Mardi 11 mars 2025

- Présidence de Pierre Barros, président -

La réunion est ouverte à 14 h 35.

Audition de M. Samuel Tual, vice-président du Mouvement des entreprises de France (Medef)

M. Pierre Barros, président. - Notre commission d'enquête procédera cette semaine, et avant d'entamer une série d'auditions thématiques regroupées par politiques publiques, à des auditions transversales, afin de bénéficier du point de vue de différents acteurs : entreprises, syndicats de la fonction publique, secrétaire générale du Gouvernement. Le Mouvement des entreprises de France (Medef) est représenté par son vice-président, M. Samuel Tual. D'autres organisations représentatives des entreprises alimenteront nos travaux au moyen de contributions écrites.

Si notre commission d'enquête est née des débats sur la place et le rôle des agences, il convient en revanche d'éviter une approche schématique sur le coût brut de ces dernières : les supprimer ne produirait pas magiquement des économies. La première question est celle de l'organisation de l'État. Ce dernier a cherché, à compter des années 1980, à se recentrer sur un rôle de stratège pour certaines politiques publiques, sur un rôle de stratège en délégant à des agences la mise en oeuvre de ces politiques.

Les entreprises entretiennent de nombreux rapports avec l'État et ses agences, avec les marchés ou aides publiques et via leur participation à l'élaboration de normes. Votre point de vue sur la multiplication des agences au cours des dernières décennies nous sera utile : ces dernières permettent-elles à une entreprise d'identifier plus facilement un interlocuteur dans l'administration, ou participent-elles au contraire à un éclatement des compétences qui rendrait toute concertation plus difficile ?

Monsieur Tual, votre mouvement est intervenu le 14 février dernier afin que le Gouvernement renonce au projet de fusion entre Atout France et Business France, en plaidant pour le maintien d'un pilotage partagé entre l'État et les entreprises au sein d'Atout France. Or, au cours de l'une des auditions de Madame le rapporteur Christine Lavarde, les centres techniques industriels (CTI) ont plaidé pour ce même mode de gouvernance, qui s'applique également à eux mais sous une forme différente. Quels sont les avantages de ce mode de pilotage des agences ou organismes para-publics ?

Avant de laisser la parole à M. Tual pour un propos introductif, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié. Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Samuel Tual prête serment.

M. Samuel Tual, vice-président du Mouvement des entreprises de France (Medef). - Cette audition s'inscrit dans un contexte particulier : celui d'un pays qui connaît actuellement une croissance faible, de nombreuses défaillances d'entreprises et les destructions d'emplois qu'elles emportent. Le monde économique souffre en outre d'un manque de visibilité et d'une grande instabilité, aux niveaux national et international.

Les entreprises créent la richesse. Elles financent notre modèle social, investissent, innovent et financent les transitions. La question est de savoir si les agences et les opérateurs encouragent, facilitent, aident ou au contraire empêchent, contraignent et sanctionnent. Elle est de savoir s'ils contribuent à la lisibilité des politiques publiques ou s'ils complexifient et démantèlent l'action publique.

Le Medef est attaché à une croissance responsable. Cette dernière doit prendre en compte des enjeux d'attractivité du pays ainsi que de compétitivité pour les entreprises. De notre point de vue, le budget pour l'année 2025, portant 13 milliards de fiscalité supplémentaires sur les entreprises françaises, pénalise celles-ci, qu'il s'agisse des très petites entreprises (TPE) ou de grandes entreprises, mais également l'emploi. Il représente une menace pour l'attractivité de la France, notamment en remettant en cause l'alignement de la fiscalité sur l'industrie sur la moyenne européenne. Parmi les signaux négatifs, nous identifions notamment la surtaxe de l'impôt sur les sociétés, estimée à 8 milliards d'euros, aboutissant à un taux d'impôt sur les sociétés qui s'élève à plus de 35 %, ainsi que la suspension de la baisse de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).

Le Medef estime que l'ajustement budgétaire doit plutôt et avant tout porter sur la baisse des dépenses publiques, qui représentent 57 % du produit intérieur brut (PIB), et du déficit budgétaire de la France, qui devrait dépasser 6 % du PIB en 2024. L'accroissement de l'endettement public, qui atteint 113 % du PIB soit plus de 3 000 milliards d'euros, nous inquiète. Depuis 1997, année de référence pour valider l'entrée en zone euro, la dette française a augmenté de 50 points de PIB, contre 15 points de PIB en moyenne en Europe.

Ainsi, la rationalisation des dépenses de l'État est un gisement inépuisable d'économie et d'efficience en matière d'action publique. Un État mieux géré est un État par nature moins coûteux. Comment le pays qui aujourd'hui est le plus dépensier au monde peut-il manquer de moyens dans ses services publics ? L'accroissement continu des budgets alloués aux services publics a eu pour effet, selon nous, de les exonérer d'efforts de gestion. Les comparaisons internationales nous montrent que nous leur accordons davantage de moyens que dans d'autres pays, alors que nous obtenons en contrepartie de moins bons résultats. L'exemple le plus parlant est peut-être celui de la santé. La France se situe au troisième rang, sur 49 pays, en matière de dépenses de santé rapportées au PIB. Elle est pourtant confrontée à des problèmes d'urgences saturées, de déserts médicaux, de pénuries de médecins spécialisés, et de crises chroniques de l'hôpital. Nous ne sommes enfin qu'au onzième rang en matière d'espérance de vie.

Cette commission d'enquête cible un sujet qui nous apparaît fondamental : la question du rôle du fonctionnement et du coût des opérateurs de l'État. Il y a urgence à trouver les voies et moyens visant à diminuer la dépense publique et renforcer l'efficience de l'action publique. S'agissant du nombre d'agences, nous comptons aujourd'hui 103 agences autonomes et 434 opérateurs, contre 649 en 2008. En parallèle, nous constatons une augmentation des coûts de plus de 60 % en 6 ans, passant de 51 milliards d'euros à 80 milliards d'euros en 2024. Il y a également 317 organismes consultatifs, les comités dits « Théodule », qui rendent des avis pour un coût de 34 millions d'euros. Certes, les opérateurs sont moins nombreux aujourd'hui, mais les budgets qui leur sont alloués augmentent, les budgets de fonctionnement, en particulier, mais également la dépense d'intervention. Face à de telles évolutions, il est légitime de se poser la question de l'utilité de ces opérateurs, et d'identifier d'éventuels doublons.

L'attribution à des agences de nombreuses missions contribue aujourd'hui à un démembrement progressif de l'État. Cette dynamique affaiblit le fonctionnement et la crédibilité de ce dernier. Elle génère une forme d'émiettement des responsabilités. Les entreprises sont confrontées à la multiplicité des acteurs étatiques, dans un contexte où les guides et lignes directrices se multiplient. Pour ces raisons, nous estimons nécessaire un signal politique fort, visant à démontrer que les opérateurs contribuent réellement à l'effort de baisse des dépenses publiques et à clarifier le maquis des structures publiques qui gravitent autour de l'État.

En matière de simplification, les entreprises attendent plus de visibilité, moins de reporting, et plus de souplesse. La simplification est au coeur des attentes des entreprises, qui doivent aujourd'hui jongler entre de multiples difficultés : délais administratifs importants, notamment en matière industrielle et d'urbanisme, redondance des informations demandées en matière d'obligations relatives à la communication de données, manque de clarté dans les textes et difficultés d'identification du bon interlocuteur au sein de l'administration. 74 % des entrepreneurs estiment que cette complexité est chronophage, et représente un coût financier important. La moitié d'entre eux déclarent faire appel à des prestataires de services pour interagir avec les différentes entités publiques. Les entreprises consacrent en moyenne 8 heures par semaine aux tâches administratives, plutôt qu'à leur coeur de métier. Cette complexité a un coût, estimé à 80 milliards d'euros.

Le double système administration traditionnelle-agences crée beaucoup d'incertitudes autour des politiques et des décisions publiques. Il apparaît en définitive structurellement plus coûteux que la gestion administrative classique, et provoque une dilution de la responsabilité publique. Nous en trouvons un exemple une fois de plus en matière de santé, en particulier pendant la pandémie de Covid-19. Qui était en responsabilité lorsque la question du manque de tests, de masques et de médicaments s'est posée : la direction générale de la santé (DGS), le ministère, le conseil scientifique, Santé Publique France, la Haute Autorité de santé (HAS), le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), la Conférence nationale de la santé (CNS), le Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale, ou l'Agence régionale de santé (ARS) ?

La régulation par l'État du coût des agences fait défaut. Chacune d'entre elles, après leur installation, détient son propre budget de fonctionnement, sa propre gestion de ressources humaines et sa propre comptabilité, ce qui renchérit énormément leur coût marginal, en particulier pour les plus petites. En outre, selon la Cour des comptes, seules 21 % d'entre elles ont conclu un contrat de performance.

Ce système favorise enfin l'inflation normative et nourrit la complexité administrative, puisque chacune de ces agences définit les règles et les notices de leur plan d'action et demande aux entreprises de s'identifier en complétant divers documents.

En conclusion, il y a un enjeu d'économies budgétaires, d'efficience de l'action, de création de normes et de lisibilité pour les entreprises. Quand une entreprise veut investir, il lui faut savoir à qui s'adresser.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pouvez-vous préciser ce qui vous apparaît problématique en matière de coût des agences et opérateurs ? Avez-vous le sentiment que les huit heures consacrées chaque semaine par les entreprises aux tâches administratives seraient diminuées si toutes les agences étaient supprimées au profit de services administratifs classiques tels que les préfectures ? Enfin, pouvez-vous illustrer le fait que les agences contribuent à l'inflation normative ?

M. Samuel Tual. - C'est le coût de fonctionnement des agences qui nous apparaît, en particulier, problématique. Si le coût des structures les plus importantes peut se justifier, la gestion administrative des plus petites, et la dispersion des moyens que cela implique, fait défaut. Nous soulignons à ce titre l'importance des contrats de performance, mentionnés par la Cour des comptes, afin de pouvoir régulièrement réinterroger les moyens déployés pour le financement de ces structures vis-à-vis de leur utilité et de leur champ d'action.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous pouvons distinguer trois blocs de dépenses : les crédits d'intervention ; les dépenses de ressources humaines, qui subsisteraient en dépit de la suppression de l'agence dès lors que la politique d'intervention est maintenue ; et les dépenses de fonctionnement pur de la structure. Ces dépenses de fonctionnement peuvent être faibles, au regard des missions assignées à certaines agences, notamment en matière de soutien public aux entreprises. Que les bureaux appartiennent à l'agence ou au ministère, il faut bien les payer. Pouvez-vous aller plus loin et nous citer une intervention publique qui n'aurait pas lieu d'être, ce qui permettrait de supprimer à la fois les crédits d'intervention et les dépenses de fonctionnement afférents ?

M. Samuel Tual. - En ce qui concerne la question des coûts, nous constatons que, bien que le nombre d'agences ait diminué, les coûts des opérateurs ont, quant à eux, augmenté de plus de 60 % en dix ans.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Il s'agit ici des coûts liés aux crédits d'intervention. Nous souhaiterions toutefois nous concentrer sur le coût intrinsèque lié à l'existence même d'une agence : par exemple, les agents coûtent-ils plus cher en agence que dans l'administration centrale ?

M. Samuel Tual. - Nous ne remettons nullement en question la légitimité des crédits d'intervention, qui s'inscrivent dans le cadre de politiques publiques visant à accompagner les projets. La difficulté majeure réside cependant dans la prolifération des dispositifs mis en place par différentes agences, avec des missions parfois mal définies et des chevauchements entre organismes. Cette situation complexifie les démarches et entrave la mise en oeuvre efficace des crédits d'intervention.

À titre d'exemple, le budget des agences de l'eau, dont la gouvernance est bien structurée et au sein desquelles le Medef est impliqué, demeure partiellement inutilisé chaque année. Cela s'explique notamment par le manque d'information des entreprises sur les aides auxquelles elles peuvent prétendre.

Nous constatons un déficit de lisibilité des dispositifs existants. Certaines agences, à l'instar de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), proposent jusqu'à 115 dispositifs, portant des financements variables. Une simplification est nécessaire afin de rationaliser leur utilisation et de mieux orienter les financements vers des investissements structurants. L'organisation actuelle génère une complexité qui nuit à l'efficacité du dispositif.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Cet ensemble de 115 dispositifs résulte-t-il de l'existence même de l'Ademe ou plutôt de l'organisation de l'État ? L'Ademe agit en effet en tant que délégataire de crédits pour le compte de plusieurs ministères, chacun appliquant sa propre logique. Si la seconde hypothèse prévaut, alors la suppression de l'Ademe ne changerait pas le nombre de dispositifs, ceux-ci seraient simplement portés par d'autres acteurs.

Il est essentiel de distinguer ce qui relève de la complexité inhérente à l'organisation de l'État et ce qui découle du fait que ces dispositifs soient gérés par une agence spécifique. Si vous estimez qu'un recentrage de l'ensemble de ces actions au sein des ministères permettrait un meilleur fonctionnement ou que certaines missions de ces agences pourraient être confiées à d'autres collectivités, nous aimerions disposer d'exemples concrets des sources de complexité que vous identifiez.

Vous mentionnez le fait que le budget de l'Agence de l'eau n'est pas intégralement consommé en raison d'un manque d'information des entreprises sur les dispositifs d'accompagnement disponibles. Est-ce réellement la conséquence d'une communication insuffisante de la part des agences ? Ne pouvez-vous pas transmettre vous-même l'information ? Cette situation illustre, le cas échéant, la nécessité de proposer des solutions pour rendre l'action publique plus efficace.

M. Samuel Tual. - Le Medef ne plaide pas pour la suppression de l'Ademe, malgré l'existence de ses 115 dispositifs. L'agence a su trouver sa place dans le paysage institutionnel. Notre collaboration avec elle permet une meilleure compréhension de ses missions et de ses capacités d'action. Ce n'est donc pas le fonctionnement de l'Ademe qui pose problème en soi, mais bien la complexité liée à la diversité des aides et interventions proposées.

À cet égard, nous observons que la présence des acteurs économiques au sein des conseils d'administration et des instances de gouvernance des agences contribue à un meilleur ancrage territorial et à une mise en oeuvre responsable des projets, sans entraver ni pénaliser les entreprises. Il nous semble donc essentiel de renforcer le rôle du Medef aux côtés de ces organismes.

Notre organisation propose également de regrouper des structures aux missions similaires, d'en décentraliser ou privatiser certaines, et d'en supprimer d'autres.

Concernant les fusions, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et l'Ademe interviennent tous dans le domaine de la transition écologique, ce qui soulève des questions sur la répartition de leurs compétences. Par ailleurs, certaines de ces agences cumulent des missions aux natures distinctes, allant du conseil à la régulation, voire à la sanction. Cette polyvalence peut engendrer des risques de conflits d'intérêts et nuire à la cohérence ainsi qu'à la lisibilité de leur action.

Un constat similaire s'applique à l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) et à FranceAgriMer, qui opèrent sur des champs d'intervention communs. De même, dans le domaine spatial, plusieurs structures, dont l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA), l'Institut supérieur de l'aéronautique et de l'espace (ISAE-Supaéro), le musée de l'Air et de l'Espace, le Centre national d'études spatiales (CNES), présentent des périmètres d'intervention proches.

Enfin, s'agissant des efforts budgétaires, rappelons qu'une réduction progressive de 4 % par an pendant cinq ans des dotations de l'État aux opérateurs publics permettrait de générer une économie de 8 milliards d'euros, soit l'équivalent de la surtaxe sur l'impôt sur les sociétés demandée aux entreprises par le gouvernement.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Une réduction de 4 % des dotations de l'État reviendrait à supprimer des politiques publiques qui bénéficient directement au tissu économique local, comme le Fonds chaleur ou le Fonds économie circulaire. Cela nous ramène à la distinction entre le budget de fonctionnement et les politiques publiques elles-mêmes. Ne risque-t-on pas de générer des effets de bord préjudiciables à l'activité économique en imposant une diminution franche du budget des opérateurs ? Pensez-vous que le secteur privé serait en mesure d'assumer ces missions de manière plus efficace et autonome ?

M. Christian Bilhac. - En effet, ne redoutez-vous pas qu'un rabot de 4 % affecte principalement les crédits d'intervention, tandis que les dépenses administratives demeurent inchangées ?

M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. - Nous partageons tous la volonté d'identifier et de supprimer les agences et politiques publiques obsolètes ou inefficaces. Mon propos n'est pourtant pas de tenir un discours général sur le coût des agences, qui, lorsqu'on analyse les chiffres, se révèle infondé.

Concernant le rapprochement entre Business France et Atout France, auquel vous vous étiez pourtant opposé, j'aimerais disposer d'éléments concrets permettant d'orienter utilement notre réflexion. Plus précisément, dans le domaine économique, pourriez-vous citer des agences dont la suppression vous semblerait prioritaire, faute d'une réelle valeur ajoutée ?

M. Samuel Tual. - Concernant la réduction budgétaire de 4 %, il existe effectivement un risque que l'effort porte essentiellement sur les crédits d'intervention, par souci de facilité, plutôt que sur les dépenses structurelles. Il est toutefois aujourd'hui nécessaire d'engager un effort budgétaire ciblé.

Il est également impératif de revoir les doublons et chevauchements entre les différentes agences, tant sur leurs missions que sur leurs domaines d'intervention. J'ai déjà cité plusieurs exemples d'agences intervenant sur des champs de compétence similaires. L'objectif n'est pas tant de supprimer que de rapprocher ces structures afin de réaliser des économies de fonctionnement et d'améliorer leur lisibilité.

Un autre point majeur concerne l'articulation avec les services de l'État dans les territoires et les compétences attribuées aux collectivités. En matière d'urbanisme, par exemple, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) et la direction départementale des territoires (DDT) interviennent sur des problématiques similaires, ce qui peut être source de confusion pour les entrepreneurs. En tant qu'ancien président du Medef régional des Pays-de-la-Loire, j'ai pu constater que le représentant de l'État perd parfois le contrôle sur certaines agences, parce qu'elles sont autonomes ou rattachées directement à l'administration centrale. Lorsqu'il s'agit de prendre des décisions stratégiques, il y a un véritable flou quant à la répartition des responsabilités. Le préfet doit être en mesure d'arbitrer les blocages éventuels et de s'assurer du bon déploiement des politiques publiques sur son territoire.

À l'origine, chaque agence a été créée pour répondre à un besoin précis, mais l'accumulation progressive de nouvelles entités a conduit à un empilement administratif. Nous devons éviter la multiplication de structures qui échappent à tout contrôle.

Nous entretenons, à titre d'exemple, d'excellentes relations avec l'Office français de la biodiversité (OFB) au niveau national, mais la complexité réside dans la gestion locale. La présence de 1 700 agents chargés des contrôles et des sanctions soulève des questions quant à l'harmonisation de leurs actions avec la réalité économique des territoires.

La tentation est grande de transférer certaines missions aux collectivités, mais nous émettons des réserves sur ce point. Les missions de l'État doivent rester clairement identifiées et ne pas être diluées. Les collectivités ont leurs propres compétences, et nous sommes attachés au principe d'une gouvernance quadripartite associant l'État, les collectivités, les organisations syndicales et patronales pour garantir une gestion cohérente des territoires.

Certaines agences pourraient sortir du giron public. Nous estimons que la privatisation de certaines structures, telles que l'Institut français du cheval et de l'équitation (IFCE), l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), Météo France et le Laboratoire national de métrologie et d'essais (LNE), permettrait de réaliser jusqu'à 4 milliards d'euros d'économies.

Enfin, il faut rappeler que le projet Cap 22, lancé en 2018 par le gouvernement, visait précisément à moderniser l'action publique et à éviter les dépenses inutiles. Ce plan, qui prévoyait 20 milliards d'euros d'économies, n'a jamais été appliqué. Votre audition aujourd'hui s'inscrit pleinement dans la continuité de cette réflexion sur la rationalisation des politiques publiques.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'ai moi-même été membre de Cap 2022, ce projet n'a toutefois jamais été voté. Aujourd'hui, nous repartons de zéro, car les propositions de l'époque ne sont plus directement applicables.

Vous semblez privilégier un modèle où l'accès à certains services serait payant, comme dans l'exemple de Météo France. Or, certains établissements publics, comme l''Institut national de l'information géographique et forestière (IGN), fonctionnent avec des fonds publics et mettent gratuitement à disposition des données cartographiques. Ce modèle rencontre aujourd'hui des difficultés financières, notamment avec la politique de l'open data, qui remet en question sa soutenabilité économique.

Si demain cet opérateur venait à être privatisé, les citoyens et les entreprises devraient s'acquitter d'un coût pour accéder aux services de cartographie. Souhaitez-vous privilégier un modèle fondé sur le paiement à l'usage, où chacun paierait pour les services dont il a besoin, plutôt qu'un système socialisé, où l'État finance et met ces services à disposition pour tous ?

M. Samuel Tual. - Je ne suis pas certain que l'exemple de Météo France soit le plus pertinent. Aujourd'hui, bien que ce service soit public, il ne dispense pas les acteurs économiques d'acheter des données auprès d'opérateurs privés. Actuellement, les données météorologiques américaines sont souvent considérées comme plus fiables, car leur méthode de captation diffère de la nôtre. Les données françaises sont accessibles gratuitement, mais la qualité n'en est pas moins perfectible.

M. Hervé Maurey- Je souhaite revenir sur le cas de l'Ademe. Il s'agit d'une structure utile à vos yeux, qui coexiste avec de nombreuses autres structures également jugées utiles. Or, cette prolifération entraîne une complexité administrative ainsi que des coûts supplémentaires.

Si l'on suit votre raisonnement jusqu'au bout, que doit-on en conclure ? Faut-il envisager la suppression de l'Ademe, bien qu'elle soit reconnue pour son rôle ? Doit-on remettre en question les services de l'État, alors même que vous déplorez la perte de contrôle du préfet ? Faut-il revenir sur la décentralisation et les compétences des régions ? Nous faisons tous le constat d'un empilement administratif, où le nombre d'intervenants autour d'une table pourrait être divisé par deux. Mais au-delà de ce constat, quelle solution proposez-vous ?

M. Samuel Tual. - Nous participons activement à la gouvernance de l'Ademe, et nous reconnaissons que son action, notamment en matière de pédagogie auprès des acteurs économiques, a été particulièrement bien menée. Il serait regrettable de revenir en arrière. La suppression de l'Ademe n'est pas une option, mais il est nécessaire de renforcer et clarifier ses missions afin d'éviter que d'autres structures de l'État ne traitent de sujets similaires.

M. Hervé Maurey- La difficulté vient du fait que, même si l'Ademe accomplit correctement sa mission, les dossiers qu'elle instruit doivent souvent être validés par les services de l'État et de la région. Ce morcellement administratif suggère qu'il existe des marges d'économie substantielles à explorer.

M. Samuel Tual - Il est en effet nécessaire de procéder à un détourage précis des missions de chaque entité pour éviter les redondances. L'usage du contrat de performance pourrait être renforcé pour permettre une évaluation plus rigoureuse des politiques menées.

Mme Solanges Nadille. - Vous avez évoqué des disparités territoriales. Pourriez-vous préciser ce que vous entendez par cette expression, par rapport aux agences ?

M. Samuel Tual. - Le défi de la décentralisation réside dans l'identification des moyens permettant d'assurer une application homogène d'une politique nationale sur l'ensemble du territoire. Nous plaidons pour la désignation d'un référent territorial chargé de garantir l'unité d'action et d'éviter des interprétations divergentes des orientations nationales.

Un exemple concret est celui de l'OFB, où certaines antennes locales bénéficient d'une forte autonomie. Dans certains cas, elles s'écartent du cadre des politiques publiques, adoptant des postures discutables qui fragilisent la lisibilité de l'action publique sur le terrain.

M. Pierre Barros, président. - Quelle est votre position concernant Atout France et Business France ?

M. Samuel Tual. - Ce sont deux structures aux missions essentielles, mais elles répondent à des logiques distinctes. Nous ne sommes pas favorables à une fusion, cela risquerait de fragiliser leur action et de réduire leur efficacité respective.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Avez-vous des pistes d'amélioration pour optimiser leur accompagnement des entreprises à l'étranger ?

M. Samuel Tual. - Il s'agit ici d'assurer la complémentarité des interventions en fonction des types d'entreprises et des secteurs d'activité. L'objectif n'est pas de réduire les actions menées, mais de mieux coordonner les efforts. D'autres acteurs interviennent déjà dans ce domaine, notamment les ambassadeurs, les missions économiques et les chambres de commerce internationales, qui ont pour mission de soutenir l'activité économique française à l'étranger. Une meilleure coordination entre ces différentes structures permettrait de renforcer le rayonnement des entreprises françaises à l'export.

Concernant les comités dits « Théodule », nous avons identifié 317 instances consultatives ou délibératives à ce jour, représentant un coût total de 34 millions d'euros. Une approche pragmatique pour évaluer leur utilité consiste à examiner celles qui ne se sont pas réunies depuis six mois. Sur 300 comités, 30 n'ont pas tenu de réunion récente. Par exemple, le comité d'experts sur la gestion adaptative ne se réunit actuellement plus. Il s'agit de structures conçues pour formuler des avis spécifiques, mais leur rôle devient discutable lorsqu'elles ne sont sollicitées qu'en cas de recours exceptionnel.

Un autre axe d'analyse concerne les comités qui ne sont peu ou jamais consultés. À titre d'exemple, la commission d'arbitrage relative à la perception de la taxe fiscale sur les spectacles existe, mais les décisions en la matière sont prises sans qu'elle soit systématiquement mobilisée.

L'enjeu est donc d'identifier clairement les comités réellement actifs et utiles, et par défaut, de supprimer ceux qui ne se réunissent plus.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'examen au Sénat de la proposition de loi tendant à supprimer certains comités, structures, conseils et commissions « Théodule » a révélé que l'absence de réunions ne signifie pas forcément qu'un comité n'a pas de défenseur. Seriez-vous prêt à nous fournir une liste des comités dont la suppression ne poserait aucune difficulté, sachant qu'un comité qui ne se réunit pas ne coûte rien ?

M. Hervé Reynaud. - J'ai été rapporteur de la proposition de loi sur les comités dits « Théodule ». Sur le terrain, qu'il s'agisse des élus ou des entreprises, le consensus général semble être en faveur de leur suppression. Initialement, j'étais particulièrement enthousiaste à l'idée de réduire ces dépenses. Cependant, j'ai rapidement été confronté à une réalité plus nuancée : certains comités se réunissent peu, ne génèrent pas de coût significatif, mais remplissent une fonction essentielle lorsqu'un arbitrage est nécessaire.

Ces comités constituent des corps intermédiaires qui assurent un lien indispensable avec les acteurs de terrain. J'ai ainsi été sollicité par la délégation aux entreprises et la commission des affaires économiques du Sénat, qui ont plaidé pour le maintien de plusieurs de ces instances. Après analyse, il est apparu que certains comités, bien que peu actifs, conservent une utilité stratégique et permettent d'éclairer les décisions ministérielles.

Les principaux coûts de fonctionnement liés au démembrement de l'État, examinés par notre commission d'enquête, ne se situent pas au niveau de ces 317 comités. Quelques suppressions ont été effectuées, et il faut poursuivre cette démarche de rationalisation. Toutefois, je crains que l'on consacre beaucoup de temps à un sujet qui, en définitive, ne simplifie pas réellement les démarches administratives et risque même d'affaiblir l'écoute du terrain sans générer les économies attendues.

De nombreux interlocuteurs sur le terrain estiment que ces instances alourdissent le fonctionnement administratif. Il faut faire preuve de discernement. L'enjeu est d'identifier les structures véritablement inutiles afin de dégager des économies réelles, tout en garantissant un meilleur fonctionnement institutionnel. Nous devons nous appuyer, à cet égard, non pas sur des impressions mais sur des données tangibles.

M. Samuel Tual. - Je partage votre analyse. Dans mon propos introductif, j'avais d'abord une approche budgétaire. Si ces comités ne génèrent pas de coût significatif, alors l'enjeu est moindre.

Il n'en demeure pas moins que certains comités posent question : le Conseil national de la culture scientifique, technique et industrielle (CNCSTI), le Conseil stratégique de la recherche (CSR) ou encore le Comité de normalisation des données sociales et de leurs échanges. Ces instances doivent être créées pour une durée déterminée, et réévaluées à intervalles réguliers. Si, à l'issue de cette période, leur utilité n'est plus avérée, il conviendrait de les supprimer. D'autres comités, bien que ne se réunissant que rarement, conservent une importance stratégique sur des enjeux spécifiques.

Plus généralement, la question posée par les agences est celle de l'organisation de la gouvernance : qui incite et qui encourage ? Qui instruit les dossiers et facilite leur mise en oeuvre ? Qui contrôle et qui arbitre en cas de difficulté ? Aujourd'hui, au-delà des missions confiées aux agences, certaines d'entre elles cumulent des activités multiples, ce qui peut générer des conflits d'intérêts potentiels.

Je tiens à préciser que je ne représente pas une organisation en quête de subventions ou d'aides publiques. Notre ambition est d'innover, de développer nos activités et de bénéficier d'un cadre juridique clair. Nous revendiquons une liberté et de la sécurité juridique.

Dans un contexte de compétitivité accrue, certaines transitions économiques et écologiques sont difficiles à financer en comparaison avec nos concurrents étrangers. Un accompagnement ciblé, sous forme d'incitations ponctuelles, peut nous permettre d'accélérer ces transitions. À titre d'exemple, les entreprises françaises n'ont pas les moyens de financer, seules, les 40 milliards d'euros nécessités par de telles transitions.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vendredi, nous avons auditionné les centres techniques industriels (CTI) et les comités professionnels de développement économique (CPDE). Pensez-vous qu'il soit pertinent de maintenir ces organismes, ou ne serait-il pas plus logique que ces outils soient directement internalisés par les organisations professionnelles de filières ?

M. Samuel Tual. - Concernant les CTI, ces structures fonctionnent dans le cadre de contrats de performance, ce qui garantit un suivi et des ajustements en temps réel. Ce modèle s'avère efficace, car il permet d'adapter les engagements et les objectifs en fonction des besoins des entreprises et des évolutions du marché. Les derniers contrats ont été renégociés en 2024. Nous sommes donc confortés dans notre relation avec ces structures, qui répondent efficacement aux attentes du monde économique. Le taux de satisfaction des entreprises atteignant 80 % témoigne de leur utilité et de leur pertinence.

M. Pierre Barros, président. - Le fait que vous confirmiez le bon fonctionnement de ces structures constitue déjà un élément précieux pour nourrir notre réflexion.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de Mme Rose-Marie Abel, directrice générale par intérim d'Atout France, MM. Jean-Yves Caminade, directeur financier et Paul-François Fournier, directeur exécutif innovation de Bpifrance, et Benoît Trivulce, directeur général par intérim de Business France

M. Pierre Barros, président. - Après avoir reçu le Medef à l'instant, nous poursuivons cet après-midi consacré aux entreprises avec trois structures qui, à des titres différents, agissent en soutien à celles-ci.

Vos trois organismes, madame, messieurs, sont de natures diverses et vous pourrez nous dire de quelle manière vous considérez qu'ils relèvent, en tout ou en partie, de la catégorie des agences ou opérateurs de l'État.

Business France est un établissement public créé en 2015, opérateur du ministère de l'économie. Il emploie environ 1 400 personnes et a notamment pour mission de favoriser le développement international des entreprises françaises et de promouvoir l'attractivité économique de la France. Il est représenté ici par M. Benoît Trivulce, directeur général par intérim.

Atout France est également un opérateur du ministère de l'économie, mais son statut est, de manière plus originale, un groupement d'intérêt économique (GIE), qui associe les professionnels du secteur du tourisme. Il est représenté par Mme Rose-Marie Abel, directrice générale par intérim.

Bpifrance est une banque publique d'investissement, créée en 2013 par la fusion d'OSEO, de CDC Entreprises et du fonds stratégique d'investissement, avant d'absorber l'activité de garantie publique à l'assurance export de la Coface. Ce n'est pas un opérateur au sens budgétaire, mais c'est un établissement public classé parmi les organismes divers d'administration centrale (Odac). Il est représenté par MM. Jean-Yves Caminade, directeur financier, et Paul-François Fournier, directeur exécutif innovation.

Notre commission d'enquête s'inscrit dans les débats relatifs au rôle des agences et opérateurs, c'est-à-dire des structures qui assurent la mise en oeuvre de politiques publiques pour le compte de l'État tout en conservant une certaine autonomie. Nous cherchons à comprendre dans quel cas leur existence apporte une plus grande efficacité, et dans quel cas des réformes pourraient être engagées.

Les nombreuses commissions consultatives font aussi partie du périmètre de notre commission d'enquête : dans quelle mesure permettent-elles aux différents acteurs de mieux se faire entendre ? Certaines d'entre elles devraient-elles être réformées ou supprimées pour réduire les délais ou faciliter les procédures ?

De manière générale, de quelle manière s'organise le soutien aux entreprises par vos organismes ? Considérez-vous que la répartition des rôles est satisfaisante, non seulement entre vos organismes, mais aussi avec les administrations centrales ?

Bien entendu, vous serez amenés à commenter les propos du précédent Premier ministre, Michel Barnier, qui dans son discours de politique générale du 1er octobre dernier a cité explicitement Business France et Atout France comme opérateurs à mutualiser ou regrouper. S'agissait-il d'une annonce concertée avec vous, d'un projet bien avancé, d'une simple idée à creuser ? Quels sont les derniers signaux que vous recevez de la part du Gouvernement actuel à ce sujet ?

Je vais vous laisser la parole pour un propos introductif, dans l'ordre suivant : Busines France, Atout France, Bpifrance. Avant cela, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Je rappelle également qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Benoît Trivulce, Mme Rose-Marie Abel, M. Jean-Yves Caminade et M. Paul-François Fournier prêtent serment.

M. Benoît Trivulce, directeur général par intérim de Business France. -Business France est un opérateur centenaire qui met en oeuvre une politique publique en vue d'assurer le développement international des territoires, de l'économie française et des entreprises. L'Agence a été fondée en 1923, avec la création du Comité permanent des foires à l'étranger (CPFE). Nous continuons à monter à peu près 110 pavillons à l'étranger tous les ans pour environ 4 000 entreprises. Un pavillon français est un moment politique, un moment économique, un moment commercial, un moment de rayonnement et un moment d'attractivité. Régulièrement, sur les gros pavillons que nous organisons, des ministres viennent défendre l'attractivité de la France. C'est donc un moment qui dépasse le simple aspect commercial.

Les pavillons ont bien évidemment été modernisés. On retrouve aussi bien Choose France que la Marianne. Nous avons aussi digitalisé l'offre, avec treize marketplaces qui sont des outils numériques sur lesquels des entreprises françaises peuvent présenter leurs produits. À peu près 1 000 entreprises y sont exposées. Nous amenons également systématiquement des donneurs d'ordre sur les pavillons.

L'histoire de Business France commence donc il y a 102 ans, en 1923. Puis ont lieu des séries de fusions qui correspondent à des stratégies de l'État.

En 1997, le Comité français des manifestations économiques à l'étranger (CFME), héritier du CPFE, a fusionné avec l'Agence pour la coopération technique, industrielle et économique (Actim). Nous continuons d'ailleurs à gérer le programme des volontaires internationaux en entreprise. À l'époque, nous avions 3 000 volontaires, contre 12 000 aujourd'hui, présents dans environ 130 ou 140 pays. Ces talents de demain à l'international sont constitués à 43 % de jeunes femmes.

En 2008, l'État a décidé de fusionner les deux entités précédentes avec le Centre français du commerce extérieur (CFCE). Les équipes qui travaillaient dans l'appui aux entreprises ont été transférées directement à l'opérateur, qui a pris le nom d'Ubifrance, pour exercer ce qu'on appelle le pôle conseil.

La quatrième fusion est intervenue en 2015, avec la création de Business France. On a décidé de fusionner les métiers de l'export - le conseil, les pavillons, le volontariat international en entreprise (VIE) - avec l'investissement, considérant que l'attractivité et l'appui aux entreprises, aux PME et aux entreprises de taille intermédiaire (ETI) étaient les deux faces d'une même médaille : celle de la compétitivité. On en a profité aussi pour transférer à Business France les missions exercées par la Sopexa (Société pour l'expansion des ventes des produits agricoles et alimentaires) dans le cadre d'une délégation de services publics.

Enfin, en 2017, ont été mises en place les Équipes de France ou Team France : les opérateurs comme Bpifrance, CCI France, Business France se sont mis à travailler ensemble, particulièrement dans les territoires, pour pratiquer un « porte-à-porte de masse » - pour reprendre l'expression du directeur général de Bpifrance, Nicolas Dufourcq - et inciter les entreprises à aller à l'international.

L'État, les régions et les entreprises ont donc à leur disposition un opérateur spécialisé à l'international afin de mettre en oeuvre un certain nombre de politiques. Aujourd'hui, cet opérateur est piloté, utile, nécessaire et rigoureux.

Il est piloté, d'abord, parce que nous travaillons dans le cadre d'un contrat d'objectifs et de moyens (COM) - c'est prévu dans notre statut. Nous avons signé un COM en 2012, un contrat de performance en 2015 et 2017, et un nouveau contrat en 2023. Le dernier contrat contient neuf objectifs stratégiques avec trente-deux indicateurs pour le mesurer. Il se résume autour de deux grandes idées : France 2030 et Impact 2030.

Le pilotage se fait aussi par la gouvernance. Notre conseil d'administration est composé de cinq chefs d'entreprise, certains représentant d'ailleurs les conseillers du commerce extérieur de la France. Le président de CCI France est aussi membre du conseil d'administration, ainsi que trois présidents de région, deux élus - un représentant du Sénat et un représentant de l'Assemblée nationale -, trois représentants des salariés, trois représentants de l'État et deux commissaires du Gouvernement.

Cette semaine résume bien toutes nos activités : j'ai participé à un comité d'audit hier et j'assisterai demain à un conseil d'administration au cours duquel seront présentés nos comptes, certifiés par des commissaires aux comptes. C'est là que se joue une partie de la discussion et de la réflexion sur la stratégie de l'agence. Nous rendons des comptes assez régulièrement.

Dans le cadre du COM, il existe quatre indicateurs stratégiques : tous les mois, nous rapportons à nos trois tutelles techniques notre activité, le nombre d'entreprises qui partent à l'étranger, le nombre de projets identifiés, le nombre de VIE avec lesquels nous travaillons. Nous transmettons aussi ces informations aux exécutifs régionaux, qui nous confient souvent des programmes. Depuis la loi portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), les régions sont évidemment à l'avant-garde en matière de développement économique international.

Nous travaillons également avec les préfets, particulièrement dans le domaine des investissements étrangers. Nous rendons enfin des comptes de manière positive et constructive à nos partenaires, notamment les agences régionales de développement (ARD), que nous réunissons tous les vendredis dans un comité d'orientation et de suivi des projets étrangers (Cospe). Nous leur présentons alors les projets d'investisseurs étrangers qui ont été détectés afin qu'elles puissent les analyser et faire des propositions.

Nous travaillons aussi avec les chambres de commerce en région. Nous disposons actuellement d'une équipe conjointe de 200 commerciaux qui vont sur le terrain à la rencontre des entreprises. Nous avons mis en place un outil de gestion de la relation client ou CRM (Customer Relationship Management), qui permet de diffuser de l'information sur les entreprises que nous avons rencontrées en indiquant les performances de chacune. Évidemment, d'autres dispositifs existent, comme le système d'information sur les agents des services publics (Siasp) ou les rapports de la Cour des comptes. Bref, nous sommes pilotés.

Notre opérateur est aussi utile puisque nous menons à peu près 25 000 projets exports dans l'année pour environ 12 500 entreprises. Preuve de notre efficacité, nos clients export recommandent Business France avec un Net Promoter Score (NPS) de 51 en 2024. Par ailleurs, Ipsos a établi un estimatif de l'ordre de 1,8 milliard de contrats additionnels à l'export signés dans le cadre de nos actions. L'année dernière, les chiffres étaient plus élevés, mais il s'agissait d'une année très particulière de sortie de covid. Quoi qu'il en soit, nous sommes sur un rapport de 1 à 20 par rapport au budget de l'agence : c'est un indicateur assez intéressant de la pertinence.

Nous accompagnons aussi des projets d'investissements étrangers sur le territoire français. Les derniers chiffres publiés la semaine dernière font état de 1 866 projets, soit une légère baisse par rapport aux années précédentes, mais ils restent néanmoins relativement élevés par rapport à un certain nombre de tendances. Les deux tiers de ces projets sont traités par les équipes de Business France. Beaucoup de projets sont présentés aux régions au moment du Cospe, que j'ai évoqué tout à l'heure. La moitié de ces projets aboutissent dans des villes de moins de 20 000 habitants. Ils participent donc souvent à la réindustrialisation ou à la réponse à des problématiques territoriales.

Nous gérons aussi les 11 666 VIE en poste dans le monde, d'après les chiffres de février. Le volontariat international en entreprise est intéressant, car il s'agit véritablement d'un outil de formation des talents : 92 % des jeunes qui ont fait un VIE trouvent un travail dans les six mois et 77 % restent à l'international. C'est un outil qui construit l'avenir de notre capacité internationale, car l'un des déficits français est de ne disposer finalement que d'une petite communauté à l'international, contrairement aux Italiens, qui comptent 80 millions de ressortissants vivant à l'étranger. Le seul moment où la France a envoyé plus de 100 000 personnes à l'étranger, c'était lors de la révocation de l'édit de Nantes !

Le VIE est donc un très bel outil, qui change la vie des gens. Quand vous interrogez les chefs d'entreprise sur la manière dont ils ont commencé leur carrière internationale, ils vous répondront, en fonction de leur âge : coopérant du service national, volontaire du service national ou volontaire international en entreprise. C'est un outil que nous mettons énormément en valeur en travaillant avec les autorités publiques dans chaque pays.

Nous travaillons aussi avec les ambassadeurs et le quai d'Orsay. Nos bureaux à l'étranger - nous sommes présents dans cinquante-trois pays - sont d'ailleurs attachés aux missions d'animation et de coordination des ambassadeurs. J'étais aujourd'hui avec l'ambassadrice de France en Moldavie, car la présidente moldave était dans nos locaux avec 250 personnes. Nous travaillons donc avec les ambassadeurs pour organiser ces événements-là et dire aux entreprises françaises : il y a quelque chose qui se passe en Moldavie, il y a des contrats, allons voir comment on peut travailler avec ces entreprises.

Notre action est ensuite nécessaire, on le mesure de différentes façons. C'est par exemple nous qui avons piloté une partie des aides du plan France Relance pour éviter que les entreprises ne restent bloquées en France au moment du covid. C'est aussi nous qui avons mis en place le plan aux aides exports, à la sortie du covid. Nous menons également des actions quand l'État nous le demande. Nous avons monté un volet business to business (B2B) pour le salon FrancoTech lors du sommet de la francophonie, ainsi qu'un volet B2B au moment du sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle (IA).

Nous organisons également des événements avec priorités géographiques, comme l'événement business Ambition Africa - à peu près de 40 pays, 1 800 personnes, la moitié venant d'Afrique - ou Vision Golfe.

Hier, à la demande du Quai d'Orsay, nous avons organisé un événement business dans le cadre de French Healthcare, qui est l'une des marques qui promeuvent les technologies de la santé. Le ministre de la santé ouzbek était dans nos locaux.

Vendredi, nous rencontrerons quatre ambassadeurs de la zone nordique. Nous organisons à peu près 410 opérations de ce type-là dans le monde ou en France tous les ans pour promouvoir l'attractivité de la France.

Nous avons aussi fait deux événements au Sénat l'année dernière sur l'Ukraine pour expliquer aux entreprises françaises qu'il faut aller dans ce pays, qu'il y a des projets économiques et que cela fait partie de notre devoir de citoyens européens. On l'a fait aussi avec l'Amérique latine, bref nous travaillons avec les différentes institutions.

Notre action est nécessaire, aussi, parce que nous amenons souvent les entreprises au-delà de leur intention initiale. La majorité des entreprises exportent en Europe, qui représente les deux tiers de nos exportations. Or l'Europe constitue à peu près un tiers de notre activité. L'Amérique, du Nord au Sud, c'est à peu près 22 % de notre activité. L'Afrique et le Proche et le Moyen-Orient (PMO) représentent aussi à peu près 22 % de notre activité, tout comme l'Asie. Notre activité va donc au-delà des tendances naturelles des entreprises : on essaie de les amener un peu plus loin, d'autant que la concurrence publique est très forte. On entend en ce moment les bruits de bottes commerciales et les opérateurs publics, nos concurrents, mettent beaucoup d'argent sur la table. Les Américains ont un budget de l'ordre de 650 millions d'euros, uniquement au niveau de l'État fédéral. Ils accompagnent 30 000 entreprises. Nous avons 100 millions d'euros et nous accompagnons 12 000 entreprises. On a sûrement une meilleure efficacité que les Américains, c'est une bonne nouvelle ! Les Anglais vont mettre 300 millions sur la table, les Italiens mettent en moyenne 240 millions, les Espagnols de l'ordre de 140 millions, nos partenaires belges, si l'on cumule la Flandre et la Wallonie, de l'ordre de 140 millions. Les partenaires publics mettent donc de l'argent sur la table en considérant que c'est une priorité.

À titre d'anecdote, en Argentine, le président Milei a rattaché directement l'opérateur à la présidence de la République, considérant qu'il s'agissait d'une priorité publique et qu'il n'y aurait pas d'économie forte sans internationalisation de l'économie.

On est aussi rigoureux. C'est important de le noter. La part des subventions de Business France par rapport à l'ensemble des subventions des opérateurs s'élève à 0,15 %. Mais ce n'est pas parce que c'est peu qu'il ne faut pas être rigoureux !

Notre subvention en 2024 est la même qu'en 2017, aux alentours de 102 millions d'euros alors qu'il y a eu 16 % d'inflation sur la période et que l'on nous a confié de nouvelles missions. Lors des dévolutions d'activités, nous avons essayé de nous organiser. En 2008, on était présent dans 68 pays : on a essayé de se focaliser sur 53, qui représentent déjà 92 % du PIB mondial et 95 % de l'exportation des entreprises de moins de 2 000 salariés. On a réduit nos effectifs à l'étranger passant 2 000 à 750 personnes. On a aussi réduit le nombre de détachés, que l'on a divisé par quatre. Aujourd'hui, sur les 750 personnes à l'étranger, nos directeurs sont des détachés et tout le reste est constitué d'équipes locales ou de VIE. La moitié des personnes recrutées localement sont des Français de l'étranger ; l'autre moitié sont des étrangers francophones et francophiles.

Nous sommes donc utiles, nécessaires, rigoureux. Évidemment, il existe des pistes d'amélioration. Nous nous remettons en question assez régulièrement. Il est nécessaire, selon nous, d'avoir une stratégie forte et ferme de l'État. Nous travaillons avec les préfets, avec les ambassades, avec les présidents de région. Il faudrait simplifier à plusieurs niveaux. Dans notre propre gouvernance, avoir une seule tutelle chef de file permettrait peut-être de rendre plus efficace le pilotage par l'État de l'opérateur. Il faut simplifier la commande publique. On travaille beaucoup avec la French Tech, par exemple. Je vous ai parlé tout à l'heure des marketplaces : on les a faits avec une start-up française Mirakl, qui a une technologie leader sur le marché. Elle est référencée à l'Union des groupements d'achats publics (Ugap), c'est donc plus facile de travailler avec elle.

En revanche, aujourd'hui, les seuils de commande publique rendent très difficile de travailler avec une start-up : 40 000 euros, ce n'est pas possible. Les seuils européens permettraient d'être beaucoup plus efficaces.

On travaille également à la lisibilité, car les investisseurs et les chefs d'entreprise en ont besoin à un, deux ou trois ans. Notre activité est fondamentalement pluriannuelle. Nous avons aussi besoin d'une lisibilité à deux ans ou trois ans pour travailler. On a signé un contrat d'objectifs et de moyens en début d'année 2023 : trois mois plus tard, nos moyens ont été remis en cause.

Pour conclure, ma conviction profonde est que les ressources pour financer notre modèle social et notre souveraineté passent par trois éléments : l'innovation - le rôle de Bpifrance avec qui nous travaillons est fondamental -, la réindustrialisation - nous apportons une petite pierre à cet édifice via France 2030 - et l'international. Le PIB français représente 3 % du PIB mondial : le marché est donc à l'extérieur. La croissance française, c'est 1 % contre 2 % pour l'Amérique latine et du Nord, 3 % pour le Proche et le Moyen-Orient (PMO) et l'Afrique, 4,5 % pour l'Asie. Il faut donc amener des entreprises à l'international.

Nous avons besoin d'un opérateur qui soit bien organisé et qui joue le jeu collectif. Jeudi prochain, le président des chambres de commerce et d'industrie françaises à l'international (CCIFI), le représentant de Bpifrance et moi-même, pour Business France, réunissons la Team France Export pour dire qu'il faut faire du porte-à-porte de masse, chercher les entreprises, convaincre les TPE, les PME, les ETI d'aller à l'international. Dans un moment de complexité, je crois qu'il ne faut pas désarmer les opérateurs à l'international.

Mme Rose-Marie Abel, directrice générale par intérim d'Atout France. - Le GIE Atout France a été créé par la loi de développement et de modernisation des services touristiques de 2009. Cet opérateur est né de la fusion du GIE Maison de la France, chargé de la promotion de la destination France à l'étranger, et du groupement d'intérêt public (GIP) Odit (Observation, développement et ingénierie touristiques) France, agence d'ingénierie touristique.

Le législateur a inscrit dans la loi l'existence du GIE en tant que GIE, et même son nom. L'article L. 141-2 du code du tourisme précise que « le groupement d'intérêt économique "Atout France, agence de développement touristique de la France" » est « placé sous la tutelle du ministre chargé du tourisme ».

Depuis 2009, le GIE est le point d'entrée unique des collectivités et des entreprises ayant un projet de développement touristique. Il permet de mobiliser des compétences et des savoir-faire dans des domaines que sont la promotion, l'ingénierie, l'observation, la prospective et l'offre touristique au travers du classement des hébergements collectifs marchands.

Les missions d'Atout France peuvent se résumer en trois grandes typologies : analyser la conjoncture, observer les fréquentations touristiques et le développement des marchés - au travers notamment d'un outil dont je pourrais vous parler plus longuement, France Tourisme Observation (FTO) - et construire une offre touristique attractive.

Cela passe par le système des étoiles, bien connu du grand public, qui permet de classer l'offre touristique des hébergements collectifs marchands et de la faire correspondre aux standards attendus par la clientèle nationale et internationale, mais aussi par des dispositifs comme France Tourisme Ingénierie (FTI) ou « Réinventer le patrimoine », « Projets structurants », soumis par les régions, ou « Rénovation des stations de montagne ».

Enfin, et ce n'est pas la moindre de nos missions, nous devons tout simplement convaincre les touristes étrangers de choisir la France comme destination touristique, en mobilisant trois cibles : le grand public - nous avons des actions de communication vis-à-vis du business to consumer (B2C) -, les professionnels - nous nouons des liens avec les tour-opérateurs et les agences de voyages par le biais de nos bureaux à l'étranger - et la presse internationale : le tourisme étant un choix de coeur et d'envie, il est important de promouvoir la destination auprès de la presse lifestyle.

Pour réaliser ses missions, le GIE a un siège à Paris, trois délégations régionales qui se trouvent en Guyane, à Chambéry et à Marseille, ainsi que vingt bureaux principaux à l'étranger et cinq bureaux secondaires.

Au sein de ces structures, nous comptions, au 1er janvier, 132 collaborateurs en France et 154 collaborateurs à l'étranger, tous statuts confondus - j'y intègre les VIE portés par Business France, les personnes en alternance, les CDI de droit privé et les contrats de droit locaux, en grande majorité à l'étranger.

Je ne reviens pas sur la tutelle technique exercée par la direction générale des entreprises (DGE) du ministère de l'économie.

Nous signons également un contrat d'objectifs et de performance (COP). Il n'y a pas eu par le passé d'engagement de moyens nous concernant. Le dernier contrat d'objectifs et de performance est arrivé à terme en 2024 ; les discussions pour son renouvellement ont été suspendues en attendant le devenir de notre agence.

Le GIE est administré par un conseil d'administration de 36 membres représentatifs du tourisme français. On y trouve des représentants des différents ministères, des représentants du monde économique par le biais de personnalités qualifiées et désignées par le Gouvernement, mais aussi de fédérations professionnelles et - volet essentiel dans le secteur touristique - des collectivités territoriales, plus précisément les régions et leurs opérateurs. Nous comptons des représentants des comités régionaux du tourisme, des comités départementaux et des offices de tourisme.

À ma connaissance, nous sommes le seul opérateur de l'État à avoir le statut de groupement d'intérêt économique. Au-delà de cette spécificité juridique, cela témoigne réellement de l'ancrage partenarial du GIE : nous accompagnons la politique touristique décidée par l'État auprès des entreprises, et nous construisons des plans d'action avec elles et les collectivités, au coeur de la politique touristique. L'agence fédère en tant que GIE 1 250 adhérents qui correspondent à ces différentes typologies de secteur.

L'opérateur est à la fois national, territorial - par les actions qu'il conduit pour le compte des territoires - et privé, en raison non seulement de son statut, mais aussi des entreprises qu'il accompagne.

C'est aussi, me semble-t-il, un opérateur qui permet de mutualiser des coûts et qui offre à des entreprises de taille plus réduite la possibilité d'intégrer le marché ou de se projeter sur le marché international. Un hôtel ou une chaîne d'hôtels de taille réduite peut demander un plan d'action en adhérant au GIE. Des destinations touristiques ayant une clientèle ou une fréquentation moins importante à l'étranger peuvent également nous solliciter.

L'autre originalité du modèle tient au partenariat, qui a toujours été dans le code « génétique » du GIE : pour un euro présenté par le GIE, nous recherchons deux euros en provenance des collectivités ou des entreprises afin de construire un plan d'action commun. C'est la meilleure garantie pour que la dépense soit pertinente. Cela présente aussi l'avantage d'être assez simple : on se met d'accord sur un plan d'action et on amène la contribution, en nature ou en numéraire.

Le GIE, c'est aussi une agilité que lui confère sa taille relativement réduite : 300 salariés c'est peu, mais suffisant pour pouvoir peser et porter une ingénierie. Cette agilité a été démontrée par la capacité d'Atout France à réaliser des plans exceptionnels d'intervention. Le dernier était lié à la crise du covid : le plan Destination France. Le GIE est intervenu sur huit thématiques parmi les vingt que comportait ce plan, qui s'est achevé l'année dernière.

Cette agilité a aussi été démontrée par notre capacité à augmenter et à diminuer nos effectifs. Cela pose parfois la question des plafonds d'emploi puisque nous pouvons avoir recours à des CDD à objet défini. 26 personnes ont quitté le siège à la fin du programme et 10 personnes ont quitté les bureaux. On peut donc pendant trois ans monter en puissance et revenir ensuite à la taille « classique » du GIE.

Nous avons aussi contribué aux efforts budgétaires et nous serons de nouveau appelés à le faire. Notre subvention, même si cela n'a pas été notifié définitivement, devrait être en baisse de 2,5 ou 3 millions d'euros, soit une diminution de plus de 10 %. Malheureusement, ce n'est pas nouveau pour nous. Depuis 2016, notre subvention pour charges de services publics n'a fait que baisser. Elle était de 31,5 millions en 2016, contre 27,8 millions l'année dernière. En 2025, elle devrait s'élever à environ 24,5 millions d'euros. 31,5 millions d'euros, cela correspondrait à 36,5 millions d'euros en euros constants, soit un écart assez substantiel de 12 millions d'euros.

Quant à la concurrence internationale, elle est forte, car le tourisme est un secteur porteur. Les destinations touristiques sont de plus en plus nombreuses et ont des objectifs de croissance très importants. L'Arabie saoudite annonce 70 millions de touristes à l'horizon de 2030, le Maroc en prévoit 26 millions.

Pour conclure, le GIE a délivré les missions qui lui ont été confiées, qu'elles soient exceptionnelles ou ponctuelles. Pour autant, ne serait-ce que du fait de cette contribution à l'effort budgétaire, des réformes sont sans doute nécessaires. D'ailleurs, les ministres Nathalie Delattre et Éric Lombard ont décidé de lancer une mission d'appui à la réforme d'Atout France qui questionnera la forme de son réseau, sa pertinence, sa localisation, les synergies possibles avec Business France, la construction d'une trajectoire financière et la refonte du modèle économique. Il faudra bien évidemment également s'interroger sur le renouvellement de notre gouvernance, puisque je suis directrice générale par intérim et qu'il convient d'avoir un directeur général de plein exercice.

M. Paul-François Fournier, directeur exécutif innovation de Bpifrance. - Bpifrance est une structure à statut bancaire, avec deux actionnaires publics - la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et l'État. Nous gérons 60 milliards d'euros d'actifs sous gestion et nous avons injecté 60 milliards d'euros dans l'économie en 2024 au travers de différents métiers.

Le premier grand métier est un métier bancaire, avec cinquante implantations régionales et des collaborateurs qui financent au quotidien les entreprises à travers le cofinancement bancaire - 20 milliards d'euros pour à peu près 17 000 entreprises -, le financement de l'innovation - on y reviendra, en particulier au travers des outils France 2030 - et la garantie des banques pour leurs projets les plus risqués - à peu près 9 milliards d'euros pour 65 000 entreprises, garantis indirectement par Bpifrance.

Le deuxième grand métier est l'investissement. Nous comptons 500 investisseurs. Nous avons investi l'année dernière un peu plus de 4 milliards d'euros dans 400 entreprises. Nous sommes un investisseur à la fois en direct dans beaucoup de PME régionales, mais aussi dans des grands groupes français qui se projettent à l'international et dans des start-up. Nous investissons également beaucoup en fonds de fonds, c'est-à-dire dans des fonds d'investissement pour permettre de développer le capital-risque et le capital développement privé, en faisant effet de levier.

Nous avons développé une expertise autour de l'accompagnement, considérant que les entrepreneurs, en particulier les PME sur les territoires, en avaient besoin. Cela représente à peu près 1 000 entreprises accélérées et 8 000 missions de conseil. C'est une grosse activité pour nous. Les entrepreneurs nous disent qu'ils sont seuls et qu'ils ont besoin d'avoir autour d'eux des missions de conseil. Les grands cabinets de conseil ne sont pas adaptés pour ces plus petites PME et ETI.

Nous avons repris il y a quelques années l'activité de création d'entreprises de la CDC et nous animons 610 réseaux d'accompagnement pour à peu près 20 000 prêts d'honneur faits au travers de nos partenaires.

Nous avons également une activité internationale. Nous avons repris l'assurance crédit, qui représentait 19 milliards d'euros l'année dernière, mais aussi toute la partie assurance prospection et crédit export, qui se fait main dans la main dans le cadre de Team France Export - Benoît Trivulce l'a souligné.

Notre conviction est que ces outils sont au service des entreprises. Tout notre travail est de passer d'une logique d'outils de financement à une logique d'entreprise et de continuum de financement. Il importe que ces outils répondent aux différentes situations des entrepreneurs, autour des quatre grandes priorités qui nous sont fixées par l'État : la réindustrialisation, la transition climatique des entreprises, qui doit être une opportunité, l'innovation - en particulier autour de la « deeptech » et de l'accélération du transfert de technologies des universités vers les entreprises ou vers les PME - et la création d'entreprises. Nous souhaitons doubler le nombre de créateurs et d'entrepreneurs dans les années qui viennent, en particulier grâce à l'animation de nos réseaux.

Notre modèle est un peu particulier puisqu'il se décompose en deux éléments. Nous sommes une banque qui gère 60 milliards d'actifs. Dans ce cadre-là, nos actionnaires - l'État et la CDC - nous demandent un retour sur investissement plus limité que ce que souhaitent les investisseurs privés. L'État et la CDC veulent environ 5 % de retour sur investissement, contre 10 % pour les banques et significativement plus de 10 % pour les fonds d'investissement. C'est un premier moyen pour nous de prendre du risque pour accompagner le privé, en particulier dans les territoires, en faisant effet de levier sur l'investissement.

Le deuxième modèle à l'intérieur du modèle est que nous sommes aussi une agence : nous jouons donc un rôle d'opérateur pour différents acteurs publics, le premier étant France 2030. En 2024, nous avons financé, pour à peu près 5 milliards d'euros, 6 000 entreprises, principalement via les dotations de France 2030.

Ce deuxième rôle d'opérateur, nous le jouons aussi avec l'Europe. Nous mobilisons de plus en plus de moyens européens, en particulier pour garantir un certain nombre de prêts aux entreprises innovantes en France.

Notre deuxième métier d'opérateur, nous le tenons aussi par rapport aux régions, puisque la plupart d'entre elles nous confient leurs fonds afin de mettre en place leur stratégie régionale, avec un axe principal sur l'innovation et la réindustrialisation. Notre métier est d'être l'acteur qui prendra les différentes commandes de ces « acteurs », le premier d'entre eux étant l'État au travers de France 2030, et de mettre en place les politiques publiques au travers de nos collaborateurs.

Pour l'État, c'est un moyen d'avoir accès - si je prends le cas de la direction innovation que j'ai la chance de diriger - à environ 500 personnes, majoritairement des ingénieurs qui ont une dimension financière. Ces 500 personnes travaillent au service de la mise en place des appels à projets ou du financement régional de nos 150 chargés d'affaires innovation dans le réseau. Elles travaillent donc pour le compte de l'État, dans le cadre de politiques publiques gérées par l'État.

L'État, qui nous a retiré il y a dix ans notre dotation de fonctionnement, a ainsi à sa disposition une organisation, une gestion du personnel, une culture, à coût marginal : nous prenons uniquement les frais de gestion pour France 2030. Indirectement, cela pèse sur notre rentabilité puisque les frais de gestion ne couvrent qu'une partie de ces coûts - mais c'est assumé par nos actionnaires.

Pour finir, notre métier principal dans le rôle d'opérateur est évidemment de répondre aux exigences et aux demandes de l'État, qui s'incarnent au travers de différents dispositifs. Il y en a deux principaux : les appels à projets de France 2030 - l'État nous confie des fonds, une thèse d'investissement ou de financement, et nous sélectionnons les meilleurs projets qui sont ensuite décidés formellement par l'État - et le financement plus structurel au travers des 150 chargés d'affaires qui sont des ingénieurs finançant au quotidien et au fil de l'eau tout au long de l'année à peu près 5 000 entreprises via des dispositifs subventionnels ou de prêts.

Je laisserai M. Jean-Yves Caminade évoquer plus spécifiquement la gouvernance de la banque, qui se fait au travers du conseil d'administration.

M. Jean-Yves Caminade, directeur financier de Bpifrance. - Souhaitez-vous que je dresse rapidement un tableau ou préférez-vous plutôt que je réponde à vos questions en fonction de vos intérêts sur les éléments de gouvernance ou de contrôle ?

M. Pierre Barros, président. - Pour avoir travaillé avec vos différentes structures, nous connaissons tous ces mécanismes. Je vous propose plutôt de passer aux questions de Mme la rapporteur.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Après avoir écouté vos interventions, notamment celles de Business France et de Bpifrance, je m'interroge sur la compétence économique des régions.

Vous nous avez dit que les régions vous transféraient leurs ressources et leurs programmes pour vous demander d'agir. Ne faudrait-il pas repenser le partage des politiques publiques entre les différents échelons, qu'il s'agisse de l'État ou des collectivités ? Il ressort de vos propos que les régions ne sont pas bien armées pour mener efficacement leurs politiques. Elles préfèrent donc vous les confier, car vous disposez de structures plus professionnelles. Est-ce bien ce que nous devons comprendre de vos interventions ou souhaitez-vous nuancer vos propos ?

Je voudrais vous interroger sur la Team France Export. Je remercie Business France, qui nous a transmis des éléments en amont de cette audition. Dans une des notes, vous indiquez clairement qu'il convient de mieux structurer ces « teams ». Que sous-entendez-vous ? Pensez-vous notamment que certaines structures de l'État en sont absentes ? On pourrait, par exemple, penser à la douane qui, si je ne m'abuse, n'est pas dans la team. S'agit-il d'un des acteurs que vous ciblez ?

Aujourd'hui, ces Teams France Export ne vont que de la France vers l'étranger. Au vu de ce que fait Atout France, ne faudrait-il pas aussi envisager des Teams France Import ? L'un de vous a parlé du rôle-clé qu'il jouait pour orienter les investissements directs étrangers. Il s'agit là d'une stratégie en matière d'attractivité. Ne faudrait-il pas structurer les acteurs vers ce flux ?

Le projet de fusion entre Business France et Atout France a été évoqué, notamment dans le discours de politique générale du Premier ministre Michel Barnier. J'ai cru comprendre que le projet était aujourd'hui en suspens. J'entends les spécificités dont vous avez tous fait état, mais il existe aussi des ressemblances. Vous êtes plusieurs à gérer des crédits pour France 2030. Un tel projet de fusion est-il pertinent ou pas ?

Nous avons auditionné avant vous les représentants des entreprises. Ils ont critiqué la multiplicité des canaux de financement pour les entreprises, qui brouille les pistes. In fine, toutes les actions soutenues par Business France ou par Bpifrance vont vers les entreprises : serait-il complètement absurde de constituer un opérateur unique, d'autant qu'il bénéficierait déjà d'une mutualisation, de fonctions supports, de locaux - notamment à l'étranger -, de ressources humaines, sachant qu'il sera ensuite possible d'envisager des directions spécifiques puisque vous exercez aussi des métiers spécifiques ?

Certains d'entre vous travaillent pour attirer les entreprises, d'autres pour les aider à exporter, mais toutes ces activités ont un intérêt pour notre balance commerciale. Comment vous positionnez-vous sur ces questions ? La mission d'appui ne concerne aujourd'hui qu'Atout France alors que cette agence n'était pas seule dans le mariage envisagé. Pourquoi n'a-t-on pas intégré Business France à la réflexion, voire Bpifrance, au moins pour l'accompagnement vers l'export ?

M. Benoît Trivulce. - Les régions, depuis la loi NOTRe, ont une compétence en matière de développement économique. Chaque région a sa stratégie. Certaines régions ont des politiques d'attractivité extrêmement pertinentes, en lien souvent avec les préfets. Certaines régions, par exemple, dont des revues de priorités sur les projets pour identifier quel acteur doit intervenir. Dans le domaine de l'export, la décarbonation est prioritaire pour certaines d'entre elles. C'est donc ce type d'entreprises qu'elles souhaitent soutenir. Chaque région est très différente et chaque région a sa vision des choses. Nous sommes juste là pour les accompagner dans leurs projets, qu'il s'agisse de créer un outil pour qu'elles aillent à l'international ou de gérer un fonds. Elles ont d'ailleurs en général des visions très claires, même si les degrés de maturité peuvent différer. Les régions sont donc bien armées et nous travaillons parfaitement avec elles.

L'évolution de la Team France Export a un peu compliqué les choses. À l'origine, il s'agissait vraiment de faire travailler ensemble Bpifrance, Business France et CCI France dans une logique de territoire au bénéfice des entreprises. Progressivement, le concept a été élargi puisque nous travaillons aussi beaucoup avec les services de l'État, notamment les douanes. Toutes nos statistiques sur l'impact de nos actions viennent d'ailleurs de là : on livre aux services des douanes nos outils et nos informations, ils les traitent et nous renvoient ensuite une information opérationnelle. On monte aussi beaucoup d'événements où l'on fait intervenir les douanes, soit en France, soit à l'étranger.

Mais on pourrait citer aussi des conseillers agricoles et les services de l'État en général. En ce moment, par exemple, on est en train de négocier le statut du VIE au Royaume-Uni, en Égypte et en Chine. Tous les services de l'État ou les opérateurs travaillent ensemble, chacun essayant d'apporter sa brique pour convaincre que l'outil VIE est extrêmement intéressant.

Une Team France Invest existe déjà pour renforcer le plus rapidement possible notre attractivité. Il s'agit plutôt d'une activité très régalienne, même si nous signons parfois des accords avec d'autres acteurs. À l'étranger, nous travaillons évidemment avec les ambassadeurs, que nous accompagnons pour répondre aux questions des investisseurs et leur expliquer comment les choses se passent en France.

Vous avez parlé du rapprochement entre Atout France et Business France. J'ai travaillé sur un rapport en 2018, dont la conclusion était que les deux opérateurs oeuvraient dans des univers clients qui, sans se confondre, ne sont pas radicalement différents. Une fois cela dit, on n'a quand même pas dit grand-chose... Fondamentalement, on s'aperçoit tout de même que la cible est très différente.

Atout France va chercher des personnes physiques à travers des interlocuteurs pour les amener en France. Business France, par exemple, qui travaille dans le tourisme, présentait 15 entreprises ou start-up sur l'ITB, l'un des plus grands salons allemands en matière de tourisme, afin de proposer à la vente des solutions techniques - réalité augmentée, gestion de la data etc. La cible n'est donc pas tout à fait identique, même si on peut trouver des synergies. Par ailleurs, les statuts ne sont pas tout à fait les mêmes non plus, ni les types de profils recrutés.

En France, la structure juridique du GIE, la structure de la gouvernance et les métiers sont très différents. On est sur de l'expertise territoriale. Notre métier est vraiment orienté B2B.

Enfin, France 2030 constitue notre ligne stratégique. Quand on programme un pavillon ou une opération B2B, 60 % de cette programmation est faite dans les verticales de France 2030. On se met donc dans la ligne des priorités de l'État. Quand on va chercher des projets à l'étranger, 60 % des projets présentés dans le Cospe rentrent dans la ligne France 2030. France 2030 nous a confié l'internationalisation de ses 1 000 lauréats, afin que ces entreprises se développent à l'international.

Mme Rose-Marie Abel. - S'agissant de la problématique de la fusion, plusieurs rapports avaient évoqué cette perspective, mais sans jamais la développer concrètement, en définissant des gains de productivité par exemple. Les équipes d'Atout France ont découvert, lors du discours de politique générale de Michel Barnier prononcé le 1er octobre, qu'une fusion - ou du moins un rapprochement - était envisageable.

Les signaux les plus récents sont contenus dans une lettre de mission relative à une mission d'appui à la réforme d'Atout France, texte qui ne comporte pas le terme de « fusion », mais qui évoque la recherche de synergies à l'international. Celles-ci existent déjà en partie dans la mesure où certains de nos bureaux sont situés dans les ambassades et, lorsque ce n'est pas possible, nous retenons des locaux adaptés aux besoins de nos équipes.

En outre, notre cible essentielle reste le B2C afin de faire rêver le grand public de la France. L'approche B2B concerne quant à elle les opérateurs touristiques, nécessaires dès lors que le public concerné est éloigné.

Nous rechercherons des gains et des synergies, car nous n'avons guère le choix compte tenu de la contrainte budgétaire. Nos équipes échangent déjà, mais n'ont pas nécessairement eu besoin d'interagir en termes de besoins métiers.

M. Benoît Trivulce. - J'ajoute que nos modèles économiques sont différents : ainsi, 55 % de nos moyens correspondent à des ressources propres, chaque entreprise payant pour la prestation que nous lui apportons.

M. Paul-François Fournier. - La majeure partie de notre activité est décentralisée, ce qui constitue selon nous un élément essentiel d'efficacité. Avec cinquante implantations régionales, 90 % de nos décisions sont prises à cet échelon, nos collaborateurs se situant au quotidien dans une logique de proximité avec l'État - via la préfecture - et la région.

Cette logique s'incarne aussi dans des réunions permettant d'arrêter une stratégie commune aux directions régionales et aux régions. Ces dernières décident, en toute liberté, d'être autonomes ou de recourir à notre expertise et à notre technicité. Nous sommes donc bien un opérateur au service de la stratégie régionale, ce qui permet d'ailleurs de croiser les différentes dynamiques à l'oeuvre et les différentes visions stratégiques, dont celles de l'Europe et de l'État, par le biais de France 2030. Ce mode de fonctionnement articulé autour de la région est selon nous approprié, car nos équipes peuvent ainsi saisir les spécificités de chaque territoire.

S'agissant de France 2030, je rappelle que ce plan englobe trois grands volets, à savoir la recherche, la formation et le financement des entreprises, seul ce dernier nous concernant directement. Nous représentons entre 80 % et 90 % des financements qui transitent via France 2030.

L'autre activité d'opérateur de France 2030 est assumée par l'Agence de la transition écologique (Ademe), dont l'action est complémentaire de la nôtre, en particulier sur d'importants projets de décarbonation. En résumé, les entrepreneurs savent qu'ils trouveront l'essentiel des financements chez Bpifrance, ce qui me fait dire que nous avons fait une bonne partie du chemin.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Comment justifiez-vous la nécessité de maintenir vos organismes respectifs alors que la DGE se charge déjà d'écouter et d'accompagner les entreprises ? Pourquoi a-t-on dû créer Bpifrance avec pour actionnaire la CDC, qui est elle-même une banque publique ? Si une simplification s'impose à l'avenir, pourquoi faudrait-il conserver ces structures extraministérielles ?

Sur un point plus spécifique, pouvez-vous préciser le coût et les financements du salon « BIG » (Bpifrance Inno Generation), important événement organisé par Bpifrance ?

M. Paul-François Fournier. - De notre point de vue, la répartition des tâches est claire : la CDC détient 50 % de notre capital et a créé la Banque des territoires en complément de Bpifrance, afin de couvrir la partie « collectivités territoriales » et des investissements dans de grandes infrastructures telles que Réseau de transport d'électricité (RTE) . S'y ajoute une part très significative dans La Poste, mais plutôt dans une logique « grand public », alors que nous finançons principalement les PME, les ETI et les grands groupes.

L'articulation entre les différentes structures de la CDC n'est donc qu'un sujet de préoccupation marginal pour nous.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pourquoi a-t-il fallu procéder à un démembrement alors que la Caisse des dépôts disposait d'antennes régionales ?

M. Paul-François Fournier. - Je pense que l'histoire de Bpifrance est plutôt celle de remembrements successifs intervenus depuis 1923, du Crédit national hôtelier à Sofaris en passant par le Crédit d'équipement des PME. L'architecture actuelle semble convenir dans la mesure où nous disposons d'une entité polyvalente pour intervenir dans le monde de l'entreprise.

Je ne suis pas capable de vous dire si la situation serait meilleure si la CDC détenait l'intégralité du capital de Bpifrance. En tout état de cause, l'État, dans son rôle de stratège, semble se satisfaire de détenir une partie des voix, et la dualité entre sa logique et celle de la CDC nous paraît vertueuse et saine. Nous sommes donc plutôt inscrits dans une logique de consolidation et de simplification.

Concernant le salon BIG, nous le finançons pour l'essentiel par nos propres moyens, même s'il existe quelques financements ponctuels provenant d'entreprises. Il s'agit d'un outil de rayonnement et de visibilité très important pour nous, car l'accompagnement est un élément central : derrière les financements se trouvent des entrepreneurs qui font quotidiennement face à des défis complexes et qui gagnent à partager aussi bien leurs expériences que leur énergie.

La meilleure preuve de la valeur ajoutée de ce salon réside dans l'augmentation de la fréquentation chaque année, prévue à 2 000 personnes il y a douze ans et qui est de 60 000 visiteurs aujourd'hui. Si le nombre d'invités avait tendance à diminuer, nous n'hésiterions pas à réduire la voilure, mais je ne peux que constater que l'Accor Arena de Bercy est à peine suffisante pour accueillir tous les participants, puisqu'il nous faut fermer les portes en fin de matinée et attendre qu'une partie du public sorte avant de faire entrer les personnes situées dans les files d'attente. Nous vous communiquerons le coût précis de cet événement par écrit.

M. Benoît Trivulce. - Ce salon BIG dégage une énergie extraordinaire. Nous avons pu contribuer à son financement à hauteur de 25 000 euros ou de 50 000 euros en fonction des années, car nous disposons d'un stand sur place afin de convaincre les entreprises présentes d'aller à l'international. L'événement BIG renvoie à l'entrepreneur une image de confiance et de réussite, avec des participants tels que le patron de Free.

Votre interrogation relative à la coexistence avec la DGE illustre en fait la diversité des métiers et la distinction à opérer entre l'État-stratège et la compétence spécifique de l'opérateur : la DGE peut ainsi indiquer, par exemple, qu'elle souhaite venir en aide aux start-up du secteur du tourisme ; après la signature d'une convention, Business France viendra soutenir la visibilité des sociétés concernées et organiser des rencontres avec des entreprises étrangères. Il s'agit donc de deux métiers bien différents, l'opérateur développant des compétences spécifiques.

En 2008, la ministre de l'économie, Mme Christine Lagarde, avait préconisé le déploiement d'un opérateur public orienté vers les entreprises, ce qui préfigurait notre création. Toutefois j'aurais pu commencer notre historique dès 1855, avec un rapport du prince Napoléon portant sur l'Exposition universelle de Paris, qui avait préconisé la création d'une « commission spéciale » - équivalent d'un opérateur public contemporain - afin de gagner en efficacité dans l'organisation de cet événement.

Mme Rose-Marie Abel. - Je souscris à l'analyse selon laquelle nous n'exerçons pas les mêmes métiers que la DGE, qui nous a d'ailleurs transmis en 2024 la gestion du label « Qualité Tourisme » - devenu « Destination d'excellence » - ainsi que du label « Tourisme et Handicap », dans le prolongement du transfert, par les préfectures, du volet dédié aux classements.

Plus généralement, Atout France met les acteurs du tourisme en relation et organise des visites des sites touristiques afin de leur montrer ce que pourrait être le produit à commercialiser. Ce métier est très distinct de celui qui est effectué dans les administrations centrales : il serait sans doute possible de réinternaliser l'ensemble des fonctions, mais au prix d'une augmentation des effectifs de l'État et d'un mélange de métiers très différents.

M. Christian Bilhac. - Sans être par trop désagréable, je rappelle que vous représentez le commerce extérieur et qu'il n'y a pas de quoi se glorifier en la matière... Je reconnaîtrai cependant volontiers, madame, que le tourisme est une activité excédentaire.

En ce qui concerne le mode de financement d'Atout France, vous avez évoqué l'apport de deux euros par les adhérents pour un euro versé par l'opérateur : ce mode de fonctionnement est-il valable pour Bpifrance et Business France ?

Étant moi-même un peu vigneron, je serais disposé à vous verser 3 000 euros si vous vendez 10 000 bouteilles pour moi ; mais, si vous ne vendez pas un bouchon, il est hors de question que je vous verse ne serait-ce que 100 euros : c'est à l'aune de ce rapport avec les professionnels que l'on peut mesurer l'efficacité d'un opérateur.

Des entrepreneurs vous apportent-ils des contributions en vue d'obtenir des résultats, et, si oui, que représentent-elles par rapport au budget qui vous est alloué par la loi de finances ?

M. Benoît Trivulce. - Je partage votre analyse sur le commerce extérieur, en précisant que nous n'agissons pas sur les importations françaises, mais uniquement sur une partie des exportations dépendant des ETI et des PME, soit environ 45 % du total. J'ajoute que nous n'agissons pas sur la totalité de ces contrats, mais sur leur croissance, notre action permettant de générer environ 2 milliards d'euros supplémentaires.

La faiblesse de l'industrie dans notre économie explique largement le déséquilibre de notre balance commerciale, Business France contribuant, à son niveau, à l'amélioration de la situation.

Par ailleurs, la dotation de l'État représente 45 % de notre financement et couvre plusieurs aspects, à commencer par le temps passé à convaincre les entreprises d'aller à l'international, le coût d'acquisition du client étant colossal. In fine, l'État paye un réseau d'expertise permanent en France et à l'étranger, une entreprise qui souhaite investir dans telle zone pouvant s'appuyer sur une série de services pour faciliter l'accès au marché.

Si elles n'assument pas tous les coûts, les entreprises y contribuent, ce qui est un très bon modèle économique : dès lors que le client paye, nous sommes sûrs que cela créera de la qualité, de l'innovation et de la recherche. Nous réalisons un chiffre d'affaires d'environ 138 millions d'euros par an, ce qui correspond à des prestations qui ont été vendues et qui ont donné satisfaction.

M. Paul-François Fournier. - Pour rebondir sur votre propos, monsieur le sénateur, je dirais que nous transformons l'eau en vin en générant un effet de levier à partir de dotations publiques. En matière de garantie par exemple, un euro de garantie publique accordé par l'État nous permet de garantir 28 euros du côté des banques, avec des effets de levier de cinq à vingt sur les prêts à moyen et long terme.

Notre coeur de métier réside bien dans la création de cet effet de levier et dans la gestion du risque, une autre activité consistant à obtenir des contreparties privées afin de boucler le financement des projets, aux côtés d'autres acteurs bancaires ou de fonds d'investissements.

Mme Rose-Marie Abel. - Les adhésions des 1 250 membres de notre réseau génèrent 2,1 millions d'euros de recettes, avant même de monter des projets pour lesquels s'applique le ratio que j'évoquais.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Le modèle du GIE, qui est celui d'Atout France, ne devrait-il pas être dupliqué pour les activités portées par Business France ?

M. Benoît Trivulce. - L'idée est iconoclaste. Les entreprises adoptent généralement des approches ponctuelles et n'ont pas nécessairement besoin d'une stratégie, ce qui nous conduit à leur proposer des prestations adaptées à leurs besoins. Je ne suis pas sûr que le passage par un GIE améliorerait la situation, même s'il s'agit du mode de fonctionnement retenu par les chambres de commerce à l'étranger.

Ma conviction profonde est qu'il faut éviter d'opposer les acteurs et qu'il vaut mieux oeuvrer à les fédérer en tenant compte de la diversité de leurs modèles et de leurs intérêts, dans le cadre de synergies efficaces.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - À l'heure où il est question de passer en économie de guerre, je n'ai pas entendu de propositions en termes d'économies à réaliser de votre part. Pourtant, il vaudrait mieux éviter d'aboutir à la solution stupide qui consisterait à raboter de 10 % les ressources de chacune de vos structures : que pourriez-vous proposer du point de vue de la simplification ? Il peut s'agir de trouver de nouvelles sources de financement.

Mme Rose-Marie Abel. - Nous nous adapterons à la diminution des ressources publiques, mais encore faut-il nous donner de la visibilité sur les efforts à fournir, afin que nous puissions nous réorganiser et proposer des adaptations. En tout état de cause, des solutions en apparence simple telles qu'une fusion pourraient poser davantage de problèmes qu'elles n'en résoudraient.

M. Benoît Trivulce. - Nous avions déjà déposé des propositions en octobre, en estimant à environ 7 millions d'euros le montant des économies que nous étions susceptibles de réaliser sans déséquilibrer le système. Je rappelle que la subvention de l'État représente environ 80 % de la masse salariale et qu'il faudra trouver des solutions pour générer des revenus supplémentaires si elle vient à diminuer, sous peine de déséquilibrer les outils déployés pour améliorer notre commerce extérieur.

Nous devons travailler à l'optimisation dans le cadre des COM, mais les changements répétés d'orientation posent problème à des opérateurs qui s'inscrivent dans des trajectoires pluriannuelles. Une lisibilité sur cinq ans nous permettrait de proposer des économies, par exemple en termes de réduction du nombre de salons.

À titre personnel, je pense que l'amélioration de la dépense publique passera par une réflexion de fond sur la méthode - l'annualité budgétaire étant selon moi une difficulté - et sur la responsabilité des managers et des directeurs.

M. Paul-François Fournier. - Bpifrance ne bénéficie plus de dotation de fonctionnement depuis dix ans, alors que notre activité a crû et que nous avons procédé à de nombreux recrutements pour répondre aux défis du plan de relance et de France 2030.

Nous réfléchissons à l'effet de levier qui pourrait se déployer au travers de France 2030 et des appels à projets dits « structurels » : il consisterait à anticiper les remboursements futurs des projets qui auront bien fonctionné et de placer immédiatement ces derniers en financement. Dans un contexte de pression sur les ressources, un tel mécanisme permettrait de préserver cette dynamique d'investissements et de garantir une forme de continuité. Ce dernier aspect est essentiel pour nous, car les politiques auxquelles nous contribuons doivent se déployer sur un temps relativement long.

M. Pierre Barros, président. - Merci pour vos contributions à nos travaux.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 25.

Jeudi 13 mars 2025

- Présidence de Pierre Barros, président -

La réunion est ouverte à 14 heures.

Organisations syndicales représentatives de fonctionnaires de l'État - Audition de Mmes Marie-Christine Caraty, vice-présidente fédérale, et Valérie Boye, déléguée fédérale, de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC), Ophélie Gath, secrétaire nationale de l'Union syndicale Solidaires, un représentant de l'Union fédérale des syndicats de l'État - Confédération générale du travail (UFSE-CGT) et un représentant de la Fédération syndicale unitaire (FSU)

M. Pierre Barros, président. - Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui Mme Marie-Christine Caraty, vice-présidente fédérale de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC), Mme Valérie Boyé, déléguée fédérale de cette confédération et Mme Ophélie Gath, secrétaire nationale de l'Union syndicale Solidaires.

Je précise que certains syndicats de la fonction publique n'ont pas pu désigner de représentants. Ils pourront cependant apporter leur contribution par écrit en réponse aux questions qui leur ont été adressées par notre rapporteur.

Dans le cadre de notre commission d'enquête sur les agences et les opérateurs de l'État, nous avons souhaité vous entendre, Mesdames, car le statut du personnel s'est révélé être un enjeu crucial. Ce sujet est récurrent dans nos échanges, plus encore que le coût de fonctionnement de ces agences. Il nous a ainsi été dit que la création d'agences par l'État est souvent motivée par la volonté de recruter des profils spécialisés ou de gérer le personnel de manière plus souple qu'au sein de l'administration centrale. La question du personnel devient également centrale lorsqu'il s'agit d'envisager la fusion ou la suppression de certaines agences, nécessitant alors la fusion des équipes, l'harmonisation des statuts ou encore le retour des agents dans l'administration centrale. Nous avons donc besoin de votre éclairage sur ces enjeux, que pour les personnels soient ou non en position d'encadrement.

Les conditions de rémunération constituent-elles un obstacle à la réintégration d'un fonctionnaire d'une agence vers l'administration centrale ? Qu'en est-il des contractuels ?

Quel est votre point de vue sur le mouvement de multiplication des agences et opérateurs depuis les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, souvent qualifié de démembrement de l'État ? Considérez-vous que ce mouvement a conduit à une perte d'unité de l'administration de l'État ? Y voyez-vous au contraire des avantages pour les agents et, si oui, lesquels ?

Je tiens à préciser que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site Internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié. Je vous rappelle également qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal. Je vous invite à nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête et à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Mmes Caraty, Boyé et Gath prêtent serment.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Monsieur le président, vos questions sont très pertinentes. Avant d'y répondre, j'aimerais que nos intervenants nous précisent, dans leur intervention liminaire, dans quelle mesure ils sont représentatifs des agents travaillant dans les agences, sachant que tous ne sont pas nécessairement fonctionnaires. Pourriez-vous nous éclairer sur le cadre dans lequel vous pouvez vous exprimer, en gardant à l'esprit que nos questions peuvent également concerner le fonctionnement général de l'État et ses implications sur les ministères, aussi bien l'administration centrale que les services déconcentrés ?

Mme Christine Caraty, vice-présidente fédérale de la Confédération française de l'encadrement - Confédération des cadres (CFE-CGC). - La CFE-CGC, dans le domaine des services publics, ne se limite pas aux cadres mais représente toutes les catégories de fonctionnaires. C'est une particularité de notre Confédération. Bien que la majorité des fédérations affiliées à la CFE-CGC représentent les cadres dans le secteur privé, dans la fonction publique nous couvrons toutes les catégories d'agents publics. Nous représentons également des contractuels et avons de nombreux militants au sein des établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC), des établissements publics administratifs (EPA) et d'autres organismes. Je vais laisser la parole à Madame Valérie Boyé qui pourra vous apporter plus de précisions à ce sujet.

Mme Valérie Boyé, déléguée fédérale de la Confédération française de l'encadrement - Confédération des cadres (CFE-CGC). - Je suis secrétaire générale du syndicat de l'environnement, la forêt et l'agriculture (EFA)-CGC, présent au sein des ministères de l'Agriculture, de la Transition écologique et de leurs nombreux opérateurs. Nous sommes actifs auprès de divers opérateurs tels que les agences de l'eau, l'Office français de la biodiversité (OFB), le Centre national de la propriété forestière (CNPF), ou l'Agence de services et de paiement (ASP). Certains de ces établissements emploient des salariés, comme l'Office national des forêts (ONF) ou à l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), cette dernière ayant intégré un organisme avec des salariés de droit privé lors d'une fusion. Notre champ d'action couvre donc à la fois des fonctionnaires, des agents publics contractuels, des quasi-statuts - une catégorie particulière d'agents publics - et des salariés. Nos statuts nous permettent de représenter tous ces agents, à l'exception des ouvriers.

Mme Ophélie Gath, secrétaire nationale de l'Union syndicale Solidaires. - L'Union syndicale Solidaires dispose d'adhérents dans divers opérateurs tels que l'ONF, France Travail, Météo France, certains musées, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l'Institut national pour la recherche en agriculture, alimentation et environnement (INRAE). Dans ces deux derniers organismes de recherche, nous sommes non seulement représentatifs mais également majoritaires.

Mme Christine Caraty. - Nous sommes majoritaires dans les métiers de l'emploi et nous avons une présence significative dans les musées puisque nous y sommes représentatifs. Je pense que nos deux organisations sont assez représentatives de l'ensemble des opérateurs de l'État et des agences.

M. Pierre Barros, président. - Je vous propose de poursuivre avec un propos liminaire au cours duquel vous répondrez aux questions que j'ai posées dans mon introduction.

Mme Christine Caraty. - Je vais vous transmettre un message du Président de notre fédération.

« Les opérateurs de l'État, les agences, les EPIC, les EPA font l'objet de toutes les attentions ces derniers mois. Cette attention qui leur est portée utilise parfois des raccourcis simplistes et dangereux pour notre cohésion sociale, quand ce n'est pas la sécurité même des agents publics qui est menacée. En effet, on entend ici ou là qu'il y a à peu près 1 200 opérateurs, 80 milliards de financements. Mais que font ces opérateurs ? Pourquoi ont-ils été créés ? Peu de choses sont dites là-dessus.

Prenons quelques exemples. Peut-on se passer de la formation pour adultes de l'AFPA, alors que la formation professionnelle est une priorité gouvernementale ?

Peut-on se passer de nos agents de l'ONF, alors que la prévention des incendies pour cet été est primordiale ?

Peut-on se passer de nos policiers de l'environnement de l'OFB, pour éviter de futures pertes de récoltes agricoles, des inondations, des sécheresses, de la pollution des eaux ?

Peut-on se passer de l'agence de l'eau, alors que c'est notre enjeu le plus indispensable ?

Nous pourrions faire des centaines de tracts, de communiqués de presse pour énumérer la totalité de ces exemples, mais le temps nous manque et l'urgence est là. Ces questions légitimes ne devraient gêner personne, car beaucoup d'exemples ont fait glisser des compétences d'un cabinet ministériel à un opérateur. En effet, l'idée de fond affichée était de faire une opération d'économie financière. Le résultat est un affaiblissement du pouvoir d'autonomie de gestion et de celui d'autorité légitime.

La fédération CFE-CGC ne sera pas le fossoyeur de ces services publics dans lesquels les agents ont pleine connaissance de leur mission, ni d'une mort à feu doux orchestrée avec une certaine malignité. Nous sommes prêts à regarder la situation des opérateurs qui engagent de l'argent public, mais pas en quelques heures, et votre commission d'enquête porte une lourde responsabilité dans cette tâche longue, difficile, qui peut avoir des conséquences très importantes en matière de ressources humaines (RH).

C'est pourquoi nous souhaitons que ce dossier soit abordé par le prisme des objectifs et des missions qui leur sont confiés - mais leur a-t-on seulement donné les moyens d'assurer leur mission ? - et ce malgré un contexte budgétaire contraint.

Attention aux arbitrages hâtifs, avec une réflexion à courtes vues, car c'est le moyen le plus sûr de se réveiller un matin avec une grande douleur de répondre à cette question dramatique : pourquoi les a-t-on supprimés ?

Mesdames et Messieurs les membres de la commission d'enquête, nous faisons appel à la justesse de votre discernement pour rendre des travaux justes qui ne peuvent avoir qu'une boussole, l'intérêt de servir nos concitoyens efficacement. »

M. Pierre Barros, président. - Le Sénat a toujours eu pour habitude de mener un travail honnête et de prendre ses responsabilités pour contribuer à une démarche en faveur des services publics et des agents qui les portent. Nous sommes donc tout à fait solidaires de ces propos. Il nous incombe maintenant de transformer cette solidarité en actes concrets, c'est notre responsabilité.

Mme Ophélie Gath. - Je commencerai également par notre déclaration liminaire, qui sera moins synthétique.

Selon le jaune budgétaire consacré aux opérateurs de l'État et annexé au projet de loi de finances pour 2025, sont inscrits 434 opérateurs de l'État rémunérant 402 218 emplois sous plafond en équivalent temps plein travaillé et bénéficiant de 77 milliards d'euros de financement public. C'est le point de départ des travaux de la mission.

L'Union syndicale solidaire n'est a priori pas partisane d'une organisation de l'action publique par des agences, terme fortement connoté pour nous, et par des opérateurs potentiellement trop éloignés du coeur de l'action publique. Pour autant, nous nous inquiétons des éventuelles conclusions et perceptions dans l'opinion de travaux et d'expressions dont les objectifs seraient surtout tournés vers la réduction du périmètre de l'action publique. Nous précisons par ailleurs que le nombre d'opérateurs est déjà passé de 643 en 2010 à 434 actuellement. Il existe un grand nombre d'entités, ce qui pose effectivement la question du pilotage et de la maîtrise des politiques publiques et des économies à réaliser.

Pour autant, nous préférons aborder la question de la manière suivante : quel est le sens du débat sur ces entités, quel est le panorama général et quelles sont les spécificités de ces entités et quelles conclusions générales en tirer ?

Le véritable sens du débat sous-jacent se pose ainsi : quel périmètre pour l'action publique et, par conséquent, quels moyens lui allouer ? Le principal risque est une réduction du périmètre de l'action publique alors que, face aux enjeux de la période, il faudrait consolider et renforcer le périmètre et les moyens de l'action publique.

Le débat que nous appelons de nos voeux peut en nourrir un autre. Faut-il revenir à une organisation des politiques publiques sans ce type d'opérateur, ce qui supposerait de les réinternaliser dans les services publics traditionnels, conformément à la tradition de l'État unitaire au sein duquel l'administration est subordonnée au pouvoir politique ? Un tel débat serait intéressant, notre organisation étant particulièrement critique sur les modes de gestion alternatifs inspirés de la théorie du new public management.

Une telle démarche poserait la question de l'utilité de la création d'éventuelles nouvelles entités de ce type - les missions pouvant alors continuer à être assurées par les administrations - ainsi que celle de l'évolution des opérateurs existants, qui peut remettre en cause leur origine la décision de les créer ayant été basée sur la nécessaire distance à avoir par rapport aux rapports politiques, mais sans pour autant privatiser la mission ou par besoin d'une flexibilité dans le recrutement. Le secteur des télécoms constitue un exemple ; il est vrai que la loi de 2019 a, hélas, largement ouvert le recrutement aux contractuels dans la fonction publique.

Enfin, quel que soit le sens du débat, une définition juridiquement solide et une réflexion sur une harmonisation s'agissant de la base juridique et du périmètre semblent un préalable à tous les travaux sur la question.

S'agissant du panorama général, au-delà des 434 entités, il faut rappeler que leurs missions sont très variées et utiles. Citons ainsi : Pôle emploi, Météo France, le CNRS, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), le Centre national de la recherche scientifique, l'Agence de financement des infrastructures de transport de France ou l'Institut national de santé et de recherche médicale.

Selon le Gouvernement lui-même, dans le « jaune » budgétaire sur les opérateurs de l'État, les opérateurs jouent un rôle essentiel dans la mise en oeuvre des politiques publiques conduites par le gouvernement et leur pilotage revêt ainsi une dimension stratégique importante.

S'agissant des moyens budgétaires, il existe un plafonnement des taxes qui leur sont affectées ainsi que des emplois, ce qui tend à démontrer que les économies qui résulteraient de la réduction du nombre de ces entités seraient bien faibles, sauf à privatiser leur mission, ce qui transfèrerait le coût public vers le coût privé, tout en changeant la nature de leurs missions.

La moitié des opérateurs comptent moins de 250 salariés, 17 % en comptent moins de 50, ce qui rend presque impossible la réalisation d'économies d'échelle. Cinq opérateurs ou catégories d'opérateurs concentrent plus de 60 % des emplois sous plafond : les universités et assimilés, un tiers des effectifs environ, France Travail, le CNRS, le CEA et le réseau des OEuvres universitaires et scolaires. Plus récemment, il a été établi que les trois principaux centres de recherche (le CNRS, le CEA et l'INRAE) emploient la moitié des effectifs de l'ensemble des opérateurs. À l'inverse, neuf opérateurs ne comptent aucun emploi.

Il est difficilement imaginable de réaliser des économies sur ces dépenses pour deux raisons. D'une part, ce sont des dépenses stratégiques et d'avenir, et d'autre part, les marges de manoeuvre sont faibles. La France est plutôt en dessous de la moyenne des dépenses des autres pays occidentaux dans ces domaines. Un rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) de septembre 2024 chiffre à 2,5 milliards d'euros le potentiel excédent de trésorerie, mais cela pourrait nuire aux moyens budgétaires futurs.

Plusieurs exemples montrent que certains opérateurs importants se sont avérés révélés utiles et efficaces. J'ai évoqué les principaux opérateurs dans le domaine scientifique et de l'énergie. L'Autorité de la concurrence, l'Autorité des marchés financiers, l'Office national des forêts ou encore la Commission nationale informatique et libertés ont montré leur utilité et leur spécificité.

Les supprimer risquerait de mettre l'efficacité de leur mission en danger. Une analyse au cas par cas des entités pourrait conduire à en maintenir certaines et, pour d'autres, à les faire évoluer pour les réintégrer davantage dans le giron des administrations, sans que leurs moyens financiers et humains ne soient revus à la baisse.

Pour notre organisation, il est essentiel de savoir comment des missions d'intérêt général demeurent ancrées dans l'action publique et en quoi elles disposent de moyens suffisants.

Il serait également intéressant de dresser le bilan de ces entités et de la valeur ajoutée qu'elles apportent par rapport à une organisation au sein des ministères.

De la réponse à ces questions et de l'analyse de la spécificité des différentes entités découlerait l'organisation administrative.

Il est également possible de mieux cerner juridiquement ces entités, souvent définies par défaut en lien avec leur spécificité. Le rapport de l'IGF de 2011 déplorait déjà un manque de cohérence et de définition suffisamment précise et homogène. La situation n'a guère évolué depuis.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - D'après vos propos liminaires, j'ai cru comprendre que vous n'étiez pas particulièrement favorables à cette organisation et au « démantèlement » de l'État central, qu'il s'agisse de l'administration centrale ou déconcentrée, pour créer des agences chargées de certaines missions de service public. Je suppose que la position que vous venez d'exposer est celle des agents travaillant dans ces différents opérateurs.

Si notre commission préconisait de réinternaliser toutes les missions actuellement confiées à des opérateurs, quelles pourraient être les conséquences pour les agents, selon leurs différents statuts - fonctionnaires, salariés de droit privé ou quasi-statuts ? Pourrait-il y avoir des difficultés salariales, sachant que les grilles de rémunération diffèrent entre l'administration centrale, l'administration déconcentrée et les opérateurs, avec des variations selon le statut de ces derniers ?

Vous semblez appeler de vos voeux un renforcement de l'État central : j'ai noté des critiques du phénomène d'agencification et de l'affaiblissement du pouvoir de gestion et de l'autorité légitime des ministres. Si nous préconisions cette réinternalisation, quelles seraient les conséquences pour les salariés, notamment en termes de salaire et de réintégration ?

Mme Valérie Boyé. - Je souhaite nuancer ce que vous avez compris de nos propos. Nous n'avons pas dit que nous souhaitions que tout revienne vers l'administration centrale. Chaque situation doit être examinée au cas par cas. De notre point de vue, bon nombre de ces opérateurs ont leur légitimité, fonctionnent très bien et ont intérêt à rester tels qu'ils sont actuellement. N'interprétez pas mal nos propos concernant le lien avec l'État, qui varie selon les situations.

L'unité de l'action publique est effectivement parfois mise à mal. Les agents travaillant dans les organismes se sentent parfois mal considérés et n'ont pas le statut d'agent de l'État. Néanmoins, l'administration centrale et les agences et opérateurs publics sont souvent complémentaires dans leurs actions. Les agences constituent le bras armé de l'État sur l'ensemble du territoire. C'est le cas par exemple de l'Office national des forêts (ONF), dont les agents sont majoritairement présents dans les territoires ruraux, alors que l'action de l'État s'est plutôt concentrée sur les grandes villes.

Quant aux conséquences d'un mouvement de suppression ou de fusion des agences du point de vue des agents, elles seraient importantes. Citons ainsi : la perte d'efficacité, tant au niveau individuel que collectif le temps nécessaire pour les préfigurations, les concertations, la mise en place de nouveaux organigrammes, les formations aux nouvelles missions et les recrutements à la suite des départs d'agents refusant la nouvelle configuration ; les acculturations difficiles, comme dans le cas de la fusion ayant donné naissance à l'Office français de la biodiversité (OFB), dont le directeur général a reconnu que le temps consacré à la fusion l'avait été au détriment de celui disponible pour les élus locaux ; les mobilités géographiques et fonctionnelles souvent imposées, avec des conséquences sur les parcours professionnels et la vie personnelle des agents ; les changements de statut - du droit public au droit privé ou inversement - avec des difficultés de gestion pour les services des ressources humaines, peu habituées à gérer des statuts différents ; des problèmes d'équité et d'égalité entre les personnels, notamment en termes de rémunération, de congés et d'action sociale ; une perte de repères pour les agents et les partenaires, avec des changements d'interlocuteurs ; une perte de souplesse d'action pour les agents, notamment dans la réactivité lors de crises, pour la passation de marchés ou pour des formations spécifiques - par exemple, si l'Institut national de formation des personnels du ministère de l'agriculture (INFOMA) était lié à l'administration centrale, il perdrait une partie de sa réactivité ; enfin, une complexification des instances de dialogue social, avec la coexistence de comités sociaux d'entreprises (CSE) et de comités sociaux d'administration (CSA), soit un double travail, ou des instances hybrides difficiles à gérer.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je pense que nous devons nous interroger sur ce que nous continuons à confier à des fonctionnaires, et qui ne pourrait pas être confié à des salariés de droit privé. Cela pourrait simplifier la gestion et résoudre les problèmes que vous mentionnez. Les questions que vous évoquez - et qui se posent que l'on réinternalise ou pas - , se posent déjà aujourd'hui dans les organismes qui employant des collaborateurs de droit privé et de droit public.

Mme Valérie Boyé. - L'ONF a évolué vers un recrutement accru de salariés, c'est-à-dire de contractuels de droit privé. Cependant, cette évolution a rencontré des obstacles, notamment concernant les missions régaliennes telles que la surveillance, le port d'armes et l'assermentation. Nous avons constaté la nécessité de maintenir un minimum de fonctionnaires, leur statut garantissant une plus grande indépendance comparée à la précarité potentielle des salariés en termes d'emploi.

Le recours à des fonctionnaires présente un avantage majeur dans le contexte actuel de difficultés de recrutement dans la fonction publique. Il permet de fidéliser les personnels en leur offrant une stabilité, ce qui est particulièrement important face à la tendance des jeunes à changer fréquemment d'emploi. La réduction de la précarité incite les employés à rester.

L'Agence de services et de paiement (ASP) est issue d'une fusion où la titularisation a été proposée. Certains l'ont refusée, notamment en fin de carrière, en raison des implications sur la retraite, le changement de statut entraînant une situation de polypensionné. Néanmoins, la titularisation a permis aux personnels de se sentir intégrés à la fonction publique et de bénéficier d'une mobilité accrue vers l'administration centrale ou d'autres opérateurs. Cela a ouvert des perspectives de carrière intéressantes tant pour les agents que pour l'administration, avec des possibilités de mobilité vers le ministère de l'agriculture ou le ministère des finances.

Mme Christine Caraty. - Certains organismes pourraient être privatisés, mais d'autres, comme France Travail, nécessitent une approche différente. La fusion de Pôle emploi et de l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) au sein de France Travail a été globalement réussie, malgré des difficultés persistantes en matière de ressources humaines dues à la diversité des statuts. L'intégration des psychologues du travail de l'AFPA dans France Travail est une réussite. On pourrait envisager le regroupement de l'AFPA avec les Groupement d'établissements publics locaux d'enseignements (GRETA) et les Conservatoires nationaux des arts et métiers (CNAM) pour créer un pôle important de formation professionnelle pour adultes au sein de la fonction publique. Cela permettrait potentiellement des économies en termes d'immobilier et de budget. Il est important de noter que certains organismes, créés par volonté politique, peuvent ne plus avoir leur raison d'être et pourraient fusionner.

Les disparités actuelles en termes de statuts, de grilles salariales et de retraites sont des problèmes temporaires. Avec les départs à la retraite liés au baby-boom, l'État parvient progressivement à harmoniser les statuts, comme on l'a vu dans l'Éducation nationale avec les professeurs des écoles.

Bien que certains organismes puissent être privatisés, beaucoup ont une mission étatique avec des fonctions régaliennes. Il est crucial de ne pas disperser ces fonctions hors de l'État, car cela pourrait être dangereux.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pour synthétiser, je comprends que vous considérez le maintien du statut de fonctionnaire comme essentiel pour les agents ayant des missions régaliennes de contrôle, de surveillance et d'assermentation. Cette question semble moins cruciale pour les fonctions support qu'on pourrait trouver dans le privé. Par exemple, pour un informaticien recruté avec un statut de salarié, il pourrait plus facilement travailler dans une entreprise privée sans les problèmes de multi-pensions à la retraite.

Mme Christine Caraty. - La question s'est beaucoup posée au ministère des finances, notamment avec le cadastre et les domaines, par rapport à l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) et aux géomètres privés. On peut s'interroger sur la pertinence de confier l'évaluation des terrains appartenant à l'État à des géomètres privés. Est-il judicieux de leur donner le pouvoir d'évaluer les forêts, les châteaux et autres propriétés de l'État ? Ce n'est pas une question fondamentale, mais elle mérite réflexion.

Je suis d'accord avec vous concernant un informaticien contractuel de l'État qui retournerait dans le privé, cela ne pose généralement pas de problème. Cependant, cela dépend du type de tâches qu'on lui confie. C'est toujours cette notion de pouvoir d'État que peut avoir un fonctionnaire dans son métier qui soulève des inquiétudes, notamment sur le plan déontologique.

Mme Ophélie Gath. - Nous distinguons plusieurs types de revendications. D'abord, celles qui sont communes à tous les salariés des secteurs public et privé : rémunération, conditions d'emploi, réduction de la précarité et reconnaissance. Ensuite, comme les autres agents du secteur public, le personnel des opérateurs s'inquiète des moyens alloués en termes d'emplois et de budget.

Une inquiétude plus spécifique se répand en raison d'un climat très critique envers l'existence même des opérateurs. Le lancement de cette commission d'enquête a d'ailleurs alimenté ces craintes, certains redoutant des décisions de réduction du nombre d'opérateurs sans garantie sur le maintien de l'emploi et des missions. L'attachement à la spécificité de certaines missions de certains opérateurs est également un élément à prendre en compte.

L'Union syndicale Solidaires est farouchement attachée au statut des fonctionnaires. Nous sommes pour l'abrogation de la loi de transformation de la fonction publique de 2019. Le statut de fonctionnaire implique des droits et des devoirs, garantissant une déontologie et un principe de neutralité qu'on ne retrouve pas dans le privé.

Quant à la remarque adressée à mes collègues de la CFE-CGC, l'Union syndicale Solidaires est en total désaccord avec le schéma que vous avez évoqué à la fin de votre intervention.

M. Pierre-Alain Roiron. - Une des questions que vous avez soulevées concerne la difficulté liée aux différents statuts au sein des agences. Nous avons tous des exemples en tête, comme celui d'Atout France, où coexistent des fonctionnaires, des personnes sous statut français et d'autres sous statut international. Les négociations salariales et les avancées qui en découlent varient selon ces statuts. Quelles solutions pourraient être apportées ? Existe-t-il une solution applicable à toutes les agences de l'État ?

Mme Valérie Boyé. - Je doute qu'il existe une solution unique pour toutes les agences de l'État. Dans le cadre de votre commission, vous avez certainement constaté la grande diversité des opérateurs et des agences, de leurs missions, de leurs méthodes de travail et de leurs relations avec leurs partenaires.

M. Pierre-Alain Roiron. - Nous pourrions peut-être réfléchir à une solution pour les agences dans la sphère d'un même ministère. Par exemple, dans la sphère du ministère des finances, toutes les agences qui en dépendent pourraient avoir un statut commun pour leurs employés, distinct de celui des fonctionnaires. Ce principe pourrait s'appliquer de la même manière aux agences relevant du ministère de l'agriculture ou d'autres ministères.

Mme Christine Caraty. - Une solution envisageable serait d'harmoniser la grille salariale. Actuellement, il est problématique qu'un cadre supérieur de l'administration côtoie quelqu'un du privé qui gagne beaucoup plus pour le même travail. Cette situation crée des tensions. De plus, les différences de calcul pour les retraites accentuent ces disparités.

Si nous pouvions aligner les contrats de droit privé sur la même grille des salaires que le secteur public pour un travail équivalent, l'intégration serait facilitée. Cependant, dans le contexte budgétaire actuel, il est peu probable que le gouvernement accepte d'augmenter les salaires des cadres du public au niveau de ceux du privé.

Un autre aspect à considérer est le risque de voir des jeunes recrues en contrat à durée déterminée (CDD) ou contrat à durée indéterminée (CDI) acquérir de l'expérience dans des domaines sensibles, comme le contrôle fiscal, pour ensuite partir dans le privé et devenir fiscalistes. C'est une situation qui peut être frustrante pour les fonctionnaires.

Mme Valérie Boyé. - Au-delà de la question des rémunérations, nous rencontrons de réelles difficultés en matière de mobilité entre les établissements publics ou vers l'administration centrale, y compris pour les fonctionnaires. Les différences dans le régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP) et la protection sociale complémentaire (PSC) entre structures peuvent constituer des freins à la mobilité.

Certains statuts spécifiques, comme celui de cadre administratif et technique (CAT) à l'ONF, à mi-chemin entre le statut de technicien et celui d'ingénieur au ministère de l'agriculture, posent des problèmes de mutation vers d'autres établissements. Par exemple, un agent de l'ONF souhaitant muter vers le centre national de la propriété forestière (CNPF) se heurte à des blocages en raison de l'absence d'équivalence de statut.

Les quasi-statuts représentent également un défi pour la mobilité, car ils sont liés à un établissement spécifique. Pour faciliter les mouvements, il faudrait garantir aux agents concernés une rémunération au moins équivalente à celle dont ils bénéficient dans leur établissement d'origine.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous sommes ouverts à toutes les propositions. Vous avez raison de souligner que la situation actuelle, notamment en matière de mobilité, présente des inconvénients. Par exemple, un fonctionnaire de l'administration centrale voit souvent sa rémunération augmenter significativement en partant en détachement dans une agence, ce qui peut poser des difficultés lors du retour dans l'administration.

Une piste de réflexion serait de modifier le cadre actuel pour que les agents soient en position normale d'activité plutôt qu'en détachement, quel que soit leur lieu d'affectation. Cela pourrait faciliter les mouvements dans les deux sens et la mobilité inter-établissements. La question de la mise en disponibilité pourrait également être examinée pour résoudre certains freins à la mobilité.

Mme Christine Caraty. - Je suis entièrement d'accord avec cette proposition. J'ai récemment été confronté à un cas où un cadre détaché dans un autre organisme, après avoir progressé dans sa carrière, a souhaité réintégrer son corps d'origine six mois avant sa retraite. Cela a posé des problèmes car son contrat de détachement ne lui donnait pas droit aux primes, entraînant un retour à son grade antérieur.

Nous préconisons effectivement le système que vous venez d'évoquer. Lorsqu'un agent souhaite travailler dans un autre organisme ou une autre organisation, il devrait conserver le même statut, ce qui simplifierait considérablement les choses et pourrait favoriser une plus grande mobilité des fonctionnaires entre administrations et organismes.

Je constate dans mon ministère que beaucoup de personnes extérieures viennent travailler au ministère des finances, mais l'inverse est moins fréquent en raison des avantages en termes de primes et de rémunérations. Votre proposition pourrait contribuer à résoudre ce déséquilibre.

M. Pierre Barros, président. - Dans les collectivités, la rémunération à l'indice pour les contractuels et les agents est déjà équivalente à la grille que vous proposez pour faciliter l'attractivité et la mobilité. Cependant, cela n'a pas résolu les problèmes d'attractivité dans les collectivités territoriales, qui restent confrontées à de sérieuses difficultés de recrutement.

Le véritable enjeu réside dans le niveau des salaires. L'harmonisation des statuts ne suffit pas.

M. Pierre-Alain Roiron. - Serait-il envisageable d'établir des accords de branche par ministère pour les agences extérieures, comme cela se pratique dans d'autres secteurs ?

Mme Ophélie Gath. - Je ne répondrai pas à cette question car notre organisation n'y est pas favorable, y compris au sein de la fonction publique. Je laisserai mes camarades s'exprimer sur ce sujet si elles le souhaitent.

Concernant la mobilité, le discours sur ses bienfaits reste très théorique, voire idéologique. Pour de nombreux agents publics, il s'agit surtout d'une manière d'organiser la pénurie d'effectifs en faisant circuler le personnel d'un service ou d'une administration à l'autre. Être fonctionnaire n'est pas un métier, mais un statut, par ailleurs de plus en plus attaqué. Tout comme il n'y a rien de commun entre un boulanger et un cordonnier hormis leur statut d'artisan, il n'y a pas grand-chose en commun entre un prévisionniste à Météo France et un rédacteur à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), ou entre un chercheur au CNRS ou au CEA, et un agent du Centre d'enseignement à distance (CNED).

La mobilité existe déjà au sein de l'État. Par exemple, à la direction générale des finances publiques (DGFiP), il est possible d'assurer plusieurs dizaines de missions, tant en administration centrale que dans des directions spécialisées ou territoriales. Prétendre qu'il faut plus de mobilité, sous-entendant qu'elle n'existe pas, est trompeur. La mobilité est déjà juridiquement possible, à travers le site « Choisir le service public » par exemple. Mais pour qu'elle serve l'action publique, la mobilité doit tenir compte de la grande variété des missions et des métiers de l'action publique, opérateurs compris, et doit être choisie et accompagnée.

Dans le contexte actuel, une des difficultés, y compris pour les fonctionnaires, est la dérégulation des règles de gestion et les attaques permanentes sur la mobilité dans les fonctions publiques. À la DGFiP, pour les cadres supérieurs et les cadres A, il n'y a plus de mouvements à date fixe : les mouvements se font désormais au fil de l'eau, sur fiche de poste et appel à candidature, ce qui pose des problèmes pour les agents et les services RH en termes de visibilité, de pluri-annualité et de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC).

Mme Pauline Martin. - Je souhaite revenir, Madame Caraty, sur votre discours d'introduction où vous évoquiez la possibilité de regrouper certains organismes. L'idée de thématiser la formation me semble intéressante. Il existe d'autres secteurs où l'on peut observer des redondances, comme dans le développement durable, où de nombreux opérateurs et services de l'État ont parfois des missions qui se chevauchent. En tant qu'élue locale, je constate que certains dossiers sont parfois transférés d'un organisme à l'autre sans véritable coordination.

Je voudrais avoir votre point de vue syndical sur ce sujet, qui dépasse le cadre strict des ressources humaines. De plus, avec une pointe d'humour, j'aimerais connaître votre opinion sur ce qui se dit parfois concernant la capacité des opérateurs de l'État à « recaser les copains ».

Mme Christine Caraty. - En tant que membre d'un Conseil économique, social et environnemental régional (CESER), je connais bien les problématiques régionales, départementales et communales, ce qui me permet d'avoir une vue d'ensemble. Concernant l'environnement, je laisserai ma collègue répondre.

La création des communautés de communes visait à regrouper les métiers transverses des communes pour réduire les effectifs et réaliser des économies ; force est de constater qu'elle n'a pas été un grand succès. Dans certaines communautés de communes, il y a effectivement eu des recrutements basés sur des liens familiaux ou de « copinage ». En l'absence de concours d'entrée ou de sélection pour certains emplois, tout est possible. J'espère néanmoins qu'on recrute des personnes qualifiées pour certains postes.

Il faut également souligner les difficultés liées aux emplois territoriaux, souvent mal rémunérés et difficiles, comme les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM). Avec l'augmentation de l'âge de départ à la retraite à 64 ans, la situation devient encore plus complexe.

Concernant le regroupement d'organismes par thématique, il est vrai que la France a tendance à privilégier le millefeuille administratif. Certains organismes pourraient sans doute être regroupés, notamment en ce qui concerne la gestion immobilière et les métiers transverses, ce qui permettrait de réaliser des économies significatives.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous sommes tous conscients de la nécessité de faire des économies pour continuer à financer nos priorités et notre modèle social. En tant qu'organisation syndicale, avez-vous commencé à réfléchir à ces questions pour être force de proposition et éviter que des décisions soient imposées ? L'objectif de cette commission d'enquête est justement d'apporter une réflexion collective pour éviter de revivre la situation du PLF où une réduction des crédits de 5 % a été appliquée partout, sans logique ni réflexion approfondie.

Mme Christine Caraty. - Nous avons effectivement réfléchi à ces questions, notamment en raison de notre important syndicat majoritaire à l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) au sein du Collège des Cadres. L'AFPA se trouve dans une situation assez catastrophique, comme vous le savez probablement. Nous avons discuté avec le secrétaire général de la CFE-CGC de l'AFPA et avons déjà travaillé avec le syndicat de France Travail, car nous pensons que l'AFPA et France Travail ont des points communs.

Notre priorité est de nous assurer que les agents de ces organismes ne soient pas laissés pour compte. Nous voulons qu'ils soient traités avec bienveillance et qu'ils puissent être réaffectés, le cas échéant, sur des postes où ils continueront à s'épanouir dans leur travail. La structure ou la forme importe moins que le respect du personnel et la possibilité de rendre ce processus viable. L'AFPA emploie une majorité de cadres. Nous essayons d'être force de proposition. Notre objectif est de trouver des solutions qui évitent la « casse » sociale. Nous voudrions que tous nos agents puissent être réintégrés, peut-être sous une autre forme, mais dans un établissement où ils pourraient continuer à oeuvrer pour l'État.

M. Pierre Barros, président. - Le problème principal de l'AFPA semble être sa mise en concurrence avec les organismes de formation privés. Elle est traitée de la même manière que n'importe quel opérateur privé dans le domaine de la formation. Parfois, les marchés sont remportés par d'autres opérateurs, mais ensuite délégués à l'AFPA car ces derniers n'ont pas la capacité de les assurer. Ces situations résultent de choix politiques assez anciens.

Mme Valérie Boyé. - Concernant le volet environnemental et le développement durable, je souhaite attirer votre attention sur l'importance cruciale des investissements préventifs. Il est essentiel d'investir dès maintenant pour éviter des coûts bien plus importants à l'avenir. La prévention et la gestion à moyen et long terme sont fondamentales pour éviter les crises, les surcoûts, et la nécessité de gérer l'urgence ou d'indemniser les agriculteurs faute d'anticipation.

L'environnement est un domaine transversal qui concerne toutes les politiques publiques, du logement à la défense contre les incendies, en passant par la gestion des eaux et la lutte contre les pollutions. Cette diversité explique la multiplicité des opérateurs intervenant dans ce domaine, chacun avec ses spécialités.

Le rôle des agences de l'eau ne se limite pas à la gestion environnementale, mais inclut également la mobilisation de moyens financiers via les redevances. Il est crucial de distinguer le budget transitant par ces opérateurs de celui dédié à leur fonctionnement. Cette nuance est fondamentale pour comprendre leur véritable impact budgétaire.

Il est primordial d'investir maintenant pour éviter des coûts plus élevés à l'avenir, tout en assurant une continuité dans les politiques publiques, particulièrement dans un contexte d'urgence environnementale. Déstabiliser ces opérateurs aujourd'hui, par des fusions ou des réorganisations, c'est perdre un temps précieux qui devrait être consacré à l'action immédiate.

Nous devons à la fois anticiper et prévenir pour réduire les changements climatiques, éviter les pollutions, enrayer la perte de biodiversité, et transformer notre modèle agricole pour l'adapter aux futures conditions climatiques. L'investissement dans ces domaines est crucial et ne doit pas être négligé.

Mme Ophélie Gath. - L'approche de notre organisation syndicale s'agissant de la réflexion sur les économies et les priorités a été inverse. Nous avons réfléchi non pas en termes d'économies, mais plutôt d'augmentation des recettes. Dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances (PLF), nous avons été force de propositions et avons émis onze préconisations. Je peux vous faire parvenir le rapport détaillé que nous avons rédigé à ce sujet.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Votre réflexion porte-t-elle sur l'augmentation des recettes de manière générale via la fiscalité, ou spécifiquement sur l'augmentation des ressources propres de ces opérateurs et agences ?

Mme Ophélie Gath. - Notre réflexion concerne les recettes au sens général du terme.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - C'est moins notre sujet.

Mme Ophélie Gath. - C'est très lié au sujet.

M. Pierre Barros, président. - Je propose que nous abordions des thématiques qui n'auraient pas encore été traitées et qui pourraient être pertinentes pour notre commission.

Mme Ophélie Gath. - Je souhaite revenir sur une question à laquelle nous n'avons pas encore apporté de réponse complète. Il s'agit des rapports du Conseil d'État et de l'Inspection générale des finances publiés en 2012, qui appelaient à encadrer le recours au détachement de fonctionnaires dans les agences.

L'Union syndicale Solidaires considère qu'elle ne dispose pas de données suffisamment précises sur l'état des lieux des différentes formes d'emploi au sein des opérateurs. Nous sommes néanmoins préoccupés par le développement potentiel de formes de mobilité subies et/ou de précarité, qui pourraient être favorisées par la loi de transformation de la fonction publique d'août 2019.

Nous nous interrogeons également sur les conséquences d'une mobilité qui pourrait se retourner contre l'agent. Par exemple, un agent ayant effectué une mobilité, qu'elle soit conseillée ou imposée, pourrait se voir refuser le retour dans son administration d'origine au motif qu'il ne serait plus immédiatement opérationnel. Il est donc crucial de garantir un retour dans de bonnes conditions, s'agissant aussi bien d'affectation que de promotion interne.

Notre organisation étant particulièrement critique vis-à-vis de la montée en puissance de la contractualisation, nous souhaitons que les fonctionnaires statutaires conservent ce statut. Nous estimons qu'un état des lieux des différentes pratiques est indispensable pour engager un processus d'harmonisation des droits par le haut.

Mme Christine Caraty. - Je souhaiterais revenir sur la question des accords de branche. Actuellement, la CFE-CGC Fonction publique travaille à une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) active et sur une refonte des grilles salariales.

L'idée d'une négociation annuelle obligatoire (NAO) pour la fonction publique a été évoquée par l'un des ministres. Cependant, j'ai souligné que, étant donné que les salaires du secteur public sont soumis au budget de l'État, il serait difficile de mettre en place une NAO annuelle comme dans le privé. De même, la mise en place d'accords de branche classiques pourrait s'avérer complexe dans ce contexte.

Néanmoins, nous pourrions envisager une adaptation de ce concept qui nous permettrait de discuter des salaires de la fonction publique sur une base annuelle, ce qui n'est pas le cas actuellement. Aujourd'hui c'est l'État qui décide du gel ou non du point d'indice, ou de l'attribution de la garantie individuelle du pouvoir d'achat (GIPA).

Il faut cependant garder à l'esprit que, contrairement au secteur privé, nous ne sommes pas liés à la productivité ou aux résultats d'une entreprise. Notre rémunération dépend des ressources et du budget de l'État, qui fait actuellement face à un déficit budgétaire susceptible de perdurer.

De plus, l'État étant le plus gros employeur de France, toute modification du point d'indice a des répercussions considérables. Concernant les organismes publics, l'idée d'accords de branche pourrait être explorée, mais il faudrait inventer un système adapté qui tienne compte des différences entre les statuts publics et privés.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quel regard portez-vous sur la possibilité de transférer certaines missions vers les collectivités locales ? Nous avons évoqué l'exemple du Fonds européen de développement régional (FEDER) mais nous constatons qu'il existe un certain nombre de compétences partagées entre l'État et les collectivités, qui effectuent plus ou moins les mêmes tâches. Comment envisagez-vous cette situation, sachant que les collectivités emploient également des fonctionnaires ?

Mme Christine Caraty. - C'est une question complexe. Je me réfère au rapport que le CESER présente périodiquement au Conseil régional. Nous avons réalisé un rapport sur l'agence de l'eau, qui illustre parfaitement la complexité de ces organismes. Ils relèvent à la fois des compétences régionales, départementales, étatiques et communales. Cette situation pose un problème majeur, notamment d'un point de vue politique. Imaginez une région, un département et une commune ayant des orientations politiques différentes : la gestion devient extrêmement compliquée. Les organismes dépendant de subventions et de financements divers peinent à coordonner leurs actions, car les décisions prises ne sont pas toujours alignées.

Concernant la délégation de compétences aux territoires, cela a déjà été fait, mais tout est une question de financement. Les territoires sont prêts à assumer de nouvelles responsabilités, à condition que les ressources financières suivent. Les collectivités ont du mal à comprendre pourquoi la ligne budgétaire ne suit pas toujours le transfert de compétences. Par exemple, la récente augmentation du point d'indice a posé des problèmes à certaines collectivités qui n'avaient pas anticipé cette hausse. Il faut garder à l'esprit que derrière chaque fonctionnaire, il y a un budget pour le rémunérer et financer ses activités.

Vos idées sont ambitieuses mais leur mise en oeuvre est complexe. Cependant, il est vrai que les collectivités territoriales possèdent des compétences et peuvent parfois résoudre certains problèmes de manière plus efficace que l'administration centrale.

Mme Ophélie Gath. - L'Union syndicale Solidaires n'est pas favorable aux transferts de missions, que ce soit vers des collectivités locales ou d'autres entités. Nous avons constaté que la plupart, voire la quasi-totalité de ces transferts, ont abouti à un affaiblissement de l'action publique et des services de l'État.

M. Pierre Barros, président. - Il faut d'ailleurs tenir compte du fait que les régions n'ont pas encore complètement assimilé les fusions. Certains transferts peuvent être pertinents en termes de déploiement territorial, d'échelle et de géographie. Cependant, intégrer du personnel dans les conditions que nous avons évoquées aujourd'hui est très ambitieux, d'autant plus que les régions n'ont pas encore résolu leurs problèmes internes, par exemple la gestion du RIFSEEP.

Nous vous remercions pour le temps que vous avez consacré à ces échanges.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de Mme Claire Landais, secrétaire générale du Gouvernement

M. Pierre Barros, président. - Je salue Mme Claire Landais, secrétaire générale du Gouvernement.

Madame, nous avons souhaité vous entendre car le secrétariat général du Gouvernement (SGG) occupe une place centrale, souvent peu connue du grand public, pour assurer le bon fonctionnement et la régularité de l'action gouvernementale.

Au quotidien, le SGG est chargé de l'organisation du travail gouvernemental comme du respect des procédures et apporte un conseil juridique au Gouvernement. Vous êtes, avec vos services, la garante de la continuité de l'action gouvernementale par-delà les changements politiques, puisque vous êtes seulement la quatrième titulaire de ce poste en presque trente ans. Enfin, vous supervisez les services du Premier ministre.

Vous disposez donc d'une vision très transversale des politiques menées. À cet égard, votre vision du processus d'agencification de l'État, qui a déjà été décrit au cours de nos premières auditions, nous sera très utile. Les gouvernements successifs ont émis plusieurs circulaires depuis quinze ans - signées par les Premiers ministres, donc préparées par le SGG - afin de mieux organiser le recours aux agences et de mieux exercer la tutelle. Pourtant, à l'issue des premières auditions, le sentiment qui prédomine est l'absence, pour beaucoup d'agences et d'opérateurs, de feuilles de route claires et bien pilotées par l'administration centrale. Qu'en pensez-vous ? Quel bilan en tirez-vous ?

C'est en raison de votre rôle de coordination que Mme le rapporteur s'est adressée à vous pour disposer d'informations chiffrées sur les agences, opérateurs et commissions consultatives. Vous avez répondu avec diligence, en coordination avec les ministères, et nous vous en remercions.

La base de données de la direction du budget identifie 1 169 organismes publics nationaux, définition qui méritera sans doute d'être précisée. Parmi ceux-ci figurent 426 opérateurs que nous connaissons bien, parce que les documents budgétaires donnent des éléments sur leurs effectifs et les grandes masses de leurs dépenses.

En revanche, je constate que les données financières sont partielles pour un peu plus de 200 organismes supplémentaires. Parfois, aucune donnée financière n'est fournie, notamment pour l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru). Comment cela est-il possible ?

Le SGG suit de manière plus directe les commissions consultatives, au nombre de 317. Bien que leur nombre ait été divisé par deux en quinze ans, leur existence fait toujours l'objet de critiques. Néanmoins, l'examen au Sénat d'une proposition de loi sur le sujet, rapportée par Hervé Reynaud, membre de notre commission d'enquête, a permis de mieux comprendre les raisons pour lesquelles la plupart d'entre elles ne peuvent pas être supprimées.

Partagez-vous l'idée que le mouvement de diminution du nombre de ces commissions doit se poursuivre ? Quelles sont les difficultés concrètes auxquelles se heurte le Gouvernement lorsqu'il poursuit cette ambition ?

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Claire Landais prête serment.

Mme Claire Landais, secrétaire générale du Gouvernement. - Je vous remercie d'avoir décrit le rôle du SGG. On lui prête beaucoup d'actions qui ne sont pas les siennes.

Nous sommes très proches de l'autorité politique. Le SGG est le bras armé administratif de proximité et, j'espère, de confiance des Premiers ministres successifs, mais ce n'est pas un centre de gouvernement ni un observatoire de tout ce qui se passe au sein de l'État. Nous sommes centrés sur le fonctionnement interministériel et gouvernemental, ce qui peut être particulièrement exigeant quand les renouvellements s'accélèrent, puisque c'est le SGG qui accompagne l'installation d'une nouvelle équipe gouvernementale, tout en restant bien distinct des équipes politiques des cabinets.

Nous avons un tropisme juridique très marqué, puisque nous exerçons un contrôle de régularité.

Tout cela fait du SGG un poste d'observation très intéressant sur le déploiement des feuilles de route politiques et le fonctionnement de l'État.

Je comprends donc pourquoi vous m'avez invitée, même si je n'ai pas de relation quotidienne avec les opérateurs, puisque l'écosystème du SGG est vraiment celui des ministres, de leurs cabinets et des administrations centrales.

Je préside ainsi les comités d'audition des candidats aux postes de directeur d'administration centrale. Je connais donc bien ces fonctions et les personnes qui les occupent. Nous sommes aussi le greffier de Matignon, à l'occasion des réunions interministérielles, auxquelles il est assez rare que les opérateurs soient invités à dépêcher des représentants. Ce sont, en outre, des membres de l'administration centrale qui accompagnent les commissaires du Gouvernement au Conseil d'État. Bref, je ne connais pas intimement le monde des opérateurs.

Le SGG ne dirige aucune politique publique, sinon une politique de qualité de la norme et de régulation de l'inflation normative, y compris la création d'entités, quelles qu'elles soient. Nous exerçons un rôle tout particulier sur les commissions administratives, puisque nous sommes chargés de la mise en place de la règle de deux suppressions pour toute création, qui nous a permis, après une grande campagne de suppression de commissions, de veiller, en flux, à ce que la tendance ne reparte pas à la hausse. Néanmoins, nous voyons passer des décrets de création d'établissements publics ou des projets de création de services à compétence nationale.

J'anime le comité des secrétaires généraux des ministères, et je suis moi-même l'équivalent d'une secrétaire générale d'un ministère un peu particulier que sont les services du Premier ministre, qui sont éclatés en entités très variées et comptent 3 600 personnes. J'ai aussi été secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale auparavant. À ce titre, j'ai une vision des opérateurs des services du Premier ministre et des services à compétence nationale.

Je suis aussi souvent sollicitée pour animer ou participer à des chantiers de réflexion. Michel Barnier avait demandé une réflexion sur le paysage des opérateurs et sa rationalisation potentielle, commande confirmée par François Bayrou. Avec le directeur de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) et la directrice du budget, nous avons rencontré, sur ce sujet particulier des opérateurs, les secrétaires généraux des ministères, lors d'échanges assez libres et ouverts. Ce dialogue sur les opérateurs a débordé, assez vite, sur le chantier plus large de la refondation de l'action publique.

Il me semble que la réflexion par le prisme des missions est plus fructueuse que celle qui passerait par le prisme institutionnel.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pouvez-vous nous préciser le périmètre de la réflexion menée avec le directeur de la DITP et la directrice du budget ?

Je vous remercie pour les données que vous nous avez communiquées. J'avoue mon scepticisme sur la connaissance par l'État central de ces organismes. Nous avons analysé rapidement les données transmises : les informations sont de natures très disparates. Pour certaines entités publiques, les données relatives aux finances et aux effectifs sont très lacunaires. Dans la feuille de route des Premiers ministres successifs, la réflexion porte-t-elle uniquement sur les opérateurs recensés dans le jaune budgétaire, ou avez-vous, comme notre commission d'enquête, une vision bien plus large, allant des opérateurs jusqu'aux comités consultatifs ?

Nous avons demandé des tableaux de chiffres. Si les ministères exerçaient effectivement leur tutelle sur les organismes relevant de leur périmètre, ils devraient être capables de les remplir !

Mme Claire Landais. - J'ai noté votre frustration.

Le chiffre de 1 169 est issu du tableau que je vous ai transmis, tel qu'envoyé par la direction du budget. J'aurais peut-être dû lui demander comment elle l'a construit. Ce tableau regroupe des entités de natures très différentes, par exemple des blanchisseries interhospitalières.

Je ne crois pas que le périmètre qui est celui de votre commission d'enquête constitue le champ d'investigation du SGG. Nous avons ouvert la réflexion, avec les secrétaires généraux des ministères, plutôt sur le champ des opérateurs au sens du jaune budgétaire, en y ajoutant d'autres types d'organismes suffisamment structurants pour les politiques publiques pour qu'il soit pertinent d'aborder leur raison d'être et, éventuellement, leur recoupement avec d'autres entités. Nous allons également au-delà du périmètre du jaune car nous réfléchissons aussi aux missions.

En vous envoyant ce tableau, nous souhaitions attester de notre capacité à répondre rapidement à la représentation nationale ; dans les prochaines semaines, si vous en êtes d'accord, nous supprimerons des doublons ou, si vous êtes d'accord, des lignes sans intérêt et demanderons aux ministères de compléter les données manquantes.

J'ai récolté d'abord des données auprès de la direction du budget, du contrôle général économique et financier (CGefi), de la direction générale des finances publiques (DGFiP), et de l'Insee, qui ont des remontées plus lacunaires. Je suis sûre que les ministères pourront les compléter par des remontées du terrain.

M. Pierre Barros, président. - Dans la perspective de l'examen du prochain projet de loi de finances, nous aurons un calendrier à respecter. Il faudra que nous soyons en mesure d' alimenter la réflexion du Gouvernement avec les conclusions de nos travaux.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quel regard portez-vous sur l'absence de données financières sur des entités aussi importantes que l'Institut de France, les chambres d'agriculture, ou encore l'Anru ? Les blanchisseries d'hôpitaux ne nous intéressent pas.

Certains opérateurs sont regroupés en un opérateur unique dans les tableaux : c'est le cas des universités et des écoles d'ingénieurs. L'agrégat « universités » ou « écoles d'ingénieurs » peut avoir un sens si l'on veut suivre la politique publique de formation, mais, si l'on veut des détails, peut-on les obtenir ? Seriez-vous capable de nous donner les chiffres par université - même si, en l'occurrence, nous les avons exclues de notre champ ? Quelle est la capacité de l'État central à exercer une tutelle sur ces organismes extérieurs ?

Mme Claire Landais. - Je ne crois pas qu'il faille voir ces tableaux, à ce stade, comme la traduction de la réalité du regard porté par l'État sur ses opérateurs. Il ne faut pas voir les lacunes des tableaux comme un manque de tutelle.

Sur les objets structurants, nous devons être capables de vous répondre.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je citais l'Anru, les chambres d'agriculture et l'Institut de France, mais je pourrais y ajouter les agences dépendant de la sécurité sociale et la SNCF. Les fonds publics qui leur sont alloués sont importants. Aussi, on peut s'interroger sur leur contrôle.

Au-delà des données financières, le SGG pèse-t-il sur la manière dont les différents ministères accomplissent leur rôle de commissaire du Gouvernement ? Y a-t-il une politique unifiée sur le rôle de commissaire du Gouvernement auprès de chacun des opérateurs ou agences, dès lors que l'État est présent au conseil d'administration ?

Mme Claire Landais. - Au SGG, nous sommes 93, dont 60 fonctionnaires de catégories A et A+, le reste étant de catégorie B ou C. Nous gérons le flux interministériel, nous sommes une interface administrative avec un grand nombre d'institutions. Nous organisons l'envoi des projets de loi, les navettes, les demandes de procédure accélérée, nous réceptionnons les questions écrites, renvoyons les réponses. Nous éditons également le Journal officiel.

Pour répondre à demandes relatives aux opérateurs, j'ai travaillé seule. Heureusement, j'ai beaucoup de relais et j`obtiens facilement les données que je demande, mais je n'ai pas d'administration pour assurer cette mission.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez dit que vous aviez un rôle d'animateur et que vous réunissiez l'ensemble des secrétaires généraux des ministères. Il est possible que personne n'ait jamais écrit de doctrine de l'État sur le contrôle des opérateurs... Dans le cas contraire, où peut-on trouver un interlocuteur ?

Mme Claire Landais. - Le comité des secrétaires généraux et l'animatrice que je suis constituent tout de même un bon endroit pour réfléchir aux sujets transversaux, dont l'exercice de la tutelle fait partie. Nous y réfléchissons à nouveau depuis quelques semaines.

L'agencification n'est pas née de volontés centrifuges individuelles. Un choix politique a été fait de dissocier l'État stratège de la gestion plus industrielle de certains dispositifs : cela a semblé propice à une bonne gestion. Aujourd'hui, en voyant l'administration centrale, j'ai tendance à penser qu'elle manque de capacité à peser vis-à-vis de certains opérateurs, qui ont pris beaucoup d'ampleur.

J'essaie d'éviter toute tension entre nos institutions. Je préfère trouver les moyens d'une bonne coopération. Je ne mets en cause personne et je ne pense pas que les opérateurs cherchent à jouer contre le politique, mais, de fait, l'administration centrale se sent parfois démunie pour continuer à assurer une tutelle stratégique sur certains grands opérateurs et les contrôler correctement.

On peut avoir l'impression que les autorités politiques ont perdu un peu de leur capacité à embrayer sur les opérateurs sur leur impulsion. Mais, dans cette réflexion sur la relation entre le politique et les opérateurs, il ne faut pas oublier le rôle que joue l'administration centrale ni, en son sein, les relations entre secrétaires généraux et directions métiers, qui peuvent avoir des habitudes différentes en matière de tutelle. Le ministre doit bien utiliser ces différents outils pour être efficace face aux gros opérateurs.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous dites que la réflexion est ouverte à nouveau depuis quelques semaines. Existe-t-il un document administratif qui définit le rôle de commissaire du Gouvernement ?

Mme Claire Landais. - Beaucoup de circulaires décrivent ce rôle, qui relève de l'organisation administrative. En revanche, la tutelle financière et comptable est assurée par la DGFiP.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quelqu'un, au SGG, est-il chargé de vérifier que les contrats d'objectifs et de performance (COP) ou les contrats d'objectifs et de moyens (COM) sont bien signés et renouvelés, ou est-ce qu'une telle responsabilité incombe à chaque ministère ?

J'ai été surprise d'apprendre, dans la presse, que les ministres vont demander aux agences de redéfinir leurs missions dans le cadre d'une revue, alors même qu'ils disposent de commissaires du Gouvernement et qu'ils sont censés signer les COP et les COM avec les opérateurs. Existe-t-il une « tour de contrôle », si je puis dire, qui assure le suivi de ces contrats ?

Mme Claire Landais. - Les ministères connaissent bien leurs opérateurs ; croyez-moi ou non, mais après un cycle de réunions avec les secrétaires généraux des ministères, j'ai vraiment eu le sentiment qu'ils maîtrisaient leur cheptel d'opérateurs. Ils en connaissent les avantages et les limites ; ils savent également sur quels sujets il est difficile de les challenger - c'est vrai non pas des 1 169 opérateurs, mais en tout cas de ceux qui sont structurants pour les politiques publiques dont ils sont chargés ; ils savent où ces opérateurs en sont dans les COP, ce qui a fonctionné ou non ; ils mettent en place des indicateurs et se dotent de leviers d'action.

Est-ce que ces informations sont centralisées ? Non. Mais, à mon sens, il est normal et sain qu'une telle démarche relève de chaque ministère.

Le Premier ministre a demandé de restituer, sous la forme d'une note synthétique de deux pages lisibles, les missions essentielles des opérateurs : chaque directeur d'administration centrale, y compris moi, l'avons fait, et les opérateurs eux-mêmes également. Plusieurs centaines de fiches ont été remontées : comment seront-elles exploitées ? Suffiront-elles à évaluer si la répartition des rôles est pertinente, si le modèle selon lequel la conception relève des administrations centrales et la mise en oeuvre, des opérateurs, est toujours en vigueur, si le principe de spécialité est respecté ? Voilà des sujets qu'il faut mettre sur la table.

M. Pierre-Alain Roiron. - Madame la secrétaire générale, lors de votre audition en janvier 2020 devant la commission d'enquête du Sénat sur l'influence des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques, vous aviez défendu l'externalisation de certaines missions de l'État lorsque la technicité du sujet le justifie, comme ce fut le cas, par exemple, pour la loi de 2019 d'orientation des mobilités.

Ce raisonnement peut-il s'appliquer au processus d'agencification de l'État, qui consiste à déléguer certaines missions à des agences publiques ?

Dans quelle mesure le recours aux cabinets privés et aux agences traduit-il une même volonté d'externalisation des compétences de l'administration centrale ? Selon vous, quels en sont les risques, mais aussi les bénéfices ?

Mme Claire Landais. - Lors de l'audition devant la commission d'enquête, il m'a été demandé s'il était normal que la réalisation d'une étude d'impact d'un projet de loi soit confiée à un cabinet privé, et j'ai répondu que la définition de l'objectif stratégique ou la réflexion sur les alternatives ne devaient évidemment pas être confiées à un cabinet de conseil, mais que cela ne me choquait pas que l'on y recoure lorsqu'il s'agissait d'évaluer précisément les impacts d'une mesure sur différentes catégories d'acteurs.

Depuis ces travaux, qui illustrent bien le rôle d'aiguillon que peuvent jouer les commissions d'enquête, le recours aux cabinets de conseil a beaucoup évolué.

Malgré tout, je continue de penser que nous avons bien fait de faire appel aux cabinets de conseil, notamment en période de pic d'activité, car cela permet de lisser le travail et de bénéficier d'un regard extérieur - même s'il ne faut pas s'y abonner, au risque que ce regard ne soit plus réellement extérieur... Mon propos était nuancé.

Ce raisonnement s'applique-t-il aux agences ? En réalité, l'agencification recouvre des réalités variées, parfois anciennes. Les établissements publics ne sont pas des objets nouveaux dans notre paysage administratif. L'administration centrale est à la main du ministre, contrairement aux opérateurs, qui en sont éloignés, car ils disposent d'une forme d'autonomie, plus ou moins importante selon qu'ils sont ou non dotés de la personnalité morale. Il ne s'agit pas pour autant d'une externalisation, puisqu'ils ne sont pas en dehors de la sphère étatique ; au contraire, il s'agit d'établissements publics sous tutelle de l'État.

Les raisons qui ont conduit à la création d'agences plutôt qu'au maintien de certaines missions au sein des administrations centrales sont multiples. Comme je l'ai déjà dit, il y va souvent d'une recherche d'efficacité : le partage des rôles entre la conception et la stratégie, qui relèvent de l'administration centrale, et la mise en oeuvre, confiée aux agences, reste pertinent dans de nombreux cas.

De même, il est toujours vrai que l'autonomie des agences permet d'impliquer davantage dans leur gouvernance les parties prenantes, comme les élus locaux, et qu'elle facilite la mobilisation de ressources propres. Selon certains, le revers de la médaille de l'autonomie serait que les agents sont des militants et se sentent propriétaires de l'agence. Au contraire, les agences de l'État me paraissent extrêmement loyales.

M. Pierre-Alain Roiron. - Ce n'était pas le sens de ma question...

Mme Claire Landais. - Je souhaite simplement dire qu'il s'agit moins d'un militantisme que d'un engagement en faveur de certaines politiques publiques. Certains agents publics s'engagent en fonction des thématiques portées par certaines agences. Aussi, l'agencification a utilement permis à la fonction publique de conserver son attractivité, et c'est précieux.

Le foisonnement n'est pas immaîtrisé. Le paysage administratif ne part pas à vau-l'eau ; l'augmentation du nombre d'agences n'est pas telle que l'on pourrait penser que la tendance centrifuge s'accélère - au contraire !

Cela dit, il est vrai que l'on constate parfois une dérive liée au manque de respect du principe de spécialité, car les missions accessoires prennent de plus en plus d'ampleur. Il est bon, dans ces conditions, de s'interroger, comme l'a demandé le Premier ministre, sur ce qui relève de leurs missions essentielles ou accessoires, lesquelles peuvent être le doublon de ce que font d'autres agences ou l'administration centrale, être en contradiction avec les messages envoyés ou rendre plus difficile la déconcentration.

Il faut aussi travailler sur des questions plus structurantes, comme celles des suppressions, des fusions et des mutualisations.

En tout état de cause, il ne faut pas lier cette question avec celle de la trajectoire des finances publiques, car les ordres de grandeur ne sont pas les mêmes. Le sujet doit être abordé par le prisme de l'efficacité de l'action publique, et non par celui d'un train de vie fantasmé des opérateurs, qui serait un gisement d'économies massives.

Mme Pauline Martin. - L'évaluation des politiques publiques est un enjeu central, surtout s'agissant des agences. Quelle est votre vision sur ce sujet ? De quels outils disposez-vous pour mener une telle évaluation ?

Par ailleurs, comment éviter la multiplication des agences, qui peut parfois affaiblir les ministères ? En France, contrairement à ce qui se fait en Suède par exemple, nous avons tendance à déléguer certaines missions aux agences sans pour autant redimensionner les ministères en conséquence. Ne risque-t-on pas une dispersion des politiques publiques et des ressources ?

Mme Claire Landais. - En tant que SGG, je ne dispose pas d'outils d'évaluation des politiques publiques.

Mme Pauline Martin. - Oui, mais, depuis votre poste, vous avez une vision globale !

Mme Claire Landais. - J'ai un bon poste d'observation, même si je connais mieux certains champs de l'action publique pour y avoir travaillé.

D'ailleurs, la question des relations entre les agences, l'administration centrale et les services déconcentrés se pose de façon tout aussi intéressante pour les interactions entre les administrations de l'État. Depuis sept ans que je travaille dans le monde interministériel, j'ai pu constater à quel point il existe une méconnaissance entre ministères eux-mêmes, qui alimente chez certains l'impression d'être plus pauvres que d'autres, ce qui relève souvent du fantasme.

Un levier important pour atténuer ces écarts de perception réside dans la mobilité des agents publics : entre ministères, entre administrations centrales et services déconcentrés, ou encore entre l'État et ses démembrements.

À mon sens, on ne peut pas parler d'une multiplication des agences. En réalité, le nombre d'opérateurs tend plutôt à se stabiliser, voire à diminuer si l'on se réfère aux jaunes budgétaires. En revanche, ils gèrent beaucoup plus d'argent public qu'auparavant, mais cette évolution est proportionnelle à celle des dépenses publiques au cours des dernières années. L'existence d'opérateurs contribue-t-elle à l'augmentation des dépenses publiques ou bien complique-t-elle l'identification des véritables gisements d'économies ? J'ai du mal à répondre à une telle question ; ce qui est certain, en revanche, c'est que les opérateurs doivent faire partie de la réflexion sur la gestion des grandes masses budgétaires, en particulier en matière de transferts.

Une tutelle stratégique efficace doit être en mesure d'orienter les politiques publiques, y compris lorsqu'elles sont conduites par des opérateurs. Les opérateurs sont censés mettre en oeuvre des politiques publiques conçues par l'administration centrale - la conception est d'abord politique et s'appuie sur les ressources de l'administration centrale.

Ma réponse n'est peut-être pas pleinement satisfaisante, mais je n'en ai pas de meilleure.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Plusieurs circulaires ont été prises pour rationaliser le paysage des agences et des opérateurs, notamment en avril 2013, septembre 2014, juin 2015, juin 2019. Quel a été leur effet ?

Mme Claire Landais. - J'ai dû me replonger dans ces circulaires : le fait que je ne les connaisse pas par coeur est peut-être déjà un signe...

Cela dit, les questions qu'elles nous invitent à nous poser demeurent d'actualité ; par exemple, celle de savoir quand il est pertinent de créer une agence, et quand il ne l'est pas, demeure - et mes chargés de mission disposent de grilles d'analyse pour y répondre.

Évidemment, on ne peut pas garantir que chaque étude d'impact sur la création d'une agence aboutisse systématiquement à une décision rationnelle. Il arrive que la création d'un opérateur découle avant tout d'un besoin politique pressant, sans qu'il y ait eu le temps d'anticiper, et que l'étude d'impact serve ensuite à rationaliser cette décision a posteriori. Cela arrive, mais dans l'ensemble, nous avons les bons réflexes et nous nous posons les bonnes questions.

Nous plaidons régulièrement pour tirer parti des opérateurs existants plutôt que d'en créer de nouveaux. Par exemple, récemment, la création d'un nouvel établissement public a été envisagée dans le cadre de l'examen du projet de loi d'urgence pour Mayotte. Nous avons proposé de nous appuyer plutôt sur l'Établissement public foncier et d'aménagement de Mayotte (Epfam). Une ordonnance permettra de lui confier de nouvelles missions. Nous jouons souvent un tel rôle, et cet aspect des circulaires reste bien présent.

Par ailleurs, je vous ai adressé un document préparé par la direction du budget, qui détaille les suppressions et fusions opérées depuis 2012 : le paysage des agences n'a pas du tout explosé.

M. Pierre-Alain Roiron. - Monsieur le président, pourrions-nous disposer de ce document ?

M. Pierre Barros, président. - Oui.

Mme Claire Landais. - Depuis 2012, quelque 69 organismes qualifiés d'« opérateurs » ont été supprimés, et 45 opérations de fusion ont concerné 134 opérateurs. Cela montre que cette politique est active et qu'elle s'intensifie à certains moments, notamment à la suite de la publication d'une circulaire à ce sujet.

En 2019, nous avons tous été invités à réfléchir à la suppression des entités de moins de 100 équivalents temps plein (ETP). Lorsque j'étais au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), nous avons supprimé l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), qui était un établissement public, ainsi que l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), qui était un groupement d'intérêt public (GIP). Ces exemples m'ont montré qu'il n'est jamais simple de supprimer des agences, car, derrière chaque structure, il y a des personnes, des missions, des cultures de métier. Il faut être attentif aux enjeux humains et aux raisons qui ont conduit, à un moment donné, à la création de ces entités.

M. Pierre-Alain Roiron. - J'ajoute que le coût et les missions des agents dont les postes ont été supprimés sont souvent transférés à d'autres. On le sait, certaines fusions ont même entraîné des coûts supplémentaires.

Mme Claire Landais. - Oui, les rationalisations par fusion, qui peuvent, à terme, générer des économies, impliquent des surcoûts initiaux, qui parfois ne disparaissent jamais complètement. C'est d'ailleurs pourquoi le Premier ministre nous a demandé à travailler sur les opérateurs à partir non pas d'un objectif chiffré de réduction, mais de tous les leviers possibles : suppressions - lorsque cela fait sens -, fusions, internalisations, mutualisations des fonctions support et suppressions d'implantations territoriales. Nous ne sommes pas guidés par l'objectif d'obtenir le scalp des opérateurs supprimés.

Pour avoir eu à le faire, je me suis rendu compte que supprimer un établissement public était loin d'être une évidence. Dans mon cas, la décision reposait sur une commande claire de Matignon, car il fallait des ETP supplémentaires pour les missions de cybersécurité gérées par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi), qui est un service à compétence nationale (SCN) rattaché au SGDSN. J'avais alors pour mission d'optimiser les marges de manoeuvre au sein du périmètre de 1 200 personnes du SGDSN, incluant l'administration centrale et ses trois SCN. Il s'agissait donc d'adapter l'écosystème en veillant à allouer les ressources là où elles étaient les plus essentielles.

Cet exemple illustre un point important : les directeurs d'administration centrale et les opérateurs doivent faire des propositions, mais il faut leur laisser des marges de manoeuvre et leur faire confiance dès lors que l'orientation politique a été donnée.

D'ailleurs, je vois passer dans mon bureau beaucoup de hauts fonctionnaires qui réfléchissent à la suite de leur carrière, - en tant que SGG, je préside le comité d'audition pour la nomination des directeurs d'administration centrale. Nombre d'entre eux me disent souhaiter rejoindre un opérateur, ayant l'impression que l'on y dispose de plus de marges de manoeuvre. J'ai l'impression que cette envie d'autonomie est autoréalisatrice. Il est important de dire qu'il existe aussi, au sein de l'administration centrale, des marges de manoeuvre, des leviers d'action, de la confiance avec le politique : répondre à la commande politique n'empêche pas de pouvoir faire des propositions. Il faut corriger l'impression de déséquilibre entre les administrations centrales, où l'on serait contraint, et les opérateurs, où l'on serait très libre. Au sein des opérateurs, il doit être clair que l'on reste contraint par une commande politique et par une tutelle ; au sein des administrations centrales, on doit disposer de leviers stratégiques et exercer correctement la tutelle.

M. Pierre Barros, président. - Êtes-vous donc en train de préparer une nouvelle circulaire qui aurait pour objet de renforcer l'attractivité du travail dans les ministères aux yeux des agents qui considèrent aujourd'hui avoir davantage d'intérêt à poursuivre leur carrière au sein des opérateurs ?

Mme Claire Landais. - À ma connaissance, aucune circulaire n'est en cours de préparation.

La succession des circulaires ne signifie pas que celles-ci n'ont pas d'effet sur le réel : il est bon de rappeler régulièrement certaines orientations, notamment parce que les équipes tournent. Quand un nouveau gouvernement arrive, je propose de reprendre et réaffirmer des principes déjà posés par mes prédécesseurs.

S'il n'y a pas de circulaire en cours, nous travaillons néanmoins sur d'autres axes, notamment avec la délégation interministérielle à l'encadrement supérieur de l'État (Diese), la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), la direction du budget et d'autres acteurs interministériels, pour renforcer le collectif de l'administration centrale. Pour être attractive, celle-ci doit répondre au besoin qu'ont les agents de se retrouver dans un collectif, d'échanger sur leurs pratiques, de se sentir soutenus et de disposer des bons outils.

En tant que directeurs et directrices qui connaissent bien l'administration, nous avons un rôle à jouer sur cette question ou sur celle de la mobilité. Comme je l'ai dit, il est important de valoriser les parcours où l'on alterne entre des fonctions opérationnelles et des fonctions d'expertise ou de direction. Cela permet d'ailleurs de déconstruire certaines idées reçues, notamment l'illusion que « c'est toujours mieux ailleurs ».

Les opérateurs attirent, mais l'administration centrale doit tout autant donner envie d'y venir. Nous y travaillons, mais cela nécessite également de rééquilibrer les relations avec les cabinets ministériels : chacun doit être dans son rôle et avoir l'espace de le jouer.

Mme Ghislaine Senée. - Vos réponses confirment nombre de nos intuitions : chaque ministère connaît bien son cheptel d'opérateurs, mais il n'y a pas encore de vision centralisée, même si vous menez un travail d'animation.

Quelle est l'échéance du travail que vous a demandé le Premier ministre ? Pourrons-nous en lire les conclusions ? Il est essentiel que nous puissions disposer d'une vision claire, notamment sur le périmètre des agences que nous analysons.

Vous mentionniez que, depuis 2012, 69 suppressions et 42 fusions ont été réalisées. Existe-t-il un suivi précis de ces opérations ? Comment les agents évoluent-ils lorsqu'ils réintègrent les ministères ? Travaillent-ils sur les mêmes thématiques ? Changent-ils de secteur ? Surtout, qu'en est-il du suivi budgétaire et financier ? Existe-t-il un dispositif spécifique pour évaluer les surcoûts potentiels des fusions ?

Ne serait-il pas nécessaire d'instaurer, une bonne fois pour toutes, un processus de suivi clair et structuré ? Les parlementaires y seraient très favorables, car cela permettrait une validation et une évaluation rigoureuse des suppressions et des fusions. Il arrive que la suppression d'une agence découle naturellement de l'extinction d'une politique publique, mais ce n'est pas toujours le cas... Nous avons parfois l'impression que les fusions ne produisent pas toujours les effets escomptés ou ne répondent pas complètement à l'intention politique initiale.

Mme Claire Landais. - Depuis plusieurs années, le jaune budgétaire permet d'assurer un suivi comptable. Ainsi, les ministères ont une idée assez claire des dispositifs qui ont fonctionné et peuvent vérifier que les évolutions de périmètre ont répondu à la commande politique.

La tentation de l'exhaustivité des contrôles et du suivi nous mène à des impasses. Il est préférable de cibler nos évaluations et nos réflexions sur des objectifs qui en valent la peine, étant donné les moyens dont nous disposons.

J'ai pour objectif d'alimenter les réflexions de votre commission d'enquête non seulement sur les grandes tendances, mais aussi sur tel ou tel opérateur ; d'ailleurs, je vous présenterai bientôt des pistes de travail, en vue de la préparation du budget. Pour autant, je n'ai pas vocation à vous dire ce qu'il convient de faire de manière précise, car je ne dispose d'aucun mandat politique. C'est bien à l'autorité politique de prendre la main.

Mme Ghislaine Senée. - Nous aimerions avoir plus de visibilité sur les 42 fusions qui ont été évoquées. Le regroupement de plusieurs agences répond souvent à une commande politique, mais il n'est pas toujours évident à réaliser, les entités concernées ayant parfois des champs de compétences très différents.

M. Pierre Barros, président. - De toute évidence, il n'est pas possible de contrôler toutes les entités, car cela supposerait des effectifs colossaux. Pour autant, il est difficile d'identifier le rôle de chacune des parties prenantes et la façon dont les politiques publiques sont réparties entre les opérateurs de l'État si nous ne disposons d'aucun moyen d'évaluation.

Le contrôle budgétaire qui pèse sur les collectivités locales, notamment sur les communes, est redoutable : il conduit à traquer des centimes d'euros sur chacune des lignes budgétaires. Les élus ne s'en plaignent pas, car cela sécurise l'exercice de leur mandat. Néanmoins, la question du contrôle est traitée de manière très différente entre l'échelle locale et celle de l'État. Ce n'est pas rassurant.

Mme Claire Landais. - Il n'y a pas à douter de la réalité du contrôle. Il est effectué à la fois par le Parlement, dans sa mission de contrôle du Gouvernement et d'évaluation des politiques publiques, par les inspections générales, qui peuvent diligenter un certain nombre d'audits, et par la Cour des comptes.

Encore une fois, nous ne procédons ni à un bilan exhaustif a posteriori, ni à une centralisation de toutes les données : nous n'en avons pas les moyens, et cela n'améliore pas forcément l'efficacité de l'action publique.

J'ajoute que, compte tenu de leurs effectifs, les administrations centrales se sentent parfois démunies face à de très gros opérateurs. En effet, les politiques qui se trouvent entre leurs mains brassent un public large et beaucoup d'argent public.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Si je comprends bien, vous n'assurez pas de suivi à l'échelon central, mais cela ne vous empêche pas de fournir des données le jour venu.

L'information est essentielle. Lors de l'examen du projet de loi de finances, on nous a demandé de nous prononcer sur la création d'une foncière d'État. Or cela supposait de pouvoir cibler précisément les contributeurs et acteurs potentiels.

Comme vous, je veux être optimiste et compter sur le fait que les ministères pourront, d'ici à quelques semaines, transmettre une information exhaustive sur tous les objets qui relèvent de leur champ de compétences. Nous interrogerons également la direction du budget, ce qui nous permettra d'affiner le périmètre de notre commission d'enquête.

Au-delà, nous avons besoin de savoir combien de temps prennent la collecte et la consolidation de l'ensemble des données, de manière à identifier le nombre d'agents des opérateurs et connaître leur statut. Nous ne manquerons pas d'interroger les membres des services qui, à l'échelon interministériel, assurent des fonctions support pour les agences et les opérateurs de l'État, comme la Diese et la DITP.

Du reste, il est prévu que toute commission consultative créée par décret a une durée de vie de cinq ans. Bon nombre de ces commissions, ayant été renouvelées en 2020, doivent prendre fin au mois de juin prochain. Envisage-t-on de reconduire leur mandat ? Quelle est la règle d'arbitrage qui peut faire pencher la balance en faveur soit de la suppression, soit du maintien de ces commissions ?

Mme Claire Landais. - Nous organiserons une campagne pour entendre toutes les demandes concernant le maintien ou la suppression des commissions consultatives. La division de leur nombre par deux était bienvenue, mais l'objectif d'affichage politique sur laquelle elle était fondée lui a donné un caractère un peu artificiel - il ne s'agissait parfois que de supprimer le texte fondateur.

Les commissions consultatives ne pèsent pas toutes de la même manière sur les finances publiques ou le fonctionnement de l'administration. Certaines ne se réunissent pas pendant une année entière. Doit-on pour autant les supprimer ? Le jour venu, elles permettent tout de même de réunir des experts...

Le fait qu'une commission se réunisse rarement ne constitue pas en soi un critère de suppression. Néanmoins, le SGG veille de façon ferme et constante à évincer les redondances. En tout état de cause, on ne peut pas nous demander la création d'une nouvelle commission sans proposer d'en supprimer deux autres. Il y a parfois des dérogations à ce principe, lorsque le cabinet du Premier ministre souhaite temporiser sur le gage.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous sommes informés du coût inhérent au fonctionnement de plusieurs comités via la base de données transmise. Facialement, certains comités n'impliquent aucune dépense de la part de l'État, mais ils ont tout de même un coût lorsqu'ils se réunissent régulièrement : il faut bien mobiliser des agents publics et mettre à disposition un local.

Existe-t-il une règle de valorisation concernant le prêt de salles pour l'organisation d'une réunion ? Il faut que nous puissions avoir une photographie du coût complet induit par ces comités.

Mme Claire Landais. - Nous ne disposons pas d'une comptabilité analytique permettant d'imputer aux comités un loyer fictif pour l'occupation d'un local public. Néanmoins, grâce à la gestion du jaune budgétaire relatif aux commissions de consultation, le SGG connaît un certain nombre de coûts, notamment en matière d'ETP.

À l'heure actuelle, le coût total de fonctionnement des commissions consultatives s'élève à 30 millions d'euros. Nous pourrons toujours approfondir ce chiffrage si vous nous le demandez. Toutefois, la mise en place d'une comptabilité analytique pour toutes les commissions consultatives existantes aurait un coût administratif largement supérieur aux constats que nous pourrions en tirer.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Si vous estimez que ces 30 millions d'euros représentent un coût réel, nous sommes prêts à le prendre pour argent comptant !

Par exemple, le Conseil supérieur de l'énergie (CSE) n'a pas de budget en tant que tel, mais il organise plusieurs réunions auxquelles se rendent des agents de la direction générale de l'énergie et de la Commission de régulation de l'énergie (CRE). À cette occasion, ils échangent avec des parties prenantes qu'ils ont déjà rencontrées dans un cadre bilatéral. En outre, une salle est mise à disposition pour l'organisation de ces réunions. Bref, tout cela engendre des coûts qui ne sont pas inscrits sur une ligne budgétaire spécifique.

Les 30 millions d'euros auxquels vous vous référez sont-ils une version agrégée et approximative des coûts inhérents à l'ensemble des comités ?

Mme Claire Landais. - En effet, il n'est pas toujours pertinent de mobiliser de façon régulière des fonctionnaires dans le cadre de ces réunions.

Nous n'avons pas encore creusé le sujet du coût lié à la mise à disposition des locaux de l'État. Toutefois, la remontée annuelle d'informations de la part des ministères sur les commissions consultatives nous permet de réévaluer le rapport bénéfices-coûts.

Certaines parties prenantes échangent une seconde fois, bien qu'elles se soient déjà réunies. Je comprends votre réflexion, madame la rapporteure, mais la multiplication de réunions est parfois un passage obligé pour convaincre les écosystèmes et faire aboutir la décision publique. Il est normal que des fonctionnaires prennent le temps d'écouter les destinataires de la norme. Toutefois, nous veillons à ce que les consultations ne s'accumulent pas de façon abusive, notamment celles qui abordent un sujet au travers d'un prisme identique.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'avis des commissions a-t-il parfois un caractère contraignant ?

Mme Claire Landais. - Il existe peu d'avis conformes.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Tout le monde parle des comités Théodule, mais encore faut-il que nous puissions connaître le coût inhérent à leur fonctionnement ! C'est ainsi que nous serons en mesure d'améliorer l'efficacité de l'action publique.

Dans une période relativement récente, les gouvernements successifs n'ont pas manqué de multiplier les grand-messes pour modifier la conduite de l'action publique : révision générale des politiques publiques (RGPP), modernisation de l'action publique (MAP), Comité Action publique (CAP) 2022... Les recommandations formulées dans le cadre de ces missions sont-elles suivies ?

Ces missions sont souvent attachées à la personnalité du Premier ministre qui ordonne leur mise en place. Pensez-vous que leur objet prend fin à l'instant où son mandat cesse ?

Mme Claire Landais. - Ces programmes drainent fort heureusement des réflexions qui perdurent et permettent, à terme, de dénouer certains problèmes. Derrière l'affichage politique, c'est bien un travail de fond qui est mené, pour alimenter la réflexion des acteurs politiques.

Le bilan de ces grandes missions n'a pas été fait. Néanmoins, nous disposons d'une masse documentaire importante à leur sujet, qu'il s'agisse des rapports d'inspection ou des travaux d'évaluation de la Cour des comptes.

M. Pierre Barros, président. - Nous vous remercions pour votre venue, madame la secrétaire générale.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 16 h 50.