Mardi 17 décembre 2024

- Présidence de Mme Annick Billon, vice-présidente -

La réunion est ouverte à 15 h 40.

Mission de contrôle sur la prévention de la récidive en matière de viol et d'agressions sexuelles - Audition de représentantes d'associations féministes : Mme Yseline Fourtic-Dutarde, coprésidente d'Ensemble contre le sexisme et porte-parole de la Coalition féministe pour une loi intégrale ; maîtres Violaine de Filippis-Abate, avocate, cofondatrice du collectif Action Juridique Féministe, et Isabelle Steyer, avocate, membre du collectif Action Juridique Féministe ; Mme Floriane Volt, directrice des affaires publiques et juridiques de la Fondation des femmes

Mme Annick Billon, vice-présidente, rapporteure. - La présidente Dominique Vérien étant retenue par un autre rendez-vous, elle ne pourra nous rejoindre que dans quelques minutes. Je suis donc chargée d'ouvrir cette réunion et de prononcer le discours qu'elle a rédigé.

Après avoir entendu des juristes, des psychiatres et une sociologue, nous poursuivons cet après-midi nos travaux consacrés à la prévention de la récidive en matière de viol et d'agressions sexuelles avec une table ronde rassemblant des représentantes d'associations et d'organisations féministes.

Chaque année, plus de 55 000 individus, dont 97 % d'hommes, sont mis en cause pour viols, agressions sexuelles ou atteintes sexuelles sur mineurs et 6 000 sont condamnés pour de tels faits. Un quart d'entre eux sont des mineurs.

Si nous voulons que ces violences cessent, nous devons développer la prévention et l'éducation, mais également prendre en charge tous ces individus, afin qu'ils ne récidivent pas. Cette prise en charge doit être à la fois judiciaire, sociale, médicale et psychologique ; elle doit intervenir non seulement dans le cadre de la détention, mais aussi en amont et en aval.

Compte tenu du faible taux de plaintes, de poursuites et de condamnations en matière d'infractions sexuelles, se pose également la question de la prévention de la récurrence et de la reproduction des violences sexuelles. C'est à dessein que le terme de « réitération » n'est pas employé : il est courant dans le langage commun, mais il a un sens précis en droit pénal.

Cette question, bien plus vaste que celle de la prévention de la récidive légale des délinquants sexuels condamnés, engage la société dans son ensemble. Elle s'inscrit plus largement dans une réflexion qui doit être menée sur l'acceptation et la banalisation des violences sexuelles, véhiculées notamment par la diffusion massive de la pornographie.

Le mois dernier, une coalition féministe a formulé 140 propositions pour une loi-cadre intégrale contre les violences sexuelles, notamment en ce qui concerne la prise en charge des auteurs de violences et la prévention de la récidive.

La présente audition a pour but d'examiner ces préconisations, les motivations qui les sous-tendent et la façon de les traduire, non seulement d'un point de vue législatif et réglementaire, mais aussi d'un point de vue opérationnel.

Je souhaite la bienvenue à Mme Yseline Fourtic-Dutarde, coprésidente d'Ensemble contre le sexisme et porte-parole de la Coalition féministe pour une loi intégrale, à Mme Floriane Volt, directrice des affaires publiques et juridiques de la Fondation des femmes, et aux maîtres Violaine de Filippis-Abate et Isabelle Steyer, avocates et respectivement cofondatrice et membre du collectif Action Juridique Féministe.

J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation audiovisuelle en vue de sa retransmission en direct sur le site internet et les réseaux sociaux du Sénat.

Mme Yseline Fourtic-Dutarde, coprésidente d'Ensemble contre le sexisme et porte-parole de la Coalition féministe pour une loi intégrale. - Je commencerai par vous présenter notre coalition et la raison pour laquelle nous avons formulé 140 propositions. Je reviendrai ensuite plus précisément sur le sujet qui nous occupe aujourd'hui, à savoir la prise en charge des auteurs de violences sexuelles et sexistes.

La Coalition féministe pour une loi intégrale a été montée par plus de 60 organisations et associations féministes. Elle a formulé de nombreuses préconisations à l'issue d'un travail commun qui a débuté au début de l'année 2024. En raison de leur expertise propre, ces associations avaient déjà travaillé chacune de leur côté, aussi bien dans le domaine du sport que de la culture. Elles se sont ensuite réunies dans le cadre d'une démarche pluridisciplinaire.

Ces associations sont toutes parties du même constat : on ne parvient pas à endiguer l'explosion et la réitération des violences sexuelles et sexistes - viols, agressions sexuelles, féminicides -, malgré la mise à l'agenda permanente de ces sujets et la volonté affichée par le Président de la République de faire de l'égalité entre les femmes et les hommes la grande cause de son premier quinquennat.

Il était donc nécessaire de mener une initiative coordonnée et cohérente pour formuler des recommandations stratégiques, l'objectif étant de s'attaquer de manière intégrale aux violences sexuelles et sexistes, ainsi qu'à la culture du viol. C'est la raison pour laquelle nous avons choisi de plaider pour une « loi-cadre intégrale contre les violences sexuelles et sexistes », qui regroupe un ensemble de mesures législatives et réglementaires. Certaines d'entre elles sont d'ordre financier, dès lors que nous avons chiffré le montant nécessaire pour éradiquer les violences sexuelles et sexistes.

À nos yeux, il est essentiel de regarder nos travaux comme un cadre global et de ne pas privilégier une mesure plutôt qu'une autre.

Les violences sexuelles et sexistes donnent lieu à un contentieux qui, en raison de son ampleur, touche tous les secteurs de la population et nécessite une réponse cohérente, ambitieuse et spécialisée.

Il semble en effet nécessaire de spécialiser toute la chaîne juridique, notamment pénale et médico-sociale, afin d'accompagner les victimes et d'assurer leur dignité. Il s'agit également de veiller à ce que les auteurs de violences ne récidivent pas avec leur conjointe actuelle, leur ex-conjointe ou leur conjointe future.

Vu l'aspect massif du contentieux, il nous est apparu que l'expertise du mouvement féministe était indissociable d'une réflexion en matière de politique de sécurité globale. La violence masculine qui s'exerce à l'égard des femmes est un signal faible de dangerosité accrue que l'on retrouve dans d'autres pans du contentieux. C'est un élément qu'on doit absolument garder à l'esprit lorsqu'on réfléchit à la mise en sécurité des victimes.

Le nombre de féminicides décomptés chaque année n'est que la pointe immergée de l'iceberg : il faut y ajouter les suicides et tentatives de suicide forcées des victimes, mais aussi les infanticides. En outre, certains auteurs de violences mettent fin à leurs jours après avoir attenté à la vie de leur conjointe ou ex-conjointe.

En additionnant les meurtres liés aux violences sexuelles et sexistes à la centaine de féminicides commis chaque année, on approche davantage du millier de victimes. Il ne faut pas invisibiliser les féminicides, bien sûr, mais il faut aussi garder à l'esprit qu'ils ne représentent pas la totalité des assassinats liés à la violence masculine.

Je le répète, l'expertise féministe dans la lutte contre la réitération des violences sexuelles et sexistes est absolument indispensable, tant sur le plan stratégique que sur le plan de la coopération avec les structures chargées du suivi sociojudiciaire des auteurs de violences.

Le contentieux des violences sexuelles et sexistes est tellement massif qu'il doit être pris en charge de manière spécialisée : c'est ainsi qu'il pourra être traité correctement. Par ailleurs, il faut assurer davantage de cohérence entre les contentieux civil et pénal, pour améliorer la protection des femmes et des enfants et mieux évaluer la dangerosité des auteurs de violences. À cet égard, on peut citer l'initiative prise par la cour d'appel de Poitiers, qui a veillé à bien articuler ces deux contentieux et à rendre ses décisions au même moment.

La spécialisation du contentieux est aussi nécessaire eut égard à la persistance des stéréotypes qui pèsent sur les mères protectrices. La mère protectrice est encore trop souvent considérée comme une mère aliénante. Elle en subit donc les conséquences dans les décisions définitives, les décisions de non-prise en charge ou les décisions de classement sans suite. Une telle assimilation a également des conséquences s'agissant du harcèlement judiciaire vécu par ces mères.

Le caractère des violences sexuelles et sexistes va aussi s'imprimer au travers du mécanisme de contrôle coercitif. Il est donc indispensable que les personnels et les magistrats soient formés à ces sujets, sans quoi il est impossible de détecter les actes commis et d'assurer une protection efficace.

La spécialisation du contentieux permet aussi de renforcer son attractivité pour les professionnels de justice. Elle envoie un signal clair aux auteurs de violences : celui de la fin de l'impunité. Du reste, elle empêche le système judiciaire de renforcer les traumatismes vécus par les victimes.

La cohérence de la politique menée en ce domaine est essentielle. Nous attendons encore qu'elle soit évaluée. Il existe des pôles spécialisés, mais nous ignorons leur impact sur les décisions judiciaires.

Dans l'attente de cette évaluation, la Coalition féministe pour une loi intégrale a formulé un certain nombre de recommandations, dont la création d'un juge des violences sexuelles et sexistes et d'un juge d'instruction spécialisé. En outre, elle suggère d'instituer un parquet national de lutte contre les violences faites aux femmes, qui serait décliné à l'échelon territorial par des juridictions spécialisées, dans le ressort de chaque tribunal judiciaire et de chaque cour d'appel. Enfin, pour aller jusqu'au bout de la chaîne judiciaire, il conviendrait de mettre en place une chambre spécialisée au sein de la Cour de cassation.

- Présidence de Mme Dominique Vérien, présidente -

Mme Dominique Vérien, présidente. - Mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir m'excuser pour mon retard. Il me revient désormais de reprendre la présidence de cette réunion.

Mme Floriane Volt, directrice des affaires publiques et juridiques de la Fondation des femmes. - La mesure n° 54 proposée par la Coalition féministe pour une loi intégrale, dont la Fondation des femmes fait bien évidemment partie, consiste à interdire systématiquement l'exercice de toute activité susceptible de mettre un individu condamné pour violences sexuelles en contact avec des personnes vulnérables.

On sait combien les personnes en situation de handicap et les enfants, entre autres, sont susceptibles d'être particulièrement exposés aux violences, d'où la nécessité de prévenir la récidive. Justement, la mesure n° 55 prévoit d'assurer un meilleur suivi des auteurs de violences, décliné en deux branches : l'augmentation des moyens des services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) - cela améliorera le suivi des auteurs par les services sociojudiciaires et assurera la coordination de leurs actions - et un programme commun délivré à l'intégralité des auteurs de violences sexistes ou sexuelles, qu'ils soient condamnés ou non.

En prévision de cette table ronde, j'ai échangé avec l'association Dans le Genre Égales. Depuis 2015, en lien avec les Spip, elle organise des stages de responsabilisation à l'intention des auteurs de violences sexuelles et sexistes. Elle a également développé un programme de travail en quatre jours sur les masculinités et la prévention de la récidive.

Cette association manque de données et d'outils de la part du ministère de la justice pour comprendre l'impact de son action sur le parcours judiciaire des auteurs de violences. Le ministère décompte les récidivistes en additionnant les délits, mais il ne prend pas forcément en compte la récidive dans le contexte même des infractions sexuelles.

Par ailleurs, les associations déplorent l'éclatement et la compartimentation de la politique de suivi des auteurs de violences. En parallèle des stages de responsabilisation organisés par les Spip, les centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales (CPCA), mis en place après le Grenelle des violences conjugales, et les fédérations d'associations ont vocation à intervenir. Or l'association Dans le Genre Égales, par exemple, n'a pas du tout accès aux CPCA, alors même qu'elle organise des stages de responsabilisation.

On constate donc qu'il n'existe pas de politique coordonnée du suivi des auteurs de violences sexuelles et sexistes. Cinq ans après le lancement du Grenelle des violences conjugales, nous disposons d'outils dont nous ne connaissons pas l'efficacité. Aussi, nous ne saurions qu'insister sur la nécessité de mettre en place des mesures d'évaluation, notamment pour les CPCA et les stages de responsabilisation, dont la durée et les pratiques diffèrent, dès lors qu'ils sont organisés par une multitude d'acteurs.

Dans le questionnaire que vous nous avez adressé en vue de cette table ronde, vous nous posiez la question de la pathologisation ou de la psychologisation des auteurs de violences. On ne peut nier la prévalence d'un trouble psychique chez ces individus, mais, d'un point de vue féministe, il ne peut être considéré comme la cause de telles violences.

Mme Dominique Vérien, présidente. - J'avais moi-même alerté le ministre démissionnaire chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes sur le besoin d'évaluer toute la politique de suivi des auteurs de violences sexuelles et sexistes. Il existait quelques réticences en la matière, mais les choses semblent avoir évolué.

Mme Yseline Fourtic-Dutarde. - J'ajoute que les statistiques relatives aux violences faites aux femmes, qui relèvent du ministère de l'intérieur, paraissent chaque année de plus en plus tard. Les associations ont donc du mal à faire des bilans et à mener une évaluation.

Maître Violaine de Filippis-Abate, avocate, cofondatrice du collectif Action Juridique Féministe. - La récidive est un sujet qui fait écho à celui de l'impunité : si un auteur récidive, c'est parce que la justice, les institutions, les politiques et les acteurs judiciaires ne lui font plus peur ou le laissent indifférent. Cela en dit long sur les défaillances de notre système judiciaire.

Le collectif Action Juridique Féministe, qui est devenu une association, est membre de la Coalition féministe pour une loi intégrale. Nous sommes experts en plaidoyer parlementaire et médiatique et agissons également sur le terrain. Ainsi, nous accompagnons les femmes victimes, mais aussi les hommes victimes pour les violences subies lorsqu'ils étaient petits - je pense notamment à l'inceste. Nous travaillons actuellement à une levée de fonds pour 2025 qui doit permettre aux victimes d'être assistées lors du dépôt de plainte et pendant les enquêtes préliminaires.

Pour récidiver, il faut avoir été condamné une première fois. Dans la mesure où 94 % des plaintes pour viols et 86 % des plaintes pour violences sexuelles sont classées sans suite, la récidive est rare, encore plus lorsqu'il y a une seconde condamnation. Il convient donc de lutter contre la récidive dès le stade du dépôt de plainte, avant que l'auteur présumé des violences ne soit convoqué et entendu par la justice, et même si la procédure n'aboutit pas.

La récidive est un sujet particulièrement éprouvant pour l'avocate de terrain que je suis. Hier, j'ai reçu les parents d'une jeune fille qui s'était suicidée après l'annonce du classement sans suite de sa plainte, pendant l'instruction. L'enquête a été mal conduite : les délais étaient incroyablement longs ; le dossier a été baladé de commissariat en commissariat ; un des policiers avait jugé qu'il ne pouvait pas faire avancer l'enquête à cause du Tour de France et était parti en congé. Il s'agissait pourtant d'un viol commis sur une mineure de 14 ans et demi au moment des faits !

On voit le problème que pose l'impunité du jeune homme accusé dans cette affaire. Une chose est sûre, il se moque du fait que nous soyons en train de parler des lois que nous pourrions prendre afin de mieux lutter contre ces violences.

Après que les parents de la victime sont allés déposer plainte - elle était hospitalisée à ce moment-là et souffrait d'une dépression -, le prévenu n'a pas été auditionné tout de suite. D'ailleurs, c'est le cas dans la plupart des enquêtes relatives à ce genre de crimes, aucune norme n'obligeant les parquets à entendre la personne accusée dans un délai raisonnable.

Il est clair que nous manquons de moyens. Les forces de l'ordre sont de plus en plus formées à ces questions et sont souvent de bonne composition. Leur efficacité dépend donc du budget qu'on veut bien leur donner, donc de la volonté politique - la lutte contre la récidive commence là.

Bien sûr, la présomption d'innocence continue à s'appliquer. Cependant, si les hommes accusés de violences savent qu'ils vont être convoqués par la police dans un délai raisonnable, cela démontrerait que la société et les institutions se mobilisent contre les violences faites aux femmes et aux enfants.

Je préconise donc l'instauration d'un certain nombre de mesures.

Premièrement, il faudrait introduire, au moment du dépôt de plainte, l'obligation d'auditionner la personne accusée dans un délai maximum de deux mois.

Deuxièmement, la police, après avoir entendu l'accusé, devrait pouvoir saisir son matériel informatique et téléphonique. Cette saisie n'est toujours pas obligatoire, elle relève du libre arbitre des parquets. Il est toujours opportun de saisir le matériel informatique et téléphonique de l'auteur présumé de violences. Au pire, que pourrait-il se passer ? Les policiers auront simplement perdu du temps... Le fait de ne trouver aucune preuve renforce la confiance en la justice, car la personne accusée sera mise hors de cause au moins pour quelque chose. Dans le même temps, on vient confirmer que la parole de la victime a été entendue : en effet, avec ces fouilles, les policiers auront fait leur travail jusqu'au bout.

Troisièmement, il faudrait pouvoir conduire une enquête d'entourage dans un délai raisonnable. Cela dit, dans l'affaire de viol que j'évoquais tout à l'heure, les camarades de classe de la plaignante avaient bel et bien été entendus, mais on leur avait tellement mal expliqué la procédure et les enjeux que leurs témoignages n'avaient finalement servi à rien. Ils s'étaient même retournés contre la victime, laquelle a fini par être harcelée à l'école. Les parents avaient d'ailleurs déposé plainte, mais celle-ci a été égarée.

On peut toujours discuter du nombre de personnes entendues dans le cadre de l'enquête d'entourage - quatre ou cinq, par exemple - et il convient de laisser une marge d'appréciation au parquet.

Lors d'une audition que vous aviez réalisée, une personne avait prétendu que les expertises psychologiques des hommes mis en cause étaient systématiques : c'est faux ! Il n'y a aucune obligation formulée en ce sens dans le cadre des enquêtes préliminaires. Il faudrait donc l'ajouter à la liste des mesures précitées.

Si une femme victime de violences parle, on est sûr qu'il y aura des actes d'investigation. Mes confrères et consoeurs qui interviennent en défense sont presque tous d'accord avec le fait de rendre les enquêtes systématiques, car cela permet aux prévenus d'être mieux innocentés lorsqu'ils doivent l'être et de redonner confiance en la justice. Encore faut-il pouvoir les financer.

J'en terminerai en vous donnant quelques données statistiques. L'Institut des politiques publiques (IPP) a publié cette année une excellente note intitulée Le traitement judiciaire des violences sexuelles et conjugales en France, que vous avez peut-être eu l'occasion de consulter. Pour produire ce rapport, la chercheuse Maëlle Stricot a extrait les données du logiciel Cassiopée sur la période 2012-2022. Celle-ci relève un taux de récidive de 5 % en matière de violences sexuelles, tout en notant que ce chiffre ne veut rien dire, dans la mesure où seulement 1 % des viols sont condamnés. Autrement dit, nous ne disposons actuellement d'aucune donnée pour savoir qui récidive.

Ce rapport chiffre à 94 % les classements sans suite des plaintes pour viols et pointe le manque d'investigation dans les enquêtes. Comme il s'appuie sur des chiffres officiels, on ne saurait dire que cette affirmation sort directement des bouches des féministes !

Maître Isabelle Steyer, avocate, membre du collectif Action Juridique Féministe. - Je cautionne évidemment tout ce qui a été dit par les précédentes oratrices ; nous sommes toutes les quatre parfaitement d'accord.

Depuis quelques années, les victimes sont convoquées à des commissions d'application des peines. Pour une avocate telle que moi, il s'agit d'une nouveauté que de me rendre à ce type d'audiences et d'en voir le fonctionnement : à quel moment remet-on en liberté un prévenu ? Dans quelles conditions ? À quelles obligations sera-t-il astreint ? Pendant combien de temps ? Où place-t-on la victime pour la protéger, sachant qu'une libération conditionnelle constitue également une exécution de peine, mais en liberté ?

J'ai assisté à ma première commission d'application des peines en détention la semaine dernière. Ayant mal regardé la convocation, j'ignorais que les victimes n'étaient pas convoquées. Je me suis donc rendue à la maison d'arrêt d'Orléans avec les parties civiles d'un féminicide, pour examiner le cas du complice de l'auteur, qui avait été condamné à huit ans de détention. Nous sommes entrés librement dans la maison d'arrêt, car personne n'a compris sur le moment que j'étais accompagnée non pas d'avocats, mais de la famille de la victime.

Le fait de nous retrouver à cette audience devant un homme et son frère de 30 ans, qui avait tué une jeune femme de 21 ans alors que son bébé se trouvait à côté, fut une expérience assez incroyable. Vous allez comprendre pourquoi nous sommes toutes d'accord sur la nécessaire spécialisation du juge de l'application des peines (JAP). Celle qui officiait dans ce cas précis a interrogé l'auteur sur ses liens avec la famille de la victime et avec le bébé, lui demandant s'il pensait avoir un droit de visite et dans quelles conditions, alors qu'un retrait d'autorité parentale avec été prononcé.

Autrement dit, la JAP, qui est la dernière roue de la protection de la victime, n'était absolument pas formée à la problématique des violences conjugales. J'ai alors pris conscience de l'ampleur du travail qu'il nous reste à faire sur l'exécution des peines.

L'homme qui était entendu nous disait vouloir rentrer chez lui, c'est-à-dire dans la petite ville de 10 000 habitants où les faits ont été commis, à quelques centaines de mètres du domicile de la soeur de la victime et de celui de leurs parents, comme si de rien n'était... La JAP était quelque peu surprise, mais sans plus. J'ai dû intervenir pour lui dire que cela reviendrait à reprendre la configuration familiale dans laquelle les faits ont été commis.

Lorsque nous disons qu'il faut former les magistrats, cela vaut jusqu'aux JAP. Cela fait trente-deux ans que j'exerce en tant qu'avocate, et je défends quasi exclusivement des victimes. Je vois désormais des cas de récidives importantes. Dans l'exemple que je décris, si l'auteur des faits revenait vivre dans la même ville et qu'il croisait le père de la victime, la seule envie de ce dernier serait de le tuer ! Il a fallu que je dise que nous nous exposions à une affaire qui pourrait être un petit Grégory bis pour faire sursauter l'assistance !

Il convient de former les JAP et le milieu carcéral au phénomène des violences, car ce sont les premiers à délimiter les interdictions pour qu'un auteur de violences ne puisse pas se rendre, par exemple, dans les lieux où travaille sa victime. Au bout du compte, ce sont les parties civiles qui sont les plus à même de contrôler les juges.

Je peux décliner cet argument sur toute la chaîne de la procédure. Commençons par les contrôles judiciaires : ils sont constamment violés ! Dans la moitié des cas, un contrôle judiciaire ne sert à rien. Il appartient à la victime de prouver que celui-ci a été violé et est inefficace, en allant parfois jusqu'à filmer son agresseur qui rôde, qui l'épie, voire qui la filme. On pourrait pourtant penser que lorsqu'une instruction est en cours, une sorte de plan Bison futé du mis en examen est déployé pour assurer un contrôle judiciaire réel, avec un pointage au commissariat, mais ce n'est pas le cas.

Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, lorsqu'un contrôle judiciaire est décidé pour des faits de violences, y compris de viol conjugal, une ordonnance de protection est inutile, car elle ferait double emploi. Sauf que le procureur de la République ou le juge des libertés et de la détention (JLD) ne se demande pas où travaille la victime, où elle va faire du sport et où ses enfants vont à l'école, car il s'intéresse à la gestion de la peine de l'agresseur. L'objet et la précision d'un contrôle judiciaire ou d'une ordonnance de protection ne sont absolument pas les mêmes ! Sans protection de la victime dans sa vie quotidienne, le risque de récidive est très fort.

Notre système repose sur une interprétation au minimum de tout ce qui est supposé protéger les femmes. Cela vaut également pour les peines de sursis avec mise à l'épreuve. Combien de fois un bracelet antirapprochement (BAR) doit-il sonner pour que la libération conditionnelle soit révoquée ? Dans l'un de mes derniers dossiers, il a sonné 99 fois sans que soit révoquée la liberté conditionnelle de l'agresseur, qui en était à sa troisième condamnation.

Nous savons donc très bien que les mesures existantes ne sont que peu appliquées. Nous sommes dans une situation où les interdictions ne fonctionnent pas, y compris lorsque les agresseurs sont détenus. En effet, les détenus ont tous des téléphones portables et s'appellent pour coordonner leurs dépositions et évoquer leurs affaires. Je m'interroge donc sur les mesures de protection.

Autre problème : un homme peut bénéficier de dix classements sans suite dans des juridictions différentes sans qu'aucun lien soit établi. De même, il n'existe pas de répertoire des ordonnances de protection, alors que celles-ci existent depuis quatorze ans. Il s'agit d'interrogations récurrentes.

De plus, les affaires de violences sexuelles font toujours l'objet d'une correctionnalisation : dans tous mes dossiers, on me propose que le procès ait lieu dans un tribunal correctionnel et non dans une cour criminelle. Dans les cas de pénétration digitale, la correctionnalisation est systématique.

Par ailleurs, lorsque l'agresseur exerce une profession réglementée, notamment médicale, il serait souhaitable d'en informer le conseil de l'ordre concerné pour qu'il ne puisse pas reprendre son activité ou exercer une autre activité similaire, dans laquelle il continuerait d'avoir accès au corps des femmes, par exemple un psychiatre qui se reconvertirait en psychothérapeute.

Des stéréotypes monstrueux perdurent, y compris parmi les magistrats, notamment celui qui veut qu'un escroc ne soit pas un violeur. Or les mesures de protection dépendent d'appréciations à l'aune de ces stéréotypes : si l'on estime qu'un agresseur n'est pas dangereux, on ne protège pas la victime à la hauteur du danger. Dans les cas de violences sexuelles ou conjugales, l'évaluation du danger par le magistrat, quel qu'il soit, me semble déterminante, depuis le dépôt de plainte jusqu'au JAP.

Avant de correctionnaliser un dossier et de requalifier un viol en agression sexuelle, il convient d'examiner le profil de l'agresseur. Si celui-ci a attaché sa victime, est en possession de vidéos pornographiques dans lesquelles sont commis des actes de torture et de barbarie ou a filmé sous les jupes des femmes dans un fast-food, on peut considérer qu'il a un profil particulier. L'étude de ces profils me semble déterminante pour évaluer la dangerosité de la personne.

Il serait souhaitable d'adopter des procédures d'enquêtes menant à des perquisitions pour évaluer effectivement le danger. De même, j'aimerais que les psychiatres chargés d'évaluer la dangerosité examinent réellement ce que contient le dossier. Une expertise psychiatrique ne saurait se limiter à un tête-à-tête, elle doit également tenir compte de ce qui a été trouvé lors des perquisitions et des antécédents de la personne étudiée.

Maître Violaine de Filippis-Abate. - On sait le faire pour les stups !

Maître Isabelle Steyer. - Nous savons le faire dans tous les autres domaines. Comme vous l'avez brillamment expliqué, il nous faut un parquet spécialisé, s'appuyant sur des professionnels formés.

En ce qui concerne les groupes d'hommes violents, nous manquons de recul sur leur efficacité. Il est très à la mode de distribuer ce type de sanction. Pour ma part, je suis intervenue dans de tels groupes, mais je n'en ai pas vraiment perçu l'utilité, si ce n'est de rassurer le juge. En effet, ce dernier apporte ainsi une réponse judiciaire, mais il convient de s'interroger sur la valeur de cette réponse.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Je n'étais pas loin de penser que l'idée de créer des pôles réellement spécialisés n'était valable que pour Paris, mais les faits m'ont donné tort : la cour d'appel la plus efficace est non celle de Paris, mais celle de Poitiers ; le tribunal judiciaire de Sens travaille bien, alors qu'il est l'un des plus petits du ressort de la cour d'appel de Paris. Malgré la volonté de bien faire à Paris, il reste des progrès à réaliser.

Mme Marie Mercier, rapporteur. - Je vous remercie de vos témoignages, qui sont assez inquiétants. Je suis particulièrement préoccupée par le côté inopérant des mesures que vous décrivez. Nous aurons beau donner des préconisations et voter des lois, nous n'avancerons pas si elles sont inapplicables...

À cet égard, que pensez-vous du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijais) ? Les individus qui y sont inscrits sont soumis à une contrainte importante : ils doivent aller pointer, sans quoi ils font l'objet d'un rappel. Considérez-vous également ce dispositif comme inopérant ?

Maître Isabelle Steyer. - Actuellement, une personne est inscrite au Fijais dès lors qu'elle est condamnée définitivement. Or cela prend de huit à dix ans pour qu'un homme soit condamné définitivement, ce qui est extrêmement long.

Mme Marie Mercier, rapporteure. - Il me semblait qu'une personne mise en examen pouvait être inscrite au Fijais.

Maître Violaine de Filippis-Abate. - Ce que dit ma consoeur est tout à fait juste. Il existe d'autres fichiers, tels que le traitement d'antécédents judiciaires (TAJ), mais ils ne sont pas systématiquement consultés. Nous en revenons à la question d'instaurer des procédures d'enquête solides. Le TAJ est censé avoir été amélioré ces dernières années. En tant qu'avocates, nous n'y avons pas accès, mais les commissaires de police que j'ai interrogés sur le sujet me donnent tous des réponses différentes. Alors que l'un me dit que les mains courantes sont centralisées à l'échelle de la région, un autre me dit que ce n'est pas le cas...

Quoi qu'il en soit, la police a accès à ce fichier, qui leur permet de savoir si un individu a fait l'objet d'une plainte. Il serait souhaitable qu'elle puisse également savoir si cet individu a fait l'objet d'une main courante et prendre connaissance de tous les documents de procédure. Aussi, il convient de créer un fichier centralisant toutes les données et d'en rendre la consultation systématique lorsqu'une plainte est déposée.

J'abonde dans le sens d'Isabelle Steyer, les magistrates et les magistrats sont humains et ont donc des biais. Pour que notre machine judiciaire gomme ces biais au maximum, nous devons élaborer une feuille de route des enquêtes à laquelle nous ajouterions, en plus de l'audition de la personne mise en cause, de la perquisition de son téléphone et de son ordinateur, de l'expertise psychiatrique et de l'enquête d'entourage, une consultation des fichiers pour effectuer les éventuels croisements avec d'anciens signalements. Cela éviterait le classement de la quasi-totalité des affaires.

De même, cela éviterait certaines remarques de la part de policiers. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) est d'ailleurs saisie de plusieurs requêtes pour des dysfonctionnements judiciaires de ce type. Dans l'affaire dont je vous ai parlé précédemment - pour laquelle les parents devraient attaquer l'État en justice -, un policier a tout de même répondu au père de cette jeune femme que la plainte serait classée, car il s'agissait d'une « erreur de jeunesse »... C'est inaudible ! Cela montre à quel point les policiers, même s'ils sont formés et essayent de bien faire, reviennent à leurs biais dès lors qu'ils ont terminé de dérouler le protocole.

Je vous donne un autre exemple : j'ai assisté à un dépôt de plainte pour inceste d'un homme qui a désormais la trentaine et a été agressé et violé par le conjoint de sa grand-mère quand il était petit. Si l'audition s'est déroulée correctement, ce n'est le cas ni de ce qui a précédé ni ce qui a suivi. En effet, le policier a utilisé les bons mots durant l'audition - « dites les mots comme ils viennent », « nous ne sommes pas là pour vous juger »... -, ce qui est important. En revanche, il a haussé le sourcil et a dû appeler le parquet pour savoir s'il devait prendre la plainte, car nous étions samedi et lorsque je l'ai ensuite remercié d'avoir pris le temps de le faire, car je savais qu'il devait être débordé, il m'a répondu : « Je ne vous le fais pas dire », et de déplorer que, le week-end précédent, une femme était venue déposer plainte pour viol alors qu'elle avait fait des mélanges d'alcools... J'ai dû lui dire qu'on pouvait avoir fait des mélanges d'alcool et être violée pour qu'il se reprenne !

Nous voyons donc les limites de la formation : malgré le bon respect de la procédure, les biais du policier reviennent dès qu'il sort de son rôle. Voilà pourquoi il me semble nécessaire d'adopter une feuille de route rigoureuse, quand bien même cela ne plairait pas aux syndicats de la magistrature.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Vous avez publié 140 propositions, dont certaines figuraient déjà dans certains des travaux menés par la commission ou dans le rapport Plan rouge VIF, qui a été coécrit par Dominique Vérien.

Qu'attendez-vous de la présentation de ces propositions ? À qui les avez-vous déjà présentées ? Quelles suites espérez-vous pour cette loi-cadre intégrale ?

Vous avez décrit des enquêtes à géométrie variable selon la juridiction et l'appétence des professionnels accueillant les victimes. J'ai interrogé le Gouvernement sur les unités médico-judiciaires (UMJ) il y a quelques années, déplorant un déficit considérable de personnel. Ces unités traitent à 80 % des cas de violences sexuelles et sexistes. Ont-elles progressé ces dernières années ?

Les UMJ ne sont mobilisées que sur réquisition judiciaire. Ne serait-il pas souhaitable de généraliser le recours à ces structures, qui semblent les plus à même de recueillir des preuves utilisables au cours d'une procédure ?

Mme Yseline Fourtic-Dutarde. - Nous avons déjà eu l'occasion de présenter nos propositions aux parlementaires à la fin du mois de novembre dans le cadre de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Nous poursuivrons nos travaux de plaidoyer auprès du Gouvernement dès que nous aurons des interlocuteurs.

Nous appelons réellement à ce qu'une loi d'orientation et de programmation de lutte contre les violences sexuelles et sexistes soit mise à l'ordre du jour du Parlement, qui comprendrait à la fois les mesures d'ordre législatif que nous proposons et un engagement clair du Gouvernement de les appliquer, le cas échéant, par voie réglementaire.

En ce qui concerne les UMJ, nous en saurons plus lorsque nous aurons davantage de recul sur la possibilité de prendre les plaintes directement au sein des hôpitaux, que nous souhaitons étendre à tous les départements. Cela nous donnera des éléments d'éclairage sur l'efficacité de ces unités pour faire condamner les agresseurs. Quoi qu'il en soit, il est absolument nécessaire de permettre le recueil de preuves en l'absence de dépôt de plainte.

Mme Floriane Volt. - Notre objectif était de regrouper dans un document un ensemble de propositions. Vous y retrouverez en effet des recommandations issues du rapport d'information sénatorial sur l'industrie de la pornographie ou des travaux de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise).

La prise de conscience de la prévalence des violences sexuelles a été particulièrement forte cette année, entre la prise de parole de Judith Godrèche et le procès dit des viols de Mazan. Notre coalition composée de soixante-trois organisations, associations et syndicats vise à prôner un ensemble de mesures dont certaines sont défendues depuis très longtemps par des associations spécialisées.

En ce qui concerne les UMJ, l'amélioration du parcours judiciaire des victimes commence par l'accès aux preuves. La possibilité de prélever et de conserver les preuves sans plainte est primordiale et les UMJ constituent pour cela un atout essentiel.

Par ailleurs, d'autres façons de réaliser de tels prélèvements sont envisageables, par exemple par des infirmières scolaires ou des sages-femmes. Des kits pourraient être mis à disposition, comme le propose l'association de lutte contre la soumission chimique de Caroline Darian, #MendorsPas. L'accès aux preuves participe de l'amélioration globale du parcours judiciaire des victimes.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Des maisons des femmes commencent à se déployer, notamment dans de petits départements, et travaillent conjointement avec les unités d'accueil pédiatriques des enfants en danger (Uaped) pour pouvoir accueillir toutes les victimes de violences sexuelles. Mais, là aussi, il y a de grandes inégalités selon les territoires.

Mme Olivia Richard. - Maître Steyer, vous avez indiqué que la Cour de cassation estimait l'ordonnance de protection incompatible avec une condamnation. Dans ces conditions, quels mécanismes envisagez-vous après une condamnation, lors de la remise en liberté ?

Maître Isabelle Steyer. - Le problème est que, en matière pénale, le contrôle judiciaire intervient en général de la saisine du juge d'instruction ou du tribunal jusqu'à la condamnation. L'ordonnance de protection est supposée protéger au moment de la séparation et, le cas échéant, plus tard, lors de la remise en liberté ou de la levée du contrôle judiciaire. Or, compte tenu de la jurisprudence, il n'y a pas d'ordonnance de protection si les faits initiaux ont eu lieu depuis longtemps et s'il n'y a pas eu de récidive ou de faits nouveaux. Si le pénal ne prend pas le pas à la suite d'une condamnation, le civil interprète l'ordonnance de protection de manière restrictive. Nous avons constamment des rejets d'ordonnance de protection lorsque le couple est séparé.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Vous pourrez vous appuyer sur nos discussions relatives à l'ordonnance provisoire de protection immédiate (OPPI). Nous avons dit et répété qu'il est possible d'avoir une ordonnance de protection lorsque le couple est séparé.

Maître Violaine de Filippis-Abate. - Il n'y a pas de suivi après l'ordonnance de protection. Si celle-ci n'est pas respectée, la femme doit le signaler. Une ordonnance de protection, ce n'est pas comme un bracelet antirapprochement ; c'est simplement un papier.

Pour beaucoup d'hommes, ce papier n'est pas suffisamment dissuasif. Il faudrait donc un suivi des ordonnances de protection. Lorsqu'une condamnation n'a pas d'effets, on n'a plus confiance en la justice. Le sentiment d'impunité des agresseurs ou le fait que les femmes hésitent à porter plainte en découlent.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Est-il possible d'avoir une interdiction de paraître une fois que l'on sort de prison ? Dans le cas que vous avez mentionné, l'individu pourra-t-il retourner vivre dans la maison concernée une fois qu'il sera libre ?

Maître Isabelle Steyer. - Pendant un délai, l'accès lui sera interdit. Mais une fois le délai de la conditionnelle passé, ce ne sera plus le cas. Or ce délai, qui est fixé par le juge de l'application des peines, ne dépasse jamais trois ans. Et ensuite ? Il arrive de plus en plus souvent que ce soit à la victime de déménager...

Maître Violaine de Filippis-Abate. - Face aux carences du suivi, nous avons une application, The Sorority. C'est une chance qu'elle existe, mais elle met en lumière ce qui constitue, me semble-t-il, un manque gravissime de la part de l'État. Elle permet une géolocalisation : une personne qui se sent en danger peut envoyer un signal de détresse, et une citoyenne ou un citoyen vient à la rescousse. En d'autres termes, les femmes se sentent tellement en danger qu'il faut recourir à une application dans laquelle les citoyens deviennent de facto des policiers !

Mme Dominique Vérien, présidente. - De telles applications sont utilisées dans l'attente d'un téléphone grave danger, dont nous souhaitons faciliter l'obtention, ou d'une ordonnance de protection.

Mme Yseline Fourtic-Dutarde. - Nous demandons que la condition cumulative de violences et de danger soit retirée du code pénal. Elle constitue une entrave aux ordonnances de protection, dont les disparités d'octroi sont très importantes selon les territoires.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Les chiffres qui m'ont été communiqués illustrent bien ce phénomène. Dans certains départements, comme le Gers, il n'y a aucune ordonnance de protection. Il faut de toute évidence renforcer la formation et l'acculturation des acteurs concernés, à commencer par la police et la justice.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - En tant qu'avocates de terrain, que pensez-vous des peines qui sont prononcées en matière de viols ou d'agressions sexuelles ?

Maître Violaine de Filippis-Abate. - Je pense qu'elles ne sont pas forcément dissuasives. Certes, il ne s'agit pas de parler d'« exemplarité » ; chaque personne doit être jugée en fonction du cas d'espèce. Mais l'impression qui se dégage est que les violences sexuelles ne sont pas vraiment prises au sérieux. Cela envoie un signal favorable à la récidive.

À mon sens, les auteurs ont en réalité peu peur de la justice. Ils craignent plus les effets sur leur réputation, le fameux « tribunal médiatique », que la peine en elle-même. Il est très rare que l'on arrive à une peine et, lorsque c'est le cas, elle n'est pas très élevée. D'aucuns prétendent que les victimes cherchent avant tout des dommages et intérêts, mais les sommes versées sont en réalité très faibles.

Maître Isabelle Steyer. - J'observe un alourdissement des peines. Voilà une vingtaine d'années, un féminicide, c'était six ou sept ans de prison. Aujourd'hui, c'est vingt ans, vingt-cinq ans ou trente ans. Les peines ont désormais du sens : retrait de l'autorité parentale, peine de sûreté des deux tiers, qualifications d'« assassinat », d'« actes de torture et de barbarie », etc. En matière de viols, il y a assez peu d'acquittements. C'est plutôt satisfaisant.

Ce qui me gêne en revanche, c'est que les relaxes sont nombreuses en matière de violences conjugales. La durée du sursis est courte : il ne dépasse jamais six mois ou un an. En outre, il y a une discrimination : plus on monte dans l'échelle sociale, moins les peines sont élevées. Le magistrat pense que quand on est intelligent ou diplômé, on n'est pas forcément violent. Cela a été dit, les sommes versées au titre des dommages et intérêts sont très faibles.

Les agresseurs sont toujours très bien défendus. Ils ont même régulièrement deux avocats, quand la victime n'en a qu'un. Obtenir 8 000 euros pour une correctionnelle simple, c'est hors du champ de pensée d'un tribunal correctionnel. Certes, le fait que des incapacités temporaires de travail (ITT) soient validées résonne parfois dans la tête du magistrat. Pour autant, l'évaluation du traumatisme est très aléatoire.

En ce qui concerne l'évaluation du préjudice psychologique des enfants victimes de violences conjugales, c'est la grande nébuleuse ! J'ai une cliente qui, comme ses deux soeurs, a été violée par leur père. Leur petit frère, qui n'osait pas ouvrir la porte, n'a jamais été pris en charge. Et lui-même, devenu adulte, a agressé sexuellement sa fille !

La prise en charge des témoins victimes est, pour moi, essentielle.

Maître Violaine de Filippis-Abate. - Je partage totalement ce qui vient d'être indiqué sur la discrimination sociale. Le caractère faiblement dissuasif des peines, que je dénonçais tout à l'heure, est particulièrement marqué s'agissant des classes les plus favorisées. Peut-être les magistrats se projettent-ils dans certains accusés... Certes, lorsqu'ils sont amenés à juger des personnes qu'ils considèrent non comme leurs semblables, mais comme des « monstres » - je pense à des auteurs de féminicides ou des viols -, ils peuvent décider de condamnations plus importantes. Mais dans le cas des violences conjugales, les peines ne sont, à mon sens, pas assez dissuasives.

Mme Floriane Volt - Dans notre proposition de loi intégrale, nous avons repris la proposition de Mme Rossignol sur l'autorisation du cumul des circonstances aggravantes, non permis pour le crime de viol mais pour d'autres crimes. L'affaire de Mazan, avec un nombre important d'auteurs présumés, nous interroge sur le choix d'une cour criminelle départementale - statistiquement majoritaire pour les affaires de viols et pour celles dont les victimes sont des femmes - au lieu d'une cour d'assises.

Il y a un véritable plafond en matière de viol, en raison de ce non-cumul des circonstances aggravantes et de l'absence de certaines circonstances aggravantes. Nous proposons de rajouter des circonstances aggravantes, comme la séquestration. Les viols sont jugés devant une cour criminelle départementale si le quantum de peines est de vingt ans et non de trente ans. Dans des affaires de pornographie, le choix de ne pas retenir certaines circonstances aggravantes comme la barbarie permet peut-être d'éviter les assises. Cette sorte de nouvelle correctionnalisation des viols nous interroge...

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - J'ai cru comprendre que vous estimiez que le quantum de peines n'était pas suffisamment dissuasif. Crime, condamnation, peine de prison.... Que fait-on pendant la peine de prison pour éviter la récidive ? Il y a la question du quantum, mais aussi celle de la qualité de la prise en charge durant la détention pour essayer de limiter la récidive. Une personne condamnée à vingt ans de prison peut sortir à 50 ans, encore en capacité de récidiver s'il n'y a pas eu de traitement...

Mme Violaine de Filippis-Abate. - Je suis entièrement d'accord.

Maître Isabelle Steyer. - Nous avons le même problème pour les mises à l'épreuve avec obligation de soins : dans ce cas, les agresseurs n'ont pas fait un jour de détention, mais il faut des soins et un suivi approprié. Nous n'avons pas de soins appropriés ni de contrôle des soins. Les délais sont trop courts - deux ou trois ans - pour détricoter un mal profond.

Mme Violaine de Filippis-Abate. - La prison ne joue plus son rôle, selon l'Observatoire international des prisons. Il faudrait repenser les peines. Mettre quelqu'un en prison ne changera pas son rapport au monde ni son rapport aux femmes.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - C'est une punition et non un traitement.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Au risque de vous surprendre, j'estime que les peines sont trop élevées.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Les peines sont effectivement élevées. Le travail dans les prisons spécialisées est très différent de celui effectué dans les prisons de base. Mais il y a peu de telles prisons, et il faut aussi se pencher sur la question des personnes qui y interviennent...

Mme Yseline Fourtic-Dutarde. - Nous insistons sur la nécessaire articulation entre les structures opérant le suivi sociojudiciaire des auteurs et les associations expertes dans le mouvement féministe. On peut faire d'immenses progrès, à condition d'avoir des moyens et de repenser la sortie de détention. Actuellement, il y a beaucoup trop de sorties sèches : les auteurs sortent parfois du jour au lendemain, sans projet d'insertion, ce qui facilite la réitération des violences.

Les dommages et intérêts font partie du sujet de l'accès des victimes à la procédure judiciaire et de leur volonté de s'inscrire dans ce type de parcours. Il est difficile, pour une femme, de porter plainte en raison de certains signaux envoyés : cela ne servirait à rien, il y a une forme d'impunité... Si nous arrivions à mieux communiquer sur les condamnations et sur le fait que le coût d'une procédure judiciaire n'est pas écrasant pour les victimes, nous parviendrions à lutter efficacement contre l'impunité. C'est pour cela que nous proposons un barème pour lisser les indemnisations pour cause de violences sexuelles et sexistes et de violences conjugales, sur le modèle de la nomenclature Dintilhac. Si nous réussissions à réaliser cette nomenclature et à la faire connaître, nous pourrions convaincre les femmes qu'engager une procédure judiciaire ne mettrait pas en péril leur survie matérielle à court ou moyen terme.

Mme Olivia Richard. - On m'a dit qu'il serait difficile d'accéder à une aide juridictionnelle pendant toute la procédure, et de façon suffisamment précoce pour qu'un seul et même avocat désigné assiste la victime. Le confirmez-vous ?

Mme Violaine de Filippis-Abate. - Oui, je le confirme à 3 000 %. Je me suis spécialisée, malgré moi, dans les enquêtes préliminaires. Je vois cela chaque semaine. Je tiens une permanence le mercredi avec la Maison de la vie associative et citoyenne de Paris. Il est difficile de prendre attache avec une ou un avocat, encore aujourd'hui : la personne a peur, et elle ne sait pas si l'appel sera facturé... Certaines personnes n'ont pas les moyens de payer un avocat, même si elles sont au-dessus du barème de l'aide juridictionnelle. Les avocats et les avocates ont encore du mal à communiquer clairement sur les conventions d'honoraires, pourtant obligatoires avec les particuliers depuis 2015. Ce n'est pas suffisamment appliqué.

On observe une véritable crainte financière d'être assisté. Une femme s'est effondrée en larmes devant moi en entendant que ma permanence était bénévole : professeure à Saint-Denis, où un collègue l'avait violée, elle faisait des heures supplémentaires car on lui avait dit qu'un avocat lui coûterait 10 000 euros.

Il faut régler urgemment cette carence : comment faire pour que les victimes soient assistées gratuitement dès le stade de l'enquête préliminaire, au-delà des questions de revenus ? Certes, on peut entendre que quelqu'un gagnant très bien sa vie peut payer son avocat. C'est aussi une question philosophique. Après une agression sexuelle, ce serait à l'État d'assurer la défense, et non aux victimes de payer leur avocat : il ne s'agit pas de porter plainte pour un bien matériel, un produit qui ne marche pas ou un conflit sur une maison... Il faut lever des budgets suffisants pour garantir un accès à un avocat dès le dépôt de plainte.

Malheureusement, la police ne nous aide pas : souvent, au moment du dépôt de plainte, on nous dit : « Maître, vous n'étiez pas obligé de venir pour un dépôt de plainte », alors qu'être au commissariat est très impressionnant pour une victime. Notre présence évite de petites réflexions...

Une victime non accompagnée aura du mal à suivre l'enquête préliminaire et à savoir où en est l'enquête. Lors de ma permanence, la semaine dernière, nous avons ressorti des tiroirs du parquet deux dossiers : les femmes avaient écrit pour savoir où en étaient leurs dossiers. Il a fallu que j'écrive moi-même pour obtenir une réponse et leur dire que les enquêtes étaient classées, l'une depuis trois mois, l'autre depuis plus longtemps encore. Le parquet n'avait pas pris la peine de les en avertir... Idéalement, il faudrait une plateforme en ligne sur laquelle la victime pourrait suivre, avec son numéro de plainte, où celle-ci en est. On sait le faire pour les courriers, pourquoi pas dans ce cas ?

Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci de votre venue. Nous poursuivrons nos travaux et devrions publier notre rapport durant le premier trimestre 2025. Entre-temps sera nommé un ministre auquel nous pourrons le remettre...

La réunion est close à 17 h 10.