Mardi 8 avril 2025

- Présidence de Pierre Barros, président -

La réunion est ouverte à 16 h 05.

Audition de Mme Claire Giry, présidente-directrice générale, MM. Vincent Cottet et Thibault Cantat, directeurs généraux délégués de l'Agence nationale de la recherche (ANR)

M. Pierre Barros, président. - Nous recevons aujourd'hui Mme Claire Giry, présidente-directrice générale de l'Agence nationale de la recherche (ANR), accompagnée de MM. Vincent Cottet et Thibault Cantat, directeurs généraux délégués.

L'ANR est un établissement public à caractère administratif (EPA) placé sous la tutelle du ministère chargé de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, qui met en oeuvre le financement de la recherche sur projets. Vous êtes également un opérateur important du plan France 2030.

Notre commission d'enquête étudie les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État, afin d'identifier des doublons, des chevauchements et de faire des propositions d'amélioration. La pression budgétaire se fait en effet de plus en plus forte pour diminuer les dépenses des ministères et de leurs opérateurs, et l'incertitude économique et géopolitique actuelles, qui atteint un niveau rarement atteint, renforce cette pression. Il est donc crucial d'avoir une compréhension parfaite du rôle et de l'utilité de chacun de ces opérateurs afin d'éviter des « coups de rabot » contre-productifs.

Dès notre première réunion, nous avons laissé hors du champ de notre commission d'enquête les organismes d'enseignement et de recherche, en considérant que leurs missions devaient de toute manière continuer d'être conduites, quelle que soit leur organisation administrative. En revanche, nous nous intéressons à des opérateurs qui, sans réaliser eux-mêmes des travaux de recherche de manière directe, participent à leur financement ou, de manière générale, à l'organisation administrative du monde de la recherche. C'est pourquoi nous vous avons demandé de venir.

Je vous demanderai donc de nous expliquer ce qu'apporte - ou ce que n'apporte pas - le statut d'agence pour exercer vos missions, par rapport à l'administration centrale. Est-il plus facile de lancer des appels à projets dans le domaine de la recherche lorsqu'on dispose d'une certaine autonomie pour gérer son budget ou pour recruter ? Toutefois, cela n'entraîne-t-il pas des risques de doublons avec le ministère chargé de la recherche, puisque lui aussi a besoin, comme vous, d'avoir une bonne connaissance des milieux de la recherche ?

De même vis-à-vis d'autres agences, identifiez-vous des chevauchements et avez-vous des propositions d'amélioration ? Je pense par exemple à l'Ademe, qui porte aussi des dispositifs d'appels à projets. D'une manière générale, quels sont vos liens avec d'autres opérateurs en lien avec le monde de la recherche et des entreprises, comme la Caisse des dépôts et consignations et Bpifrance ? Entretenez-vous également des liens avec les territoires qui accueilleront les projets sélectionnés, soit directement, soit par l'intermédiaire des préfets ?

Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif d'une dizaine de minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite donc, ainsi que vos collaborateurs, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Claire Giry, MM. Thibault Cantat et Vincent Cottet lèvent la main droite et disent « Je le jure ».

Mme Claire Giry, présidente-directrice générale de l'ANR - Je vais préciser les fonctions de l'agence et notre rôle dans l'écosystème de la recherche et de l'innovation.

L'ANR, établissement public administratif sous tutelle du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, est liée à ce dernier par un contrat d'objectifs et de performance. Notre conseil d'administration inclut des représentants de ce ministère, ainsi que ceux chargés du budget et de l'industrie, et d'autres institutions de recherche.

Créée en 2005, l'ANR célèbre ses 20 ans cette année. Nos deux missions principales sont le financement de la recherche sur projet et, depuis la création du premier programme d'investissements d'avenir (PIA), nous sommes devenus un opérateur majeur de France 2030, gérant le financement et le suivi des projets d'enseignement supérieur et de recherche.

Concernant notre mission première de financement de la recherche sur projet, nous recevons environ 8 000 propositions par an. Ces projets sont évalués par des experts scientifiques selon le principe internationalement reconnu de l'évaluation par les pairs. Nous sélectionnons les meilleurs projets, les plus innovants et les plus prometteurs pour la recherche française. Un projet moyen financé par l'ANR s'étend sur cinq ans et bénéficie d'un financement de 500 000 euros.

Ce mécanisme de financement de la recherche coexiste avec d'autres modalités. À titre d'exemple, les institutions de recherche financent des dotations aux laboratoires, mais notre financement sur projet garantit que ces fonds arrivent directement dans les laboratoires et soutiennent la meilleure recherche. Nous apportons une valeur ajoutée en dynamisant la recherche française et en créant un cercle vertueux qui finance ce qui est le mieux évalué. Ce système favorise également l'acculturation à la recherche sur projet, mode de financement international, en incitant à formaliser les idées, à réfléchir aux collaborations et aux objectifs. Cela est crucial pour la participation des équipes françaises au programme Horizon Europe. Pour ce faire, notre budget d'intervention actuel s'élève à 1,2 milliard d'euros.

Ce mécanisme garantit l'exigence et l'ambition scientifique tout en dynamisant notre écosystème. La plupart des pays de recherche en Europe disposent d'une agence similaire, à l'exception notable de l'Italie.

Notre priorité est d'optimiser l'efficacité du système en réduisant les efforts administratifs pour tous les acteurs impliqués. Nous finançons tous types de projets dans tous les domaines scientifiques, selon une approche curiosity-driven, pour utiliser le terme consacré. Nos financements couvrent 57 axes différents, émanant d'universités, d'écoles et d'organismes de recherche, parfois en partenariat avec des entreprises pour 20 % des financements accordés.

Bien que la majorité de nos appels soient axés sur une logique curiosity-driven ou bottom-up, certains sont ciblés sur des questions spécifiques pour encourager des jeunes chercheurs à prendre leur autonomie, ou sur des sujets précis tels que la maladie de Charcot ou l'intelligence artificielle. Nous collaborons avec diverses entités étatiques, telles que l'Agence de l'innovation de défense (AID) ou la direction générale de l'offre de soins (DGOS) au ministère de la santé, ou régionales sur des thèmes d'intérêt commun, comme la résilience face à la crise Covid, l'impact local du changement climatique ou le chlordécone.

Notre second pan d'activité consiste à être opérateur des PIA et, aujourd'hui, de France 2030. Nous mobilisons notre savoir-faire pour organiser l'évaluation de projets sur des axes de travail très ciblés, correspondant aux 10 priorités de France 2030. Dans ce cadre, nous gérons 9 milliards d'euros sur les 54 milliards du programme, avec un décaissement annuel de 1 à 2 milliards d'euros.

Notre métier exige une grande adaptabilité, alliant gestion de volume et approches sur mesure. Nous accordons une importance capitale à la transparence et à l'équité envers les laboratoires et les scientifiques, notamment en vérifiant rigoureusement les liens d'intérêt des experts mobilisés pour maintenir la confiance de la communauté scientifique et de nos partenaires internationaux.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Ayant été directrice générale de la recherche et de l'innovation (DGRI) au sein du ministère, percevez-vous une différence significative dans votre rôle actuel de PDG de l'ANR ? Cette question prend en compte le fait que la DGRI compte près de 300 agents, dont un service entier dédié à la contractualisation avec les organismes de recherche.

Mme Claire Giry. - Le poste que j'occupe actuellement est un métier tout à fait différent. Le point commun entre ces deux fonctions est effectivement le nombre de personnels rattachés à chaque entité. Pour autant, les rôles au quotidien s'avèrent extrêmement différents.

En tant que directrice générale de la recherche et de l'innovation, mon rôle consistait à assurer la fonction de tutelle des organismes de recherche et de l'ANR elle-même : organiser la nomination des dirigeants, préciser leur lettre d'objectifs, mettre en place les contrats d'objectifs, de moyens et de performances : la loi de programmation pour la recherche a en effet créé une dimension de moyens dans ces contrats, ce qui permet à l'ANR d'avoir un budget d'intervention plus élevé qu'il y a quelques années. Il me revenait aussi, à la DGRI, de préparer les conseils d'administration, y siéger et préparer les positions de l'État dans ces conseils. D'autres fonctions étaient liées à la recherche réglementée telle que la question de l'encadrement de l'expérimentation animale ou de l'utilisation des OGM.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quels éléments ne permettraient-ils pas d'internaliser les missions des agents de l'ANR au sein de la DGRI ? Il y a 20 ans, l'ANR n'existait pas, et nous réalisions tout de même des travaux de recherche en France.

Mme Claire Giry. - L'objectif de cette distinction tient à ce que le ministère se concentre sur la stratégie, les grandes orientations pour la recherche en termes de dispositifs ou de mécanismes de financement. Dans ce contexte, l'agence exerce un rôle très opérationnel : réception des projets de recherche, organisation de comités d'expert, choix d'experts, vérification de leurs éventuels liens d'intérêt. Aujourd'hui, ce rôle n'est pas considéré comme relevant d'un ministère. Ce dernier impulse la vision stratégique, l'orientation politique, tandis que l'ANR met en oeuvre une partie de cette politique, sa propre programmation étant arrêtée par le ministère de la recherche.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Comment votre politique de communication est-elle organisée ? Disposez-vous d'équipes internes dédiées ou faites-vous appel à un prestataire extérieur ? Sur certains des communiqués de presse, il n'est pas fait mention de l'État - seule l'ANR est mentionnée. Comment l'expliquez-vous ? Par ailleurs, nous avons lu dans un de vos communiqués de presse les propos suivants : « Ce projet d'un million d'euros est co-financé par l'Agence nationale de la recherche à hauteur de 500 000 euros. » Cette phrase est-elle tout à fait complète alors même que, selon la documentation budgétaire, les ressources de l'ANR correspondent à une subvention pour charge de service public. Ou disposez-vous dans ce cas de ressources propres, distinctes de l'argent du contribuable, permettant d'affirmer que l'ANR, en son nom, a effectivement financé le projet ?

Mme Claire Giry. - L'argent que nous dépensons est l'argent de l'État.

Notre communication est assurée par notre direction de la communication interne et se déploie de diverses manières. Nous organisons des colloques scientifiques basés sur les projets que nous finançons, afin d'animer la communauté scientifique autour de grands thèmes. Ces événements permettent aux porteurs de projets d'une même thématique d'échanger, ce qui est bénéfique pour eux et nous aide à évaluer l'impact de ces projets. Nous nous efforçons d'impliquer toutes les parties prenantes dans ces colloques. Récemment, nous avons organisé un colloque sur la recherche en sécurité, associant des acteurs opérationnels tels que la gendarmerie et les armées. Au-delà de la sphère purement scientifique, dans le cadre de nos programmes Sciences et Sociétés, nous travaillons également à établir une relation directe avec les citoyens pour promouvoir la recherche et l'intérêt de la science, ce qui fait partie intégrante de nos missions. Pour certains événements spécifiques, nous faisons appel à des prestataires externes.

Notre communication primordiale s'adresse aux bénéficiaires, laboratoires et chercheurs. Nous les informons du lancement de nos appels et organisons des webinaires pour expliquer nos procédures - la simplification de nos appels à projets, et le fonctionnement de nos différents instruments, notamment pour les programmes européens. En prévision de notre nouveau plan triennal, nous allons organiser une série de rendez-vous de l'ANR sur le terrain et via des webinaires.

Nous publions également des communiqués de presse pour annoncer de nouveaux appels, particulièrement lorsqu'ils sont atypiques ou nouveaux, ou pour présenter certains résultats.

Concernant les cofinancements mentionnés, il pourrait s'agir d'appels lancés en partenariat avec des régions ou d'autres opérateurs. Dans ces cas, nous cofinançons en finançant une partie de l'appel, chaque partenaire finançant les bénéficiaires par son propre canal, mais c'est l'ANR qui organise l'évaluation et établit la liste des projets. Nous collaborons également avec l'Agence française de développement (AFD) ou l'AID, pour lesquelles nous opérons les appels avec leur financement.

Il est important de préciser qu'au moins 95 % de notre budget provient de la subvention pour charge de service public. Nous bénéficions d'un peu de cofinancement européen dans notre propre budget, car nous gérons des appels pour des partenariats européens sur des thématiques majeures telles que l'eau, le cerveau et l'alimentation, impliquant plusieurs agences à l'échelle européenne, avec un possible abondement de la Commission européenne.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pourquoi n'utilisez-vous que le logo ANR et pas le logo de l'État dans ces communications ? Vos communiqués sont-ils validés ou envoyés pour information au cabinet ou à la tutelle au préalable, ou disposez-vous d'une totale liberté de communication ?

Mme Claire Giry. - En tant qu'établissement public, nous disposons d'une autonomie en matière de communication. Néanmoins, pour des sujets particulièrement sensibles ou politiques, nous nous concerterions avec le cabinet du ministre. Notre communication se concentre principalement sur nos appels à projets et nos activités opérationnelles. Il me semble que nous apposons le logo de l'État sur nos communications, conformément à une directive récente. Notre communication s'inscrit naturellement dans celle de l'État, mais sans nécessiter de validation politique systématique pour nos opérations courantes.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'aborde maintenant la question de la pluri-annualité. Estimez-vous que la loi de programmation de la recherche (LPR) a amélioré la visibilité de l'agence sur ses crédits d'intervention à moyen terme ? Quels sont les outils et indicateurs permettant d'évaluer la réalisation du contrat d'objectifs et de performance État-ANR qui s'achèvera en 2025 ? Avez-vous déjà des pistes pour son renouvellement et des objectifs qui vous auraient été assignés ?

Mme Claire Giry. - La LPR a effectivement amélioré la visibilité de l'ANR. Elle prévoit une augmentation du budget d'intervention de l'agence de plus d'un milliard d'euros entre 2021 et 2027. Nous suivons cette trajectoire, malgré un léger infléchissement en 2024 et 2025. Le budget est passé de 780 millions d'euros en 2021 à 1,2 milliard d'euros aujourd'hui, offrant une visibilité accrue à l'agence et surtout aux communautés scientifiques. Le taux de sélection des projets a augmenté de 18 % avant la LPR à 24,3 % en 2024, une nette amélioration par rapport à des taux inférieurs à 10 % en 2014.

La LPR a également instauré le versement d'un préciput aux institutions de recherche, s'élevant à 30 % du montant alloué aux projets, avec une progression prévue à 40 % d'ici 2027. Ce mécanisme encourage les institutions à développer des politiques de recherche ambitieuses.

Concernant notre contrat d'objectifs et de performance État-ANR actuel, nous avons atteint la majorité de nos objectifs, avec une année restante pour finaliser. Ce COP incluait des actions structurelles comme la création d'une direction de la stratégie et des données, l'amélioration de notre démarche qualité, et le développement d'instruments de financement pour l'innovation, tels que les laboratoires communs et les chaires industrielles. Les moyens sont ceux prévus par la LPR.

Pour le futur COP, nous avons remis un rapport en juin dernier, puis avons reçu une visite en novembre. Nous attendons à présent un rapport des experts mobilisés par le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES). Ce COP sera nourri de ce que le ministère attend de nous. Nous avons eu des échanges informels avec le ministère et la DGRI. Les axes de travail envisagés comprennent le renforcement de l'attractivité de la recherche, particulièrement pour les jeunes chercheurs, la simplification des dispositifs d'innovation, une meilleure articulation avec les instruments européens, et la poursuite des efforts de simplification administrative.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Concernant les crédits d'intervention, pouvez-vous confirmer que la subvention est l'outil le plus approprié pour tous vos projets ? N'y aurait-il pas des cas où une avance remboursable ou un prêt serait plus adapté qu'une subvention ?

Mme Claire Giry. - Nos financements sont essentiellement destinés aux acteurs de la recherche publique : organismes de recherche, universités et écoles. Nous finançons très peu d'industriels directement. Nos instruments favorisant la recherche publique-privée ne financent que la partie académique des projets. Le seul cas où nous finançons des entreprises concerne les projets de recherche collaborative, dans le strict respect des règles d'aides d'État. Nos crédits, positionnés en amont de la chaîne de l'innovation, ne se prêtent pas à d'autres modalités de financement comme les avances remboursables ou les prêts. Ces outils seraient plus adaptés à des phases de développement plus avancées, relevant davantage des compétences d'organismes comme Bpifrance.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Concernant les appels à projets, bien que vous soyez un établissement public administratif, vous n'êtes pas une autorité indépendante. Disposez-vous d'une totale liberté pour déterminer la politique de recherche ? Que pourrait-il se passer en cas d'alternance politique ? C'est une question essentielle, car un système fondé uniquement sur des appels à projets pourrait permettre une réorientation complète de la recherche simplement en modifiant la nature de ces appels.

Mme Claire Giry. - C'est un point important à considérer. Notre décret stipule que le ministère arrête notre programmation, un terme peu conventionnel qui ne signifie pas qu'il la définit, mais qu'il la valide. En pratique, nous organisons des comités de pilotage de la programmation que nous coprésidons avec le ministère de la recherche, impliquant ses différents services thématiques. Ces instances, auxquelles participent plusieurs institutions de recherche et ministères concernés, définissent notre programmation. Celle-ci est principalement guidée par la curiosité scientifique. Notre rôle consiste essentiellement à décrire les champs scientifiques d'intérêt, sans nécessairement spécifier des sujets précis. La majeure partie de notre budget d'intervention est destinée aux projets émanant des laboratoires, à condition qu'ils s'inscrivent dans les axes que nous mettons en avant. Bien que nous ne soyons pas une autorité publique indépendante, notre processus décisionnel implique une collaboration étroite avec les communautés scientifiques et les acteurs de la recherche. Le ministère valide in fine notre programmation après son passage devant notre conseil d'administration. Cette approche collaborative est indispensable pour maintenir une relation harmonieuse avec les communautés scientifiques et éviter un débat scientifique plus large, voire un divorce d'avec les communautés scientifiques, qui pourrait survenir si notre démarche était trop directive.

M. Pierre Barros, président. - Votre explication soulève plusieurs réflexions. Premièrement, concernant les compétences scientifiques de l'ANR, il semble que les porteurs de projets soient évalués par leurs pairs, ce qui peut potentiellement engendrer un conflit de postures. En effet, les membres des jurys sont eux-mêmes chercheurs, ce qui peut parfois créer une situation délicate.

En outre, de nombreux chercheurs se plaignent de consacrer plus de temps à la gestion des demandes de financement et à la rédaction d'appels à projets qu'à leurs activités de recherche proprement dites. Cette perception, même si elle peut être exagérée, mérite notre attention.

Par ailleurs, j'ai bien noté que l'ANR effectue un travail de sélection basé sur une commande politique du ministère. Cependant, ne serait-il pas plus bénéfique d'avoir un système plus autonome, plutôt que cette approche descendante ? Enfin, considérant que seulement 25 % des dossiers sont retenus, comment les 75 % restants procèdent-ils ? Cette situation ne risque-t-elle pas de pousser les chercheurs vers des financements alternatifs, notamment privés, qui obéissent à des logiques différentes en termes de commandes, d'intérêts et parfois même d'orientations politiques ?

Mme Claire Giry. - Vos questions soulèvent plusieurs points importants. Concernant le temps consacré par les chercheurs aux demandes de financement, nous reconnaissons que la recherche par projet a effectivement un coût en termes de temps. Cependant, l'avantage majeur de cette approche est d'acheminer les fonds directement aux laboratoires, tout en garantissant le financement de l'excellence scientifique. Il est important de noter que les projets ANR ne représentent qu'une partie du financement d'un laboratoire, généralement autour de 20 %. Les laboratoires bénéficient également de dotations de leurs tutelles, parfois de contrats industriels, de projets européens et d'autres sources de financement. Obtenir un projet ANR est également source de fierté et un critère d'excellence pour un laboratoire.

Nous sommes conscients de la charge administrative que cela représente et nous nous efforçons constamment de simplifier nos procédures. Des mesures ont déjà été mises en place et nous travaillons actuellement avec le ministère de la recherche sur de nouvelles initiatives de simplification ambitieuses.

L'ANR n'est pas la seule structure qui lance des appels à projets : cette procédure est souvent favorisée parce qu'il est plus facile de faire porter le refus d'un projet par un comité d'experts que par un choix de pilotage particulier. Le ministre a fait passer des messages afin que les appels à projets relèvent en priorité de l'ANR.

Concernant le taux de sélection de 20 %, nous avons mis en place un système de mémoire permettant aux projets bien classés, mais non retenus, de postuler à nouveau l'année suivante, avec la possibilité d'améliorer leur proposition sur la base des évaluations reçues. Nous avons également instauré un processus de sélection en deux étapes pour réduire la charge de travail initiale des chercheurs. Avec un taux de sélection de 25 %, nous estimons avoir atteint un équilibre raisonnable entre l'effort demandé et les chances de succès, ce qui semble être bien accueilli par la communauté scientifique.

Quant à l'évaluation par les pairs, bien que cela puisse sembler curieux dans d'autres domaines, c'est une pratique essentielle et universelle dans la recherche. Seuls des scientifiques spécialisés peuvent véritablement apprécier la nouveauté et la pertinence d'un projet de recherche. Les risques de conflits d'intérêts sont atténués par la collégialité des comités et la multiplicité des expertises pour chaque projet.

M. Thibault Cantat, directeur général de l'ANR délégué à la science. - Le recours aux experts et aux comités est crucial pour l'évaluation pertinente des projets que nous examinons. Ces experts ont naturellement des intérêts dans leur domaine. Notre préoccupation principale est de prévenir les conflits d'intérêts. Nous avons donc mis en place une méthodologie rigoureuse pour les détecter. À titre d'exemple, un expert ne peut pas évaluer un projet impliquant des participants avec lesquels il a collaboré, ce qui constituerait un conflit d'intérêts direct. Nous examinons attentivement les publications et les projets communs pour garantir l'absence de tels conflits. Notre objectif est d'avoir des experts de leur domaine, mais sans compromis sur leur impartialité dans l'évaluation.

Mme Claire Giry. - Concernant notre relation avec le ministère, je tiens à clarifier un point important. Bien que le ministère, en tant que tutelle, valide notre programmation, nos appels à projets ne suivent pas une approche descendante stricte. Notre méthode consiste à adapter chaque domaine scientifique aux évolutions récentes. Par exemple, l'importance accordée à l'intelligence artificielle a considérablement évolué ces dernières années. Nous discutons de ces ajustements avec les acteurs de la recherche et le ministère de la recherche. Ce dernier définit certaines priorités, comme l'IA, les maladies rares, ou les infrastructures de recherche, pour lesquelles il nous demande d'avoir un taux de sélection légèrement supérieur. Nous allouons alors un peu plus de fonds pour augmenter le nombre de projets dans ces domaines. Toutefois, il ne s'agit pas d'orientations drastiques ou très précises. Nous maintenons un dialogue avec le ministère, qui valide in fine nos propositions. L'appel lui-même reste extrêmement large, couvrant 57 axes scientifiques, afin que tous les domaines de recherche puissent y trouver leur place.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Un rapport d'information sénatorial de 2017, rédigé par Michel Berson, soulignait une certaine dispersion de l'agence due à l'augmentation de ses missions, notamment depuis qu'elle est devenue opératrice des PIA. Que répondez-vous à cette observation ? Je suis particulièrement interpellée par votre responsabilité dans l'action « Nouveaux cursus à l'université », qui vise à soutenir la diversification de l'offre de formation en licence. Nous pouvons légitimement nous demander pourquoi cette tâche incombe à l'ANR plutôt qu'au ministère directement. C'est un exemple parmi d'autres qui soulève des questions sur la répartition des compétences.

Mme Claire Giry. - L'implication de l'ANR dans les investissements d'avenir découle de notre expertise dans l'organisation de comités d'experts pour évaluer des projets, compétence similaire à celle requise pour France 2030 et nos missions antérieures. Bien que certains projets, comme les instituts hospitalo-universitaires ou les innovations, restent dans nos domaines de compétence habituels, d'autres, notamment en formation, ont nécessité une adaptation. Pour le programme « Nouveaux cursus à l'université », par exemple, nous avons dû recruter du personnel spécialisé. Cette mission est réalisée pour le compte de France 2030, avec un pilotage interministériel étroit impliquant le ministère de la recherche.

Notre valeur ajoutée réside dans notre maîtrise de la gestion de comités internationaux, un aspect peu développé dans le domaine de la formation et relativement nouveau pour le ministère de l'enseignement supérieur. De plus, l'organisation d'appels à projets n'était pas une pratique courante pour le ministère, habitué à une relation de tutelle et de subvention avec les universités. L'ANR a été choisie pour apporter une approche plus neutre, éloignée des pressions politiques potentielles, en se concentrant sur des critères d'évaluation objectifs pour des projets innovants. Bien que les décisions finales reviennent au Premier ministre et au ministère, notre évaluation fournit une base indépendante et impartiale.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Comment gérez-vous cette double tutelle de fait, entre le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) pour les crédits de France 2030 et votre ministère pour le reste de vos activités ?

Mme Claire Giry. - Notre relation avec le SGPI s'apparente à celle d'un opérateur pour compte de tiers. Notre tutelle officielle reste le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Avec le SGPI, nous avons une convention qui régit notre collaboration. Nous leur fournissons régulièrement des indicateurs et des rapports sur les projets. Ils peuvent assister à nos réunions, mais ne sont pas membres du conseil d'administration et n'exercent pas de tutelle directe. Nous répondons à leurs commandes sans qu'ils ne nous donnent d'orientations particulières.

M. Vincent Cottet, directeur général de l'ANR délégué à l'administration et au budget. - Les processus financiers pour les actions que nous menons dans le cadre des investissements d'avenir et de France 2030 sont spécifiques. L'ANR agit comme opérateur pour le compte de l'État. Les décisions de financement sont prises par l'État, via le Premier ministre ou par délégation, et non par la présidence de l'ANR. Notre rôle consiste à gérer l'ingénierie des appels à projets, le conventionnement et le financement. Ce cadre juridique particulier est régi par des conventions spécifiques pour chaque action. D'un point de vue budgétaire, ces opérations sont traitées distinctement en tant qu'opérations pour compte de tiers.

Mme Agnès Canayer. - Premièrement, quel est le budget global de l'ANR ? Deuxièmement, les projets financés concernent-ils exclusivement les sciences dites « dures » ou incluent-ils également les sciences humaines et sociales ? Enfin, comment assurez-vous la coordination pour que les projets soient entièrement financés, au-delà de la part que vous apportez ?

M. Ludovic Haye. - Tout d'abord, je vous remercie pour vos explications très claires. Dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), j'ai eu l'occasion d'échanger avec de nombreux organismes de recherche. Ce milieu, bien que passionnant, n'est pas toujours aussi harmonieux que nous pourrions le penser. Nous observons parfois une certaine compétition entre le CNRS, les instituts Carnot et d'autres structures, notamment autour des publications scientifiques. Cette « course à la publication » peut influencer les politiques de subventionnement, créant des tensions entre les organismes. Dans une optique de simplification, qui implique souvent une réorganisation, comment envisagez-vous une rationalisation qui permettrait à tous ces acteurs de travailler dans la même direction, en réduisant la concurrence ?

Mme Claire Giry. - Le budget d'intervention est d'un milliard d'euros - notre budget de fonctionnement étant comparativement négligeable. Ce dernier s'élève à 57 millions d'euros et couvre les salaires, les locaux, l'organisation des comités d'experts, leurs déplacements et autres frais connexes.

M. Vincent Cottet. - Notre budget de gestion, qui englobe les dépenses de personnel, de fonctionnement et d'investissement pour l'ensemble de l'agence, y compris la gestion des investissements d'avenir et France 2030, s'élève à 57 millions d'euros pour 2024. Ce montant est financé par une subvention du ministère via le programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires », ainsi que par un subventionnement direcct des frais de gestion directs. Nous avons notamment conclu une nouvelle convention avec l'État pour le financement des frais de gestion liés aux actions d'investissement d'avenir et de France 2030, qui constituent une part importante de notre activité. En parallèle, notre budget d'intervention atteint 1,2 milliard d'euros. S'y ajoutent les actions en comptes de tiers, principalement représentées par les PIA et France 2030.

Mme Claire Giry. - Concernant les domaines scientifiques, notre champ d'action est vaste et diversifié. Nous couvrons 57 axes scientifiques, allant des sciences humaines et sociales à la santé, en passant par la physique, les capteurs, la chimie, l'environnement, et bien d'autres disciplines. Notre financement se concentre sur les coûts additionnels des projets. Concrètement, nous prenons en charge les équipements, les frais de fonctionnement liés au projet, ou encore le recrutement de post-doctorants spécifiquement pour la recherche en question. Nous ne finançons pas les chercheurs permanents déjà en poste dans les laboratoires.

M. Vincent Cottet. - En effet, notre aide ne couvre pas les salaires des personnels permanents, qu'il s'agisse de fonctionnaires titulaires ou de personnels en contrat à durée indéterminée (CDI). Nous finançons uniquement des contrats à durée déterminée (CDD) additionnels. Les établissements contribuent déjà en apportant les salaires des personnels permanents impliqués dans les projets. À titre indicatif, les déposants déclarent plus de 900 millions d'euros de masse salariale de personnel permanent sur les projets financés par l'ANR annuellement.

Le cycle de vie d'un projet comprend plusieurs étapes clés. Après la phase cruciale de sélection, le projet est conventionné et fait l'objet de versements à l'établissement. Pour la clôture, nous exigeons un relevé de dépenses garantissant que les fonds ont été utilisés exclusivement pour le projet. Un rapport scientifique et d'autres documents spécifiques, comme l'accord de consortium en cas de participation d'une entreprise, sont également requis. Cette procédure nous permet de vérifier la bonne exécution du projet, tant sur le plan scientifique que financier, et de ne financer que les dépenses effectivement réalisées.

Mme Claire Giry. - Il ne s'agit pas à proprement parler de cofinancements. Nous pouvons considérer que l'institution de recherche hébergeant le laboratoire contribue au financement du projet. De plus, le préciput permet de couvrir une partie des frais de gestion et d'hébergement de l'institution.

Concernant la compétitivité de la recherche, bien qu'il existe une certaine concurrence au niveau national, l'enjeu principal se situe à l'échelle mondiale. Notre objectif est de renforcer notre recherche pour qu'elle soit compétitive sur les sujets les plus cruciaux. Notre financement permet non seulement le fonctionnement des équipes de recherche, mais aussi la formation de jeunes chercheurs et doctorants, favorisant ainsi une recherche guidée par la curiosité. Cela crée un environnement de recherche fertile, qui publie, reconnu internationalement, capable d'attirer de nouveaux talents et de répondre aux besoins émergents dans des domaines spécifiques, comme l'intelligence artificielle. Notre rôle se concentre sur le soutien aux projets et aux laboratoires, sans intervenir dans la compétition entre institutions.

M. Ludovic Haye. - Le système actuel vous semble-t-il satisfaisant ?

Mme Claire Giry. - L'écosystème de la recherche est complexe. Nous nous efforçons de simplifier nos dispositifs et de les rendre plus accessibles. Dans cette optique, nous avons créé un portail commun en collaboration avec cinq autres agences : l'Agence de la transition écologique (Ademe), l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), l'Institut national du cancer (Inca) et l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) - Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS). Lancé en 2021 dans le cadre de la loi de programmation de la recherche, ce portail centralise tous les appels à projets. Depuis sa création, 500 appels ont été publiés et 87 % des projets émanent de l'ANR. Cette initiative vise à offrir une meilleure visibilité aux chercheurs sur l'ensemble des opportunités de financement disponibles.

Nous travaillons actuellement sur un projet plus ambitieux, en collaboration avec le ministère de la recherche, pour harmoniser nos processus et simplifier les démarches des chercheurs. L'objectif est de créer un environnement unifié pour le dépôt de projets, quel que soit l'organisme de financement : le « Dites-nous une fois » de l'administration doit progresser aussi dans le monde de la recherche. Il faut standardiser la présentation des CV et des informations sur les laboratoires. Cette approche vise à rendre le financement de projets plus accessible et efficace pour la communauté scientifique.

Concernant la complexité du paysage de l'enseignement supérieur et de la recherche, notamment la complexité de la gestion des projets dans les unités mixtes entre organismes et universités, l'ANR n'a pas vraiment de prise sur ces aspects structurels.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Ne serait-il pas plus simple que vous soyez l'unique porteur d'appels à projets, éliminant ainsi la multiplicité des sources de financement comme l'Ademe, l'Anses, et autres ? La recherche devrait-elle être centralisée sous votre égide ou rester répartie entre différents organismes ?

Mme Claire Giry. - Nous sommes capables d'organiser des appels à projets répondant à divers types d'attentes, comme nous le faisons déjà pour différentes entités étatiques et régionales. Une centralisation des appels à projets sous notre responsabilité est envisageable, bien que cette question n'ait pas été formellement posée jusqu'à présent. Nous ne sommes pas demandeurs d'une telle réorganisation, mais ce n'est pas non plus inconcevable. La voie que nous avons privilégiée jusqu'ici consiste à travailler en collaboration avec les autres agences pour développer des approches communes et un portail unique. Cette stratégie de coopération et d'harmonisation reste notre priorité actuelle.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous indiquez que cette possibilité n'est pas exclue. Selon vos propos, l'ANR serait donc en mesure de traiter dès à présent les appels à projets dans le domaine de la santé, de l'environnement et de l'agriculture dès lors qu'ils relèvent de la recherche.

Mme Claire Giry. - Cette option pourrait être étudiée. Je ne maîtrise pas nécessairement tous les détails de ces types d'appels, mais nous pourrions envisager cette possibilité.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Est-il possible que des laboratoires soient sous la tutelle d'autres ministères, par exemple un laboratoire de recherche sous la tutelle du ministère de l'Agriculture ?

Mme Claire Giry. - Absolument. L'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) est sous la double tutelle du ministère de la recherche et du ministère de l'agriculture. C'est également le cas pour les écoles vétérinaires et les écoles d'agronomie.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je faisais référence spécifiquement aux laboratoires, pas aux agences. L'INRAE n'est pas un laboratoire en soi, mais une structure qui englobe effectivement des laboratoires.

Mme Claire Giry. - L'INRAE a des laboratoires. Nous parlons aussi des laboratoires rattachés aux écoles vétérinaires ou aux écoles d'agronomie.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pour clarifier un autre point, quel est le statut prédominant des agents de l'ANR ? S'agit-il principalement de contractuels ou de fonctionnaires ? Et dans le cas des fonctionnaires, quel est leur statut spécifique ?

Mme Claire Giry. - Les fonctionnaires sont très minoritaires au sein de l'ANR. Sur un effectif total de 400 personnes, nous ne comptons que 20 fonctionnaires. Pour des raisons historiques liées à la création de l'agence, la majorité de notre personnel est en CDI. Plus précisément, sur les 367 équivalents temps plein travaillés (ETPT), nous avons 287 CDI, 23 titulaires de la fonction publique, et une cinquantaine de CDD. Ces derniers nous permettent de nous adapter à certaines demandes spécifiques, notamment pour la mise en place de nouveaux dispositifs ou pour les partenariats européens.

M. Hervé Reynaud- Au fil de nos auditions, nous avons souvent entendu des discours évoquant la nécessité de conventions de coordination et le besoin de clarification dans les collaborations entre agences. Cela donne l'impression d'une complexification croissante plutôt que d'une efficacité avérée. Actuellement, les agences ne jouissent pas nécessairement d'une bonne réputation. Comme vous avez également travaillé au sein du ministère, quelle est selon vous la véritable raison d'être de l'ANR ? Comment pourrions-nous gagner en efficacité tout en identifiant des sources d'économies nécessaires ? L'écosystème de la recherche apparaît complexe, et les élus seront amenés à prendre des décisions concernant ces dépenses dans un univers qui n'est pas toujours bien connu ou qui ne semble pas spontanément pertinent.

M. Christian Bilhac. - Ma question fait suite à celle de mon collègue. Vous avez mentionné que l'ANR avait vingt ans. Je souhaiterais connaître ce que vous considérez comme sa plus grande réussite.

Mme Claire Giry. - Concernant les conventions, il est vrai que le dernier contrat d'objectifs de l'ANR comportait déjà un important volet de simplification. L'un des changements majeurs a été le remplacement des conventions de financement avec les établissements par de simples notifications. Cette mesure a considérablement allégé le processus de transfert des financements vers ces institutions. Nous poursuivons cette démarche de simplification en utilisant des actes attributifs, qui sont beaucoup plus concis et simples que les conventions traditionnelles.

Nous continuons à apporter des améliorations. Bien que ces changements n'entraînent pas nécessairement d'importantes économies en termes d'effectifs, ils permettent aux institutions de recherche de réallouer des ressources vers la recherche elle-même, réduisant ainsi le temps que les chercheurs consacrent aux tâches administratives.

Nous examinons des pistes de simplification concernant les relevés de dépenses. En discussion avec le ministère, nous envisageons d'alléger considérablement ces relevés, partant du principe que les établissements publics sont déjà soumis à des contrôles rigoureux de leurs dépenses. Pour certaines actions, nous pourrions même adopter des modes de financement forfaitaires, considérant que la réalisation de certains objectifs du projet suffit, sans nécessité de vérifier le détail des dépenses.

Ces simplifications visent à réduire la charge administrative tant pour les chercheurs que pour les équipes qui les soutiennent, ce qui est également bénéfique pour notre organisation.

M. Vincent Cottet - Pour préciser le processus des projets, la phase de dépôt et de sélection reste primordiale. Les chercheurs sont pleinement conscients de l'importance cruciale de cette étape pour sélectionner les meilleurs projets. Par la suite, nos procédures ont été progressivement simplifiées et allégées.

Pour les projets collaboratifs, qui sont nombreux, nous établissons désormais des contrats individuels avec chaque partenaire. Cette approche évite la nécessité d'un contrat global suivi de conventions de reversement, ce qui constitue une simplification significative. Chaque partenaire dispose ainsi de son propre acte attributif.

Comme l'a mentionné Claire Giry, nous sommes passés à la signature d'un acte unilatéral de l'ANR pour les projets n'impliquant pas d'entreprises, ce qui élimine le besoin de circuit de signature du côté du bénéficiaire. De plus, les versements sont automatisés. En conséquence, le bénéficiaire n'a aucune démarche de gestion à effectuer, hormis la conduite du projet lui-même. Ce n'est qu'à la clôture du projet que nous demandons le relevé de dépenses et le rapport scientifique. Ainsi, une fois le projet sélectionné, tout se déroule de manière transparente pour le bénéficiaire jusqu'à la phase de clôture, où il doit rendre compte de l'avancement du projet.

Mme Claire Giry. - J'aimerais évoquer deux autres pistes de simplification. La première consiste à réduire le nombre d'appels à projets. Le ministre préconise que, lorsqu'il y a des appels à projets étatiques, ils soient centralisés à l'ANR. En effet, nous constatons que divers acteurs, tels que les universités, peuvent être amenés à lancer leurs propres appels à projets internes, notamment pour distribuer des fonds spécifiques ou utiliser le préciput que nous leur versons.

Parfois, y compris dans certains dispositifs que nous gérons, le premier réflexe est de recourir à des appels à projets, même pour distribuer des sommes relativement modestes. Je pense que nous devrions collectivement nous interdire cette pratique au sein de l'enseignement supérieur et de la recherche lorsqu'elle n'est pas justifiée. Il apparaît essentiel d'adopter un processus proportionné à l'objectif visé.

Par exemple, ce matin en comité de direction, nous avons discuté d'une demande d'aide pour évaluer la distribution de thèses. Je ne suis pas convaincue que ce soit la méthode la plus appropriée. Pour attribuer un certain nombre de thèses dans un domaine donné, il serait peut-être plus judicieux de s'appuyer sur les institutions de recherche pour qu'elles sélectionnent elles-mêmes les candidats. Nous pourrions alors évaluer la pertinence d'un programme proposé par une institution qui s'engage à déployer, par exemple, 20 thèses sur un sujet spécifique. C'est ce type de proposition que nous devrions évaluer et financer. Je souligne l'importance de développer des réflexes au sein des communautés scientifiques et des institutions. Bien que cela puisse sembler anodin, c'est en réalité crucial.

Une autre approche consisterait à financer des projets plus conséquents. Nos projets actuels durent déjà cinq ans. Néanmoins, le montant moyen alloué n'a pas évolué malgré la loi de programmation de la recherche. En augmentant le financement de ces projets, nous pourrions, pour un même effort d'évaluation et de formalisation de la part des chercheurs, accroître les montants moyens de 30 %. Cette stratégie permettrait aux équipes de solliciter des financements moins fréquemment, tout en rendant l'effort de candidature plus rentable. Il est à noter que ces montants moyens sont restés stables depuis cinq ans.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Procédez-vous systématiquement à une analyse du coût de mise en place de chaque appel à projets ? Cette analyse devrait inclure la rédaction du cahier des charges, la convocation des comités de sélection, l'évaluation et le suivi, afin de s'assurer que la somme allouée n'est pas inférieure au coût de la structure.

Mme Claire Giry. - Nous ne réalisons pas nécessairement cette analyse sous cette forme précise à chaque fois, mais notre expérience nous permet d'en avoir une estimation fiable. Nous partageons régulièrement ces informations avec nos tutelles, notamment lors de notre conseil d'administration annuel. Le coût moyen de notre processus d'évaluation s'élève à 1 700 euros par projet soumis et à environ 6 000 euros par projet retenu, pour un financement moyen de 500 000 euros. Ces coûts sont supportés par l'ANR dans le cadre de notre budget de fonctionnement.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Ces montants semblent peu élevés. Cela signifie que la rédaction d'un cahier des charges ne nécessite que très peu de temps.

Mme Claire Giry. - C'est précisément l'avantage de notre appel à projets générique. Nous utilisons un cahier des charges unique pour l'ensemble des domaines scientifiques, ce qui optimise ce travail.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - En réalité, ce processus est donc amorti.

Mme Claire Giry. - Vous avez raison, nous observons effectivement un effet d'échelle. Nous recevons 8 000 projets et en finançons 2 000, ce qui permet cet amortissement. C'est un aspect important à considérer. Je souhaite également aborder le sujet des partenariats européens, qui nous préoccupe. Dans le cadre de ces mécanismes européens que j'évoquais précédemment, concernant l'eau, l'environnement et d'autres domaines, plusieurs agences programment et cofinancent un appel à projets, parfois avec un complément de la Commission. Ces processus sont extrêmement lourds. Pour suivre ces partenariats et participer à toutes les réunions de programmation conjointe au niveau européen, ce qui est en soi une excellente idée, nous devons mobiliser 2 à 3 personnes. Cela représente une charge considérable pour un résultat final de 3 projets financés à hauteur de 1,5 million d'euros. Dans ces cas, les coûts moyens par projet que je vous ai mentionnés sont largement dépassés, révélant des mécanismes excessivement complexes. C'est une problématique que nous gardons constamment à l'esprit.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - En résumé, les partenariats européens ne sont pas rentables.

Mme Claire Giry. - Cette question est actuellement débattue dans le cadre de la réflexion sur le futur programme-cadre. La logique de partenariat et de programmation commune s'avère très lourde. Chaque partie cherche à ajuster des détails, ce qui entraîne de nombreuses réunions pour des résultats souvent limités. C'est intéressant en théorie, mais peu efficace en pratique.

Pour répondre à votre question sur l'impact de notre action sur la recherche française au cours de ces 20 années, nous avons effectivement quelques success stories à présenter. Nous avons notamment mis en avant un projet remarquable lors du Forum mondial de l'IA. Pour notre vingtième anniversaire, nous préparons la mise en lumière de plusieurs projets phares. Nous observons que certains porteurs de projets que nous avons accompagnés depuis nos débuts ont vu leurs idées initiales évoluer vers des initiatives plus ambitieuses. Certains ont créé des start-ups, d'autres ont gagné en reconnaissance dans leur domaine. Cependant, nous restons humbles quant à notre rôle. Ces chercheurs évoluent au sein de laboratoires, d'équipes et d'institutions qui les emploient et les financent. Notre contribution consiste à permettre la réalisation de projets et à financer leur curiosité et leurs avancées scientifiques. Nous ne pouvons pas nous attribuer seuls l'origine de tel ou tel grand résultat. Notre impact s'inscrit dans un écosystème plus large.

M. Thibault Cantat. - Évaluer l'impact de nos actions est complexe, particulièrement dans le domaine de la recherche fondamentale. Les retombées sont multiples et variées : publications scientifiques, participation à des congrès, dépôts de brevets, amélioration de la compétitivité économique des entreprises. Nous observons également des impacts plus diffus, notamment sur les trajectoires de carrière des chercheurs. La diversité de ces impacts constituerait en soi un sujet de recherche.

Pour illustrer plus concrètement, 78 % de notre budget est consacré à l'appel à projets générique, qui finance des projets issus de la curiosité des chercheurs, évalués et sélectionnés par leurs pairs. Nous lançons également des appels spécifiques pour répondre à des priorités contextuelles, comme ce fut le cas lors de la crise du Covid-19 ou pour traiter le problème de l'accumulation des sargasses dans les Caraïbes. L'impact de ces projets dépasse le cadre strictement scientifique ou économique. Par exemple, 11 % des publications issues des projets sur les sargasses ont été utilisées dans l'élaboration de politiques publiques, notamment aux Nations Unies. Cela démontre que l'impact de la recherche fondamentale peut s'étendre jusqu'aux politiques publiques, de manière parfois imprévisible. C'est cette diversité d'impacts qui fait la richesse de notre action.

Mme Claire Giry. - Nous développons de plus en plus notre travail sur l'évaluation de l'impact. Nous savons quantifier les publications et les brevets issus de nos projets, car ceux-ci sont cités dans les publications. Plus récemment, nous avons également développé la capacité d'identifier les rapports de politiques publiques qui citent des publications issues de travaux que nous avons financés. Cette approche est particulièrement pertinente dans certains domaines scientifiques, notamment les sciences humaines et sociales et les sujets liés à l'environnement. Nous souhaitons approfondir davantage cette analyse d'impact.

Mme Pauline Martin. - Dans la continuité de ce qui vient d'être dit, je souhaiterais savoir si vous disposez d'un taux d'échec, pour ainsi dire. J'ai bien noté que vous avez maintenant des outils pour identifier les impacts, mais y a-t-il effectivement des projets qui n'aboutissent pas ?

Mme Claire Giry. - Concernant les projets financés, il arrive, bien que rarement, que des aléas surviennent. Ces imprévus peuvent inclure le départ d'un chercheur, des conflits au sein des équipes, ou des changements dans la nature du projet. Dans ces situations, nous engageons un dialogue avec les institutions et les consortiums concernés pour évaluer la viabilité du projet. L'interruption complète d'un projet est extrêmement rare. Généralement, on trouve des solutions alternatives, comme le remplacement d'un membre du consortium, permettant ainsi la poursuite de la dynamique de recherche.

Il est normal et inhérent à la nature de la recherche que certains projets rencontrent des impasses scientifiques. Dans ces cas, nous demandons aux équipes de nous en informer afin d'engager un dialogue pour réorienter le projet.

Nous évaluons constamment l'efficacité de nos instruments de financement. Par exemple, concernant les laboratoires communs entre la recherche publique et les partenaires industriels (LabCom), nous avons constaté une baisse des soumissions. Après analyse, nous avons repositionné ce dispositif pour le rendre plus accessible aux petites et moyennes entreprises (PME) et aux start-ups. Cette adaptation a permis de relancer l'intérêt pour cet instrument dès la deuxième année.

Nous procédons régulièrement à l'évaluation de nos instruments. Actuellement, nous examinons les chaires industrielles pour optimiser leur fonctionnement. Pour les programmes de recherche collaboratifs avec les entreprises, nous réfléchissons à raccourcir le cycle d'examen des projets. Notre objectif est de rendre ces programmes plus attractifs pour les entreprises en accélérant le processus d'évaluation. Cette réflexion s'inscrit dans notre démarche continue d'amélioration de nos dispositifs.

M. Pierre Barros, président. - Je vous remercie pour votre participation à cette commission d'enquête et pour la qualité de vos réponses.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 30.

Jeudi 10 avril 2025

- Présidence de Pierre Barros, président -

La réunion est ouverte à 10 h 35.

Audition de MM. Jérôme Fournier, chef de service et adjoint à la directrice à la direction des sports, Franck Laudillay, sous-directeur du pilotage et de l'animation des réseaux du sport, Omar Mokeddem, chef de la mission financière, Mme Élisabeth Gaillard-Giraudet, adjointe au chef du bureau des services territoriaux et de l'Agence nationale du sport, et M. Joris Rivière, adjoint au chef du bureau des établissements du sport

M. Pierre Barros, président. - Cette matinée est consacrée aux agences dans le domaine de la politique du sport. Avant de recevoir tout à l'heure le directeur général de l'Agence nationale du sport (ANS), nous entendrons maintenant, pour la direction des sports, MM. Jérôme Fournier, chef de service et adjoint à la directrice, Franck Laudillay, sous-directeur du pilotage et de l'animation des réseaux du sport, Omar Mokeddem, chef de la mission financière, Mme Élisabeth Gaillard-Giraudet, adjointe au chef du bureau des services territoriaux et de l'Agence nationale du sport, et M. Joris Rivière, adjoint au chef du bureau des établissements du sport. La mention de l'Agence dans l'intitulé d'un bureau du ministère témoigne de son importance.

Notre commission d'enquête s'intéresse aux missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État. Notre objectif est d'aller plus loin que les propos à l'emporte-pièce, en examinant finement les cas où il serait possible de simplifier l'organisation et d'améliorer le service rendu.

Aussi, nous nous intéressons à la manière dont la direction des sports s'appuie sur ses opérateurs, à savoir, selon le projet annuel de performances (PAP), les trois écoles nationales des sports, l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep), le musée national du sport (MNS) et l'ANS. S'agit-il bien des organismes que vous considérez comme les opérateurs du ministère ou exercez-vous une tutelle, au moins secondaire, sur d'autres établissements ?

Plus généralement, de quelle manière exercez-vous la tutelle sur ces établissements ? Selon les principes de l'État stratège, l'administration de tutelle définit la politique publique sous l'autorité du ministre et l'opérateur la met en oeuvre. Cette distinction vous semble-t-elle clairement respectée ? Proposeriez-vous de faire évoluer le statut de ces établissements ou la répartition des compétences entre eux et avec l'administration centrale ou déconcentrée ?

Vous semblez avoir beaucoup de points communs avec l'ANS, jusqu'à vos intitulés, qui sont très proches. De quelle manière les compétences de l'ANS se distinguent-elles des vôtres ? Quelle est votre capacité d'action ? Pourriez-vous comparer vos effectifs avec ceux de l'Agence ?

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Jérôme Fournier, Franck Laudillay, Omar Mokeddem, Mme Élisabeth Gaillard-Giraudet et M. Joris Rivière prêtent serment.

M. Jérôme Fournier, chef de service à la direction des sports, adjoint à la directrice. - Je vous prie d'excuser Mme Fabienne Bourdais, directrice des sports, qui devait être présente ce matin, mais qui a été empêchée. Nous sommes venus en nombre pour la représenter ; j'espère que nous serons à la hauteur.

Si l'État partage aujourd'hui très largement la compétence en matière de sport avec les collectivités territoriales, il joue historiquement un rôle central dans la politique sportive. Celle-ci s'appuie sur des principes fondateurs qui ont été posés en 1975 avec la loi dite Mazeaud, puis réaffirmés en 1984 par la loi dite Avice, et rappelés plus récemment encore par la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France. Cette dernière confirme un principe essentiel : le développement du sport pour tous, ainsi que le soutien aux sportifs de haut niveau et aux équipes de France constituent des missions d'intérêt général.

Dans ce cadre, l'État et ses opérateurs assurent un rôle central, à la fois de régulation et d'impulsion, en vue de promouvoir une pratique physique et sportive sécurisée et de qualité, accessible à toutes et à tous, à tous les niveaux, sur l'ensemble du territoire.

L'action de l'État dans ce domaine se déploie en interaction étroite avec l'ensemble des acteurs : les collectivités territoriales, le mouvement sportif, le tissu associatif et le secteur marchand. C'est dans ce contexte que la direction des sports joue un rôle central. Depuis quelques années, un repositionnement de cette direction a été engagé pour en faire une direction d'état-major. Elle se voit ainsi confortée dans ses missions de pilotage, d'observation et d'évaluation des politiques publiques du sport, ainsi que dans ses missions régaliennes.

Les missions de la direction des sports couvrent un champ étendu. Elles comprennent la production normative, la coordination de l'action conduite par les services déconcentrés en matière de contrôle et de police administrative.

La direction a également pour mission de piloter l'Agence nationale du sport, d'exercer la tutelle des établissements du sport, d'accompagner les fédérations sportives, de délivrer et de contrôler leur agrément, ainsi que la délégation qui leur est confiée, et d'assurer la reconnaissance du haut niveau des disciplines sportives.

Elle intervient aussi dans la sécurisation des pratiques sportives, dans le contrôle des établissements d'activités physiques et sportives, ainsi que dans celui des éducateurs sportifs. Elle agit pour la prévention et la protection des publics, notamment dans la lutte contre toutes les formes de violences, d'incivilités, de dérives, dans la prévention du séparatisme et de la radicalisation.

La direction des sports est également engagée dans la promotion de l'éthique sportive, en particulier dans la prévention des manipulations sportives et du dopage. Elle intervient pour l'élaboration des diplômes et des certifications pour les métiers de l'encadrement sportif. Elle joue enfin un rôle régulateur dans le domaine du sport professionnel.

Pour exercer l'ensemble de ces missions, la direction des sports s'appuie sur trois réseaux essentiels : d'abord, le réseau des services déconcentrés, intégrés dans les délégations régionales académiques à la jeunesse, à l'engagement et aux sports (Drajes) ; ensuite, le réseau des établissements du sport ; enfin, le réseau des conseillers techniques sportifs (CTS), en particulier des directeurs techniques nationaux (DTN), agents de l'État exerçant leur mission auprès des fédérations sportives.

Il convient également de souligner que la direction des sports, administration centrale, agit résolument dans une logique interministérielle. Les activités physiques et sportives irriguent de nombreuses politiques publiques majeures : santé, éducation, inclusion des personnes en situation de handicap, cohésion sociale, développement durable, formation, emploi, égalité, mixité, lutte contre les discriminations, prévention des violences, pour ne citer que celles-ci. Il revient donc à la direction des sports de valoriser la dimension sportive dans l'ensemble de ces politiques.

Au-delà de l'animation de ses réseaux, la direction des sports collabore au quotidien avec de nombreux partenaires publics et privés : collectivités territoriales, mouvement sportif, institutions, monde économique. Tous sont des interlocuteurs importants.

S'agissant des agences, l'Agence nationale du sport constitue un opérateur du ministère, dont la direction des sports assure le pilotage et la tutelle. Nous pourrons y revenir plus en détail, puisque s'agissant d'un groupement d'intérêt public (GIP), sa tutelle est différente de celle qui est exercée sur d'autres opérateurs.

D'autres établissements relèvent de la tutelle du ministère : l'Insep, qui est un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel, mais aussi des établissements publics administratifs, à savoir l'École nationale des sports de montagne ; l'École nationale de voile et des sports nautiques ; le Musée national du sport ; l'Institut français du cheval et de l'équitation, dont la tutelle est exercée conjointement par le ministère des sports et le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Enfin, la direction des sports pilote un réseau d'établissements publics locaux : les centres de ressources, d'expertise et de performance sportives (Creps) au nombre de dix-sept, répartis sur l'ensemble du territoire. Il s'agit d'établissements publics locaux de formation.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Les Creps sont aussi sous la tutelle des régions.

La création de l'Agence nationale du sport a entraîné une réorganisation importante de la direction des sports. Comment a-t-elle été vécue par vos agents ? Considérez-vous qu'elle soit achevée ? Permet-elle une articulation satisfaisante avec l'ANS au point d'éviter tout risque de chevauchement de compétences ?

M. Jérôme Fournier. - L'histoire de l'ANS est encore récente, puisqu'elle n'a été instituée que le 24 avril 2019, ce qui est court à l'échelle des organisations administratives.

Cette création fait suite à une demande du Premier ministre, en 2017, d'engager une démarche de confiance envers le mouvement sportif français. L'objectif était de donner davantage d'autonomie aux fédérations sportives et au Comité national olympique et sportif français (CNOSF), ainsi qu'aux acteurs locaux, tout en recentrant l'action de l'État sur des missions essentielles : coordination, réglementation et contrôle, notamment dans le champ de l'éthique.

Missionnés dans ce cadre, Mme Laurence Lefèvre et à M. Patrick Bayeux ont remis en août 2018 un rapport dans lequel ils ont notamment recommandé la création d'une Agence nationale du sport, dans la forme que nous connaissons aujourd'hui. L'intention était double : transformer profondément le modèle sportif français et préparer dans les meilleures conditions possible les Jeux olympiques et paralympiques de 2024, afin d'en assurer la réussite, mais aussi d'en transmettre l'héritage et de construire un modèle au service de la haute performance sportive.

Selon les rapporteurs, pour améliorer la coordination des acteurs et créer un environnement plus souple, il fallait instaurer une gouvernance collégiale. Celle-ci s'incarne aujourd'hui dans le statut même de l'Agence, constituée en groupement d'intérêt public, et dans ses différents collèges.

Dans l'exposé des motifs de la loi de 2019 relative à la création de l'Agence nationale du sport et à diverses dispositions relatives à l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, il a été souligné ceci : « La perspective de l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques en France en 2024 constitue une occasion exceptionnelle pour faire évoluer le modèle sportif français. Ce modèle, dont les fondements remontent aux années 1960, doit être en phase avec les nouvelles attentes des pratiquants et des acteurs sportifs représentés dans toute leur diversité et, plus largement, avec les enjeux de notre société. »

La création de l'Agence, sous la forme d'un groupement d'intérêt public, avait donc pour objet de mettre en place une gouvernance collégiale et concertée.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - La réorganisation de la direction des sports issue du décret du 19 décembre 2019 est-elle achevée ? Comment a-t-elle été vécue par les agents de la direction des sports ? Son articulation avec l'ANS est-elle satisfaisante ? Pouvez-vous nous assurer qu'il n'existe aucun doublon entre les deux structures ?

J'ai consulté les organigrammes respectifs de la direction des sports et de l'Agence nationale du sport, et j'y ai identifié des chevauchements, parfois mot pour mot, ou quasiment, dans les intitulés des missions. Ces similitudes apparaissent également dans les descriptions publiées sur votre site internet et sur celui de l'ANS.

M. Jérôme Fournier. - Au moment de la création de l'Agence, en 2019, une phase de redéfinition en profondeur des périmètres respectifs de l'Agence et de la direction des sports a été engagée.

Cette réorganisation a notamment impliqué le repositionnement de plusieurs agents de la direction des sports et a eu un impact significatif sur le fonctionnement de cette dernière.

Dès la constitution de l'Agence, un outil central a été mis en place pour structurer les relations entre les deux entités : la convention d'objectifs et de moyens (COM). La première convention, conclu pour la période 2020-2024, a permis, dès 2020, de clarifier de façon précise les missions confiées à l'Agence, en les assortissant d'indicateurs de suivi, eux-mêmes alignés, pour la plupart, sur le PAP du ministère des sports.

Pour identifier les recouvrements éventuels entre les champs d'action de l'Agence et ceux de la direction des sports, un travail de cartographie des missions respectives des deux entités a été engagé en 2022 et finalisé en juin 2023. Parallèlement, nous avons élaboré un protocole de travail entre la direction des sports et l'Agence nationale du sport qui a été signé le 4 janvier 2023. Ce protocole encadre de manière rigoureuse les modalités de collaboration entre les deux structures. Ce double travail - cartographie des missions et protocole d'organisation - a permis de préciser clairement la répartition des compétences entre l'Agence et la direction.

S'il subsiste parfois des sujets communs, c'est parce que la direction des sports, dans son rôle de tutelle, intervient sur des missions régaliennes, de coordination, d'impulsion et de pilotage, notamment dans le domaine du sport de haut niveau. L'Agence, quant à elle, agit comme opérateur, chargé de la mise en oeuvre et du déploiement des politiques publiques qui lui sont confiées.

Cette complémentarité peut entretenir une certaine confusion, mais le travail que nous avons engagé a permis de clarifier la situation.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Combien d'agents la direction des sports comptait-elle avant et après la création de l'ANS ?

M. Jérôme Fournier. - Aujourd'hui, la direction des sports compte 142 équivalents temps plein (ETP). Nous vous communiquerons ultérieurement le nombre exact d'agents avant la création de l'ANS ; je ne l'ai pas en tête.

M. Franck Laudillay, sous-directeur du pilotage et de l'animation des réseaux du sport. - Je précise que les effectifs de l'Agence proviennent de plusieurs services. Une partie est issue de la direction des sports au sens large, ce qui inclut également des cadres techniques ; une autre part provient de l'Insep ; une autre part importante est issue de l'ex-Centre national pour le développement du sport (CNDS), établissement qui préexistait à l'ANS et qui intervenait dans le développement des pratiques sportives. Ainsi, sur les 70 équivalents temps plein travaillé (ETPT) constituant le plafond d'emplois de l'Agence en 2025, près de 25 sont issus du CNDS.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Est-ce que vous comptez les DTN dans les 142 ETP ? D'ailleurs, quelle est leur autorité de tutelle ?

M. Jérôme Fournier. - Dans ces 142 ETP, nous ne comptons que les agents affectés à la direction des sports.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Ce sont donc uniquement ceux qui travaillent dans les locaux du XIIIe arrondissement, n'est-ce pas ?

M. Jérôme Fournier. - Tout à fait.

Par ailleurs, 1 442 conseillers techniques sportifs sont soit affectés au sein des Drajes, soit rattachés au centre de gestion opérationnelle des cadres techniques sportifs (CGOCTS), qui constitue un service à compétence nationale placé sous l'autorité de la direction des sports, mais dont les effectifs ne sont pas comptabilisés parmi ceux de l'administration centrale. Il s'agit néanmoins d'agents de l'État, qui exercent leurs missions directement auprès des fédérations sportives : c'est dans ces effectifs que sont inclus les DTN.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Autrement dit, les CTS affectés dans les Drajes ont pour autorité hiérarchique le délégué régional, tandis que ceux qui relèvent du service à compétence nationale sont placés sous l'autorité hiérarchique de la responsable de ce service ; est-ce bien cela ?

M. Jérôme Fournier. - Les CTS affectés dans les Drajes relèvent hiérarchiquement du recteur de région académique, et par délégation du délégué régional académique à la jeunesse, à l'engagement et aux sports.

En revanche, les CTS et les DTN affectés au CGOCTS sont placés sous l'autorité hiérarchique de la direction des sports, et par délégation de sa responsable.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pourquoi avoir créé un service à compétence nationale ?

M. Jérôme Fournier. - Le service à compétence nationale, où sont affectés environ 350 CTS, permet à la direction des sports de disposer d'une structure opérationnelle capable d'assurer la gestion courante des 1 442 CTS : suivi des congés, gestion des arrêts maladie, évaluations, organisation du temps de travail. Il s'agissait de créer une entité suffisamment agile pour assurer une gestion administrative de proximité.

Je précise que la gestion des ressources humaines de notre direction est assurée par les services du secrétariat général du ministère de l'éducation nationale.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Dans son rapport de 2022 intitulé L'Agence nationale du sport et la nouvelle gouvernance du sport, la Cour des comptes évoque les avantages possibles de la fusion entre la direction des sports et la direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative (Djepva), car il s'agit de deux petites directions d'administration centrale, comparativement aux autres. Qu'en pensez-vous ?

M. Jérôme Fournier. - La direction des sports et la Djepva sont deux directions d'administration centrale, dont l'ensemble des fonctions support - juridiques, financières, et de ressources humaines - relèvent du secrétariat général du ministère de l'éducation nationale.

Nous dépendons donc de la direction générale des ressources humaines, de la direction des affaires financières, de la direction des affaires juridiques du ministère de l'éducation nationale, et du service de l'action administrative et des moyens, qui gère les agents des deux directions d'administration centrale.

Le rapprochement entre la direction des sports et la Djepva permettrait de mutualiser certains moyens et compétences. Par exemple, dans chacune de ces directions, des agents travaillent sur les affaires internationales, sur la certification et la formation, ou encore sur des dispositifs d'observation. Il pourrait donc exister des synergies intéressantes.

Dans le cas des conseillers techniques sportifs, le besoin d'un service à compétence nationale resterait, selon nous, pertinent dans tous les cas. La gestion de ces cadres est très spécifique. Placés sous l'autorité hiérarchique de la direction des sports, ils exercent leurs missions au sein des fédérations, avec lesquelles ils ont un lien très étroit : cette position particulière exige une connaissance fine du métier et une gestion adaptée à leurs spécificités.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Les fédérations sportives bénéficient de subventions de l'État. Dès lors, qu'est-ce qui empêche que les CTS soient mis à disposition des fédérations et que leur gestion courante soit assurée par les directions des fédérations, au même titre que leurs propres agents de droit privé, recrutés et rémunérés sur leur budget propre ?

M. Jérôme Fournier. - Les fédérations sont des associations régies par la loi de 1901. Ce sont des structures juridiquement indépendantes, qui ne sont ni des opérateurs ni des organismes de l'État. Cela n'empêche pas l'État d'exercer une forme de tutelle sur elles, entendue ici au sens d'un contrôle, pour trois raisons principales.

D'abord, parce que les fédérations sportives bénéficient d'un agrément délivré par le ministre des sports. L'État vérifie donc la manière dont les fédérations mettent en oeuvre les missions de service public qui leur sont confiées à ce titre.

Ensuite, certaines fédérations bénéficient d'une délégation de service public. Aussi, elles sont chargées de délivrer les titres, d'assurer la réglementation technique et sportive des disciplines concernées, d'inscrire les sportifs sur les listes de haut niveau, entre autres responsabilités. L'État doit donc contrôler la manière dont les fédérations exercent les compétences issues de la délégation de service public.

Enfin, l'État intervient dans les fédérations dont les disciplines sont reconnues comme relevant du sport de haut niveau.

Ces trois éléments justifient l'existence d'un contrôle, mais il reste que les fédérations sont d'abord des associations autonomes, pleinement libres dans l'élaboration et la conduite de leur projet fédéral.

Par ailleurs, l'État a choisi de placer des agents de l'État, les CTS, au sein même des fédérations. Au reste, nous rappelons régulièrement, tant aux CTS eux-mêmes qu'aux présidents des fédérations, qu'ils sont des agents de l'État. Les fédérations déploient des missions de service public et mettent en oeuvre des politiques portées par le ministère des sports, ce qui explique la présence des CTS.

Au-delà de leur gestion opérationnelle, assurée par le CGOCTS, leur rattachement hiérarchique à la direction des sports ou aux Drajes permet à l'État de les mobiliser sur des priorités de l'État, par exemple la réduction des inégalités d'accès à la pratique, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, la promotion de l'éthique et de la probité, la féminisation du sport, entre autres.

Placés sous l'autorité de l'État, ils peuvent ainsi être mobilisés pour porter ces politiques au sein des fédérations. Ce modèle, certes atypique, fait pleinement partie de l'organisation du sport en France. Il incarne concrètement l'action de l'État au coeur même du tissu fédéral.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous délivrez un agrément aux fédérations. Vous êtes donc capables de vérifier qu'elles mettent bien en oeuvre les politiques prioritaires de l'État...

Combien de personnes travaillent au sein du service à compétence nationale, sans compter les CTS, pour assurer la gestion de ces derniers ?

M. Jérôme Fournier. - Il y a cinq ou six agents ; nous vous préciserons le nombre exact.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Par ailleurs, estimez-vous que l'éclatement actuel de la gouvernance de la politique du sport, entre la direction des sports, l'Agence nationale du sport et d'autres acteurs, constitue un frein à la conduite de politiques interministérielles ? Je pense, par exemple, à la politique de sport santé.

M. Jérôme Fournier. - L'Agence nationale des sports et la direction des sports sont complémentaires. La direction des sports participe à la conception, à la définition, mais aussi au déploiement des politiques du ministre des sports, dont elle constitue le bras armé. Il s'agit avant tout d'une direction d'administration centrale, chargée de mettre en oeuvre, de contrôler, d'observer et d'évaluer les politiques publiques portées par le ministère.

L'Agence nationale du sport, quant à elle, remplit trois fonctions principales. Premièrement, il s'agit d'incarner la gouvernance collégiale. L'ANS comporte quatre collèges : le collège des représentants de l'État, le collège des associations représentant les collectivités territoriales, le collège des représentants du mouvement sportif et le collège des représentants des acteurs économiques. Ce cadre permet un dialogue structuré dont l'ensemble des parties prenantes se félicitent.

Deuxièmement, il s'agit d'un opérateur qui déploie les politiques publiques qui lui sont confiées. Le travail de clarification, au travers de la cartographie et du protocole de coopération, sur la délimitation précise des compétences entre l'Agence et la direction des sports est sans doute à poursuivre.

Troisièmement, l'Agence a pour fonction de mobiliser des ressources diversifiées, au-delà des seuls crédits budgétaires de l'État. L'Agence bénéficie ainsi de financements issus de taxes affectées, comme la taxe sur les paris sportifs ou la taxe dite Buffet, mais aussi de contributions apportées par des membres de ses collèges, qu'il s'agisse des collectivités territoriales ou des partenaires privés. Or une direction d'administration centrale ne pourrait agréger des financements d'origines diverses.

L'Agence représente donc un levier d'action puissant, notamment en matière de soutien au sport de haut niveau, de financement des équipements sportifs ou encore de déploiement des projets sportifs territoriaux, qu'il s'agisse du financement de l'emploi ou autre.

Cette structuration permet de produire des effets de synergie que nous considérons comme positifs pour la conduite des politiques publiques que nous portons.

M. Pierre Barros, président. - Vous participez au financement des équipements sportifs ?

M. Jérôme Fournier. - Oui, l'Agence nationale du sport aujourd'hui - le CNDS hier - porte des programmes de soutien aux équipements sportifs. Deux grands programmes ont été mis en oeuvre récemment : le plan 5 000 terrains de sport, qui a été suivi, l'année dernière, par le lancement d'un nouveau programme, le plan 5 000 équipements sportifs - Génération 2024. Ce dernier vise à accompagner le financement d'équipements sportifs. Les moyens budgétaires du ministère sont mobilisés à cette fin et mis à disposition de l'Agence pour permettre le déploiement de ces dispositifs.

M. Pierre Barros, président. - Quels sont les types d'équipement financés ?

M. Jérôme Fournier. - Trois catégories d'équipements sont financées par le programme Génération 2024.

La première catégorie est celle des équipements dits structurants : il s'agit d'infrastructures tels que les piscines, les gymnases, les dojos, des équipements à vocation supra-communale, souvent envisagés à l'échelle départementale, voire régionale. Dans ce cadre, l'État finance et accompagne la réflexion sur la nature des équipements à créer et leur localisation, notre objectif étant de couvrir les territoires carencés en infrastructures sportives.

La deuxième catégorie est celle des équipements sportifs de proximité. Il s'agit d'installations de plus petite dimension, telles que des skate-parks, des City stades ou autres, implantés à l'échelle infradépartementale.

La troisième catégorie concerne l'aménagement des cours d'école. L'objectif est de favoriser la pratique physique dans le cadre scolaire, en réaménageant les cours pour les rendre plus inclusives.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - N'est-ce pas paradoxal que le financement de tels aménagements relève du ministère des sports, alors même que l'enseignement de l'éducation physique et sportive, notamment à l'école primaire, relève directement de la compétence de l'éducation nationale ? Les professeurs des écoles assurent cet enseignement, sauf lorsque les collectivités décident de mettre en place des éducateurs des activités physiques et sportives (Étaps).

M. Jérôme Fournier. - Nous travaillons en étroite coordination avec le ministère de l'éducation nationale ; pour les cours d'école, nous collaborons avec les équipes éducatives. Pour autant, le bâti scolaire relève, en principe, de la compétence du bloc communal. Aussi, nous accompagnons les collectivités dans la mise en oeuvre de projets qui intègrent les politiques publiques portées par le ministère des sports, et cela vaut tant pour les équipements sportifs de proximité que pour les aménagements des cours d'école. L'intervention de l'État vise à inciter les collectivités à concevoir les équipements sportifs sous un angle plus innovant, afin de favoriser l'accès à la pratique pour le plus grand nombre, d'aller vers des publics féminins. Par exemple, dans une cour laissée en l'état, sans aménagement, les garçons jouent au milieu, repoussant les autres élèves vers les côtés de la cour. La démarche de cour inclusive consiste à rechercher des solutions innovantes, grâce à des aménagements simples, qui ne sont d'ailleurs pas très coûteux. L'expérience montre que de petits réaménagements réduisent ces effets d'éviction et développent la pratique sportive, en cohérence avec les priorités de notre politique publique.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pensez-vous qu'un maire peut raisonnablement comprendre tous ces financements ? D'un côté, on lui demande de verdir la cour de récréation, au nom de l'adaptation au changement climatique, et d'y créer des îlots de fraîcheur ; de l'autre, il doit proposer une cour inclusive au titre de l'égalité entre les enfants, et y intégrer des équipements sportifs. Dès lors, en plus de sa demande de dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et de dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), il devra déposer un dossier auprès de l'Agence de l'eau, de l'ANS, et d'autres opérateurs, et l'on ne sait même pas si quelqu'un contrôlera le taux global de financement du projet. Pour les petites communes, la démarche est d'une grande complexité, d'autant que l'objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) empêche d'agrandir la cour de l'école !

Ne faudrait-il pas rationaliser ce système et envisager un guichet unique de financement ? Une seule entrée, qui puisse agréger les différents volets d'un projet - environnemental, éducatif, sportif - et permettre une lecture cohérente ?

M. Pierre Barros, président. - Beaucoup de maires nous écoutent, et nombreux sont ceux qui ont des idées concrètes pour des équipements de proximité. Sur le fond, tout le monde adhère au sens de ces dispositifs, mais, concrètement, qui accompagne les élus et leurs services dans la qualification du projet, sur le plan pédagogique, éducatif, et sportif ? Qui les aide à l'améliorer ? Qui les guide dans le montage et leur apporte des contributions financières ?

M. Jérôme Fournier. - L'Agence nationale du sport s'appuie, pour le traitement des dossiers d'équipements, sur le réseau des services déconcentrés du ministère, notamment les services départementaux à la jeunesse, à l'engagement et aux sports (SDJES), qui accompagnent et instruisent les demandes déposées auprès de l'Agence. Il s'agit bien d'agents de l'État, affectés dans ces services, qui exercent ce rôle de proximité.

Nous partageons entièrement votre constat : la multiplication des lignes de financement, des processus, des dossiers à remplir, crée une complexité réelle pour les collectivités. Lorsqu'un projet concerne, par exemple, une piscine ou un gymnase, le montage financier implique généralement de mobiliser plusieurs sources : les crédits de l'Agence nationale du sport, mais aussi d'autres dispositifs de l'État, comme la DETR et la DSIL.

Nous analysons plusieurs pistes qui viseraient à aller vers la mise en place d'un guichet unique, regroupant les différentes lignes budgétaires de l'État mobilisables pour le financement des équipements sportifs.

Nous partageons avec vous la nécessité de simplifier les procédures, notamment pour les services des collectivités qui sont chargés des demandes de financement.

Cela étant, même dans l'hypothèse d'un guichet unique, une fusion totale des différentes lignes budgétaires risquerait d'entraîner la perte de l'expertise sportive sur les équipements concernés.

Par exemple, le ministère dispose d'un outil qui permet d'identifier les territoires carencés en équipements sportifs, dit Data ES, qui permet d'identifier très précisément le niveau de couverture en équipements sportifs, territoire par territoire, et par type d'équipement. Cette analyse est importante.

Par ailleurs, un équipement sportif se conçoit en fonction non seulement des usagers quotidiens, mais aussi de son articulation avec les clubs, les comités, les ligues, voire les fédérations, en particulier lorsqu'il s'agit d'équipements structurants. Ces acteurs peuvent être déterminants, sur les conditions de pratique ou sur l'organisation de la performance sportive.

Autrement dit, construire un guichet unique implique non seulement de rapprocher les calendriers et de standardiser les procédures, mais aussi de préserver un regard expert sur les équipements, la mobilisation des financements, selon chaque type d'équipement. La DSIL ne finance pas seulement des équipements sportifs.

M. Hervé Reynaud. - Comme l'a rappelé le président en préambule, notre objectif est de mener un travail de fond. Vous êtes venus en nombre, mais en lisant l'intitulé de vos services je ne peux m'empêcher d'avoir l'impression d'une bureaucratie assez lourde et de l'existence de doublons.

Selon vous, comment pourrait-on optimiser l'articulation entre la direction des sports et l'Agence nationale du sport, dont la création est récente ?

Le domaine du sport appelle une action publique réactive et opérationnelle. Il est essentiel que le travail engagé ne soit pas altéré par le sentiment, encore trop fréquent, d'une tuyauterie administrative complexe.

M. Pierre Barros, président. - Mme Gaillard-Giraudet, l'intitulé de votre poste, à savoir « adjointe au chef du bureau des services territoriaux et de l'Agence nationale du sport », illustre le besoin d'interface avec les collectivités territoriales, mais aussi avec l'ANS. Aussi, pourriez-vous nous dire combien de personnes et quelle part du temps de travail sont consacrées à cette fonction ?

M. Cédric Vial. - Vous évoquiez l'utilité de conserver dans les fédérations sportives des agents de l'État sous ce statut, et non en détachement ou en mise en disposition, ce qui vous permet de conserver un lien hiérarchique avec eux. Qui a formellement l'autorité fonctionnelle sur les CTS missionnés dans les fédérations ? Au fond, pour qui travaillent-ils réellement, lorsqu'ils sont intégrés dans ces structures ?

Votre réponse sur les cours d'école ne m'a pas convaincu : le guichet unique est l'argument de celui qui n'en a pas ! Le sujet peut sembler mineur, mais il n'en est pas moins réel.

M. Jérôme Fournier. - L'histoire de l'Agence est encore récente, et nous sommes à un moment charnière, puisqu'il était prévu, dans sa convention constitutive, de procéder à un bilan, après les Jeux olympiques, de ses cinq années d'existence. Ce bilan est en cours de préparation, et nous pourrons en tirer toutes les conclusions pour optimiser notre organisation.

Il s'incarnera principalement par la mise en place d'une mission conjointe de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR), de l'Inspection générale de l'administration (IGA) et de l'Inspection générale des finances (IGF). Cette mission vient d'être lancée ; ses conclusions sont attendues d'ici à la fin de l'année 2025.

Cette évaluation devra confirmer, ou non, la pertinence des choix opérés en 2019, en particulier le recours au modèle du groupement d'intérêt public et les modalités de gouvernance mises en place, ainsi que les réalisations portées par l'Agence depuis sa création.

Parallèlement, plusieurs autres rapports sont en cours de finalisation, tous attendus pour 2025. Nous avons notamment reçu les conclusions d'une mission d'inspection générale interministérielle portant sur les relations entre les préfets, les services déconcentrés de l'État et les opérateurs, qui comporte des éléments spécifiques sur l'Agence. Une mission d'audit interne, actuellement menée par l'IGESR, évalue l'exercice de la tutelle par la direction des sports sur l'Agence nationale du sport.

L'ensemble de ces travaux devrait permettre, le moment venu, de faire évoluer certains équilibres.

Nous partageons le constat selon lequel des marges de progression subsistent dans nos relations avec l'Agence. Cela concerne notamment les lignes de partage entre les missions dévolues à l'Agence pour mise en oeuvre et celles qui relèvent encore du giron de l'État. Pour le formuler en termes plus techniques et budgétaires : certaines missions pourraient continuer à être portées par les services déconcentrés de l'État, via les budgets opérationnels du programme 219 « Sport », plutôt que d'être transférées à l'Agence.

On pourrait ainsi s'interroger sur l'intérêt qu'il y aurait à confier directement à l'État certaines actions plutôt que de les externaliser via l'Agence. Des ajustements sont envisageables.

Cela étant, en matière de gouvernance et de tutelle, nous estimons avoir atteint aujourd'hui un certain niveau de maturité. Depuis 2019, plusieurs outils ont été mis en place : un protocole de travail, une cartographie des missions et une comitologie structurée avec des rendez-vous réguliers. S'il a pu exister, au moment de la création de l'Agence, des tensions ou des incompréhensions avec la direction des sports, le pilotage et le dialogue sont aujourd'hui plus fluides.

Néanmoins, des marges de progrès existent encore, notamment en ce qui concerne la précision des indicateurs assignés à l'Agence dans sa convention d'objectifs et de moyens. On pourrait renforcer les indicateurs relatifs aux priorités stratégiques de l'État : mieux cibler les territoires les plus carencés, mieux atteindre certains publics, et surtout, mieux évaluer les effets des politiques menées. Cela implique probablement un travail plus poussé sur les projets sportifs fédéraux. Il nous faudrait mieux analyser, au travers de ces projets, la manière dont les moyens de l'État, alloués aux fédérations via l'Agence, servent effectivement les objectifs de politiques publiques prioritaires. Aujourd'hui, il nous manque encore des instruments suffisamment fins pour apprécier et évaluer pleinement l'action conduite par les fédérations dans ce cadre.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Les fédérations ont deux interlocuteurs : vous, qui délivrez l'agrément, et l'ANS, qui finance.

M. Jérôme Fournier. - Notre périmètre d'action est clair. L'année dernière, par exemple, nous avons mené un travail approfondi - une première depuis la création de l'Agence - sur les délégations sportives. Ce travail a conduit la direction des sports à rencontrer l'ensemble des fédérations délégataires, à dresser un bilan détaillé de la mise en oeuvre de leur délégation, et à formuler des demandes précises, lorsque des manquements ont été identifiés.

Sur ce point, il n'y a pas de doute : la direction des sports conserve l'autorité. Nous intervenons sur des sujets régaliens, tels que la transparence, les déclarations auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, ou encore le respect des processus démocratiques internes aux fédérations.

L'Agence nationale du sport, pour sa part, dispose, dans sa relation avec les fédérations, d'outils contractuels : les contrats de développement et les contrats de performance. Au travers de ces instruments, elle évalue la mise en oeuvre des politiques qu'elle finance.

On peut donc considérer que les rôles sont bien répartis, et que ce fonctionnement est désormais stabilisé.

Cela étant, nous identifions aussi des pistes d'amélioration. Dans nos échanges avec les fédérations délégataires, nous constatons que leur travail fait naturellement écho aux actions menées par l'Agence dans le champ de la performance ou du développement de la pratique. Nous aurions donc tout intérêt à renforcer une approche plus intégrée entre la direction des sports et l'Agence, notamment en organisant des temps communs avec les fédérations, afin de mieux croiser nos regards.

Les sujets sont, à mon sens, bien identifiés. Dès lors qu'il s'agit d'une délégation accordée à une fédération, on ne peut faire abstraction de ce que l'Agence met en oeuvre à ses côtés.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - N'est-ce pas la preuve qu'il y a un véritable problème de coordination ? Ce sont les fédérations qui gèrent le sport, en dehors du sport à l'école et des sportifs occasionnels. Or si la coordination entre la direction des sports et l'Agence avec les fédérations ne fonctionne pas, alors une grande partie du sport dans notre pays s'en trouve fragilisée.

M. Christian Bilhac. - Quand je regarde l'état du sport dans notre pays, je me demande où passe l'argent. Il y a ici les crédits du ministère des sports, là les sommes importantes brassées dans le milieu du sport, là-bas encore les financements des départements ou des régions. Pourtant, dans toutes les communes, dans toutes les associations de sport pour tous, on entend le même constat : « On n'y arrive pas ! On doit quémander trois sous pour acheter un ballon ou pour repeindre un vestiaire. » Des milliers d'enfants ne trouvent pas un club de basket ou un dojo. Malgré tout cela, on continue comme si de rien n'était. Tout va très bien, madame la marquise !

Pourtant, les problèmes sont bien réels : l'obésité infantile progresse, beaucoup d'enfants ne pratiquent aucun sport. Au reste, combien d'écoles bénéficient d'Étaps pour encadrer le sport scolaire ? J'ai beaucoup de respect pour les professeurs des écoles, mais faire de l'éducation physique et sportive, ce n'est pas leur métier !

Je trouve votre discours empreint d'autosatisfaction, alors que la situation, au contraire, mériterait une mobilisation forte.

En tant que maire, j'ai fait beaucoup d'efforts pour développer le sport de tous les jours, mais dans une solitude totale. Que répondez-vous à cela ?

M. Cédric Vial. - Selon vous, que fait concrètement l'Agence que la direction des sports ne pourrait pas faire ? Par exemple, la gestion de l'aide aux équipements est une mission que les services déconcentrés de l'État ont toujours été capables de remplir. De la même manière, l'expertise, l'accompagnement des collectivités, les projets de cour d'école : tout cela pourrait être pris en charge sans qu'il soit nécessaire de créer un guichet supplémentaire ou une structure intermédiaire.

M. Pierre Barros, président. - Nombre de collectivités, même lorsqu'elles ont le projet d'installer un équipement sportif ambitieux, ne savent pas à qui s'adresser ; l'Agence nationale du sport est mal connue. Les financements, quand ils existent, sont souvent cachés derrière de nombreux autres. La question de l'illisibilité des moyens que vous évoquez mérite donc d'être posée.

M. Jérôme Fournier. - Les CTS sont placés sous l'autorité hiérarchique d'une autorité administrative, soit le délégué régional académique à la jeunesse, à l'engagement et aux sports, soit la directrice des sports. En parallèle, ils relèvent de l'autorité fonctionnelle du directeur technique national, qui est lui-même un agent de l'État placé sous l'autorité de la directrice des sports. Ce partage d'autorité est formalisé par une lettre de mission, signée conjointement par l'autorité hiérarchique et l'autorité fonctionnelle. Ce document fait l'objet d'une concertation, à l'échelon national, avec le président de la fédération concernée et la directrice des sports. Lors de la nomination d'un DTN, par exemple, la directrice des sports reçoit le président de la fédération pour établir ensemble cette lettre de mission.

Quand j'étais moi-même directeur régional, nous recevions les présidents de ligue pour présenter le rôle du CTS et la lettre de mission associée. C'est donc un cadre formalisé, stable, connu, et partagé.

Vous m'interrogez sur les résultats. Sur ce point, restons humbles. Oui, le ministère des sports s'inscrit dans une logique de performance. Sans doute avons-nous des marges de progrès. Mais nous pouvons tout de même observer un certain nombre d'effets concrets de nos politiques publiques. Je pense par exemple à tout ce que nous déployons en matière de sport santé. Le sport en club, avec licence, augmente significativement. Le développement de la pratique féminine se confirme. Notre action, notamment post-Jeux olympiques, sur l'accès à la pratique d'activité physique pour les personnes en situation de handicap porte également ses fruits. Peut-être ces résultats vous paraissent-ils insuffisants, mais, à nos yeux, ils sont positifs et encourageants.

Je l'ai indiqué, un travail s'engage sur le partage entre ce que nous faisons et ce que fait l'ANS. Nous examinerons cette question au cours de l'année : je n'ai pas encore la réponse à ce stade. D'ailleurs, les arbitrages appartiendront à la ministre. Mais nous avançons.

Nous défendons l'idée d'un guichet unique, afin que des moyens aujourd'hui spécifiques à l'Agence s'inscrivent dans un circuit administratif plus standard, avec des lignes de crédits mieux connues des collectivités, de type DSIL ou DETR. Cela permettrait non seulement de faciliter l'accès aux ressources de l'ANS, mais également de renforcer la connaissance que les collectivités ont de celle-ci, même si elles la sollicitent déjà fortement. Nous avons peut-être simplement un effort à faire pour mieux expliquer nos cibles et nos objectifs en matière de financement des équipements sportifs.

M. Pierre Barros, président. - Qu'en est-il de l'interface ?

M. Jérôme Fournier. - La direction des sports s'appuie sur trois réseaux pour déployer ses politiques publiques : celui des services déconcentrés, celui des établissements et celui des CTS.

La sous-direction du pilotage et de l'animation des réseaux du sport est constituée en trois bureaux. Le bureau des établissements du sport travaille plus particulièrement avec l'Insep, les écoles nationales, le musée national du sport et les Creps. Le bureau des fédérations sportives assure le lien, notamment, avec les fédérations sur les sujets d'agrément, de délégation et de reconnaissance du sport de haut niveau. Et le bureau des services territoriaux assure l'animation du réseau des directions régionales et des services départementaux à la jeunesse, à l'engagement et au sport, ainsi que la tutelle de l'ANS ; aujourd'hui, ce bureau, c'est trois agents, un chef de bureau et un chargé de mission. Le pilotage de l'ANS inclut des réunions bilatérales, en général entre la directrice des sports et l'adjoint au directeur de l'ANS, tous les quinze jours, ainsi que des rencontres en trilatéral, avec le cabinet de la ministre, assez régulières.

M. Pierre Barros, président. - Nous vous remercions de vos réponses.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Frédéric Sanaur, directeur général de l'Agence nationale du sport

M. Pierre Barros, président. - Notre matinée est consacrée à l'organisation des agences et opérateurs dans une politique publique où ils jouent un rôle particulièrement important : le sport. Après avoir reçu des représentants de l'administration centrale, avec la direction des sports, nous accueillons le directeur général de l'Agence nationale du sport (ANS), M. Frédéric Sanaur.

Monsieur le directeur général, notre commission d'enquête s'intéresse aux missions des agences et opérateurs de l'État, ainsi qu'aux organismes consultatifs. Il ne s'agit pas de supprimer pour supprimer ou de fusionner pour fusionner ; nous cherchons à examiner quelles sont les structures qui fonctionnent et quelles sont celles pour lesquelles il existe des marges d'amélioration.

L'intitulé de votre agence est particulièrement large, puisque l'ANS concerne le sport dans son ensemble. Il sera donc utile que vous nous précisiez la délimitation exacte des compétences de cette agence et que vous nous indiquiez de quelle manière elle se distingue des autres opérateurs du ministère des sports.

D'une manière plus générale, je vous demanderai de nous rappeler les conditions de création de l'ANS, en 2019. A-t-elle repris des compétences de l'administration centrale ou d'autres opérateurs ? Si oui, comment s'est passée concrètement la transition, par exemple pour la gestion des personnels et de leur statut ?

Le mode de financement et la nature juridique de votre agence nous intéressent également. L'ANS est un groupement d'intérêt public (GIP), alors que la quasi-totalité des opérateurs sont des établissements publics. Quelle est la raison d'être de ce statut ? Est-il cohérent avec l'origine des financements ?

Il est indiqué sur votre site internet que le budget pour 2025 est de 415,2 millions d'euros. Ce budget inclut-il bien les conséquences des votes de la loi de finances pour 2025, sachant qu'au cours des débats, les crédits de la mission « Sport, jeunesse et vie associative », notamment ceux de l'ANS, ont évolué de manière importante ? Pouvez-vous détailler l'origine de vos recettes entre crédits budgétaires de l'État, produit des taxes affectées et autres ressources ?

Il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Frédéric Sanaur prête serment.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'audition de la direction des sports nous a déjà permis de comprendre ce que vous faites dans les grandes lignes. Je souhaite vous interroger sur les liens entre votre action, celle de la direction des sports, dont nous venons d'entendre des représentants, et celle des autres services de l'État. Concrètement, comment s'articulent les actions des conférences régionales du sport, que vous animez et qui ont été déployées depuis 2021, et celles des services déconcentrés de l'État ?

Vous pourrez aussi répondre à une critique qui vous a été adressée dans un rapport de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR) au sujet de la rédaction des circulaires, indiquant que l'ANS aurait battu un record de volumétrie, avec une instruction annuelle de 167 pages destinée aux services déconcentrés de l'État en 2022.

M. Frédéric Sanaur, directeur général de l'Agence nationale du sport. - Les conférences régionales du sport, puis les conférences des financeurs ont été installées à la suite de l'adoption de la loi du 1er août 2019 relative à la création de l'Agence nationale du sport et à diverses dispositions relatives à l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, et de la parution d'un décret du 20 octobre 2020. Ce dernier précise que les services déconcentrés, délégués territoriaux de l'ANS, sont chargés du secrétariat de ces conférences. Il s'agit, précisément, de veiller à l'articulation entre l'agence, organisme national, ses délégués territoriaux au niveau territorial et l'ensemble de la gouvernance du sport - mouvement sportif associatif, collectivités territoriales, autres représentants de l'État, acteurs du monde économique et social, etc. - dans la mise en oeuvre des politiques d'intervention à l'échelon territorial. Si l'ANS a un rôle d'animation de l'ensemble de ces conférences, elle n'intervient pas de manière opérationnelle : une personne suit la coordination de l'ensemble de ces conférences à l'échelon national.

Notre mode d'intervention, ce sont des notes de service diffusées en début d'année, une fois le budget initial voté, pour élaborer le cahier des charges. Pour rappel, le délégué territorial de l'Agence nationale du sport est le préfet de région et le délégué territorial adjoint est le délégué régional académique à la jeunesse, à l'engagement et aux sports (Drajes). Ces notes permettent d'engager l'ensemble de nos dispositifs et programmes d'intervention.

Vous avez évoqué l'année 2022. Selon les années, en fonction des orientations données par le conseil d'administration de l'ANS, et en lien étroit avec les priorités ministérielles, il peut y avoir 15, 16, voire 17 appels à projets. Nous sommes donc obligés d'apporter un certain nombre d'éléments, non seulement pour fournir le maximum d'indications aux porteurs de projets - associations sportives, collectivités territoriales, etc. -, mais également pour adresser des instructions aux services déconcentrés chargés de la mise en oeuvre des dispositifs.

Sans doute y a-t-il une marge de simplification. Nous nous sommes déjà engagés en ce sens. En 2024, il y a eu 16 appels à projets, contre 7 cette année. Cette réduction est liée aux mesures que nous avons adoptées pour renforcer la lisibilité du dispositif aux yeux des acteurs souhaitant déposer un dossier.

M. Pierre Barros, président. - Combien de dossiers déposés par les collectivités sont-ils retenus chaque année ?

M. Frédéric Sanaur. - Sur les équipements sportifs, le taux en 2024 est d'environ un sur troisnous avons retenu 3 000 projets, ce qui correspond à quelque 2 000 dossiers de collectivités territoriales. Le ratio est d'environ un sur trois, contre plutôt un sur quatre à l'époque du Centre national pour le développement du sport (CNDS), car il y a un peu plus de moyens. Surtout, ces financements s'inscrivent - c'était le souhait des collectivités locales et des élus - dans des programmes pluriannuels : un dossier qui n'a pas été retenu une année peut l'être l'année suivante ou deux ans plus tard.

M. Pierre Barros, président. - Instruisez-vous directement les dossiers ? Cela doit être un travail colossal.

M. Frédéric Sanaur. - En effet, c'est un travail très important.

Une partie est gérée à l'échelon national, notamment dans l'interaction avec les fédérations. Par exemple, sur le projet de 1 000 dojos, nous avons un interlocuteur à l'échelon national, la fédération française de judo, qui agit directement dans plusieurs régions. Notre service des équipements sportifs instruit les dossiers avec elle. C'est le cas de figure le plus simple.

Mais, pour la très grande majorité - environ 80 % - des financements, les crédits sont territorialisés. Ce sont donc le préfet et la Drajes, avec les services départementaux à la jeunesse, à l'engagement et aux sports (SDJES), qui sont les interlocuteurs des collectivités locales sur l'instruction des dossiers. La mairie s'adresse d'abord au SDJES. Une fois le dossier instruit, il passe à l'échelon régional pour transmission au niveau national et mise en paiement s'il est acté - c'est là qu'il y a une articulation, Mme le rapporteur - au sein de la conférence régionale du sport.

M. Cédric Vial. - La pratique des appels à projets est critiquée, notamment par les collectivités, car elle nécessite d'opérer une veille constante et de disposer d'ingénierie, ce qui implique d'avoir une taille critique. Bien souvent, il faut que le projet soit prêt dès que l'appel est lancé, ce qui suppose de l'avoir préparé à un moment où il n'y avait pas de ligne de crédits ouverte... Cela conduit donc à des effets d'aubaine : des collectivités reçoivent des financements pour des projets qu'elles auraient lancés de toute façon.

Allez-vous continuer à travailler ainsi ? Qu'envisagez-vous pour essayer de simplifier un petit peu les choses et de rendre cette politique plus lisible et plus pérenne ?

M. Frédéric Sanaur. - À l'époque du CNDS, nous étions sur des programmes annuels. En moyenne, sur les dix dernières années, entre 35 millions d'euros et 40 millions d'euros par an étaient orientés vers le financement des équipements sportifs. Depuis la création de l'ANS, nous sommes plutôt entre 100 millions d'euros et 120 millions d'euros de cofinancement.

C'est l'aspect « pluriannualité » qui est important. Du temps du CNDS, la campagne était lancée au mois de février, les dossiers étaient déposés à la fin du mois de juin, pour une instruction de juillet à octobre et une validation au conseil d'administration de novembre ; il n'était pas possible d'obtenir des financements sans s'inscrire dans ce calendrier. Aujourd'hui, nous sommes dans un mode de financement au long cours : on lance le programme en janvier, on dépose le dossier en février ou en juillet et on peut avoir des commissions d'instruction beaucoup plus rapprochées, autour des conférences régionales des sports ou des conférences des financeurs. Cela dépend des régions : certaines font une commission annuelle, quand d'autres en font deux, voire trois. Nous préconisons d'en faire plutôt trois, mais cela augmente les temps de concertation, de comitologie et d'instruction. L'important, c'est la pluriannualité : celui qui n'est pas prêt pour déposer son dossier en juillet peut le déposer plus tard et avoir une chance d'être retenu dès la première commission de l'année suivante.

Vous évoquez la taille des collectivités. Sur trois années de mise en oeuvre du plan 5 000 terrains de sport, environ 8 500 équipements sportifs ont déjà été financés, pour un montant global d'environ 300 millions d'euros. Cela représente quelque 4 000 collectivités, de la commune de 100 habitants à la grande ville de 100 000 habitants ou beaucoup plus. C'est la preuve qu'il y a un chemin possible. Certes, ce n'est pas toujours facile. Des efforts de la part du maire et des services administratifs - il peut d'ailleurs s'agir du service technique ou du service des bâtiments lorsqu'il n'y a pas de service des sports - s'imposent parfois.

Nous sommes dans la proximité avec les élus chargés du sport et les directions territoriales concernées. En effet, les collectivités sont les bénéficiaires de nos financements. Je le rappelle, plus de 80 % des équipements sportifs leur appartiennent. Ce sont elles qui investissent le plus, pour près de 6 milliards d'euros. Nous venons en appui, en soutien, avec cette approche pluriannuelle.

En 2022, lors du lancement du plan 5 000 terrains de sport, toutes les collectivités n'avaient pas en tête de rénover ou de construire des nouveaux équipements. Or, comme je l'ai indiqué, nous avons financé plus de 8 500 équipements sportifs. Si l'État n'avait pas donné l'impulsion via l'ANS, il n'y aurait pas eu la même dynamique autour de tous ces terrains de basket, skate-parks, parcours de sport santé, terrains multisports, etc.

M. Pierre-Alain Roiron. - J'entends ce que vous dites, y compris sur la pluri-annualité, mais le vrai problème, notamment pour les collectivités qui n'ont pas de service des sports, c'est la connaissance des appels à projets. Beaucoup de maires ignorent jusqu'à l'existence même de votre agence. Je pense qu'il vous faut faire mieux connaître vos plans pluriannuels.

Mme Anne-Sophie Patru. - Nous souffrons, me semble-t-il, d'un excès de complexité. Aujourd'hui, pour déposer une demande de subvention sur un équipement sportif, il y a besoin d'une liste interminable de documents, avec un avant-projet sommaire (APS) voire définitif (APD), mais il ne faut surtout pas démarrer l'opération sur le plan juridique sous peine de risque de ne pas pouvoir bénéficier des fonds. Je peux vous assurer qu'il est parfois totalement impossible de respecter concrètement vos délais. En avez-vous conscience ? Que comptez-vous faire pour simplifier le système ? Cela en est décourageant. Les communes qui investissent dans le sport le font par conviction, mais beaucoup n'ont pas de service des sports. Les élus se démènent pour obtenir des subventions. Nous avons l'impression qu'il n'existe aucun service capable de nous aider à l'échelon local.

M. Frédéric Sanaur. - Pour une structure nationale comme la nôtre, pouvoir parler à 35 000 collectivités, à 160 000 associations sportives affiliées à des fédérations et presque autant non affiliées à des fédérations, à plusieurs milliers de sportifs de haut niveau et à 115 fédérations, c'est effectivement un enjeu important.

Il est toujours difficile d'avoir un message qui soit diffusé partout. Nous utilisons les différents canaux à notre disposition : actions médiatiques, communication sur les réseaux sociaux ou via les services, qui ont aussi leurs limites, régionaux et départementaux de l'État, etc. Les conférences régionales du sport ont souvent une antenne départementale. Nous nous appuyons aussi sur les associations nationales d'élus chargés du sport et de directeurs des sports.

Depuis notre création, nous sommes présents au Salon des maires. C'est un cadre pertinent pour prendre le pouls et savoir si les élus connaissent, ou non, notre structure et nos dispositifs. Au début, en 2019 et 2020, beaucoup nous demandaient qui nous étions et ce que nous faisions. Mais, depuis 2022, avec le lancement du plan 5 000 terrains de sport, pour lequel un dossier sur trois est retenu, des centaines, voire des milliers de maires viennent nous voir et connaissent très bien notre action : beaucoup ont déjà été soutenus ou sont en train de déposer un dossier. Nous essayons de nous rendre disponibles pour faire connaître nos dispositifs. Mais, effectivement, nous gagnerions à les faire connaître encore plus.

Jadis, j'ai moi-même été fonctionnaire territorial. J'ai passé plus de dix ans dans les services des sports de collectivités locales à monter des dossiers. Nous sommes en train de faire un travail de mise en cohérence des cahiers des charges et les listes de pièces à demander lorsque l'on monte un dossier. D'ailleurs, il n'y a pas un décalage énorme entre ce que nous demandons dans la sphère sportive et ce qui est réclamé aux collectivités pour bénéficier de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) ou de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR). Certes, les listes peuvent être un peu longues. Mais c'est parce que nous essayons d'avoir un pilotage national, afin de pouvoir orienter nos actions, flécher les financements et aider à la décision des autorités politiques et de notre conseil d'administration pour faire des équipements structurants. Sans cela, des éléments nous manqueraient à l'échelon national pour l'observation et le pilotage des dispositifs. D'ailleurs, avec le développement de financements plus généraux, il y a un risque d'avoir une lecture de la politique sportive un peu moins fine et précise.

Le conseil d'administration a voté qu'il y aurait un accusé de réception au dépôt du dossier, ce qui permet d'engager les travaux et de simplifier un peu ces règles administratives. Celles-ci nous sont imposées ; nous ne les inventons pas. Nous essayons de répondre à la réglementation administrative en vigueur lorsque nous devons attribuer des subventions publiques, afin de pouvoir en rendre compte ensuite devant le Parlement et les différents corps de contrôle.

Nous soutenons chaque année plusieurs milliers de collectivités qui arrivent à monter des dossiers, en lien avec les services départementaux, les services régionaux, voire avec nous à l'échelon national lorsqu'il y a un accompagnement à apporter. Nous essayons d'être disponibles et réactifs pour que les dossiers puissent être déposés et soutenus.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'aimerais aborder le financement de l'ANS. Comment justifiez-vous que vos dépenses de personnel aient augmenté de plus de 19 % sur la période 2020-2023 ? Avez-vous recruté des agents à la direction des sports après avoir identifié des doublons ? Comment gérez-vous vos relations avec cette dernière pour vous assurer qu'il n'y a pas deux personnes qui s'occupent du même dossier ?

M. Frédéric Sanaur. - Lors de la création de l'ANS - j'ai été préfigurateur de janvier 2019 à avril 2019 -, l'objectif était bien de réunir l'expertise des services qui pouvaient exister en matière de haute performance au sein de l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep), d'où le transfert d'un certain nombre d'agents de cet organisme, et celle des personnels issus de la direction des sports et de l'ensemble des personnels du CNDS.

De mémoire, au début, il y avait 28 équivalents temps plein (ETP), ce qui a permis de constituer le noyau initial des personnels de l'ANS. Ce nombre est très vite passé à 42, afin de pouvoir absorber les nouvelles missions qui nous ont été confiées : il fallait des services chargés du suivi des ressources humaines, des aspects juridiques, de l'agence comptable. Il est ensuite passé à 52, à 62, puis à 70 en 2023, avant d'être fixé à 71 en 2024 et, pour l'instant, en 2025.

Les dépenses de personnel ont augmenté, parce que nous avons eu besoin de plus d'ETP pour pouvoir faire face aux missions qui nous ont été confiées. Je pense notamment à la multiplication des appels à projets, en fonction des sollicitations de notre conseil d'administration ou des impulsions qui pouvaient être données politiquement par les ministres : pratique sportive féminine, parasport, plan de relance, comité interministériel de la ville, etc. C'est l'avantage d'un outil comme le nôtre de pouvoir évoluer en fonction de la situation, du contexte et des impulsions politiques.

Je le rappelle, un budget autour de 450 millions d'euros, cela représente, en fonction des années, entre 35 000 et 40 000 subventions. Il y a donc une charge administrative à la fois pour les porteurs de projets, qui déposent des dossiers, et pour nos équipes au niveau national, qui doivent payer, s'assurer que les projets soutenus sont bien en conformité avec ce pour quoi ils ont été financés au départ et répondent aux normes réglementaires et administratives.

Globalement, sur les 71 ETP, il y a entre 25 et 30 personnes sur le sport de haut niveau et de haute performance, entre 20 et 25 personnes sur le développement des pratiques sportives et le reste sur des fonctions support. Plus de 2 000 sportifs de haut niveau sont soutenus chaque année, et il y a plus de 70 fédérations. Nous avons une vingtaine de personnes qui instruisent un très grand nombre de dossiers de soutien aux clubs - un peu plus de 15 000 clubs sont soutenus -, à l'emploi - cela représente près de 5 000 emplois sportifs - et aux différents projets d'équipement sportif et d'aide au financement associatif.

Cela concerne uniquement le pilotage national. Il y a en complément les services départementaux et régionaux, qui instruisent également en première intention des dossiers, pour lesquels nous venons simplement apporter une instruction finale.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Les services départementaux jouent-ils un rôle de « préfiltre », en sélectionnant certains dossiers pour vous les transmettre parce qu'ils sont intéressants pour le territoire, et en en bloquant d'emblées d'autres ?

M. Frédéric Sanaur. - C'est possible.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je ne vous demande pas si c'est possible ; je vous demande si les choses fonctionnent ainsi.

M. Frédéric Sanaur. - Ce n'est pas toujours aussi simple. Il y a une multitude d'appels à projets différents. Lorsque le dossier est soutenu, il est suivi par les services en proximité, mais il est mis en paiement à l'échelon national. Et nous pouvons tout à fait voir les dossiers qui ne sont pas retenus, grâce aux outils informatiques et aux plateformes de gestion. Mais nous ne sommes pas en gestion directe d'un projet qui n'est pas soutenu en proximité, puisqu'il n'est pas mis en paiement.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pour la conférence régionale, ce sont les services départementaux qui font la pré-instruction ?

M. Frédéric Sanaur. - Dans le cas des équipements sportifs ou de l'emploi sportif, c'est bien le cas. Ensuite, le débat sur le financement des projets s'effectue en conférence des financeurs.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous n'avez pas répondu à la question des éventuels doublons entre la direction des sports et l'ANS.

M. Frédéric Sanaur. - Lors de la création de l'ANS, certains effectifs de la direction des sports - en l'occurrence, il s'agissait d'ETP sur le sport de haut niveau - ont été absorbés. Il a fallu que l'ANS comme la direction des sports trouvent un équilibre dans leur fonctionnement. Nous avons mis en place une cartographie de ce que fait l'agence et de ce que fait la direction des sports.

Parfois, le travail est complémentaire. La direction des sports met aussi en oeuvre un certain nombre de règles et de réglementations liées au code du sport, ce que ne peut pas faire l'ANS. Typiquement, nous identifions les sportifs de haut niveau, nous les aidons financièrement dans leur parcours, mais c'est la direction des sports qui a la responsabilité de les mettre sur liste ministérielle.

Nous avons évidemment d'autres interactions, comme Jérôme Fournier a pu vous l'expliquer. Une convention d'objectifs et de moyens entre l'État et l'ANS spécifie bien qui fait quoi, avec un certain nombre d'indicateurs de résultats et de livrables.

En outre, les différentes notes de service que vous évoquiez tout à l'heure sont partagées et validées par la direction des sports avant leur diffusion, afin de pouvoir être ensuite communiquées à l'ensemble de l'écosystème sportif et aux services déconcentrés de l'État.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Comment l'ANS peut-elle identifier les sportifs de haut niveau - je pensais que c'était le rôle des conseillers techniques sportifs (CTS) - alors que ses effectifs ne sont pas très nombreux ?

M. Frédéric Sanaur. - Ce travail, nous l'effectuons bien entendu en lien permanent avec les fédérations sportives et les directions techniques nationales, dans lesquelles on retrouve les CTS.

Nous avons une action complémentaire. Plusieurs milliers de sportives et de sportifs de haut niveau sont sur la liste ministérielle. Les fédérations identifient ensuite celles et ceux qui nécessitent un soutien renforcé, afin de leur permettre de se concentrer de manière quasi exclusive sur leur carrière sportive : ce n'est évidemment pas la même chose selon que le sportif est de niveau national ou de niveau européen, international, olympique ou paralympique. Puis, avec les fédérations, nous identifions ceux qui peuvent figurer dans un cercle encore plus réduit, celui de la haute performance. Nous parlons là de 600 à 800 sportifs à très fort potentiel qui nous semblent pouvoir intégrer l'équipe de France olympique ou paralympique, voire qui nous semblent susceptibles d'aller chercher une place sur un podium mondial.

En lien permanent avec les directions techniques nationales, nos experts chargés de la haute performance identifient ces sportifs, afin d'actionner des dispositifs d'accompagnement permettant de les soutenir. Il peut s'agir de solliciter une entreprise partenaire autour d'une convention d'insertion professionnelle, d'obtenir un aménagement de leur emploi, de trouver des financements pour les aider dans leur préparation sportive. Ils peuvent avoir besoin de préparateurs physiques, de coachs mentaux, de soins, etc. Nous orientons nos financements de manière à maximiser leurs chances de réussite dans les différentes échéances sportives.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Est-ce qu'il vous semble normal que l'État soit minoritaire au conseil d'administration de l'ANS, alors que plus de la moitié de son budget provient de fonds publics, en intégrant la subvention pour charges de service public et la fiscalité qui vous est affectée ?

M. Frédéric Sanaur. - C'est le fruit des travaux préparatoires ayant conduit à la création de l'agence, notamment le rapport de 2018 rédigé par la directrice des sports de l'époque. Il s'agissait de trouver un équilibre entre les différents acteurs engagés dans cette politique et de définir une gouvernance partagée. La forme juridique du GIP a été, à l'époque, privilégiée pour cette raison et il a été décidé que les droits de vote se répartiraient entre l'État, les collectivités territoriales et le mouvement sportif, qui disposent chacun de 30 %, les acteurs économiques ayant les 10 % restants. Toutefois, pour le sport de haut niveau, l'État a 60 % des droits de vote, les trois autres collèges se répartissant les 40 % restants.

Nous vivons cette gouvernance partagée au quotidien de manière très dynamique et fluide, même s'il est vrai que le niveau de financement et le pourcentage des droits de vote ne sont pas en corrélation. Je peux témoigner que ce sont les orientations de l'État, régulièrement rappelées par le ministre en conseil d'administration, qui sont mises en débat et qui prévalent. Comme la très grande majorité des financements provient de l'État, c'est sa parole qui est écoutée quand il faut procéder à des économies ou à des réorientations. La plupart des votes se font à l'unanimité et, depuis le début, nous réussissons à voter les budgets et à les mettre en oeuvre.

M. Pierre Barros, président. - Au fond, qu'apporte la forme juridique du GIP ? La possibilité de recevoir des ressources diversifiées, notamment privées ? Pourtant, le financement de l'agence provient très majoritairement de l'État.

M. Frédéric Sanaur. - Le financement provient très majoritairement de l'État en proportion, parce que nous sommes à des montants significatifs : environ 400 millions d'euros. Les capacités financières de nos douze membres fondateurs sont très diverses : l'État, l'Assemblée des départements de France, l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), France urbaine, Régions de France, des organisations du monde économique et du mouvement sportif. Certains de ces acteurs contribuent au financement, tels que le Comité national olympique et sportif français, le Comité paralympique et sportif français ou le Medef, mais ce n'est pas le cas de l'ensemble des structures, parce que leur budget ne le permet pas.

Néanmoins, nous avons l'ambition de renforcer les partenariats et de diversifier encore plus nos sources de financement - c'est d'ailleurs un objectif qui nous est fixé par le ministère des sports -, mais cela n'atteindra jamais de tels montants. En 2024, nos ressources externes se sont élevées à 17,7 millions d'euros, soit 4 % de notre budget. Nous avons déjà une dizaine de partenaires privés.

Certaines fédérations sportives apportent aussi des contributions. Par exemple, la Fédération française de football, qui avait autrefois son propre système de financement, et l'ANS ont décidé de créer un seul guichet pour le financement d'équipements sportifs.

Parmi les contributeurs publics, je peux citer le conseil départemental de Seine-Saint-Denis, la Métropole du Grand Paris, la ville de Marseille, le GIP « Les entreprises s'engagent » ou France Travail.

Développer les partenariats privés demande cependant de mettre en place une ingénierie ad hoc pour répondre aux demandes spécifiques de ces acteurs. Les partenariats sont évidemment une bonne chose, ils permettent par exemple d'hybrider avec le monde économique, mais nous devons veiller à ne pas complexifier les choses et à conserver des actions et des financements lisibles pour chacun. J'évoquais tout à l'heure le chiffre de dix-sept appels à projets ; cela vient aussi du fait que des partenariats sont noués à un moment ou à un autre - par exemple avec La Française des jeux pour la Coupe du monde de rugby ou avec le Comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop) - et que les enveloppes financières ne sont pas nécessairement fusionnables ou mobilisables au moment où nous lançons les campagnes générales d'information. Les partenariats ont une conséquence sur la complexité, voire la lisibilité des dispositifs.

M. Cédric Vial. - Vous avez été préfigurateur de l'agence : comment avez-vous déterminé son périmètre ? Qu'est-ce qui vous a conduit à penser que l'agence ferait mieux et peut-être moins cher que l'État ou le CNDS ? Aujourd'hui, avec le recul, diriez-vous que la création de l'agence a apporté ou non une plus-value ? Quelles sont les différences entre la grille de salaires à l'agence et la grille du traitement des fonctionnaires ?

M. Pierre Barros, président. - Dans l'arrêté du 4 octobre 2019 portant approbation de la convention constitutive du GIP dénommé « Agence nationale du sport », il est indiqué qu'une évaluation sera réalisée après la tenue des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Cette évaluation est-elle en cours ? Pourrait-elle aboutir à un autre partage des compétences ? Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, le ministre des sports de l'époque, Gil Avérous, jugeait lui-même inutile la conférence des financeurs et suggérait qu'il faudrait l'intégrer au sein du ministère...

M. Frédéric Sanaur. - Quand j'ai été nommé préfigurateur, les concertations et les débats préparatoires étaient terminés et le rapport publié à la fin de l'année 2018 posait clairement différents constats : le modèle de la haute performance s'essoufflait et les résultats des derniers Jeux olympiques étaient moins bons que les précédents ; la gouvernance du sport devait être revue pour mieux associer l'ensemble des acteurs, notamment les collectivités territoriales ; le lien entre le sport de haut niveau et le développement général du sport devait être repensé.

J'ai alors été chargé d'installer le GIP - cette forme juridique était mentionnée dans ma lettre de mission -, d'en définir les contours, de recruter le personnel, d'organiser les premières assemblées générales et réunions du conseil d'administration.

Est-ce mieux ou moins bien que le services de l'État ? En fait, c'est différent ! Nous ne sommes pas dans une administration centrale, placée sous l'autorité directe du ministre et de son cabinet et devant agir en interministériel. Des personnes d'origines plus variées sont autour de la table : des élus locaux, des parlementaires, des chefs d'entreprise, des représentants de fédérations sportives, etc. Le regard est donc davantage pluriel. C'est un point qui me semble particulièrement novateur.

M. Cédric Vial. - Comment sont nommés les membres du conseil d'administration ?

M. Frédéric Sanaur. - Ils sont nommés par les douze membres fondateurs que j'ai cités tout à l'heure, auxquels s'ajoutent quatre parlementaires désignés par les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat.

Les débats au conseil d'administration concernent la stratégie à adopter, la définition des programmes, leur mise en oeuvre opérationnelle, etc. Dès le départ, le mouvement sportif et les collectivités locales voulaient être autour de la table et avoir un droit de vote. Cette gouvernance vise à donner plus d'autonomie et de responsabilité au mouvement sportif.

Je n'ai pas en tête la grille de traitement de la fonction publique de l'État. La présidente, nommée sur proposition du ministre par le conseil d'administration, est bénévole. La rémunération du directeur général, qui est nommé de la même manière, est définie par les ministères du budget et des sports. Le manager général de la haute performance est nommé par le conseil d'administration sur proposition du ministre et après avis du directeur général.

J'ai connu plusieurs postes très différents dans le secteur du sport : en administration centrale, en collectivité locale, en cabinet ministériel. Avec le recul, j'estime que la structure ANS nous donne des leviers supplémentaires d'action et plus de moyens, même à périmètre constant. Le budget du CNDS, en intégrant la haute performance, atteignait environ 270 millions d'euros ; nous étions à 449 millions en 2024.

Nous avons aussi développé la mission d'expertise aux côtés des fédérations et des directions techniques nationales, notamment dans le cadre de la préparation des Jeux de 2024. Nous mettons en oeuvre davantage de programmes, nous accompagnons davantage de sportifs et d'associations, nous soutenons davantage de projets d'équipements. Ainsi, le CNDS accompagnait environ 250 projets d'équipements par an, nous le faisons aujourd'hui pour plus de 2 000 ; le CNDS se concentrait sur des projets entre 500 000 euros et 1 million, tandis que nous finançons des projets plus petits. Nous allons chercher des partenaires privés, nous diversifions le modèle et nous tentons de simplifier les procédures.

Bien sûr, il reste du chemin à parcourir, mais nous avons clairement augmenté la voilure. L'agence est plus centrale que ne l'était le CNDS et nous pouvons davantage influencer sur la mise en oeuvre des politiques sportives, en étant à la fois contributeur et acteur.

C'est peut-être au sujet de la conférence des financeurs, telle que définie par le législateur, que l'on n'est pas allé au bout de l'ambition. Cette mise en commun des moyens entre l'État, les différentes strates de collectivités et les acteurs privés, voire associatifs, fonctionne à certains endroits, alors qu'ailleurs chaque acteur veut conserver ses financements et ses orientations propres sans les mettre en commun. Il y a encore des choses à approfondir au niveau territorial.

En outre, s'agissant du développement des partenariats, l'ingénierie à mettre en place est assez lourde. Nos programmes n'ont pas la visibilité des Jeux olympiques ou des grandes compétitions : nous mettons en oeuvre des programmes à dimension sociale, tendant à la résorption des inégalités territoriales. Certaines entreprises sont intéressées, dans le cadre de la responsabilité sociale et environnementale, mais il nous revient de renforcer notre action pour sensibiliser celles qui le sont moins. Nous sommes limités en termes de ressources humaines sur ce plan. Tout cela fait partie de notre feuille de route pour les prochains mois.

M. Pierre Barros, président. - Nous vous remercions.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion, suspendue à 12 h 50, est reprise à 14 h 35.

La démarche de fusion d'opérateurs - Audition de MM. Christophe Aubel, directeur général délégué de l'Office français de la biodiversité, ancien directeur général de l'Agence française de la biodiversité (en visioconférence), Christian Charpy, président de chambre à la Cour des comptes, ancien directeur général de Pôle emploi et Roch-Olivier Maistre, président de chambre à la Cour des comptes, ancien président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle (Arcom) et du Conseil supérieur de l'audiovisuel

M. Pierre Barros, président. - Mes chers collègues, cette audition diffère par sa nature des auditions que nous avons tenues ces dernières semaines, car il ne s'agit pas d'examiner le fonctionnement d'une agence particulière ni même celui d'un secteur de politique publique. C'est plutôt une sorte d'atelier au cours duquel nous nous demanderons comment fusionner des opérateurs et nous nous interrogerons sur les difficultés et les conditions de réussite d'une telle opération.

L'un des motifs qui a justifié la création de cette commission d'enquête est en effet le sentiment que les agences se sont multipliées, voire ont proliféré depuis les années 1990. Il en résulte une augmentation des coûts selon certains, en tout cas, une moindre lisibilité de l'action publique. Dès lors, une solution fréquemment évoquée est de fusionner des agences.

Depuis le début de nos travaux, nous cherchons à aller au-delà d'analyses trop simples, voire simplistes. Bien des fois, nous avons constaté que la fusion de deux opérateurs n'était pas aussi simple qu'une addition sur un coin de table. On voudrait en effet que 1+1 fassent un peu plus que 2 en efficacité, et un peu moins de 2 en coût pour les finances publiques. En pratique, une fusion prend du temps, et les économies, si elles surviennent, sont tardives.

Le directeur général du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) nous a par exemple indiqué qu'il avait fallu entre six et sept ans pour fusionner onze organismes - certes, le nombre était important, mais ceux-ci étaient dotés de statuts homogènes. Le directeur de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), pour sa part, a considéré que, cinq ans après la création de l'agence, le sujet de la fusion était désormais clos.

Nous avons donc réuni trois personnalités qui, à partir de leur expérience, peuvent nous apporter un témoignage sur les difficultés et les conditions de réussite d'une fusion d'opérateurs ou d'entités publiques en général, afin d'inspirer les réflexions de notre commission d'enquête. Messieurs, je vous remercie d'être venu à ce que l'on peut qualifier de master class.

Monsieur Christophe Aubel, vous êtes directeur général délégué à l'Office français de la biodiversité (OFB), organisme dont nous avons déjà reçu le directeur général. Nous vous avons invité en premier lieu parce que vous avez assuré l'installation de l'Agence française pour la biodiversité (AFB) en 2016. Vous avez ensuite dirigé cette agence avant qu'elle ne soit elle-même fusionnée à l'intérieur de l'OFB. Vous avez ainsi une vision complète du processus sur le moyen terme. Quelles leçons tirez-vous de ces fusions successives ?

Monsieur Roch-Olivier Maistre, vous êtes actuellement président de chambre à la Cour des comptes. Auparavant, vous avez été notamment chargé, à la fin de 2014, d'une mission sur le rapprochement de Unifrance et de TV France International, deux structures de promotion à l'international, dont la fusion a été effective seulement en 2021. Savez-vous pourquoi cela a pris autant de temps ? Vous avez surtout été, entre 2022 et 2024, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), elle-même issue de la fusion du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi). Comme M. Aubel le fera pour l'AFB et l'OFB, vous pourrez nous apporter votre témoignage sur ce processus.

Enfin, monsieur Christian Charpy, vous êtes également président de chambre à la Cour des comptes. Vous avez exercé de nombreuses fonctions au cours de votre carrière. Pour ce qui nous concerne aujourd'hui, vous avez notamment été directeur général de l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) entre 2004 et 2008, jusqu'à sa fusion avec l'Unédic au sein de Pôle emploi, dont vous avez été le directeur général jusqu'en 2011. Pouvez-vous nous faire part de votre expérience et des difficultés que vous avez alors rencontrées ? Depuis cette date, vous avez réintégré la Cour des comptes, où vous avez conduit et suivi de nombreux travaux qui vous permettront sans doute d'élargir nos discussions, par exemple au sujet de la Direction générale des finances publiques (DGFiP). Celle-ci a fait l'objet d'un rapport important en 2018, dix ans après sa création à partir de la direction générale des impôts (DGI) et de la direction générale de la comptabilité publique (DGCP).

Messieurs, avant de vous laisser la parole pour un court propos introductif, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et qu'elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Christophe Aubel, Christian Charpy et Roch-Olivier Maistre prêtent serment.

M. Christophe Aubel, directeur général délégué de l'Office français de la biodiversité, ancien directeur général de l'Agence française de la biodiversité. - Je vous brosserai rapidement un tableau de la manière dont cette fusion a été réalisée, afin d'éclairer les quelques enseignements que nous pouvons en tirer pour répondre à votre question, monsieur le président.

L'AFB a démarré son existence le 1er janvier 2017 ; elle a cessé d'exister lors de sa fusion avec l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) le 1er janvier 2020, pour devenir l'OFB. Ses trois années d'existence ont été précédées d'une longue phase de préparation et de préfiguration.

L'AFB elle-même regroupait l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema), l'Agence des aires marines protégées (AAMP), la tête de réseau des Parcs nationaux de France, et le groupement d'intérêt public de l'Atelier technique des espaces naturels (Aten). Ces quatre établissements n'en ont plus fait qu'un, qui a lui-même fusionné avec l'ONCFS. Ces regroupements visent à répondre aux enjeux relatifs la biodiversité. Sans faire un long développement, je vous rappelle qu'il s'agit du fonctionnement du vivant et la biodiversité qui rendent la terre habitable pour les humains que nous sommes.

Dans un premier temps, l'idée de créer l'AFB est apparue à la demande des parties prenantes, lors du Grenelle de l'environnement, en 2007, soit dix ans avant sa création. Le groupe de travail n° 2 présidé par le sénateur Jean-François Le Grand et la sénatrice Marie-Christine Blandin, dans une belle dynamique collective - il a souvent été dit que ce groupe de travail était celui qui avait permis d'atteindre le plus de consensus lors du Grenelle -, a en particulier lancé deux sujets phares : la trame verte et bleue, qui existe toujours dans les territoires, et l'expression du besoin de créer une agence dédiée à la biodiversité.

Le groupe de travail n'a pas précisé quels établissements regrouper ou comment procéder à la création de cette agence ; de façon consensuelle, il a simplement exprimé le besoin d'une agence pour accompagner et conseiller en matière de biodiversité. À l'époque, les acteurs économiques et les collectivités territoriales faisaient souvent un parallèle avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) : si, pour les questions liées à l'énergie et aux déchets, ils pouvaient s'adresser à l'Ademe, pour les enjeux liés à la biodiversité, ils n'avaient pas d'interlocuteur.

Lors du Grenelle, après l'arbitrage du ministre, décision a été prise de nommer une mission parlementaire pour définir ce que pourrait être une agence de la biodiversité. Toutefois, cette mission parlementaire n'a jamais été nommée. Pour débloquer le sujet, M. Jean-Louis Borloo avait lancé une mission sur l'évaluation de l'organisation des opérateurs publics dans le domaine de la protection de la nature, confiée au Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et à l'inspection générale des finances (IGF). Cette mission confirmera la nécessité de créer une structure dans ce domaine, mais ses travaux n'eurent pas de suite concrète.

Le deuxième temps de la création de l'AFB a lieu pendant la campagne des élections présidentielles de 2012. La société civile relaie le besoin d'une agence et M. François Hollande, candidat, confirme par écrit qu'il créera une telle agence s'il est élu. À l'issue de la conférence environnementale de 2012, le président de la République annonce la création de l'agence, et en décembre, la ministre Delphine Batho nomme MM. Bernard Chevassus-au-Louis et Jean-Marc Michel préfigurateurs et leur confie la tâche de rédiger un rapport conduisant à la création de cette agence.

Le rapport, remis en février 2013, conclut que le statut d'établissement public administratif est le plus adapté. Plusieurs scénarios sont envisagés : une agence des aires protégées, une agence d'animation et d'appui, une agence de pilotage stratégique. La ministre demande aux auteurs du rapport de creuser le deuxième scénario. En avril 2013, un second rapport est ainsi rendu, où il est proposé que l'Onema, Parcs nationaux de France, l'Agence des aires marines protégées et l'Aten, ainsi que la Fédération des conservatoires botaniques nationaux, soient regroupés pour former une seule agence. Le rapport préconise par ailleurs un rapprochement important avec le service du patrimoine naturel du Museum national d'histoire naturelle (MNHN), et un travail en collaboration étroite avec l'ONCFS.

En octobre 2014, la ministre Ségolène Royal lance une mission de préfiguration, confiée à M. Olivier Laroussinie, qui était jusqu'alors directeur général de l'Agence des aires marines protégées, assisté d'un scientifique, M. Gilles Boeuf, de deux élues régionales, Mmes Annabelle Jaeger et Marie Legrand, et d'un proche des acteurs économiques, M. Delannoy. Une mission complémentaire a été confiée à des parlementaires, MM. Serge Letchimy et Victorin Lurel, sur ces enjeux dans les collectivités d'outre-mer.

Le rapport est rendu en juin 2015, après une vaste consultation des parties prenantes, notamment deux jours d'ateliers réunissant 150 personnes à Strasbourg, ainsi qu'une journée spéciale consacrée aux outre-mer. Il précise les besoins en matière de connaissances, d'appui aux politiques publiques, de police, de mobilisation et d'accompagnement de la société, en restant dans le même champ que celui ouvert par MM. Chevassus-au-Louis et Michel.

Il faudra ensuite attendre le 8 août 2016 pour que la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages soit promulguée, créant l'agence le 1er janvier 2017.

Dans ce laps de temps, entre la remise du rapport et la promulgation de la loi, la ministre décide de ne pas conserver M. Laroussinie. Je suis alors nommé non pas préfigurateur, mais directeur d'installation. Les travaux ayant commencé depuis longtemps, l'organigramme est déjà décidé, les chefs de direction voire de service sont nommés, et il convient, dans la continuité, de ne pas remettre en cause ce que M. Laroussinie a préfiguré. Ma mission était également de relancer une dynamique : tous les collègues des établissements concernés, qui attendaient la fusion depuis un certain temps, commençaient à se décourager. Ils avaient beaucoup travaillé, et certains doutaient, alors que la loi n'avait pas encore été publiée, que l'agence soit un jour créée. Nous avons finalement créé l'Agence française pour la biodiversité, issue de la fusion de nombreux établissements - en plus des quatre que j'ai cités, il faut également ajouter la Fédération des conservatoires botaniques nationaux et le service du patrimoine naturel du MNHN -, pour répondre à l'enjeu majeur de la biodiversité et mobiliser la société.

Quelles leçons tirer de cette expérience ?

Comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, j'ai aussi participé à la création de l'OFB. J'ai donc deux expériences : une première très longue, avec la création de l'AFB, que je viens de vous décrire ; une seconde bien plus rapide, avec celle de l'OFB, qui a duré un an. Dans les deux cas, ces délais ne sont pas entièrement satisfaisants. Une durée d'environ deux ans me semble préférable pour réaliser la création d'une agence au périmètre préalablement défini.

D'une part, ce délai permet de faire des consultations en externe, notamment avec les diverses parties prenantes à l'origine de la création de l'agence, en particulier les collectivités et les acteurs économiques. Le travail de préfiguration a permis de positionner l'AFB pour ces diverses parties prenantes, alors que chacun des établissements fusionnés avait déjà son propre public. Il a fallu notamment convaincre les marins et le monde de l'eau qu'ils ne perdaient pas quelque chose avec la fusion, mais que, parce que la biodiversité ne se sectorise pas, l'on serait plus efficace après une telle opération.

D'autre part, ce délai de deux ans est nécessaire pour embarquer en interne les agents. Vous l'avez dit, monsieur le président, réaliser une fusion n'est pas si facile : il faut prendre soin des agents en place, qui ont fait du bon travail, et il faut leur rappeler que la fusion signifie non pas que le travail qu'ils réalisaient n'était pas bon, mais qu'il faut faire autrement. Tant pour la création de l'AFB que pour celle de l'OFB, dont les moyens sont encore supérieurs, nous avons également abordé de nouvelles dimensions pour répondre aux enjeux majeurs liés à la biodiversité, l'effondrement de celle-ci étant l'autre défi de la transition écologique, avec le dérèglement climatique. Là encore, il faut du temps pour expliquer pourquoi un changement est nécessaire face à des enjeux nouveaux, qui ne sont pas nécessairement appréhendés par tout le monde.

M. Roch-Olivier Maistre, président de chambre à la Cour des comptes, ancien président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle (Arcom) et du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) - J'évoquerai d'abord la fusion entre le CSA et la Hadopi. C'était une réforme pleine de sens - ce qui est important pour une fusion. Dix ans après la création de la Hadopi, il y avait un consensus entre tous les acteurs du secteur culturel, du secteur audiovisuel et tous les observateurs de se doter d'un outil plus efficace de lutte contre le piratage.

À l'époque où la Hadopi a vu le jour, le piratage se faisait essentiellement par échange de fichiers entre particuliers, du peer to peer. Maintenant, il se fait principalement via des sites de streaming illicites. Par exemple, vous allez sur internet pour demander la retransmission du match entre le PSG et un autre club, retransmis sur une chaîne privée, et une liste de sites apparaît. Nous devions impérativement nous doter de nouveaux outils.

Ensuite, il fallait un outil plus pertinent. Adosser la Hadopi, petite structure, à un acteur plus puissant comme le CSA avait du sens administrativement. Surtout, il y avait une vraie cohérence, car le CSA avait pour mission historique de contrôler les obligations qui incombent aux acteurs de l'audiovisuel pour financer la création - cinéma et production audiovisuelle. Le CSA, désormais l'Arcom, chaque année, vérifie que les éditeurs s'acquittent bien des obligations législatives et réglementaires. Il y avait une cohérence à confier au même organisme le contrôle d'un bout de la chaîne à l'autre : la fixation des obligations de financement, le contrôle de ces obligations, le contrôle du droit des auteurs, la protection des oeuvres et la lutte contre le piratage. La première condition de réussite, qui a été remplie, était que la réforme avait du sens et qu'il y avait une adhésion pleine et entière des deux parties pour ce rapprochement, aussi bien le collège et la présidence de la Hadopi que le collège et la présidence du CSA de l'époque.

Deuxième élément de réussite, nous avons pu construire une préfiguration sur un temps relativement long. Les réformes audiovisuelles prennent souvent un peu de temps...

Un premier projet de loi du ministre Riester, en 2019, a connu quelques péripéties ; son processus législatif a été interrompu par le covid. La fusion n'est intervenue que par la loi votée à l'automne 2021. Entre la présentation du projet initial et la mise en oeuvre s'est écoulé un certain temps. Dès que le projet de loi du Gouvernement a été mis sur la table, nous avons signé une convention de préfiguration entre le CSA et la Hadopi, avec des groupes de travail pour couvrir l'ensemble des thématiques : rapprochement des personnels et des systèmes d'information, organisation financière, organisation administrative...

Nous avons mené l'accompagnement social, indispensable dans un processus de ce type, pour rassurer les équipes et consulter les organes représentatifs des deux instances.

Cette longue préfiguration a permis une maturation sans difficulté.

Troisième condition de réussite : grâce à cette préfiguration, nous avons organisé la nouvelle structure de telle sorte qu'on ne soit pas dans une simple juxtaposition de l'ancien CSA et de la Hadopi, mais d'imbriquer réellement les compétences.

L'organigramme de l'Arcom a été revu. Son collège comprend désormais neuf membres, soit deux de plus que le CSA : un membre désigné par le vice-président du Conseil d'État et un membre désigné par le premier président de la Cour de cassation. Le vice-président du Conseil d'État a désigné M. Denis Rapone, président sortant de la Hadopi, qui a porté d'emblée, au sein du collège, la culture, les valeurs et les intérêts de la Hadopi.

De même, dans l'organisation administrative, nous avons créé très tôt une direction de la création pour couvrir la compétence globale, de la fixation des obligations de financement jusqu'à la protection du droit des auteurs. L'encadrement de la Hadopi s'est retrouvé dans l'organigramme du CSA. Nous n'étions pas dans une fusion-absorption, mais une fusion actée volontairement par les deux parties.

Quatrième point, cette réforme est source d'efficience. Les coûts induits par la réforme - nous vous donnerons des précisions par écrit - ont été pris en charge par la structure, sans abondement budgétaire supplémentaire. Nous avons utilisé pour cela les fonds de roulement conjoints des deux structures. Ces coûts sont dus d'abord à l'augmentation de deux membres du collège de l'Arcom, qui sont des membres permanents ; nous avons aussi accueilli la Hadopi dans la tour Mirabeau, local historique du CSA, à surface constante, mais il a fallu réaménager les espaces, le cloisonnement, ainsi qu'acheter du mobilier. Ces coûts ont été pris en charge par la structure elle-même, mais nous avons économisé le loyer de la Hadopi. L'opération a été conduite de manière efficiente.

Dernier constat : nous menons une action beaucoup plus efficace en matière de lutte contre le piratage. L'Arcom a vu le jour en janvier 2022. Grâce au législateur, elle a été dotée d'un dispositif très pertinent de lutte contre le piratage qui permet aux ayants droit, en début de championnat, par exemple à l'éditeur Canal+, d'aller devant le juge en désignant une série de sites piratant les contenus sportifs. Le juge rend, dans des délais extrêmement courts, une ordonnance de blocage des sites correspondants et la décision de justice, en application de la loi, vaut pour l'ensemble du championnat, et non uniquement pour la compétition visée.

Sur la base de cette première décision du juge, quand des sites miroirs apparaissent ensuite, l'éditeur n'a pas besoin de revenir devant le juge ; il se tourne vers l'autorité administrative qui peut ordonner, à son tour, le blocage. On a une chaîne quasi continue, automatique et informatisée entre la décision de justice et les fournisseurs d'accès qui procèdent au blocage. Les ayants droit disent qu'il y a un avant et un après Arcom, avec une lutte beaucoup plus efficace. Cette lutte elle est loin d'être achevée : nous constatons des phénomènes de transformation des techniques de piratage auxquels l'Arcom doit s'adapter.

Les résultats sont là : depuis 2022, plus de 5 000 sites illicites ont été bloqués pour du piratage sportif ; les chiffres sont aussi très impressionnants pour le piratage culturel des films.

Voilà mon expérience de réforme, celle d'un vieux serviteur de l'État. C'est un exemple vraiment parlant d'une réforme réussie.

J'avais conduit une mission concernant Unifrance il y a quelques années, qui a finalement abouti, mais avec un décalage chronologique important. Lorsque j'ai proposé la réforme, nous avions deux outils de soutien à l'exportation de nos oeuvres : un pour le cinéma, un pour la production audiovisuelle. J'avais proposé de fusionner les deux structures en une seule. La difficulté de l'époque était culturelle. Le monde du cinéma regardait le secteur audiovisuel avec un certain recul. Il y avait ceux qui faisaient de l'art et ceux qui faisaient du business. L'idée de se mélanger, aujourd'hui banale - les producteurs de cinéma font de la production audiovisuelle, et les plateformes de streaming sont l'illustration parfaite de la convergence des deux secteurs - a pris du temps.

Il y avait des réflexes de boutique : à chacun sa structure, avec la volonté de ne pas mélanger les torchons et les serviettes. Il y avait aussi peut-être, à ce moment-là, une volonté politique insuffisamment armée. L'idée était bonne et a fini par aboutir. Cela donne une structure de soutien à l'exportation de nos oeuvres qui a beaucoup de sens dans les festivals à l'étranger : nous présentons nos oeuvres, globalement, avec beaucoup de pertinence.

M. Christian Charpy, président de chambre à la Cour des comptes, ancien directeur général de Pôle emploi, - Vous nous avez demandé de vous faire part des conflits d'intérêts éventuels. Je précise que je parle devant vous à titre personnel et que je n'engage pas la Cour des comptes. C'est important, notamment au regard des questions que vous m'avez posées sur Pôle emploi, en lien avec le rapport de la Cour des comptes de 2020. J'avais pris soin, à l'époque, de me déporter de ce rapport, même si j'avais quitté Pôle emploi depuis un certain temps. Je n'avais pas jugé nécessaire de participer ni à sa rédaction ni à son approbation. Je m'exprime donc en toute liberté et partagerai des opinions qui peuvent être quelque peu dissonantes sur le sujet.

J'ai réalisé trois séries de fusions dans ma carrière.

Dans les années 1995, j'ai été chargé de fusionner Radio France International (RFI) et Radio Monte Carlo Moyen-Orient, chaîne en langue arabe, et Radio Paris-Lisboa, en 1995. C'était une petite fusion qui concernait le secteur audiovisuel.

Puis, en 1998, pour une plus grosse fusion, j'ai été nommé à la tête de l'Agence française du sang, qui visait à fusionner 40 centres de transfusion sanguine, groupements d'intérêt public (GIP) rassemblant 150 personnes morales différentes, de droit public et de droit privé, et environ 8 000 personnes. Il fallait les réunir dans un seul établissement public à caractère administratif mais également sui generis, à comptabilité privée et avec des personnels de droit privé.

La troisième fusion, assez lourde, était celle de l'ANPE et des Assédic pour former Pôle emploi. J'ai une certaine habitude et sais combien réaliser une fusion est compliqué.

En conséquence, la première chose à faire, avant de créer un établissement, est d'être certain que cela soit nécessaire ; le supprimer est très compliqué. Je prends deux exemples : dans les années 2000, c'était la mode des agences de sécurité sanitaire. On en a créé une sur l'alimentation, une sur l'environnement et une sur le travail. En 2004-2005, j'avais proposé au ministre de l'environnement de fusionner les trois en une seule. Cela a été impossible. Le ministre ne voulait pas abandonner l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement. Cela a finalement été réalisé plus tard, en fusionnant d'abord les agences de l'environnement et du travail, puis en ajoutant l'alimentation, pour aboutir à la création de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses).

Il en est de même pour les autorités administratives indépendantes (AAI). Auparavant, nous avions le Médiateur de la République, le Défenseur des droits, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde), sans oublier le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). Lors de la réforme, la loi a fusionné ces entités en laissant de côté le CGLPL, mais cela a été extrêmement compliqué à l'époque, car chacun avait son pré carré et ses personnes à défendre.

Avant de créer un nouvel établissement, il est crucial de savoir s'il est possible de confier cette compétence - si elle est nécessaire - à un autre établissement existant, plutôt que de créer une nouvelle structure, puis, dix ans plus tard, de songer à les fusionner.

On ne fusionne pas uniquement pour faire des économies : cela ne marche pas à chaque fois et il faut un projet qui fasse sens, comme le disait Roch-Olivier Maistre. Le projet d'Établissement français du sang (EFS) faisait sens et a été créé sans grande difficulté. Je suis convaincu, et plus personne ne le met en cause aujourd'hui, que le projet de création de Pôle emploi faisait sens. On ne l'a pas fait pour des raisons d'économies ou de mutualisation. Ce sont des changements tels qu'il faut un projet derrière.

Pour réaliser ces fusions, il faut une raison pour le faire, et elles sont à chaque fois différentes. L'EFS rassemblait 150 personnes morales différentes, donc 150 employeurs, avec un patrimoine considérable et un personnel de très grande qualité. Nous avons fait cette fusion, car on sortait du drame du sang contaminé. En 1993, on avait commencé par créer une agence de sécurité sanitaire, l'Agence française du sang, puis on a voulu passer à l'étape supérieure pour renforcer la sécurité sanitaire, pour assurer l'autosuffisance de la France en produits sanguins labiles et aussi pour améliorer l'efficience. La loi de juillet 1998 a créé l'EFS. Cela s'est fait sans drame particulier, même si c'était techniquement très compliqué : les professionnels de la transfusion sanguine voyaient que cela avait du sens, compte tenu des drames du sang contaminé quinze ans plus tôt qui les avaient profondément marqués.

Les choses sont différentes pour Pôle emploi. Le sujet de fusion entre l'assurance chômage et l'ANPE est quasiment aussi vieux que la création de l'ANPE en 1968 : au fond, ces structures s'adressaient à peu près au même public. Certes, elles apportaient des services différents - les Assédic fournissaient les allocations et l'ANPE aidait au retour à l'emploi et au recrutement -, mais cela faisait sens.

Ce projet a suscité énormément de réserves de la part des partenaires sociaux de l'Unédic, qui ne voulaient pas que l'État entre dans l'organisation de l'assurance chômage. Ils ne voulaient pas, avec quelque raison, payer la fusion pour les autres.

Des étapes préalables ont permis que le jour de décision de la fusion, celle-ci puisse se dérouler sans drame. Les Assédic et l'Unédic avaient commencé à entrer dans la logique de l'accompagnement des demandeurs d'emploi indemnisés, en se disant que, s'ils étaient mieux accompagnés, et elles étaient prêtes à payer pour cela, ils resteraient moins longtemps à l'assurance chômage et cela ferait économiser de l'argent. C'était une première étape dans les années 2000 avec la création du plan d'aide au retour à l'emploi (Pare) et le projet d'action personnalisé (PAP) : les Assédic ont commencé à se préoccuper du retour à l'emploi en s'appuyant notamment sur l'ANPE.

Ensuite, ces structures géraient des systèmes d'information qui traitaient à peu près les mêmes personnes : autant les rapprocher, voire les fusionner. Mon prédécesseur à l'ANPE, qui était contre la fusion, avait décidé pendant dix ans de créer un système informatique concurrent pour ne plus s'appuyer sur celui des Assédic. Heureusement, le projet n'a pas réussi à aboutir. Nous nous sommes appuyés sur des systèmes d'information communs pour la gestion des demandeurs d'emploi. Cela a permis, lors de la fusion, de ne pas avoir les difficultés que l'on peut rencontrer ailleurs.

Ces petits pas réalisés, il restait une très forte opposition, essentiellement des partenaires sociaux de l'Unédic et une très grande méfiance des personnels.

Durant la campagne présidentielle de 2007, le candidat Sarkozy a annoncé son projet de fusionner l'ANPE et les Assédic, de la même manière qu'il annonçait son projet de fusion de la direction générale de la comptabilité publique et la direction générale des impôts, deux grands projets menés de front. Ceux qui connaissaient le sujet étaient assez dubitatifs sur le succès de cette promesse de campagne. Mais le président Sarkozy l'a fait, dans un temps assez bref.

La préparation est essentielle pour une fusion, et elle ne doit pas être trop longue. La loi créant l'EFS a été votée le 1er juillet 1998, pour une fusion à réaliser avant le 1er janvier 2000, soit seize mois après. Objectivement, pas grand-chose n'était prêt...

La fusion entre l'ANPE et les Assédic a été encore plus rapide : la loi a été votée en février 2008, et la fusion a eu lieu le 19 décembre 2008. En outre, il y a eu un peu de retard à l'allumage, avec la volonté de créer une instance de préfiguration, et je n'ai été nommé que deux mois après le vote de la loi. La préparation de la fusion s'est concentrée sur six mois.

La phase de préparation, comme l'on dit les autres intervenants, sert pour l'extérieur et les parties prenantes. Mon problème essentiel était surtout de faire adhérer le personnel en interne. Ces structures étaient très lourdes : l'ANPE rassemblait 25 000 personnes, les Assédic 15 000, soit 40 000 personnes au total. Il fallait faire adhérer l'ensemble du personnel au dispositif. J'ai organisé des réunions interrégionales durant lesquels je rassemblais tout l'encadrement régional ou interrégional des deux structures, de l'animateur d'équipe au directeur régional, pour leur expliquer le processus de fusion et les amener, sinon à y adhérer tous, du moins à mieux connaître le dispositif et limiter leurs craintes. J'avais commencé ce travail à l'ANPE avant la décision de fusion, mais il n'avait pas été réalisé du côté des Assédic. Il a fallu rétablir les équilibres. C'était un sujet majeur.

Second sujet, majeur, l'ANPE était une structure de droit public, avec des syndicats et du personnel de droit public, tandis que les Assédic étaient des associations de droit privé, avec du personnel et des syndicats de droit privé. Il a fallu conduire toute la procédure de consultation des instances, qui a été très compliquée. J'ai même accéléré de dix jours la fusion, car je savais qu'il y aurait une action en référé pour empêcher la convocation du conseil d'administration qui créait la fusion. Il y a eu un référé, je suis passé devant le Conseil d'État et nous avons obtenu l'autorisation.

Le processus de création de Pôle emploi est passé par une très forte concertation en interne et une négociation très ardue avec les syndicats.

Quand les structures font de 8 000 à 40 000 personnes, il faut créer toute la chaîne hiérarchique, le système d'information, l'organisation matérielle - où installer les gens - ; cela prend beaucoup de temps. Parfois, on peut avoir des surprises. Dans le cas de l'EFS, l'un des sujets majeurs n'était pas le transfert des biens, prévu par la loi, mais le transfert des passifs, ceux de la transfusion sanguine : toutes les contaminations... Si on laissait les contentieux aux structures précédentes tout en les dépouillant, cela aurait été impossible à gérer. Il a fallu rapatrier tous les contentieux.

Lorsque les structures sont anciennes, installées, avec un passif, un personnel nombreux, des projets, la fusion est compliquée et il faut bien réfléchir avant de la faire. Il ne faut pas un temps de préparation trop long. Dans un cas, cela a été de seize mois, dans l'autre huit mois. C'est très court et très prenant. On ne fait pas tout bien le premier jour. La phase post-fusion n'est donc pas toujours très facile.

M. Pierre Barros, président. - Merci d'avoir remis la question du sens au coeur de notre réflexion.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Il est très intéressant de voir que vous faites des constats communs alors que vous venez d'horizons différents.

M. Aubel, à la différence de MM. Charpy et Maistre, vous n'aviez pas une longue carrière dans l'appareil d'État avant de devenir préfigurateur de l'AFB. Voyez-vous cela comme une chance et un facteur de réussite de la fusion, afin de marier ensemble des cultures assez différentes ? Les agents de l'Onema ne faisaient pas du tout la même chose que ceux des Aires marines protégées, encore moins ceux qui étaient à l'Aten. Comme préfigurateur, vaut-il mieux choisir quelqu'un du sérail ou quelqu'un qui le connaît mais qui n'est pas directement dedans ?

Avec le recul, est-il judicieux d'avoir fait coexister au sein de l'OFB deux missions différentes, à savoir la police et le conseil ? La mission de police a été renforcée par la fusion avec l'ONCFS : aux anciens gardes-pêche, on a ajouté les anciens gardes-chasse.

M. Maistre, vous nous avez bien expliqué qu'il faut créer des agences si cela fait du sens. A-t-on besoin vraiment d'une structure spécifique pour promouvoir la création artistique, alors qu'il existe déjà de nombreuses structures au sein de l'État qui promeuvent l'économie française à l'étranger ?

Cette question s'adresse aux trois intervenants : quel regard portez-vous sur la circulaire de 2019, qui détermine la doctrine de l'État sur la création d'agences ou d'opérateurs ?

M. Christophe Aubel. - Je n'ai pas la même carrière que les deux autres intervenants et me garderai bien d'en faire une généralité.

Personnellement, j'avais la légitimité de connaître le sujet de la biodiversité et ses enjeux. Cela renvoie au besoin de sens. La principale raison pour créer une agence de la biodiversité, même s'il existait déjà des opérateurs sur des parties de biodiversité, c'était le tournant des années 2010 avec l'année internationale de la biodiversité, la COP biodiversité qui commençait à faire parler d'elle avec pas mal de décalage par rapport à la COP climat. On se rend compte alors que la biodiversité est un enjeu majeur, qu'il faut traiter de façon différente et avec l'ensemble de la société et des acteurs. C'est cela qui donnait du sens - et, pour qu'une fusion marche, il faut en effet donner du sens.

J'avais cette légitimité, après quinze ans de carrière dans la biodiversité et auparavant quinze ans de bénévolat dans la biodiversité, avec des responsabilités nationales.

Autre atout - et ce n'est pas une question d'être ou non haut fonctionnaire - je ne venais d'aucun des quatre établissements. Je ne pouvais pas être soupçonné de défendre les intérêts de l'un d'entre eux. Il y avait notamment la peur que l'Onema, le plus gros, écrase les autres. Ne pas être issu des structures fusionnées est intéressant.

Dans le domaine de la biodiversité, nous avons besoin de travailler avec des personnes très différentes : associations, chasseurs, agriculteurs, entreprises, collectivités... Nous avons donc besoin d'avoir dans nos équipes dirigeantes des profils différents.

Je suis convaincu que s'occuper à la fois de la police et du conseil, en matière de biodiversité, est un atout. D'abord, la police exercée par nos collègues inspecteurs de l'environnement est une police technique, qui doit s'appuyer sur la connaissance des écosystèmes. Il ne s'agit pas seulement de connaître la réglementation, mais aussi les territoires, et de savoir où sont les enjeux. Être dans une structure où les mêmes font aussi des recherches, en s'appuyant sur leurs collègues de la direction de la recherche et de l'appui scientifique, est un atout.

Ensuite, le rapport de 2010 de l'Ipbes (plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques), le Giec de la biodiversité, a mis en avant plusieurs actions allant de l'accompagnement des acteurs à une réflexion sur les changements de pratiques, mais aussi la réglementation et son respect. Nous avons besoin de tout cela pour répondre aux enjeux de biodiversité. Ce continuum, qui était la force de l'AFB, a été renforcé par l'OFB, avec le renfort des collègues de l'ONCFS, plus nombreux, pour les missions de police. Nous pouvons jouer sur tous les leviers.

L'actualité le montre : pour être une police de la nature acceptée, il faut la rattacher aux enjeux. Elle doit aussi être une police pédagogique. Être l'interlocuteur dans différents domaines, en faisant appel à tous les leviers possibles, de la connaissance au financement de projets, en passant par la police, est un atout. Je ne vois pas bien comment on pourrait être efficace si on séparait les deux. L'acceptabilité de la police en pâtirait, même s'il existe un débat sur ce sujet en ce moment, pour de nombreuses raisons, y compris sociétales et non uniquement liées à l'établissement. Je suis convaincu qu'on peut faire les deux. Les agents des Parcs naturels régionaux et ceux de l'Office national des forêts (ONF) sont aussi assermentés et ont des missions de police, même si nos collègues de l'OFB en font davantage.

M. Roch-Olivier Maistre. - L'Arcom est un cas de figure particulier d'une coconstruction de réforme conjointe par deux parties qui étaient d'accord. In fine, c'est un peu le CSA qui a absorbé la Hadopi, puisque le CSA comptait 300 collaborateurs, contre 50 pour la Hadopi, mais avec des nuances : le président de la Hadopi est devenu membre du collège de l'Arcom, et la secrétaire générale de la Hadopi est devenue directrice générale adjointe de l'Arcom. Ils ont trouvé naturellement leur place dans l'organigramme.

Conduire cette réforme en mettant à sa tête un tiers extérieur aurait plutôt compliqué le processus. Là, nous avions une démarche volontaire des deux parties, qui est un cas de figure rare dans l'administration, un peu miraculeux, mais qui a bien fonctionné.

Unifrance est un peu particulier, car il s'agit d'une structure associative. Les professionnels eux-mêmes organisent la promotion du cinéma et de la production audiovisuelle français à l'étranger, avec une contribution financière de l'État à l'association, un peu comme le Festival de Cannes, association qui rassemble tous les acteurs du cinéma avec un soutien étatique. Toutefois, une imbrication plus étroite avec les opérateurs économiques publics qui promeuvent nos intérêts économiques à l'étranger aurait du sens. Je ne sais pas s'il existe actuellement une collaboration, mais cela aurait du sens.

M. Christian Charpy. - Vous nous avez interrogés sur le choix des profils retenus pour reprendre les structures au terme de la fusion.

J'ai évoqué un retard entre le vote de la loi et la nomination du responsable de l'instance nationale provisoire relative à la réforme de l'organisation du service public de l'emploi. En effet, pour éviter de donner le sentiment que l'un des opérateurs aurait pris le pas sur l'autre, le Gouvernement avait souhaité retenir une candidature extérieure. La recherche n'a pas abouti et j'ai finalement été choisi. Comme je venais de l'ANPE, certaines craintes se sont exprimées sur une éventuelle absorption des Assédic par l'opérateur dont j'étais issu.

Aussi, dans l'instance nationale provisoire comme dans la direction de Pôle emploi, j'ai suivi une stricte parité. La direction générale comptait six directeurs généraux adjoints, venant pour moitié de chacune des deux structures. Chacun avait une légitimité assurée : le directeur informatique était ainsi issu de l'Assédic, car il gérait le plus gros des deux systèmes d'information. À l'inverse, les questions relatives à l'accompagnement aux demandeurs d'emploi relevaient plutôt du domaine de l'ANPE et ont été confiées à des personnalités de cet ancien opérateur.

En revanche, il a été plus complexe de choisir les profils pour les vingt-deux directions régionales métropolitaines, qui rassemblaient plusieurs milliers de collaborateurs. J'ai donc fait appel à un cabinet extérieur et j'ai veillé au respect d'un bon équilibre dans la représentation entre les deux structures, entre les hommes et femmes, et entre les affinités des différents partenaires sociaux. Il est essentiel de partager la gouvernance pour que personne ne se sente exclu du dispositif.

Madame le rapporteur, je ne me souviens pas de la doctrine de 2019 que vous évoquez. J'ai le souvenir de la circulaire de Jean-Marc Ayrault de 2013, qui encadrait la création des agences. À mon sens, on ne crée une agence et on n'opère une fusion que si cela a un sens. Je note d'ailleurs que le domaine régalien, dont je m'occupe aujourd'hui à la Cour des comptes, compte peu de structures extérieures. Il en existe quelques-unes, comme l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), qui a un objet assez technique : on a finalement préféré confier à une agence le soin de gérer la mécanique informatique de création des cartes d'identité et des passeports. Cela a parfois été compliqué. En revanche, on trouve beaucoup d'opérateurs dans le monde du social, de la santé, de l'emploi, de l'environnement...

M. Roch-Olivier Maistre. - ... et de la culture. Le ministère de la culture est organisé autour d'un réseau d'opérateurs considérable.

M. Christian Charpy. - On aurait pu imaginer transformer la DGFiP en agence. Je n'en vois pas l'intérêt, mais la question aurait pu se poser. Dans certains pays, c'est une agence qui s'occupe des prélèvements fiscaux.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Certes, on ne fait pas de fusion dans le but de faire des économies. En revanche, une fois que la fusion est réalisée, on peut s'interroger sur son bilan financier.

Dans les différentes fusions que vous avez opérées, les premières années ont pu être marquées par des surcoûts, liés par exemple à l'harmonisation des politiques salariales par le haut. Est-ce bien le cas ? Dans un second temps, ces fusions ont-elles conduit à une diminution des coûts par économies d'échelle ?

M. Roch-Olivier Maistre. - Les fonctions support de la Hadopi étaient très modestes et ont rapidement été redistribuées vers des fonctions métiers. Cela n'a posé aucune difficulté, puisqu'on les comptait sur les doigts d'une main.

La dynamique de l'Arcom est particulièrement forte. En six ans de mandat, j'ai connu quatorze textes de loi et six directives et règlements européens de grande envergure. Je citerai seulement la directive européenne sur les services de médias audiovisuels (SMA), qui a intégré dans le champ de la régulation Netflix, Disney+ et Amazon Prime - ces acteurs financent désormais la production audiovisuelle et cinématographique française -, et le Digital Services Act (DSA), dans le cadre duquel l'Arcom, en tant que coordonnateur des services numériques pour la France, a été chargée de déployer de nouvelles compétences, ce qui a nécessité une augmentation du nombre de postes.

Je ne doute pas de l'efficience de cette opération. Dans les années à venir, l'intelligence artificielle sera incontestablement un instrument au profit de la régulation, y compris dans le domaine de la lutte contre le piratage.

C'est un exemple rare de réforme qui s'est faite de manière fluide et qui s'est révélée rapidement opérationnelle : alors que la loi a été votée en octobre 2021, dès le 5 janvier 2022, nous procédions aux premiers blocages de site de streaming illicites.

Néanmoins, l'Arcom est une petite structure : il est bien plus facile de fusionner 350 personnes que les effectifs de l'ANPE et de l'Assédic.

M. Christian Charpy. - La Cour des comptes avait publié un rapport sur le coût de la fusion au début des années 2010.

S'agissant de la création de Pôle emploi, des économies ont en effet été réalisées. D'abord, le nombre de sites accueillant le public est passé d'environ 1 600 sites à moins de 1 000. La restructuration immobilière a été massive, ce qui joue beaucoup.

En parallèle, nous avons absorbé d'autres réformes. Le recouvrement des contributions d'assurance chômage, assuré par les Assédic, a été transféré à Pôle emploi à sa création, avant d'être attribué un an plus tard à l'Urssaf, sans que les près de 1 500 personnes qui en avaient la charge ne soient transférées.

En outre, une très forte augmentation du chômage a eu lieu à cette période. La vraie difficulté de la fusion, en réalité, a été la crise des subprimes. La loi a été adoptée en février 2008 ; en juillet, l'économie a commencé à s'effondrer et, dès septembre, on comptait 100 000 demandeurs d'emploi supplémentaires chaque mois, pour atteindre rapidement 1 million. La charge a été massive pour la structure.

Par ailleurs, le redéploiement a permis d'allouer des moyens d'accompagnement plus forts pour les demandeurs d'emploi non indemnisés, qui n'avaient par exemple droit à aucune formation.

Il y a aussi eu des conséquences économiques négatives, concernant notamment les ressources humaines. Les différentiels de rémunération étaient de l'ordre de 20 % à 25 % entre l'Assédic, qui payait mieux ses collaborateurs, et l'ANPE. Le choix d'une convention collective avec un droit d'option avait été retenu. On ne pouvait pas baisser le salaire des employés de l'Assédic. Le président de la République avait par ailleurs donné publiquement pour instruction de prendre le meilleur des deux systèmes : autant dire que la négociation n'a pas été facile ! L'alignement s'est donc plutôt fait vers le haut pour l'ensemble des personnels. À l'inverse, nous avons aussi fait des économies, puisque les agents de l'Assédic cotisaient à hauteur de 6 % environ au chômage. En tant qu'établissement public, cette cotisation n'était plus nécessaire. Ce gain a en partie couvert le coût de la convention collective.

M. Christophe Aubel. - L'AFB n'a pas existé longtemps et l'OFB est une agence encore récente. Cependant, nous avons récupéré beaucoup de responsabilités en matière de systèmes d'information liés aux données sur la biodiversité. Des missions et attributions nouvelles ont ainsi été conférées à l'établissement, sur ce sujet, mais aussi en matière de ressources humaines, comme l'organisation de concours.

Sur l'immobilier, un travail de réduction des implantations est en cours.

Par ailleurs, quand des petites structures sont fusionnées avec de plus grosses, certains processus sont sécurisés, notamment en matière de fonctionnement budgétaire. Il faut le prendre en compte dans la bonne utilisation des deniers publics, grâce à l'amélioration des compétences ou l'obtention d'une masse critique pour passer des marchés publics plus intéressants.

M. Christian Charpy. - Dans le cas de l'Établissement français du sang, l'économie majeure concernait les consommables, car l'uniformisation des tailles des poches de prélèvement nous a permis de baisser de 30 % à 40 % leur prix.

M. Roch-Olivier Maistre. - Raymond Soubie le dit souvent : « Je ne connais pas de renégociation de conventions collectives qui se traduise par une remise en cause des droits acquis. »

M. Pierre-Alain Roiron. - M. Maistre, la fusion du CSA et de la Hadopi au sein de l'Arcom a donné lieu à un élargissement des compétences de la structure. N'en avez-vous pas tiré plus d'autonomie vis-à-vis du régulateur ?

M. Roch-Olivier Maistre. - Je connais bien cette instance de régulation, car je faisais partie du cabinet du ministre de la culture lorsque le Parlement a adopté la loi de 1986, qui est quelque peu l'équivalent, pour le secteur audiovisuel, de la loi de 1881 sur la liberté de la presse.

Historiquement, la régulation a eu du mal à se mettre en place. Jusque dans les années 1980, l'audiovisuel était sous monopole de l'État. Lorsque le paysage s'est ouvert, depuis le mouvement des radios libres jusqu'à l'émergence progressive des premiers acteurs privés de la télévision - TF1, puis Canal+ en 1984 -, la création d'une autorité de régulation a été nécessaire. Pourtant, il a fallu trois alternances politiques pour que ce schéma de régulation soit politiquement accepté : la première autorité a vu le jour en 1982, la seconde en 1986 au moment de la cohabitation, et la troisième en 1989 lors de l'alternance suivante.

Pourtant, quarante ans plus tard, le débat sur l'affirmation de l'indépendance de l'autorité ne se pose plus. Ses décisions sont parfois contestées, ce qui est bien légitime dans le cas d'une autorité qui agit dans le champ d'une liberté publique. Cependant, l'Arcom fait partie des autorités administratives indépendantes les plus importantes et son objet figure parmi les plus sensibles, puisqu'il implique des précautions particulières, sous le contrôle du juge.

L'intégration de la Hadopi dans son périmètre a conforté la dynamique de l'Arcom, d'autant plus qu'elle est intervenue au moment où des missions considérables lui étaient confiées par le législateur. Je pense à la protection des mineurs à l'égard des sites pour adultes, sur laquelle nous enregistrons enfin les premiers succès, ainsi qu'à la régulation des réseaux sociaux, qui n'est encore qu'à ses débuts.

L'indépendance est clairement affirmée. La réforme l'a confortée, car le collège est désormais composé de neuf membres, désignés par cinq autorités différentes ; il se renouvelle par tiers tous les deux ans et les membres sont encadrés par des règles de déontologie très strictes.

Mme Ghislaine Senée. - Quelles préconisations pourriez-vous faire à vos ministères de tutelle ?

M. Roch-Olivier Maistre. - L'Arcom n'a pas de tutelle, en tant qu'autorité publique indépendante.

M. Christian Charpy. - La tutelle est surtout exercée par le ministère de l'emploi, au travers du ministre, de son cabinet et de la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP). Évitons de demander trop de choses aux opérateurs : il faut les laisser un peu vivre ! La succession des plans finit par apporter trop de complexité. À l'ANPE, il a fallu faire un plan pour les chômeurs de moins de 25 ans, ensuite un plan pour les chômeurs de longue durée, et au bout d'un moment cela devient très difficile à gérer.

Par ailleurs, il est nécessaire d'établir un critère de redevabilité : quand on crée des emplois dans la structure parce que le chômage augmente, il faut accepter d'en supprimer une partie si la conjoncture s'améliore. Au moment de la crise des subprimes, 2 000 emplois supplémentaires ont été créés. Deux ans plus tard, j'en ai retenu 1 500 : cela me paraissait normal. Lorsque les structures sont trop grosses, elles ne sont plus gouvernables.

Par ailleurs, il ne faut pas intégrer trop d'objets dans le périmètre de la fusion. Je n'étais pas forcément d'accord pour récupérer les 1 000 collaborateurs de l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), dont le coeur de compétence était quelque peu différent de celui de Pôle emploi, un an après la fusion. Quant au transfert aux Urssaf du recouvrement de l'assurance chômage, de même, il a impliqué de trouver un nouveau métier pour les 1 500 agents qui en avaient la charge.

Enfin, un organisme unique a été créé pour suivre les chômeurs. Il est essentiel de les accueillir dans un site unique. Cependant, cela ne signifie pas qu'un unique conseiller doive s'occuper de l'indemnisation et de l'accompagnement à la fois.

M. Roch-Olivier Maistre. - Il est important de conserver une forme de constance et de stabilité dans les orientations. L'administration fonctionne bien quand elle est commandée correctement. Il n'y a rien de pire que d'hésiter dans la dynamique !

M. Christophe Aubel. - Je souscris à ces propos. L'OFB est signataire d'un contrat d'objectifs et de performance (COP) sur cinq ans. Il est impératif de conserver cette boussole sans le modifier trop souvent par des plans nouveaux.

Dans notre domaine, il faut éviter de se dire que l'opérateur pourra prendre en charge toutes les missions que l'administration n'est pas en mesure de réaliser. M. Charpy l'a dit : il faut laisser vivre les opérateurs, tout en gardant à l'esprit un objectif de redevabilité. Évitons le pilotage quotidien et le micro-management : il vaut mieux conserver des axes stratégiques. Cela n'empêche pas l'opérateur de rendre compte de ce qu'il fait.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quelles compétences actuellement déléguées à des agences devraient-elles être ramenées à des administrations centrales ou déconcentrées ? Quelles fusions auraient-elles dû être évitées ? A contrario, quelles structures devraient-elles être réunies ?

M. Christian Charpy. - L'essentiel est de ne pas créer une agence pour régler le moindre problème : c'est malheureusement l'un des travers de notre administration et de l'État français.

Parmi les fusions auxquelles j'ai assisté, dans le domaine de la sécurité sanitaire, de l'emploi ou de la protection sociale, il ne me semble pas que des erreurs manifestes aient été commises. J'ai sans doute une interrogation sur la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), dont je trouve le mode de fonctionnement et de gestion très complexe.

À l'exception des autorités administratives indépendantes, les petits opérateurs qui comptent moins de 50 personnes n'ont souvent pas de raison d'être. À l'inverse, interrogeons-nous sur les moyens de piloter les structures de plus de 50 000 collaborateurs et d'assurer leur redevabilité.

Personne ne voudrait revenir sur la fusion de l'ANPE et des Assédic ou sur celle de la direction générale de comptabilité publique (DGCP) et de la direction générale des impôts, pour créer la DGFiP. Pour autant, il faut toujours mettre les structures sous tension. Sans cela, elles se bureaucratisent. Je ne suis pas l'évolution de France Travail, mais je me demande si on ne donne pas trop de missions à cette agence. L'accompagnement des personnes très éloignées de l'emploi relève sans doute plus du domaine du social. Par exemple, j'ai toujours refusé de prendre en charge ce que font les missions locales, qui sont beaucoup plus insérées dans le territoire. Faisons preuve d'un peu de raison.

M. Pierre-Alain Roiron. - Au lieu de créer une nouvelle agence, on pourrait toutefois parfois se contenter d'attribuer de nouvelles missions à une structure existante.

M. Christian Charpy. - On peut le faire, tant que l'on ne tente pas de faire rentrer des ronds dans des carrés.

Par ailleurs, quand on dirige une structure qui fonctionne bien, on peut être tenté de prendre en charge de nouvelles fonctions. Il ne faut pas perdre de vue le principe de spécialité.

M. Christophe Aubel. - L'AFB, puis l'OFB, sont l'aboutissement d'une démarche collaborative avec l'ensemble des parties prenantes - État, collectivités territoriales, acteurs économiques - qui a démontré tout son sens : ceux qui ont été intégrés avaient des raisons de l'être, et personne n'en a été exclu. Cette décennie de mouvements me paraît aujourd'hui nécessaire : la création de cette agence a permis un changement d'échelle sur la biodiversité. Elle reste récente. Désormais, il importe de la faire fonctionner correctement, à la fois en interne et au sein de l'écosystème existant.

En outre, l'OFB comme les tutelles doivent être capables de prioriser leurs missions. Notre agence existe, parce que la manière de prendre en compte la biodiversité a évolué depuis la loi de 1976. Or nous avons un rôle à jouer dans cette priorisation.

M. Roch-Olivier Maistre. - Les autorités administratives indépendantes ont chacune leur raison d'être : l'Autorité de la concurrence, l'Autorité des marchés financiers (AMF), la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) ont toute une mission spécifique.

Un rapprochement ou une fusion entre l'Arcom et l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) ? C'est en effet un modèle de régulation global, regroupant l'audiovisuel et les télécommunications, qui prévaut en Italie, en Espagne ou en Grande-Bretagne, où l'Office of Communications (Ofcom) regroupe 1 800 employés, contre 360 pour l'Arcom et 160 au sein de l'Arcep.

Nous avons résolu cette question avec l'Arcep de manière optimale, en signant une convention entre les deux autorités, en réunissant les deux collèges chaque semestre pour traiter des sujets d'intérêt commun et en créant un service commun entre les deux structures, dont la direction est affectée, chaque semestre, en alternance, à l'Arcep ou à l'Arcom, notamment pour conduire des études en commun.

Les exemples étrangers m'ont donné la conviction que ces deux champs de régulation restent assez différents. Dans les télécommunications, la régulation a une nature technique et économique, tandis qu'elle a davantage trait au contenu dans le champ audiovisuel. D'ailleurs, ces exemples ont une organisation en silo, avec deux domaines de compétences.

Je ne suis donc pas certain qu'un réel bénéfice puisse être tiré de cet éventuel rapprochement, mais la question peut se poser.

Dans le monde de la culture, qui compte un très grand nombre d'opérateurs, il faut en effet s'interroger sur la bonne articulation entre l'administration centrale et ces structures. Il importe de bien distinguer le rôle de chacune. Pour que les opérateurs soient efficaces, les directions d'administration centrale doivent rester repliées sur leur mission de conception, d'élaboration de la norme, de préparation de la loi et des textes réglementaires, et de l'exercice de la tutelle. Nous avons choisi d'adopter une gestion déléguée : suivons donc la logique jusqu'au bout. Sans cela, c'est la thrombose pour certaines administrations centrales, qui veulent continuer à remplir certaines de missions attribuées à des opérateurs.

M. Pierre Barros, président. - Votre contribution nous est précieuse. Je vous remercie d'avoir alimenté notre réflexion.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 16 h 30.