Le Sénat peut s'enorgueillir d'avoir eu dans ses rangs trois personnalités récompensées par un Prix Nobel.
C'est en effet deux de ses membres et l'un de ses plus illustres fonctionnaires qui ont reçu cette très haute distinction
- Paul d'Estournelles de Constant, prix Nobel de la Paix 1909
- Léon Bourgeois, prix Nobel de la Paix 1920
- Anatole France, prix Nobel de Littérature 1921
Paul d'Estournelles de Constant, prix Nobel de la Paix 1909
Paul, Henri, Benjamin, Balluet d'Estournelles, baron de Constant de Rebecque est né le 22 novembre 1852 à La Flèche, dans la Sarthe, département dont il sera l'élu à la Chambre des députés, puis au Sénat, au cours des trente dernières années de sa vie.
Le diplomate
Petit-neveu de Benjamin Constant - l'auteur d'Adolphe - Paul d'Estournelles de Constant fit ses études secondaires au Lycée Louis-le-Grand à Paris. Il obtint ensuite sa licence en droit et le diplôme de l'école des langues orientales.
Il entre alors dans la carrière diplomatique. Paul Cambon l'appelle comme premier secrétaire à Tunis où il a notamment la charge, en 1883, de négocier avec l'Angleterre la suppression des capitulations. Il est ensuite envoyé au Monténégro, en Turquie et en Hollande, pays où il eut à assurer le secrétariat de nombreuses commissions internationales. En 1890, il est nommé ministre plénipotentiaire et chargé d'affaires à Londres. Il y reste jusqu'en 1895, lorsqu'il démissionne à la suite de son élection comme député de la Sarthe.
Le député
En mai 1895, Paul d'Estournelles de Constant est élu député dans la circonscription de Mamers au premier tour de scrutin. En mai 1898, il abandonne cette circonscription à Joseph Caillaux et se présente dans la circonscription de La Flèche où il est élu au premier tour. Il s'y présente en tant que « républicain sincère », particulièrement attaché à un régime « qui nous a relevés des désastres de l'Empire ». Il est à nouveau réélu député aux élections d'avril 1902, comme toujours au premier tour.
Tout au long de son mandat de député, Paul d'Estournelles de Constant, qui prenait une part active aux travaux de la séance publique, n'aura de cesse de s'opposer à la politique coloniale. Il était en effet partisan du régime du protectorat.
Ainsi, en 1896, il essaye de supprimer la représentation parlementaire des colonies déjà existantes et s'oppose avec violence au projet gouvernemental déclarant Madagascar colonie française.
Dans le même esprit, il prononce, le 7 février 1898, un grand discours contre les projets de « démembrement de la Chine ».
Au cours des années suivantes, il ne manque pas une occasion de s'opposer aux diverses manifestations de la politique coloniale.
Membre de la commission des affaires extérieures, des protectorats et des colonies et de la commission des travaux publics et des chemins de fer, il se consacre presque exclusivement aux affaires étrangères.
Le sénateur
Candidat aux élections sénatoriales de novembre 1904 dans le département de la Sarthe, il est élu dès le premier tour. Il sera réélu en 1909 et en 1918.
Au Sénat, Paul d'Estournelles de Constant s'inscrit au groupe de l'Union républicaine. Il soutient en 1906 la proposition de loi tendant à transférer au Panthéon les cendres de Émile Zola en raison de son admiration pour « l'acte de grand courage accompli par Emile Zola » au moment de l'affaire Dreyfus.
Dans un autre domaine il fit preuve d'une grande clairvoyance, en appuyant les encouragements que le gouvernement voulait donner aux expériences de locomotion aérienne et en réclamant la création des premiers aérodromes. Cet intérêt passionné le fit entrer, en 1914, au Conseil supérieur de l'aérostation militaire.
Au cours de la guerre, il s'exprima rarement et ne parla jamais sur les opérations militaires.
L'homme de paix
Tout au long de sa carrière, les activités parlementaires et extra-parlementaires de Paul d'Estournelles de Constant ont été étroitement mêlées.
Membre de la Cour permanente d'arbitrage de La Haye en 1900, il a beaucoup œuvré pour répandre les idées d'arbitrage international et de conciliation, ce qui lui valut en 1909 le Prix Nobel de la Paix et le fit connaître de certains milieux pacifistes.
Le déclenchement de la guerre de 1914 fut pour lui une grande désillusion. Les hautes amitiés internationales qu'il avait su se créer lui permirent de contribuer à obtenir l'intervention des Etats-Unis aux côtés des Alliés.
Dès le lendemain de la guerre, il reprend son travail de propagande en faveur de la paix, dans l'espoir de « fonder la paix mondiale sur des bases indestructibles ».
L'homme de lettres
Paul d'Estournelles de Constant a publié plusieurs ouvrages, des préfaces, des traductions et adaptations de drames grecs, ainsi que de très nombreux articles dans les principales revues françaises, américaines, allemandes et anglaises.
Extrait du manuscrit d'un ouvrage resté inachevé et auquel M. d'Estournelles de Constant comptait donner le titre de "La Faillite de la Guerre"
Ouvrages
- France et Angleterre, 1904
- Limitation des charges navales et militaires, 1912
- Les Etats-Unis d'Amérique, 1913
- « Conciliation internationale. Les délégués des parlements scandinaves en France »
Préfaces
- J. Dumas « Les sanctions de l'arbitrage international »
- M. Marse « L'Autriche à l'aube du XXème siècle »
- J. Godart « L'Albanie en 1921 »
Léon Bourgeois, prix Nobel de la Paix 1920
Un brillant fonctionnaire du ministère de l'Intérieur
Léon Bourgeois est né à Paris le 29 mai 1851. Après de bonnes études, il est reçu docteur en droit et entre presque aussitôt dans l'administration.
Nommé en décembre 1877 secrétaire général de la préfecture de la Marne, il devient sous-préfet de Reims en novembre 1880, préfet du Tarn en novembre 1882, secrétaire général de la préfecture de la Seine en octobre 1883, préfet de la Haute-Garonne en 1884, puis directeur du personnel et directeur des affaires départementales et communales au ministère de l'Intérieur.
Il est l'un des plus jeunes fonctionnaires du ministère de l'Intérieur lorsqu'il est appelé, en novembre 1887, à remplir les fonctions de préfet de police. Il remplaçait M. Gragnon, révoqué pour son intervention dans l'affaire Caffarel-Limousin-Wilson (une enquête parlementaire l'avait reconnu responsable de disparition et substitution de certaines pièces du dossier et de manoeuvres diverses). Dès sa nomination, Léon Bourgeois fait des déclarations conciliantes et remarquées au conseil municipal de Paris :
« Deux pensées dicteront chacun de mes actes : le dévouement absolu à la République et l'amour de notre cher et grand Paris. Quant à mes devoirs envers le conseil municipal, ils m'apparaissent nettement, et je les remplirai avec une entière loyauté. »
Mais Léon Bourgeois reste peu de temps préfet de police : il donne en effet sa démission après avoir été élu le 26 février 1888 député de la Marne.
Le député de la Marne (1888 - 1905)
Dès son entrée à la Chambre des députés, Léon Bourgeois qui avait battu le Général Boulanger, siège à la gauche radicale.
Il est réélu dans sa circonscription de Châlons-sur-Marne aux élections législatives de septembre 1889, d'août 1893, de mai 1898 et d'avril 1902, toujours au premier tour de scrutin.
Il occupe les hautes fonctions de Président de la Chambre des députés de 1902 à 1904, l'une des rares périodes pendant lesquelles il n'est pas membre du gouvernement au cours de ces années d'avant-guerre.
Douze fois ministre et Président du Conseil
La carrière gouvernementale de Léon Bourgeois est longue et importante, pratiquement ininterrompue pendant 30 ans.
Quelques semaines après avoir été élu député, au mois de mai 1888, Léon Bourgeois est appelé comme sous-secrétaire d'Etat à l'Intérieur dans le ministère Floquet, poste qu'il occupera jusqu'à la chute de ce cabinet en février 1889.
En mars 1890, il devient ministre de l'Intérieur dans le cabinet Tirard, puis ministre de l'Instruction publique et des Beaux-arts dans le cabinet de Freycinet. Il conserve ce portefeuille dans le cabinet Loubet qui lui succède à partir de février 1892, puis ministre de la Justice dans les cabinets Ribot de décembre 1892 et janvier 1893.
Le 1er novembre 1895, Léon Bourgeois devient Président du Conseil. Il forme le premier ministère radical homogène avec l'intention d'appliquer le programme du parti radical. Mais il se heurte à la droite, notamment sur le problème de l'impôt sur le revenu, et doit démissionner le 23 avril 1896.
Il retrouve le portefeuille de l'Instruction publique et des Beaux-arts dans le cabinet Brisson de 1898. En 1906, il est ministre des affaires étrangères dans le cabinet Sarrien, en 1912 ministre du travail et de la prévoyance sociale dans le cabinet Poincaré, en 1914 à nouveau ministre des affaires étrangères dans le cabinet Ribot, puis ministre d'Etat dans le cabinet Briand de 1915, ministre du travail et de la prévoyance sociale dans le cabinet Ribot de 1917 et enfin à nouveau ministre d'Etat, membre du comité de guerre dans le cabinet Painlevé de septembre 1917.
Comme ministre de l'Instruction publique et des Beaux-arts, Léon Bourgeois poursuit l'oeuvre de Jules Ferry dans l'enseignement secondaire en créant un enseignement moderne, sans pour autant renier son attachement à la culture classique, et en créant le baccalauraéat. Il contribue également à la reconstitution des universités en regroupant certaines facultés, à réformer l'enseignement primaire et à organiser l'enseignement post-scolaire.
Comme Président du Conseil, Léon Bourgeois eut à faire face à deux scandales financiers, liés à l'affaire des chemins de fer du Sud de la France (à l'origine de la démission du précédent cabinet) et aux suites de l'affaire de Panama. Dans son programme politique, Léon Bourgeois proposait d'établir un impôt général sur le revenu, d'organiser des retraites ouvrières et prévoyait le dépôt d'un projet de loi sur les associations, première étape vers la séparation des Eglises et de l'Etat. Mais il n'eut pas la possibilité de l'appliquer. Le Sénat en particulier lui manifesta plusieurs fois son hostilité et, à l'occasion d'un projet de loi tendant à ouvrir des crédits pour l'expédition de Madagascar, renversa son ministère le 23 avril 1896 en refusant d'examiner cette demande.
Comme ministre du travail, Léon Bourgeois fit voter de nombreuses lois : pour la création des dispensaires d'hygiène sociale et de préservation anti-tuberculeuse, sur le repos hebdomadaire, sur les assurances du travail, sur le bien de famille insaisissable, sur le salaire de la femme mariée, etc.
Cette oeuvre politique était accompagnée d'une oeuvre philosophique et humanitaire. Léon Bourgeois a ainsi créé le « Solidarisme » qui s'opposait aussi bien au collectivisme qu'à l'individualisme et qui faisait de la solidarité la base de la société. Il exposa cette doctrine dans une nouvelle revue portant le titre de La Solidarité.
Le sénateur de la Marne (1905-1925)
En août 1905, Léon Bourgeois se présente en remplacement du Duc d'Audiffret-Pasquier, sénateur inamovible, décédé le 4 juin. Il est élu dès le premier tour de l'élection partielle par 747 voix sur 828 suffrages exprimés. Il sera réélu aux élections de janvier 1906, de janvier 1920 et de janvier 1924, toujours au premier tour de scrutin.
Au Sénat, où il siège sur les bancs de la gauche démocratique, il jouit auprès de ses collègues d'une autorité faite de respect et d'admiration pour son unité de convictions et sa fidélité à la cause humaine. Aussi est-il amené à présider le Sénat de janvier 1920 à février 1923. A ce titre, il dut présider la Haute Cour de justice lors du procès Caillaux, tâche dont il s'est acquitté avec une parfaite impartialité.
Atteint de cécité partielle les dernières années de sa vie, il renonce à la présidence du Sénat et se retire au Château d'Oger près d'Epernay où il meurt le 29 septembre 1925, à l'âge de 74 ans.
L'homme de paix
C'est dans son rôle d'apôtre de la paix que Léon Bourgeois acquiert son plus grand prestige. Son idéal et son but étaient de faire du droit l'instrument régulateur du monde. Il concevait l'arbitrage comme le moyen de règlement des conflits internationaux.
Il a présenté ses théories à de nombreuses occasions, en particulier lors de la Conférence internationale de La Haye en 1899, au titre de délégué de la France. Il proposa d'instituer un tribunal souverain entre les nations. Il ne fut pas suivi. Mais il reprit son idée en 1907 à la deuxième Conférence de La Haye, où il réussit à faire accepter le principe de l'arbitrage et son application aux contestations portant sur l'interprétation des clauses des conventions internationales. Il ne put cependant obtenir l'adoption d'un projet de traité obligatoire.
Lorsqu'en 1919, s'organise la Société des Nations, il y est assez naturellement élu Président. De façon visionnaire, il tente de mettre à la disposition de cet organisme une force d'exécution pour appuyer ses décisions, sans laquelle il sent bien qu'elles resteront vaines. Il lance également l'idée d'un contrôle international des armements, mais là encore ne peut réussir. Ces idées et la conception qu'il a de ce que devrait être la Société des Nations sont exposées dans son ouvrage L'oeuvre de la Société des Nations (1920-1923).
Suprême reconnaissance pour ses convictions et son inlassable travail en faveur de la paix, Léon Bourgeois reçoit le Prix Nobel de la Paix en 1920.
Ouvrages
- La réforme des méthodes de l'enseignement primaire (1894)
- L'éducation de la démocratie française (1897)
- L'idée de solidarité et ses conséquences sociales (1902)
- La déclaration des droits de l'homme (1903)
- La politique de prévoyance sociale (1916-1919)
- Le traité de 1919 et la Société des Nations (1920)
- L'oeuvre de la Société des Nations (1920-1923)