En France, la démocratie locale est une composante essentielle de la démocratie nationale. Elle s'exerce notamment par la désignation de conseils élus à chaque niveau d'administration territoriale (la commune, le département, la région ou collectivité d'outre-mer), dont l'exécutif n'est pas seulement un administrateur local mais se voit investi d'un rôle politique local déterminant.
Cette structure a sa traduction parlementaire dans la Constitution puisque le Sénat, assemblée de plein exercice, a en outre reçu de l'article 24 la mission spécifique « d'assurer la représentation des collectivités territoriales de la République ». Cette mission n'est pas sans rappeler les prérogatives reconnues à bien d'autres secondes chambres pour représenter les collectivités infra-étatiques, notamment dans les États fédéraux. Pour ce qui concerne la France, cette représentation repose avant tout sur le régime électoral des sénateurs, élus par un collège composé principalement d'élus locaux : les sénateurs sont les élus des élus, en particulier ceux en charge de l'administration des collectivités territoriales.
La mission de représentation des collectivités territoriales confère au Sénat une responsabilité particulière dont le constituant a tiré la conséquence lors de la révision constitutionnelle du 28 mars 2003. En effet, en vertu de la nouvelle rédaction de l'article 39, alinéa 2, de la Constitution, les projets de loi « ayant pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales » doivent désormais être soumis en premier lieu au Sénat.
Les modalités de la représentation des collectivités territoriales par le Sénat
1 - Une représentation territoriale
Le mode d'élection des sénateurs aboutit à une représentation des territoires, puisque les collectivités territoriales - de la plus peuplée à la moins peuplée - sont représentées au sein du collège électoral sénatorial.
Le collège des grands électeurs sénatoriaux est composé des représentants de chacune des 35 048 communes (au 1er janvier 2021), 95 conseils départementaux, 14 conseils régionaux, 5 collectivités à statut particulier, des 5 collectivités d'outre-mer ainsi que la Nouvelle-Calédonie. Ces collectivités sont représentées en tant que telles au Sénat bien que les critères de représentativité territoriale soient pondérés par un correctif démographique. En effet, le nombre de délégués dans le collège électoral sénatorial de chaque département augmente sensiblement avec le poids démographique de la commune.
95 % des délégués sénatoriaux sont issus des conseils municipaux. À cet égard, la loi du 19 novembre 1982, qui a augmenté les effectifs des conseils municipaux, a accru la représentation des villes les plus peuplées.
En outre, tous les conseillers départementaux composant l'assemblée départementale, tous les conseillers régionaux de la section départementale concernée et les députés du département complètent ce collège électoral.
Pour autant, la répartition des sièges entre les départements tient compte de la démographie.
Elle a ainsi été modifiée à la suite de l'évolution de la population constatée par les recensements. La loi organique du 16 juillet 1976 a ainsi créé en trois étapes 33 nouveaux sièges dans 29 départements en essor démographique. À nouveau, la loi organique du 30 juillet 2003, complétée par une loi du 15 décembre 2005, ont prévu une majoration graduelle du nombre des sièges entre 2004 et 2011.
Depuis lors, l’effectif total du Sénat s'établit à 348 sièges.
2 - L'exercice des mandats locaux par les sénateurs
Par sa composition, le Sénat a vocation à défendre la libre administration locale et à veiller à en faire garantir le respect.
Alors que la majorité des sénateurs exerçaient traditionnellement un mandat local, la loi organique du 14 février 2014 interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur est venu réduire drastiquement cette possibilité. Depuis le renouvellement sénatorial de septembre 2017, les sénateurs ne peuvent plus exercer, par exemple, les fonctions de maire, maire d'arrondissement, adjoint au maire, président et vice-président d'un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), président et vice-président d'un conseil départemental, président et vice-président d’un syndicat mixte, etc,.
En revanche, nombre d’entre eux conservent des mandats de conseiller municipal, départemental, régional ou communautaire. Le détail des mandats locaux détenus par les sénateurs peut être consulté sur le site du Sénat.
La prise en compte des intérêts des collectivités territoriales par le Sénat
La décentralisation a mobilisé les énergies au plan local et a suscité un foisonnement d'initiatives. En ce qu'il représente les collectivités et est l'interlocuteur naturel des élus locaux qui les animent, le Sénat a un rôle pour la cohérence d'ensemble de ces initiatives. Il assure ce rôle par ses réflexions et ses travaux, tant sur le plan législatif que dans le cadre de ses activités de contrôle.
1 - La vigilance constitutionnelle et législative du Sénat à l'égard des collectivités locales
Le Sénat est une assemblée à part entière et assure donc dans sa plénitude son rôle législatif, dans tous les domaines du champ politique. Il n'en porte pas moins une attention spéciale aux sujets intéressant les collectivités territoriales.
Sur le plan constitutionnel
Le Sénat a participé à l'élaboration d'un cadre juridique mieux défini pour les collectivités locales, au regard de la Constitution, tant au cours de la discussion des textes législatifs soumis à son examen, qu'en amenant le Conseil constitutionnel à statuer à plusieurs reprises sur le principe et le contenu de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources (qu'il revient à la loi de déterminer selon l'article 34 de la Constitution), le régime des assemblées délibérantes élues qui les administrent, la création par la loi de nouvelles collectivités locales, la nature et la portée du contrôle de légalité, l'autonomie de choix des personnels territoriaux, le niveau des ressources fiscales dont l'abaissement pourrait porter atteinte à l'autonomie financière locale, le droit des collectivités locales d'outre-mer, etc.
L'aboutissement de cette démarche a été la consécration constitutionnelle du rôle du Sénat dans l'élaboration des projets de loi ayant pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales, puisque la révision du 28 mars 2003 lui reconnaît une priorité d'examen pour ce type de texte (article 39), au même titre que celle de l'Assemblée nationale pour les projets de loi de finances.
La révision a ajouté à l’article 1er de la Constitution un alinéa aux termes duquel l’« organisation » de la République est « décentralisée » ; le texte prévoit l’examen par le Sénat « en premier lieu » des projets de loi concernant l'organisation des collectivités territoriales, réaffirme le principe de subsidiarité selon lequel « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon » et ouvre un droit à l’expérimentation ; il prévoit enfin un accroissement de l’autonomie financière des collectivités tel que « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentant, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources ».
Plus généralement, la révision du 28 mars 2003 a marqué « l'Acte II » de la décentralisation entreprise en 1982, avec non seulement la réforme de procédure de l'article 39 mais aussi une refonte complète du Titre XII de la Constitution relatif aux collectivités territoriales.
La réforme de 2003 doit beaucoup aux réflexions et travaux préparatoires du Sénat depuis plusieurs années, dans le prolongement, en particulier, d'une proposition de loi constitutionnelle déposée par le Président du Sénat, en juin 2000, relative à la libre administration des collectivités territoriales et ses implications fiscales et financières, destinée à conférer une plus grande densité au principe de l'autonomie locale. Le texte a été adopté par le Sénat en octobre 2000.
Sur le plan législatif
Avant même que ne s'engage le processus de décentralisation, le Sénat s'était fait le défenseur des libertés locales, contre une tendance française séculaire à toujours plus de centralisation. La période qui s'est ouverte à la fin des années 70, avec la succession des réformes tendant à assurer plus d'autonomie aux collectivités locales dans notre pays, a permis d'élargir encore la portée de sa mission en ce domaine.
Il l'a montré tout au long des dix-huit mois qu'il consacra (1979-1981) à l'examen d'un premier projet de loi sur le développement des responsabilités des collectivités locales, puis lorsque s'engagea la réforme de la décentralisation, qui devait aboutir aux lois de décentralisation de 1982 et 1983, à commencer par la loi du 2 mars 1982.
Parmi les sujets faisant l'objet d'une vigilance particulière, il y a lieu de mentionner, pour s'en tenir aux thèmes les plus récurrents : le débat institutionnel sur la place et le rôle des différents niveaux de collectivités locales et sur leurs rapports avec l'État ; le financement des transferts de compétences aux collectivités locales et les charges indues ; la fonction publique territoriale et l'autonomie de recrutement des collectivités locales ; la coopération intercommunale : le Sénat s'est opposé avec constance à toute forme autoritaire de regroupement et a pu faire valoir ses vues auprès des gouvernements successifs.
La délégation du Sénat aux collectivités territoriales et à la décentralisation (cf. infra) travaille régulièrement, en amont, sur des sujets qui peuvent ensuite faire l’objet, selon les cas, d’une proposition de loi (par exemple la proposition de loi portant Pacte national pour la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs), d’une proposition de résolution (par exemple sur la défense extérieure contre l’incendie), voire d’un projet de loi (par exemple, le volet revitalisation de la loi « ELAN », ou le volet droits sociaux des élus de la loi « engagement et proximité »).
Qu'elles se soient concrétisées sous forme de propositions de loi ou d'amendements, de nombreuses dispositions figurant dans les lois relatives aux collectivités locales sont issues d'initiatives sénatoriales.
La révision constitutionnelle du 28 mars 2003 a inscrit dans le texte même de la loi fondamentale des principes essentiels défendus de longue date par le Sénat, notamment ceux énoncés par le nouvel article 72-2 : la part déterminante que doivent représenter les recettes fiscales et autres ressources propres dans l'ensemble des ressources de chaque catégorie de collectivités et le fait que tout transfert de compétences entre l'État et les collectivités territoriales doit s'accompagner de l'attribution des ressources équivalentes.
Depuis lors, le Sénat a laissé son empreinte sur tous les grands textes de décentralisation, en favorisant la consécration dans la loi de mesures permettant de doter les collectivités locales de prérogatives pour s’adapter aux besoins locaux. Par exemple, tel a été l’objectif premier de la commission des lois du Sénat, à laquelle les textes relatifs aux collectivités locales sont systématiquement renvoyés, dans l’examen des lois les plus récentes : la loi « Engagement et proximité » du 27 décembre 2019 et dans la loi « 3DS » du 21 février 2022.
Toujours en matière de veille relative aux collectivités, la délégation du Sénat aux collectivités territoriales et à la décentralisation a été chargée, en 2014, d’une mission visant à contribuer à la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales. Dans ce cadre, elle travaille étroitement avec le Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales (CNEN).
2 - Des initiatives relevant de la fonction de contrôle du Sénat
Dans ce cadre, le Sénat a diversifié la palette de ses actions : missions d'information, groupes d'études, rapports d'information, à côté des formes plus classiques que sont les questions écrites et les questions orales avec (ou sans) débat (sans exclure les moyens lourds, telles les commissions d'enquête dont celle sur la Corse et auparavant sur la Nouvelle-Calédonie, par exemple).
Par ailleurs, la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation à partir de 2009 participe activement à la fonction de contrôle du Sénat dans les domaines intéressant le statut, l’activité et l’avenir des collectivités locales.
Les missions sénatoriales d'information
Les commissions permanentes, notamment la commission des lois ou la commission des finances, consacrent une partie de leurs travaux de contrôle à l’évaluation du fonctionnement de l’organisation décentralisée, suggérant le cas échéant des évolutions législatives ou réglementaires. À titre d’exemple, la commission des lois a rendu des rapports sur des territoires confrontés à des défis spécifiques, tels que la Guyane ou Mayotte respectivement en 2020 et 2021. Consécutivement à la crise de la covid-19, la commission des lois avait également consacré un volet de son rapport de juillet 2020 relatif à l’organisation de la nation en temps de crise à l’impact de cette crise sur les collectivités territoriales. Dans son domaine de compétences, la commission des finances a également rendu des rapports relatifs aux finances des collectivités territoriales, tels qu’un rapport sur les finances de la métropole de Lyon en 2019 ou un rapport sur les dotations d’investissements de l’État aux collectivités territoriales en 2022.
Des missions d'information communes à plusieurs commissions permanentes, sont également régulièrement créées sur la mise en œuvre de la décentralisation. À titre d’exemple, une mission commune d’information constituée à la demande du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) a rendu en 2020 sur le rôle, la place et les compétences des départements dans le cadre des régions fusionnées. Un tel travail s’inscrit dans le suivi de la décentralisation au long cours que de telles missions communes d’information assurent : en 2013, une mission commue d’information relative à l'avenir de l'organisation décentralisée de la République avait ainsi proposé une réflexion d’ensemble sur les aspects institutionnels de la décentralisation.
Le Sénat s'attache en outre, à l'occasion des rapports qu'il présente en conclusion de ces missions, à exprimer une revendication tendant à une véritable autonomie financière des collectivités locales, ce qu'entravent, d'une part, des transferts de ressources insuffisants pour financer les transferts de compétences de l'État aux collectivités locales et, d'autre part, des dotations insuffisantes pour compenser les impôts locaux supprimés par l'État au fil des années. L'examen annuel de la loi de finances offre au Sénat une occasion supplémentaire et itérative pour dénoncer de telles pratiques et rejeter les mesures qui les mettent en œuvre.
D'une manière plus globale, le Sénat considère que les collectivités territoriales doivent disposer d'une fiscalité propre qu'elles peuvent déterminer elles-mêmes, seule garantie de l'autonomie administrative que leur reconnaît la décentralisation.
Les questions écrites et orales
Les questions offrent également un moyen de contrôle de l'action gouvernementale en la matière et peuvent, le cas échéant, servir d'amorce à une initiative législative.
En avril 1999, une question orale avec débat a permis aux représentants de tous les groupes politiques du Sénat de s'exprimer sur la responsabilité pénale des élus locaux. De cette démarche est issue la proposition de loi déposée au Sénat sur ce sujet (cf. supra), devenue la loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels.
En outre, les questions orales avec débat sont de plus en plus fréquemment utilisées pour interroger le Gouvernement sur les mesures mises en œuvre ou annoncées à l’issue d’un contrôle parlementaire (commission d’enquête, mission d’information, rapport spécial) et constituent un moyen de suivi par le Sénat d’un dossier dont il a une connaissance approfondie.
La délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation
Cette délégation, créée par un arrêté du Bureau du Sénat du 7 avril 2009, a pris le relais de l'Observatoire sénatorial de la décentralisation.
Chargée d'informer le Sénat sur l'état de la décentralisation et sur toute question relative aux collectivités territoriales, cette délégation veille au respect de la libre administration et de l'autonomie financière et fiscale de ces collectivités.
Elle est également chargée d'évaluer les conditions de l'application locale des politiques publiques intéressant les collectivités territoriales. La délégation est compétente pour examiner les dispositions des projets et des propositions de loi comportant des normes applicables aux collectivités territoriales. L’une de ses missions est, en effet, de contribuer à la simplification de ces normes.
La délégation a vocation à se saisir de tous les sujets relatifs aux collectivités, très souvent en partenariat avec les commissions permanentes. Par rapport aux commissions elle intervient davantage en amont, pour le défrichage de certains sujets comme, par exemple, sur les droits sociaux des élus locaux où elle a largement contribué à l’élaboration de la loi « engagement et proximité », ou en aval, pour des missions d’évaluation des politiques publiques (évaluation de la défense extérieure contre l’incendie, par exemple).
Elle assure une relation constante et dense avec les différentes associations d’élus locaux ainsi qu’avec le CNEN.
Elle organise régulièrement des auditions de ministres, d’administrations et d’acteurs de la vie des collectivités, le plus souvent filmées et diffusées sur le site et les réseaux sociaux du Sénat, et publie de nombreux rapport, dont les derniers portent, par exemple, sur la hausse du coût des énergies et son impact pour les collectivités territoriales les décharges sauvages ou les moyens d’impulser une nouvelle dynamique démocratique à partir des territoires.
Des groupes de travail peuvent également être constitués directement auprès du président du Sénat pour réfléchir aux évolutions du droit de la décentralisation. Associant les présidents de tous les groupes politiques sénatoriaux, ainsi que le président de la commission des lois et le président de la délégation aux collectivités territoriales, un tel groupe de travail a ainsi formulé en juillet 2020 50 propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales. Celles-ci ont été reprises dans deux propositions de lois constitutionnelle et organique adoptées par le Sénat en octobre 2020.
Une action d'information et de consultation des acteurs locaux
Souhaitant établir un dialogue renforcé avec les acteurs de la décentralisation, le Sénat a toujours veillé à se mettre plus directement à l'écoute du terrain à travers différentes rencontres qu'il organise régulièrement, afin de recueillir la parole des élus sur leurs attentes et leurs propositions pour l’avenir de nos territoires.
Ses commissions permanentes sont en lien régulier avec les représentants des associations d’élus locaux, notamment à l’occasion de l’examen des projets de loi du Gouvernement.
Les différentes commissions comme la délégation aux collectivités sont par ailleurs en contact constant avec les associations nationales d’élus locaux dont elles auditionnent régulièrement les présidents et présidentes et la délégation communique fréquemment avec les associations départementales des maires et des maires ruraux.
Plus récemment, le Sénat s’est positionné comme l’interlocuteur privilégié des élus locaux dans l’univers numérique avec le lancement en 2018 d’une plateforme de consultation.
La plateforme est conçue comme un outil d’échange entre le Sénat et les élus locaux. Comme l’a précisé Gérard Larcher, Président du Sénat, dans son intervention du 22 novembre 2017 devant le 100ème Congrès de l’Association des maires de France, le Sénat souhaite par ce moyen « interroger fréquemment et directement les élus locaux », afin de « nourrir un vrai dialogue » et « d’apporter des solutions satisfaisantes, en tenant compte des spécificités et des attentes des territoires dans leur diversité ».
Depuis la mise en place de la plateforme en juin 2018, le nombre d’élus locaux inscrits augmente à chaque consultation et atteint aujourd’hui près de 35 000.