Mercredi 29 janvier 2025

- Présidence de M. André Reichardt, président d'âge -

La réunion est ouverte à 13 h 30.

Réunion constitutive

M. André Reichardt, président d'âge. - Il me revient d'ouvrir la première réunion de la commission d'enquête aux fins d'évaluer les outils de la lutte contre la délinquance financière, la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales, en France et en Europe, et de proposer des mesures face aux nouveaux défis, dont la Conférence des présidents a décidé la création le 18 novembre dernier.

Nous devons tout d'abord procéder à la désignation du président de la commission d'enquête.

Aux termes de l'article 6 bis du règlement, la « fonction de président ou de rapporteur est attribuée au membre d'un groupe minoritaire ou d'opposition, le groupe à l'origine de la demande de création obtenant de droit, s'il le demande, que la fonction de président ou de rapporteur revienne à l'un de ses membres ».

J'ai reçu la candidature de M. Raphaël Daubet.

La commission d'enquête procède à la désignation de son président, M. Raphaël Daubet.

- Présidence de M. Raphaël Daubet, président -

M. Raphaël Daubet, président. - Je vous remercie de votre confiance ; c'est pour moi une première.

Nous procédons, dans un premier temps, à la désignation du rapporteur.

J'ai reçu la candidature de Mme Nathalie Goulet.

La commission d'enquête procède à la désignation de son rapporteur, Mme Nathalie Goulet.

M. Raphaël Daubet, président. - Nous procédons, dans un second temps, à la désignation des vice-présidents.

Compte tenu des désignations du président et du rapporteur qui viennent d'avoir lieu, la répartition des postes de vice-président est la suivante : pour le groupe Les Républicains, trois vice-présidents, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, deux vice-présidents ; pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, un vice-président ; pour le groupe Union Centriste, un vice-président ; pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky, un vice-président ; pour le groupe Les Indépendants - République et Territoires, un vice-président ; pour le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, un vice-président.

Pour les fonctions de vice-président, j'ai reçu les candidatures suivantes : pour le groupe Les Républicains, M. Marc-Philippe Daubresse, Mme Nadine Bellurot et M. André Reichardt ; pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, M. Hussein Bourgi et M. Patrice Joly ; pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, M. Dominique Théophile ; pour le groupe Union Centriste, Mme Sylvie Vermeillet ; pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky, M. Pascal Savoldelli ; pour le groupe Les Indépendants - République et Territoires, M. Dany Wattebled ; pour le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, M. Grégory Blanc.

La commission d'enquête procède à la désignation des autres membres de son Bureau : M. Marc-Philippe Daubresse, Mme Nadine Bellurot, M. André Reichardt, M. Hussein Bourgi, M. Patrice Joly, M. Dominique Théophile, Mme Sylvie Vermeillet, M. Pascal Savoldelli, M. Dany Wattebled, M. Grégory Blanc, vice-présidents.

M. Raphaël Daubet, président. - Les commission d'enquête disposant de six mois pour achever leurs travaux, nous devons avoir adopté notre rapport à la mi-juin au plus tard.

Je propose, en accord avec Nathalie Goulet, que la majeure partie des auditions aient lieu le jeudi, journée traditionnellement consacrée aux commissions d'enquête. Nous proposerons éventuellement des auditions le lundi après-midi, si nécessaire. Vous recevrez prochainement le programme des premières auditions.

Je vous rappelle par ailleurs la stricte confidentialité de nos travaux ; je vous invite donc à la plus grande prudence dans vos prises de position publique. J'en serai garant comme président.

En ce qui concerne la publicité de nos travaux, les auditions feront systématiquement l'objet d'un compte rendu, sauf demande expresse contraire des personnes entendues.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Je me réjouis que le groupe Union Centriste ait demandé la création de cette commission d'enquête. Je travaille depuis longtemps sur le terrorisme, mais aussi sur la fraude et l'évasion fiscale, ce qui m'a naturellement conduite à la criminalité organisée.

La commission d'enquête sur le narcotrafic a ouvert une voie et le parquet spécialisé que le Sénat a créé, hier, lors de l'examen de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic. Il ne devait initialement concerner que le narcotrafic mais concernera finalement la criminalité organisée dans son ensemble. Cette notion est donc en train de prendre toute sa place dans notre appréhension de la sécurité. C'est très positif.

Il n'est pas question de refaire le travail sur le narcotrafic, qui a été très bien fait par nos collègues, le narcotrafic n'étant qu'un élément de la criminalité organisée. J'avais proposé à mon groupe d'étudier de manière plus approfondie la criminalité organisée et la délinquance financière, et mon collègue Olivier Cadic a suggéré d'englober également dans notre sujet d'étude la violation des sanctions internationales. Le champ ainsi défini peut paraître large, mais il y a en réalité de nombreux thèmes communs, du point de vue tant des ressorts de la criminalité que des dispositifs de répression et des nouveaux outils de lutte. Surtout, au centre de ce thème se trouve le blanchiment d'argent, la clef de toute cette délinquance. Même si cette question a été abordée hier, on n'en parle pas assez. Elle sera donc au coeur de nos débats, puisque la délinquance financière doit forcément recourir aux mécanismes de blanchiment.

J'ai identifié quatre grands thèmes :

- les crypto-actifs, qui présentent des enjeux de sécurité et de délinquance extrêmement importants. Je vous propose à ce sujet d'organiser une séance de formation avant de conduire nos auditions proprement dites, car c'est un sujet majeur. Le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis met à mal tout un système qui était en train de se mettre en place pour contrôler et réguler ces actifs. Nous ne sommes absolument pas préparés et les directives européennes ne sont pas au niveau. Pendant cette audition pédagogique, des experts nous expliqueront les tenants et les aboutissants de cette question ;

- le trafic d'êtres humains, notamment de migrants. À ce jour, environ 150 millions de personnes en sont victimes. Le chiffre d'affaires estimé du trafic de migrants s'élève entre 5 milliards et 7 milliards de dollars par an. On sait quelles en sont les conséquences pour les sociétés, pour la sécurité, pour la population. Une filière a été démantelée récemment en Pologne. Le trafic d'êtres humains est un sujet important pour la société et pour nous en tant que politiques, mais c'est aussi un sujet éminemment humain ;

- la contrefaçon. Je vous renvoie à cet égard au livre que j'ai publié sur l'argent du terrorisme. On parle très peu de contrefaçon, qui concerne bien sûr les produits de luxe, les vêtements, les sacs, mais également les médicaments ou encore les pièces automobiles. Ce sujet peut sembler relativement neutre - c'est évidemment moins violent que le trafic de drogue, d'êtres humains ou d'organes -, mais c'est central dans la criminalité organisée et les moyens de lutte ne sont pas à la hauteur des enjeux ;

- le trafic d'or, qui intéressera sans doute nos collègues ultramarins, mais pas seulement. Il y a énormément de blanchiment autour de l'or et de ses produits, et il y a des trafics divers, comme le trafic de poinçons.

Voilà les quatre thèmes que le président et moi avons identifiés, sachant qu'évidemment vous pouvez en suggérer d'autres. Je crois qu'ils reflètent assez bien la criminalité organisée : l'hypermodernité avec les crypto-actifs, un sujet plus neutre avec la contrefaçon, un sujet politiquement important avec le trafic de migrants et le trafic d'êtres humains, et un sujet de fond avec l'or, tous ces sujets convergeant vers le blanchiment.

Pour ce qui est de la violation des sanctions internationales, nous aurons des auditions sur la question, et les crypto-actifs contribuent en grande partie à ce phénomène, notamment pour les sanctions prononcées à l'égard de l'Iran et de la Russie.

J'en viens à la méthode. Je me propose d'organiser rapidement une table ronde avec des experts, des juristes et des journalistes pour faire un point de situation sur la criminalité organisée.

Notre premier déplacement sera à Interpol. La Haute Assemblée n'a malheureusement pas de rapports réguliers avec cette institution ; André Reichardt et moi y sommes allés lors d'un précédent travail, nous avons compris que l'on n'y avait quasiment jamais vu de parlementaire. La commission d'enquête sur le narcotrafic ne s'y est d'ailleurs pas rendue non plus. Cela nous donnera un panorama assez complet de la situation et des outils internationaux.

Ce programme est adaptable, mais il faut définir une ligne. Je compte vous associer fortement aux travaux de la commission d'enquête ; ce n'est pas la commission d'enquête du rapporteur et du président, c'est celle du Sénat. C'est pourquoi il me semble nécessaire d'avoir une ligne et que vous y adhériez. Bien évidemment, chacun peut proposer des idées d'intervenant, de déplacement, nous disposons tout de même d'un certain temps. Si l'orientation ne vous semble pas correspondre ou si vous avez des propositions, il faut absolument les faire. Je tiens beaucoup à ce que vous soyez associés aux travaux.

M. Olivier Cadic. - Cette commission est cruciale. La question du trafic d'êtres humains, notamment, est fondamentale : les cartels mexicains ont gagné plus d'argent en 2023 avec ce trafic qu'avec la drogue.

Quant à la contrefaçon, elle peut causer des morts ! Certains appareils électriques ne déclenchent pas les disjoncteurs d'une installation électrique, ce qui entraîne des incendies. En Afrique, en Amérique latine, c'est un véritable problème ; au Pérou, deux tiers des incendies sont liés à de faux appareils électriques.

J'en viens aux métaux précieux. Le Pérou est le deuxième producteur mondial de cocaïne, mais, là encore, les gangs ont gagné plus d'argent en 2023 avec le trafic de métaux précieux qu'avec la drogue. En la matière, le blanchiment est assez simple : on vole l'or dans les mines informelles, on le place dans des mines légales et on augmente ainsi la production. La question se pose aussi avec les diamants, car il est beaucoup plus simple de transporter une poignée de diamants que l'équivalent en billets de banque.

En ce qui concerne le blanchiment, les banques de Hong Kong ne répondent plus aux demandes qui leur sont adressées par les pays européens et le ministère américain de la justice. C'est ainsi que l'on contourne les sanctions économiques ! En effet, la Chine est considérée comme un pays en voie de développement, donc éligible aux investissements des fonds de pension américains à destination des PVD. C'est un enjeu majeur.

Enfin, je veux dire un mot de la corruption, financée par le blanchiment. Cela fait perdre à nos entreprises de nombreux marchés en Afrique et en Amérique latine, car elles sont liées à notre réglementation et courent un risque pénal si elles participent à des actes de corruption.

M. André Reichardt. - Au-delà des quatre modalités de la criminalité organisée que vous avez citées, madame le rapporteur, nous devrions étudier également le blanchiment. Cet aspect me semble être largement laissé dans l'ombre. On a évoqué les méthodes de blanchiment via les mines d'or ou les crypto-actifs, mais comment blanchit-on les revenus de la drogue, du trafic d'être humain, de la contrefaçon ? Autant je vois clair sur les modalités de la délinquance financière, autant je n'y vois vraiment pas clair sur les mécanismes de blanchiment. Les organismes bancaires sont de plus en plus exigeants à l'égard des particuliers pour contrecarrer le risque de blanchiment, mais on les sent moins à la pointe pour ce qui concerne la lutte contre le blanchiment du crime organisé. Je serais donc intéressé par un approfondissement de cet aspect, sans compter qu'il y a une dimension internationale : blanchit-on l'argent de la même manière à Bogota et à Paris ?

Je me réjouis de votre proposition, madame le rapporteur, de formation sur les crypto-actifs ; pour ce qui me concerne, je n'y connais rien.

Enfin, le contournement des sanctions est encore plus opaque pour moi. D'abord, de quelles sanctions parle-t-on ? Tout le monde a en tête, naturellement, le cas de la Russie, mais il y a certainement d'autres pays concernés. Ensuite, qui se livre à ces contournements et comment ?

Je voulais donc que l'on se mette d'accord sur la méthode, de façon à ne pas tirer à hue et à dia. Il ne faudrait pas que l'on se rende compte, au bout de quatre ou cinq mois, que l'on est passé à côté de tout un aspect du sujet. D'où un travail méthodologique à mener dès l'abord, au regard de l'énormité du sujet.

M. Stéphane Piednoir. - La proposition de loi sur le narcotrafic semble susciter un certain consensus au Sénat, mais son cheminement législatif est incertain. Cette commission d'enquête aura donc un poids, sinon supérieur, du moins important.

Or, s'il convient bien évidemment de lutter contre la criminalité organisée, il faudra aussi mettre un bouchon de l'autre côté, afin d'empêcher l'argent issu des divers trafics de s'écouler dans nos territoires. Je pense par exemple au phénomène des petits commerces qui sont créés et presque aussitôt fermés. Dans la commune de 8 000 habitants dont j'étais maire, il était toujours surprenant de voir un commerce vendre trois pizzas par mois et prospérer. Il est important d'aborder cette question, y compris par égard pour nos grands électeurs.

Par ailleurs, d'un point de vue purement pratique, même si le jeudi est généralement consacré aux activités ne relevant pas du champ législatif, je suis président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), qui se réunit une semaine sur deux. Aussi, pour les réunions de grande importance, comme la séance de formation sur les crypto-actifs, peut-être pourrions-nous également réserver le même créneau qu'aujourd'hui, avant les questions d'actualité au Gouvernement du mercredi.

Mme Sylvie Vermeillet. - Ces pistes de travail sont très prometteuses.

Il serait bon que l'on puisse participer à un maximum de réunions, mais ce sera peut-être compliqué le jeudi ; ou alors, serait-il envisageable d'organiser des participations en visioconférence ? En tout cas, l'idée du créneau du mercredi, avant les questions d'actualité au Gouvernement, me paraît intéressante.

Il serait également important d'étudier les interactions de ces phénomènes avec les différents types de conseils : le système bancaire, les avocats et les experts-comptables. Ensuite, pour l'aval, je me demande, comme André Reichardt, comment se passe le blanchiment. Il y a l'action de Tracfin, bien évidemment, mais on sait qu'il y a des failles, que savent exploiter les conseils que je citais ; la limite entre l'optimisation fiscale et la fraude peut-être très ténue...

Ainsi, il serait intéressant que les banques, les experts-comptables et les avocats nous expliquent non pas comment ils luttent, mais comment ils ne luttent pas contre le blanchiment. Où sont les failles ? La commission des finances a déjà organisé pléthore d'auditions dans lesquelles chaque intervenant nous explique comment il se prémunit contre ce risque, comment il renforce ses actions, etc., mais ce n'est pas cela qui intéresse cette commission d'enquête. Ce qui nous intéresse, c'est de comprendre comment on peut passer entre les mailles du filet et frauder.

Je propose donc d'étudier l'interaction de la criminalité organisée avec les professionnels que je citais : banques, avocats et experts-comptables.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Parmi les quarante chapitres de mon livre sur l'argent du terrorisme, la corruption est évidemment abordée. Simplement, on ne peut pas tout traiter dans le cadre de cette commission d'enquête.

En préparant la proposition de résolution tendant à la création de cette commission d'enquête, j'étais pleine de certitudes, mais celles-ci se transforment de plus en plus en interrogations, tellement le sujet est vaste.

Nous allons évidemment décortiquer les mécanismes de blanchiment, parce que ce phénomène est au coeur des dispositifs.

Le temps de la criminalité organisée n'est pas du tout le même que celui de la répression. Prenons un exemple. Les greffes des tribunaux de commerce proposent de vérifier, lors de la constitution d'une société, la validité des documents d'identité étrangers présentés, si ceux-ci semblent falsifiés. J'ai proposé hier, lors de l'examen de la proposition de loi sur le narcotrafic, un amendement allant en ce sens, et Mme la rapporteure s'y est opposée, en arguant que l'on pouvait déjà recourir à l'article 40 du code de procédure pénale. Ainsi, au lieu d'endiguer le problème en amont, quand les greffes détectent une possible fraude, on devra attendre que la société soit enregistrée, commence son activité, fasse de fausses déclarations ou se révèle une société éphémère, afin d'agir sur le fondement de l'article 40. Entre-temps, l'entreprise bidon aura eu largement le temps de faire beaucoup de mal. Les greffes des tribunaux de commerce ont ainsi identifié une quinzaine de dispositifs de prévention des entreprises éphémères qu'ils pourraient mettre en oeuvre. Nous les auditionnerons pour élaborer des propositions en ce sens.

D'ailleurs, selon moi, cette proposition de loi aurait nécessité la constitution d'une commission spéciale réunissant les lois, les affaires économiques et les finances, parce que cela aurait permis de traiter certains sujets en amont, comme les entreprises éphémères et le blanchiment.

En tout état de cause, ce travail est fondamental, parce qu'il ouvre la voie vers un débat désinhibé sur cette criminalité du quotidien, que nous subissons tous. Ce texte, et la commission d'enquête qui l'a précédé, sont très importants et nous en bénéficierons, puisqu'il conduit à l'étude de la criminalité organisée.

Pour ce qui concerne la méthode, nous entendrons les agences, bien sûr. Madame Vermeillet, nous avions reçu, lors d'auditions récente de la commission des finances sur la fraude fiscale, un avocat qui nous avait dit comment lui et ses confrères expliquaient à Bercy les montages et les fraudes. La commission d'enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales d'Éric Bocquet date de 2012, mais je ne crois pas qu'aucune de ses préconisations ait été appliquée...

En ce qui concerne les journées d'audition, nous sommes également soumis aux disponibilités des intervenants. Nous essaierons de grouper les auditions par thématique.

En traitant de la question du blanchiment la corruption sera forcément abordée aussi, mais de manière peut-être plus incidente.

Les sanctions internationales concernent majoritairement l'Iran et la Russie, ainsi que la Corée du Nord, et leur violation est le fait de deux pays. D'abord, il y a les Émirats arabes unis, notamment Dubaï. Gérald Darmanin vient de s'y rendre pour discuter de cette question. Nous prévoyons de rencontrer les services, car tout l'or d'Afrique est traité à Dubaï, avant d'être travaillé en Inde et de revenir. C'est devenu la grande lessiveuse. Le deuxième pays en matière de violation de sanctions internationales, c'est l'Arménie, qui est très liée à la Russie et à l'Iran pour des questions géographiques et stratégiques ; plusieurs rapports, notamment des services américains, le soulignent. Nous nous focaliserons plutôt sur l'action des Émirats, qui sont devenus une énorme lessiveuse.

En ce qui concerne les petits commerces, nous compléterons les propositions de la commission d'enquête sur le narcotrafic, au travers de dispositifs relatifs à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), au contrôle des chèques, aux échanges de données. Nous ferons aussi des préconisations, comme je le disais, pour les greffes des tribunaux de commerce, en amont de l'enregistrement des sociétés ; en effet, pour traiter la fraude, l'évasion, on est toujours dans l'ex post, rarement dans l'ex ante. Et tous les amendements visant à muscler les greffes des tribunaux de commerce sont irrecevables au titre de l'article 40 de la Constitution. J'ai essayé d'exploiter le travail important que les greffes des tribunaux de commerce ont réalisé dans leur rapport de l'année dernière, sans succès cette fois-ci, mais ce n'est que partie remise... Cela constituera donc un paquet de propositions de mesures de prévention, sur la délinquance au quotidien des petits commerces.

À côté des mesures relatives aux quatre thèmes que j'ai cités, il y aura des dispositifs liés aux territoires, ce qui s'impose dans la chambre des collectivités. Je ne l'ai pas dit d'emblée, mais c'est pour moi une évidence, vous avez eu raison de rappeler. Dans ce paquet de mesures liées aux territoires figureront des dispositions d'amélioration des comités opérationnels départementaux anti-fraude (Codaf), des mesures concernant tous ces petits commerces, en lien avec les greffes des tribunaux de commerce, ou encore des dispositions permettant de protéger les maires. Nous verrons en outre comment mettre en musique et renforcer les dispositifs adoptés dans le cadre de la proposition de loi sur le narcotrafic. Je précise que nos travaux n'entrent nullement en contradiction avec celle-ci, les deux sujets se complètent très bien. Du reste, nous demanderons à entendre nos collègues Étienne Blanc et Jérôme Durain. Sans leur commission d'enquête, cette proposition de loi n'aurait jamais existé l'on n'aurait jamais eu une telle audience.

En ce qui concerne l'organisation des travaux, je pense qu'il faudra, à un moment ou à un autre, penser au lundi. Pour les auditions très importantes, comme notre formation sur les crypto-actifs, nous vous soumettrons deux créneaux, afin de maximiser le nombre de présents. Je le répète, je tiens à vous associer le plus possible aux travaux, y compris dans vos territoires. Et s'il faut se déplacer, il n'y a aucune difficulté, nous avons tout de même du temps. Vous avez raison, la question de l'organisation est primordiale et je suis tout à fait ouverte à une réflexion sur la méthodologie, si jamais cette dernière ne vous semblait, à la suite des premières auditions, pas suffisamment efficace.

Par ailleurs, si l'un ou l'autre d'entre vous est très impliqué sur un sujet - je pense à nos collègues experts-comptables ou à nos collègues élus d'un territoire transfrontalier -, il sera toujours possible de se déplacer. Nous pensons par exemple visiter des ports francs luxembourgeois. Je les avais beaucoup attaqués en séance et leur avocat m'avait envoyé un courrier m'expliquant qu'au contraire tout y était formidable. Je lui avais répondu qu'Éric Bocquet et moi étions prêts à les visiter ; depuis, plus de nouvelles... J'aimerais donc en visiter un.

Bref, nous sommes au clair sur l'objectif et sur les moyens, qui sont, s'agissant d'une commission d'enquête, les plus élevés possible. Nous pourrons donc éclaircir beaucoup de points.

M. Hussein Bourgi. - Ce sujet très important s'inscrit dans la droite ligne du texte sur le narcotrafic que nous sommes en train d'examiner. Pour moi, il n'y a pas de contradiction entre les deux, c'est une suite logique.

La formation sur les crypto-actifs me sera très utile, car je ne maîtrise pas bien le sujet.

J'en viens à la traite des êtres humains et des migrants.

En 2002, la députée Christine Lazerges avait mené un travail sur les nouvelles formes d'esclavage auquel j'avais participé en tant que bénévole d'une association qui essaye de sortir les prostitués des filières de proxénètes. Elle avait fait un focus sur deux catégories : les femmes que l'on fait venir d'Afrique subsaharienne pour être des bonnes à tout faire dans des propriétés luxueuses ; les femmes mises sur le trottoir par des proxénètes. Nous avons vu se développer la traite des blanches organisée par la mafia albanaise. Les femmes étaient transportées d'une ville à l'autre tous les trois ou quatre mois, pour éviter que les renseignements généraux n'identifient la filière et n'entrent en contact avec ces femmes. Nous avons constaté que la mafia albanaise se diversifiait : au proxénétisme s'ajoutaient d'autres formes de criminalité. Or c'était il y a près de vingt-cinq ans et le problème a depuis lors pris une ampleur démesurée. Les femmes sont déplacées au gré des grandes manifestations, qui se tiennent par exemple sur la Côte d'Azur, avant d'être transférées ailleurs : les mafieux fournissent ainsi la drogue et le sexe.

La contrebande de cigarettes et d'alcool est un véritable fléau, particulièrement dans les territoires frontaliers. Dans l'Hérault, on constate que certains vont à la frontière espagnole acheter en cash - l'argent vient du narcotrafic - des bouteilles d'alcool et des cartouches de cigarettes. L'alcool est vendu dans les épiceries de nuit ; les cigarettes sont écoulées devant les magasins des buralistes...

La Confédération des buralistes estime donc que la principale difficulté, avant même l'augmentation du prix du paquet, est la concurrence déloyale des personnes qui vendent des cigarettes sur le trottoir devant les bureaux de tabac. Car ce sont non pas la vente des journaux qui leur permet de réaliser leur chiffre d'affaires, mais les jeux et la vente de cigarettes.

La vente sauvage de cigarettes constitue également une forme de blanchiment de l'argent issu du narcotrafic. Les narcotrafiquants se diversifient : ils investissent l'argent issu de la vente de la drogue dans des épiceries de nuit, qu'ils approvisionnent en marchandises achetées dans les pays frontaliers.

J'ai soutenu un amendement à ce sujet lors de l'examen de la proposition de loi sur le narcotrafic, mais il n'a pas été adopté. Nous devrons discuter de ce problème avec nos collègues de la délégation aux entreprises. Naguère, on devait déclarer la création d'une entreprise au greffe du tribunal de commerce, qui procédait à des vérifications. Au bout de quelques semaines, l'entreprise se voyait octroyer la personnalité morale, l'extrait Kbis, et les numéros Siret et Siren. Pour des raisons de simplification tout à fait louables, on a décidé de supprimer ces formalités administratives. Le dispositif est désormais purement déclaratif, tout se passe sur le site de l'Institut national de la propriété industrielle (Inpi) : dès la saisine des documents demandés, le formulaire Kbis et les numéros Siret et Siren sont octroyés. Il est ainsi possible de créer des entreprises en cascade.

Ainsi, on peut par exemple créer des entreprises fictives - des start-up -, déclarer quelques membres de son entourage comme salariés, avec des salaires très importants, et les affilier à une mutuelle. Six mois plus tard, on déclare des arrêts maladie de très longue durée. Ces personnes reçoivent une indemnisation de leur mutuelle, et rétrocèdent la moitié de la somme touchée à celui qui a créé l'entreprise. C'est une forme de délinquance qui apparaît en France, contre laquelle il faut absolument agir.

En ce qui concerne l'organisation du travail, peu importe le jour de la semaine retenu, mais il faudrait organiser deux ou trois tables rondes par demi-journée pour optimiser le temps que nous allons consacrer à la commission d'enquête, aux travaux de laquelle je participerai avec grand intérêt.

Mme Nathalie Goulet, rapporteure. - L'aspect territorial sera centré sur les entreprises. L'exemple idéal est la Banque-carrefour des entreprises en Belgique, qui dispose d'un formidable système de centralisation des informations, ce qui évite les entreprises éphémères. Il serait opportun d'inviter son dirigeant à nous expliquer comment cela fonctionne ou d'aller le rencontrer à Bruxelles.

Notre commission d'enquête nous permettra de faire des propositions en matière de prévention. Nous verrons s'il est possible d'aller dans le sens d'un rééquilibrage car, si la numérisation nous a facilité les choses, elle a aussi créé des embûches. Le problème est le même avec les fraudes sociales.

Sur l'organisation, nous avons bien noté vos souhaits : nous essayerons de faire au mieux.

M. Raphaël Daubet, président. - Chacun a relevé la complexité et l'étendue de notre champ d'investigation, ce qui suscite évidemment des inquiétudes, mais constitue aussi une chance. Nous essayerons de trouver les meilleures voies pour traiter les questions qui nous sont soumises.

La proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic doit être considérée comme une opportunité, car elle nous contraindra à changer notre manière d'aborder le sujet.

La diversité des formes de criminalité et leur hybridation rend les choses complexes, mais fait aussi émerger des points communs, notamment le blanchiment et la corruption.

Le bureau de la commission d'enquête se réunira prochainement, après les premières auditions, qui nous permettront d'avoir un panorama du sujet. Cette réunion sera consacrée à la méthodologie que nous appliquerons à la suite de nos travaux.

La réunion est close à 14 h 30.