?
La croissance des métropoles se ferait au détriment des autres territoires ? C'est une idée fausse. Les urbains consomment dans les autres territoires : ainsi, l'Ile-de-France représente 30 % du PIB français mais seulement 22 % de la population. C'est dire que confier aux régions la compétence exclusive en matière économique serait une grave erreur. Je crois en la matière à un couple formé par les régions et les métropoles ou les grandes agglomérations. Aux métropoles le soin de faire naître l'innovation, aux régions le soin de la diffuser. Comment la région Rhône-Alpes-Auvergne pourrait-elle être au fait de tout ce qui voit le jour à Lyon, Saint-Etienne, Grenoble, Clermont-Ferrand ou Annecy ?
Pour l'économie comme pour le tourisme ou l'action internationale, il faut penser en termes de complémentarité des compétences, non d'exclusivité. (Applaudissements sur les bancs socialistes et au centre)
Mme Françoise Gatel . - Madame la ministre, votre ambition de rédiger un texte de simplification, un projet porteur d'espérance, de confiance et d'efficacité a échoué à cause d'une procédure chaotique au cours de laquelle les textes se sont succédé comme les pièces détachées dans un catalogue. Vous mettez en cause les départements, puis vous les conservez. Vous sacralisez les grandes villes en oubliant les villes moyennes et les petites villes. Vous inventez l'hyper-ruralité mais oubliez les territoires interstitiels. Enfin, vous engagez en même temps la revue des missions de l'État. Il aurait mieux valu attendre les conclusions de celle-ci. Que d'incohérence et d'incompréhension devant tant de contradictions et de brutalité !
Vouloir décentraliser, c'est accepter la diversité des territoires. Ce n'est pas corseter ni formater mais rendre possible. Vos propositions sur l'intercommunalité nient la diversité territoriale, c'est une violente marque de défiance vis-à-vis des élus. L'AMF, par la voix de son ancien président Jacques Pélissard, a proposé la création de communes fortes conjuguant librement leurs forces au sein de communes nouvelles. Les intercommunalités sont une nécessité mais doivent émaner des communes, dans un projet fédérateur défini par les élus et fonctionnant sur le principe de la subsidiarité -non pas dicté par l'État.
La précipitation avec laquelle vous conduisez ce texte est désastreuse. Les associations d'élus, lors de la conférence territoriale réunie par le président Larcher, ont exprimé leur attente pour plus de confiance, de liberté et de responsabilité. Chacun souhaite la réussite du pays, mais nous sommes nombreux à douter ou à craindre. Aucune expérimentation, aucune étude d'impact ne prouve que votre réforme sera source d'économies ou d'efficacité. Il est à craindre, au contraire, une longue paralysie de l'action locale et de l'investissement public -une occasion gâchée. Représentants des collectivités territoriales, nous osons croire que vous serez attentive aux évolutions qui vous seront proposées, qui résultent de réflexions non partisanes et partagées par les associations d'élus. (Applaudissements au centre)