- Mardi 18 mars 2025
- Audition conjointe de MM. Grégory Emery, directeur général de la santé (DGS), et Denis Robin, président du collège des directeurs généraux d'agences régionales de santé (ARS)
- Audition de M. Pascal Berteaud, directeur général du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema)
- Jeudi 20 mars 2025
- Audition de MM. Christophe Bouillon, président du conseil d'administration, et Stanislas Bourron, directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) (sera publié ultérieurement)
- Audition de Mme Caroline Semaille, directrice générale de l'Agence nationale de santé publique (Santé Publique France)(sera publié ultérieurement)
- Audition de MM. Lionel Collet, président de la Haute Autorité de santé (HAS), Jean Lessi, directeur général, et Mme Catherine Paugam Burtz, directrice générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)(sera publié ultérieurement)
Mardi 18 mars 2025
- Présidence de Pierre Barros, président -
La réunion est ouverte à 16 h 00.
Audition conjointe de MM. Grégory Emery, directeur général de la santé (DGS), et Denis Robin, président du collège des directeurs généraux d'agences régionales de santé (ARS)
M. Pierre Barros, président. - Mes chers collègues, au cours des trois semaines passées, nous avons commencé les travaux de notre commission d'enquête par des auditions de nature transversale : experts, hauts fonctionnaires, acteurs économiques, associations d'élus locaux.
Le cadre étant désormais posé, nous nous consacrerons principalement, dans les semaines à venir, aux politiques publiques pour lesquelles les agences jouent un rôle particulier. La politique publique de la santé nous occupera cet après-midi avec une audition conjointe de M. Grégory Emery, directeur général de la santé (DGS), et de M. Denis Robin, président du collège des directeurs généraux d'agences régionales de santé (ARS). Jeudi après-midi, nous poursuivrons avec Santé publique France, la Haute Autorité de santé (HAS) et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
Le paysage des opérateurs du domaine de la santé est sans doute l'un des plus complexes, et nous aurions pu recevoir encore bien d'autres organismes. Cette politique est conduite à la fois par l'État et par les administrations de sécurité sociale, de sorte que les informations sont non pas unifiées dans les documents budgétaires, mais dispersées entre plusieurs sources.
Ce paysage a par ailleurs fait l'objet de nombreuses réorganisations, avec, notamment, la création des ARS voilà près de quinze ans, celle de Santé publique France plus récemment encore, peu avant la crise de la covid-19, au cours de laquelle certaines de ces agences ont joué un rôle de premier plan.
Le DGS disposant d'une vue d'ensemble, il pourra nous dire si ces recompositions ont produit leurs effets en améliorant la mise en oeuvre des politiques de santé. L'agence Santé publique France, par exemple, a-t-elle parfaitement intégré les trois organismes dont elle est issue ?
Les ARS sont souvent mentionnées dans les débats au Sénat, chambre des collectivités territoriales, parce qu'elles sont en relation avec les élus locaux. Devant cette commission, nous avons entendu des voix d'élus locaux regretter une époque où, selon eux, l'État parlait d'une seule voix.
Comment voyez-vous le rôle de l'ARS vis-à-vis de l'État central, avec le préfet, d'une part, et les services déconcentrés, d'autre part ? La répartition des rôles est-elle identique dans toutes les régions ou cela dépend-il aussi des endroits et des personnes ?
Avant de vous laisser la parole, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat, et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Grégory Emery et M. Denis Robin prêtent serment.
M. Grégory Emery, directeur général de la santé. - Je vous remercie de votre invitation. Je précise que j'ai précédemment exercé la fonction de responsable de service au sein de la HAS.
J'aborderai plusieurs points, en commençant par rappeler les missions de la direction générale de la santé (DGS).
La première consiste à préparer le système de santé aux crises sanitaires. Pour ce faire, nous coordonnons la préparation des moyens sanitaires permettant de faire face aux menaces et aux crises, afin de mieux protéger la population.
Notre deuxième mission consiste à concevoir et à mener des politiques de prévention en santé. Nous souhaitons nous assurer que les Français soient en meilleure santé et tâchons de leur donner des clés, afin qu'ils adoptent des comportements plus favorables à leur santé, de la petite enfance au grand âge, qu'il s'agisse de la prévention en direction des jeunes enfants, de lutte contre les addictions, de la promotion de l'activité physique ou encore de vaccination et de dépistage.
La troisième mission vise à garantir la sécurité et la qualité des produits de santé, c'est-à-dire les médicaments et les pratiques de soins, avec pour objectif de permettre aux patients d'accéder à des produits innovants, tout en négociant les médicaments à des prix équitables dans les instances compétentes.
Notre quatrième mission a trait à la protection des Français, en s'assurant que leur environnement soit favorable à leur santé. Il s'agit donc de prévenir les risques sanitaires liés à l'alimentation et au milieu de vie, qu'il s'agisse de l'air ou de l'eau, et notamment de l'eau en bouteille, au coeur de l'actualité récente.
Afin de mener à bien ces missions, la DGS peut s'appuyer sur un réseau d'acteurs, à commencer par six agences sanitaires dont elle assure la tutelle : l'Institut national du cancer (Inca), l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), Santé publique France, l'Agence de la biomédecine (ABM), l'ANSM et, enfin, l'Établissement français du sang (EFS).
L'Inca et l'Anses sont financés par des crédits de l'État sur le programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », et les quatre autres agences par les crédits de l'assurance maladie, plus précisément sur le sixième sous-objectif de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam). C'est donc la direction de la sécurité sociale (DSS) qui exerce la tutelle financière sur ces organismes, la DGS assurant pour sa part la tutelle « métier ».
Je précise que je n'exerce aucune tutelle sur les ARS, qui font vivre les politiques publiques de santé au quotidien dans les territoires. Ces agences sont bien les acteurs de terrain qui assument les missions que je viens de décrire, et nous échangeons chaque mois avec leurs directeurs généraux.
La tutelle sur nos agences s'exerce à trois niveaux.
Elle s'exerce tout d'abord à un niveau « stratégique », par le biais d'une réunion des directeurs généraux d'agences permettant d'échanger sur l'actualité et les éventuelles urgences. Depuis ma prise de fonction, j'ai en effet souhaité animer le réseau de directeurs de manière beaucoup plus directe, dans le cadre de ce comité d'animation des agences, afin de mutualiser les informations sur des sujets tels que la cybersécurité ou la préparation des jeux Olympiques.
Le deuxième niveau d'exercice de la tutelle a trait au pilotage de chaque agence, avec des contrats d'objectifs et de performance (COP) signés par les administrations concernées, le plus souvent sur une durée de quatre ans et avec un suivi annuel d'une série d'indicateurs.
Nous assurons aussi l'évaluation professionnelle de chacun des directeurs généraux, dont une partie de la rémunération dépend de l'atteinte d'objectifs chiffrés. Par ailleurs, le directeur général de la santé ou son adjointe participe à l'ensemble des conseils d'administration des agences.
J'en viens au pilotage des moyens de chacune des agences. Nous animons un réseau des directeurs adjoints d'agences, qui permet de mener une réflexion commune autour de l'homogénéisation des marchés publics, de la gestion des ressources humaines ou de la transition écologique. Je dispose donc, grâce à un collaborateur présent dans chaque agence, d'une vision à chaque instant de l'activité de la structure concernée.
Est-ce à dire que nous ne pourrions pas progresser sur l'exercice de la tutelle ? À l'évidence, non. Je m'interroge depuis plusieurs années sur cet enjeu compte tenu de la diversité des champs d'action de ces agences. Les réflexions de votre commission d'enquête, ainsi que les travaux menés sous l'égide du Premier ministre sur le rôle des opérateurs de l'État, nous conduiront à mettre en place des plans d'action, afin d'améliorer l'exercice de notre tutelle.
Comment exercer une tutelle plus stratégique ? Il convient tout d'abord de ne pas passer à côté des futurs grands défis de nos opérateurs, dont l'intelligence artificielle (IA), les données et la cybersécurité, à la fois en les intégrant dans les COP et en mutualisant l'expertise. Il faut ensuite revenir aux missions fondamentales de ces agences en s'assurant que les COP, qui se sont complexifiés au fil des années, puissent être traduits en objectifs concrets pour les citoyens et les élus.
Nous menons d'ailleurs un travail avec Santé publique France, dix ans après sa création, afin de déterminer si les trois cultures de la prévention, de la surveillance et de la gestion de crise se sont correctement amalgamées. C'est le sens de la démarche des ministres Catherine Vautrin et Yannick Neuder, qui ont sollicité une mission de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur la bonne réalisation des missions de Santé publique France.
Plus globalement, l'exercice d'une tutelle telle que la nôtre dans un paysage particulièrement complexe justifie que nous modernisions régulièrement notre approche et que nous nous posions des questions simples, du moins en apparence : qu'attendons-nous de l'État et d'une agence sanitaire en matière de santé ? Les réponses ne sont pas si aisées, puisque certaines missions actuellement exercées par des agences pourraient probablement être intégrées dans le périmètre d'action de l'État ; à l'inverse, d'autres missions, impulsées à l'échelon national, pourraient sans doute être mieux appliquées par des opérateurs à un niveau déconcentré.
Du reste, les synergies entre l'ANSM et la HAS doivent être renforcées dans le champ du médicament, tout comme les synergies entre Santé publique France et l'Anses dans le champ de la surveillance. J'assume d'ailleurs ma part de responsabilité en matière de gestion de crise, puisque Santé publique France, opérateur de gestion de crise, coexiste avec un centre de crises sanitaires (CCS) au sein de la DGS.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Le comité d'animation des agences est-il de nature interministérielle ?
Par ailleurs, pourriez-vous préciser les missions susceptibles d'être déconcentrées ?
M. Grégory Emery. - Ce comité est prévu par le code de la santé publique. Une telle mention dans la loi, qui avait sans doute vocation à sécuriser cette coordination, pourrait être supprimée. Il s'agit d'une réunion des directeurs d'agences, avec un objectif de mutualisation, mais sans portée interministérielle.
Concernant les missions qui pourraient être déconcentrées à l'avenir, il importe de se fixer des objectifs nationaux, par exemple en termes de couverture vaccinale contre la grippe, mais en laissant le soin de la mise en oeuvre aux ARS.
Notre politique ne doit en effet pas être uniquement créatrice de normes et d'instructions pour les agences, à qui il convient de laisser sans doute davantage de latitude dans la déclinaison. Je suis persuadé de la nécessité de trouver un nouvel équilibre en sortant d'un système de circulaires pour aller sur une politique de résultats, avec un fort principe de subsidiarité : je ne prétends pas connaître les spécificités de chaque territoire depuis mon bureau parisien.
M. Denis Robin, président du collège des directeurs généraux d'ARS. - J'indique en préalable que le collège des directeurs généraux d'ARS n'a pas d'existence juridique et qu'il a été créé à des fins de coordination, notamment afin de faciliter les prises de contact avec les autorités ministérielles. Je n'ai donc aucun pouvoir hiérarchique sur mes collègues directeurs généraux dans ce cadre.
Actuellement directeur général de l'ARS d'Île-de-France, j'ai exercé la même fonction au sein de l'ARS de Provence-Alpes-Côte d'Azur. N'étant ni médecin ni directeur d'hôpital de carrière, je ne suis pas un produit du ministère de la santé, ayant accompli toute ma carrière au sein du ministère de l'intérieur en tant que préfet de Mayotte et du Pas-de-Calais, avant de devenir secrétaire général du ministère de l'intérieur.
J'ai souhaité diversifier mon parcours, et j'ai rejoint la communauté de la santé afin d'exercer la fonction de directeur général d'ARS, ce qui m'a permis de retrouver une activité de terrain et de découvrir un nouveau domaine, articulé autour d'autres priorités. J'ajoute qu'Édouard Philippe m'avait demandé de créer le centre national de crise pour accompagner le déconfinement, en élargissant la réflexion à des aspects autres que sanitaires : j'ai dirigé ce centre pendant environ sept mois.
J'en viens à vos questions, en constatant que le modèle des ARS fait encore l'objet d'interrogations. Qu'avait souhaité le législateur en créant ces agences au moment de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) ? Il s'agissait d'abord de mettre fin à des ruptures entre des segments de la politique de santé sur le territoire, afin de bâtir une politique de santé inclusive. Plus précisément, l'objectif consistait à mener une réflexion sur la prévention et la promotion de la santé, en en faisant le socle de nos politiques, avec notamment le volet santé-environnement que nous cherchons à développer.
Il fallait également compléter l'offre de soins, en ajoutant à l'offre hospitalière, publique, privée non lucrative et privée lucrative, l'offre de soins de ville, qui était alors plutôt isolée. Enfin, il s'agissait de rajouter à toutes ces composantes le volet médico-social, qui était, avant la création des ARS, placé sous la responsabilité des directions régionales des affaires sanitaires et sociales (Drass) et des conseils départementaux, ainsi que les compétences de veille sanitaire et de gestion de crise, qui étaient jusqu'à présent exercées par le préfet.
L'ensemble de ces compétences a donc été confié aux ARS, ce qui m'amène à la deuxième volonté exprimée par le législateur, à savoir la simplification du panorama des acteurs de la politique de santé sur le territoire. Dans la configuration précédente, les agences régionales de l'hospitalisation coexistaient avec les Drass, les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (Ddass), les groupements régionaux de santé publique, les maisons régionales de santé, l'assurance maladie, l'autorité préfectorale et les collectivités territoriales, soit une dizaine d'acteurs portant chacun un segment de la politique de santé dans les territoires : désormais, ce réseau d'acteur est piloté par l'ARS.
Troisièmement, le législateur avait souhaité rapprocher les financeurs des décideurs : la politique de santé était très largement financée par l'assurance maladie, tandis que de multiples décideurs administratifs intervenaient. La création des ARS avait pour ambition de transférer à ce décideur référent les financements : c'est ce qui a été mis en place, puisque les ARS gèrent notamment des budgets d'intervention, dont le fonds d'intervention régional (FIR), à la fois alimenté par des crédits de l'État, par des crédits de l'assurance maladie et par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA).
En résumé, la création des ARS a permis de mettre sur pied l'acteur d'une politique inclusive et coordonnée abordant tous les segments de la politique de santé, et doté des moyens nécessaires.
Pourquoi avoir choisi, ensuite, ce statut d'agence, chaque ARS étant un établissement public ? Peut-être qu'un effet de mode l'explique, mais la réponse la plus pertinente, selon moi, tient au fait que l'allocation de moyens fongibles et d'origines diverses devait amener la création d'une nouvelle entité administrative et financière à même de gérer ceux-ci : cela explique le choix de la création d'une agence, plus agile que l'État, enserré dans ses modes de fonctionnement classiques.
Je souhaite insister par ailleurs sur le fait que l'autonomie des ARS ne s'exerce pas de la même façon selon que l'on considère la définition des missions et des priorités ou la mise en oeuvre des politiques qui nous sont confiées.
Aussi, les politiques que nous portons sont enserrées par de très nombreuses dispositions législatives et réglementaires, parfois à l'excès, par exemple pour les autorisations d'activité dans le domaine de la pharmacie : des élus nous demandent régulièrement des transferts ou des autorisations, mais notre action est très contrainte.
Un autre pan de notre activité a trait aux sociétés savantes, dont les avis s'imposent de fait aux ARS, même si elles peuvent les adapter en partie à la réalité des territoires.
Pour ce qui est de la tutelle, exercée de manière très étroite par les ministères sociaux, chaque ARS doit respecter un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM) suivi de près, et chaque directeur reçoit une lettre de mission signée par chacun des trois ministres, qui détermine une part de sa rémunération : Catherine Vautrin, Yannick Neuder et Charlotte Parmentier-Lecocq.
De surcroît, le ministère a mis en place une forme de tutelle assez moderne et agile au travers des séminaires mensuels des directeurs généraux d'ARS, qui permettent de bien s'accorder sur les politiques menées et les résultats obtenus. Contrairement à ce que pourrait laisser entendre l'appellation d'agence, l'action des ARS est donc très encadrée.
En revanche, le fait de disposer d'enveloppes fongibles, notamment le FIR, leur permet d'adapter les politiques aux territoires, les directeurs généraux pouvant s'appuyer sur tel ou tel acteur ou établissement de leur choix, en fonction des besoins.
J'en arrive aux impacts de la création des ARS sur leur environnement administratif et institutionnel, à commencer par les professionnels de santé. Certains d'entre eux, notamment les directeurs d'hôpitaux, avaient exprimé des inquiétudes ou ne voyaient pas d'un bon oeil l'arrivée de cette tutelle, mais je crois pouvoir dire que l'ensemble des professionnels a bien compris l'intérêt de pouvoir travailler avec une agence bénéficiant de crédits fongibles, car ce mode de fonctionnement a apporté une souplesse appréciable à la prise de décision, sans remonter pour chaque décision au ministère.
Du point de vue de la relation avec les préfets, une période de tension et de méfiance a marqué les débuts des ARS, car ils ont mal vécu l'apparition d'un nouveau décideur qui n'était pas placé sous leur autorité hiérarchique directe. Ces difficultés s'étaient traduites, par exemple, par le fait que le directeur général de l'ARS ne participait aux réunions de la conférence administrative régionale du préfet qu'à la condition d'intervenir sur un point précis, tandis que les directeurs départementaux de l'ARS ne participaient que très exceptionnellement aux réunions des chefs de service.
Cette période est désormais révolue, les préfets et les ARS échangeant très régulièrement dans le cadre des instances de dialogue animées par le préfet de région ou le préfet de département.
Du reste, les préfets ont conservé des compétences en matière sanitaire et restent ainsi responsables de la police de l'hygiène publique. Le code de la santé publique organise les relations entre le préfet et l'ARS, la seconde ayant la mission d'informer le premier et les élus concernés dès lors qu'elle identifie un risque sanitaire particulier. Si ce dernier est susceptible de créer des troubles à l'ordre public ou si un basculement en gestion de crise intervient, les moyens de l'ARS sont alors mis à la disposition du préfet, à l'instar de ce qui a été pratiqué pendant la période des jeux Olympiques.
La forme d'une agence n'est donc selon moi plus vraiment un problème du point de vue de la relation avec le corps préfectoral, qui est assez proche, in fine, de celle qui unit les recteurs et les préfets.
Enfin, les ARS entretiennent des relations avec les élus locaux et avec les collectivités territoriales, et c'est sans doute sur ce point que les marges d'amélioration restent les plus importantes. Un sondage réalisé par Ipsos à l'occasion du Congrès des maires a ainsi révélé que 86 % des maires interrogés connaissaient les missions des ARS et que 73 % d'entre eux avaient une bonne image de ces structures.
En contrepoint, 60 % des maires les jugeaient trop éloignées de leurs communes, 45 % d'entre eux souhaitaient que les ARS leur transmettent plus régulièrement des éléments de communication leur permettant d'améliorer leur dialogue avec leurs concitoyens, et 46 % des élus sollicitaient davantage de transparence et de pédagogie quant à la réglementation et à leurs obligations en matière de politique publique de santé.
J'en ai conclu que nous avions un problème d'incarnation dans les territoires, notamment au niveau départemental et au niveau communal, et que les ARS étaient sans doute restées des structures trop expertes et trop régionales. J'entends mener une transformation en ce sens, en renforçant significativement les structures départementales en Île-de-France, y compris sur le plan financier puisque j'ai décidé de déléguer une partie du fonds d'intervention régional aux directeurs départementaux, de manière à ce qu'ils puissent nouer des partenariats locaux.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Selon vous, la relation entre les ARS et les préfets n'est plus un problème, mais nous avons pu entendre des critiques relatives à la gestion de la crise sanitaire. En particulier, certains préfets de départements ont pu évoquer des difficultés dans la transmission d'informations de la part des ARS.
En admettant que nous conservions les ARS telles qu'elles existent, serait-il selon vous opportun que leurs directeurs départementaux soient directement placés sous la tutelle du préfet de département ?
Par ailleurs, les effectifs départementaux des ARS semblent relativement réduits. Ne pourrait-on pas envisager une fusion avec les départements qui portent la politique sociale, en lieu et place des partenariats que vous évoquiez ?
M. Denis Robin. - Pour ce qui est de la crise sanitaire que nous avons vécue, les ARS ont agi sur la base des informations qui leur étaient transmises et n'étaient pas en mesure d'avancer les certitudes dont les préfets pouvaient exprimer le besoin : la situation était inconfortable pour tous.
Il me semble que nous avons amélioré le fonctionnement en décidant que la gestion de crise devait revêtir un caractère interministériel, afin que l'ensemble du réseau de l'État - préfets, ARS, rectorats, etc. - soit irrigué par les connaissances disponibles et par la politique du gouvernement. Je pense que nous aurions de meilleurs réflexes si une crise de cette ampleur venait à se reproduire.
Pour ce qui concerne l'opportunité de placer les directeurs départementaux sous la tutelle des préfets, je note que ces directeurs entretiennent déjà des relations étroites avec les préfets et qu'ils exercent d'ailleurs un certain nombre de compétences par délégation de ces derniers : tel est le cas, par exemple, en matière de lutte contre l'habitat indigne. Les directions départementales sont donc pleinement intégrées aux instances pilotées par les préfets.
Quant à un éventuel rapprochement avec la collectivité départementale, je n'ai pas vocation à me prononcer sur une orientation politique telle que la décentralisation, mais j'attire votre attention sur le fait que les départements sont déjà très mobilisés sur les politiques sociales et qu'ils partagent avec les ARS la relation avec le médico-social, qu'il s'agisse des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ou de la politique en matière de handicap. Aller vers une décentralisation en transférant ces compétences aux départements est un choix politique qui appartient au Gouvernement et au Parlement...
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'aurais surtout voulu savoir s'il existait des obstacles d'ordre technique à ce transfert de compétences.
M. Denis Robin. - Le médico-social est devenu un segment à part entière de notre politique de santé, alors qu'il était traité un peu différemment jusqu'à présent. Le fait que les ARS s'en emparent a justement permis cette inclusion.
Nous le savons, les Ehpad deviendront progressivement des structures intervenant en aval de l'hôpital. En outre, ils devront être médicalisés, car ils accueilleront des personnes de plus en plus âgées et dont la situation de santé est de plus en plus dégradée. L'intégration entre l'offre sanitaire et l'offre médico-sociale me paraît absolument indispensable si l'on veut préparer cette évolution et un décloisonnement.
Le transfert de l'action médico-sociale à la collectivité départementale, dans un pôle social, briserait la dynamique de son intégration. Ce serait fâcheux, car cette dernière est nécessaire pour conduire nos politiques sanitaires.
M. Hervé Maurey. - Vous l'avez dit, vous avez à coeur de vérifier si votre action est conforme aux objectifs fixés par la loi. Toutefois, vous n'avez pas indiqué si vous vous assuriez de son adéquation aux besoins actuels. Il conviendrait que vous vous posiez cette question, les ARS ayant été créées voilà quinze ans.
Il serait bon que vous puissiez dresser le bilan de la création des ARS et de toutes les agences placées sous l'autorité de la DGS. On peut en effet se demander ce qu'elles ont coûté, notamment en matière de création de postes. Je ne suis pas certain que la création des agences sanitaires ait conduit à supprimer d'autres structures au sein des départements et des services de l'État.
Sans précision de votre part sur ces divers sujets, je quitterai cette salle avec un sentiment de frustration, car je n'aurai rien appris de nouveau, que ce soit sur l'utilité des agences sanitaires ou sur l'intérêt éventuel de les regrouper ou de les supprimer.
Du reste, vous avez évoqué les contacts avec les élus locaux. Pourtant, là où il existe des marges de progression, c'est avec les élus nationaux. Pour ma part, je ne connais pas un seul sénateur qui soit satisfait de l'action de l'ARS dans son département. Cela tient davantage à la structure de l'agence qu'à la personne qui la préside. Il faudrait sans doute se pencher sur cet aspect.
M. Grégory Emery. - Chaque année, le Parlement, au travers du sixième sous-objectif de l'Ondam, voté dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, attribue de nouvelles missions et de nouveaux moyens aux directions et agences sanitaires. En conséquence, notre réseau d'agences n'est pas figé dans le temps.
Concernant les évaluations, je m'inscris en faux par rapport à vos propos. Premièrement, tous les COP sont évalués, soit par l'Igas, soit par la Cour des comptes. Je ne manquerai pas de renseigner votre commission sur l'ensemble des COP, qui sont structurés et formulés en des termes très concrets : l'ANSM réduit le nombre de pénuries de médicaments, tandis que l'INCa définit le nombre de dépistages de cancers à effectuer et le nombre de recherches à financer.
Ces objectifs sont parfaitement transparents dès lors qu'ils sont publiés sur le site internet des agences sanitaires.
La surveillance sanitaire m'occupe au quotidien. Depuis la crise de la covid-19, nous avons tiré un certain nombre de leçons, si bien que, aujourd'hui, la surveillance des eaux usées, la surveillance génomique et la surveillance syndromique, effectuée à partir d'indicateurs transmis par les cabinets médicaux, fonctionnent. En outre, la couverture vaccinale est assurée ; je peux vous en communiquer les chiffres.
Il n'y a aucune ambiguïté. Santé publique France, qui devait servir d'outil de pilotage aux décideurs, fonctionne bel et bien. Toutefois, il me semble parfois nécessaire de faire évoluer les agences et leurs missions, non pas parce qu'elles sont inopérantes, mais parce qu'il y a lieu de les adapter à de nouveaux enjeux.
Il y a cinq, dix ou quinze ans, il aurait été difficile de définir les objectifs de la politique One Health, ou « une seule santé ». Aujourd'hui, nous savons qu'elle consiste en une imbrication de la santé animale, de la santé environnementale et de la santé humaine, mais ce n'est qu'après la survenance de différentes crises - épidémie aviaire, crise de la covid-19 et accélération du dérèglement climatique - que nous avons pris conscience de ces enjeux-là.
Je vous le confirme, l'Anses effectue les missions qui lui ont été assignées, notamment l'évaluation des produits phytosanitaires, mais le fait-elle dans des délais suffisants ? Je veux bien revenir sur ce sujet, indicateur par indicateur. Sachez que, pour chaque COP, un relevé mensuel est fait. En outre, la Cour des comptes contrôle régulièrement le financement des agences sanitaires et l'Igas évalue systématiquement les COP.
M. Denis Robin. - L'évolution des ARS a permis d'obtenir des résultats. Par rapport au schéma initial que j'ai vu se construire lorsque j'étais préfet, nous avons levé beaucoup de difficultés et surmonté de nombreux obstacles. Les ARS sont toujours perfectibles, d'autant qu'elles n'ont que quinze ans. Reste que nous sommes parvenus à réaliser un décloisonnement entre les structures. En conséquence, nous sommes plus à même de gérer l'offre hospitalière sur un territoire, en relation avec l'offre de ville. En outre, nous sommes en mesure de réfléchir à ce qui doit intervenir en aval et en amont d'une structure hospitalière, mais aussi de financer des actions ou des parcours qui n'existaient pas auparavant.
Progressivement, nous avons apporté de la fluidité dans la réponse à certaines difficultés. Si les ARS n'existaient pas, les blocages seraient bien plus grands que ceux que nous connaissons à chaque pic de tension estival ou hivernal. Personnellement, je crois beaucoup à cette évolution.
Je l'ai dit sans fard lors de mon propos introductif, la relation avec les élus est l'une des pistes d'évolution majeure des ARS dans les années qui viennent. Je le reconnais, ces institutions n'ont sans doute pas été suffisamment attentives à leur relation avec les acteurs du territoire. Elles doivent donc évoluer, sans quoi elles continueront de traîner le boulet d'une mauvaise réputation, celle d'être des structures technocratiques lointaines et mal comprises.
Je reste absolument persuadé que, pour nourrir le débat sanitaire à l'échelon territorial, il faut donner aux ARS des moyens pour construire des partenariats et des actions. D'où ma décision de déconcentrer les moyens financiers à l'échelle départementale, en Île-de-France et en région Provence-Alpes-Côte d'Azur.
J'ajoute que la dernière réforme visant à transformer le conseil de surveillance des ARS en conseil d'administration s'est traduite par l'intégration très importante d'élus au sein de cette instance de contrôle. Désormais, un sénateur, un député et le président du conseil régional siègent au conseil d'administration. Dans l'ARS qui relève de ma compétence, trois présidents de conseil départemental et quatre représentants des maires y sont également associés.
Cette représentation des élus change complètement la tournure des conseils d'administration : alors qu'ils se bornaient traditionnellement à être des instances financières et comptables, ils permettent aujourd'hui la tenue d'un débat sur les politiques conduites par l'ARS.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Lorsque la politique One Health a été mise en place, un nouveau comité a été créé pour la surveiller, le groupe santé-environnement (GSE). Pourtant, on disposait déjà de l'Anses et, plus tard, on a institué Santé publique France.
Cette multiplication d'instances semble contradictoire avec la vision d'une santé intégrée, sur laquelle vous insistez. Vous me répondrez sans doute que le GSE est un simple comité de surveillance qui n'a pas de rôle exécutif. On peut toutefois se demander si la mobilisation d'agents publics pour assurer son animation n'engendre pas des coûts.
M. Grégory Emery. - A-t-on besoin du GSE ? Sans vouloir botter en touche, je me permets de renvoyer cette question aux parlementaires, car ce sont eux qui ont pris l'initiative de le créer. Le GSE, qui a été successivement présidé par deux députées, Mmes Élisabeth Toutut-Picard et Anne-Cécile Violland, assure l'interface entre l'État, les parlementaires et les organisations non-gouvernementales, afin qu'ils puissent discuter de sujets de santé et d'environnement et définir collectivement une politique publique cohérente. Il vise précisément à éviter que la politique de santé environnementale, telle qu'elle est mise en oeuvre et pensée par l'État, ne soit critiquée comme étant non concertée ou déconnectée des réalités.
Le GSE n'est qu'un groupe de concertation, comme on en a besoin dans beaucoup de domaines. En revanche, vous avez raison de poser cette question : faut-il, à chaque fois que l'on crée un comité de ce genre, lui donner un nom, fixer sa composition par décret et le rattacher à un article dans tel ou tel code ? Très sincèrement, je ne pense pas que cela soit nécessaire. Heureusement que les gens arrivent à travailler en dehors de cadres réglementaires !
Malheureusement, nombreux sont les projets et propositions de loi qui prévoient la création de comités Théodule et d'instances de suivi. C'est un mal français que de vouloir inscrire dans la norme ce qui relève d'un simple travail quotidien.
M. Cédric Vial. - L'objectif de notre commission d'enquête est de réfléchir à la meilleure organisation possible, afin de perfectionner la conduite de l'action publique dans certains domaines, dont celui de la santé.
Je le dis d'emblée, je n'ai aucun problème de relation avec l'ARS dans mon département, la Savoie. Toutefois, j'admets qu'il faudrait revoir la question de l'installation des pharmacies, comme M. Robin l'a indiqué. Nous avons souvent discuté de ce sujet au Sénat, car nous sommes conscients des difficultés que pose la courroie de transmission avec l'administration.
Un décret favorisant l'installation des pharmacies en milieu rural est enfin paru, sept ans après une ordonnance de janvier 2018. Qu'est-ce qui justifie ce retard ? S'agit-il d'une décision politique ou bien est-ce le lobby de certaines organisations constituées qui a empêché, pendant sept ans, la parution de ce décret ? Je me réjouissais que ce dernier ait été enfin pris, jusqu'à ce que je m'aperçoive en le lisant qu'il empêche l'application de la loi.
J'étais encore maire lors de la crise de la covid-19. Antérieurement, j'avais travaillé, dans le cadre d'un cabinet ministériel, sur la mise en place de protocoles à l'occasion de la crise de la grippe aviaire, mais ceux-ci ont été supprimés au profit d'une nouvelle organisation. C'est l'ARS qui a fini par assurer le pilotage de la gestion de crise, et non le ministère de l'intérieur, comme c'est le cas habituellement.
En conséquence, la crise a été traitée au travers d'une approche essentiellement hospitalière ; certaines collectivités territoriales ont eu des difficultés à travailler avec la médecine de ville et il a fallu que les élus se battent pour être associés aux nouveaux dispositifs. Pourquoi a-t-on organisé les choses ainsi ? Le regrettez-vous ou pensez-vous qu'il s'agissait de la meilleure décision à prendre ?
Enfin, quelques mots sur le futur des Ehpad. Ayant dirigé l'un de ces établissements dans le secteur public pendant treize ans, je sais que les Ehpad hospitaliers ne sont pas forcément les moins chers ni les mieux gérés. Au fond, l'intégration hospitalière n'est-elle pas le résultat d'une culture qui est propre aux ARS ? Une approche plus intégrée n'est-elle pas préférable ?
Mme Pauline Martin. - Pour ma part, je m'exprimerai dans un esprit moins sénatorial que mes collègues. Je vois bien la tactique de l'ARS, qui consiste à renvoyer aux parlementaires la responsabilité d'avoir voté des dispositifs. Selon moi, une agence a dans son ADN de l'agilité et de la flexibilité.
Vous vous bornez à faire référence aux directives ministérielles et aux lois qui ont été votées. Pensez-vous qu'il est bien nécessaire de créer une agence à part entière, plutôt que de créer un service rattaché à un ministère ou à la DGS ?
Par ailleurs, la désertification médicale constitue un problème prégnant. Ce sont bien les élus locaux qui s'en sont emparés, car ils sont en contact direct avec la population. Toutefois, ils se sentent isolés, car l'ARS refuse souvent leur demande d'équiper les territoires pour assurer la continuité de l'offre de soins.
M. Grégory Emery. - Je ne saurais répondre ni à la question de l'installation des pharmacies ni à celle des déserts médicaux, car elles relèvent de la direction générale de l'offre de soins (DGOS). Néanmoins, je sais combien les indicateurs pour définir le bon maillage territorial sont un sujet difficile.
En tant que directeur général de la santé, je dois veiller à ce que les Français puissent accéder aux 21 000 officines présentes dans notre pays et m'assurer qu'il n'existe pas de zones blanches. À cet égard, la prolongation des ordonnances médicales permet aux individus qui habitent très loin d'une pharmacie de ne pas s'y rendre trop régulièrement.
M. Cédric Vial. - Vous dites ne pas pouvoir répondre à ces questions, mais il me semble que vous étiez conseiller auprès du ministre des solidarités et de la santé entre 2018 et 2020.
M. Grégory Emery. - Certes, mais j'étais uniquement chargé de la santé publique et de la sécurité sanitaire, et je n'avais pas à traiter de l'offre de soins.
J'en viens à la crise de la covid-19. Encore une fois, nous avons tiré un certain nombre d'enseignements de cet épisode ; ils nous permettraient de gérer demain un risque infectieux équivalent. La manière dont les préfets et les ARS travaillent entre eux a évolué. Nous disposons désormais de cadres d'anticipation et de préparation, à savoir l'organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles (Orsan), spécifiquement dans le domaine de la santé, et l'organisation de la réponse de sécurité civile (Orsec), qui relève de la compétence des préfectures.
Sous l'égide des différents premiers ministres qui se sont succédé, nous avons mis en place un plan de crise en cas de pandémie, qui, à l'échelon national, répartit les compétences entre le ministère de l'intérieur et celui de la santé. Les plans Orsan et Orsec ont vocation à être déclinés à l'échelon territorial. Cela permet de normer les choses dès le début de la crise et à chacune de ses étapes.
Grâce à la création d'un centre de crise sanitaire (CCS), en mars dernier, la DGS s'est assurée, en amont de la tenue des Jeux olympiques et paralympiques, que les ARS avaient bien actualisé ou mis en place leur plan Orsan.
M. Denis Robin. - Dans notre pays, la gestion de crise est une compétence du Premier ministre. À cet égard, il préside le centre interministériel de crise (CIC). Compte tenu de la nature des crises que nous avons à gérer, le Premier ministre délègue souvent sa compétence de pilotage au ministre de l'intérieur. Cependant, lorsque nous sommes entrés dans la crise sanitaire, ce n'est pas ce schéma classique qui a été retenu, le président de la République ayant choisi de la gérer dans le cadre d'un conseil de défense. Cela lui a permis de gérer la crise lui-même, avec plusieurs ministres associés.
Lorsque le confinement a été déclaré et que les activités économiques et sociales du pays ont été mises à l'arrêt, on a considéré que l'animation territoriale de la gestion de crise, qui avait alors un caractère essentiellement sanitaire, relevait du ministère de la santé.
Néanmoins, lorsqu'on a préparé le premier déconfinement, on a admis que la crise ne pouvait plus être uniquement sanitaire : il fallait traiter de sujets économiques et sociaux et s'occuper de la vie quotidienne des Français.
C'est à ce moment que le Premier ministre, Édouard Philippe, m'a demandé d'activer le centre national de crise : il s'agissait de transformer la cellule interministérielle de crise, afin que les informations soient adressées non plus seulement aux ARS, mais à l'ensemble des réseaux de l'État. J'ai moi-même veillé à rendre cette diffusion effective, au moment où j'ai pris mes fonctions à la tête du CCS, au début du mois d'avril 2020.
Si nous devions affronter de nouveau un risque sanitaire semblable à la covid-19, je pense que nous choisirions directement ce type de gestion, sans avoir à traverser au préalable une phase d'hésitations.
Concernant les Ehpad, je me suis très mal fait comprendre. Que les choses soient claires, je ne suis pas un défenseur des Ehpad hospitaliers. Le Gouvernement nous avait demandé de contrôler de façon exhaustive l'ensemble des Ehpad dans nos régions. À cette occasion, je me suis efforcé de mener un contrôle qualitatif, basé sur plusieurs critères, tels que la forme, la taille et la gestion des établissements. Il en résulte que les Ehpad hospitaliers ne constituent pas la forme d'avenir de la prise en charge des personnes vieillissantes dans notre pays.
Il convient d'étudier les moyens qui permettront aux Ehpad, quel que soit leur statut, d'assurer la prise en charge médicale de personnes de plus en plus âgées et dont les situations de santé sont de plus en plus lourdes. Or le manque de médicalisation est l'un des points faibles des Ehpad, aujourd'hui.
La désignation d'un médecin coordonnateur dans les Ehpad est un sujet extrêmement douloureux dans de nombreux territoires. C'est à cela que je faisais allusion, je ne parlais pas du tout de la forme des établissements.
Madame la sénatrice, sachez que les ARS ont accompli bien des choses grâce à l'agilité dont on les a dotées. Je mettais en oeuvre des initiatives spécifiques lorsque j'étais directeur général de l'ARS de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, car son écosystème et ses acteurs étaient bien particuliers. Je ne prends pas les mêmes mesures aujourd'hui en tant que directeur général de l'ARS d'Île-de-France, où l'organisation du secteur est complètement différente et le milieu urbain beaucoup plus homogène.
Par exemple, grâce au fonds d'intervention régionale (FIR), qui est mobilisable à tout moment, je peux mettre en place une cellule régionale de gestion des urgences psychiatriques, lors du pic de tension estival et hivernal. Cela permet de décharger les urgences classiques, qui se retrouvent en extrême difficulté lorsqu'elles doivent prendre en charge des patients relevant a priori des urgences de santé mentale.
De même, je peux créer une cellule d'aide à l'inscription en maternité (Aima), qui permet aux femmes en grande précarité de trouver une place en maternité, ou une cellule de transferts à terme et post-accouchement (Tatepa), qui assure une place en néonatologie aux enfants qui en ont besoin de façon urgente.
Voilà le genre d'initiatives que je suis capable de financer de manière quasi immédiate grâce au FIR. Si nous nous en tenions aux programmes ministériels et aux budgets opérationnels de programme (BOP), dont la mise en oeuvre nécessite des accords interministériels, il est certain que nous n'aurions pas la même agilité.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - À vous entendre, j'ai le sentiment que tout va pour le mieux et qu'il ne faut rien changer. Je souhaite tout de même vous poser trois questions précises. Premièrement, pensez-vous qu'il est pertinent de faire financer Santé publique France via l'Ondam, alors que c'est l'État qui prend les décisions stratégiques ? Autrement dit, le décideur ne devrait-il pas être le payeur ? Cela aurait-il des conséquences en matière de tutelle ?
Deuxièmement, jugez-vous positivement le transfert vers l'Ondam du financement de l'ANSM, qui était autrefois rattaché à la mission « Santé » ?
Troisièmement, pourrait-on simplifier le dialogue entre la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) et les ARS à l'échelon territorial, en remettant au goût du jour les plans pluriannuels régionaux de gestion du risque et d'efficience du système de soins ? On pourrait en faire des documents uniques de référence, aux côtés des schémas régionaux de santé (SRS), dont les ARS pourraient être les pilotes.
M. Grégory Emery. - Je vais répondre aux deux premières questions, même si la tutelle financière est exercée par la direction de la sécurité sociale (DSS). Le transfert du budget total de Santé publique France à l'Ondam est intéressant puisqu'il permet, dans une perspective de construction budgétaire, de traiter le maximum d'opérateurs de la même manière. On peut émettre quelques réserves sur cette évolution ; d'ailleurs, une mission de l'Igas a été diligentée sur ce sujet : Santé publique France gère des stocks stratégiques de masse, dont les stocks de vaccins. Elle assure ainsi une fonction régalienne. Je ne sais pas si le sixième sous-objectif de l'Ondam est le meilleur endroit pour traiter cette question-là.
Le transfert du budget de l'ANSM vers l'Ondam participe de la même logique. L'idée est que toutes les agences sanitaires soient gérées dans le cadre de l'Ondam, donc par la sécurité sociale, plutôt que par l'État. Cependant, qu'il s'agisse de l'État ou de l'assurance maladie, la cohérence d'ensemble est la seule chose qui compte. D'où l'intérêt d'avoir choisi le sixième sous-objectif de l'Ondam.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Si j'ai bien compris, l'Anses et l'INCa sont financés sur le programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins ». Pourquoi celui-ci ne servirait-il pas aussi à financer l'ANSM et Santé publique France ? Vous parlez de cohérence, mais vous prétendez en même temps que la gestion des stocks ne relève pas du domaine de la santé...
M. Grégory Emery. - Je me suis sans doute mal exprimé. Je dis simplement que les agences sanitaires doivent être gérées au même endroit. Qu'il s'agisse du programme 204 ou de l'Ondam m'importe peu ; je renvoie la décision à ceux qui préparent les budgets.
M. Denis Robin. - La relation entre les ARS et l'assurance maladie a complètement changé, pour la simple et bonne raison que les premières sont financées par la seconde. En outre, de nombreux collaborateurs de l'assurance maladie travaillent désormais au sein des ARS. Il existe donc aujourd'hui une communauté de vues, de compréhension et de culture qui n'existait pas dans le modèle antérieur.
Par ailleurs, nous organisons très régulièrement des réunions avec l'assurance maladie pour piloter diverses politiques, telles que la permanence des soins ou l'organisation des gardes sur les territoires.
Concernant les plans pluriannuels, l'ARS pilote la constitution et l'écriture du projet régional de santé (PRS), qui fixe les grandes lignes de la politique de santé dans la région. Ce projet n'est pas uniquement celui de l'ARS, c'est celui de toute la communauté de santé et il appartient à l'assurance maladie de le décliner dans ses documents internes, aux côtés des SRS.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Le PRS n'est-il pas redondant avec le SRS ?
M. Denis Robin. - Chaque acteur doit pouvoir disposer de sa propre feuille de route, pourvu qu'elle respecte les grandes priorités régionales qui ont été définies collectivement.
M. Ludovic Haye. - L'ANSM emploie 1 000 agents ; l'Anses, 1 400 agents ; la Haute Autorité de Santé (HAS), 443 agents ; Santé Publique France, 590 agents. Nous ne doutons pas de l'utilité de ces instances, mais nous savons pertinemment que leurs missions se superposent et se chevauchent. A priori, cela ne pose pas de problème : on peut ainsi combler des lacunes qui, dans le domaine de la santé, ne sont pas toujours évidentes à traiter.
Hier, notre commission s'est posé la question du recrutement de praticiens de santé dans les déserts médicaux. Cela suppose de faire un état des lieux précis. Or les formateurs, les doyens de faculté de médecine, les directeurs d'hôpitaux et les élus des collectivités sont incapables de s'entendre sur le nombre exact de praticiens de santé dont nous disposons sur l'ensemble du territoire. Force est de constater que la multiplication des services d'urgences ne nous a absolument pas aidés.
Mme Solanges Nadille. - Permettez-moi de vous dire que je vous trouve hors sol, à l'image du directeur de l'ARS dans mon département. Connaissez-vous la Guadeloupe et sa dimension archipélagique ?
M. Grégory Emery. - Je la connais en partie, ayant participé sur le terrain à la relève de la réserve sanitaire.
Mme Solanges Nadille. - Je souhaite avoir votre avis sur le centre hospitalier universitaire (CHU) : il n'est toujours pas ouvert et, pour l'heure, il fait peur à voir. La prise en charge des patients est extrêmement difficile sur notre territoire, ainsi que dans le sud de la Martinique, comme notre collègue Frédéric Buval le répète presque tous les jours.
Sur l'une des îles de Guadeloupe, il n'y a ni services d'urgences ni moyens d'évacuation. L'ARS a reproché à un médecin d'avoir ouvert une seringue avant vingt heures pour soigner un individu qui s'était blessé, alors même qu'il n'était pas possible de l'évacuer, faute de disponibilité de l'hélicoptère sanitaire ou de celui de la sécurité civile. Dans ces conditions, le médecin a été obligé de mentir auprès de l'ARS sur l'heure à laquelle il a pratiqué les soins. Que pensez-vous de ce genre de situations ?
M. Grégory Robin. - L'offre de soins et les CHU relèvent des compétences de la DGOS. Si vous le souhaitez, je peux interroger mon collègue qui est chargé de ces questions. Quant à la situation que vous décrivez sur cette île, je ne peux prendre aucun engagement devant vous, aujourd'hui.
Mme Solanges Nadille. - Vous avez parlé d'acteurs référents sur le territoire et d'agilité. Pensez-vous que l'ARS soit véritablement agile ?
M. Grégory Emery. - Oui, je peux même vous donner un exemple. J'ai été recruté à la tête du centre de crises sanitaires au cours de l'été 2021, lorsque l'épidémie de covid-19 a durement frappé la Guadeloupe et la Martinique. J'en profite pour remercier tous les professionnels de santé qui se sont alors mobilisés et pour saluer la mémoire des victimes décédées.
À cette époque, des milliers de patients ont été évacués vers la métropole et, dans un mouvement inverse, des milliers de réservistes sanitaires sont arrivés sur ces territoires ultramarins. Songez que cela n'aurait pas été possible sans les ARS.
Mme Solanges Nadille. - Vous êtes donc satisfaits de vous... Savez-vous seulement combien il y a eu de morts en Guadeloupe ?
M. Grégory Emery. - C'est la raison pour laquelle j'ai commencé par saluer leur mémoire. La France a été le seul pays au monde à procéder à des évacuations sanitaires de manière massive, ce qui confirme l'agilité des ARS.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'agilité dont vous vous prévalez proviendrait-elle du fait que les ARS échappent aux BOP et à la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) ? Les évacuations sanitaires ont pu être effectuées surtout grâce à l'existence de compétences humaines et logistiques. Les évacuations n'auraient-elles pas été possibles en mobilisant les agents du ministère de la santé, sans recourir aux ARS ?
M. Grégory Emery. - La sénatrice Nadille me reproche d'être hors sol. Or je suis médecin : les BOP et la Lolf ne sont pas des sujets que je ne maîtrise pas au quotidien.
M. Cédric Vial. - Vous n'êtes au courant de rien, alors que vous avez conseillé le ministre de la santé et que vous êtes directeur d'administration centrale !
M. Grégory Emery. - Mon objectif est d'améliorer la santé de la population. La Lolf permettrait-elle de modifier notre capacité d'intervention en cas de crise ? Concernant Mayotte, les initiatives que nous avons prises sur place depuis le 13 décembre dernier, après le passage du cyclone Chido, n'auraient pas été possibles si nous nous en étions tenus au budget du ministère de la santé.
Du reste, je ne sais ni acheter des bouteilles d'eau pour le territoire de Mayotte, ni contractualiser en urgence avec des grossistes répartiteurs, ni commander des lits de camp depuis mon bureau : en effet, mon cadre d'intervention ne le permet pas, contrairement à celui de l'ARS.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Le cadre d'intervention de l'ARS est-il défini par des contraintes de nature budgétaire ou par la compétence des personnes qui y travaillent ? Les agents des ARS sont-ils plus compétents que ceux de la DGS ou d'un service préfectoral ?
M. Denis Robin. - Je connais en partie les spécificités ultramarines, dans la mesure où j'ai servi deux fois en outre-mer et où j'ai été directeur de cabinet du ministre des outre-mer. Il est vrai que les ARS en outre-mer ne ressemblent pas à celles qui sont établies dans l'Hexagone.
L'agilité n'est pas qu'une question financière. L'ARS a été en mesure de faire intervenir au sein de ses services des professionnels qu'on ne trouvait ni dans les services préfectoraux, ni dans les directions régionales des affaires sanitaires et sociales (Drass), ni dans les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (Ddass), ni dans les agences régionales de l'hospitalisation (ARH).
Ainsi, les ARS disposent de fonctionnaires de l'assurance maladie, de fonctionnaires hospitaliers, de médecins spécialistes ou de médecins de ville. La mobilisation de ces professionnels n'aurait pas été possible au sein d'une administration territoriale de l'État (ATE), placée sous l'autorité du préfet.
Au demeurant, dès que nous entrons en gestion de crise, l'ARS est placée sous l'autorité du préfet, sans aucune exception. Dès lors, personne ne remettra en cause le fait que le préfet demande à l'ARS de réaliser des missions sur le territoire.
M. Pierre Barros, président. - Nous remercions le directeur général de la santé et le président du collège des directeurs généraux d'ARS de leur venue.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Pascal Berteaud, directeur général du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema)
M. Pierre Barros, président. - Les auditions de cette semaine sont structurées autour de deux thématiques : d'une part, la politique publique de santé, et d'autre part, l'accompagnement des collectivités territoriales. Dans le cadre de cette seconde thématique, nous recevons aujourd'hui Monsieur Berteaud, directeur général du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Nous auditionnerons jeudi les représentants de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).
Le Cerema est reconnu pour son expertise scientifique et technique dans de nombreux domaines liés aux politiques publiques territoriales, que ce soit l'environnement, les infrastructures de transport, la prévention des risques, la sécurité routière et maritime, l'urbanisme, la construction, l'habitat, ainsi que les énergies et le climat. Certains de ces champs d'intervention présentent des similitudes avec ceux de l'Agence de la transition écologique (Ademe). Toutefois, le Cerema se distingue par son approche fondée sur l'ingénierie, à l'instar de l'ANCT. Nous souhaitons ainsi mieux comprendre les limites de votre champ d'action et identifier d'éventuels chevauchements avec d'autres agences.
Notre commission d'enquête ne se limite pas à un objectif de réduction du nombre d'agences publiques, elle s'attache avant tout à examiner les marges d'amélioration en matière d'efficacité du service public. À ce titre, nous souhaitons revenir sur la création du Cerema, issue de la fusion de onze services distincts, afin d'évaluer les gains d'efficacité qui en ont résulté ainsi que les défis rencontrés en matière de gestion des ressources humaines.
Par ailleurs, nous nous intéressons à la récente réforme qui a transformé le Cerema en un centre d'expertise partagé entre l'État et les collectivités territoriales. Face à la diversité des donneurs d'ordre, comment sont arbitrées les demandes qui vous sont adressées ? Certains élus ont exprimé des réserves quant à l'accessibilité du Cerema pour les petites communes. Quelle est votre analyse sur ce point ?
Avant de vous laisser la parole, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat, et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Pascal Berteaud prête serment.
M. Pascal Berteaud, directeur général du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). - Le Cerema est issu de la fusion de onze services. Il nous a fallu sept à huit ans pour parvenir à une organisation pleinement opérationnelle. Ce délai aurait pu être réduit d'environ deux ans, mais en aucun cas en deçà de six années.
Nous avons mené un important travail de restructuration. L'État nous avait fixé pour objectif une réduction de 20 % des effectifs au cours du premier quinquennat 2017-2022, ce que nous avons réalisé. Parallèlement, nous avons revu notre organisation et nos missions en nous fondant sur deux critères essentiels : d'une part, l'importance du sujet en matière de politique publique et, d'autre part, la nécessité pour la puissance publique d'en assurer la prise en charge. Nous avons également évalué si le Cerema était la structure de référence sur ces thématiques ou si d'autres entités disposaient d'une expertise plus pertinente. Ce travail a conduit à une rationalisation de notre structure : nous sommes passés de 66 pôles de compétences à 22 secteurs d'activité. Cette restructuration a entraîné la suppression de 350 postes et la modification substantielle de 800 autres. Elle a été déterminante pour assurer la pérennisation du Cerema.
Aujourd'hui, l'établissement exerce trois missions principales : une mission de recherche, d'innovation et de développement méthodologique ; une mission d'accompagnement des services de l'État et des collectivités sur le terrain ; une mission de diffusion des connaissances, consistant à capitaliser et partager le savoir sur l'aménagement. Cette transmission s'opère à travers des bases de données accessibles en ligne, des formations continues et de l'animation de plateformes collaboratives permettant d'échanger avec les professionnels du secteur.
Au final, avec 20 % d'effectifs en moins, nous devons être à 10 % de production en plus.
Depuis mai 2023, grâce à la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale dite « 3DS », le Cerema fonctionne sous un régime de gouvernance partagée. Les collectivités locales peuvent désormais adhérer au Cerema, de la même manière qu'elles le font pour une agence d'urbanisme ou un établissement public local. Le pouvoir décisionnaire est réparti entre deux collèges, représentant respectivement les collectivités territoriales, qui votent à la majorité qualifiée, et l'État, qui conserve un droit de veto. Cette nouvelle organisation a permis une participation significative des collectivités aux instances de décision. Lors des conseils d'administration et des conseils stratégiques, 12 à 13 représentants des collectivités sont systématiquement présents.
Un autre élément clé réside dans le mode de contractualisation. Le Cerema fournit des prestations intégrées dites « in-house » lorsqu'une collectivité territoriale adhérente souhaite recourir à ses services. La contractualisation est alors simplifiée : une discussion préalable permet de définir précisément la prestation et son coût, puis une lettre de commande officialise l'accord, évitant ainsi jusqu'à quatre mois de procédure administrative.
Nous avons plus de 1000 adhérents. À ce jour, toutes les régions, à l'exception de la Corse, sont membres du Cerema. L'établissement compte également 86 départements parmi ses adhérents. Les autres adhésions se répartissent de manière équilibrée entre les intercommunalités (420 adhérentes) et les communes (450 adhérentes).
Ce modèle fonctionne efficacement, notamment grâce à un maillage territorial adapté. Le Cerema est implanté dans 27 villes, dont 4 en Outre-mer et 23 en métropole, une répartition qui correspond globalement aux anciennes régions. À Paris, nous ne disposons que de quelques bureaux dans les locaux de l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN), qui sert de pied-à-terre administratif. L'ensemble des autres collaborateurs sont répartis sur le territoire.
L'activité du Cerema repose avant tout sur l'apport d'une expertise. Notre rôle n'est pas d'intervenir sur des aspects de proximité. Toutefois, pour garantir un échange constructif avec nos experts, une ingénierie territoriale minimale s'avère indispensable. C'est notamment ce qui pose difficulté dans les très petites communes. Lorsqu'une municipalité ne dispose que d'un secrétaire général de mairie présent un jour par semaine, l'intervention d'un expert du Cerema ne produit pas d'effet tangible. C'est pourquoi nous avons privilégié une approche fondée sur les intercommunalités. À partir de 10 000 à 15 000 habitants, une intercommunalité dispose généralement d'un embryon de service technique, permettant une collaboration efficace avec nos équipes.
Le Cerema a pour principe de ne pas entrer en concurrence avec le secteur privé. Au contraire, il entretient des relations de coopération avec les syndicats représentant les bureaux d'études privés, avec lesquels des conventions ont été signées.
La principale difficulté réside dans le niveau de compétence. De nombreux petits bureaux d'études ne disposent pas des capacités techniques nécessaires pour mener à bien des projets complexes. Afin de pallier cette lacune et d'accompagner ces structures dans leur montée en compétence, le Cerema a mis en place des sessions de formation en partenariat avec le syndicat professionnel des bureaux d'études.
Le Cerema regroupe environ 2 500 agents répartis sur 27 sites et dispose d'un budget de 190 millions d'euros. Deux tiers de ce budget proviennent de la dotation de l'État, tandis que le tiers restant est issu de ressources autres, notamment des collectivités, des entreprises et de fonds européens.
L'essentiel des ressources financières est consacré à la masse salariale, car le savoir-faire constitue la principale valeur ajoutée du Cerema. Toutefois, la dotation de l'État demeure inférieure de 10 à 20 millions d'euros aux besoins réels nécessaires à l'exercice optimal des missions de l'établissement.
S'agissant du statut des agents, les fonctionnaires du Cerema sont en position normale d'activité, ce qui signifie que leur carrière est administrée par le ministère de tutelle et non par la direction générale du Cerema.
Le paysage des opérateurs dans le domaine de l'écologie et de l'aménagement est assez diversifié, reflet d'une évolution historique. Chaque opérateur s'est structuré selon des dynamiques propres, ce qui a conduit à des recoupements notables entre le Cerema, l'Ademe et l'ANCT dans notre champ d'intervention. À l'inverse, ces recoupements sont moins marqués avec l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) et l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), qui agissent exclusivement dans le domaine du logement. En revanche, des intersections existent avec la Banque des Territoires, mais celle-ci bénéficie de l'autonomie de la Caisse des Dépôts.
À l'échelle locale, nous avons établi un groupe de travail avec les agences départementales, permettant au Cerema d'intervenir en tant qu'expert de second niveau, tandis qu'elles jouent un rôle d'opérateur de premier niveau. Ce principe est globalement partagé, bien que la principale difficulté réside dans la diversité des pratiques : chaque département ayant développé son propre mode de fonctionnement, l'hétérogénéité demeure un défi majeur.
S'agissant des opérateurs nationaux, la question d'une fusion mérite d'être posée. L'expérience de la création du Cerema, qui résulte de la fusion de onze entités aux statuts homogènes, a démontré que ce type d'intégration nécessite au minimum six à sept ans. Une fusion entre le Cerema, l'Ademe et l'ANCT représenterait un projet d'une tout autre ampleur, s'inscrivant dans une perspective décennale.
Des ajustements immédiats peuvent toutefois être mis en oeuvre. L'Ademe et le Cerema ont mis en place un comité de direction commun, qui se réunit tous les deux mois, afin d'identifier les recoupements de compétences. Ce travail collaboratif nous permet d'affiner nos expertises respectives et de rationaliser nos interventions, en veillant à ce que chaque organisme se concentre sur les missions pour lesquelles il est le plus pertinent. Une démarche similaire a été mise en place avec l'ANCT, par le biais d'un comité commun qui se réunit tous les trois mois. Cette double approche, combinant une vision stratégique à long terme et des ajustements opérationnels immédiats, nous semble être la voie la plus adaptée.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez évoqué la suppression de postes consécutive à la création du Cerema. Les agents concernés relevaient-ils du droit privé ? Comment avez-vous procédé s'agissant du départ des fonctionnaires, sachant que leur réintégration dans d'autres entités publiques constitue malgré tout une charge pour l'État ?
Par ailleurs, pourriez-vous nous expliquer pourquoi l'ensemble des fonctionnaires du Cerema sont maintenus en position normale d'activité, alors que dans d'autres établissements publics, il est courant qu'ils soient placés en détachement sur contrat ? Cette spécificité résulte-t-elle d'une demande formulée lors de la création de l'établissement ou d'un impératif imposé par le contrôleur financier ?
Vous avez également souligné l'importance du rôle des collectivités territoriales au sein du conseil d'administration du Cerema. Dans le comité stratégique, les élus locaux y occupent désormais une place prépondérante. Quel est votre avis sur cette gouvernance et son effet sur le fonctionnement de l'institution ? Pensez-vous que ce modèle pourrait être étendu à l'ensemble des agences travaillant en étroite collaboration avec les collectivités territoriales ?
En vous écoutant, il apparaît que le Cerema a développé un ensemble d'outils d'analyse qui bénéficient également aux entreprises. Ces ressources leur permettent, par exemple, de s'appuyer sur des référentiels techniques pour la construction de pistes cyclables conformes aux normes ou l'aménagement de ronds-points. Ne serait-il pas opportun d'accorder aux entreprises une place plus significative au sein du Cerema ?
Enfin, vous avez mentionné que les ressources du Cerema proviennent pour un tiers des entreprises et des collectivités territoriales. Pouvez-vous préciser sous quelle forme ces financements sont perçus ? Après avoir consulté le catalogue des prestations proposées par le Cerema, j'ai constaté que certains services, notamment les logiciels, sont mis à disposition gratuitement. Cette gratuité résulte-t-elle d'une obligation imposée par le cadre réglementaire de l'État, notamment en matière d'ouverture des données et de partage des ressources ? Envisagez-vous d'accroître vos ressources propres ?
M. Pascal Berteaud. - Le Cerema comptait environ 90 % de fonctionnaires et un nombre relativement restreint de contractuels. Nous avons largement eu recours aux dispositifs prévus par la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique. Ainsi, des départs volontaires ont été organisés pour les agents proches de la retraite, tandis qu'un certain nombre d'entre eux ont été réaffectés au sein de l'administration. L'ensemble des mécanismes offerts par cette réforme a été mobilisé, ce qui a permis d'accompagner cette transition sur une période de plus de deux ans. À ce jour, sur les 350 suppressions de postes prévues, il reste encore cinq ou six situations non résolues liées à des fonctionnaires exprimant un refus catégorique de toute mobilité.
Les onze entités fusionnées relevaient des services centraux, les agents étaient en position normale d'activité. Lors des négociations relatives à la création du Cerema avec les organisations syndicales, la possibilité d'un passage au détachement sur contrat n'était tout simplement pas envisageable. La seule transformation de ces services en établissement public, plutôt qu'en service à compétence nationale, constituait déjà un défi majeur. Un débat plus approfondi sur cette question du détachement devrait être mené à l'avenir.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pour quelle raison vous semble-t-il nécessaire que les fonctionnaires du Cerema soient placés en détachement sur contrat ?
M. Pascal Berteaud. - Cela permet une gestion beaucoup plus souple des effectifs.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Confirmez-vous, en tant que directeur d'établissement, qu'il existe, aujourd'hui encore, une plus grande flexibilité dans la gestion des agents publics en détachement sur contrat par rapport à ceux en position normale d'activité ?
M. Pascal Berteaud. - Oui, sans aucun doute. Il devient, au demeurant, de plus en plus difficile de recruter des experts au sein de la fonction publique. Le taux de rotation des postes au sein du Cerema est de l'ordre de 300 départs par an sur 2 500 emplois, ce qui n'est pas courant dans la fonction publique de l'État mais reste inférieur aux grands bureaux d'étude privés.
Face à ces difficultés, nous avons progressivement élargi notre recherche de compétences, d'abord en recrutant au sein de la fonction publique territoriale, puis en nous tournant vers le secteur privé. Aujourd'hui, nous recrutons de plus en plus de contractuels. Je citerai l'exemple d'un expert en ouvrages d'art chargé du programme national Ponts. Cet ingénieur, profondément attaché au service public, avait initialement fait carrière dans le secteur privé avant de nous rejoindre.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Un fonctionnaire qui rejoint un opérateur public devrait, en principe, pouvoir réintégrer aisément son ministère de tutelle. Vous soulignez l'existence d'un cadre de gestion bien plus souple que ce que l'on pourrait imaginer. Il semble ainsi possible de recruter les meilleurs experts techniques, potentiellement avec une rémunération plus attractive, lorsqu'ils sont en détachement plutôt qu'en position normale d'activité.
M. Pascal Berteaud. - Pour les fonctionnaires en détachement, la question de la rémunération n'est pas l'enjeu principal. Le véritable sujet réside dans le caractère temporaire du détachement, qui ne peut être maintenu indéfiniment.
S'agissant de la gestion de l'établissement avec les collectivités, l'expertise dans certains domaines est rare, et cette rareté implique que nous ne disposons pas des ressources nécessaires pour que les collectivités et l'État puissent, chacun de leur côté, constituer leurs propres viviers d'experts. À titre d'exemple, nous comptons environ 300 spécialistes des ouvrages d'art, dont 20 à 30 experts internationaux de très haut niveau. Si ces spécialistes étaient répartis au niveau régional, cela ne représenterait qu'un ou deux experts par région, ce qui n'est pas suffisant pour assurer un niveau de compétence adéquat. L'expertise et l'ingénierie nécessitent un travail en réseau. C'est sur cette base que repose l'idée du Cerema : un établissement d'expertise de second niveau, avec une mutualisation à l'échelle nationale. Toutefois, une organisation nationale ne signifie pas nécessairement une structure exclusivement étatique. Dans des domaines tels que la mobilité ou les infrastructures, les collectivités territoriales sont pleinement compétentes, ce qui justifie la création d'un établissement partagé.
Nous avons été confrontés à de nombreuses réticences concernant cette organisation inédite, considérée comme difficilement réalisable. Avec le temps, l'idée a gagné en crédibilité et a pu être mise en oeuvre.
Cela suppose une bonne mobilisation des élus, ce qui a été facilité ces dernières années par le recours aux réunions en visioconférence. Aujourd'hui, nous avons généralement un tiers des participants présents physiquement, un tiers en visioconférence et un dernier tiers absent.
Quant à la possibilité de répliquer ce modèle, je suis convaincu qu'il est transposable, dès lors qu'il s'agit d'un domaine où l'État et les collectivités partagent des compétences et des intérêts communs.
Notre collaboration avec les entreprises est particulièrement développée dans le domaine des infrastructures routières, notamment grâce à nos activités de laboratoire, qui présentent un niveau d'expertise avancé. Par ailleurs, nous travaillons également avec le secteur privé dans le cadre de contrats de recherche. En tant qu'institut Carnot, nous bénéficions d'un cadre favorable pour mener diverses initiatives en recherche partenariale. Cependant, selon moi, ce volet demeure encore insuffisamment exploité.
Actuellement, nos recettes issues des prestations aux entreprises s'élèvent à 20 millions d'euros, un montant qui doit être augmenté. Toutefois, la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique, dite loi « Le Maire », exige que toute production financée par des fonds publics soit accessible gratuitement, y compris les logiciels. Cette exigence normative nous contraint à explorer des alternatives, telles que la création de filiales en partenariat avec des acteurs privés, afin de développer de nouvelles sources de financement.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quelle est la différence entre le statut d'adhérent au Cerema et celui d'une collectivité qui ne serait pas adhérente ?
M. Pascal Berteaud. - L'adhésion au Cerema est peu coûteuse : elle s'élève à 2 500 euros pour un département et 2 000 euros pour une agglomération. Les collectivités adhérentes disposent d'un interlocuteur dédié et d'un accès à des webinaires exclusifs. Elles reçoivent en avant-première l'ensemble de nos guides techniques, avec 80 publications chaque année. Elles peuvent également bénéficier d'un diagnostic gratuit sur l'adaptation au changement climatique. Enfin, elles ont la possibilité de commander des études auprès du Cerema. À titre d'exemple, en 2024, nous avons reçu entre 700 et 800 demandes d'études émanant de collectivités territoriales.
M. Hervé Reynaud. - Le Cerema apporte une expertise technique indéniable. Toutefois, vous n'êtes pas le seul acteur à intervenir dans ce domaine. Il y a environ deux ans, vous aviez porté un projet visant à rapprocher, voire à fusionner, le Cerema et l'Ademe. Pouvez-vous préciser comment s'organise aujourd'hui la coordination entre ces différents opérateurs sur le terrain ? Ne serait-il pas pertinent d'envisager un rapprochement plus structuré entre ces différentes entités ?
M. Hervé Maurey. - Il faut reconnaître que vous avez su optimiser vos effectifs tout en améliorant votre productivité, ce qui mérite d'être souligné et fait votre agence un bon élève en la matière.
Lors de la création de l'ANCT, l'idée initiale était de regrouper l'ensemble des structures impliquées dans l'accompagnement des collectivités locales. Cependant, cette réorganisation a finalement été réalisée de manière très partielle. En ce qui concerne le Cerema, les partisans de ce rapprochement avaient fait valoir que votre établissement avait déjà subi une restructuration conséquente, ce qui rendait une fusion immédiate difficile à accepter. Aujourd'hui, vous semblez plus ouvert à cette perspective. Pensez-vous qu'il faille se limiter à un rapprochement entre ces structures ou envisagez-vous une fusion complète entre le Cerema et l'ANCT ?
M. Pascal Berteaud. - La multiplicité des organismes dans notre domaine est le fruit de l'histoire. Afin d'améliorer la coordination entre ces différentes entités, nous avons signé des conventions de coopération avec nos homologues et identifié les points de friction, notamment avec le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et l'Ademe.
Initialement l'Ademe se concentrait sur l'énergie et la réduction des émissions, tandis que le Cerema se consacrerait à l'adaptation, notamment dans le cadre du programme France 2030. Cependant, l'Ademe a progressivement élargi son champ d'intervention à des sujets comme la mobilité piétonne, le vélo et les mobilités douces. Dans son nouveau contrat d'objectifs, l'agence intègre désormais un axe dédié à l'adaptation au changement climatique. Il ne s'agit pas ici de critiquer l'Ademe, mais d'affirmer que si une partition des compétences doit être opérée, elle doit être menée de manière rigoureuse.
Nous sommes convaincus que la solution à moyen terme réside dans une fusion de certaines de ces entités, car leurs missions sont de plus en plus entremêlées. Ce constat s'applique en particulier à l'ANCT, l'Ademe et le Cerema. En revanche, les agences comme l'ANRU et l'ANAH relèvent d'une logique différente, centrée sur le logement. Pour l'ANCT, la question d'un rapprochement avec le Cerema est aujourd'hui beaucoup plus pertinente qu'elle ne l'était à sa création, à une époque où notre structure traversait une période de transition complexe. Désormais, le Cerema est en mesure d'apporter une véritable valeur ajoutée aux missions de l'ANCT, notamment grâce à sa présence territoriale.
Nous estimons que cette évolution est possible, mais elle doit être pensée selon un calendrier précis : que pouvons-nous entreprendre immédiatement ? Quels objectifs fixer pour les cinq ou dix prochaines années ? Nous avons pleinement conscience que cette transformation prendra du temps.
Enfin, vous avez souligné que nous sommes perçus comme un « bon élève », ce dont je me réjouis particulièrement. L'atteinte de ce résultat est en partie due à l'approche adoptée par le gouvernement, qui a privilégié la définition d'un objectif clair de réduction de 20 % des coûts sur l'ensemble du quinquennat, plutôt que l'application d'une diminution progressive et annuelle des effectifs de 3 % à 5 %. L'objectif fixé sur une période déterminée a permis une réflexion approfondie et une réorganisation structurelle, bien plus significatives que ne l'aurait permis une réduction budgétaire annuelle plus modérée.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous plaidons souvent en faveur d'une approche pluriannuelle plutôt qu'une gestion strictement annuelle des budgets. Avez-vous pu mener cette réorganisation précisément parce que vous avez bénéficié de cette pluriannualité ? Concrètement, comment a-t-on pu vous imposer une réduction de 20 % de vos dépenses de fonctionnement alors que le principe de l'annualité budgétaire s'applique ? Cette réduction figurait-elle dans votre contrat d'objectifs et de performance ?
M. Pascal Berteaud. - Nous ne disposions pas de contrat d'objectifs et de moyens à cette époque. La réduction budgétaire n'était pas inscrite dans un cadre formel mais a été très clairement annoncée par le ministre.
Chaque année, la diminution des effectifs a été d'un peu moins de 100 équivalents temps plein (ETP). L'exercice que j'évoquais précédemment s'est articulé autour de deux critères fondamentaux : d'une part, l'importance de l'implication du secteur public sur certaines missions, et d'autre part, notre capacité à les exécuter efficacement. Ce travail d'analyse a été salutaire, bien que difficile. Il nous a permis de recentrer nos actions sur les missions pour lesquelles nous disposions d'une expertise avérée.
Mme Ghislaine Senée. - Vous annoncez un budget de 199 millions d'euros. Quels ont été les gains financiers de la fusion des onze entités ayant conduit à la création du Cerema ?
Ma seconde question porte sur la possibilité d'une fusion entre l'ANCT, l'Ademe et votre établissement. Certes, ces organismes interviennent sur des champs d'action distincts, mais ne pourrait-on pas envisager la mise en place d'un guichet unique afin de simplifier l'accès aux services pour les collectivités et les acteurs territoriaux ? L'ANCT travaille déjà dans cette direction avec le développement du dispositif France Services. Pensez-vous qu'il serait pertinent d'engager une réflexion approfondie sur ce sujet ?
M. Sébastien Fagnen. - Comment le Cerema coordonne-t-il ses actions avec les services déconcentrés de l'État, qu'ils relèvent du niveau régional ou départemental, notamment en matière d'ingénierie publique et d'accompagnement des collectivités territoriales ?
Ces dernières années ont été marquées par une diminution progressive des effectifs et des moyens alloués à ces services, réduisant leur capacité d'intervention. Aussi, pour des raisons budgétaires, la mise en place d'appels à projets s'est progressivement imposée. Toutefois, ce dispositif peut se révéler particulièrement complexe pour les élus locaux, entraînant une certaine frustration.
Dans ce paysage institutionnel, comment concevez-vous aujourd'hui le rôle du Cerema, et le cas échéant d'une entité avec laquelle vous pourriez être amené à fusionner ?
M. Pierre Barros, président. - Je souhaiterais compléter ces questions en vous interrogeant sur la position du président de l'ANCT à l'égard d'une éventuelle fusion. A-t-il déjà eu l'occasion de se prononcer sur cette proposition ?
M. Michaël Weber. - Il convient également d'examiner cette question sous l'angle de l'efficacité : la fusion de l'ensemble des structures constitue-t-elle une garantie d'une amélioration de l'efficacité et d'un accompagnement technique renforcé des collectivités ? Bien que des outils adaptés aient été développés, le principal enjeu en matière d'efficacité demeure la proximité et la mise à disposition d'une ingénierie adaptée aux besoins des territoires.
M. Pascal Berteaud. - Nous avons accru notre production de 10 % tout en réduisant les effectifs de 20 %. Parallèlement, nous avons instauré une comptabilité analytique. Lorsque j'ai rejoint le Cerema il y a sept ans, les recettes externes s'élevaient à environ 20 millions d'euros. Aujourd'hui, elles oscillent entre 70 et 80 millions d'euros, générant ainsi un gain significatif pour l'État, tant en matière d'efficacité que de ressources financières.
Cependant, cette progression est en partie atténuée par l'inflation et les mesures salariales. Le coût de la masse salariale a augmenté de 20 millions d'euros en raison des différentes mesures catégorielles mises en place par le ministère, lesquelles ne font jamais l'objet d'une compensation. Les fonds que nous avons mobilisés auprès des entreprises et des collectivités permettent en grande partie d'absorber ces coûts supplémentaires. Ainsi, depuis cinq ou six ans, ce sont environ 20 millions d'euros qui ont été réaffectés à cette fin.
S'agissant du guichet unique, il convient d'adopter une approche pragmatique. Certaines collectivités sont adhérentes au Cerema et ne sont donc pas concernées par ce dispositif. En collaboration avec l'ANCT, nous avons mis en place un guichet unique relativement simple, qui repose sur le préfet de département. À ce jour, nous n'avons pas identifié de système plus efficace. Nos relations avec les préfets sont excellentes, et nous n'avons pas besoin qu'ils soient formellement désignés comme délégués départementaux ou régionaux. Nos équipes ont pour consigne de les informer en cas d'enjeu majeur, et en cas de désaccord, nous trouvons une solution directement avec eux. Ce principe est fondamental pour nous, car nous ne pouvons ignorer les décisions des préfets.
S'agissant des appels à projets, le Cerema n'a pas vocation, à l'origine, à être un organisme financeur, bien que nous assurions ponctuellement cette fonction dans le cadre du programme national Ponts à destination des collectivités. Notre mission principale consiste à diffuser de l'expertise et des compétences. À cet effet, nous privilégions une approche fondée sur des appels à partenaires. Lorsque nous souhaitons approfondir un sujet afin d'élaborer des méthodologies, nous sollicitons nos mille adhérents pour identifier ceux qui souhaitent s'engager sur leur territoire. En général, nous sélectionnons entre 20 et 30 territoires, ce qui nous permet de progresser efficacement.
Le programme national Ponts est administré selon une logique de guichet, avec des règles précises. Il ne repose pas sur une mise en concurrence des collectivités. Toutefois, compte tenu des ressources disponibles, nous devons prioriser les interventions sur les ouvrages classés en catégorie 4, c'est-à-dire ceux présentant des défaillances critiques.
S'agissant de la réception d'une démarche de fusion par l'ANCT et l'ADEME, je ne formulerai pas de jugement. L'objectif n'est pas de supprimer des fonctions, mais d'améliorer le fonctionnement global. Ce sujet suscite des appréhensions fortes, ce qui est compréhensible.
Monsieur Weber, la question centrale est effectivement celle de l'efficacité. L'enjeu principal réside davantage dans la fluidité des processus et l'harmonisation des points d'entrée sur un même sujet. À l'échelle nationale, ces ajustements peuvent générer des bénéfices significatifs en matière de coordination et de cohérence des actions.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez mentionné la mise en place d'une comptabilité analytique. Dois-je en conclure que les structures fusionnées au sein du Cerema opéraient sans avoir une connaissance précise du coût réel de leurs prestations ? D'une manière générale, toute organisation qui produit des services, dans nos collectivités, met assez naturellement en place un suivi analytique des coûts pour mieux comprendre la nature et la rentabilité de ses activités.
J'aimerais également revenir sur les conditions de la fusion. Le Cerema compte aujourd'hui 27 implantations, dont 23 en métropole et 4 en Outre-mer. Certaines des entités fusionnées en Île-de-France disposaient de multiples sites, parfois dispersés géographiquement. Avez-vous regroupé ces sites en un pôle unique au sein de chaque région ? La réorganisation des implantations peut, par ailleurs, engendrer des temps de trajet plus longs pour certains agents, ce qui peut influencer leur choix de mobilité. Les fonctionnaires qui ont quitté le Cerema l'ont-ils fait parce que leur nouveau site d'affectation était éloigné de leur domicile ? La proximité géographique est souvent invoquée pour justifier le maintien en l'état de certaines structures administratives et freiner toute réforme.
M. Pascal Berteaud. - Dans les années 1980, des dispositifs équivalents à la comptabilité analytique existaient au sein des services techniques de l'État. Toutefois, ces pratiques ont progressivement disparu.
La mise en place d'une comptabilité analytique dans la fonction publique demeure peu courante. Nous avons d'abord instauré un suivi analytique sur certains projets. Lorsqu'un projet est initié, il est doté d'un budget propre, ce qui justifie naturellement l'établissement d'un devis, indispensable pour garantir une gestion efficace. Ce dispositif a été mis en oeuvre de manière progressive sur une période de trois ans. À compter du 1er janvier 2025, nous généralisons cette approche à l'ensemble des activités du Cerema, y compris aux fonctions support.
S'agissant des conditions de la fusion et, plus particulièrement, des regroupements géographiques, notre principal enjeu réside aujourd'hui dans la dispersion de nos infrastructures. Actuellement, nous disposons d'environ 180 bâtiments, soit près du double de ce qui serait réellement nécessaire. De surcroît, la grande majorité d'entre eux sont dans un état lamentable. Nous avons donc adopté, en fin d'année dernière, un schéma directeur immobilier reposant sur un principe clair : concentrer nos activités dans 80 à 90 bâtiments, tandis que les autres sites feront l'objet d'une valorisation, soit par la vente, soit par la mise en location. Toutefois, la direction de l'immobilier de l'État (DIE) et le ministère des Finances imposent que 50 % des recettes issues des ventes immobilières soient affectées à la réduction du déficit public. Par ailleurs, notre ministère de tutelle revendique l'autre moitié de ces fonds. Cette situation nous place dans une impasse : si nous devons engager une restructuration immobilière mais que les fonds générés par la cession des actifs ne peuvent être réinvestis dans notre projet, l'opération devient économiquement inintéressante.
En matière de regroupements immobiliers en Île-de-France, nous avons choisi de maintenir une présence à la fois à l'est et à l'ouest de la région afin de limiter les temps de déplacement des agents. Notre direction territoriale francilienne demeure structurée autour de ces deux pôles.
À l'origine, notre siège était situé à Bron, en périphérie de la métropole lyonnaise, à proximité de l'aéroport. Toutefois, cet emplacement engendrait des contraintes logistiques significatives : se rendre à la gare nécessitait un délai d'une heure et demie à deux heures. Pour remédier à cette situation, nous avons opté pour la location de bureaux au sein d'un hub de transports en commun bien desservi.
Par ailleurs, le développement du télétravail constitue un levier majeur dans notre stratégie immobilière. Certains métiers permettent désormais d'exercer à distance deux jours de la semaine, entraînant une réduction de près de 40 % de l'occupation des locaux.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Aujourd'hui, le Cerema est l'un des derniers opérateurs publics à conserver des missions d'assistance à maîtrise d'ouvrage et, plus encore, de maîtrise d'oeuvre, notamment à travers la réalisation d'études. Quel est votre regard sur l'externalisation progressive de la maîtrise d'oeuvre, qui est désormais majoritairement confiée au secteur privé ? Pensez-vous que cette évolution puisse en partie expliquer le sentiment d'abandon ressenti par certaines collectivités territoriales et contribuer au rejet du modèle de l'agence ?
Il nous est fréquemment rapporté que les dispositifs antérieurs étaient plus efficaces, mais il est difficile d'obtenir des éléments précis sur les évolutions ayant conduit à ce constat. Selon vous, quels sont les principaux changements ayant affecté ce modèle au fil du temps ?
M. Pascal Berteaud. - J'ai eu l'opportunité de débuter ma carrière dans les années 1980 au sein d'une direction départementale de l'équipement (DDE). À l'époque, la DDE de La Réunion était particulièrement structurée et jouait un rôle majeur dans l'accompagnement des collectivités territoriales. L'État leur apportait un soutien technique significatif.
Puis, une nouvelle doctrine a émergé, considérant qu'il n'était pas approprié que les services de l'État soient à la fois juges et parties. Dans cette logique, l'Assistance Technique fournie par les Services de l'État pour des raisons de Solidarité et d'Aménagement du Territoire (ATESAT) a été progressivement réduite, puis supprimée quelques années plus tard. Le résultat est sans appel : depuis la suppression de l'ATESAT, tous les acteurs concernés regrettent son existence. J'ai d'ailleurs interrogé des professionnels du secteur privé à ce sujet. Lorsque l'ATESAT a été supprimée, leur marché n'a pas augmenté, mais diminué. Les collectivités, notamment les plus petites, n'ont, en effet, souvent pas les ressources ni les compétences nécessaires pour monter des dossiers techniques. Sans accompagnement en amont, elles ne sont pas en mesure de solliciter des bureaux d'études ou des entreprises privées. Il est donc évident qu'il faut recréer un dispositif similaire à l'ATESAT. Il ne s'agit pas nécessairement de rétablir ce dispositif au sein des services de l'État, mais d'instaurer un mécanisme qui permette aux collectivités de bénéficier à nouveau d'un appui technique structurant.
L'état actuel des compétences techniques dans les directions départementales des territoires (DDT) est préoccupant. Ces services ont perdu une grande partie de leur expertise. Autrefois, un agent pouvait solliciter son subdivisionnaire pour un problème local. Si la difficulté nécessitait une expertise plus approfondie, un technicien du siège de la DDE était dépêché. Enfin, pour les cas les plus complexes, des experts de renommée étaient mobilisés, capables d'intervenir sur des infrastructures sensibles, même dans des communes rurales de quelques centaines d'habitants. Aujourd'hui, cette organisation n'existe plus, et de nombreuses collectivités se retrouvent isolées, sans appui structuré. Il est donc impératif de recréer un dispositif adapté. Nous observons cette nécessité dans le cadre de la réflexion sur une fusion entre le Cerema et l'Ademe.
L'une des tentatives actuelles pour pallier ce manque consiste à financer des chargés de mission au sein des collectivités, notamment pour des programmes comme Action coeur de ville ou Petites Villes de demain. Nous avons recensé environ 3 000 postes dédiés à ces missions. Cependant, ces recrutements concernent principalement de jeunes diplômés. Parmi eux, seuls les 5 à 10 % les plus performants parviennent à s'adapter et à produire un travail de qualité. Autrefois, un jeune ingénieur ou technicien intégrait une équipe d'une vingtaine de personnes, sous la supervision d'un chef et entouré de collègues expérimentés. Aujourd'hui, ces jeunes se retrouvent livrés à eux-mêmes dans des collectivités parfois dépourvues de tout encadrement technique.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quelles sont les raisons pour lesquelles le Cerema n'a pas pu reprendre le rôle autrefois assuré par les DDE ?
M. Pascal Berteaud. - Le principal facteur réside dans l'échelle d'intervention du Cerema. Nous opérons à une maille régionale, bien que celle-ci corresponde encore aux anciennes régions, et non à une échelle départementale. Le Cerema a repris l'ensemble des missions qui étaient exercées à un niveau supérieur aux DDE, notamment celles des centres techniques d'équipement (CTE). Pour assurer pleinement ces missions, il serait nécessaire de renforcer les effectifs alloués à ces activités.
M. Cédric Vial. - Avec la disparition de l'ATESAT, nous avons constaté non seulement une perte d'ingénierie, mais aussi un changement profond dans la culture de l'État. Autrefois, dans les DDT ou les DDE, l'État jouait un rôle d'accompagnement des collectivités territoriales. Aujourd'hui, il adopte davantage une posture d'instruction et de contrôle. Cette transformation a profondément modifié la relation entre les collectivités et l'État.
Désormais, l'un des principaux défis pour les élus n'est plus seulement la gestion de la complexité administrative, mais aussi la capacité à s'orienter dans un écosystème de plus en plus dense de structures censées les accompagner. Il est d'ailleurs frappant de constater que certaines agences, comme l'Agence de l'eau, financent aujourd'hui les départements pour aider les collectivités à monter des dossiers auprès... de l'Agence de l'eau. Ce système est paradoxal.
Ce changement de culture appelle une réflexion plus large. Si l'on souhaite que l'État retrouve son rôle historique de partenaire des collectivités, et non plus uniquement celui d'une autorité de tutelle, cette mutation est essentielle.
Il ne s'agit pas simplement de disposer d'agents instructeurs chargés de demander des comptes et d'évaluer les dossiers, mais de rétablir une logique de co-construction avec les collectivités. Cette ambition est-elle compatible avec l'organisation actuelle, ou serait-il nécessaire de réintroduire des compétences techniques et de l'ingénierie directement au sein des services de l'État ?
M. Michaël Weber. - Lors de la mise en place de l'ATESAT, certains maires se montraient réticents à l'idée de devoir s'acquitter d'une cotisation pour bénéficier de ce dispositif. Pourtant, avec le recul, cette contribution financière apparaît relativement modeste en comparaison des sommes que les collectivités versent aujourd'hui, que ce soit aux bureaux d'études privés ou aux conseils départementaux. À ce titre, quel regard portez-vous sur les agences techniques départementales ? Vous disposez sans doute d'une vision globale, qui peut varier selon les départements. Comment évaluez-vous leur efficacité et la qualité des services qu'elles offrent aux collectivités ?
M. Pascal Berteaud. - J'ai débuté ma carrière dans les années 1980, à une époque où, en tant que chef de service au sein d'une DDE, les missions des agents combinaient à la fois la maîtrise d'oeuvre pour les collectivités et l'application des réglementations en vigueur. Ce modèle, selon moi, fonctionnait plutôt bien, car les agents conservaient une approche pragmatique : ayant été confrontés à des problématiques techniques sur le terrain, ils faisaient preuve d'une certaine mesure dans l'application des règles. À l'inverse, lorsqu'ils travaillaient aux côtés des collectivités, ils tenaient compte des exigences réglementaires qu'ils contribuaient à définir.
Cependant, à partir des années 1990, une évolution doctrinale a conduit à une remise en cause de cette double compétence. Il a été estimé que la coexistence de ces missions pouvait générer une confusion des rôles, voire un conflit d'intérêts, aboutissant à un recentrage exclusif des agents sur les aspects réglementaires.
Cette transformation a eu pour effet la disparition progressive des ingénieurs et des experts techniques au sein des administrations. Si certaines directions départementales des territoires, notamment les plus importantes, disposent encore de quelques compétences techniques, beaucoup en sont aujourd'hui totalement dépourvues.
Ce phénomène ne concerne pas uniquement les services de l'État, mais touche également les collectivités territoriales, notamment les conseils départementaux. Lors du transfert des compétences routières, un certain nombre d'ingénieurs et de techniciens ont été intégrés aux services départementaux. Toutefois, ces personnels atteignant aujourd'hui l'âge de la retraite, une tendance préoccupante se dessine : au lieu de recruter de nouveaux ingénieurs ou techniciens pour assurer la continuité de l'expertise, les collectivités privilégient majoritairement l'embauche de personnel administratif.
Cette évolution soulève des interrogations quant à la place du savoir technique dans l'élaboration et la mise en oeuvre des politiques publiques. Il s'agit d'une question qui me tient particulièrement à coeur et qui dépasse largement le cadre du Cerema. Nous évoluons dans un monde de plus en plus complexe sur le plan technique et technologique. Paradoxalement, la présence d'ingénieurs et de techniciens au sein de l'appareil d'État ne cesse de diminuer. Cette contradiction interpelle.
En ce qui concerne la multiplication des agences et la difficulté pour les élus locaux de s'y retrouver, il serait malvenu de porter un jugement définitif, car nous ne subissons pas directement cette complexité. Il serait aisé d'affirmer que l'organisation est parfaitement lisible, car nous en maîtrisons les rouages.
Je suis convaincu que le rôle du préfet est central dans l'organisation de l'ingénierie territoriale. Il devrait pouvoir assurer un rôle de coordination et être en mesure d'orienter une collectivité vers l'organisme compétent. Or, force est de constater que ce n'est pas le mode de fonctionnement actuellement en vigueur.
Une solution envisageable consisterait à constituer, autour du préfet, une équipe technique dédiée, capable d'assurer les missions autrefois confiées à l'ATESAT. Depuis quinze ans, de nombreux acteurs regrettent la suppression de l'ATESAT, et pourtant, aucune alternative réellement structurée n'a été mise en place pour combler ce manque. Il est temps de reconnaître collectivement que cette suppression a constitué une erreur et qu'il est nécessaire de recréer, sous une forme adaptée aux enjeux actuels, un dispositif similaire. À titre de comparaison, avant sa suppression, l'ATESAT mobilisait environ 4 000 ETP. Aujourd'hui, les chargés de mission recrutés directement par les collectivités représentent plus de 3 000 ETP. L'écart entre ces deux volumes est donc relativement faible. Si l'on rétablissait une ingénierie de proximité inspirée du modèle de l'ATESAT dans environ 70 départements, avec des équipes d'une vingtaine de personnes, cela représenterait 1500 ETP.
Concernant les agences techniques départementales, elles présentent une forte hétérogénéité. En Haute-Garonne, par exemple, l'agence technique départementale regroupe plus de 100 agents et propose un large éventail de services aux collectivités. Toutefois, cette capacité varie fortement d'un département à l'autre : certaines agences techniques départementales disposent de moyens beaucoup plus réduits, tandis que d'autres n'existent tout simplement pas.
Une autre difficulté, de nature plus politique, réside dans les relations entre les collectivités et les conseils départementaux. Par le passé, les maires pouvaient s'adresser directement à l'État, notamment via les directions départementales de l'équipement ou les directions départementales de l'agriculture, qui étaient perçues comme des interlocuteurs neutres. Aujourd'hui, certaines petites communes hésitent à solliciter leur conseil départemental, ce qui complexifie encore davantage l'accès à l'ingénierie territoriale.
Afin de répondre à ces enjeux, nous avons mis en place un groupe de travail réunissant plusieurs agences techniques départementales dans le but d'identifier les synergies possibles et de renforcer la coopération entre ces structures. Ce travail devrait aboutir, d'ici un mois, à une série de propositions qui seront soumises à l'Assemblée des Départements de France.
M. Cédric Vial. - Vous avez évoqué une piste intéressante en suggérant la création d'une structure au sein des services de l'État, inspirée de l'ATESAT, mais repensée pour répondre aux enjeux actuels. Une telle initiative nécessiterait de réinternaliser certaines compétences. Aussi, si une telle structure devait être créée, cela impliquerait-il de mobiliser les effectifs de votre agence ou ceux d'autres structures ?
M. Pascal Berteaud. - Une partie des effectifs proviendrait sans doute du réseau actuel du ministère de l'Écologie, anciennement ministère de l'Équipement.
Si des équipes d'ingénierie étaient réimplantées dans les départements, il serait possible de trouver et recruter les profils adéquats. Lorsqu'un ingénieur est formé, sa motivation première réside dans la conception et la réalisation de projets techniques, et non dans l'instruction de dossiers purement réglementaires. Je parle d'expérience, je suis moi-même ingénieur. Les professionnels que nous recrutons sont animés par cette même passion pour l'ingénierie et la construction.
En pratique, nous recrutons un nombre significatif de jeunes diplômés en sortie d'école. Il est courant qu'après cinq années d'expérience, ils évoluent vers d'autres structures. Toutefois, nous observons également qu'au bout de 10 à 15 ans, beaucoup d'entre eux reviennent dans nos services, cette fois sur des postes à plus haute responsabilité.
Notons également que les services de l'État jouaient également auparavant un rôle de redistribution financière. Aujourd'hui, les canaux de financement sont multiples, ce qui complique encore davantage l'accès aux ressources pour les collectivités.
M. Pierre Barros, président. - Il y a 35 ans, l'externalisation des compétences avait été pensée dans l'objectif d'ouvrir le marché à la concurrence. Certains agents ont constitué leur propre bureau d'études privé et ont su tirer profit de ce modèle. Ce retour vers une ingénierie publique questionne donc les orientations politiques qui ont été prises à l'époque. Sommes-nous aujourd'hui en mesure d'opérer un retour en arrière et de réintégrer ce type de service au sein de l'État ?
M. Pascal Berteaud. - Dans nos échanges avec Cinov Ingénierie et la fédération Syntec, les principaux syndicats représentant les bureaux d'études, il ressort que le marché n'a pas réellement progressé. En réalité, de nombreuses collectivités se retrouvent isolées, sans interlocuteur compétent pour les aider à formaliser leurs besoins. Or, sans cahier des charges précis, il leur est impossible de solliciter un bureau d'études.
Notre intervention se situe donc principalement en amont du processus. Lorsque les collectivités ne disposent pas d'une vision claire de leur projet, nous les accompagnons dans leur réflexion. En ce sens, nous jouons un rôle d'assistance à la maîtrise d'ouvrage.
Notre rôle tend également à s'étendre à l'aval du processus. Les collectivités nous sollicitent fréquemment pour bénéficier de notre regard sur les prestations proposées par le secteur privé. Dans ce cadre, nous intervenons en tant que tiers de confiance, aux côtés des collectivités, afin d'évaluer le travail réalisé par les bureaux d'études et les entreprises.
M. Pierre Barros, président. - Nous vous remercions pour votre venue et vos propos, Monsieur le directeur général.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 55.
Jeudi 20 mars 2025
- Présidence de Pierre Barros, président -
La réunion est ouverte à 10 h 40.
Audition de MM. Christophe Bouillon, président du conseil d'administration, et Stanislas Bourron, directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) (sera publié ultérieurement)
Le compte rendu sera publié ultérieurement.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion, suspendue à 12 h 20, est reprise à 14 h 10.
Audition de Mme Caroline Semaille, directrice générale de l'Agence nationale de santé publique (Santé Publique France)(sera publié ultérieurement)
Le compte rendu sera publié ultérieurement.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de MM. Lionel Collet, président de la Haute Autorité de santé (HAS), Jean Lessi, directeur général, et Mme Catherine Paugam Burtz, directrice générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)(sera publié ultérieurement)
Le compte rendu sera publié ultérieurement.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 16 h 55.