GASTON MONNERVILLE (1897-1991), Année du Centenaire

AVANT-PROPOS

au catalogue de l'Exposition présentée en 1997 au Sénat intitulée

"Gaston MONNERVILLE, une conscience de la République"

à l'occasion du centenaire de sa naissance (2 janvier 1897) et du cinquantenaire de son élection à la présidence de la Haute Assemblée (14 mars 1947)

par René MONORY (alors) Président du Sénat

Les Français sont attachés au Sénat, parce qu'il incarne la rigueur, la permanence et le sérieux. Les Sénateurs travaillent en techniciens éprouvés, dans la durée et forts de leur expérience, en s'abstrayant souvent des contingences immédiates. Ceci est d'autant plus remarquable que siègent à la Haute Assemblée nombre de parlementaires célèbres, dont l'action locale, nationale ou internationale a largement occupé les médias. Les hommes qui ont exercé les plus hautes charges de la République tiennent à honneur de faire partie de cette « chambre de réflexion ». La liste de nos « illustres » est longue.

Cette exposition évoque la mémoire de l'un d'eux : Gaston MONNERVILLE. A l'occasion, en 1997, d'un double anniversaire : d'abord le centenaire de sa naissance ; ensuite, le cinquantenaire (presque jour pour jour) de sa première élection à la présidence de la Haute Assemblée (alors dénommée Conseil de la République), une présidence où la confiance de ses pairs le maintiendra durant vingt-deux ans.

Plus de deux cents documents retracent, par grandes étapes, la vie et l'action de l'ancien Président.

Gaston MONNERVILLE eut bien des dons et des talents : un esprit habile et vif, une culture exceptionnelle, l'art de l'orateur, une plume alerte, le goût du travail, une faculté d'improvisation assez rare... L'avocat fut célèbre et le politique brillant.

Moralement, l'homme fut irréprochable : ses adversaires politiques, eux-mêmes, ont reconnu sa valeur ; ils ont tenu à saluer sa sincérité, son intégrité, son courage et son souci du bien public, car ils voyaient en lui quelqu'un dont toutes les démarches - même les plus controversées - se fondaient sur de nobles convictions.

Guidé par une grande idée de la République et de la Démocratie, il tenait ferme à ses principes. Il avait le culte du Droit et cette dévotion en fit un légaliste intransigeant sur le respect de la Loi suprême.

Gaston MONNERVILLE eut une autre passion. Né en Guyane française, il s'attacha, sa vie durant, au sort des peuples lointains de notre « Outre-Mer ». Il contribua, en 1946, à définir le statut de l'Union Française et, en 1958, celui de la Communauté, cette éphémère Communauté, dont il présida également le Sénat.

Il fut un véritable « Homme d'Etat », si l'on entend, par ce mot, celui qui oriente le cours des événements et marque l'histoire politique d'un pays. Car il faut reconnaître que Gaston MONNERVILLE influença fortement notre régime institutionnel.

Bicamériste convaincu, il n'a cessé de défendre la Chambre Haute. A peine élu Président du Conseil de la République, en 1947, et dès son premier discours, il traça, pour cette Assemblée, un programme de reconquête des pouvoirs et du prestige qui étaient ceux du Sénat d'avant guerre. Il s'y employa sans relâche. D'abord, il ne cessa de prôner et d'encourager la plus haute tenue dans les débats et les méthodes de travail. Les délibérations du Conseil de la République ont institué une tradition de qualité, que ne démentira pas l'actuel Sénat. En outre, MONNERVILLE veilla, d'un oeil sourcilleux, au respect des droits de la Seconde Chambre. Et ne manqua jamais l'occasion de les rappeler contre tout manquement.

Cette vigilance pointilleuse provoqua quelques vifs incidents avec l'Assemblée Nationale. En juin 1948, le Président de la République, Vincent AURIOL, dut arbitrer un grave conflit entre les deux Chambres. Le Comité Constitutionnel, (prédécesseur de notre Conseil Constitutionnel), fit sienne la thèse, d'ailleurs toute logique, de MONNERVILLE et trancha en faveur du Conseil de la République.

Cette politique de qualité et cette persévérance dans la revendication des responsabilités législatives eurent pour effet une progressive montée en puissance, dont prit acte la réforme constitutionnelle de 1954, en renforçant nettement les attributions de la Seconde Chambre.

Enfin, en 1958, Michel DEBRE, (lui-même membre du Conseil de la République), qui préparait, avec le Général de GAULLE, la nouvelle Constitution, consacra cette évolution favorable à la Haute Assemblée. Outre son nom traditionnel de Sénat, elle retrouva tous les pouvoirs d'une véritable assemblée parlementaire, qui vote la loi et contrôle le Gouvernement. Dans une mesure telle que, certains politologues affirmèrent, à l'époque, que la Vème République avait une « constitution sénatoriale ».

Assurément, Gaston MONNERVILLE est au premier rang de ceux qui, par un effort inlassable, ont réussi à faire recouvrer à notre Assemblée la plénitude de ses prérogatives. Le Sénat lui doit donc beaucoup. Cette exposition acquitte, en quelque sorte, une dette de reconnaissance.