Lundi 7 avril 2025

- Présidence de M. Olivier Rietmann, président -

La réunion est ouverte à 16 h 00.

Audition de M. Xavier Huillard, PDG de Vinci

M. Olivier Rietmann, président. - Nous auditionnons M. Xavier Huillard, président-directeur général de Vinci, accompagné de M. Christian Labeyrie, directeur général adjoint de cette entreprise. Cette audition est enregistrée et diffusée en direct, et elle fera l'objet d'un compte rendu sur le site du Sénat.

Messieurs, avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête, outre bien évidemment vos fonctions chez Vinci.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Xavier Huillard et Christian Labeyrie prêtent serment.

M. Olivier Rietmann, président. - Notre commission d'enquête, dont les membres ont été nommés le 15 janvier dernier, poursuit trois objectifs principaux : établir le coût des aides publiques octroyées aux grandes entreprises, entendues comme celles employant plus de 1 000 salariés et réalisant un chiffre d'affaires net mondial d'au moins 450 millions d'euros par an, ainsi que le coût des aides versées à leurs sous-traitants ; déterminer si ces aides sont correctement contrôlées et évaluées, car nous devons veiller à la bonne utilisation des deniers publics ; enfin, réfléchir aux contreparties qui pourraient être imposées en termes de maintien de l'emploi au sens large lorsque des aides publiques sont versées à de grandes entreprises qui procèdent ensuite à des fermetures de site, prononcent des licenciements voire délocalisent leurs activités.

Après une présentation succincte de l'activité de votre groupe, nous aimerions connaître votre regard sur les aides publiques aux entreprises.

Quelques questions pour guider votre propos.

Quelles sont les principales différences entre les aides versées en France et celles octroyées dans les pays où votre groupe est présent ? Quel est le montant global des aides publiques reçues par votre groupe en 2023 en France ? En particulier, quel est le montant des subventions ?

Quel est le panorama de vos sous-traitants et des aides qu'ils perçoivent ?

Avez-vous le sentiment que les aides publiques aux entreprises sont suffisamment suivies et évaluées en France ? Quelles sont selon vous les aides dont l'efficacité est avérée, celles dont l'efficacité est douteuse ?

Quelles seraient vos propositions pour renforcer l'efficience des aides publiques octroyées aux entreprises ?

Seriez-vous favorable à l'introduction de conditions ou de critères qui permettent d'évaluer l'efficacité des aides ? Quelles devraient être alors les limites à la conditionnalité de ces aides ?

M. Xavier Huillard, président-directeur-général de Vinci. - Merci pour votre accueil.

Le groupe Vinci s'appuie sur trois grandes tendances de fond. La première, c'est le besoin croissant de mobilité sous toutes ses formes, avec une forte demande de mobilités durables. Nous sommes très investis sur des projets de tramway, de voies ferrées, comme le Grand Paris Express, et cela partout dans le monde.

La deuxième grande tendance, c'est l'urbanisation et ce que nous appelons la construction de la ville sur la ville, de façon à construire progressivement une ville plus durable et plus agréable à vivre. Nous avons construit notre siège social à Nanterre sur une ancienne friche dont personne ne voulait, c'en est un exemple. Nous avons pris conscience il y a une dizaine d'années que la vitesse à laquelle nous avons collectivement artificialisé le sol est trois fois supérieure à la croissance démographique : il est urgent de renverser ces proportions, c'est ce que nous voulons faire quand nous parlons de reconstruire la ville sur la ville.

La troisième grande tendance, c'est la révolution numérique et la transition énergétique. Nous sommes au début de la deuxième révolution de l'électricité et du numérique - tout va s'électrifier, et le numérique va prendre plus d'importance encore, on le voit avec l'intelligence artificielle générative et les data centers.

Chez Vinci, nous sommes organisés en trois branches d'activité qui correspondent à ces trois grandes tendances, et nous sommes dans chacune d'elle des leaders mondiaux, hors Chine.

Dans la branche des concessions d'infrastructures de mobilité, des autoroutes, des aéroports, des lignes ferroviaires à grande vitesse (LGV), je citerai par exemple la LGV Tours-Bordeaux. Nous l'avons totalement conçue, construite, financée et nous l'exploitons sous forme d'un contrat de concession à risque de trafic : nous sommes payés en fonction du nombre de trains qui circulent, il n'y a pour le moment que ceux de la SNCF. Deuxième branche, la construction, qui est bien connue. Enfin, troisième branche, les services à l'énergie et au numérique : ces métiers sont les moins connus du groupe Vinci, alors que nous y avons réalisé, l'année dernière, 27,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires, presque autant que dans la construction.

Vinci est perçu comme un grand groupe, mais nous nous définissons autrement parce qu'en réalité, nous sommes une flottille de plus de 4  200 business units qui sont autonomes et responsables mais cimentées par une culture commune et par un actionnariat commun, puisque la seule manière d'être actionnaire dans ce groupe, c'est d'être actionnaire au niveau de la société tête de groupe. En France, les trois-quarts de nos collaborateurs sont actionnaires du groupe, c'est le résultat d'une volonté continue depuis trois décennies ; à l'échelle du groupe, 40 % de nos 285 000 collaborateurs sont actionnaires du groupe, ce qui est un moyen formidable d'aligner les intérêts des uns et des autres.

Enfin, nous sommes davantage « multilocaux » que globaux : nous sommes allemands en Allemagne, britanniques en Grande-Bretagne, américains aux États-Unis, il y a relativement peu de transferts de matériaux ou de matériel entre les différents pays car l'essentiel que nous transférons, c'est de l'intelligence, de la valeur ajoutée d'ingénierie et de la conduite de travaux sous forme d'encadrement ou de techniciens.

Quelques chiffres pour 2023, qui est votre année de référence dans le questionnaire. Nous avons réalisé 43 % de notre activité en France, c'est-à-dire 30 milliards d'euros de chiffre d'affaires, avec 104 000 collaborateurs. Une étude que nous faisons réaliser régulièrement par un cabinet indépendant, Utopie, estime que pour un emploi chez nous, on compte environ 3,8 emplois indirects ou induits qui soutiennent l'économie nationale. Nous avons le sentiment d'être un petit morceau de France, car nous comptons parmi les plus gros employeurs en France, avec un très fort impact en emplois indirects.

Sur cinq ans et en dépit de la Covid-19, nos effectifs en France ont progressé de près de 6 %, soit 5 700 salariés en plus, net des sorties entre le 31 décembre 2018 et le 31 décembre 2023. Le nombre d'emplois a continué à croître en 2024, nous étions 106 000 au 31 décembre 2024, contre 104 600 un an plus tôt.

Je continue sur les chiffres, sur deux grands chapitres : les salaires, les charges, les aides à l'emploi ; ensuite, les impôts et crédits d'impôt.

Toujours pour l'année 2023, notre masse salariale France, donc la somme du brut feuille de paye, s'établit à 5,5 milliards d'euros ; les charges sociales employeurs, c'est-à-dire ce que nous payons au-dessus du brut feuille de paye, à 2,2 milliards d'euros ; au total, notre coût salarial est donc de 7,7 milliards d'euros, soit 26 % de notre chiffre d'affaires en France, cela montre la très haute intensité humaine de nos métiers, que ce soit dans la construction ou dans les services à l'énergie. Et ces chiffres en matière d'emploi ne prennent pas en compte ceux de nos milliers de sous-traitants.

Sur cette même année 2023, notre groupe a bénéficié d'allègements de charges pour un montant total de 104 millions d'euros, soit 4,7 % des charges totales employeur ; nous avons bénéficié de 80 millions d'euros d'allègements de charges patronales, y compris au titre de la loi pour le développement économique de l'outre-mer, et 23 millions d'euros au titre de l'apprentissage - nous employons environ 6 000 apprentis. Ces allègements de charges et aides ont un impact sur le résultat net, bas de page, de l'ordre de 77 millions d'euros, soit 3 % du résultat net après impôt pour nos activités françaises - notre résultat net après impôts sur nos activités françaises s'élève à 2,5 milliards d'euros.

Comme de nombreuses entreprises françaises, nous avons bénéficié des aides prévues au titre de l'activité partielle pendant la crise sanitaire ; elles ont représenté  103 millions d'euros en 2020, puis 25 millions en 2021, et aujourd'hui moins de 1 million d'euros. Ces aides ont surtout concerné les activités de construction et d'énergie, sachant que la partie autoroutière, Vinci Autoroutes, n'avait pas demandé à bénéficier de ces aides à l'activité partielle. De notre point de vue, l'activité partielle est un excellent mécanisme, auquel nos voisins allemands recourent beaucoup. Il évite des réductions d'effectifs s'il apparaît que la baisse d'activité peut être considérée comme temporaire - mais il n'a pas d'intérêt si la baisse d'activité est perçue comme plus durable, ce qui est par exemple le cas aujourd'hui de notre activité de promotion immobilière qui, comme l'ensemble du secteur, subit une crise durable.

Pour ce qui concerne les impôts, en 2023, Vinci a payé 2,2 milliards d'euros d'impôts en France, qui se répartissent comme suit : 1,2 milliard d'euros d'impôt sur les bénéfices, et 1 milliard d'euros d'impôts de production et de taxes diverses, qui ne sont pas fonction de la performance économique, dont plus de 600 millions d'euros de taxes spécifiques sur les autoroutes françaises - la redevance domaniale, la contribution volontaire exceptionnelle, la taxe sur les concessions autoroutières.

Ces données figurent dans le rapport de transparence fiscale que nous publions spontanément - ce n'est pas obligatoire, mais nous y tenons.

Cette charge globale d'impôts de 2,2 milliards d'euros est à rapprocher du bénéfice net que Vinci réalise en France, soit 2,5 milliards d'euros. Cette année, le montant total des impôts acquittés par Vinci en France devrait approcher les 3 milliards d'euros, compte tenu d'une part de la taxe sur les infrastructures de longue distance, mise en place en 2024 et qui représente pour nous un montant non fiscalement déductible d'environ  280 millions d'euros, et d'autre part, de l'augmentation du taux d'imposition sur les bénéfices pour les entreprises de notre taille, qui va être porté à 36,10 % contre 25,83 % précédemment, cela a un impact d'à peu près 400 millions d'euros.

Cette année, donc, les impôts vont probablement dépasser notre résultat net ; je le dis sans esprit de polémique, mais c'est une situation unique par rapport à l'ensemble des grands pays où nous sommes présents : c'est un fait.

Vinci est dans le trio de tête des contribuables français. Dans le même temps, nous continuons d'investir en France des montants importants : 1,1 milliard d'euros en 2023, 1,25 milliard d'euros en 2024. La France est pour nous extraordinairement importante, nous y réalisons 42 % de notre activité, c'est là où nous innovons, où nous formons, où nous testons de nouveaux business models, de nouvelles stratégies.

J'en citerai deux, rapidement. La première, c'est Exegy, notre innovation en matière de béton : nous y remplaçons une partie du ciment, qui est très émetteur de CO2, par d'autres produits, qui seront à terme des argiles broyés, afin de produire du béton bas carbone voire ultra bas carbone. Le deuxième exemple, c'est le principe du « charge as you drive », que nous expérimentons sur une section de notre réseau autoroutier au-delà de la barrière de péage de Saint-Arnoult-en-Yvelines ; l'objectif consiste à intégrer dans la chaussée des bobines électromagnétiques, un peu à l'image de ce qu'on utilise pour recharger son téléphone portable ; par réduction électromagnétique, la bobine réceptrice placée sous le véhicule va faire circuler de l'électricité pendant qu'il roule, ce qui a comme grand avantage de limiter la taille de la batterie embarquée - c'est décisif pour les camions car cette expérience est très importante pour envisager l'électrification du transport lourd. Et ces expérimentations que nous menons en France, lorsque les solutions sont validées, nous les utilisons dans les quelque 120 pays où nous sommes présents.

Je continue sur les impôts. En 2023, Vinci a bénéficié de 42 millions d'euros de crédit d'impôt en France, soit 2 % de sa charge d'impôt en France. Ce total comprend 20 millions d'euros de crédit d'impôt recherche (CIR), 12 millions de réduction d'impôt pour le mécénat, 4 millions d'euros pour le guichet aide électricité et 3 millions d'euros de crédit d'impôt pour les investissements en outre-mer.

Les dépenses éligibles au CIR représentent un montant total de l'ordre de 62 millions d'euros, répartis entre Vinci Construction (36 millions d'euros) et Vinci Énergie (26 millions d'euros). Vinci compte à peu près 320 chercheurs en France et nous gérons un portefeuille d'environ 2 500 brevets.

Pour conclure, je dirai que le système français des aides est effectivement complexe, qu'il est difficile de s'y retrouver. Nous avons passé du temps à réunir les chiffres que je vous ai présentés, parce qu'ils sont dispersés : Vinci est hyper décentralisé avec ses 4200 business units, il nous a fallu aller chercher certains chiffres dans des endroits inattendus, l'exercice a été intéressant, c'est à mettre au crédit de votre commission d'enquête.

Au total, si les montants d'aides publiques que Vinci perçoit ne sont pas négligeables, ils sont, à notre avis, loin de compenser les écarts de charges sociales employeurs avec les pays voisins, qui représentent en France 40 % de coûts supplémentaires par rapport au brut des feuilles de paye, ni les écarts d'impôts de production, qui représentent en France à peu près 3,5 % du chiffre d'affaires pour ce qui nous concerne.

Étant présents dans 120 pays, nous pouvons comparer les systèmes. Nous réalisons 80 % de notre chiffre d'affaires en Europe, en 2023 notre chiffre d'affaires atteignait 6 milliards d'euros au Royaume-Uni, 4,8 milliards d'euros en Allemagne, 3,5 milliards d'euros en Espagne, nous nous développons partout et nous sommes bien placés pour faire des comparaisons. Notre rapport de transparence fiscale publié pour l'exercice 2023 le montre : en France, les charges sociales employeurs nettes d'allègements de charges se sont élevées à 20 779 euros en moyenne par employé, contre 12 751 euros en Allemagne, 11 646 euros en Espagne et 10 007 euros au Royaume-Uni ; les impôts de production représentent 3,5% de notre chiffre d'affaires en France, 1,25 % en Allemagne, moins de 1 % au Royaume-Uni et 0,2 % en Espagne.

M. Olivier Rietmann, président. - Merci pour votre transparence et la précision de votre propos. Vinci a-t-elle reçu des subventions ?

M. Xavier Huillard. - Cela dépend de ce que vous entendez par subvention. Du temps du Président François Hollande, alors que l'État n'avait déjà plus beaucoup de ressources à consacrer au réseau autoroutier, des collectivités territoriales demandaient des aménagements, comme des bretelles d'accès, des échangeurs... Le ministre des transports de l'époque - j'en ai vu passer dix-huit depuis que je suis président de Vinci, la stabilité, c'est un avantage pour développer des stratégies à long terme - avait eu l'idée d'imposer aux collectivités de mettre la main au portefeuille pour que l'État contribue ; il y a donc eu des projets aménagements qui paraissaient vertueux, parce qu'ils rendaient service aux usagers, et parce qu'ils renforçaient l'emploi local, nous y contribuions donc. Si ce type de cofinancements entre dans votre tableau des subventions, on doit pouvoir vous en trouver le chiffre, mais je n'ai pas le sentiment que cela correspond à des subventions à proprement parler...

M. Olivier Rietmann, président. - Je ne pensais pas à ce cas de figure, mais plutôt à des subventions directes, pour votre activité.

M. Xavier Huillard. - Nous ne sommes pas des industriels à proprement parler, Vinci n'a pas d'usines de fabrication, à part nos quelques sites de production d'enrobé, ce produit à base de bitume et de cailloux que l'on étale sur les routes. Nous sommes une société de service, notre richesse, ce sont nos capacités d'ingénierie, pour trouver des solutions qui produisent moins cher et préservent mieux la planète.

M. Olivier Rietmann, président. - J'ai visité dans les Pyrénées-Orientales une entreprise qui fait du recyclage de matériaux de construction, elle parvient par exemple à recycler les blocs de béton qui soutiennent les éoliennes, en séparant le granulat du ciment : êtes-vous engagés sur de telles actions ?

M. Xavier Huillard. - Oui, nous sommes même les leaders en la matière, et c'est pourquoi je parle de déconstruction et non pas de démolition de bâtiments. Voyez ce qui se passe pour notre siège de Nanterre : nous démolissons les anciens bâtiments, mais en séparant les matériaux et en les recyclant, c'est de la déconstruction.

Pour vous donner un ordre de grandeur, notre production annuelle de granulats qui n'est pas d'origine extractive, donc issue du recyclage, est d'environ 18 millions de tonnes. Nous en sommes de loin le plus grand producteur français, nous avons commencé très tôt et nous diffusons cette pratique au Canada, aux États-Unis, dans tous les pays où nous sommes implantés. L'économie circulaire est notre nouvelle frontière, c'est l'un des trois axes de notre action en matière d'environnement, les deux autres étant la réduction d'empreinte de CO2 - nous sommes, avec un plan pour 2030, sur la trajectoire des Accords de Paris, avec une réduction de CO2 de 40 % par rapport à 2018 -, et le respect de la biodiversité et des milieux naturels, où nous avançons également, par exemple dans l'usage et le traitement des eaux que nous utilisons sur nos chantiers et qui retournent dans la nature.

M. Christian Labeyrie, directeur-général-adjoint de Vinci. - Nous avons pour objectif que le quart des enrobés que nous utilisons provienne du recyclage.

M. Xavier Huillard. - Autre exemple : comme nous avons la chance d'avoir la gestion provisoire de 4  400 kilomètres d'autoroutes et aussi de fabriquer des autoroutes, nous avons expérimenté il y a quelques années une rénovation d'une section de chaussée autoroutière entièrement par recyclage : nous rabotons la chaussée, nous remalaxons le matériau en y ajoutant ce qui va bien, et nous remettons ces granulats sur la chaussée ; cette expérience nous montre que l'optimum économique s'établit autour de 50 % de recyclage, ce serait déjà énorme d'y parvenir.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Merci pour votre propos introductif et votre effort de transparence. J'ai lu votre rapport de transparence financière, il est imposant, et ma première question est très simple : seriez-vous d'accord pour ajouter à ce rapport une présentation des aides publiques que vous recevez ?

M. Xavier Huillard. - Aucun problème. Je suis transparent sur les impôts que nous payons en France et qui sont plus importants qu'ailleurs, il me semble normal de l'être également pour les aides publiques. La transparence, c'est la bonne façon, démocratique, d'avancer - vous l'avez constaté dans notre rapport, que vous êtes probablement le seul ici à avoir lu intégralement...

M. Fabien Gay, rapporteur. - Je l'ai lu du début à la fin, j'avoue que j'ai eu du mal, parce que je ne suis pas un financier... J'y ai appris beaucoup.

M. Xavier Huillard. - Par exemple, sur la diversité des métiers de Vinci ?

M. Fabien Gay, rapporteur. - Je ne savais pas l'importance de votre secteur énergétique, un domaine qui m'intéresse - mais je savais ce que vous faites dans le domaine aéroportuaire ou des stades sportifs, mais ce n'est pas l'objet de notre commission d'enquête...

M. Xavier Huillard. - Permettez-moi d'apporter une précision. En France, on connait Vinci pour les autoroutes française. On sait moins que, par exemple, nous exploitons aussi 1 200 km d'autoroutes au Brésil, des centaines de kilomètres en Grèce, en Allemagne. On sait peu, également, que sommes le leader mondial privé de gestion d'aéroports, avec 72 aéroports. Nous sommes, hors Chine, le leader mondial des services à l'énergie dans le numérique, avec 27,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Et nous sommes le leader mondial de la construction, hors Chine.

Nous n'en tirons aucune arrogance. Mais le fait est que pour un pays de notre taille, réussir à atteindre une telle position mondiale, - je ne m'en attribue pas le succès, je n'ai fait que reprendre le flambeau et je vais le transmettre très prochainement -, le fait de se tailler des places de leadership mondial sur des métiers qui sont au coeur des grandes transitions en cours, ce n'est pas rien.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Je connaissais bien la partie autoroutière, vous connaissez le débat qui existe dans la société, des questions se posent sur les concessions autoroutières ; je me suis opposé à la privatisation d'Aéroports de Paris, mais j'avais dit que si cela devait se faire, Vinci serait l'un des meilleurs concessionnaires... J'en reviens aux aides publiques. Recourez-vous à l'IP Box pour vos revenus de vos brevets ? Percevez-vous des aides régionales, européennes ?

M. Christian Labeyrie - La fiscalité française s'applique sur nos brevets, c'est la règle - nous facturons à l'étranger des redevances sur nos brevets et nous sommes taxés selon la loi française.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Je pose la question, parce qu'une nouvelle fiscalité permet de loger ses brevets dans ce qu'on appelle l'IP Box, et ainsi d'abaisser la fiscalité de 25 à 10 %, cela représente plusieurs dizaines de millions d'euros pour certains groupes, c'est une aide directe - mais vous nous dites que vous n'y recourez pas...

M. Xavier Huillard. - Je ne savais même pas que cela existait...

M. Fabien Gay, rapporteur. - N'y voyez pas une invitation, surtout de la part d'un élu communiste, à faire de l'optimisation fiscale - mais beaucoup de vos confrères recourent à cette niche fiscale...

J'en viens aux partenariat public-privé (PPP), vous avez évoqué le cas des aménagements autoroutiers demandés par les collectivités territoriales, et qui se sont faites avec des cofinancements.

En 2018, la Cour des comptes de l'Union européenne a estimé que les recours aux PPP présentaient des avantages limités pour les collectivités et manquait de transparence. Vous évoquez la LGV Tours-Bordeaux, que je connais parfaitement en tant que Bordelais ; elle a coûté 7,7 milliards d'euros au total, son financement a requis des prêts bancaires garantis par l'État, via des fonds d'épargne de la Caisse des dépôts, parmi bien d'autres financements, les départements ont participé, la Banque européenne, et même SNCF Réseau - et le consortium Lisea, dont Vinci fait partie, sera rétribué pendant les 50 ans de la concession par redevance sur les trains qui empruntent la ligne, pour le moment seulement ceux de la SNCF et j'espère pour longtemps.

De l'argent public, venu de l'État français, de l'UE, des collectivités, participe donc à un projet, mais la rémunération au long cours, elle, ne va qu'au privé, et c'est la même question pour les autoroutes, y compris pour la bretelle d'autoroute dont vous donnez l'exemple : comprenez-vous qu'on se pose la question, dès lors que le public participe au financement de l'infrastructure, sur le fait que seul le privé en tire ensuite des revenus ?

M. Xavier Huillard. - C'est un vaste débat, ce n'est pas la première fois qu'il a lieu au Sénat. La première chose, c'est que nous ne décidons jamais, à Vinci, qu'il faut faire une LGV entre Tours et Bordeaux : c'est l'État qui décide et qui a le choix du financement et de la gestion de la ligne. Voyez la ligne Bordeaux-Toulouse : l'État a décidé de la faire avec les méthodes habituelles, historiques, donc sans concession, ni PPP.

Il y a une différence entre concession et PPP. Avec la concession, vous êtes rémunéré à risque, c'est vous qui portez le risque du trafic ; un PPP, c'est ce qu'on appelle en anglais un availability scheme, vous êtes rémunéré en fonction de votre capacité à faire que l'infrastructure dont vous avez la charge de construction, puis de maintenance et d'exploitation, soit disponible pour son usage. La LGV Bretagne-Pays de Loire est un PPP, l'entreprise Eiffage n'est pas rémunérée en fonction du nombre de trains qui circulent sur cette ligne, alors que nous le sommes sur la LGV Tours-Bordeaux, parce que l'État a recouru à la concession, que nous avons obtenue en gagnant un appel d'offres compétitif.

La bonne nouvelle, c'est que l'Autorité de régulation des transports (ART) mesure désormais la rentabilité des investissements en examinant le taux de rentabilité interne, qu'on appelle le TRI. Lorsque je parlais du TRI il y a 20 ans, je n'étais pas très bien compris, les esprits ont heureusement évolué, grâce en particulier à l'ART. Cette autorité examine les concessions autoroutières très régulièrement : elle regarde si le TRI, donc la rémunération du risque pris par l'entrepreneur, est raisonnable ou non. Et la bonne nouvelle, c'est que cela fait trois fois de suite que l'ART a conclu que le TRI était raisonnable eu égard au risque pris par le concessionnaire.

Le choix de faire ou de ne pas faire un équipement relève des autorités publiques, jamais de nous. On a reproché à Vinci son chantier de l'aéroport de Notre-Dame des Landes, mais ce n'est pas nous qui l'avions décidé et ce serait ridicule de dire que nous avions poussé aux feux : bien sûr que non, c'est l'État qui décide, et du projet, et de la façon de le réaliser - nous répondons, nous, à des appels d'offres, que nous gagnons ou pas. Nous n'avons pas gagné l'A69, par exemple, ce qui n'est finalement pas une mauvaise chose pour nous...La privatisation d'ADP, elle, ne s'est pas faite, c'est plutôt une bonne nouvelle parce qu'il y a eu la Covid-19 dans l'intervalle...

La vraie question, c'est la rentabilité de l'investissement. Or, sur la LGV Tours-Bordeaux, je ne pourrai vous en parler que dans vingt ans parce que pour le moment, on y perd de l'argent, c'est la courbe habituelle d'une concession : au début, vous amortissez les gros investissements, et puis petit à petit le trafic prend de l'ampleur, c'est ce qu'on appelle le ramp-up, et puis vous commencez à faire du profit, et sur la durée, le profit compense les pertes que vous avez essuyées parfois pendant 10 ou 15 ans.

Le meilleur exemple, dont personne ne parle, c'est le duplex de l'A86 : nous l'avions proposé, l'État a repris l'idée, nous avons gagné l'appel d'offres, puis un recours arrête le projet, il y a un nouvel appel d'offres, que nous gagnons à nouveau, pour une concession de 70 ans - c'était la durée nécessaire pour amortir l'investissement de plus de 2 milliards d'euros, avec un tarif à environ 10 euros le passage. Nous l'avons ouvert en 2015 et pour le moment, nous sommes en perte, parce que nous sommes encore au début de la concession : la rentabilité ne se juge que sur la durée.

Sur la LGV Tours-Bordeaux, la rentabilité risque d'être plus compliquée à atteindre si l'on continue à y faire circuler aussi peu de trains qu'aujourd'hui, j'espère que d'autres compagnies ferroviaires vont pouvoir l'emprunter, elle n'est utilisée qu'à 40 % de sa capacité et vous constaterez que les trains y sont très pleins...

M. Fabien Gay, rapporteur. - Et les billets sont chers...

M. Xavier Huillard. - La rentabilité, donc, ne se mesure pas en résultat rapporté au chiffre d'affaires, elle se mesure avec le TRI, qui lui-même s'apprécie en fonction du risque - et sur cette LGV, il est trop tôt pour le dire, parce qu'on est au tout début de l'aventure.

M. Christian Labeyrie - Le consortium Lisea perd environ 40 millions d'euros par an et n'a pas versé 1 centime de dividende depuis sa création.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Je ne reproche pas à une entreprise privée de faire du profit, c'est sa raison d'être, une entreprise n'est pas là pour faire de la philanthropie, mais pour dégager des revenus qui permettent de payer des salaires et les actionnaires. Cependant, je repose la question sur les PPP : avez-vous des exemples d'opérations qui n'ont pas été rentables pour le privé ? On nous parle toujours de rémunération du risque, d'accord ; mais est-ce qu'il y a des exemples où cela se passe mal ? Dès lors, quel risque prenez-vous, à Vinci, avec une concession autoroutière ou une LGV ? En réalité, sauf un cas que vous allez peut-être nous dire, vous êtes gagnants dans tous les cas : où est le risque ?

M. Xavier Huillard. - Je pourrais vous citer des exemples en France pour des concurrents, ce n'est pas mon rôle de le faire. Pour Vinci, je peux vous en citer à l'étranger : l'aéroport de Santiago-du-Chili, une concession à risque de trafic, où nous sommes payés en fonction du business généré par les passagers qui passent dans cette nouvelle infrastructure. Autre exemple, les PPP autoroutiers que nous avons en Allemagne, l'un d'eux a mal tourné. Dans l'availability scheme, vous pouvez perdre de l'argent dans la construction même, c'est ce qui se passe par exemple pour ceux qui font l'A69. Ensuite, vous êtes payés en fonction de la disponibilité de l'infrastructure, vous ne pouvez pas perdre beaucoup puisque vous ne risquez que des pénalités si des voies de circulation ne sont pas disponibles ; lorsque vous êtes à risque de trafic, au contraire, vous pouvez perdre beaucoup d'argent si vous vous êtes trompés.

Dans les concessions autoroutières que nous avons par exemple gagnées en 2005 sur la base d'une valeur de 19 milliards d'euros jusqu'en 2035, nous nous sommes trompés sur tous les paramètres que nous avions inscrits en prévision : l'inflation, le taux de motorisation des ménages, le prix des carburants, la croissance économique - sur tout donc, et comme il y a un dieu qui vient au secours des entrepreneurs, que l'on appelle la loi des grands nombres, la situation nous a été moins défavorable qu'elle aurait pu l'être, surtout que tout a changé depuis 2005 : il y a eu Lehman Brothers et les crise des subprimes, les gilets jaunes, la Covid-19... Nous avons surtout été sauvés par le fait que les taux d'intérêt ont été très bas pendant longtemps, ce qui nous a donné de l'air, et par cette loi des grands nombres, qui fait que nous sommes retombés sur nos pieds.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Vous n'avez donc aucun exemple pour Vinci, en France, d'une concession qui aurait mal tourné - je peux donc conclure que le risque que vous prenez est en réalité très limité ?

M. Xavier Huillard. - C'est vous qui le dites... Pendant les confinements, il n'y avait plus de trafic autoroutier...

M. Fabien Gay, rapporteur. - Certes, mais comme les concessions autoroutières avaient pris 7 à 10 ans d'avance sur le plan financier, vous aviez de la marge...

M. Xavier Huillard. - Attention, la crise financière de 2008, après la faillite de Lehman Brothers, nous a couté l'équivalent de dix ans de trafic poids lourds... Et certaines des concessions autoroutières que nous avons achetées avaient de graves difficultés financières. Le risque réside dans le fait de prévoir des paramètres 30 ans à l'avance, qui s'avèrent généralement faux, mais la loi des grands nombres fait qu'on retombe généralement sur ses pieds : cependant, si l'État veut faire par lui-même, libre à lui.

Nous sommes au-devant de ce que j'ai appelé la deuxième révolution de l'électricité. Les capitaux qu'il va falloir engager pour réussir notre transition environnementale et énergétique sont extraordinairement élevés, et dans beaucoup de pays, au-delà des capacités de financement public. La meilleure preuve, c'est que nous avons des projets de lignes à très haute tension sous forme de PPP en Australie ou au Brésil, parce que c'est un moyen de faire ce qu'on appelle du blending financing, c'est-à-dire un mix entre du financement privé et du financement public, avec des responsabilités claires entre les uns et les autres. Mon pronostic, c'est que ces modèles de PPP seront très utiles pour réaliser les investissements colossaux qui sont nécessaires à la transition environnementale et énergétique.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Je pensais que vous alliez me citer le Stade de Bordeaux, le Matmut Atlantique...

M. Xavier Huillard. - Merci d'en parler, je peux également citer le stade du Mans.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Si vous faîtes de mauvais investissements, je n'y suis pour rien...

M. Xavier Huillard. - Alain Juppé voulait un nouveau stade à Bordeaux, ce n'est pas Vinci qui en a décidé, le stade aurait pu être financé par de l'argent public régional, les politiques ont décidé de passer par un PPP, nous l'avons remporté avec Fayat, mais nous n'avons pas été aidés par les mauvaises performances du club des Girondins de Bordeaux...

M. Fabien Gay, rapporteur. - Effectivement. Mais pour ce qui nous concerne, vous ne nous avez pas cité cet exemple par vous-même, il a fallu que je vous le souffle...

Je poursuis sur les aides publiques. Savez-vous quel montant de crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) Vinci a perçu avant 2018 ? J'ai pour 2013 le chiffre de 83 millions d'euros, vous étiez alors au troisième rang. À quoi cette aide a-t-elle servi ? Est-elle entrée dans le budget général ? Est-ce que vous en avez augmenté votre R&D, vos emplois - ou votre compétitivité, dont chacun dit qu'elle ne s'évalue pas ? À quoi cette aide a-t-elle précisément servi pendant toutes ces années ?

M. Xavier Huillard. - Le CICE a été créé à une époque où nous avons collectivement pris conscience du fait qu'en France les charges sur les salaires les plus modestes étaient très peu compétitives par rapport à d'autres pays - ce qui est un problème important pour les entreprises qui sont en compétition frontale avec celles de ces autres pays, c'est particulièrement le cas des industries. Nous en avons bénéficié parce que nous y avions droit ; en 2017, au pic du régime, il avait représenté pour Vinci une économie nette d'impôts de 153 millions d'euros - à comparer aux allègements actuels, qui sont en dessous de 60 millions d'euros : le CICE était plus avantageux pour nous que l'allègement de charges qui l'a remplacé.

Les allègements de charges sur les bas salaires, ensuite, ne doivent pas changer les règles du jeu entre concurrents sur le marché français, je le dis en devançant vos questions. Car sur le marché français, en particulier celui des services, nous sommes en concurrence avec un grand nombre d'entreprises, y compris des ETI, des PME et des TPE : il faut que les règles soient les mêmes pour tous, ou bien la concurrence est faussée.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Je suis plutôt pour l'égalité de traitement, je suis pour que des entreprises payent de l'impôt, c'est l'égalité face à l'impôt et l'égalité face aux aides publiques. Si on introduit une distorsion de concurrence, il y a un biais, nous sommes d'accord sur ce point...

M. Xavier Huillard. - Au moment du CICE, les taux d'impôts sur les sociétés étaient plus importants qu'aujourd'hui, il faut tout prendre en considération.

M. Fabien Gay, rapporteur. - La réalité, c'est qu'on a présenté le CICE à 20 milliards d'euros comme un levier de compétitivité qui allait créer 1 million d'emplois, mais on a eu 100 000 emplois supplémentaires et on nous a expliqué que la compétitivité, on ne pouvait pas l'évaluer, donc en connaître le gain - Louis Gallois lui-même nous l'a dit...

M. Xavier Huillard. - Si, la contrepartie du CICE, elle est dans les prix.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Intégralement ?

M. Xavier Huillard. - Oui, dans une activité comme la nôtre où les marges finales ne dépassent pas 3 ou 4 %, où la concurrence est très forte, on fait tout pour avoir le prix le plus bas, donc on répercute tous les avantages...

M. Olivier Rietmann, président. - Certains disent effectivement que la compétitivité ne s'évalue pas, mais on en a tout de même des indices, ne serait-ce qu'en comparant le coût du travail comme vous l'avez fait entre la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni et l'Espagne - et on peut y ajouter des critères sur le salaire moyen, les conditions de travail, les accidents du travail et les maladies professionnelles...

Je suis donc convaincu que la compétitivité s'évalue au moins relativement, mais encore faut-il qu'on le veuille. Même chose pour les aides publiques, cela suppose qu'on évalue leur efficacité. Le fait-on ? Je vous ai posé la question : quel suivi faites-vous des aides publiques ? Êtes-vous favorable à un meilleur suivi - et quels critères d'évaluation envisageriez-vous ?

M. Xavier Huillard. - Comment fait-on chez nous ? Quand nous lançons une politique interne, nous faisons une étude d'impact approfondie, ce qui n'est pas si courant en France ; ensuite, on examine ce que l'action a donné, et nous revenons sur nos décisions s'il y a lieu, on regarde si on continue, ou si l'on arrête.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Quand on évalue, il faut aller jusqu'au bout. Car derrière les cotisations sociales, que vous appelez des charges, il y a un modèle social : des ouvriers et des ingénieurs bien formés et bien soignés, qui ont accès à des services publics, cela fait partie d'un modèle social qui doit entrer dans les comparaisons en termes de compétitivité.

M. Olivier Rietmann, président. - L'Allemagne ou le Royaume-Uni, par exemple, n'ont pas des modèles sociaux si éloignés du nôtre, quant à la qualité...

M. Fabien Gay, rapporteur. - Le modèle social allemand est beaucoup vanté, mais on parle peu de ses très bas salaires, des « jobs à 1 euro », des emplois séniors extrêmement précaires... Il y a de quoi débattre, mais ce n'est pas l'objet de notre commission d'enquête.

Pendant la crise sanitaire, vous n'avez pas bénéficié de prêts garantis par l'État (PGE) ?

M. Xavier Huillard. - Non, ni de reports d'échéance fiscale.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Vous avez gagné 5 000 emplois entre 2018 et 2023, mais vous avez tout de même supprimé 4 600 emplois en 2020, alors que l'État vous accompagnait significativement - 103 millions d'euros - pour prendre à sa charge une partie des salaires et éviter les licenciements. Dans le même temps, vous avez continué à verser du dividende : 2,04 euros par action en 2020, 2,90 euros en 2021, donc il augmente. C'était un choix. D'autres ne l'ont pas fait, par exemple M. Pouyanné, à la tête de TotalEnergies, nous a dit que, pour lui, soit son entreprise touchait des aides et alors elle ne devait pas verser de dividende, soit elle choisissait de continuer à verser du dividende, ce que voulait son conseil d'administration, et alors l'entreprise n'avait pas à toucher d'aide publique : c'est cette option qui a finalement été retenue.

Ma question est donc celle-ci : comprenez-vous le malaise, la colère, ou minima les questions qu'on se pose quand une entreprise aussi solide que la vôtre touche des aides publiques substantielles, verse du dividende et licencie la même année ?

M. Olivier Rietmann, président. - Nous n'avons cependant pas le montant total du dividende versé - la question peut se poser aussi d'en déduire au moins l'équivalent de l'aide publique reçue, les 103 millions d'euros...

M. Xavier Huillard. - Juste avant la Covid-19, nous avions communiqué que notre dividende allait être à 3,05 euros par action. Au titre de 2019, il était descendu à 2,04 euros, nous l'avons donc diminué d'un euro par action du fait de la crise sanitaire, cela représente 450 millions d'euros.

Nous avons baissé, donc, notre dividende, sans pour autant le mettre à zéro, parce que les actionnaires sont une partie prenante comme une autre : ce n'est pas la plus importante, mais il faut la traiter correctement, ou bien les choses se passent mal ; du reste, en diminuant d'un tiers notre dividende, nous étions largement dans les clous de ce qui nous demandait la puissance publique - Bruno Le Maire appelait à une baisse entre un quart et un tiers. L'année suivante, nous sommes restés à 2,04 euros et ce n'est qu'après que nous sommes revenus à cette règle simple que nous suivons depuis 20 ans : consacrer entre 50 et 55 % de notre résultat net au dividende, parce que nos actionnaires ont pris le risque de nous soutenir - c'est ce qu'on appelle le pay-out, le taux de distribution de dividendes. Nous étions montés un peu plus haut quelques années où nous avions moins de résultat, parce qu'il ne fallait pas désespérer l'actionnaire... Et pour répondre à votre remarque, nous avons donc baisser notre dividende bien au-delà de l'aide publique que nous avons reçue : environ 450 millions, à comparer aux 103 millions d'euros perçus.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Je lis dans votre rapport qu'en 2021, le dividende n'est pas resté à 2,04 euros par action, mais qu'il est passé à 2,86 euros...

M. Christian Labeyrie. - Il y a une année de décalage...

M. Xavier Huillard. - Le principe, c'est que nous versons un acompte. Cette année, par exemple, nous avons déjà versé un acompte en novembre 2024 sans avoir les comptes définitifs et ce n'est qu'une fois le tout soldé qu'on saura ce qu'il en est. En 2020, nous versions le dividende pour 2019, il était de 2,04 euros, puis nous l'avons maintenu à 2,04 euros en 2021 pour l'année 2020. Nous l'avons remonté après, et nous sommes revenus à notre logique d'un dividende équivalent à 50-55% du résultat net.

M. Fabien Gay. - Vous êtes remontés très vite...

M. Xavier Huillard. - Chez ADP, par exemple, leur taux de distribution est de 70%.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Le taux de distribution, c'est un autre débat... La question que je vous pose reste entière. Comprenez-vous qu'une entreprise qui fait du bénéfice, que l'État aide à traverser des difficultés en nationalisant une partie des salaires - l'aide de  103 millions d'euros que vous avez reçue en 2020 revient à nationaliser une partie de vos salaires -, une entreprise qui touche donc de l'aide publique, verse plus d'un milliard d'euros de dividende, et licencie dans le même temps ? Comprenez-vous qu'on puisse se poser des questions ?

M. Xavier Huillard. - Je vous réponds très clairement : non seulement nous comprenons qu'effectivement on ne pouvait pas maintenir notre dividende comme prévu à 3,05 euros, et c'est bien pourquoi nous l'avons baissé d'un tiers - mais à titre personnel, j'ai également fait des efforts, même si cela n'entre pas dans le débat. Toutefois, je ne suis pas d'accord avec l'idée que, parce que nous obtenons 100 millions d'euros d'aides, on devrait mettre le dividende à zéro. Parce qu'en le faisant, nous aurions vite eu des problèmes avec nos actionnaires, qui sont étrangers à 70 %... Un actionnaire, ça se traite bien, comme toutes les autres parties prenantes, on a besoin d'eux. Parce que quand on ne les traite pas bien, ils finissent par se fâcher, et que pensez-vous qu'ils fassent, alors ?

M. Fabien Gay, rapporteur. - C'est M. Pouyanné qui nous l'a dit, il ne parlait pas sons la contrainte, et il a estimé qu'une entreprise qui était aidée pendant la crise sanitaire, n'aurait pas dû verser de dividende, ou bien renoncer à l'aide publique...

M. Xavier Huillard. - Il parlait pour lui.

M. Christian Labeyrie - Le rendement de l'action et de 4 % - et depuis une semaine, les actionnaires ont perdu 10% : il y a des risques quand on est actionnaire, même quand on touche du dividende...

M. Xavier Huillard. - Je m'attendais à une question sur l'apprentissage, j'ai des choses à dire sur le sujet...

M. Olivier Rietmann, président. - C'est un sujet qui me tient aussi à coeur, et il entre dans le champ de notre commission d'enquête, puisque vous nous dites avoir reçu, en 2023, environ 23 millions d'euros pour les 6 000 apprentis que vous employés.

En tant que patron de Vinci, considérez-vous qu'il faudrait mieux cibler les aides à l'apprentissage ? Que pensez-vous des changements apportés dans la dernière loi de finances ? Ne pensez-vous pas qu'il faudrait faire une différence entre les apprentis en fonction de leur niveau de diplôme ? Je ne parle pas uniquement en termes de taille d'entreprise, même si je pense qu'il faut également prendre en compte cette dimension, notamment entre les artisans, les commerçants, les PME et les grandes entreprises qui n'ont pas les mêmes moyens. Je pense à la différence à faire entre apprentis de niveaux CAP, Bac pro, Bac + 2, qu'il faut accompagner de manière forte, alors que ce n'est pas le cas pour les apprentis de niveaux Bac + 3, Bac + 4, Bac + 5 et plus, qui ont la possibilité d'obtenir leur diplôme sans passer par l'alternance, notamment dans certaines facultés qui proposent des formations adaptées, et qui ont une rémunération pendant leur apprentissage.

L'apprentissage était soutenu l'an passé à hauteur de 21,6 milliards d'euros, ce montant va diminuer un peu avec les changements opérés cette année. Vous qui connaissez bien les entreprises et le fonctionnement des pays voisins, que pensez-vous de l'apprentissage en France ? En Suisse, 70 % des jeunes entre 15 et 24 ans sont passés par l'alternance, sans quasiment aucune aide de l'État, avec un véritable partenariat public-privé, une véritable culture de l'alternance - je force le trait, mais en Suisse ou en Allemagne, on a saisi tout l'avantage de l'apprentissage pour les jeunes, mais aussi pour l'entreprise, pour son avenir, ses recrutements de demain. En France, les chefs d'entreprises, quand ils me parlent d'alternance, me donnent l'impression qu'ils contribuent à une oeuvre sociale et, plus généralement, j'ai le sentiment que l'alternance est portée surtout par l'État. Ne pensez-vous pas que les grandes entreprises pourraient y contribuer davantage, surtout pour les niveaux de diplômes élevés ?

M. Xavier Huillard. - Il faut voir d'où l'on vient. L'apprentissage au sens large, jusqu'au baccalauréat professionnel, a longtemps eu mauvaise presse dans notre pays, pour des raisons culturelles. L'idée de globaliser les apprentis et les alternants a été intelligente, car cela a remonté l'image de l'apprentissage au sens large. A Vinci, nous avons augmenté d'environ 30 % le nombre d'apprentis et d'alternants. Sur les 6 000 apprentis, il y a un peu plus d'un tiers d'apprentis au sens historique du terme et les deux tiers d'alternants. Nous partions de bas, j'ai pu motiver mes unités opérationnelles en mettant en avant les aides que vous avez mises en place, elles ont été très utiles - à l'échelle du pays aussi, car le nombre d'apprentis a augmenté. A Vinci, nous sommes à 6 % d'apprentis. Maintenant que cet amorçage a bien fonctionné, vous pouvez retirer l'aide, mais ne débranchez pas trop vite le fil, allez-y progressivement, parce que nous sommes encore loin de la situation allemande, par exemple, où il y a 15 % d'apprentis - l'apprentissage y est vraiment entré dans les moeurs, alors que ce n'est pas tout à fait le cas chez nous. Cependant, attention, si vous faites une différence entre les entreprises selon leur taille, vous allez fausser la concurrence parce qu'encore une fois, mes concurrents en France, ce sont des entreprises locales, des petites entreprises de construction qui auront alors l'avantage sur moi.

Mme Anne-Sophie Romagny. - La question porte aussi sur la différence à faire selon le niveau de diplôme.

M. Xavier Huillard. - Le vrai sujet, ce sont les apprentis au sens historique. Pour les alternants, la question est surtout financière, il faut voir que le salaire qu'ils touchent, les aide à faire leurs études et qu'ils risquent de les arrêter s'il n'y a plus de salaire. Ensuite, un Bac + 5 trouve du travail même s'il n'a pas fait d'alternance, en général, alors que pour les niveaux d'études moins avancés, l'alternance fait plus la différence - et donc, pour les Bac+5, c'est surtout la question de l'accompagnement financier des études qui est un sujet.

Tout cela étant dit, le système d'alternance, qui consiste à alterner travail et études académiques est un excellent système. Nous embauchons très volontiers des personnes qui sont passées par l'alternance.

M. Michel Masset. - Vos actionnaires étrangers sont nombreux, les charges salariales sont plus fortes en France, mais vous restez dans notre pays: est-ce que vos investisseurs vous demandent de transférer votre activité ailleurs ?

Vous dites attendre des simplifications administratives, mais le mieux ne serait-il pas de décentraliser l'action, et de faire des PPP plus autonomes par territoires ?

Quatre de vos salariés sur cinq sont actionnaires de Vinci en France, souhaitez-vous aller plus loin ? Une part du CICE est-elle allée à l'amélioration des conditions de travail des salariés ?

Jeudi prochain, nous aurons une journée de l'apprentissage au Sénat. Vous avez vos propres centres de formation chez Vinci, et dans le même temps, des centres de formation d'apprentis (CFA) publics sont en difficulté : comment articuler le public et le privé pour ces centres de formation - pourrait-on envisager un PPP en la matière ?

Enfin, quelle serait la meilleure aide à la compétitivité ?

M. Marc Laménie. - Quelles sont vos relations avec les autorités organisatrices de mobilité ? Vous apportent-elles des aides publiques ?

Vous avez une fondation Vinci, qui intervient sur de grandes causes : quel est son budget ?

Enfin, avez-vous des PPP sur les voies navigables, en particulier pour la rénovation des barrages - je pense en particulier à de gros chantiers sur le fleuve Meuse et la rivière Aisne : quel a été votre rôle ?

M. Xavier Huillard. - Merci d'évoquer ce chantier sur la Meuse et l'Aisne, c'est un bon exemple de PPP... très difficile, je n'avais pas pensé à l'évoquer, ce qui montre bien que les mauvaises choses, on les oublie et c'est très bien comme cela. Le détail de ce chantier serait trop long à raconter, mais nous avons eu bien du mal.

Nous avons plusieurs initiatives en matière de fondations. La fondation Vinci pour la cité fonctionne de façon admirable. Nous avons inventé un principe il y a plus de 20 ans : nous aidons financièrement un certain nombre d'associations. Mais l'aspect le plus important est notre mécénat de compétences. Nous avons 106 000 collaborateurs en France qui nous signalent des associations à aider ; nous leur proposons une aide financière et leur demandons d'apporter leur expertise. Cet assemblage entre mécénat de compétences et aide financière marche remarquablement. Je dis souvent que si nous devions arrêter la fondation pour des raisons budgétaires, je pense que je me ferais renvoyer du groupe par mes collaborateurs. Cela représente 5 millions d'euros par an, sans frais de fonctionnement.

Nous avons également la fondation Vinci Autoroutes pour une conduite responsable, qui fait des enquêtes sur la manière dont les conducteurs devraient se comporter sur l'autoroute. Nous avons versé 12 millions d'euros de mécénat l'année dernière.

Lors des événements des Gilets jaunes, nous nous sommes rendu compte que nous faisions insuffisamment sur un des axes principaux de nos actions de mécénat. Nos deux axes, c'est l'insertion par l'économique et l'accompagnement social. Nous sommes leader en France avec entre 5 000 et 6 000 personnes qui sont en situation d'exclusion à qui nous proposons de leur remettre le pied à l'étrier par le biais d'un emploi. Mais cela ne suffit pas, il faut faire de l'accompagnement social. Nous avons un réseau de centaines d'associations d'insertion qui nous aident en matière d'accompagnement social. Nous avons l'avantage d'être une grande entreprise, cela nous donne des leviers d'action.

Lors des Gilets jaunes, nous nous sommes rendu compte que nous n'en faisions pas assez pour faire prendre conscience aux jeunes collégiens de la réalité de l'entreprise, notamment en direction des quartiers prioritaires de la ville. Nous avons alors décidé d'industrialiser les stages des classes de Troisième et Seconde, avec une initiative que nous avons appelée Give Me Five : nous prenons 8 000 stagiaires par an, exclusivement en provenance de quartiers prioritaires de la ville, et qui, pendant une semaine, découvrent la diversité de nos métiers. Nous leur faisons visiter le Stade de France, leur faisons subir un examen sur leur e-réputation, leur apprenons les dangers des réseaux sociaux, et ils découvrent à quel point cela peut être passionnant d'être dans l'entreprise. Cela représente encore 5 millions d'euros, nous n'en tirons pas de gloire particulière, car cela fait partie de notre responsabilité sociétale.

La décentralisation est la mère de toutes les réformes, nous l'avons expérimentée à Vinci puisque nous avons découpé le groupe en 4 200 unités d'affaires, dont plus de 2 000 en France. Il est grand temps de comprendre que notre pays ne doit plus être dirigé par le haut en toute chose, et qu'il faut donner des leviers d'action aux territoires, y compris des leviers de recettes.

Le rapport de M. Woerth propose ainsi que les échelons politiques locaux puissent fixer eux-mêmes le taux d'impôts, c'est une bonne chose. Il faut que la France se décentralise, nous n'arriverons pas à réformer collectivement ce pays sans un geste fort de décentralisation - nous montrons l'exemple à Vinci, nous sommes peut-être le groupe le plus décentralisé au monde...

L'actionnariat salarié est très développé chez Vinci, les salariés actionnaires ou anciens salariés qui restent actionnaires possèdent environ 7 milliards d'euros d'actions : c'est leur retraite, leurs économies. Nous avons un mécanisme qui leur permet de rentrer trois fois par an dans le capital et puis de sortir au bout de cinq ans. Les salariés sont collectivement les premiers actionnaires de Vinci, avec 11 % du capital, c'est important pour le groupe et c'est très efficace, la plupart de nos actionnaires sont conscients que leur avenir est en jeu, même dans les petits gestes, comme éteindre la lumière le soir. Faut-il aller plus loin ? Je ne le pense pas, nous sommes autour de 11 % depuis des années et c'est très bien comme cela.

Nous n'avons pas nos propres centres de formation d'apprentis. Nous nous appuyons sur les centres existants et essayons de les faire vivre. Nous sommes présents dans la partie éducation en envoyant nos collaborateurs, qui sont professeurs, pour s'occuper des jeunes. Dans le cadre de Give Me Five, nous suivons dans le temps les 8 000 jeunes que nous accueillons en stage découverte, nous les orientons vers l'apprentissage, leur proposons des stages ou des jobs d'été, c'est très important. Nous n'avons donc pas nos propres CFA, nous avons choisi de coopérer avec ceux qui existent.

M. Olivier Rietmann, président. - Le lien public-privé va dans les deux sens...

M. Xavier Huillard. - Nous avons de nombreux centres de formation à travers le pays, destinés à faire progresser nos collaborateurs en compétence. Dans nos entreprises, les gens restent parce qu'ils ont le sentiment qu'ils vont continuer à progresser : mon véritable rôle de patron est de les faire grandir en compétence. En échange, ils nous sont fidèles car ils ont le sentiment qu'on s'occupe d'eux. C'est leur retraite ou leurs économies au niveau de l'actionnariat, et leur capacité à prendre des responsabilités de plus en plus importantes. Notre vocation est de faire grandir les collaborateurs.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Considérez-vous qu'en tant que donneur d'ordre sur des grands chantiers, vous avez une responsabilité sociale ou environnementale par rapport à la sous-traitance de niveau 1, 2, 3 et même davantage ? Il arrive qu'on descende à des sous-traitants de rang 4, 5, 6 et même 7, cela a des conséquences sur les questions sociales, sur la régularisation de sans-papiers, on l'a vu sur les chantiers des Jeux olympiques et paralympiques.

Ensuite, où en est-on sur la concession du Stade de France ? J'ai déposé une résolution pour interdire sa vente au Qatar, en soulignant qu'on ne pouvait pas faire de grandes déclarations contre le terrorisme, tout en vendant ce bien essentiel de la Nation qu'est le Stade de France, à un pays qui finance le terrorisme, le Qatar : où en est-on du renouvellement de la concession ?

M. Xavier Huillard. - Je vais commencer par cette dernière question, en répondant sommairement, car des actions judiciaires sont en cours. Je rappelle qu'au début d'une concession, sa durée n'est pas une donnée d'entrée, c'est une résultante des capitaux engagés à risque. Notre projet, avec Bouygues, après avoir géré la concession depuis 30 ans, vise à redonner au Stade de France sa capacité de briller pendant des décennies. Je crois que régulièrement, tous les 30 ou 40 ans, il faut investir 30 à 50 % du prix de construction initiale d'un équipement pour le remettre au goût du jour. C'est le cas pour les autoroutes, où il faut résoudre les problèmes de résilience face aux aléas climatiques, aux inondations et aux incendies. Sur un stade, c'est la même chose si on veut un équipement moderne.

M. Fabien Gay, rapporteur. - On annonce 600 millions d'euros d'investissement ?

M. Xavier Huillard. - La durée de la concession doit être calée en fonction de l'investissement. Nous avons proposé un investissement de 400 millions d'euros environ, nos principaux concurrents prévoient beaucoup moins. Je suis désolé de perdre le Stade de France, mais ce n'est pas tant la perte qui me désole, que le fait que nous ne pourrons pas redonner une nouvelle jeunesse à ce stade pour les 30 ou 40 prochaines années. Il y aura un moment où il y aura un problème.

Cela étant, ce dossier est entre les mains de la justice, qui en décidera.

M. Olivier Rietmann, président. - Que peut-on faire pour réduire le nombre de rangs de la sous-traitance ?

M. Xavier Huillard. - La tendance actuelle est à la réduction des chaînes de sous-traitants. Nous avons fait le choix de réinternaliser de nombreux métiers, par exemple la fabrication des dalles de béton pour les immeubles. Nous avons pris cette décision parce que nous pensons que pour produire de manière compétitive et avec une bonne qualité, il faut confier les tâches à des personnes qui sont chez nous à long terme. Cela nous permet de leur offrir un contrat à durée indéterminée et de les aider à développer leurs compétences. Nous avons réinternalisé de nombreux métiers, ce qui explique l'augmentation de nos effectifs. Notre objectif est de limiter les chaînes de sous-traitance, mais nous pensons qu'il ne faut pas légiférer sur le sujet, car cela pourrait introduire des rigidités, il y a trop de cas de figure différents, mieux vaut une sorte d'observation et une régulation.

Quant à la question de savoir si l'on se sent responsable de nos sous-traitants, la réponse est oui. Sur un chantier, la réussite ou l'échec dépend de la chimie humaine qui s'installe entre l'entrepreneur principal et sa chaîne de sous-traitants. En matière de sécurité, nous avons des indicateurs qui concernent nos propres collaborateurs et nos intérimaires. C'est un domaine où nous pouvons encore progresser, car l'accidentologie des intérimaires est moins bonne que celle de nos propres collaborateurs. Nous récoltons également les statistiques relatives à nos sous-traitants et nous sommes amenés à exclure un sous-traitant si nous constatons qu'il ne respecte pas les règles de sécurité de base sur nos projets. Oui, nous nous sentons responsables.

M. Christian Labeyrie - Nous réalisons des audits des conditions sociales des sous-traitants : nous avons deux cents auditeurs qui se rendent sur le terrain pour s'assurer que les conditions sont respectées.

M. Olivier Rietmann, président. - J'ai deux dernières questions. Considérez-vous toujours que « l'argent ne fait pas le bonheur du patron », comme vous l'aviez dit en 2006 ? Et pensez-vous, puisque vous avez indiqué que vous quitteriez vos responsabilités dans quelques semaines, que vous ferez de la politique ?

M. Xavier Huillard. - Si nous ne travaillions qu'en vue de gagner de l'argent, je pense que nos collaborateurs ne viendraient pas. Il leur faut quelque chose de plus, il faut qu'il y ait un sens, une oeuvre collective : c'est plus facile dans nos métiers, parce que nous sommes des bâtisseurs, nous construisons non pas n'importe quoi, mais des oeuvres. Michel Serres soulignait la différence fondamentale entre le travail et l'oeuvre : le travail fatigue, avilit, le travail est pessimiste - tandis que l'oeuvre exalte, donne de l'énergie, de l'optimisme.

Dans ce monde de l'aménagement du territoire et urbain, nous pouvons tous avoir le sentiment d'oeuvrer plutôt que de travailler, nous pouvons être fiers de ce que nous faisons. Vinci est connu en France surtout pour les autoroutes, mais la réalité de notre groupe, c'est d'être fondamentalement humaniste.

M. Olivier Rietmann, président. - Merci pour votre disponibilité, nous avons beaucoup appris dans cette audition.

La réunion est close à 17 h 55.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Mardi 8 avril 2025

- Présidence de M. Olivier Rietmann, président -

La réunion est ouverte à 15 h 30.

Audition d'ExxonMobil France - MM. Charles Amyot, président-directeur général, Jean-Claude Marcelin, directeur administratif et financier et Jean-Philippe Petit, directeur des affaires publiques

M. Olivier Rietmann, président. - Nous poursuivons les travaux de la commission d'enquête sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants avec l'audition de la société ExxonMobil France puisque nous auditionnons MM. Charles Amyot, président-directeur général, Jean Claude Marcelin, directeur administratif et financier, et Jean-Philippe Petit, directeur des affaires publiques

Messieurs, avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête, outre bien évidemment vos fonctions chez ExxonMobil.

Aucun lien d'intérêt n'est déclaré.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Charles Amyot, Jean Claude Marcelin et Jean-Philippe Petit prêtent serment.

Notre commission d'enquête, dont les membres ont été nommés le 15 janvier dernier, poursuit trois objectifs principaux :

- tout d'abord, établir le coût des aides publiques octroyées aux grandes entreprises, entendues comme celles employant plus de 1 000 salariés et réalisant un chiffre d'affaires net mondial d'au moins 450 millions d'euros par an, ainsi que le coût des aides versées à leurs sous-traitants ;

- ensuite, déterminer si ces aides sont correctement contrôlées et évaluées, car nous devons veiller à la bonne utilisation des deniers publics ;

- enfin, réfléchir aux contreparties qui pourraient être imposées en termes de maintien de l'emploi au sens large lorsque des aides publiques sont versées à de grandes entreprises qui procèdent ensuite à des fermetures de site, prononcent des licenciements voire délocalisent leurs activités.

Après avoir entendu le 25 mars dernier M. Patrick Pouyanné, président-directeur général de TotalEnergies, nous avons jugé utile de vous entendre, notamment en raison de l'annonce il y a un an de la suppression de 600 postes environ à Port-Jérôme.

Pouvez-vous présenter succinctement votre société ?

Quel regard portez-vous sur les aides publiques aux entreprises ?

Quelles sont les principales différences entre les aides versées en France et celles octroyées dans les pays où le groupe ExxonMobil est présent ?

Quel est le montant global des aides publiques reçues par votre groupe en 2023 en France ? En particulier, quel est le montant des subventions ?

Quel est le panorama de vos sous-traitants et des aides qu'ils perçoivent ?

Avez-vous le sentiment que les aides publiques aux entreprises sont suffisamment suivies et évaluées en France ?

Quelles sont selon vous les aides dont l'efficacité est avérée, celles dont l'efficacité est douteuse ?

Quelles seraient vos propositions pour renforcer l'efficience des aides publiques octroyées aux entreprises ?

Seriez-vous favorable à l'introduction de conditions ou de critères qui permettent d'évaluer l'efficacité des aides ? Quelles devraient être alors les limites à la conditionnalité de ces aides ?

Je vous propose de traiter ces questions dans un propos liminaire de 20 minutes environ. Puis M. Fabien Gay, rapporteur, vous posera quelques questions pour approfondir certains points. Enfin, les membres de la commission d'enquête pourront également vous interroger s'ils le souhaitent.

M. Charles Amyot, président-directeur général. - Merci pour cette invitation et l'opportunité qui nous est donnée d'échanger sur les aides publiques dans le contexte actuel d'hyper-compétition et de rationnement des moyens publics, qui exige que nous optimisions l'utilisation de l'argent public destiné aux entreprises.

Je précise que je suis président des sociétés du groupe ExxonMobil en France.

Mon propos s'articulera en trois grandes parties. Je présenterai nos sociétés et leurs activités en France, puis je détaillerai les aides publiques dont nous avons bénéficié en 2023 en les classant en quatre catégories : aides aux industries énergo-intensives, aides à l'investissement, aide à la recherche et au développement, et aides à l'emploi. Enfin, je partagerai quelques réflexions sur les aides publiques au regard de la compétitivité et de l'attractivité en France.

ExxonMobil est un groupe américain implanté en France à travers deux filiales appartenant à ExxonMobil France Holding (EMFH). La première, Esso S.A.F, présente depuis 1902, opère dans le raffinage et la distribution. Elle représente environ 17 % du capital et est cotée sur le SBF 120. La seconde, ExxonMobil Chemical France (EMCF), implantée depuis les années 1960, est une société de chimie détenue à 100 % par la holding française.

La société Esso S.A.F a pour mission première la production de produits énergétiques et de spécialité comme les lubrifiants ou les bitumes. Notre activité est aujourd'hui recentrée sur la raffinerie de Gravenchon en Normandie à la suite de la vente de la raffinerie de Fos-sur-Mer fin 2024. Nous représentons environ 20 % de la capacité de raffinage, soit une production énergétique d'environ 75 térawattheures, équivalant à 20 % de la production du parc nucléaire français. En 2024, nous avons renforcé notre réseau en convertissant 237 stations BP à la marque Esso, en partenariat avec le groupe EG Group. Avec 720 stations-service en France et la place de numéro 2 sur autoroute, notre marque est désormais plus visible sur le territoire national.

La société SO fait face à des défis majeurs, notamment la volatilité des marchés et la transition énergétique. La demande en produits énergétiques en France a diminué de 10 % depuis 2019, soit environ 1 % par an, bien en-deçà des 6 % prévus par la programmation pluriannuelle de l'énergie. Notre modèle d'affaires doit s'adapter et répondre à cette baisse dont l'ampleur et le rythme restent incertains. Nous devons à la fois approvisionner le pays en énergie et participer à la décarbonation, notamment en réduisant nos propres émissions et celles de nos clients. Ces objectifs nécessiteront des investissements très importants et le soutien de l'État, car nous sommes une passerelle entre le monde actuel et celui de demain.

La société EMCF produit essentiellement des produits chimiques (polyéthylène, polypropylène, résines). Ses installations sont basées à Gravenchon. En 2023, le site représentait environ 40 % de la production de polyéthylène du groupe en Europe et 0,3 % de la production mondiale. En 2024, nous avons pris la lourde décision d'arrêter le vapocraqueur et les unités aval de Gravenchon, tout en maintenant la production d'oléfines à chaîne longue, qui reste profitable. Cette décision difficile a été prise après un processus d'information-consultation. Un plan de sauvegarde de l'emploi a été négocié ; il a fait l'objet d'un accord majoritaire. Ce plan accompagne les quelque 600 salariés dont le poste est supprimé, notamment par des mesures d'âge et d'accompagnement au redéploiement interne et externe.

Les résultats financiers des deux sociétés sont tenus séparément. Esso S.A.F a réalisé un profit net de 107 millions d'euros en 2024, alors qu'EMCF affiche une perte estimée à 470 millions d'euros. Ce chiffre est indicatif car les comptes 2024 ne sont pas encore arrêtés. La holding française EMFH n'a versé aucun dividende à la maison-mère depuis 2018.

Venons-en maintenant au sujet des aides publiques. Il n'a pas été simple pour nous de définir ce qu'est une aide publique et d'en faire l'inventaire, ce qui est révélateur d'un système complexe. J'ai retenu le chiffre de 2 200 systèmes différents existant en France.

Notre métier d'entrepreneur implique la prise de risques. Notre industrie très capitalistique vise le temps long. Nos décisions d'investissement nous engagent pour des décennies. Nous sollicitons des subventions lorsqu'elles sont accessibles au moment où nous prenons nos décisions d'investissement, mais nous regardons toujours et avant tout la viabilité économique à long terme de nos projets. Durant la pandémie, nos sociétés n'ont fait appel à aucune aide publique, ni prêt garanti par l'État, ni chômage partiel, malgré une perte financière de 800 millions d'euros en 2020.

En 2023, nous avons bénéficié d'un total de 20 millions d'euros d'aides publiques, représentant environ 3 % de la contribution économique et sociale du groupe. La répartition est la suivante : 9,8 millions d'euros d'aides aux industries très énergivores, 8,7 millions d'euros d'aides à l'investissement, 1 million d'euros d'aide à la recherche et au développement et 0,4 million d'euros d'aides à l'emploi.

M. Olivier Rietmann, président. - Que regroupez-vous sous ce dernier vocable ?

M. Charles Amyot, président-directeur général. - Il s'agit des allègements de charges et autres dispositifs similaires.

M. Olivier Rietmann, président. - L'apprentissage est-il inclus ?

M. Charles Amyot, président-directeur général. - Nous ne faisons pas appel aux aides à l'apprentissage.

M. Olivier Rietmann, président. - Employez-vous des apprentis ?

M. Charles Amyot, président-directeur général. - Oui.

La majorité des aides que nous recevons sont liées à des problématiques de réduction des coûts des émissions de CO2 et des prix de l'énergie, qui sont des enjeux majeurs pour nos industries.

Les aides aux industries énergo-intensives ont donc représenté 9,8 millions d'euros en 2023. Nos processus de production, très gourmands en énergie, sont très sensibles aux prix de l'électricité et du gaz. À titre d'exemple, le prix du gaz en France et en Europe est plus de trois fois supérieur à ce qu'il est aux États-Unis.

Les aides à l'investissement ont représenté 8,7 millions d'euros. Elles comprennent les compensations des coûts indirects « carbone » pour 7,6 millions d'euros. Ces aides sont désormais conditionnées à la mise en oeuvre de projets d'efficacité énergétique ayant un retour sur investissement de moins de 4 ans, avec obligation de remboursement si ces objectifs ne sont pas atteints. Par ailleurs, nous n'avons pas reçu de subventions directes pour des programmes d'investissement fléchées en 2023. Néanmoins, fin 2023, nous avions bénéficié de ces programmes pour cinq projets, pour un montant d'aides versées depuis 2020 de 1,6 million d'euros sur un total octroyé de 9,6 millions d'euros. Les versements se font progressivement et sont conditionnés à la vérification de l'efficacité des projets par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. Il est à noter que nous avons engagé le remboursement de 847 800 euros pour un projet que nous avons arrêté en 2024. Les quatre autres projets concernent l'efficacité énergétique de nos raffineries. Nous avons perçu 0,8 million d'euros fin 2023, pour un montant total octroyé de 5,4 millions d'euros.

Nous avons perçu 1,3 million d'euros de crédit d'impôt en 2023 dans le cadre de programmes de sur-amortissements décidés en 2015.

Nous faisons appel de manière limitée aux aides à la recherche et au développement, qui prennent la forme du crédit d'impôt recherche (CIR). Cette catégorie a représenté environ 1 million d'euros en 2023. Ceci étant, il s'agit d'un dispositif très important pour la recherche en France, que nous soutenons.

Enfin, les aides à l'emploi par le biais de réductions de charges se sont élevées à 0,4 million d'euros en 2023, dont 237 000 euros de réduction de charges sur les bas salaires. Nous n'avons pas utilisé les aides à l'embauche d'apprentis.

Sur la période 2013-2018, nous avions bénéficié du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) pour un montant cumulé de 5,4 millions d'euros, soit environ 0,9 million d'euros par an.

Nous sommes très peu concernés par les réductions de charges qui visent à donner plus de salaire net au regard du coût du travail supporté par l'employeur. Notre industrie emploie une main-d'oeuvre qualifiée qui progresse au sein de l'entreprise.

En résumé, le total des aides reçues en 2023 s'élève à 20 millions d'euros, dont 18,5 millions d'euros concernent des mesures de réduction des coûts pour les industries énergo-intensives. Ces aides sont critiques pour notre secteur exposé à la concurrence internationale. Elles représentent 3 % de notre contribution économique et sociale de 668 millions d'euros de 2023. Sur la période 2020-2023, nous avons bénéficié de 52 millions d'euros d'aides publiques, soit 2 % de notre contribution économique et sociale de 2,7 milliards d'euros, dont 1,6 million d'euros pour les salaires et les charges sociales et plus de 640 millions d'euros pour les impôts et les taxes.

J'en viens maintenant à la troisième partie de mon propos, que je résumerai en deux mots : efficacité et compétitivité. Le système des aides publiques est complexe, ce qui en rend l'évaluation difficile. Les dirigeants d'entreprise évoluent dans un environnement d'ultra-compétition. Ils se battent tous les jours pour atteindre leur objectif premier qui est de créer de la richesse pour ensuite la réinvestir et la partager. Nous nous heurtons parfois à des freins.

La dernière édition du baromètre AmCham-Bain fait une bonne synthèse des atouts de la France : qualité de vie, de la formation et de la main-d'oeuvre, capacité d'innovation. Elle souligne aussi des freins persistants à la compétitivité et à l'attractivité : complexité réglementaire, fiscalité des entreprises, coût du travail, lourdeur administrative. Ainsi, les impôts de production sont trois fois plus élevés en France qu'en Allemagne. De même, l'écart entre le salaire brut et le salaire net est 50 % plus élevé en France qu'en Allemagne. Ne serait-il pas plus simple et efficace d'adresser les causes profondes plutôt que de multiplier les aides publiques pour compenser l'écart de compétitivité inhérent à notre système ?

Chaque puissance économique moderne digne de ce nom a mis en place des dispositifs d'aide à ses entreprises. Ces aides permettent d'accompagner les industries dans leur transformation ou de soutenir les nouvelles technologies. Les aides à l'investissement, par exemple, permettent la mise en oeuvre de solutions bas carbone visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ces technologies comme le captage et stockage de CO2 ne sont pas rentables aujourd'hui.

Les incitations financières ont du sens pour ouvrir la voie à la transition là où il n'existe pas encore de marché et où les coûts initiaux sont élevés. Néanmoins, le soutien des pouvoirs publics devrait être temporaire. Pour atteindre la neutralité carbone, il est important de développer des marchés visant à encourager la réduction des émissions.

Prenons l'exemple américain de l'Inflation Reduction Act (IRA). Cette réglementation permet de manière très simple de développer des projets de décarbonation sur la base d'incitations fiscales proportionnelles à l'abattement de CO2, quelle que soit la technologie utilisée. L'IRA a permis à ExxonMobil de développer un projet d'usine de production d'hydrogène bleu au Texas, d'une capacité équivalente à 36 usines d'hydrogène vert comme celle actuellement construite par Air Liquide en Normandie. Ce projet à Houston permettra de réduire les émissions de CO2 de 10 millions de tonnes.

En Europe, particulièrement en France, le régulateur a fait le choix d'imposer la technologie : l'hydrogène doit être vert. Or son prix de revient est quatre à cinq fois supérieur à celui de l'hydrogène bleu. Cette décision implique des besoins en capitaux et en aides supplémentaires, ce qui rend le prix de l'hydrogène vert inabordable à court et moyen terme pour de nombreuses industries. Il n'est donc pas surprenant que très peu de projets se réalisent.

Les aides à l'investissement sont importantes pour le développement de nouvelles technologies bas carbone compétitives. Dans le domaine de l'efficacité énergétique, les aides sont plutôt bien faites et bien contrôlées. En revanche, pour ce qui concerne les gros projets de transformation, le système actuel d'appels à projets sur des périodes imposées avec des guichets multiples n'est pas adapté au processus décisionnel des industriels. Il faudrait un seul guichet et une fenêtre d'évaluation décidée en concertation avec l'administration pour permettre des décisions d'investissement étalées dans la durée.

Je propose de définir des principes fondamentaux pour les aides publiques : pragmatisme, visibilité, ciblage et contrôles. Une approche concertée entre les acteurs économiques privés et l'administration permettrait de nous aligner sur ces fondamentaux et de faciliter l'évaluation et l'amélioration du système, notamment à travers des études d'impact.

En conclusion, les aides publiques sont importantes pour les entreprises, surtout dans le contexte actuel d'ultra-compétition. Elles devraient reposer sur des principes consensuels et faire l'objet d'études d'impact rigoureuses. La neutralité technologique, des dispositifs adaptés au temps long de l'industrie et la simplification des normes et des guichets favoriseraient l'émergence d'une industrie bas carbone compétitive. L'optimisation des aides ne pourra se faire qu'avec les entreprises, pas contre elles. C'est un véritable partenariat public-privé qui doit se mettre en place.

M. Olivier Rietmann, président. - Merci beaucoup pour votre exposé très complet. Je laisse la parole à notre rapporteur.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Je vous remercie pour vos propos introductifs. Les chiffres que vous avez donnés recoupent ceux que j'ai pu me procurer, notamment sur le CICE et le CIR. En revanche, vous n'avez pas parlé de mécénat.

M. Charles Amyot, président-directeur général. - Nous pourrons revenir vers vous sur le sujet.

M. Fabien Gay, rapporteur. - En la matière, vos données sont publiques. On parle de moins de 10 000 euros en 2019 et en 2020, ce qui est effectivement très peu. Néanmoins, cela reste une aide publique.

M. Olivier Rietmann, président. - J'ai la somme de 138 000 euros pour le mécénat et le crédit famille.

M. Fabien Gay, rapporteur. - ExxonMobil est un groupe puissant et mondial. Il est difficile de faire la différence entre ce qui relève de la France, de l'Europe et du monde, notamment sur les activités de raffinage. Quand je compare vos résultats assez solides au niveau mondial et les 20 millions d'euros que vous avez perçus en France à travers différents dispositifs, je me demande si un groupe comme le vôtre a vraiment besoin de ces aides. Avez-vous véritablement besoin de 20 millions d'euros d'aides publiques pour vos activités en France ?

M. Charles Amyot, président-directeur général. - Permettez-moi d'abord une précision. Esso S.A.F est une société française dont une partie de l'actionnariat est cotée sur le SBF 120. Nous rendons compte à nos actionnaires en France. Les aides sont principalement liées à des problématiques de prix de l'énergie et du carbone. Nos dépenses d'électricité et de gaz sont d'environ 200 millions d'euros par an. L'aide de 9,8 millions d'euros que nous avons reçue représente environ 5 % de ce coût. Ces 5 % ne sont pas négligeables car ils nous remettent à parité avec nos concurrents internationaux, notamment les Américains. Concernant le CIR, le montant paraît faible, mais il est loin d'être négligeable. Il faut vraiment faire la différence entre le groupe mondial et notre société en France. Le secteur de la chimie fait face à des défis très importants. Les aides sont loin d'être négligeables pour le site de Gravenchon.

M. Olivier Rietmann, président. - Pourquoi n'avez-vous pas sollicité d'aides durant la période du Covid, notamment le chômage partiel, alors que vous avez enregistré des déficits très importants ? Pourquoi ne sollicitez-vous pas les aides à l'apprentissage ?

Le fait que vous ne remontiez pas de dividendes à la maison-mère depuis 2018 ne signifie probablement pas que vous ne versez pas de dividendes à vos actionnaires.

M. Charles Amyot, président-directeur général. - Nous avons une politique de gestion prudente. Esso S.A.F a résisté à la crise de la pandémie car mes prédécesseurs ont su gérer les bonnes années et mettre des réserves de côté. Nous sommes soumis à deux marchés aux fluctuations différentes : celui du pétrole brut d'un côté et celui des produits finis de l'autre. Nous ne maîtrisons pas le prix de revient de nos activités. Ce sont les marchés qui décident. Nous devons donc avoir des principes extrêmement clairs de gestion. La maîtrise des coûts et la discipline des investissements sont également importantes. Très peu de société sont capables d'énoncer ces fondamentaux et de les mettre en oeuvre chaque jour. C'est grâce à cela que nous avons pu traverser la pandémie sans faire appel aux aides publiques.

Par ailleurs, lorsque nous ne remontons pas de dividendes à la maison-mère, qui détient 83 % du capital d'Esso S.A.F, nous n'en remontons pas non plus aux actionnaires minoritaires qui détiennent les 17 % restants.

M. Olivier Rietmann, président. - On peut ne pas verser de dividendes pendant un certain temps, mais cela ne peut pas durer indéfiniment. Comment faites-vous pour conserver vos actionnaires ?

M. Charles Amyot, président-directeur général. - Je me dois d'abord de revenir sur votre question concernant l'apprentissage. Les apprentis revêtent une importance capitale pour notre groupe. L'apprentissage constitue un excellent moyen non seulement de former notre personnel, mais également d'évaluer ses compétences techniques et humaines. Nous accueillons entre 50 et 70 apprentis, selon nos besoins. Leur parcours débute majoritairement dans nos usines, puis ils gravissent progressivement les échelons. Le développement de ces talents est un élément fort de notre culture d'entreprise. Je doute que l'État soit le mieux placé pour assumer ou même nous aider dans cette mission.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Vous n'avez pas sollicité d'aide à la décarbonation pour 2023. Cependant, en novembre 2022, le Président de la République a annoncé un engagement avec les 50 entreprises les plus polluantes, dont vous faites partie, pour établir une trajectoire de décarbonation. Une enveloppe de 10 milliards d'euros a été promise pour accompagner des projets. Concernant votre entreprise, je n'ai trouvé aucune information. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ? Envisagez-vous de vous engager, notamment sur le site de Gravenchon ? Quel montant d'aides prévoyez-vous de solliciter ? Si vous n'avez rien demandé en 2023, pouvez-vous nous indiquer vos intentions pour 2024, 2025 et jusqu'en 2027 ?

M. Charles Amyot, président-directeur général. - En 2023, nous n'avons effectivement pas reçu de subvention. Cependant, depuis 2020, nous avons fait appel à des programmes tels que France 2030, France Relance et le Fonds chaleur pour 5 projets distincts, pour un montant total d'environ 1,6 million d'euros.

M. Olivier Rietmann, président. - Les 850 000 euros liés à la fin de la torche sont-ils inclus dans ce total ?

M. Charles Amyot, président-directeur général. - Oui. Le remboursement est engagé.

Nous participons au plan qui a été lancé en 2022 par le Président de la République. Avant ces annonces, j'avais travaillé avec les services de l'État pour définir les actions possibles en vue d'accélérer la décarbonation de l'industrie. Les concepts de hubs, tels qu'ils ont été définis, et la sélection des 56 sites me semblent tout à fait pertinents. Nous avons élaboré notre feuille de route de décarbonation et l'avons transmise aux services de l'État en juin 2023. Cependant, nous n'avons pas souhaité nous engager de manière formelle et définitive. Nous avons simplement rédigé une lettre pour exprimer notre soutien au programme.

La raison de cette réserve tient aux choix technologiques imposés par l'Europe. Prenons l'exemple de l'hydrogène vert. Le projet d'Air Liquide Total à Gravenchon, d'une capacité de 25 000 tonnes, représente un investissement de 400 millions d'euros. En comparaison, notre projet d'hydrogène bleu à Houston vise une production de 900 000 tonnes, soit l'équivalent de 36 projets comme celui de Gravenchon, pour un coût total avoisinant les 14 milliards d'euros. L'hydrogène vert est très coûteux. Les offtakers n'ont pas les moyens de se l'offrir. L'hydrogène vert est une technologie pour 2050, pas pour aujourd'hui.

M. Olivier Rietmann, président. - Êtes-vous en train de nous dire que ce n'est pas parce que vous recevez des aides publiques qu'il faut vous imposer une technologie ? Vous préfèreriez que l'on vous fixe des objectifs, charge à vous ensuite de décider de la technologie qui vous permettra de les atteindre.

M. Charles Amyot, président-directeur général. - C'est exactement cela. Prenez la technologie du captage et du stockage du CO2, qui a fait l'objet de longs débats. Certains y ont vu un moyen de perpétuer l'utilisation des énergies fossiles. Il ne faut pas opposer les deux. Si nos pays développés jouissent d'un certain confort, c'est parce que l'énergie fossile n'est pas chère et qu'elle est très dense en énergie. Le problème tient au traitement de ses émissions.

Le captage et le stockage de carbone (CCS) est reconnu comme l'une des technologies qui permet de répondre à cette problématique. C'est une technologie que nous maîtrisons chez ExxonMobil puisque nous stockons déjà 9 millions de tonnes de CO2 par an aux États-Unis. La France a décidé d'exclure le raffinage du CCS. Gravenchon est donc exclu de la stratégie nationale CCS. C'est dommage car notre industrie possède la capacité d'investir dans des projets à grande échelle et de les opérer en toute sécurité. Je déplore notre exclusion d'une technologie qui pourrait bénéficier à notre entreprise et à nos clients comme les cimenteries, la chimie ou les aciéries.

Ces exemples illustrent de quelle manière un choix technologique imposé peut, dans la situation actuelle, rendre les technologies soit inaccessibles d'un point de vue économique, soit extrêmement coûteuses en aides publiques.

M. Fabien Gay, rapporteur. - J'entends vos propos. J'ai aussi lu la tribune de l'ancien président d'ExxonMobil Europe sur le fardeau administratif qui freine les investissements en Europe et menace la transition énergétique. Vous dites qu'on vous demande une technologie d'après-demain sans vous proposer de prendre celle de demain et sans être certain de la rentabilité.

Vous venez de vous séparer du site de Fos. Il vous reste Gravenchon. Plus vous retarderez la transition de la raffinerie et plus grand sera le risque que vous deviez finalement fermer tout le site. Cette situation pourrait mettre au chômage les quelque 2 000 salariés restants. Cette perspective s'inscrit dans la stratégie mondiale de votre groupe, qui vise notamment à recentrer ses activités aux États-Unis.

Vous recevez des aides publiques, certes modiques, mais tout de même. Cette année, vous licencierez 677 personnes. Sans l'investissement d'après-demain, ni l'investissement de demain, le site de Gravenchon risque fort de fermer dans les dix prochaines années. Quel est l'avenir de vos activités en France à cet horizon si vous ne prenez pas le virage aujourd'hui ? Est-il judicieux que l'argent public soutienne une activité qui pourrait disparaître d'ici cinq à dix ans faute d'investissements ? Ne devrait-on pas conditionner ces aides aux investissements pour la transition et l'avenir du site ?

M. Charles Amyot, président-directeur général. - Permettez-moi de distinguer les deux sociétés car elles opèrent dans deux secteurs très différents.

Le secteur de la chimie en Europe traverse une crise sans précédent, qui a conduit à la fermeture du vapocraqueur de Gravenchon. Cette situation marque probablement la fin d'un cycle : celui de la chimie des années 60. L'unité de Gravenchon était peu compétitive face aux nouveaux vapocraqueurs chinois et américains. De plus, elle avait été conçue pour traiter des charges lourdes. Aujourd'hui, les craqueurs les plus performants utilisent du gaz ou du naphta. Le traitement des charges lourdes consomme beaucoup d'énergie, d'où une facture énergétique et des émissions de CO2 élevées. Les performances financières d'EMCF sur les cinq dernières années montrent une perte d'un milliard d'euros, malgré des investissements de 150 millions d'euros. Nous avons tout tenté pour sauver ces activités, mais la crise de 2022 et l'accélération post-pandémie des investissements en Chine et aux États-Unis ont plongé le secteur de la chimie dans un bas de cycle structurel. Nous avons donc dû prendre la seule décision qui s'imposait. Cette décision a été extrêmement difficile à prendre.

Les salariés ne portent évidemment aucune responsabilité dans cette situation. Nous avons passé beaucoup de temps à tenter de leur expliquer notre décision, puis à les accompagner. 60 % des départs se feront dans le cadre de mesures d'âge. Pour les autres salariés, nous nous efforçons de les accompagner dans leur transition professionnelle. Nous avons bon espoir de pouvoir reclasser l'ensemble des salariés concernés en interne ou en externe. À ce jour, nous avons validé 565 départs volontaires sur 600 personnes concernées. EMCF prend ses responsabilités. Nous nous concentrons désormais sur la mise en sécurité des unités et la remise en état des terrains en étroite collaboration avec les autorités locales.

M. Fabien Gay, rapporteur. - En vous écoutant, vous qui êtes un chef d'entreprise expérimenté, je constate que quoi qu'on fasse, quelles que soient les mesures d'accompagnement que nous mettons en oeuvre, nous ne pouvons rien faire, dans la chimie ou la raffinerie, face à l'ogre chinois et à l'appareil américain. Sommes-nous condamnés à ne plus faire de chimie en France ? Le débat est politique et plus large que la seule fermeture de Gravenchon. Il soulève des questions fondamentales sur l'utilisation des fonds publics et l'avenir industriel de notre pays. Partagez-vous ce sentiment de fatalité, ou pensez-vous qu'il existe un chemin pour les dix prochaines années ?

M. Olivier Rietmann, président. - La question est très importante. La semaine dernière, nous avons auditionné STMicroelectronics. Lors de la crise du Covid, confronté à une pénurie de semi-conducteurs, l'État a décidé d'investir massivement dans cette entreprise. Or il apparaît aujourd'hui que STMicroelectronics ne vend pas ses produits en France, ni même en Europe. De fait, elle ne paie donc pas d'impôts en France et l'argent public investi ne s'accompagne d'aucun retour.

Ce cas illustre l'importance d'appliquer rigoureusement les principes que vous avez évoqués : pragmatisme, visibilité, ciblage et contrôles. Une analyse plus approfondie aurait peut-être permis d'éviter un investissement aussi conséquent dans un secteur dont les bénéfices pour l'économie nationale s'avèrent limités.

Face à ces constats, nous devons nous interroger sur la pertinence de certains investissements publics. Existe-t-il des domaines dans lesquels nous sommes irrémédiablement dépassés ? Vaut-il mieux consacrer l'argent public à certains domaines ?

Ainsi, même si nous disposons encore de très beaux complexes chimiques en France, la question de la viabilité à long terme de ce secteur se pose. Face à la concurrence chinoise et américaine, qui dispose de moyens financiers considérables, ne devrions-nous pas reconsidérer notre stratégie d'investissement public ?

M. Charles Amyot, président-directeur général. - De mon point de vue, il n'y a pas et il ne doit pas y avoir de fatalité. Si un chef d'entreprise n'est pas optimiste, il peut immédiatement arrêter. Nous y croyons.

Le partenariat public-privé est absolument fondamental dans le cadre de la réindustrialisation. Nous ne pourrons pas réindustrialiser le pays sans partenariat public-privé. Souvent, on oppose ces deux sphères. La France et les territoires ont tout à perdre dans cette opposition. Dans le contexte actuel, il est primordial que l'Europe, et particulièrement des pays comme la France, unissent leurs efforts. Nous ne réussirons pas seuls.

L'attractivité suppose un certain nombre de conditions : coût du travail, fiscalité... Lorsqu'un investisseur comme ExxonMobil a le choix entre plusieurs zones, il regarde celle dans laquelle il pourra dégager la meilleure rentabilité. L'investisseur a des actionnaires auxquels il doit rendre des comptes. Ces actionnaires lui ont confié un capital à faire fructifier. C'est le système économique dans lequel nous évoluons aujourd'hui. Soit nous l'acceptons, soit nous disparaissons.

La France a occupé la première place du podium des investissements en Europe pendant cinq années consécutives selon le baromètre Ernst and Young. Ce n'était plus arrivé depuis des années. Si nous l'avons fait, nous pouvons le refaire. C'est une question de volonté.

Concernant la technologie CCS, nous pourrions avoir une vision plus pragmatique. Nous sommes prêts à accepter des objectifs contraignants en matière de décarbonation, mais nous demandons la liberté de travailler avec les technologies que nous maîtrisons et que nous pouvons développer à grande échelle. Les aides d'État sont un mécanisme qui convaincra l'investisseur de venir en France plutôt que d'aller ailleurs.

Dans le raffinage, notre priorité est d'accompagner les employés qui quitteront l'entreprise. Parallèlement, nous devons offrir des perspectives à ceux qui restent, à Gravenchon comme à Nanterre. La décision difficile que nous avons prise vise à assurer la viabilité de la plate-forme de Gravenchon. Nous avons prévu des investissements pour moderniser cette raffinerie en quelques années ; 110 millions d'euros sont programmés en 2025. Notre objectif est de positionner Gravenchon parmi les trois meilleures raffineries en termes de coûts opérationnels, d'énergie et de marge.

Nous développons également notre réseau de stations-service à la marque, qui constitue un débouché naturel pour nos raffineries.

La demande diminue actuellement de 1 % par an en moyenne. En cas d'accélération de cette baisse, notre modèle d'affaires nous permettra de nous ajuster.

Gravenchon produit des produits de spécialité tels que les lubrifiants et le bitume qui sont essentiels à la vie quotidienne et à l'industrie. Ces produits sont extrêmement résilients à la transition énergétique car ils ne sont pas brûlés.

Les produits énergétiques constituent notre principal défi. Cela s'inscrit dans la stratégie que nous avons adoptée pour la raffinerie de Fos. Nous disposons d'une capacité importante en faisant du cotraitement. Cette technique consiste à remplacer le pétrole brut dans la raffinerie par des charges biosourcées telles que les huiles végétales, les huiles de cuisson ou les graisses animales. Elle nous permet de produire des biocarburants sans avoir à investir massivement dans de nouvelles unités.

Notre capacité à gérer la transition, dont l'ampleur et la cinétique restent incertaines, nous permet, avec le cotraitement, de répondre à la demande de nos clients tout en progressant vis-à-vis des mandats requis. Lorsque la demande sera suffisante, nous serons en mesure de déclencher des investissements pour transformer une partie de la raffinerie en bioraffinerie.

Cette stratégie est extrêmement optimiste et vigoureuse sur le long terme. Nos actionnaires y adhèrent, comme en témoigne l'évolution positive de notre action depuis 2021-2022. Le niveau actuel de notre action reflète la confiance des investisseurs, notamment les actionnaires minoritaires.

M. Olivier Rietmann, président. - La parole est aux membres de la commission.

M. Michel Masset. - Je vous remercie pour votre clarté et votre franchise. Les quatre principes fondamentaux que vous avez cités, à savoir pragmatisme, visibilité, ciblage et contrôle, sont très intéressants, mais il me semble qu'il manque un élément : la performance dans le temps présent. Comment concilier l'efficacité à court terme avec la nécessité d'assurer une visibilité à moyen et long terme, notamment pour sécuriser les aides ?

Vous avez également évoqué, peut-être avec une forme de regret, le soutien temporaire de l'État qui prendrait fin une fois les objectifs de décarbonation atteints. Pourriez-vous développer ce point ?

M. Daniel Fargeot. - Votre propos était très intéressant. Vous avez été précis et avez ciblé les tenants et les aboutissants au sein de votre entreprise. Nous abordons un virage sociétal, la fin d'un cycle. Gouverner, c'est prévoir. Gérer une entreprise, c'est aussi prévoir.

Vous avez su démontrer que les aides publiques ne sont pas efficaces pour corriger le manque de compétitivité. Selon vous, quelles mesures d'accompagnement seraient nécessaires, au-delà du partenariat public-privé que j'approuve ? Ne faudrait-il pas cibler davantage les aides publiques en fonction des besoins et des objectifs des entreprises ? Quel modèle économique serait le plus approprié : un modèle inspiré de l'approche chinoise ou un modèle capitaliste plus traditionnel ? Ces deux approches ne finissent-elles pas par converger ?

M. Charles Amyot, président-directeur général. - Comme je l'ai dit, les sociétés que je dirige n'ont pas fait appel aux aides pendant la pandémie de Covid. Pour autant, ces aides sont cruciales pour les entreprises qui sont moins habituées que nous à gérer l'instabilité. Il ne faut pas opposer les aides à court terme, destinées à faire face à des chocs disruptifs et à sauver des entreprises, aux aides à plus long terme visant à stimuler l'innovation et la transition énergétique. Dans les idées que j'ai proposées, il ne faut pas oublier le besoin de réponse à l'urgence. Toutefois, je fais une différence entre la réponse à l'urgence en situation de pandémie et les défis technologiques. Dans le second cas, l'étude d'impact et le partenariat public-privé sont importants. L'approche doit être basée sur la science. Nous aurons parcouru une bonne partie du chemin lorsque nous aurons évité le dogmatisme écologique. Sur le long terme, il faut travailler ensemble et réaliser des études d'impact. La décarbonation irait beaucoup plus vite si la porte était ouverte à des technologies de type hydrogène bleu.

La directive relative à la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises (CRSD) et la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CS3D), bien qu'animées de bonnes intentions en matière de droits humains et de respect de l'environnement, soulèvent des problèmes méthodologiques. Leur mise en oeuvre, effectuée sans concertation, place les dirigeants d'entreprise dans une situation complexe. Qui peut penser qu'une entreprise, sur les sujets de responsabilité sociale et environnementale (RSE), peut être dirigée sur la base de 1 200 indicateurs ? Cette approche semble peu réaliste et potentiellement contre-productive.

M. Olivier Rietmann, président. - Nous comptons au sein de la commission d'enquête l'un des deux rapporteurs que j'avais désignés à la délégation des entreprises pour rédiger un rapport sur la directive CSRD. J'imagine qu'elle partage vos propos.

Mme Anne-Sophie Romagny. - Tout à fait. C'est ce qui était ressorti de notre rapport. L'objectif poursuivi est louable : nous ne pouvons qu'encourager nos entreprises à travailler en faveur de la transition énergétique et de la décarbonation. Cela ne fait pas l'ombre d'un doute. En revanche, la méthode est contestable. Ce que les entreprises investissent dans l'analyse de double matérialité, c'est autant qu'elles n'investissent pas dans leur transition. La mobilisation de personnels à temps plein pour produire le narratif sur la double matérialité empêche l'efficacité d'autres mesures. Il faut trouver le juste milieu. Nous avons besoin de pragmatisme et d'efficience.

M. Charles Amyot, président-directeur général. - Nous sommes complètement alignés sur le sujet.

Les aides d'État peuvent jouer un rôle d'accélérateur crucial. Actuellement, le prix du carbone n'est pas reflété dans le coût de nos produits de consommation. Chez ExxonMobil, nous travaillons à développer des méthodes pour intégrer le coût du carbone dans des produits tels que l'acier, l'aluminium, le ciment ou les plastiques. Tant que ce coût ne sera pas représenté, les produits fabriqués à partir de solutions bas carbone ne seront pas compétitifs. Une aide d'État peut stimuler l'émergence d'un marché. Une fois le marché établi et la concurrence instaurée, ces aides publiques doivent s'arrêter. Il s'agit d'une différence fondamentale avec le CIR...

M. Olivier Rietmann, président. - Puisque vous en parlez... Pourquoi considérez-vous que le CIR est une aide publique très intéressante et importante ?

M. Charles Amyot, président-directeur général. - Cette aide répond efficacement aux principes que j'ai énoncés précédemment. Tout d'abord, elle est ciblée. Elle suppose de monter des dossiers détaillés, lesquels sont ensuite soumis à l'administration pour validation. Cette aide est contrôlée. Elle est efficace en termes de rentabilité par rapport à des projets d'innovation locaux. Contrairement à d'autres aides, le CIR n'est pas temporaire, ce qui est cohérent avec la nature continue de l'innovation. Bien que le processus pourrait être simplifié grâce à la digitalisation et aux moyens technologiques, les principes fondamentaux du CIR me semblent pertinents et efficaces.

Il faut vraiment commencer à travailler sur le partenariat public-privé pour avancer. Par exemple, l'élaboration des directives CSRD et CS3D s'est faite sans concertation avec les industriels et les entrepreneurs. La méthode et la mise en oeuvre envisagée risquent de définitivement tuer l'investissement en Europe.

M. Olivier Rietmann, président. - Pour l'instant, il y a un moratoire.

M. Charles Amyot, président-directeur général. - Je reste très prudent sur le sujet. Nous appelons de nos voeux une simplification de la directive CSRD. Concernant la directive CS3D, deux études d'impact négatives n'ont pas été prises en compte. Il faut vraiment revenir sur le sujet. Il en va de la survie de certains de nos secteurs industriels.

L'innovation est essentielle. Un partenariat entre l'industrie et le secteur public, impliquant nos écoles, nos talents et nos universités, permettrait sans doute de développer les aspects scientifiques, qui sont trop souvent négligés dans le débat. Il est primordial de revenir aux fondamentaux scientifiques. Des aides publiques ciblées ou du mécénat dans la science et l'innovation pourraient être des voies à explorer face au défi du changement climatique.

D'après nos prévisions sur la consommation d'énergie à horizon 2050, les anciennes sources d'énergie (bois, charbon) ne disparaîtront pas. Les nouvelles sources s'y substitueront pour partie, mais il restera des zones dans le monde où l'on brûlera du bois ou du charbon pour se chauffer. L'émergence d'un nouveau système énergétique basé sur les procédés et les solutions technologiques bas carbone pourrait prendre 60 ans. Or nous n'avons pas ce délai. Des aides publiques bien ciblées, basées sur la neutralité technologique et la science, avec un contrôle approprié, pourraient accélérer la transition.

M. Daniel Fargeot. - Il est donc important de rationaliser les aides publiques en fonction de nos objectifs et de nos besoins.

M. Charles Amyot, président-directeur général. - J'ai suivi avec intérêt les travaux de votre commission. Nous avons fonctionné avec ce système d'aides pendant des années sans vraiment nous interroger sur son efficacité. En tant qu'entreprise, nous évaluons constamment le rapport coût-bénéfice de nos actions. Je pense que nous devons appliquer la même rigueur aux aides d'État, qui plus est dans le contexte actuel de contraintes budgétaires. La transparence est primordiale, surtout qu'il n'y a plus d'argent dans les caisses.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Le débat sur l'efficacité des aides publiques pour la transition énergétique et écologique est extrêmement enrichissant. Au-delà de notre rapport, j'espère que nous saurons le prolonger en impliquant les entreprises, les syndicats, les salariés, les parlementaires, les élus et les administrations. Effectivement, nous n'avons pas 60 ans devant nous. Le défi est global et commun.

La transparence est essentielle pour restaurer la confiance de la population envers l'action politique et publique. Les entreprises doivent être transparentes sur leur chiffre d'affaires, les dividendes et les aides publiques. La pratique consistant à licencier tout en touchant des aides publiques et en versant des dividendes est devenue inacceptable pour la majorité des citoyens.

Hier, nous avons auditionné le PDG de Vinci. Nous avons beaucoup parlé de partenariat public-privé. Le système des concessions autoroutières est assez décrié. Je suis favorable à l'accompagnement des entreprises, à condition de maintenir l'outil industriel, de développer l'emploi et de travailler pour la transition écologique.

Je vous invite à agir concrètement sur la voie de la décarbonation. Je suis favorable à ce que nous accompagnions fortement les entreprises qui vont dans cette direction. Quant à celles qui refusent de s'engager ou qui estiment qu'il n'y a pas de chemin, il faut arrêter le massacre assez vite.

Je suis favorable à un examen des partenariats public-privé, qui soulèvent la question du retour sur investissement pour le secteur public. Il est inacceptable que seul le partenaire privé bénéficie de la rentabilité lorsque des fonds publics sont investis. L'exemple des concessions autoroutières est particulièrement édifiant. Le modèle ne peut fonctionner à sens unique, avec une rentabilité systématiquement orientée vers le privé au détriment du bien public.

Il est essentiel de prendre en compte tous les aspects de notre système, y compris le modèle social. La France bénéficie d'atouts considérables : des salariés bien formés, bien soignés, des services publics efficaces. Nos cotisations sociales, loin d'être des charges, constituent un salaire différé et contribuent à notre compétitivité. Nous devrions en être fiers. Je m'oppose catégoriquement à un modèle de compétitivité basé sur des salaires extrêmement bas, comme on peut le voir en Chine. Si c'est cela la compétitivité, je m'y oppose fermement.

M. Olivier Rietmann, président. - Nous sommes un certain nombre à penser que le partenariat public-privé devrait s'étendre jusqu'à l'éducation. Nous manquons cruellement de liens et de conventions entre le secteur public et privé dans ce domaine. Le fossé reste trop important entre le monde de l'industrie, celui de l'entreprise et celui de l'éducation.

M. Charles Amyot, président-directeur général. - Je suis évidemment favorable à la transparence, mais nous devons nous interroger sur sa finalité. Si l'objectif est simplement d'afficher des chiffres, nous risquons une fois de plus de stigmatiser le méchant entrepreneur qui touche des subsides de l'État. En revanche, si la transparence vise à démontrer comment une aide publique fléchée a généré de la richesse, que ce soit en termes d'impôts, d'investissements ou autres, permettant ainsi au citoyen de comprendre l'utilisation de son argent, je n'y vois aucune objection. La transparence est souhaitable, mais ses modalités doivent être définies et discutées pour garantir son utilité et son objectivité.

Par ailleurs, il faut expliquer à nos concitoyens que l'échec fait partie du processus. Parfois, nos efforts n'aboutissent pas. Dans l'industrie, il arrive que nous investissions dans une technologie ou un marché qui ne se concrétise pas. Cela fait partie intégrante de la vie d'un entrepreneur et d'une entreprise. Le succès n'est pas systématique. Il faut l'expliquer.

Mme Anne-Sophie Romagny. - Un site qui n'est plus rentable dans un secteur en fin de vie ne peut pas être maintenu sous respirateur artificiel. Je comprends l'émotion que cela peut susciter. L'idée de notre commission d'enquête est de rationaliser les aides. Comment l'État pourrait-il aider une entreprise à redynamiser un site ou un territoire ? Comment aider une entreprise à trouver une énergie différente pour une réorientation stratégique qui lui permettra d'être efficace et d'améliorer sa rentabilité ? Y a-t-il une solution à cela ?

M. Charles Amyot, président-directeur général. - C'est une excellente question. Au vu de l'état dans lequel se trouvait notre usine, le recours aux aides d'État aurait été une très mauvaise idée. Il aurait été inopportun d'utiliser l'argent du contribuable pour soutenir une unité dont la rentabilité n'était plus assurée. Nous avons été confrontés à une série de chocs disruptifs : la crise du Covid, les investissements massifs des Chinois dans la chimie, la flambée des prix de l'énergie. Le modèle économique d'EMCF n'a pas résisté à ces bouleversements. Le maintenir artificiellement grâce à des subventions étatiques aurait été une très mauvaise idée. Nous avons pris une autre décision, que nous assumons financièrement.

La Normandie est une région à forte tradition industrielle. De nombreux acteurs, toutes tendances confondues, considèrent l'industrie comme un vecteur d'avenir pour les jeunes. Nous collaborons étroitement avec le préfet et ses services dans le cadre du programme de revitalisation. Nous travaillons également avec nos sous-traitants. Deux années s'écouleront entre l'annonce et la fermeture effective, ce qui laisse la possibilité à nos fournisseurs et contractants de se réorienter. Durant cette période, de nouveaux projets verront le jour. L'activité de l'établissement restera soutenue car la mise en sécurité, la déconstruction et la dépollution du site nécessitent une main-d'oeuvre importante. Conformément à la législation française, nous procéderons à la dépollution du site afin de le restituer à la communauté de communes.

L'industrie et l'entreprise jouent un rôle extrêmement important dans les territoires. Des améliorations sont certainement possibles. C'est par le dialogue et l'écoute mutuelle que nous pourrons progresser. Il est important de poursuivre les discussions sur les enjeux de compétitivité en France. Le fonctionnement du modèle social à la française fait partie de l'équation.

M. Olivier Rietmann, président. - Merci à tous pour cette audition et ces échanges de très haute tenue et de grande qualité.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 20.

Mercredi 9 avril 2025

- Présidence de M. Olivier Rietmann, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Audition de BlackRock - M. Jean-François Cirelli, président (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu de cette audition sera publié ultérieurement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition du secrétariat général aux affaires européennes - M. Emmanuel Puisais-Jauvin, secrétaire général aux affaires européennes (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu de cette audition sera publié ultérieurement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 20 h 00.

Jeudi 10 avril 2025

- Présidence de M. Olivier Rietmann, président -

La réunion est ouverte à 14 h 05.

Audition d'Engie - Mmes Catherine MacGregor, directrice générale, et Laurence Jaton, vice-présidente chargée de la direction financière du corporate et fiscale du groupe

M. Olivier Rietmann, président. - À l'ordre du jour de notre commission d'enquête figure l'audition de Mme Catherine MacGregor, directrice générale d'Engie, et de Mme Laurence Jaton, vice-présidente chargée de la direction financière du corporate et fiscale du groupe. L'audition est enregistrée et diffusée en direct, et elle fera l'objet d'un compte rendu sur le site du Sénat.

Mesdames, avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête, outre bien évidemment vos fonctions chez Engie. Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Catherine MacGregor et Mme Laurence Jaton prêtent serment.

Notre commission d'enquête, dont les membres ont été nommés le 15 janvier dernier, poursuit trois objectifs principaux : établir le coût des aides publiques octroyées aux grandes entreprises, entendues comme celles employant plus de 1 000 salariés et réalisant un chiffre d'affaires net mondial d'au moins 450 millions d'euros par an, ainsi que le coût des aides versées à leurs sous-traitants ; déterminer si ces aides sont correctement contrôlées et évaluées, car nous devons veiller à la bonne utilisation des deniers publics ; réfléchir aux contreparties qui pourraient être imposées en termes de maintien de l'emploi au sens large lorsque des aides publiques sont versées à de grandes entreprises qui procèdent ensuite à des fermetures de site, prononcent des licenciements, voire délocalisent leurs activités.

Après une présentation succincte de l'activité de votre groupe, nous aimerions connaître votre regard sur les aides publiques aux entreprises.

Quelques questions pour guider vos propos : quelles sont les principales différences entre les aides versées en France et celles octroyées dans les pays où votre groupe est présent ? Quel est le montant global des aides publiques reçues par votre groupe en 2023 en France ? En particulier, quel est le montant des subventions ? Quel est le panorama de vos sous-traitants et des aides qu'ils perçoivent ? Avez-vous le sentiment que les aides publiques aux entreprises sont suffisamment suivies et évaluées en France ? Quelles sont selon vous les aides dont l'efficacité est avérée et celles dont l'efficacité est douteuse ? Quelles seraient vos propositions pour renforcer l'efficience des aides publiques octroyées aux entreprises ? Seriez-vous favorable à l'introduction de conditions ou de critères qui permettent d'évaluer l'efficacité des aides ? Quelles devraient être alors les limites à la conditionnalité de ces aides ?

Je vous propose de traiter ces questions dans un propos liminaire d'une vingtaine de minutes environ. Puis M. Fabien Gay, rapporteur, vous posera quelques questions pour approfondir certains points. Enfin, les membres de la commission d'enquête pourront également vous interroger s'ils le souhaitent.

Mme Catherine MacGregor, directrice générale d'Engie. - Merci pour cette invitation à participer aux travaux de votre commission. Avant d'entrer dans le vif du sujet, laissez-moi vous présenter le groupe. Engie est une marque assez jeune - dix ans - mais avec une longue et riche histoire, puisque le groupe provient de la fusion de 2008 entre Gaz de France et Suez. Notre ancrage en France est très fort, même si nous sommes présents dans une trentaine de pays, notamment la Belgique et le Brésil.

Tous les chiffres que je vous donnerai concernent la France. Nous disposons de 46 000 employés - un chiffre stable depuis trois ans -, d'un chiffre d'affaires d'environ 32,6 milliards d'euros en 2024 et d'une puissance d'achat hors énergie de 16,6 milliards d'euros auprès de 26 000 fournisseurs, dont 9 700 PME-TPE. Nous avons investi 3,6 milliards d'euros en France - soit 36 % de nos 10 milliards d'euros environ de Capex total.

Engie est un acteur majeur de la politique énergétique française, très engagé dans la transition énergétique et actif sur l'ensemble de la chaîne de l'énergie. En amont, nous produisons de l'électricité, nous avons des clients en aval et nous opérons des infrastructures qui font le lien entre les deux.

Concernant l'amont, nous sommes le deuxième producteur d'électricité après EDF, avec 12 gigawatts, dont 70 % d'origine renouvelable ; nous sommes le premier opérateur dans l'éolien et le solaire photovoltaïque et le deuxième dans l'hydraulique, avec la compagnie nationale du Rhône (CNR) et la société hydroélectrique du Midi (Shem). Nous opérons également des capacités thermiques flexibles qui jouent un rôle prépondérant dans le système énergétique et son équilibre. S'agissant du gaz, nous ne produisons pas de gaz fossile, mais un peu de biométhane, un gaz vert.

En aval, nous avons 11 millions de clients : 5 millions pour l'électricité et 6 millions pour le gaz.

Concernant les infrastructures, nous sommes l'opérateur historique des réseaux de gaz en France, qui sont essentiels pour la sécurité de l'approvisionnement et ont joué un rôle extrêmement important au début de la crise entre la Russie et l'Ukraine. Nous avons des filiales : GRTgaz, qui s'appelle désormais NaTran et fait du transport de gaz avec 4 400 points de livraison à travers le territoire ; GRDF, pour la distribution, qui dessert 9 500 communes à travers le territoire ; Storengy, qui opère 14 sites de stockage à travers le territoire pour une capacité d'environ 20 % de notre consommation de gaz, ce qui renforce notre sécurité énergétique, notamment en hiver ; enfin, LNG, qui gère les terminaux méthaniers permettant d'importer le gaz naturel liquéfié, lequel joue un rôle très important depuis que nous ne recevons plus de gaz russe à travers les gazoducs.

À l'échelle locale, les infrastructures décentralisées sont essentielles pour la décarbonation des territoires et des industries : Engie opère, exploite et entretient à peu près 180 réseaux de chaleur ou réseaux de froid, 370 chaufferies biomasse qui permettent la décarbonation industrielle et 500 points de charge électrique. Nous avons donc un très fort ancrage français dans les territoires, un rôle moteur dans la décarbonation de l'économie française, une fonction importante dans la sécurité d'approvisionnement énergétique du pays, et, bien sûr, au service des entreprises et de ses citoyens.

La stratégie du groupe est, elle aussi, très claire. Nous aimons parler de notre identité d'utility de la transition énergétique. Utility, c'est un mot anglo-saxon, mais je l'aime bien parce qu'il fait référence au rôle utile à la société que nous voulons jouer : développer le système énergétique de demain, qui doit être décarboné et abordable, et améliorer la souveraineté énergétique de notre pays. Nous nous engageons à être utiles, avec cet objectif d'accélérer la transition énergétique qui est inscrit dans notre raison d'être et que nous essayons de remplir au quotidien, en France et dans les autres pays où nous opérons.

Avec ces 10 milliards de Capex que nous investissons chaque année, une transition énergétique réussie, pour nous, c'est le développement d'un système énergétique équilibré. Vous nous entendrez souvent parler de l'alliance de l'électron et de la molécule : nous devrons électrifier beaucoup d'usages, mais également nous atteler au défi de la décarbonation de la molécule. Nous ne devons pas opposer les technologies entre elles. Loin de ceux qui ne jurent que par le nucléaire ou le renouvelable, nous avons une vision très équilibrée du mix énergétique de demain, avec un rôle très important du nucléaire en France, bien sûr, mais également des renouvelables qu'il faut continuer à soutenir.

Il ne faut pas oublier le stockage - les batteries, particulièrement pour stocker l'électricité lorsque nous produisons trop d'électricité solaire - et la souveraineté : les énergies renouvelables, une fois installées, produisent de l'électricité de manière indépendante, sans dépendre d'importations, que ce soit de gaz ou d'autres éléments. Même chose pour le biométhane.

Engie est une société résolument en croissance, avec de bons résultats qui lui ont permis, en 2024, de verser 825 millions d'euros de dividendes à l'État actionnaire.

C'est aussi un contribuable important. En 2023, Engie et ses filiales françaises contrôlées à plus de 50 % ont payé environ 2,5 milliards d'euros d'impôts, taxes et cotisations, dont la moitié sont des cotisations et des taxes sur les salaires, 250 millions sont des impôts sur les sociétés - dont on a défalqué les crédits d'impôt - et d'autres impôts et taxes pour environ 1 milliard d'euros.

Nous avons identifié trois catégories d'aides publiques : celles qui sont perçues par Engie mais reversées, celles que nous conservons et les réductions d'impôts et de cotisations.

Pour la première catégorie, notre rôle de service public nous a conduits à reverser au pic de la crise le bouclier tarifaire à nos clients. Nous versons des avances au nom de l'État, qu'il nous rembourse.

M. Olivier Rietmann, président. - Pourriez-vous en indiquer le montant ?

Mme Catherine MacGregor. - Oui : 1,9 milliard d'euros pour l'année en question, soit 2023. Il est bon de rappeler que l'État a été très présent.

Autre aide de cette première catégorie : le fonds chaleur. Ces subventions permettent de réduire le prix final facturé au consommateur, sans aucun impact positif pour le taux de rentabilité du projet pour le groupe. En 2023, nous avons signé 18 conventions pour 92 millions d'engagements, qui ne seront mis en oeuvre qu'au moment de la décision finale d'investissement.

Même chose pour les appels à projets dits « BCIAT » (pour Biomasse chaleur pour l'industrie, l'agriculture et le tertiaire), qui permettent de réduire le coût de la chaleur que nous vendrons à l'industriel si nous développons le projet. En 2023, nous avons signé 35 projets, pour un engagement potentiel de 95 millions d'euros, mais à ce jour, seules quatre conventions parmi les treize qui ont été concrétisées permettront de récupérer ces fonds - soit 19 millions d'euros. C'est dire si les sujets de décarbonation de l'industrie prennent du temps, malgré le soutien public.

Dans la deuxième catégorie, celle des aides perçues et conservées, figurent des aides ponctuelles qui soutiennent le groupe dans des projets industriels destinés à engager des solutions énergétiques pas assez matures, mais très importantes pour aider à décarboner. Dans une relation gagnant-gagnant entre l'État, qui a des politiques de décarbonation, et le groupe, qui a des critères de rentabilité et un certain profil de risques acceptables, ces subventions contribuent à rendre le projet digne d'investissements pour nous. Mais la création de valeur est très importante : cela permet d'amorcer et d'accélérer des politiques énergétiques, mais aussi d'oeuvrer au développement des régions et soutenir l'économie française.

Compte tenu de la raison d'être du groupe, nous faisons appel à ces aides budgétaires uniquement dans les cas d'alignement parfait avec les politiques du pays et en particulier celle de la décarbonation. En 2023, le montant de ces aides était de 30 millions d'euros environ. J'aimerais que ce soit plus, mais ces projets ont un peu de mal à sortir, donc le montant est assez faible.

Premier exemple : le projet Massilia, c'est-à-dire la décarbonation de l'hydrogène vert pour la raffinerie TotalEnergies de la Mède avec un électrolyseur européen, fabriqué par le groupe John Cockerill. Nous sommes actuellement en attente de la validation finale de l'aide.

Deuxième exemple de projet vertueux : France Kérosène, pour la décarbonation de l'aviation grâce à un carburant vert, durable. Nous attendons les résultats de l'appel à projets sur les carburants durables, en espérant bénéficier de 25 millions d'euros pour ce projet.

M. Olivier Rietmann, président. - Quel pourcentage du montant investi cette subvention représente-t-elle ?

Mme Catherine MacGregor. - Un pourcentage faible. Sur le deuxième projet, quelques pourcents...

M. Olivier Rietmann, président. - Moins de 5 % ?

Mme Catherine MacGregor. - Oui. Nous vous donnerons des chiffres précis.

La troisième catégorie, celle des aides fiscales et sociales incluant le crédit d'impôt recherche (CIR) et l'aide à l'apprentissage, représente 120 millions d'euros.

M. Olivier Rietmann, président. - Tout compris ?

Mme Catherine MacGregor. - Oui. L'apprentissage représente 20 millions d'euros, le CIR 20 millions d'euros environ.

M. Olivier Rietmann, président. - Donc 80 millions d'euros pour les réductions de cotisations ?

Mme Laurence Jaton, vice-présidente chargée de la direction financière du corporate et fiscale du groupe. - Le plus gros élément, en effet, c'est la réduction des cotisations, pour 72 millions d'euros. L'apprentissage représente 20 millions d'euros. Le CIR, 19 millions d'euros. Le reste, c'est 8 millions pour le mécénat et 2 millions pour la famille.

M. Olivier Rietmann, président. - Sur quels sujets porte le mécénat ?

Mme Catherine MacGregor. - Diversité, inclusion, précarité, biodiversité.

Mme Laurence Jaton. - Ces montants sont stables...

Mme Catherine MacGregor. - ...car ils sont principalement ancrés sur la masse salariale.

L'alternance, qui nous tient particulièrement à coeur, à cause de la pénurie de main d'oeuvre dans certains métiers de l'industrie, recouvre deux types de contrats : l'apprentissage, pour les moins de trente ans, sauf pour les personnes en situation de handicap ; les contrats de professionnalisation, avec un public plus divers : jeunes, adultes en reconversion, demandeurs d'emploi, sans limite d'âge. Nous y sommes très attachés et avons fait de l'alternance un levier très important de notre politique d'inclusion. Nous avons un objectif de 10 % d'alternance d'ici fin 2030 - aujourd'hui, nous sommes à 8,2 %.

M. Olivier Rietmann, président. - La loi de finances pour 2025 a revu les critères des aides à l'alternance : niveau d'étude de l'alternant, taille de l'entreprise... Il y a dix ans, il y avait 400 000 alternants ; ils sont 1 million aujourd'hui. Il y a donc eu une prise de conscience.

C'est aujourd'hui la 20ème édition des rencontres de l'apprentissage au Sénat : il y avait un débat dans l'hémicycle sur l'apprentissage ce matin et j'ai participé à une table ronde avec un certain nombre d'apprentis en salle Clemenceau. L'argent public a servi à amorcer le système, mais on en a encore besoin pour autre chose...

Est-ce un pli qui est dorénavant pris ? Est-ce que les entreprises comme la vôtre ont bien pris conscience aujourd'hui que l'apprentissage, ce n'est pas juste rendre service, c'est aussi préparer l'avenir de l'entreprise, le renouvellement de ses salariés ? Cela n'a pas toujours été le cas.

Le fait que l'État diminue son accompagnement vous freinera-t-il ? Les grandes entreprises sont particulièrement concernées par les baisses, en tant que telles, mais aussi parce que ce sont celles qui vont chercher le plus les très hauts niveaux.

Mme Catherine MacGregor. - Vous avez raison, un changement culturel est intervenu au sein des entreprises. Pour notre part, nous ne modifierons pas notre engagement, car nous sommes convaincus que l'apprentissage est quelque chose de très positif. En outre, les aides allouées en ce domaine nous permettent de fixer des objectifs ambitieux.

M. Olivier Rietmann, président. - Pour rappel, ces aides s'élèvent à 5 000 euros pour les petites et moyennes entreprises (PME) et à 2 000 euros pour les entreprises de plus grande taille.

Mme Catherine MacGregor. - Notre objectif est de mieux cibler l'apprentissage, qui profite aujourd'hui aux ingénieurs diplômés des grandes écoles. Il devrait plutôt nous permettre d'attirer les jeunes qui sont le plus éloignés de l'emploi. Favorisons l'apprentissage, mais méfions-nous des mesures trop complexes : il faut trouver un bon équilibre entre ciblage et simplicité.

M. Olivier Rietmann, président. - L'apprentissage doit aussi inciter les jeunes à s'intéresser à des métiers techniques en tension qui ont une forte valeur ajoutée.

Mme Catherine MacGregor. - Engie possède son propre centre de formation d'apprentis (CFA) et a mis en place des prépas spécifiques à destination des jeunes les plus éloignés de l'emploi. Nous sommes fiers de voir qu'un tel système peut changer la vie des gens, même s'il suppose des investissements financiers et un accompagnement humain.

Je pense que les mesures de soutien à l'apprentissage peuvent aider les entreprises qui sont prêtes à s'engager à développer ce genre de dispositif.

M. Olivier Rietmann, président. - Quels sont les éléments qui vous ont conduits à créer votre propre CFA ? Considériez-vous que les apprentis formés à l'extérieur n'étaient pas suffisamment adaptés à votre entreprise ? Déploriez-vous l'absence de partenariats avec les services du ministère de l'éducation nationale ?

En Suisse, grâce à des partenariats public-privé très solides, 70 % des 15-24 ans bénéficient de contrats d'alternance sans que les entreprises perçoivent la moindre aide d'État et aient besoin de créer leur propre CFA.

Mme Catherine MacGregor. - La création de notre CFA a répondu à une inadéquation entre les profils recherchés et les métiers en tension dans notre secteur : je pense aux métiers de technicien, d'électricien, de climatiseur, de plombier, etc.

Je souhaite maintenant dire quelques mots des mécanismes réglementaires, qui ne sont pas considérés comme des aides publiques, même s'ils jouent un rôle très important dans la transition énergétique. Tout d'abord, le mécanisme de capacité rémunère la flexibilité et la disponibilité des actifs et permet de maintenir en activité des centrales à gaz qui, autrement, seraient fermées. Les centrales à gaz ont l'avantage de très peu polluer, car elles fonctionnent très rarement. En outre, elles sont source d'emplois directs.

Ce mécanisme est parfois considéré comme une aide d'État, mais il relève bien du market design européen. Il est à la disposition du Gouvernement et nous devons absolument le favoriser.

On peut également citer le complément de rémunération sur les énergies renouvelables. Sur la période 2017-2024, Engie a versé 166 millions d'euros à l'État pour ses parcs solaires et éoliens. Nous nous engageons sur un prix connu à l'avance, mais, selon les fluctuations du marché, l'État peut être gagnant ou perdant, d'où l'intérêt de ce mécanisme.

Une aide publique est bonne du point de vue de l'entreprise dès lors qu'elle repose sur trois éléments : la simplicité, la cohérence et la stabilité.

La simplicité est essentielle, même si Engie, en raison de sa taille, peut très bien gérer la complexité, à l'inverse des petites entreprises. Il n'empêche que la France est championne en matière de complexité. Nous devons donc veiller à ce que les aides publiques soient les plus efficaces et lisibles possible. À cet égard, le dialogue avec l'administration est extrêmement utile. Notre service de partenariat permet ainsi d'échanger sur les sujets fiscaux. En règle générale, nous soutenons tout ce qui peut favoriser les discussions, les demandes d'avis et les consultations en amont des décisions.

Est-il opportun de comparer la France aux États-Unis en matière énergétique ? Aujourd'hui, il est clair que la situation a changé, mais je ne ferai pas de commentaires sur l'actualité.

La stabilité est également un élément clé pour la France et l'Europe : elle peut devenir un véritable avantage concurrentiel, si on sait la maintenir. L'Inflation Reduction Act (IRA) a souvent été invoqué en Europe comme l'exemple de ce qu'il faut faire en matière de simplification. En effet, les crédits d'impôt mis en place permettent de comprendre aisément les bénéfices attendus pour tel ou tel projet.

M. Olivier Rietmann, président. - Votre groupe a-t-il des activités aux États-Unis ?

Mme Catherine MacGregor. - Oui, aux États-Unis, Engie est un important développeur d'énergies renouvelables, qu'il s'agisse de l'éolien ou du solaire, et oeuvre au stockage de l'énergie.

Enfin, la cohérence est indispensable. Nous sommes toujours à la recherche d'une politique publique énergétique claire permettant d'assurer la cohésion des diverses aides publiques.

L'État a développé une politique d'installation de panneaux solaires, majoritairement importés de Chine. Le crédit d'impôt au titre des investissements dans l'industrie verte (C3IV) a été créé en 2024 pour soutenir l'implantation d'énergies vertes. Tout cela traduit une démarche assez vertueuse.

Par ailleurs, Engie a lancé un projet de développement des énergies solaires suffisamment important et indépendant sur le plan financier pour ne pas avoir à demander d'aides publiques. Or ce projet se heurte aux difficultés de mise en oeuvre de l'objectif zéro artificialisation nette (ZAN). Je serai bientôt contrainte d'y mettre un terme, malgré le soutien local et les millions d'euros que nous avons dépensés.

Face aux injonctions contradictoires - d'un côté, développer les énergies renouvelables ; de l'autre, respecter la réglementation -, nos politiques doivent être cohérentes et hiérarchisées.

Le fait de disposer d'un cadre clair et stable dans un monde bouleversé dont on ne connaît pas les règles est un avantage pour investir dans la politique énergétique. Ainsi, il est important que la France se dote d'une programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Elle pourra ainsi continuer de développer le nucléaire, les énergies renouvelables et les batteries.

M. Olivier Rietmann, président. - Le groupe Engie perçoit-il des aides de la part de l'Union européenne ?

Mme Laurence Jaton. - Oui, mais elles ne sont pas très nombreuses. En 2024, nous avons bénéficié de 4 millions d'euros pour conduire des projets sur plusieurs années.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Disposez-vous d'un chiffrage global des montants d'aides que vous percevez, notamment dans le cadre du chèque énergie ?

Mme Laurence Jaton. - En 2023, nous avons bénéficié de 150 millions d'euros d'aides. Nous en avons restitué une partie, car l'achat de biométhane, dont le prix est supérieur à celui du marché, est compensé par l'État. Quant aux aides perçues au titre du bouclier tarifaire, elles se sont élevées à 1,9 milliard d'euros sur la seule année 2023 et à 2 milliards d'euros sur la période 2023-2024.

Du reste, concernant le chèque énergie, nous n'avons aucun chiffrage à vous communiquer.

Mme Catherine MacGregor. - Le chèque énergie est versé directement par l'État à nos clients.

M. Fabien Gay, rapporteur. - C'est une aide perçue par le consommateur, vous devez donc en connaître le nombre de bénéficiaires. Vous pourrez nous transmettre davantage d'éléments sur ce sujet par écrit.

Vous présentez le bouclier tarifaire comme une aide indirecte versée par l'État que vous restituez à vos clients. En réalité, aucun consommateur n'a reçu d'argent de la part de son fournisseur d'énergie. Face à la flambée des prix de l'énergie, causée à la fois par la guerre en Ukraine et les effets de marchés - le pic atteint en août 2022 n'est pas uniquement lié à l'augmentation du coût de production -, l'État a décidé de plafonner le montant des factures au-delà de 320 euros par mégawattheure, ce qui représentait déjà huit fois le prix de base.

En 2023, le groupe Engie percevait 1,9 milliard d'euros au titre du bouclier tarifaire, alors qu'il enregistrait 5,2 milliards d'euros de résultat net et distribuait 3,4 milliards d'euros de dividendes à ses actionnaires. Cette subvention a pesé très lourd dans le budget de l'État, ce qui peut nous amener à douter de sa légitimité.

Mme Catherine MacGregor. - Nous avons une vision très différente, monsieur le rapporteur. Engie achète et vend du gaz aux prix du marché. Or, lorsque ces derniers explosent, nous sommes obligés de les répercuter sur les factures adressées au client. Néanmoins, l'État a décidé de caper leur montant. Cela a entraîné une perte financière significative que le Gouvernement s'est engagé à compenser, sous la supervision de la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Les bons résultats obtenus par les énergéticiens n'ont rien à voir avec le bouclier tarifaire ; ils dépendent d'autres activités.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Il est tout de même surprenant que les résultats de tous les opérateurs du domaine de l'énergie aient fait un bond formidable en 2023 !

Mme Catherine MacGregor. - Nos actifs sont exposés aux prix du marché de l'électricité. Comme ces derniers ont augmenté cette année-là, nous avons eu une bonne performance qui s'est traduite par des résultats financiers positifs. Concernant la vente de gaz et d'électricité, il faut regarder d'où vient le profit.

M. Olivier Rietmann, président. - Je précise, à l'intention du rapporteur, que l'État doit assumer la différence lorsqu'il décide de caper le montant des factures de consommation d'énergie. Sans le bouclier tarifaire, Engie aurait adressé à ses clients des factures correspondant au prix auquel elle achetait le gaz, en plus des marges.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Nous assumons d'avoir un débat contradictoire sur le sujet. Pour ma part, je continue à penser que nous avons dépensé beaucoup d'argent public en 2023 ; j'avais eu l'occasion d'évoquer ce sujet avec la présidente de la CRE, Mme Wargon. Le plafonnement des prix qui a été décidé pour indemniser les pertes d'Engie a été très largement surestimé. Les factures auraient probablement atteint 700 ou 800 euros, mais le pic de la hausse des prix n'a duré qu'une semaine et ne s'est pas étalé sur l'année.

J'insiste, le bouclier tarifaire a pesé lourd dans le budget de l'État, alors même qu'Engie a distribué des dividendes record à ses actionnaires.

Par ailleurs, vous avez bénéficié de 20 millions d'euros dans le cadre du CIR, ce qui est extrêmement peu. Comment avez-vous utilisé cette somme et combien de brevets avez-vous déposés chaque année ?

Mme Catherine MacGregor. - Le CIR a principalement été utilisé par nos 475 chercheurs basés en France. Pour rappel, notre activité de développement et d'innovation et assez réduite : nous travaillons avec les développeurs et nous appliquons leurs technologies, mais nous ne les vendons pas.

En 2024, nous n'avons même pas déposé dix brevets, ce qui est extrêmement peu. Dans ces conditions, le CIR a moins bénéficié à Engie qu'aux entreprises pour lesquelles la recherche crée de la valeur.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Vos projets de recherche sont-ils exclusivement conduits en interne ou faites-vous appel à de la sous-traitance en France et au sein de l'Union européenne ?

Mme Laurence Jaton. - Nous recourons à de la sous-traitance, mais dans des proportions assez faibles et dans le respect des plafonds européens. Ainsi, nous consacrons un peu plus de 3 millions d'euros à la sous-traitance interne au sein de l'Union européenne.

M. Olivier Rietmann, président. - Quelle est la part d'externalisation entre la France et l'étranger ?

Mme Laurence Jaton. - Nous avons parfois recours à de la sous-traitance à l'étranger, surtout en Belgique pour l'énergie nucléaire et hydraulique.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Faites-vous appel à l'IP box, qui est un régime fiscal favorable pour les brevets ?

Mme Laurence Jaton. - Non, ce n'est pas le cas.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Avez-vous une estimation des sommes perçues au titre du CICE ? Ce dispositif a-t-il contribué au maintien de l'emploi, ainsi qu'au développement de nouvelles technologies et de la compétitivité ?

Mme Laurence Jaton. - En 2017, Engie a bénéficié de 100 millions d'euros au titre du CICE, mais, à l'époque, le groupe était plus grand, car nous n'avions pas encore procédé à certaines cessions. Nous ne pouvons donc pas comparer le montant de cette aide aux 72 millions d'euros d'exonérations de cotisations dont nous avons bénéficié. Le CICE a surtout servi au maintien des prix.

M. Olivier Rietmann, président. - Le CICE a-t-il été intégralement reporté sous forme d'exonérations de cotisations ?

Mme Laurence Jaton. - Non, nous avons subi quelques pertes. Notez que le montant du CICE était plus élevé que les réductions de charges actuelles.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Le CICE représente donc environ 600 millions d'euros sur les six ans d'application du dispositif. À quoi cette somme considérable a-t-elle servi, même si j'entends bien que le groupe a évolué depuis ?

Mme Laurence Jaton. - Nos activités de services ont été concernées au premier chef, car elles se déploient dans un contexte de forte concurrence, dans le cadre d'appels d'offres. Le CICE a permis de placer toutes les entreprises sur un pied d'égalité, ce qui a eu in fine un impact sur les prix.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Vous ne détenez plus le record du versement de dividendes, TotalEnergies occupant désormais la place de leader dans ce domaine. Engie demeure cependant un placement plus que sûr pour les investisseurs...

M. Olivier Rietmann, président. - Dont l'État.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Tout à fait. Votre résultat net mondial a crû de 2022 à 2024, environ 65 % dudit résultat étant versé en dividendes, ce qui vous place, me semble-t-il, parmi les trois investissements les plus rémunérateurs, avec un rendement brut compris entre 8 et 10 %. Je précise, cependant, que vous avez annulé le versement de dividendes en 2020.

En revanche, vous avez également procédé à des rachats d'actions, pratique que Louis Gallois - qu'on ne peut guère qualifier de néomarxiste - estime être une perversion du système.

Ces considérations m'amènent à la question de votre relation avec l'État, qui reste un des actionnaires de référence d'Engie avec environ 23,6 % du total des parts. S'agit-il d'un atout ou d'un frein pour vous ? L'État est-il un actionnaire comme un autre, ou porte-t-il des exigences particulières en termes d'investissements d'avenir et de maintien de l'emploi ?

Mme Catherine MacGregor. - Nous ne menons pas de programme de rachats d'actions, sauf pour compenser la dilution liée à l'actionnariat salarié. Il ne s'agit en aucun cas d'une politique de rachats massifs, ce qui peut d'ailleurs nous être reproché par certains de nos actionnaires.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Le rachat d'actions n'est donc pas organisé chez vous pour augmenter artificiellement leur cours ?

Mme Catherine MacGregor. - Disons que notre politique de retour à nos actionnaires est centrée autour d'une politique de dividendes, dont nous souhaitons qu'elle soit la plus constante possible, afin de conserver la confiance des investisseurs : celle-ci s'appuie sur une certaine prévisibilité.

Le profil d'utility que j'évoquais précédemment implique d'ailleurs cette prévisibilité, l'absence d'effet de surprise et la perspective d'un dividende sur lequel nos investisseurs peuvent compter, dans la mesure où les résultats sont au rendez-vous, bien sûr. C'est la raison pour laquelle cette politique de dividendes s'exprime en pourcentage de résultat net récurrent, pratique qui est d'ailleurs assez courante dans notre secteur.

Je pense d'ailleurs, si vous me le permettez, monsieur le rapporteur, qu'il vaudrait mieux nous comparer avec des sociétés qui présentent ce même profil et une politique de rémunération des actionnaires similaire, plutôt qu'avec d'autres sociétés du CAC 40.

La constance et la régularité nous tiennent donc particulièrement à coeur et, quand les résultats sont bons, nous nous assurons que les actionnaires en bénéficient, toujours en recherchant un équilibre avec la croissance du groupe et le maintien d'un bilan de qualité, et en ayant en tête la nécessité d'assurer la pérennité environnementale et économique d'Engie.

Pour ce qui est de l'État actionnaire, qui détient près de 24 % de nos actions, il joue d'abord un rôle essentiel de soutien à la stratégie du groupe, s'assurant de sa bonne mise en oeuvre. Les aspects sociaux et environnementaux auxquels l'État prête davantage attention sont inclus dans la stratégie d'Engie, ce qui me fait souvent dire que notre raison d'être et notre modèle de création de valeur sont alignés.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Vous ne répondez qu'à moitié à ma question. L'État impose-t-il d'autres exigences que les actionnaires privés ? Ces derniers sont avant tout intéressés par la rentabilité, et moins par le maintien de l'emploi en France.

Mme Catherine MacGregor. - Chaque actionnaire peut avoir ses propres sujets de prédilection. Engie interagit avec l'État de plusieurs manières : tout d'abord, l'État régule l'ensemble des infrastructures gazières et s'assure qu'Engie maintient ses actifs de la manière la plus sécurisée et la plus économique possible.

Ensuite, l'État détermine la politique énergétique, en lançant par exemple des appels d'offres pour les panneaux solaires ou pour l'éolien en mer : il est donc logiquement un interlocuteur de premier plan. Il n'est pas le seul actionnaire à avoir une vision de long terme, mais, de manière générale, nos vues sont alignées.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Je souhaite en venir à la question sociale, sujet sur lequel j'ai déjà eu l'occasion de vous interpeller. Le groupe a connu des restructurations importantes avant votre prise de fonction, s'étant notamment séparé de dix-sept centres d'appel.

Comme dans toute entreprise, des questions salariales se posent, notamment pour les salariés relevant du statut des industries électriques et gazières (IEG). Votre groupe est également actionnaire de GRDF, entreprise qui s'apprête à subir un plan de restructuration qui courra jusqu'en 2028, avec à la clé une réduction des effectifs de l'ordre de 15 %, soit environ 2 200 postes.

Comment voyez-vous les choses en tant qu'actionnaire ? Dans cette entreprise, le climat social est plus dur qu'ailleurs et je m'inquiète de ces suppressions d'emplois.

Mme Catherine MacGregor. - La responsabilité d'un groupe tel qu'Engie consiste à s'assurer que la transition énergétique soit abordable pour tous. À cet effet, nous devons continuer à trouver des leviers de compétitivité et de performance : il arrive que certaines entités se retrouvent en grande difficulté économique malgré des efforts de redressement entrepris pendant plusieurs années, ce qui peut nous amener à prendre des décisions difficiles telles qu'une cession, éventuellement assortie de suppressions d'emplois.

Tel a été le cas non pas de GRDF, mais de notre filiale EVBox, pour laquelle nous avons dépensé des centaines de millions d'euros.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Je n'avais même pas évoqué ce dossier, mais vous savez bien que je le connais.

Mme Catherine MacGregor. - Même si elle engrange de bons résultats, une entreprise ne peut pas toujours conserver une entité qui n'est pas à la hauteur.

M. Fabien Gay, rapporteur. - L'échec de cette entreprise spécialisée dans les bornes de recharge est d'ailleurs incompréhensible, compte tenu du développement du marché des véhicules électriques.

Mme Catherine MacGregor. - Ce n'est pas faute d'avoir essayé. Pour en revenir à GRDF, le profil d'activité va changer puisque la consommation de gaz est appelée à diminuer dans l'Hexagone : le réseau transportera donc moins de molécules et, sans action de notre part, les prix augmenteront pour chaque client final.

Dans la mesure où il s'agit d'un actif régulé, il importe de minimiser la hausse subie par chaque client au travers de la recherche de performance. Nous pourrions très bien délaisser la performance de GRDF et laisser l'État payer l'addition, mais telle n'est pas notre orientation.

Nous diminuerons donc les coûts, dans le plus grand respect des collaborateurs et de leurs statuts. Les chiffres que vous avez cités m'interrogent, car ceux dont je dispose sont un peu plus faibles. Nous prendrons le temps nécessaire dans ce dossier, en respectant le dialogue social : avec une échéance en 2028, il n'est pas question d'agir avec brutalité.

Je vous signale d'ailleurs, monsieur le rapporteur, que l'un de nos collaborateurs - représentant syndical - a souligné, au cours de l'un de nos échanges, l'importance d'adopter des mesures de performance, en mettant en avant le risque de devenir trop chers pour la société. Il s'agit en effet d'une véritable menace pour nous.

M. Fabien Gay, rapporteur. - La diminution des volumes de gaz transportés ne changera rien au fait que la sécurité du réseau devra continuer à être assurée par des femmes et des hommes sous statut, les salariés ne pouvant être la seule variable d'ajustement.

Je tiens en effet à souligner que le nombre de salariés de GRDF est infiniment plus petit que le nombre de taxes qui pèsent sur la facture des clients ! Ne faisons donc pas croire que le nombre de travailleurs est le facteur le plus déterminant dans le coût final.

Dans le débat public, les salariés sous statut, qu'ils soient cheminots, gaziers ou électriciens, sont souvent présentés comme des privilégiés, alors que c'est loin d'être dans le cas. En tout état de cause, il faudra des salariés pour faire tourner la machine.

Mme Catherine MacGregor. - Nous sommes bien d'accord sur le fait qu'il faudra actionner tous les leviers.

M. Olivier Rietmann, président. - Pourriez-vous nous communiquer la masse salariale chargée du groupe Engie ?

Mme Laurence Jaton. - Elle s'élève à 3,2 milliards d'euros.

M. Olivier Rietmann, président. - Si on rapporte ce chiffre au montant des exonérations, cela signifie que les salaires sont plutôt élevés au sein du groupe.

M. Daniel Fargeot. - Merci pour vos explications claires. Compte tenu des chiffres que vous avez communiqués, les aides que vous percevez paraissent relativement modestes, notamment en termes de CIR et d'exonérations.

Avez-vous constaté une complexité particulièrement marquée des dispositifs liés à la transition écologique et à la décarbonation ?

Par ailleurs, quelle place les aides publiques occupent-elles dans vos relations avec les pouvoirs publics ? Constatez-vous une différence d'approche entre les services de l'État et les collectivités territoriales ? Seriez-vous favorable à un guichet unique ?

M. Fabien Gay, rapporteur. - Êtes-vous favorable à la transparence en matière d'aides publiques versées aux entreprises ?

Mme Catherine MacGregor. - Oui, si elle n'entraîne pas un alourdissement de notre travail de reporting.

M. Olivier Rietmann, président. - Nous évoquions la transparence du côté de l'administration. Nous avons réussi à reporter l'entrée en vigueur de la directive sur les rapports de développement durable des entreprises (CSRD) et ne souhaitons donc pas vous charger d'une tâche supplémentaire.

Mme Catherine MacGregor. - S'agissant des différentes aides, le fonds chaleur de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) est un bon exemple de dispositif efficace.

Quant à la complexité, le principal problème réside dans le fait que les subventions ne correspondent pas nécessairement à la maturité des technologies que nous souhaitons mettre en oeuvre. Dans un cas de figure assez courant, une subvention est obtenue pour un projet, mais avec des contraintes ou des spécifications extrêmement précises, alors que divers événements peuvent survenir au cours de la vie du projet, dont une indisponibilité du fournisseur ou l'apparition d'une technologie plus compétitive : il est alors trop tard pour procéder à des modifications et il faut repartir en arrière, en perdant plusieurs années.

Voilà un exemple très concret de subvention qui ne convient pas à des technologies ou à des projets qui ne sont pas très matures. Il faudrait donc accorder davantage de flexibilité dans le cadre des subventions à l'innovation, afin d'éviter des reports ou des abandons de projets.

M. Daniel Fargeot. - En d'autres termes, les pouvoirs publics ont bien des difficultés à s'adapter aux projets proposés. Il serait intéressant de vous entendre dans le cadre de l'examen du projet de loi « simplification ».

Mme Catherine MacGregor. - Par ailleurs, nous ne pouvons que soutenir une diminution du nombre de guichets.

M. Olivier Rietmann, président. - Je vous remercie, mesdames, pour la clarté de vos interventions.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 15 h 30.

- Présidence de M. Daniel Fargeot, vice-président -

Audition d'Air Liquide - M. François Jackow, directeur général (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu de cette audition sera publié ultérieurement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 20.