Règlement des comptes et de rapport de gestion pour 2009 (Suite)
M. le président. - Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, de règlement des comptes et de rapport de gestion pour l'année 2009.
M. Thierry Foucaud. - D'après la majorité, la France aurait passé sans encombre les turbulences de l'année 2009. Qui peut croire cependant que la crise a commencé à l'été 2008 et que nous sommes entrés dans la « ri-lance », comme le dit Mme Lagarde ? Pas les 2 millions de chômeurs d'avant 2008, pas les 4 millions de Français percevant des bas salaires ou travaillant à temps partiel...
Depuis les années 1970, phases d'aggravation et de rémissions, pics et creux de la production et de l'emploi se sont succédé. L'été 2008 n'a vu qu'un épisode particulier, l'éclatement de la bulle des subprimes, comme l'ont été celui de la bulle immobilière ou d'internet. Par la suite, la crise obligataire a imposé l'intervention massive de l'État sur les marchés interbancaires. Dire que tout va mieux serait travestir la réalité. Notre pays n'a jamais connu autant de chômeurs de catégorie 1, dont le nombre culmine à 2,8 millions, tandis que la relance de l'activité reste faible ; les destructions d'emplois se poursuivent. L'embellie toute relative de l'emploi intérimaire n'est due qu'à l'ajustement par les entreprises des coûts de main-d'oeuvre sur les normes de rentabilité. En outre, une reprise de l'inflation apparaît, la preuve en est la hausse des prix du gaz ou de l'électricité. Ce sont les usagers qui paient la priorité donnée à la rémunération du capital.
En 2009, la France a subi une récession de 2,2 % selon le FMI et de 2,5% d'après M. Devedjian. Notre pays produit moins de richesses qu'avant l'élection de M. Sarkozy. Ce résultat, obtenu en trois ans, illustre le désastre des réformes soutenues par la majorité sénatoriale. Les résultats de l'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité montrent l'inanité de la politique bruxelloise contre les services publics. La croissance de 0,375 % attendue grâce à la LME est aux abonnés absents. L'ouverture dominicale des commerces ? « Travailler plus pour gagner plus » ? Il y a moins d'heures supplémentaire aujourd'hui qu'avant la loi Tepa. C'est qu'avant de travailler plus, il faut déjà travailler tous.
La France du Fouquet's, des châteaux en Sologne, du Palais Brongniart attendait beaucoup de M. Sarkozy. Elle n'a pas été déçue puisque la feuille de route tracée par le Medef, de bouclier fiscal en cadeaux divers, a été suivie.
Pourtant, le CAC 40 est passé de 6 034 à moins 3 500 points depuis l'escapade à Malte du Président de la République le 8 mai 2007.
M. Philippe Marini, rapporteur. - Quel analyste financier !
M. Guy Fischer. - C'est l'hommage du vice à la vertu !
M. Thierry Foucaud. - On comprend que le Gouvernement soit prudent sur l'épargne retraite individuelle...
Pour le Gouvernement et sa majorité, le déficit 2009, 139 milliards d'euros, du jamais vu, est dû à la crise et devrait baisser en cette année et en 2011 grâce à la reprise. Or la presse économique relève que l'État a abandonné 100 milliards d'euros de recettes depuis 2000 dans la course au moins-disant fiscal et social. Le rapporteur général du budget de l'Assemblée nationale recommande une nouvelle baisse des dépenses et une hausse des impôts. Son homologue du Sénat plaide pour une hausse du taux réduit de TVA et des droits qui frappent notamment l'électricité. Ces mesures frapperaient les plus modestes, ceux dont les économies sur les aides sociales auront déjà allégé le porte-monnaie. Il faudrait s'intéresser aux fiducies installées en Suisse ou dans les rues tranquilles de Saint-Hélier, fiducies dont M. Marini a souhaité le développement en France...
M. Philippe Marini, rapporteur. - La loi de février 2007 sur la fiducie a laissé de côté la fiducie de transmission. Le mécanisme est en outre fiscalement neutre et totalement transparent. Je ne peux laisser dire que cette loi encouragerait je ne sais quel trucage.
Mme Nicole Bricq. - Il faudrait parler des trusts !
M. Thierry Foucaud. - Ce qui coûte cher, c'est le moins-disant fiscal, qui dure depuis 1985 : le taux tout théorique de l'impôt sur les sociétés est passé de 50 % à 33 % ; la taxe professionnelle a disparu ; le barème de l'impôt sur le revenu a été revu à la baisse ; les dépenses fiscales se sont multipliées ; l'ISF est attaqué. Cerise sur le gâteau, le bouclier fiscal permet de verser 30 millions d'euros à une contribuable dont les revenus n'ont aucun rapport avec son activité. Elle peut se passer de ces 30 millions, qui sont le produit du travail des autres, à qui il serait normal qu'ils reviennent sous forme de dépense publique.
Nous avons sans cesse combattu la réduction de la dépense publique, dont l'une des dernières manifestations a été le remboursement de 28 milliards d'euros aux entreprises, sous prétexte de plan de relance. Nous ne voterons pas le projet de loi de règlement 2009. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Jacques Jégou. - La récession historique de 2009 a provoqué un déficit historique : 144 milliards, soit 7,5 % du PIB et plus de quatre points de plus qu'en 2008. Les causes ? Principalement l'effondrement des recettes fiscales, mais aussi le plan de relance et la hausse des dépenses courantes, hors intérêts de la dette. La Cour des comptes relève aussi la chute pérenne des recettes. Quant aux comptes sociaux, ils ont connu un déficit cumulé supérieur à 20 milliards, dont la moitié pour la branche maladie.
M. Guy Fischer. - C'est normal.
M. Jean-Jacques Jégou. - La dette publique atteint 78,1 % du PIB, en augmentation de plus de dix points et frôle les 1 500 milliards ; elle est détenue à plus de 60 % par des non-résidents, ce qui altère l'exercice de notre souveraineté. Notre pays emprunte pour rembourser les intérêts de la dette et le recours aux prêts à court terme l'expose à une hausse des taux.
D'où viennent ces dérapages ? Du fait que nos finances publiques n'ont pas été assainies pendant la période faste 1998-2008. Résultat : malgré une récession moins violente qu'ailleurs et un plan de relance plus limité, la dégradation de nos comptes publics a été comparable à celle des autres pays.
Les recettes de l'État ont atteint en 2009 leur niveau de 1996 en euros courants et de 1979 en euros constants. Le mal est chronique. Le déficit structurel excède 5 % du PIB en 2009. Les recettes ne sont pas suffisamment sécurisées, à cause notamment des dépenses fiscales -plus de 3 milliards en année pleine pour la TVA à taux réduit dans la restauration, 5,2 milliards pour les allégements de la loi Tepa. En 2009, les recettes ne couvrent pas la moitié des dépenses nettes ; le budget a été amputé de 100 milliards de recettes depuis 2000, les baisses d'impôt n'ayant pas été gagées par des économies. M. Carrez a montré que l'impôt sur le revenu a baissé depuis 2000. D'où le déficit structurel de 5 % en 2009. Les dépenses fiscales ont augmenté de 5,2 % par an depuis dix ans, le taux atteignant même 8,5 % depuis 2004. Elles minent les recettes de l'État et sont facteur d'injustice fiscale. En leur absence, le déficit ne serait que de 3,7 % et la dette de 54 % du PIB en 2009 ; le budget aurait même été excédentaire de 2006 à 2008.
Nous ne pouvons plus accorder de baisses d'impôts non gagées ! Il faudrait revenir sur les exonérations de charges patronales dans certains secteurs, dont la grande distribution, dont on sait qu'elles ne servent à rien. Cette hémorragie doit être stoppée.
Le redressement des finances publiques est désormais un impératif, avec un traitement massif dès 2011.
M. Migaud nous a dit qu'avec une croissance de 2,25 %, l'endettement public dépasserait 93 % du PIB à l'horizon 2013. Notre crédibilité est en jeu, car les marchés nous imposent d'abandonner les facilités qui ont prévalu depuis dix ans. Nous devons nous garder de l'addiction à la dépense publique comme de la tentation de baisser les impôts.
Le programme de stabilité du Gouvernement est fondé sur une hypothèse de croissance de 2,5 % par an d'ici 2013. Certains la qualifient d'optimiste et d'audacieuse... Pour ne pas sous-estimer l'effort à faire, il ne faut pas surestimer les recettes. Le Gouvernement pense que la reprise permettra de rattraper les pertes conjoncturelles ; est-ce bien raisonnable ?
Mme Nicole Bricq. - Non !
M. Jean-Jacques Jégou. - La réduction de la masse salariale due aux destructions d'emplois plombe les comptes sociaux. S'agissant de la fonction publique, le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux ne suffira pas. Il faut réexaminer les prestations sociales, les exonérations et les dépenses d'assurance maladie. N'oublions pas les dépenses d'intervention assumées par les opérateurs de l'État. Nous avons la mauvaise habitude de tenir des guichets ouverts pour des publics toujours plus nombreux.
La « ri-lance » ne sera acceptée que si entreprise les efforts sont justement répartis. Comment y parvenir avec le bouclier fiscal ? (Applaudissements sur les bancs CRC) Il faudra aller au-delà des 8,5 milliards annoncés de réduction des niches fiscales, relever certains taux de TVA, supprimer les niches qui sont les moins justes et les plus coûteuses. (Applaudissements à droite)
M. Philippe Marini, rapporteur. - Très bien !
M. Jean-Jacques Jégou. - A l'automne, nous vous aiderons à manier le rabot et la cisaille.
M. Philippe Marini, rapporteur. - Nous sommes de bons artisans.
M. Jean-Jacques Jégou. - Tous ces efforts devront évidemment être coordonnés avec l'Allemagne, dans le cadre européen. (Applaudissements à droite)
M. Charles Guené. - Pour la quatrième année consécutive, le projet de loi de règlement est présenté en mode Lolf, conformément à la fonction de contrôle du Parlement. Je félicite à ce propos le rapporteur général de la commission des finances, ainsi que les 47 rapporteurs spéciaux.
Le projet de loi s'inscrit dans le contexte particulier de la crise, qui a marqué l'année 2009, avec un déficit augmentant de plus de 80 milliards d'euros pour s'établir à 138 milliards. Cette dégradation est due pour l'essentiel à la crise financière, qui a entraîné baisse des recettes et mesures de relance.
Les dépenses de personnel restent stables, contrairement aux dépenses d'intervention. En 2009, les recettes fiscales nettes ont diminué de 33 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale, dans le cadre d'une récession jamais vue depuis 60 ans. Si la France a mieux résisté que d'autres grâce au plan de relance...
Mme Nicole Bricq. - Ce n'est pas pour cela !
M. Charles Guené. - ... les recettes ont fortement fléchi, qu'il s'agisse de l'impôt sur les sociétés ou de la TVA. Les mesures nouvelles pérennes ont pesé en 2009 plus de 7 milliards d'euros.
Des signes encourageants sont toutefois apparus avec une claire volonté de maîtrise des déficits budgétaires, en Europe comme au G20 ; à Toronto, les États, à l'exception du Japon, se sont engagés à diviser par deux leur déficit d'ici 2013.
Des efforts ont déjà été entrepris en France, bien que la norme « zéro volume » n'ait pas été respectée en France si l'on intègre les dispositions du plan de relance. Motifs de satisfaction : les dépenses nettes du budget général ont diminué et la baisse des effectifs a continué. La RGPP a permis des économies importantes en termes d'intervention comme de fonctionnement
Le creusement de déficits budgétaires n'a pas dégradé le patrimoine, car le plan de relance n'a pas appauvri l'État.
Malgré les grandes difficultés conjoncturelles, d'importants efforts ont été fournis, dans un souci de sincérité et de transparence. La Cour des comptes a certifié les comptes avec neuf réserves, contre douze en 2008, ce qui illustre des progrès dans la qualité de la gestion de l'État.
Le groupe UMP votera le projet de loi. (Applaudissements à droite)
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Je remercie le rapporteur général et les rapporteurs spéciaux de la commission des finances qui ont préparé ce débat avec un soin extrême.
Monsieur le ministre, nous avons entendu sept de vos collègues, afin de tester leur volonté de comprimer leurs dépenses de fonctionnement et d'intervention ; il semble qu'il vous reste à faire un certain travail de pédagogie... La commission souhaite que le Gouvernement ait la ferme volonté de retrouver dans les meilleurs délais équilibre des comptes publics et compétitivité, sans laquelle il n'y aura pas de croissance.
Le projet de loi de règlement porte sur les seuls comptes de l'État. Je souhaite que dans les années qui viennent nous examinions les comptes consolidés de l'État et de la protection sociale. (Applaudissements au centre et à droite)
Le projet de loi de règlement est mis aux voix par scrutin public de droit.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 335 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 168 |
Pour l'adoption | 182 |
Contre | 153 |
Le Sénat a adopté.
M. François Baroin, ministre. - Je remercie la majorité pour ce vote. Pourrions-nous suspendre la séance quelques instants ?
La séance, suspendue à 15 heures 25, reprend à 15 heures 30.