Débat sur la situation en Afghanistan
M. le président. - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur la situation en Afghanistan. Au nom du Sénat tout entier, je vous remercie, monsieur le Premier ministre, de venir devant nous afin que nous débattions, au même titre que les députés et peu de temps après eux, sur cette question si importante : l'envoi de troupes supplémentaires en Afghanistan. Après avoir consulté les groupes politiques, j'ai réuni en urgence la Conférence des Présidents afin d'organiser ce débat. Les modalités en ont été communiquées à tous immédiatement.
Tous les groupes s'exprimeront, chacun pourra, ainsi, faire part à notre Assemblée de son sentiment.
M. Jean-Louis Carrère. - Chacun ?
M. le président. - Puis le Gouvernement répondra aux orateurs par la voix du ministre des affaires étrangères et européennes et du ministre de la défense.
M. François Fillon, Premier ministre. - Nous avons tous en mémoire les attentats du 11 septembre 2001. Le monde découvrait avec effroi la violence du terrorisme de masse. Un défi sanglant et morbide était lancé à toute la communauté internationale. La source de ces attentats se situait en Afghanistan, avec le soutien du régime obscurantiste des talibans. Dès l'automne 2001, six résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies vinrent préciser le cadre dans lequel devait s'inscrire la réponse des nations : résolution 1368 ouvrant le droit à la légitime défense, résolution 1373 appelant à la collaboration de tous les États contre le terrorisme, résolution 1378 définissant un cadre pour l'avenir démocratique de l'Afghanistan, résolution 1386 créant la Force internationale d'assistance à sécurité (Fias). Le mandat de la Fias a été renouvelé chaque année et étendu progressivement à l'ensemble de l'Afghanistan. Le 7 octobre 2001, les États-Unis engageaient les opérations militaires, épaulés notamment par la France qui avait ouvert son espace aérien, noué une coopération navale, apporté son appui en matière de renseignement.
En octobre 2001, Lionel Jospin, alors Premier ministre, exposait au Parlement la position française après le 11 septembre ; en novembre, il lui précisait les termes de l'engagement de la France en Afghanistan. Le Président de la République a souhaité que la représentation nationale soit informée de la politique de la France en Afghanistan...
M. Jean-Louis Carrère. - Un peu tard !
M. François Fillon, Premier ministre. - ...afin d'éclairer des décisions qui ne sont pas encore arrêtées. (Murmures à gauche)
Du reste, tout au long de la Ve République -contrairement à ce que certains laissent entendre-, le Parlement a été régulièrement informé des opérations militaires. Mais il ne partage pas la responsabilité de l'engagement des forces : la Constitution de 1958 ne le prescrit pas. L'article 35 relatif à la déclaration de guerre est tombé en désuétude, parce que les formes de la guerre aujourd'hui ont changé. L'engagement des forces militaires est du ressort du pouvoir exécutif, et notamment du Président de la République, chef des armées. Cela n'exclut pas l'information et je souhaite que le débat soit utilisé de manière plus systématique. (M. Carrère ironise) Du reste, la politique étrangère et de défense revêt un caractère consensuel depuis plusieurs décennies. Depuis les années 80, les grands engagements stratégiques et militaires de la France ont tous été conclus dans un esprit d'union nationale.
Le Parlement a été informé sur l'opération de Kolwezi en 1978, comme sur l'intervention au Tchad en 1983 -mais pas en 1984. L'intervention au Kosovo, en mars 1999, a donné lieu à un débat sans vote deux jours après le début des bombardements. En 2006, un débat s'est tenu deux mois après le vote de la résolution créant la Finul Il. Enfin, la participation de la France aux opérations militaires en Afghanistan, à partir de décembre 2001, a fait l'objet d'un débat sans vote.
Seul l'engagement militaire lors de la première guerre du Golfe a été soumis au vote selon la procédure de l'article 49-1 pour l'Assemblée nationale, et 49-4 pour le Sénat. C'est que cette action massive était analogue à une entrée en guerre contre un État souverain qui avait envahi son voisin. Personne ne saurait confondre le cas présent avec cet événement ! Lors de la guerre du Golfe, le vote s'est tenu quelques heures seulement avant le déclenchement des hostilités, alors que le dispositif Daguet était déjà installé depuis plusieurs mois. Certains d'entre vous ont un souvenir très vif de ce débat. J'avoue que ce n'est pas mon cas, puisque je me trouvais auprès des forces françaises en Arabie saoudite...
Aujourd'hui, une partie de l'opposition souhaite un vote. Je lui fais la même réponse que Lionel Jospin en octobre 2001 à Alain Bocquet qui en réclamait un, à l'Assemblée nationale : « Nous ne pouvons pas faire appel à l'article 35, qui prévoit la déclaration de guerre, car ce n'est pas de cela qu'il s'agit. (...) On peut toujours utiliser l'article 49-1, mais celui-ci suppose un vote de confiance. (...) Ce n'est pas un article prévu pour l'engagement de la France dans ce genre d'opérations. » (Approbation sur les bancs UMP)
Il s'agit ici d'une opération de maintien de la paix, comme nous en conduisons en Côte d'Ivoire, au Liban ou au Kosovo, et un vote ne serait pas adapté à la situation. (Applaudissements à droite) Cinquante ans après la création de la Ve République, cependant, nous vous proposerons de renforcer le rôle du Parlement...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Nous ne croyons pas à votre bonne volonté !
M. François Fillon, Premier ministre. - Le Parlement sera tenu informé dans les meilleurs délais de l'envoi de nos forces sur des théâtres d'opérations extérieurs.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Bien sûr !
M. François Fillon, Premier ministre. - II autorisera la prolongation éventuelle de cette présence au-delà de six mois. Les deux assemblées auront aussi le pouvoir de voter des résolutions, y compris sur des sujets de politique étrangère. Je ne doute pas que ces dispositions feront l'unanimité sur vos bancs ! (Applaudissements à droite)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - C'est un leurre.
M. François Fillon, Premier ministre. - Nous sommes en Afghanistan depuis décembre 2001...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Six ans !
M. François Fillon, Premier ministre. - Il s'agit donc de prolonger un effort engagé de longue date. Nous avons sur place 2 300 hommes, dont 1 700 soldats dans la force internationale -sur 61 000 hommes, ce qui nous place au septième rang des nations contributrices de troupes, loin derrière la Grande-Bretagne, 8 600 hommes, l'Allemagne, 3 500, l'Italie, 2 400, les Pays-Bas, 2 000... Installés autour de Kaboul, les soldats français remplissent des actions de sécurisation ainsi que des missions d'encadrement des troupes afghanes en opération.
Ils sont engagés dans des actions de combat. Six Rafale et Mirage 2000 participent au dispositif allié de protection des troupes. Ces avions sont appuyés depuis les pays voisins par des moyens de transport et de ravitaillement en vol. Enfin, une force navale française opère depuis l'Océan Indien dans le cadre de l'opération Liberté immuable.
Depuis plus de six ans, nos soldats contribuent donc à la sécurisation de l'Afghanistan.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Pour quel bilan ?
M. François Fillon, Premier ministre. - J'ai une pensée particulière, empreinte de gravité et de considération, pour ceux qui, là-bas, risquent leur vie. À ce jour, quatorze de nos soldats sont tombés en Afghanistan. Tombés pour une idée de la dignité humaine à laquelle le peuple afghan aspire. Tombés pour qu'il n'y ait plus de 11 septembre. Tombés pour rendre ce monde plus sûr. Je sais que votre assemblée soutient nos forces armées et qu'elle ne les oublie pas. (Applaudissements à droite, au centre et sur certains bancs à gauche)
L'Afghanistan ne doit jamais redevenir le foyer du terrorisme. Ce pays encore vulnérable est un carrefour stratégique où voisinent une Asie centrale qui cherche sa voie, un Iran qui biaise avec les règles de la communauté internationale, une démocratie indienne qui lutte contre la menace d'attentats, un Pakistan qui, possédant l'arme nucléaire, est sous la pression des fondamentalistes.
En 2001, l'Afghanistan était une dictature médiévale, un foyer de violence, une base arrière du terrorisme international. Al Qaïda y avait implanté ses camps d'entraînement. Des extrémistes, illuminés par une vision dévoyée de l'islam, y trouvaient accueil et soutien. Sa population était soumise au joug de fer des talibans : abolition des droits fondamentaux ; oppression de la femme, intolérance érigée en doctrine de gouvernement ; interdiction de la musique, du théâtre, de la télévision...
M. Hervé Morin, ministre de la défense. - Et des cerfs-volants !
M. François Fillon, Premier ministre. - ...destruction des bouddhas de Bamiyan ; lapidation publique des condamnés. L'Afghanistan d'avant 2001, c'était quinze millions de femmes sans visage, interdites d'école, privées de soins ; c'était trente millions d'Afghans ployant sous le régime du fanatisme et de la haine.
Depuis 2001, les efforts de la communauté internationale, des autorités locales et du peuple afghan ont commencé à porter leurs fruits. L'Afghanistan possède désormais des institutions démocratiques. Les femmes y jouissent de droits similaires à ceux des hommes. Le nombre d'enfants scolarisés est passé de 900 000 en 2001 à 6,4 millions. A Kaboul, désormais cinq universités comprenant quatorze facultés accueillent 10 000 étudiants. La mortalité infantile a baissé de 26 % et 80 % de la population ont accès aux soins contre 8 % en 2001. En matière d'infrastructures, 4 000 km de routes ont été construits ; plus d'un millier de projets de développement sont conduits par les pays de l'Otan. La croissance de l'économie atteint un rythme de 13 %. (Exclamations à gauche)
L'Union européenne a engagé 3,7 milliards pour la période 2002-2006 et 600 millions ont été annoncés par la Commission pour la période 2007-2010. Ces fonds vont principalement à l'amélioration de l'État de droit, à la réforme des services publics et aux infrastructures. À la demande du président Karzaï, la France organisera à Paris, en juin, une grande conférence, destinée à accroître la mobilisation de la communauté internationale.
L'armée afghane compte désormais 50 000 hommes et bientôt 80 000 et la France prend une part active à sa formation. L'Union européenne et les États-Unis travaillent à la mise en place d'une police moderne déjà dotée de 75 000 hommes. Grâce à quoi, 70 % des incidents sont aujourd'hui cantonnés à 10 % du territoire.
Tous ces progrès sont encore insuffisants et fragiles. Ils réclament de notre part de la persévérance, un renouvellement de la stratégie commune, pour amplifier la sécurisation du pays, approfondir son développement économique et social, accélérer le plein exercice de la souveraineté nationale par les autorités afghanes.
Tels sont les objectifs que le Président de la République fera valoir demain, à Bucarest. Il l'a dit devant le parlement britannique : la France a proposé à ses alliés de l'Alliance atlantique une stratégie pour permettre au peuple afghan et à son gouvernement légitime de construire la paix. Si ses conditions sont acceptées, elle proposera lors du sommet de Bucarest de renforcer sa présence militaire. Voilà pourquoi les modalités de cet effort ne sont pas encore arrêtées.
Le 18 février, le chef de l'État a écrit à ses homologues de l'Otan pour leur indiquer ces conditions : confirmation par les alliés de leur détermination à maintenir leur effort dans la durée ; adoption d'une stratégie politique partagée ; meilleure coordination des efforts civils et militaires sur le terrain ; accroissement de l'effort de formation au profit des forces de sécurité afghanes. Cela doit permettre une « afghanisation » de la sécurité du pays, c'est-à-dire la prise en charge par les Afghans eux-mêmes de leur propre sécurité ; rien ne nous paraît plus important que cette afghanisation, qui dessine à moyen terme l'autonomie de l'État afghan et notre retrait.
Ces conditions seront débattues demain, et le Président de la République précisera notre engagement au regard de vos analyses et au vu des conclusions du sommet. Celui-ci devra tenir compte de notre dispositif sur place, des réalités du terrain et des réponses de nos partenaires à nos questions. Nos forces armées peuvent être amenées à s'investir davantage dans les échelons de commandement, en particulier à Kaboul, dans la formation de l'armée afghane, dans les unités réparties sur le territoire pour assurer la sécurité des populations et garantir les progrès de la reconstruction. Ses effectifs pourraient être de l'ordre de quelques centaines de soldats supplémentaires.
Trois voies se dessinent. Retirer nos troupes, et donner ainsi le signe que nous n'assumons plus nos responsabilités vis-à-vis de l'ONU et que nous rompons la solidarité qui nous unit à nos plus fidèles alliés, dont plusieurs s'apprêtent à accroître leurs effectifs ; le sort de l'Afghanistan nous deviendrait indifférent. Choisir le statu quo, et c'est l'enlisement de nos objectifs et l'impuissance de la France à peser sur la stratégie de la communauté internationale. Accentuer nos efforts dans le cadre des conditions que nous avons posées : alors nous amplifions les chances de la paix.
La paix de l'Afghanistan conditionne une part de notre sécurité, et donc de notre liberté. C'est un combat difficile, mais juste. (Applaudissements prolongés à droite et au centre)
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. - (Applaudissements sur les bancs UMP) Je voudrais tout d'abord me féliciter que, par anticipation de la réforme constitutionnelle que nous aurons prochainement à étudier, le Gouvernement ait proposé ce débat sur l'engagement de nos forces armées en Afghanistan. Il nous avait été refusé en 2001. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Jean-Louis Carrère. - C'est le président Chirac qui l'avait refusé !
M. Josselin de Rohan, président de la commission. - La permanence de cet engagement et son renforcement avaient été annoncés par le Président de la République dans son allocution à la conférence des ambassadeurs le 27 août dernier. II y avait affirmé que « notre devoir, celui de l'Alliance atlantique, est aussi d'accentuer nos efforts en Afghanistan ».
En répondant à l'appel de nos alliés canadiens et américains, nous poursuivons l'action que nous menons depuis plusieurs années pour combattre un terrorisme fanatique qui menace nos intérêts vitaux et pour permettre au peuple afghan et à son gouvernement légitime d'établir une paix durable sur son territoire et de construire un État capable d'assurer la sécurité et le développement de ses habitants.
Nous entendons, depuis quelques jours, d'assez étranges déclarations. Pour d'aucuns, les forces de l'Otan seraient une armée d'occupation. C'est oublier qu'elles sont présentes sur le sol afghan en vertu d'un mandat des Nations Unies et qu'elles n'ont d'autre but que de rendre à l'Afghanistan sa stabilité, sa souveraineté et son intégrité. En aucun cas d'y instaurer un protectorat. Pour d'autres, il ne s'agirait que de rechercher les bonnes grâces des États-Unis et de s'aligner sur leur politique. Nous sommes librement en Afghanistan, nous pouvons retirer nos troupes à tout moment, c'est d'ailleurs ce que nous avons fait l'an dernier pour nos forces spéciales. La situation exige aujourd'hui que nous renforcions notre dispositif, mais nous n'envoyons pas un corps expéditionnaire dans ce pays. Sur le terrain, nos soldats, auxquels je rends hommage, exercent leur mission avec un courage et un professionnalisme reconnus de tous. Ils ont droit à notre soutien et à notre reconnaissance.
Pour autant, la situation en Afghanistan nous conduit à nous interroger sur un certain nombre de points. Nous nous interrogeons tout d'abord sur la capacité du gouvernement Karzaï d'assumer ses responsabilités et d'affirmer son autorité. La corruption est endémique, la lutte contre le trafic de drogue rendue inefficace par l'implication directe de certains responsables de haut rang, la réforme de l'État, en particulier du secteur de la justice, semble en panne.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Tiens...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Tout était parfait, pourtant...
M. Josselin de Rohan, président de la commission. - Nous nous interrogeons sur l'engagement de certains de nos alliés à maintenir leur effort à moyen terme et sur les raisons qui conduisent d'autres pays à refuser toute participation à la lutte commune. Nous mettons en doute la capacité de l'Otan à assurer la sécurité de l'État et des populations, alors que l'insurrection des talibans paraît progresser et que l'autorité du Gouvernement ne s'étend que de manière imparfaite aux régions dominées par les seigneurs de la guerre.
M. Robert Bret. - L'accord n'est donc pas total...
M. Josselin de Rohan, président de la commission. - Le gouvernement central, miné par la corruption, le népotisme et le favoritisme ethnique, les échecs en matière de réconciliation, de reconstruction et de développement économique, semble avoir perdu la confiance de larges couches de la population. De quoi l'avenir sera-t-il fait, alors que les élections générales et présidentielle doivent se tenir en 2009 et que la politique intérieure afghane se caractérise par un rééquilibrage des forces politiques ?
Quelle est l'efficacité de l'aide à la reconstruction de ce pays ? La prochaine conférence de Paris devra examiner les problèmes de l'aide liée qui représente 57 % du total, du coût des intermédiaires qui absorbent plus de la moitié de l'aide, des moyens d'augmenter les aides budgétaires, et lancer le débat sur la capacité des élites afghanes à participer à la reconstruction et au développement de leur pays.
Ces interrogations et ces incertitudes sont celles de toute la communauté internationale, comme en témoigne la résolution 1806, adoptée le 20 mars dernier par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Elles ne doivent cependant pas masquer d'indéniables succès dont le premier est sans discussion la chute du régime des talibans en 2001, qui a privé Al Qaïda de sa base territoriale sanctuarisée.
L'action internationale a permis le retour de sept millions de réfugiés, la scolarisation de six millions d'enfants, la mise en place d'institutions nationales telles les deux chambres du Parlement, dont nous sommes les partenaires depuis 2006. Aux dires du Secrétaire général de l'Otan, 72 % des incidents ont lieu sur 10 % du territoire où habitent 6 % de la population.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Vous croyez au Père Noël !
M. Josselin de Rohan. - Il reste cependant un long chemin à parcourir pour que la situation se normalise. Le retour à la sécurité passe par la poursuite et le renforcement de l'engagement militaire, pour mettre au pas les bandes armées qui tentent, souvent avec un appui extérieur, d'imposer leur loi. Tant que l'armée afghane n'est pas capable de maintenir l'ordre, la présence des forces de la coalition est indispensable.
La paix ne sera pas acquise par le seul recours aux armes. C'est pourquoi le Président de la République a mis quatre préalables au renforcement de nos effectifs : l'affirmation d'une commune détermination des alliés à rester engagés dans la durée, ce qui semble faire aujourd'hui l'objet d'un consensus ; la mise en oeuvre d'une politique globale et coordonnée visant à un règlement du conflit sous l'égide des Nations unies ; la perspective d'un transfert des responsabilités, à tous les niveaux, aux Afghans eux-mêmes, ce qui nécessite une plus grande implication des structures locales de telle sorte que les Alliés puissent se concentrer dans les zones les plus difficiles, notamment le sud du pays ; enfin l'adoption d'une stratégie politique partagée. La sécurité passe en effet par le soutien à la politique de réconciliation du président Karzaï et par des efforts diplomatiques pour réduire les tensions avec le Pakistan. A cet égard, la constitution du nouveau gouvernement pakistanais permet d'espérer une ouverture et un rapprochement ; le Pakistan doit renoncer à une politique ambiguë qui allie lutte contre certaines tribus islamistes et absence d'intervention dans des zones qui servent de refuge aux responsables d'Al Qaïda. La déclaration commune qui doit être adoptée à Bucarest reprend ces quatre préalables.
Ceux qui nous annoncent un nouveau Vietnam, qui s'opposent avec véhémence à l'envoi de contingents français, ceux qui préconisent le retrait de toutes les forces alliées ont-ils réfléchi aux conséquences d'un retour des talibans ? Se souviennent-ils que sous leur joug, les Afghans ne pouvaient pas écouter de musique, voir des films, lire des ouvrages profanes, professer une quelconque opinion politique ? Ont-ils en mémoire le spectacle de ces femmes lapidées pour adultère supposé dans le principal stade de Kaboul ? Nous avons été les témoins, Mme Gisèle Gautier, M. Boulaud et moi-même, du vandalisme culturel qui a conduit à la destruction des magnifiques bouddhas de Bamiyan ! Se souviennent-ils de la régression économique, culturelle, sociale sans précédent que les talibans ont imposé au peuple afghan ? Veulent-ils laisser les assassins d'Al Qaïda retrouver les bases d'où ils prépareront de nouveaux attentats ? Ont-ils oublié le sacrifice de ceux qui, comme le commandant Massoud, ont lutté avec courage contre l'envahisseur soviétique, puis contre la tyrannie des talibans ?
Parce que nous voulons que l'Afghanistan, qui n'a jamais été dompté, demeure libre, parce qu'un Afghanistan indépendant et pacifié est indispensable à l'équilibre de l'Asie, nous approuvons la présence française dans ce pays, étant entendu qu'il faut tout mettre en oeuvre pour parvenir à une solution politique. Ce conflit n'a que trop duré. (Applaudissements à droite et sur quelques bancs au centre)
M. Didier Boulaud. - (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur quelques bancs CRC) Il y a d'abord la forme. Le Gouvernement a, dans un premier temps, refusé tout débat ; or l'isolement de l'exécutif n'est jamais bon signe dès qu'il s'agit d'engagement militaire. Le Président de la République déclarait lors de la campagne présidentielle que si l'envoi de troupes françaises en Afghanistan était utile dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, leur présence à long terme n'était pas décisive. Aujourd'hui, il fait volte-face (mouvements divers à droite) ; qu'il l'ait fait à l'étranger est de plus une faute. (On se récrie à droite)
Deux petites heures de débat, vingt minutes pour l'opposition, pas de vote : voilà ce à quoi nous sommes invités aujourd'hui. M. Jospin, malgré vos affirmations, était venu devant le Parlement avec une déclaration solennelle...
M. Josselin de Rohan, président de la commission. - Pas ici !
M. Didier Boulaud. - C'est seulement la cohabitation qui avait fait obstacle au vote. (Applaudissements à gauche ; vives protestations à droite où l'on juge le propos ridicule)
M. François Fillon, Premier ministre. - C'est faux, absolument faux !
M. Didier Boulaud. - En Afghanistan, il y a une guerre ; le Président de la République pourrait, comme l'a fait François Mitterrand en 1991, demander un vote du Parlement. Nous aurions pu éviter les polémiques inutiles...
M. Dominique Braye. - Avec vous, c'est impossible !
M. Didier Boulaud. - ...si la fonction de contrôle du Parlement avait été respectée. Le 25 mars dernier, le ministre des affaires étrangères nous indiquait que « la nature du renforcement des troupes françaises n'était pas encore décidée mais qu'elle serait très certainement précisée lors du prochain sommet de l'Otan, qui se tiendra du 2 au 4 avril à Bucarest, et de la Conférence des donateurs le 12 juin prochain ». Or c'est le lendemain que le président Sarkozy a prononcé son désormais célèbre discours de Westminster, en annonçant au Parlement britannique ce que son ministre avait caché au Parlement français. La méthode est détestable. (Applaudissements à gauche)
Le débat de ce jour, sur une question dont la gravité n'échappe à personne, est une gageure. C'est surtout un manque de respect à l'égard des hommes et des femmes qui pourraient aller, au péril de leur vie, défier les dangers de la situation afghane. (Applaudissements à gauche, protestations à droite)
M. François Fillon, Premier ministre. - C'est honteux !
M. Didier Boulaud. - Et puis il y a le fond. Pourquoi une telle décision, pourquoi maintenant ? Et au service de quelle stratégie ? Les États-Unis et l'Otan souhaitent, depuis 2005, un accroissement de la présence militaire française ; les gouvernements successifs de la droite ont tergiversé, concédé un peu, sans accorder ce qui leur était demandé. Qu'est-ce qui a changé ? Y-a-t-il un lien entre cette décision et la tentation de réintégrer notre pays dans la structure militaire de l'Otan ?
M. Robert Bret. - Oui !
M. Didier Boulaud. - Cette décision découle-t-elle de la situation militaire ? Ou s'agit-il, au-delà du dossier afghan, d'un alignement croissant sur la politique unilatéraliste du président Bush ? Si tel est le cas, vous faites fausse route !
Avant tout envoi de troupes supplémentaires, nous devrions avoir droit à un bilan complet de la situation en Afghanistan depuis 2005, une situation qui nous incite à ne pas poursuivre des stratégies qui ont montré leurs limites. Ce débat ne peut tenir lieu de réflexion stratégique, notamment sur les modalités d'une implication croissante, politique et militaire, des Afghans.
Si l'on en croit les ministres du Gouvernement, cette réflexion aura lieu à Bucarest et lors de la Conférence des donateurs : c'est mettre la charrue avant les boeufs, puisque le Président a déjà annoncé que la France renforcera sa présence militaire. Le ministre de la défense a expliqué que des préalables avaient été définis par le Président de la République. De quoi s'agit-il ? De notre place au sein de l'Alliance atlantique ? De la réintégration au sein de la structure militaire de l'Otan ? De la place et du rôle de la défense européenne ? S'agit-il de préalables ou de conditions ? Ou est-ce l'habillage d'un alignement croissant derrière le leadership nord-américain ?
Le récent voyage du Président en Grande-Bretagne laisse augurer une nouvelle politique étrangère, plus atlantiste, au détriment de notre partenariat historique avec l'Allemagne. La vision qu'a la majorité de l'avenir de l'Union européenne épouse-t-elle désormais les thèses britanniques ? Allons-nous taire nos différences sur des stratégies qui sont en train de faillir ?
Certes, la communauté internationale doit encore honorer ses engagements envers la sécurité et la stabilité futures de l'Afghanistan. La situation n'incite pas à l'optimisme, car la stratégie de guerre au terrorisme chère à George Bush est un échec : les militaires ne parviennent pas à contenir une insurrection islamiste qui contrôle à nouveau une bonne partie du pays. Les objectifs de 2001 sont loin d'être atteints. Le conflit en Irak s'est aggravé, la paix au Proche-Orient et la création d'un État palestinien sont ajournées sine die ; la seule préoccupation du gouvernement français est-elle de répondre aux exigences américaines ? L'engagement extérieur doit avoir une cohérence européenne ; une concertation s'impose d'urgence au sein de l'Union.
Bien entendu, nous exprimons notre plein soutien aux forces européennes sous commandement de l'Otan déployées en Afghanistan. Dans la lutte contre le terrorisme, la France a montré sa disponibilité et sa volonté sans faille. Mais cette lutte doit être menée en tirant les leçons des erreurs commises. Notre autonomie de décision est à ce prix et doit être garantie.
La France a déployé 1 600 soldats sur le sol afghan, 2 200 si l'on compte les unités présentes dans les pays voisins et l'océan Indien. Dans la situation actuelle, toute présence supplémentaire serait une erreur. La politique menée sous influence américaine est un échec. Nous réclamons, alors que l'enlisement dans le bourbier afghan devient réalité, le maximum de garanties pour nos soldats, au courage desquels il faut rendre hommage. En étroite concertation avec les forces de la communauté internationale, sans soumission ni alignement sur des politiques qui ont failli, nous devons reconsidérer l'action menée en Afghanistan et revoir toute la stratégie politique et militaire.
Quelle est la situation en Afghanistan après six années de guerre -une guerre et non, comme je l'ai encore entendu ce matin, une opération de sécurité ? Selon la presse internationale, « le président Karzaï va faire appel aux milices pour rétablir la sécurité en Afghanistan. L'armée nationale afghane ne compte en effet que 30 000 hommes, au lieu des 86 000 prévus fin 2007 ». Ces milices avaient été démantelées en 2003 : quel aveu d'échec ! Le terrorisme taliban ne cesse d'augmenter depuis 2005.
Cette situation a un coût énorme en vies humaines et aussi un coût économique. Les États-Unis, qui s'emploient à conserver la maîtrise politique et stratégique du processus, veulent, en revanche, en partager le fardeau économique avec leurs alliés et la communauté internationale.
Cette guerre asymétrique oppose les meilleurs matériels, des techniques ultrasophistiquées et des budgets colossaux à des combattants décidés, mais à l'armement plus rudimentaire et aux techniques parfois artisanales. Comment mener ce conflit ? On peut également s'interroger sur la confusion entre l'action de l'Isaf-Otan et celle de la coalition « Liberté immuable ». Plantations d'opium et production d'héroïne règlent l'économie du pays ; va-t--on les combattre avec des moyens aériens ?
Et peut-on envisager de résoudre le problème afghan sans aborder la question pakistanaise ? Pour assurer la sécurité en Afghanistan, il faut un engagement politique ouvert et franc avec ses voisins, notamment l'Inde et le Pakistan.
La croissance de l'insurrection traduit un échec collectif, puisque six ans après l'éviction des talibans, la communauté internationale peine à fixer un ensemble d'objectifs communs. Les États-Unis, qui exigent un engagement accru de leurs alliés, devraient comprendre que leurs actions unilatérales affaiblissent la volonté des autres.
La crédibilité de l'Otan en Afghanistan dépend aussi de la reconstruction économique et sociale du pays, où la misère constitue le terreau du terrorisme. Une meilleure gouvernance de l'Afghanistan, une coordination accrue des institutions internationales et un plan global de lutte contre le narcotrafic sont des tâches auxquelles la communauté internationale ne peut se soustraire. La France doit apporter sa contribution et utiliser sa présidence de l'Union européenne pour favoriser une prise de conscience en ce sens.
Faut-il combattre les talibans ? Oui ! (Exclamations de soulagement à droite) Faut-il combattre l'extrémisme religieux et politique en Afghanistan ? Oui ! (Mêmes exclamations sur les mêmes bancs) Faut-il soutenir l'essor, fragile et limité, de la démocratie en Afghanistan ? (« Oui ! » à droite) Oui, mais pas avec la méthode actuelle !
La situation en Afghanistan est d'abord une affaire de sécurité collective à l'échelle mondiale, mais la présence internationale ne saurait y être indéfinie. Il faut donc élaborer une politique de rechange donnant à l'ONU un rôle central pour coordonner les efforts internationaux en matière de justice et de gouvernance régionale, avec le soutien des pouvoirs locaux légitimes et dans le respect de la souveraineté afghane. La lutte contre la drogue pourrait également être confiée aux agences des Nations-Unies.
Nous devons veiller à la sécurité du peuple afghan, mais la présence militaire ne peut constituer une stratégie économique, politique et sociale de développement.
Avant de conclure cette brève intervention, je souhaite citer une analyse pertinente, publié sur un blog le 25 mai 2006 : « Laurent Zecchini signe dans Le Monde du 25 mai un article très intéressant sur « l'irakisation » de l'Afghanistan. Après l'attaque qui a fait deux victimes parmi les forces spéciales françaises, l'inquiétude grandit chez les militaires français, qui constatent que les talibans agissent désormais sur deux registres : celui du terrorisme, mais aussi celui de la guérilla avec des méthodes de combat sophistiquées. Ils se sont endurcis au contact des forces occidentales et, loin de baisser les bras, ils redoublent d'activité. Les opérations massives de l'Isaf pour éradiquer la culture du pavot font basculer les paysans dans le camp des talibans. La corruption du gouvernement afghan et de son administration, le jeu trouble des services de renseignements pakistanais contribuent à aggraver la situation militaire.
« L'Histoire nous a enseigné que l'Afghanistan ne peut être soumis. Comment donc obtenir l'adhésion des peuples auxquels nous sommes venus prêter assistance ? Cette question est fondamentale car elle conditionne toute notre réflexion sur l'organisation de notre défense et sur l'architecture d'une défense européenne. »
Monsieur le Premier ministre, puisqu'il s'agit de votre blog (exclamations enthousiastes et applaudissements nourris à gauche), avant d'envoyer d'autres soldats dans le bourbier afghan, tentez de répondre à cette question, qui, une fois n'est pas coutume, pourrait être aussi la nôtre ! (Applaudissements prolongés à gauche)
M. André Dulait. - (Applaudissements à droite) Les sénateurs du groupe UMP approuvent l'initiative du Président de la République, qui souhaite envoyer des troupes supplémentaires en Afghanistan, parce que l'enjeu est stratégique et parce que la France doit rester aux côtés de ses alliés autant qu'il sera nécessaire pour assurer la stabilité de ce pays. Cette évolution des moyens mis à la disposition du gouvernement afghan, pour qu'il puisse combattre une insurrection durcie et l'essor d'une économie fondée sur le narcotrafic, prolonge la décision prise en 2001, sous le Gouvernement de M. Jospin, après un débat parlementaire.
Vu l'enjeu, le Président de la République a souhaité qu'un débat ouvert se déroule au Parlement, ce dont nous nous félicitons. À l'heure où l'on envisage de renforcer le rôle de la représentation nationale, il est indispensable de l'informer sur ce renforcement qui devrait être officiellement annoncé lors du prochain sommet de l'Otan à Bucarest. Notre débat est d'autant plus opportun que le sommet de l'Alliance portera essentiellement sur la fixation de nouvelles priorités pour la reconstruction économique et démocratique du pays.
Une meilleure coordination des acteurs sur le terrain est indispensable, notamment sous l'égide de l'ONU et de son nouvel envoyé spécial, tout en respectant la souveraineté du gouvernement afghan.
Malgré les réels progrès constatés sur le terrain, les contributions des alliés doivent être accrues. La France inscrit son action dans ce cadre. Elle doit maintenir le lien entre un effort supplémentaire et une approche globale de la situation, notamment en termes de développement. La communauté internationale doit fournir un effort considérable pour éviter l'enlisement. La France doit prendre toute sa part à cette tâche, l'une des plus délicates que notre pays et l'Otan aient jamais entreprises. C'est une contribution essentielle à la sécurité internationale, car tout échec déstabiliserait la région. N'en doutons pas : ce qui se passe dans ce pays est d'une importance mondiale. En effet, malgré la distance qui nous sépare de l'Afghanistan, la fermentation mafieuse et islamiste est un sujet de préoccupation. La gravité des tensions interethniques et interconfessionnelles afghanes dépasse largement le cadre de cet État : l'Afghanistan est devenu l'épicentre terroriste et criminel propageant des idéaux islamistes et une économie fondée sur le trafic de drogue, deux faits qui justifient une coopération dans le cadre de l'Otan et dans celui des opérations menées directement sous autorité américaine.
Nous savons quelles conditions historiques et politiques ont amené l'Afghanistan au sort qui est le sien.
Créée par le Conseil de sécurité de l'ONU, l'Isaf comporte 43 000 hommes. Plus qu'une force des Nations-Unies, c'est une coalition de pays volontaires, avec un chef de file qui assume le commandement. Son extension au sud et à l'est, depuis octobre 2006, se heurte aux violences qui affectent ces secteurs. L'Alliance atlantique veut permettre à l'Afghanistan -après des décennies de conflits, de destruction et de pauvreté- d'avoir un gouvernement représentatif et de jouir de la paix. L'Otan joue un rôle clé dans le « Pacte pour l'Afghanistan », ce plan quinquennal conclu entre le gouvernement afghan et la communauté internationale qui fixe des objectifs de sécurité, de gouvernance et de développement économique.
Depuis le début des opérations, les objectifs sont clairs : éradiquer les talibans et l'extrémisme religieux ; mener une politique de développement social. Dans ce contexte, la décision du Président de la République répond à une réalité du terrain. D'ailleurs, les talibans se sont engagés sur internet « à chasser les forces étrangères en leur infligeant des coups douloureux » ce printemps.
Je rappelle que la mission de l'Otan s'effectue sous mandat de l'ONU. Nous soutenons l'initiative du Président de la République parce que nous sommes résolus à ce que la mission de l'Isaf soit un succès civil et militaire. Ce processus a une légitimité internationale certaine. Avant de le balayer du revers de la main, il faut l'apprécier correctement. L'Isaf n'est pas une force d'occupation et ne le deviendra pas. Elle agit au nom des Nations-Unies, pour la paix et la sécurité internationale. La France ne peut être absente de son action, au risque de voir les talibans reprendre l'avantage, avec les conséquences que l'on imagine pour toute la région.
Nous comptons actuellement plus de 1 500 soldats sur place, les deux tiers à Kaboul. Quelque 300 instructeurs français forment la nouvelle armée, 200 de nos militaires accompagnant les unités afghanes au combat. Nos Rafale et nos Mirage basés à Kandahar apportent un soutien aérien à la coalition internationale. Loin d'être anecdotique, notre présence mérite donc notre profond respect. Au nom du groupe UMP, je rends hommage au dévouement et au courage de nos troupes sur place. (Applaudissements à droite)
Depuis leur renversement fin 2001 par une coalition internationale dirigée par les États-Unis, les talibans mènent une insurrection sanglante, en particulier dans le sud et l'est, qui a fait 8 000 morts en 2007 selon les Nations-Unies.
La hardiesse et la fréquence des attaques-suicide à la bombe, des embuscades et des tirs directs ont augmenté. Le maintien de la sécurité dépend des forces nationales afghanes qui n'ont actuellement ni les effectifs ni les compétences professionnelles requises. L'Afghanistan a donc besoin de la communauté internationale pour assurer sa sécurité, sa stabilité et son développement.
La transition dans ce pays se trouvant soumise à des pressions croissantes sous l'effet de l'insurrection, de la faiblesse de la gouvernance et de l'économie de la drogue, le Gouvernement afghan, avec l'appui de la communauté internationale, doit faire preuve de volonté politique en prenant les mesures nécessaires pour retrouver l'initiative dans chacun de ces domaines et regagner la confiance de la population par des moyens tangibles et concrets.
Les relations avec le Pakistan sont fondamentales pour assurer la sécurité et la prospérité régionales. Il convient donc de définir, au plus vite, une stratégie et des plans de sécurité civils et militaires intégrés et efficaces. Une réponse militaire coordonnée demeure indispensable aujourd'hui pour vaincre les groupes d'insurgés et de terroristes mais, à moyen terme, le succès dépendra de la participation des communautés locales et de l'instauration d'un climat de sécurité durable propice au développement.
N'en doutons pas : seuls, nous ne battrons pas les talibans. La bataille pour la démocratie et le progrès ne sera définitivement gagnée que par le peuple afghan. La formation de l'armée et de la police afghanes et le développement civil de ce pays sont donc une priorité : la France peut et doit jouer un rôle majeur dans sa mise en oeuvre et c'est pourquoi nous approuvons le renforcement du contingent français en Afghanistan. II ne faut pas reculer et nous n'avons pas le droit d'échouer même si tout conflit comporte une part d'incertitude.
Nous attendons de votre part, monsieur le ministre, des précisions sur les modalités, les affectations et le coût d'une telle opération. (Applaudissements à droite tandis qu'on manifeste quelque ironie sur les bancs du CRC)
Mme Michelle Demessine. - L'annonce faite la semaine dernière par le Président de la République devant le parlement britannique de renforcer de 1 000 hommes le contingent militaire français en Afghanistan...
M. François Fillon, Premier ministre. - C'est faux !
Mme Michelle Demessine. - ...a suscité de très nombreuses réactions et une vive émotion dans notre pays. Dans un récent sondage, 68 % de nos compatriotes désapprouvent cette décision. Face à cette situation, Nicolas Sarkozy et votre gouvernement ont été contraints d'accepter, à la demande de tous les groupes parlementaires, ce débat devant la représentation nationale. (M. de Rohan hausse les épaules)
En cédant ainsi de façon complaisante aux pressantes sollicitations des États-Unis, vous portez atteinte à la dignité et à l'autonomie de décision de notre pays. Outre le fait que cette annonce ait été faite à l'étranger avant même que le Parlement n'en soit informé, les raisons qui la motivent et les conséquences qu'elle entraînera n'ont pas été clairement exposées par le Président de la République. Le pays et ses représentants apprennent ainsi, une fois de plus, par les médias, qu'une nouvelle phase de notre engagement est en cours, sans aucune précision sur le cadre général, les missions et le calendrier de l'opération. Il s'agit d'un revirement de la part de celui qui, candidat à l'élection présidentielle, affirmait : « La présence à long terme des troupes françaises à cet endroit du monde ne me semble pas décisive » et qui avait promis de poursuivre la politique de désengagement progressif initiée par son prédécesseur.
Nos concitoyens n'admettent plus aujourd'hui que des décisions qui concernent de façon si symbolique la Nation soient prises sans que leurs représentants n'aient été informés ni consultés. Puisque nos troupes vont une nouvelle fois être dangereusement exposées dans un conflit incertain et ambigu, qui risque d'avoir des conséquences sur la sécurité même de notre territoire, il était inacceptable que nous ne débattions pas de l'opportunité de cette intervention. En acceptant ce débat, vous reconnaissez cet état de fait mais ayez maintenant le courage d'accepter un vote parlementaire, comme l'avait fait François Mitterrand lors de la première guerre du Golfe. Sinon, pourquoi débattre si cette décision est irrévocable ? Avec un vote, chacun serait face à ses responsabilités : en Afghanistan, c'est bien d'une guerre, dans laquelle quatorze de nos soldats ont déjà perdus la vie, qu'il s'agit. Pourquoi envoyer là-bas des troupes supplémentaires qui ne pourront pas répondre à des défis qui les dépassent ?
A l'origine de cette opération, il y eut les attentats du 11 septembre et la décision unilatérale de l'administration Bush de lutter contre quelques groupes combattants dans les montagnes afghanes. Les États-Unis ont d'abord constitué une coalition à géométrie variable pour renverser le régime des talibans à Kaboul. L'Alliance atlantique n'a été sollicitée qu'ensuite, pour prendre le commandement d'une force internationale d'assistance à la sécurité, l'Isaf, mise en place avec la bénédiction des Nations unies après la chute des talibans. C'est dans ce contexte que nous avons rapidement rallié cette force, sans avoir été associés à la définition des objectifs : lutter contre le terrorisme et reconstruire un état en faillite. Où en sommes-nous, sept ans après ? Les talibans sont de retour dans l'est et dans le sud, les troupes de l'Otan s'épuisent à les poursuivre dans les montagnes, alors que la culture de l'opium est plus florissante que jamais et que l'État afghan est corrompu jusqu'au plus haut niveau. La stratégie essentiellement militaire est inadaptée, voire contre-productive. Elle contribue à accroître les tensions et mène tout droit à l'enlisement car elle n'offre aucune perspective de règlement politique et diplomatique de la situation. Comme en Irak, à cause des frustrations et des réactions qu'elle suscite auprès des populations, elle est le terreau sur lequel prospèrent tout ceux qui jouent la politique du pire et spéculent sur l'impuissance de la communauté internationale.
Cet échec militaire annoncé met aussi en évidence le profond déséquilibre entre les dépenses militaires et l'aide à la reconstruction et au développement. Chaque jour, les États-Unis dépensent 100 millions de dollars pour la guerre, quand le total de l'aide internationale à la reconstruction ne dépasse pas 7 millions. C'est pourquoi nous doutons de la pertinence de la stratégie des forces de l'Otan et nous nous interrogeons sur les objectifs visés. Un récent rapport d'une agence regroupant la centaine d'ONG qui travaillent sur place révèle aussi l'ampleur des promesses non tenues en matière d'aide internationale qui est gaspillée, inefficace et mal coordonnée. Sur les 25 milliards de dollars promis, seuls 15 milliards ont été effectivement versés. Notre pays n'est d'ailleurs pas exempt de reproches. Nous allons accueillir une nouvelle conférence des donateurs en juin, mais le montant de notre aide à la reconstruction arrive loin derrière celui de la Grande-Bretagne, de l'Allemagne, de l'Espagne, des Pays-Bas, du Danemark, de la Suède et même de la Finlande.
Bien que nous apprêtions à renforcer notre dispositif militaire, le Président de la République ne semble pas disposé à augmenter notre aide bilatérale. Ce déséquilibre est à comparer avec les 100 à 200 millions d'euros supplémentaires prévus pour cette intervention par le budget des opérations extérieures qui flirte déjà avec le milliard, après le lancement de la mission Eufor au Tchad. Comment allez-vous financer ces surcoûts, monsieur le Premier ministre, quels crédits militaires en feront les frais ?
Enfin, nous n'avons pris en charge aucune des vingt-six équipes provinciales de reconstruction, ces équipes civilo-militaires qui permettent d'atténuer quelque peu les ravages causés par ce conflit.
Pour quelles raisons inavouables annoncer maintenant l'envoi de quelques 1 000 soldats supplémentaires, vraisemblablement dans une province sous commandement américain et dangereusement exposée, alors que la stratégie menée conduit à l'enlisement militaire, qu'elle provoque des dissensions au sein de nos alliés et que la France n'a pas, pour l'instant, obtenu de garantie sur une éventuelle modification de celle-ci ?
Certes, M. le Premier ministre a précisé hier que le Président de la République avait l'intention, demain à Bucarest, de poser trois conditions à l'envoi de nos renforts. Pourtant, annoncer une décision avant même d'obtenir des garanties de nos partenaires n'est pas une façon de procéder digne de notre pays.
M. François Fillon, Premier ministre. - C'est faux !
Mme Michelle Demessine. - Bien que l'Otan s'embourbe en Afghanistan, le Président de la République accepte de suivre sans sourciller une stratégie belliqueuse, inefficace et inadaptée. En cédant ainsi aux demandes répétées du commandement militaire de l'Otan et aux pressions des États-Unis, il prouve son alignement atlantiste. Comment ne pas s'indigner d'une telle complaisance dangereuse à l'égard d'une administration finissante et alors même que la politique étrangère américaine pourrait changer dans quelques mois ?
M. Paul Girod. - C'est vous qui le dites !
Mme Michelle Demessine. - Renforcer notre dispositif militaire dans ce pays est un gage d'allégeance donné aux États-Unis. C'est aussi une contrepartie à la réintégration de notre pays dans les structures de commandement militaire d'une Alliance atlantique encore largement soumise aux États-Unis. C'est une rupture brutale avec la politique d'indépendance de la France. A la veille du sommet de Bucarest, cette décision semble malheureusement conforme à la volonté des États-Unis de transformer l'Otan en une alliance du monde occidental opposé aux pays émergents, agissant hors du cadre des Nations-Unies et se comportant en gendarme du monde au service de la politique américaine.
Nous présiderons bientôt l'Union européenne et cette réintégration laisse peu de crédibilité à une Europe de la défense réellement autonome. Ces évolutions éclairent d'un jour nouveau ce que nous avions dénoncé lors de la ratification du traité de Lisbonne, quand nous vous interpellions sur le risque de subordination de la politique européenne de défense à l'Otan.
Si vous ramenez notre pays au rang de simple supplétif des États-Unis, le capital de sympathie dont bénéficie, depuis cinquante ans, la France dans le monde sera vite dilapidé.
Les annonces de l'été du Président de la République n'anticipent-elles pas sur la réflexion qui devait conduire à la rédaction d'un livre blanc, et ne traduisent-elles pas une crainte du débat démocratique ? Des changements d'orientation si fondamentaux ne peuvent s'opérer à la suite d'un simple débat, arraché par les parlementaires, sans vote. Comment, monsieur le Premier ministre, pouvez-vous vous déclarer favorable à la proposition émise par le comité Balladur de revaloriser le rôle du Parlement et nous refuser ce vote ? C'est une question de crédibilité !
Nous condamnons fermement le projet de renforcer nos troupes sur le terrain, qui va à l'encontre des objectifs affichés et, loin d'apporter les solutions politique et économique dont a besoin ce pays, aggravera les tensions régionales. Nous condamnons les opérations extérieures sans mandat de l'ONU ; elles sont une atteinte aux valeurs de la charte et au principe du multilatéral, condition sine qua non pour parvenir à un règlement du conflit. Ce n'est que dans le cadre des Nations Unies, et grâce aux garanties apportées par les membres du Conseil de sécurité, que pourra s'engager le processus de reconstruction et de démocratisation. Le Président de la République aurait été mieux inspiré de proposer à nos alliés de l'Otan une réorientation stratégique donnant priorité au processus politique.
M. François Fillon, Premier ministre. - C'est ce qu'il a fait.
Mme Michelle Demessine. - C'est la seule voie possible si nous voulons aboutir à une solution conforme aux intérêts de nos peuples. (Applaudissements à gauche)
M. Aymeri de Montesquiou. - Je voudrais tout d'abord dire combien Mme Goulet et l'ensemble de mon groupe ont milité en faveur de ce débat.
Le 11 septembre 2001, le monde fasciné, effaré, consterné assistait au plus effroyable attentat jamais fomenté et concrétisé. Les États-Unis étaient frappés au coeur. Deux jours auparavant, le Commandant Massoud, chef de l'Alliance du nord avait été assassiné à Khodja Bahauddin, au nord de l'Afghanistan, par deux tueurs commandités par Al Qaïda. La communauté internationale réalisait enfin le danger que représentait le fondamentalisme islamiste, jusqu'alors ignoré avec une surprenante insouciance. Peut-être parce que les Américains y avaient vu, pendant la guerre froide, la meilleure barrière contre le communisme et que cette politique a continué sur son aire comme un lourd tanker ? Ou parce que des stratégies économiques étaient en jeu, que les sociétés américaines Unocal et Delta espéraient acheminer les hydrocarbures d'Asie centrale vers le Pakistan ?
M. Robert Hue. - Exact !
M. Aymeri de Montesquiou. - Ou parce que, l'Afghanistan étant lointain, la France prônait une « neutralité active » ? Étonnant aphorisme !
Les États-Unis ne pouvaient laisser l'agression impunie. La corrélation entre les attentats contre le World Trade Center et les talibans apparaissait évidente. Ils exportaient un mal devenu planétaire, que l''ONU décidait enfin d'éradiquer. Le 13 novembre, les troupes américaines, en coordination avec l'Alliance du Nord, balayaient les talibans et occupaient Kaboul. Les Allemands, les Français, les Britanniques, les Hollandais venaient les renforcer. Les forces alliées furent accueillies comme des libérateurs. Six ans après, la situation s'est considérablement dégradée. Les attentats se multiplient ; les talibans évoluent impunément dans certaines villes. Pourtant, les troupes de la coalition sont passées de 20 000 à 58 000 soldats. Mais peut-être avons-nous oublié qu'il s'agissait d'une guerre asymétrique. Peut-on attendre de l'envoi de 1 000 soldats supplémentaires une inversion de cette tendance ? La guerre constitue toujours la pire des solutions, on ne doit y avoir recours qu'en dernière extrémité. A-t-on tout tenté ? Sans doute pas. (On approuve à gauche) Les 5 milliards de dollars promis ont-ils bénéficié à la population ? Non. (On le confirme à gauche) Ne faut-il pas totalement réorganiser et surtout contrôler l'utilisation de ces crédits ? Certainement. (On approuve à gauche) A-t-on tout fait pour éradiquer la culture du pavot qui finance en grande partie les talibans ? (« Non ! » à gauche) Bien évidemment pas. Il est inconcevable que grâce aux moyens d'observation satellitaires, on ne se décide pas à défolier les champs de pavots et à détruire les laboratoires. (On approuve à gauche) A-t-on mis en place une coopération avec le Tadjikistan, l'Ouzbékistan, le Turkménistan, l'Iran pour poser un garrot sur les flux de drogues qui, à travers l'Asie centrale et la Turquie, parviennent jusqu'en Europe, dont ils constituent plus des trois quarts de la consommation ? Non ! Pourquoi a-t-on laissé la Charia servir de socle à la Constitution afghane ?
Mme Raymonde Le Texier. - Absolument !
M. Aymeri de Montesquiou. - Alors que nous aurions pu l'éviter en soulignant qu'il fallait à tout prix une rupture constitutionnelle avec le régime des talibans et donner un plus grand sentiment de liberté à la population, et en particulier aux femmes, tout en affirmant qu'il n'y avait pas opposition entre démocratie et religion ?
Je me suis rendu à plusieurs reprises en Afghanistan, j'ai vécu quinze jours chez le Commandant Massoud. Il me rappelait que toutes les troupes étrangères avaient été vaincues. Oublions-nous l'anéantissement d'une armée britannique de 12 000 hommes, à l'exception d'un médecin épargné pour témoigner ? Oublions-nous que les Soviétiques furent saignés par cette guerre alors qu'ils y avaient engagé la première armée du monde ? L'Afghanistan est constitué de peuples différents, mais toute présence militaire étrangère les rassemble et génère un sentiment national très fort. (Applaudissements à gauche)
L'attitude que j'ai pu constater chez les chefs de guerre représentant les diverses provinces afghanes n'a jamais varié : ils désiraient être aidés par des envois d'armes et d'argent mais soulignaient l'allergie des Afghans à une présence armée étrangère. Cela dit, lorsque les forces de la coalition ont mis en déroute les talibans, elles ont été accueillies en libératrices après les années sombres pendant lesquelles les femmes avaient replongé dans une servitude moyenâgeuse, la musique était interdite, les Bouddhas de Bamiyan détruits, les petites filles condamnées à l'analphabétisme.
Pourtant, comme me l'avaient prédit ces guerriers, grands patriotes afghans, les soldats de l'Otan ne sont plus aujourd'hui considérés, par une grande partie de la population -qui estime que la situation économique ne s'est pas améliorée et constate, dans beaucoup de régions, que l'insécurité et la peur règnent-, que comme des occupants. Certains regrettent la paix du temps des talibans. En 2003, je m'étais entretenu avec des militaires, qui déjà déclaraient qu'au temps des talibans, au moins, ils étaient payés.
Les troupes de la coalition ressentent cette hostilité, elles ne sortent qu'armées et en groupe de leurs camps retranchés, sans fraterniser avec une population rétive.
Envoyer 1 000 soldats supplémentaires résoudra-t-il le problème de l'insécurité ? Les effectifs n'ont pas cessé d'augmenter, l'insécurité aussi. Le coût de ce contingent sera d'environ 150 millions d'euros sur un budget militaire total, pour l'ensemble de la coalition, de 35 milliards. Cette dépense sera-t-elle décisive ? On peut en douter. (« Très bien » à gauche) Bien sûr, la menace islamiste est réelle et nous devons faire preuve de solidarité vis-à-vis des alliés qui luttent contre elle. Mais n'oublions pas que tous les présidents de la Ve République ont toujours su hisser notre pays, dans le concert des nations, à un rang très supérieur à ce que son poids économique pouvait laisser attendre.
M. Robert Hue. - Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. - Vous qui vous réclamez, monsieur le Premier ministre, du Général de Gaulle, vous savez que si notre pays est toujours resté fidèle à ses alliances, il s'est aussi toujours montré indépendant dans ses analyses et ses choix. Si le coût de cet effort de guerre est évalué à 150 millions, ne peut-on réfléchir à l'alternative que constituerait un effort de paix financé à cette hauteur ? (Applaudissements à gauche) Ne peut-on consacrer ces 150 millions aux infrastructures électriques du pays, contre l'émiettement qui menace, à l'alphabétisation, contre l'obscurantisme, à l'Internet, pour mettre fin à un sentiment d'exclusion de la communauté internationale ? À l'effort de guerre, préférons l'effort de paix !
Et prenons en compte la spécificité géographique, culturelle, historique du monde indo-persan. L'Afghanistan, l'Asie centrale, l'Iran, le Pakistan et même l'Inde appartiennent, depuis Alexandre, à ce monde : tous sont concernés par ce conflit. Les pays d'Asie centrale représentent une cible pour les talibans. Les responsables talibans avec lesquels je m'étais entretenu m'avaient affirmé vouloir transformer le Turkménistan, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan en émirats ! N'oublions pas que les Turkmènes, les Ouzbeks et les Tadjiks sont des minorités importantes en Afghanistan. Les talibans ont massacré des Hazaras et des diplomates iraniens ; l'Iran a accueilli plus de deux millions de réfugiés afghans ; le farsi et le dari sont des langues quasi identiques : impliquer l'Iran dans une dynamique de paix ne serait-il pas la meilleure façon de rendre à ce pays sa voix dans le débat international ? (Applaudissements à gauche) Le Pakistan et l'Afghanistan partagent des minorités baloutches et pachtounes. Les talibans usent du sanctuaire des zones tribales comme d'un refuge. Il faut arrimer ce pays difficile à un ensemble régional et international pour qu'il s'autocontrôle. Pour cela, il faut lui garantir la sécurité sur sa frontière avec l'Inde. La communauté internationale, pour stabiliser la région, devrait coordonner tous ces pays du monde indo-persan, premiers concernés par le fondamentalisme islamiste.
M. Dominique Braye. - Il se croit ministre !
M. Aymeri de Montesquiou. - Nous devons les impliquer beaucoup plus avant dans la paix, en mettant en place une initiative régionale comparable à l'Organisation de Coopération Économique, restée à l'état de veille. La diplomatie française s'honorerait par cette initiative de paix innovante qui n'a pas encore été tentée.
La misère constitue, partout, le meilleur terreau au terrorisme. Les Afghans savent que 5 milliards de dollars leur ont été promis et sans doute affectés, ils savent aussi que ce n'est pas la population qui en a profité. Cela attise leur ressentiment contre leurs dirigeants, et donc contre l'Occident. Les Afghans constatent la progression de la culture du pavot, ils en profitent un peu, beaucoup moins que de nombreux notables. L'impuissance de la coalition ou peut-être son indifférence sont assimilées à son incapacité de lutter contre les talibans.
M. le président. - Veuillez conclure
M. Aymeri de Montesquiou. - Les alliés doivent s'engager sur une durée et se donner un calendrier pour la fin du conflit.
Pour qu'il y ait sécurité, il faut un développement économique, et réciproquement. Nous sommes condamnés à lutter sans concession contre le fondamentalisme islamiste. Il faut frapper fort. Mais cet effort sera inutile s'il n'est pas précédé et suivi par un effort économique et social très important.
Soyons fidèles à nos alliés dans l'effort de guerre, mais que la France se tienne aux avant-postes pour l'effort de paix. (Applaudissements à gauche et au centre)
M. Philippe Nogrix. - Nous débattons aujourd'hui d'un sujet extrêmement important : la présence française en Afghanistan. Rappelons que si cette opération est menée dans le cadre de l'Otan, c'est sur mandat de l'ONU, et que sa participation est très inférieure à celles de la Grande-Bretagne ou de l'Allemagne : environ 2 000 hommes sur 60 000.
Que la France ait décidé de renforcer sa présence militaire en Afghanistan n'est aujourd'hui plus un secret. Alors que le Président de la République semblait souhaiter réserver la primeur de sa décision à nos partenaires de l'Otan à l'occasion du sommet de Bucarest, il l'a annoncée à Londres lors de son intervention devant le parlement britannique. L'effet d'annonce imaginé en direction des nos partenaires de l'Alliance atlantique est ainsi tombé à plat. Quant à nous, parlementaires français, nous sommes placés devant le fait accompli. C'est donc plié, la décision est prise : la France enverra 1 000 hommes supplémentaires en Afghanistan. Sont déjà présents sur ce théâtre 1 600 hommes si l'on inclut ceux basés au Tadjikistan, et 2 200 si l'on comptabilise les forces déployées dans le cadre du volet maritime de l'opération « Liberté immuable ». 1 000 hommes sur un contingent déjà existant de 1 600 ou 2 200, ce n'est pas négligeable : cela fait 60 % en plus. C'est même une inflexion si substantielle que le Gouvernement a jugé bon d'en informer officiellement la représentation nationale et de lui permettre de s'exprimer sur le sujet, ce que nous ne pouvons que saluer.
Cependant, deux questions s'imposent : pourquoi débattons-nous ? Et de quoi débattons-nous ? A ces deux questions, nous ne voyons aucune réponse claire.
La première question pose un problème qui touche au coeur de l'équilibre de nos institutions. Les parlementaires sont placés devant le fait accompli, la déclaration gouvernementale ne sera suivie d'aucun vote. Cela est conforme à la Constitution : en vertu de son article 15, « le Président de la République est le chef des armées » et, en vertu de l'article 35, seule « la déclaration de guerre est autorisée par le Parlement ». La Constitution se trouve ainsi appliquée. Nous ne pouvons donc que nous réjouir que ce débat ait été inscrit à l'ordre du jour du Parlement. Toujours en application de la Constitution, nous ne voterons pas. L'association du Parlement à la décision présidentielle est donc purement politique. Mais, toujours de façon purement politique, n'aurait-il pas été possible de voter ? (Exclamations à gauche) La légitimité de la décision présidentielle s'en serait trouvée grandement renforcée.
Contrairement à ce qui a été dit ces derniers jours, le parlement français a déjà voté pour l'envoi de troupes à l'extérieur. C'était en 1991, pour la participation de la France à la première guerre du Golfe. Dans un avenir proche, la Constitution pourrait d'ailleurs rendre systématiques de tels votes. L'avant-projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République ajoute à l'article 35 de la loi fondamentale un alinéa en vertu duquel « lorsque la durée d'une intervention excède six mois, sa prolongation est autorisée par le Parlement ». On ne peut exclure que cet alinéa encore énigmatique signifie que, pour la question qui nous occupe, un vote du Parlement aurait été requis. En conséquence, n'aurait-il pas été plus politique d'anticiper l'application de la réforme des institutions en nous faisant voter ?
Ma première question (pourquoi débattons-nous ?) pose le problème du déséquilibre général de nos institutions. En l'occurrence, le Parlement ne donnera pas même l'image d'une chambre d'enregistrement, mais celle d'une chambre stérile. Nos institutions doivent être rééquilibrées en faveur de la représentation nationale : c'est à ce prix que nous redynamiserons notre démocratie parlementaire.
Posons maintenant la question de fond : de quoi débattons-nous ? Nous débattons d'une question aux implications et enjeux majeurs.
Premier enjeu, le plus important : les vies humaines. La vie de nos soldats, d'abord, car c'est à une vraie guerre, meurtrière, qu'ils sont confrontés. D'où le problème de leur plus ou moins grande exposition selon leur zone de déploiement. Mais c'est aussi de la vie des civils afghans qu'il est question. Les guerres propres auxquelles on essaie de nous faire croire n'existent pas. Peut-être la vie des victimes de futures attaques terroristes où qu'elles aient lieu dans le monde est-elle aussi en jeu.
Deuxième enjeu qui, sans être du même ordre, n'est pas pour autant négligeable : l'enjeu budgétaire. 1 000 hommes de plus, cela a un coût !
Troisième enjeu : l'enjeu géopolitique et géostratégique. La décision de renforcer nos troupes en Afghanistan n'entre-t-elle pas dans le cadre d'une inflexion majeure du positionnement géostratégique de la France sur la scène internationale ? Une telle inflexion, si elle se confirmait, pourrait avoir des incidences très importantes.
Face à ces enjeux, notre question prend toute son ampleur. Pourquoi envoyons-nous 1 000 hommes supplémentaires en Afghanistan ? Les Canadiens, qui tiennent le sud du pays, avaient précisément demandé 1 000 hommes supplémentaires à leurs alliés, sous peine de retirer leur contingent. Il aurait été parfaitement légitime de venir en renfort de l'un de nos alliés dans le cadre d'une opération internationale approuvée par l'ONU à laquelle nous participons. Mais les 1 000 soldats français supplémentaires seront déployés dans l'est du pays. Alors, pourquoi ces 1 000 hommes ? On nous parle de pacification et de lutte contre le terrorisme. Mais depuis sept ans que nous sommes en Afghanistan, les choses se sont-elles vraiment améliorées ?
L'opération avait pour but de stabiliser le pays, d'éradiquer le terrorisme des talibans et celui d'Al Qaïda. Mais n'y a-t-il pas enlisement ? N'assiste-t-on pas à un Iraq, un Vietnam, une Algérie bis ? C'est l'avis de James Jones, le prédécesseur de John Craddock à la tête de l'Otan qui parle de « l'impasse » où se trouvent les troupes alliées. Et nous en engageons de nouvelles ! Selon lui, « Nos forces ne pourront éliminer les talibans par des moyens militaires aussi longtemps qu'ils pourront à tout moment se replier au Pakistan ». Les éliminer ici, c'est donc les voir réapparaître ailleurs !
La question de fond est celle de la position que nous allons adopter pour gérer la sortie du conflit, la transition vers la paix, sachant qu'à ce sujet des divergences importantes existent entre la Grande-Bretagne et les États-Unis d'Amérique. Quel camp allons-nous choisir ?
Le futur de l'Afghanistan sera déterminé par les progrès ou les échecs dans le domaine civil. La guerre que nous menons limite-t-elle vraiment l'essaimage du terrorisme ? Et est-il prévu que nos troupes participent plus activement à des actions civiles, à la reconstruction, au développement ? La déclaration sur la stratégie politico-militaire qui devrait être adoptée au sommet de l'Otan de Bucarest le laisse espérer. Elle plaide en effet en faveur d'une prise de relais par l'armée afghane du conflit et d'une approche globale de la question associant action militaire et efforts de développement et de reconstruction. Ces efforts nécessitent des moyens, donc de l'argent. Or, plus du tiers de l'aide promise à l'Afghanistan sur la période 2002-2008 n'a pas encore été fournie !
Nous envoyons 1 000 hommes supplémentaires, mais la part de l'aide internationale de la France, 80 millions de dollars, reste très inférieure à celles de la Grande Bretagne, 1,2 milliard de dollars, et de l'Allemagne, 768 millions de dollars. Va-t-on l'augmenter en proportion ? Et quelle part de l'aide promise avons-nous versée ?
Abordons l'enjeu budgétaire. L'aide française à l'Afghanistan est faible comparée à celle de la Grande Bretagne ou de l'Allemagne. Mais, dans le même temps, le budget de nos Opex s'envole ! Les Opex sont systématiquement sous-financées en lois de finances même si, ces dernières années, des efforts ont été entrepris pour limiter l'écart entre ce qui est provisionné et ce qui est vraiment dépensé ; le problème demeure. Fin 2007, il a fallu combler un trou de 273 millions d'euros. Et, contrairement à ce qu'a dit le ministre de la défense, aucune rallonge n'est intervenue, si bien que les millions manquants ont été ponctionnés sur les crédits d'équipements. C'est autant de moins pour la modernisation de nos armées.
Pour 2008, le problème revient, aggravé par la décision dont nous débattons. Les Opex devraient représenter 850 millions d'euros et le budget n'en a provisionné que 460 ! Où trouvera-t-on la différence ? Et combien coûtera le renforcement de notre présence en Afghanistan ? Le ministre de la défense (« Il n'écoute pas ! » à gauche) avait chiffré entre 150 et 200 millions en année pleine les surcoûts liés aux 2 200 soldats présents en Afghanistan. Et les 1 000 supplémentaires ? Sur le même ratio, on peut l'estimer à 70 millions d'euros.
Reste l'enjeu géostratégique. Est-il opportun d'envoyer 1 000 hommes supplémentaires en Afghanistan ? Le déséquilibre du déploiement de nos forces dans le monde ne nous garantit peut-être pas de pouvoir faire face à des menaces d'urgence. L'envoi de troupes supplémentaires posera un problème très concret : où trouver les hommes ? C'est une question que se posent nos états-majors avec d'autant plus d'acuité que cet envoi pourrait ne pas être compatible avec les engagements que nous avons pris de répondre en urgence à toute menace selon les critères de Petersberg.
Ainsi, ces 1 000 hommes ne correspondent pas à une demande de nos partenaires, puisque les Canadiens avaient besoin de renforts dans le sud et non à l'est, ni à une demande de nos états-majors sur le terrain.
Seules des considérations géostratégiques plus globales peuvent expliquer cette décision. Le renforcement des positions françaises en Afghanistan pourrait n'être qu'un des éléments du repositionnement de la France sur la scène internationale : plus clairement, ce serait l'un des éléments du glissement atlantiste de la France.
Le choix de déployer les troupes supplémentaires dans l'est du pays est aussi lié au fait qu'elles y seront moins exposées qu'au sud.
Mais, surtout, ce choix conforte le rapprochement franco-américain : c'est de l'est qu'est menée la guerre contre Al Qaïda. Ces mille hommes supplémentaires, un élément du glissement atlantiste de notre pays ? Il est permis de le croire.
Cette évolution ne risque-t-elle pas d'entraver la politique européenne de sécurité et de défense ? Les signaux envoyés en direction de l'Angleterre et des États-Unis peuvent ne pas toujours être compris par notre partenaire allemand. Jusqu'où ira le glissement atlantiste de la France ? La vision géostratégique que le Général de Gaulle avait su imposer est-elle en train d'être remplacée par de nouveaux engagements ? Voilà beaucoup de questions sans réponse... (Applaudissements à gauche et au centre)
M. Jean-Louis Carrère. - Heureusement pour le Gouvernement qu'il n'y a pas de vote !
M. Philippe Adnot. - (Applaudissements sur quelques bancs à droite) L'intervention de M. de Montesquiou me dispense presque de prendre la parole, car je partage la plupart de ses arguments.
M. Bruno Sido. - Ouh là là...
M. Philippe Adnot. - N'étant pas spécialiste des questions de politique étrangère, c'est en tant que simple citoyen que je vous fais part de mes interrogations. Comment choisissons-nous nos indignations ? Pourquoi l'Afghanistan plutôt que l'Iran, la Tchétchénie, le Tibet ou le Darfour ? Comment apprécions-nous l'efficacité de notre intervention ? Faut-il plus de soldats ou plus de moyens pour que les Afghans décident eux-mêmes de leur avenir ? Quel calendrier de désengagement ? Serons-nous condamnés à rester éternellement dans ce pays ?
S'il y avait eu un vote, j'aurai accordé ma confiance au Premier Ministre mais en l'assortissant de certaines conditions : un débat de politique étrangère qui donne des bases à notre devoir d'ingérence, une priorité donnée à la responsabilisation des Afghans, un calendrier de retrait des troupes.
Je vous assure de mon soutien, car j'ai confiance dans votre appréciation de la situation. J'espère que nous pourrons sortir de ce conflit avec le sentiment du devoir accompli. (Applaudissements sur quelques bancs à droite et au centre)
M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. - Le temps ne m'est pas donné de répondre à chaque intervenant ; je vais devoir être synthétique, sans doute brutal, sans aucun doute partial. J'ai entendu vos interrogations. M. de Rohan a décrit avec une émotion que je partage la destruction des bouddhas de Bamiyan ou l'humiliation permanente des femmes. De M. Dulait, j'ai apprécié les vérités et les encouragements. M. Boulaud s'est contenté de vives critiques, peu constructives hélas... Mme Demessine s'est montrée un peu partiale mais nous a donné de quoi réfléchir. M. de Montesquiou a posé des questions très justes et proposé certaines solutions, tout comme MM. Nogrix et Adnot.
Ce que nous souhaitons, c'est changer notre fusil d'épaule.
M. Jean-Louis Carrère. - Vous êtes un spécialiste !
M. Bernard Kouchner, ministre. - En renforçant notre participation, non pas parce que nous l'auraient demandé les Américains -serait-ce une honte ?- mais tout particulièrement les Canadiens, les Hollandais, vingt pays européens, sans pour autant atteindre le niveau de certains de nos amis, nous essaierons de ne nous consacrer davantage à la paix et au développement. C'est le sens de la lettre adressée par le Président de la République à ses partenaires.
L'afghanisation, c'est donner plus de responsabilités aux Afghans. Ce n'est pas seulement augmenter notre formation auprès des 50 000 militaires et des 35 000 policiers, qui en ont, surtout les seconds, bien besoin. C'est impliquer les Afghans dans chaque projet de développement présenté par les ONG et les agences des Nations unies. Si nos partenaires ne vont pas dans ce sens, notre réponse sera négative ! Vous verrez que demain, à Bucarest, il n'y aura rien d'un alignement sur les Américains -non que ce soit un péché, s'ils ont raison, mais sur cette question de l'afghanisation, nous serons très déterminés.
La coordination entre l'Enduring effort, l'Isaf et les agences civiles des Nations unies doit être renforcée : le représentant spécial du secrétaire général a été nommé, sur suggestion de la France, il fera du bon travail, au moins pour les missions de l'ONU.
Seuls 2 % de l'aide sont consacrés à l'agriculture : c'est insuffisant. Mais pour que les paysans afghans en profitent, il faut de la sécurité ! Pour installer des lignes électriques, il faut de la sécurité ! Certes, l'insécurité est cantonnée dans une partie du territoire, mais c'est là où se trouvent les Afghans !
Ne croyez pas que nous obéissons à un réflexe militariste, pour le plaisir d'envoyer des hommes supplémentaires ! Aucun chiffre n'a d'ailleurs été cité devant le Parlement anglais : le Président de la République a dit que nous augmenterons notre effort si les conditions posées dans les lettres aux chefs d'État sont remplies. C'est non seulement raisonnable mais absolument nécessaire.
Nous ne souhaitons pas la guerre, nous ne nous sommes pas engagés pour une éternité de combats ! Il est toujours plus facile d'envoyer des troupes que de les retirer. Mais une mission de paix dure en moyenne une génération ! Nous sommes au Kosovo depuis neuf ans, en Bosnie depuis dix-sept ans, en République démocratique du Congo depuis quinze ans, au Golan depuis trente-cinq ans, au Liban...
M. Gérard Longuet. - Depuis Napoléon III. (Sourires)
M. Bernard Kouchner, ministre. - ... comme à Chypre, depuis trente-cinq ans. Nous ne sommes en Afghanistan que depuis 2001 : ce n'est pas suffisant pour changer les mentalités !
Nos efforts sont couronnés de succès -pas suffisamment, bien sûr...
M. André Rouvière. - Mais non !
M. Bernard Kouchner, ministre. - ...mais la croissance afghane est aujourd'hui de 8 % ! Quatre mille kilomètres de route ont été construits grâce à l'effort des militaires français ! Aujourd'hui, 60 à 70 % des enfants sont vaccinés ! 80 % des Afghans ont accès à un dispensaire ! (M. le ministre de la défense le confirme) Ce n'est pas mal !
M. Jean-Louis Carrère. - Et cela justifie d'envoyer mille hommes supplémentaires ?
M. Bernard Kouchner, ministre. - Ce n'est pas en nous retirant que nous allons continuer le programme de vaccinations ! Pour protéger les vaccinateurs, il faut des soldats ! Aujourd'hui, 35 à 50 % des femmes enceintes sont prises en charge. Dans les villages que je connais, il n'y avait pas d'école : aujourd'hui, six millions d'enfants sont scolarisés, dont un tiers de petites filles !
M. Jean-Louis Carrère. - Vous êtes le Père Noël !
M. Bernard Kouchner, ministre. - En 2004, les femmes ont voté pour la première fois ! (Applaudissements à droite) Karzaï a été élu, il y a aujourd'hui un Parlement ! Ce n'est pas mal !
M. Jean-Louis Carrère. - On a aussi voté aux municipales...
M. Bernard Kouchner, ministre. - En proposant de nous retirer, vous prendriez une responsabilité folle. En 2001, alors que les socialistes étaient au pouvoir, je tenais exactement ce langage -mais vous, vous teniez le même ! (Applaudissements à droite ; sarcasmes à gauche)
présidence de M. Adrien Gouteyron,vice-président
M. Hervé Morin, ministre de la défense. - La victoire ne peut être seulement militaire. C'est pourquoi à Bucarest, le Président de la République, comme il l'a fait par courrier adressé à nos partenaires européens, suggérera une approche globale : amélioration de la gouvernance, maîtrise progressive de leur destin, de leur souveraineté et de leur sécurité par les Afghans, vrai projet de développement économique, meilleure coordination des moyens civils et militaires, lutte intensive contre le narcotrafic accompagnée d'un projet solide pour les agriculteurs...
M. Didier Boulaud. - Du coton peut-être ?
M. Hervé Morin, ministre. - Les quarante-neuf pays engagés doivent rester et poursuivre la tâche. Isolé, ou contrebalançant des départs, notre effort supplémentaire éventuel n'aurait pas de sens. Mais la plupart des pays européens ont indiqué qu'ils étaient prêts eux aussi à augmenter leurs troupes. (Marques de scepticisme à gauche)
Les soldats français -je me suis rendu à de nombreuses reprises auprès d'eux (Mme Borvo Cohen-Seat rit)- savent que leur mission exige un grand professionnalisme. Certains ont payé de leur vie, nous déplorons quatorze morts depuis 2001. Nos hommes sont confrontés à un ennemi sans visage, à des modes d'action proches du terrorisme, engins explosifs improvisés, etc. Ils sont fiers d'accomplir, dans ces vallées d'Afghanistan, une mission pour la dignité d'un peuple, pour le développement d'un pays. Ils assurent la formation d'une armée nationale partie de rien, des officiers, des futures forces spéciales ; ils assistent l'armée dans des programmes de reconstruction comme dans le maintien de la sécurité au nord de Kaboul, sans oublier le déminage.
Nos soldats savent qu'ils prennent chaque jour des risques, mais ils sont fiers d'oeuvrer pour la souveraineté d'un pays, pour sa dignité et sa liberté, pour le progrès. Ils en sont fiers. Et si vous allez là-bas, vous verrez des hommes courageux, motivés pour remplir la mission que leur a confiée la France. Dans des vallées où les forces de l'Alliance n'avaient jamais pénétré, comme celles de Shamally ou de Kapissa, ils ont aidé à installer police et administration.
La présence militaire ne suffit pas, mais elle donne à la France la possibilité de participer à une oeuvre de stabilité dans l'arc de crise majeur qui va de l'Atlantique à l'Asie du sud. Un retrait ou un effort insuffisant laisseraient le champ libre aux talibans et nous plongerait dans l'insécurité, car l'Afghanistan est depuis trop d'années une source majeure du terrorisme. Il faut rester ; et il faut y consacrer les moyens nécessaires. Quelles sont les autres solutions ? S'en aller serait un pur et simple échec, l'effort consenti n'aurait servi à rien, le terrorisme retrouverait sa base arrière. Ne pas accentuer l'effort nous condamnerait à rester plus longtemps, et le Président de la République l'a dit, nous n'avons pas vocation à maintenir éternellement des troupes là-bas. Des efforts supplémentaires nous rapprochent du jour où la gouvernance, l'administration, l'armée, la sécurité seront maîtrisées par les Afghans.
M. Jean-Louis Carrère. - Dialectique !
M. Hervé Morin, ministre. - C'est grâce à tout l'ensemble d'efforts déployés, en termes de gouvernance, d'administration et, éventuellement, de moyens militaires complémentaires...
M. Jean-Louis Carrère. - Vous aurez du mal à convaincre le peuple français !
M. Hervé Morin, ministre. - ...que l'Afghanistan retrouvera la stabilité à laquelle tout pays a droit. (Applaudissements à droite)
M. le président. - Le débat est clos.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement qui sera imprimée et distribuée.
M. Jean-Louis Carrère. - Et le vote ?
La séance est suspendue à 19 h 40.
présidence de M. Guy Fischer,vice-président
La séance reprend à 21 h 45.