Mardi 10 décembre 2024

- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -

La réunion est ouverte à 17 h 05.

Audition de MM. Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique, et Alain Dupuy, directeur du programme « Eaux souterraines et changement global », du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous entamons les travaux de notre commission d'enquête par une série d'auditions introductives destinées à clarifier les enjeux géologiques et physiques relatifs aux eaux souterraines. Nous avons souhaité commencer par l'audition de M. Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), et de M. Alain Dupuy, directeur du programme « Eaux souterraines et changement global » du BRGM.

Messieurs, avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Christophe Poinssot et M. Alain Dupuy prêtent serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille et les responsabilités des pouvoirs publics dans les défaillances du contrôle de leurs activités et la gestion des risques économiques, patrimoniaux, fiscaux, écologiques et sanitaires associés.

Au début de l'année 2024, la presse s'est fait l'écho de pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Progressivement, l'opinion publique a appris que ces pratiques et d'autres, comme des forages illégaux, existaient depuis plusieurs années et que l'État avait connaissance de certaines d'entre elles depuis au moins 2020.

Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours. Son objet est ainsi de s'assurer que la santé et la correcte information des consommateurs d'eaux minérales et eaux de source soient bien garanties et que les errements passés ont cessé ; d'établir les responsabilités industrielles, administratives et politiques dans la poursuite de certaines pratiques interdites et de contribuer, le cas échéant, à restaurer la confiance dans un secteur industriel au poids économique crucial.

L'objet de nos premières auditions est essentiel parce qu'il nous faut apprécier la situation actuelle des eaux souterraines dans notre pays et en comprendre les enjeux.

Service géologique national, le BRGM est l'établissement public de référence dans les applications des sciences de la Terre pour gérer les ressources et les risques du sol et du sous-sol dans une perspective de développement durable.

Parmi les six grands enjeux identifiés par le BRGM figure la gestion des eaux souterraines. Il était donc indispensable de vous entendre dès le début de nos travaux.

Comment se constituent et se reconstituent les nappes d'eaux souterraines ? Quel est l'état global des eaux souterraines en France en 2024 aux niveaux quantitatif et qualitatif ? Quelles grandes tendances se dégagent depuis plusieurs décennies ? Comment le BRGM assure-t-il le suivi du niveau des nappes phréatiques ? Quelle connaissance le BRGM a-t-il des prélèvements des industriels des eaux embouteillées ? Plus globalement, quel rôle joue-t-il dans la surveillance de ces nappes ? À quoi faut-il s'attendre dans l'avenir, à la suite des changements climatiques, s'agissant des prélèvements en eaux ? Voilà quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur va vous interroger.

Nous vous proposons de dérouler cette audition, qui est diffusée en direct sur le site internet du Sénat, en plusieurs temps. Vous présenterez successivement votre travail et vos réflexions, en dix minutes maximum. Cette intervention liminaire sera suivie d'une série de questions-réponses, en particulier avec notre rapporteur, puis avec les autres membres de la commission.

M. Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières. - C'est pour nous un honneur d'inaugurer vos auditions sur le sujet important de l'eau, qui est, vous l'avez compris, l'un des enjeux de notre établissement, en tant que service géologique national.

Nous avons souhaité vous communiquer, au travers de quelques documents dont vous aurez la copie, des grands éléments de compréhension de ce que sont les ressources en eaux souterraines en France, du rôle qu'elles jouent dans notre approvisionnement, ainsi que des effets à la fois des activités humaines et du changement climatique.

Le BRGM est un établissement public qui a soixante-cinq ans, avec environ un millier de salariés. Nous avons deux activités d'un poids à peu près équivalent : d'une part, une activité de recherche, pour mieux comprendre le sous-sol, toutes ses ressources et tous ses risques ; d'autre part, une activité d'appui aux politiques publiques, à l'échelle tant nationale, auprès des administrations centrales et des ministères, que territoriale, auprès des collectivités et des services déconcentrés qui nous sollicitent.

Nous sommes localisés à Orléans, où travaillent nos équipes de recherche. Mais nous avons aussi des directions régionales dans tous les territoires français, y compris outre-mer, ce qui nous permet d'être au contact de l'ensemble des acteurs, au plus proche du terrain.

Aujourd'hui, nous sommes mobilisés et sollicités par les pouvoirs publics sur plusieurs grandes missions : la maîtrise des risques du sol et du sous-sol, qui représente un tiers de l'activité de l'établissement ; le suivi pour le compte de l'État de la ressource en eaux souterraines, soit un quart de notre activité ; les ressources minérales, indispensables pour les transitions actuelles, soit environ 10 % de notre activité ; l'utilisation du sous-sol pour la transition énergétique, soit également 10 % environ ; enfin, les travaux de connaissance du sous-sol, que nous menons en tant que service géologique national.

Je souhaite insister sur l'importance des eaux souterraines. Il faut en avoir conscience, seulement 3 % des eaux sur terre sont des eaux douces, propres à la consommation. Et l'essentiel des eaux douces se trouve dans l'eau glacée, en particulier dans les glaciers et les calottes polaires. Mais un tiers des eaux douces proviennent des eaux souterraines, quand les eaux disponibles à la surface n'en fournissent que 0,4 %. Il y a ainsi cent fois plus d'eau dans notre sous-sol que dans nos lacs, nos rivières et nos cours d'eau.

Cette ressource du sous-sol est extrêmement importante. Elle est liée aux précipitations qui s'infiltrent dans le sous-sol et qui remplissent les nappes souterraines. Si le flux annuel est assez faible, les eaux en sous-sol représentent un stock énorme. À l'échelle mondiale, le temps de résidence est, en moyenne, de 1 400 ans : c'est le temps moyen que met une goutte d'eau pour entrer et ressortir. Pour les eaux de surface, le stock est plus important, mais le temps de résidence est moindre.

Il faut s'imaginer que le sous-sol est une éponge, avec des pores plus ou moins gros. Plus leur taille est importante, plus l'eau va pouvoir circuler par ce que l'on appelle des aquifères. Plus ceux-ci sont petits et renfermés, moins l'eau peut bouger. Il y a des niveaux dans lesquels on ne peut pas exploiter l'eau : ce sont les aquitards.

Le sous-sol n'est pas composé de couches horizontales. Il y a toute une structure. Il arrive que les aquifères soient à la surface du sol : à ce moment-là, l'eau peut s'infiltrer et s'écouler en pente. C'est un mouvement naturel. Dans le sous-sol, l'eau n'est pas immobile ; elle bouge.

Sur notre territoire national, il y a différents types de nappes souterraines.

Il y a d'abord des nappes qui se situent relativement en surface et qui correspondent à des roches très grossières, avec des trous de grande taille. Ce sont des nappes d'eau qui réagissent assez vite : s'il pleut, l'eau rentre très vite ; s'il fait sec, elle s'évapore très vite. On parle de nappes réactives.

À l'inverse, lorsque les nappes d'eau sont de plus grande taille, plus profondes, dans une roche dont les trous sont plus petits, l'eau bouge très doucement, même si cela représente une masse très importante. On parle alors de nappes inertielles : les mouvements prennent plus de temps et sont plus amortis.

Enfin, il y a des zones dans lesquelles les nappes sont de beaucoup plus petite taille et ne sont pas forcément connectées entre elles. Cela correspond aux zones volcaniques ou aux zones granitiques, que l'on voit en particulier dans les massifs anciens français.

Il y a donc des nappes de dynamiques variées. Certaines réagissent très vite à la sécheresse ou aux pluies importantes. D'autres sont beaucoup plus inertielles et mettent plusieurs années à réagir en cas de changement d'importance.

Dans ce contexte, la question de l'eau est une question de territoire : les besoins comme les ressources en eau varient selon les territoires. Dans certaines régions, on trouve majoritairement de l'eau souterraine ; dans d'autres, c'est l'eau de surface qui est majoritaire.

En France, les deux tiers de l'eau potable en France proviennent aujourd'hui de l'eau souterraine. Le taux est de 40 % pour l'eau industrielle, ainsi que pour l'eau agricole. Il est donc très important de maîtriser et de préserver la ressource en eau souterraine, afin de pouvoir répondre à nos besoins en termes de consommation. Je le précise, les chiffres que je viens de communiquer concernent le territoire hexagonal.

Dans les outre-mer, il y a des situations beaucoup plus spécifiques, qui varient selon le climat ou la position géographique, par exemple par rapport au vent. Les tensions en eau peuvent être importantes. L'exemple de Mayotte en est tout à fait typique ; nous avons été très mobilisés dans la gestion de la crise, qui n'est pas encore terminée, et nous continuons d'agir.

Vous l'aurez compris, la ressource en eau souterraine est une part importante de notre besoin. Il faut donc que nous puissions la surveiller et la contrôler. C'est l'une des missions que nous exerçons pour le compte des pouvoirs publics. Nous avons un réseau de piézomètres, c'est-à-dire de puits contenant des instruments permettant de mesurer le niveau de l'eau. Nous avons aujourd'hui plus de 2 300 points. Cela nous permet de suivre en permanence le niveau de l'eau - la remontée d'informations est, pour une large part, automatisée - et de savoir à tout moment quel est le niveau des masses d'eau. Ces éléments, qui sont rendus publics, notamment sur le site d'accès aux données sur les eaux souterraines (Ades), nous permettent de construire la carte de suivi du niveau des nappes.

L'année 2024 se caractérise par des niveaux d'eau extrêmement élevés : contrairement à la tendance d'il y a quelques années, les nappes sont aujourd'hui très fortement remplies. En deux ans, nous sommes passés d'une situation de crise - songeons à la sécheresse de 2022, qui s'est prolongée pendant l'hiver - à une situation de quasi-surplus d'eau. En 2022-2023, la majeure partie des nappes d'eau était vraiment en déficit. Cela a duré jusqu'au début de l'automne 2023. La situation de sécheresse était critique. Depuis, les nappes d'eau sont fortement remplies. La seule exception est le grand Sud, autour des Pyrénées-Orientales.

Il est important de suivre ces nappes d'eau en quantité, mais également en qualité. Nous sommes en train d'instrumenter le réseau piézométrique à cette fin. Mais c'est encore en devenir. Certaines masses d'eau sont polluées par des produits chimiques liés aux activités humaines, au sens très large. Cela ne signifie pas qu'elles soient nécessairement impropres à la consommation.

En France, nous avons 186 eaux conditionnées. Il s'agit d'eaux minérales, d'eaux de source. Quatre de ces eaux conditionnées - c'est donc très minoritaire - sont des eaux rendues potables par traitement. Elles sont réparties sur les différentes régions. Le volume d'eau produit est important, mais il reste très limité par rapport à l'ensemble de la consommation d'eau. Aujourd'hui, la production d'eau conditionnée représente 0,4 % de la consommation d'eau totale en France. C'est donc relativement faible, mais ce n'est tout de même pas négligeable dans certains territoires, la répartition n'étant pas homogène à l'échelle nationale. L'eau minérale et l'eau de source représentent environ chacune 0,2 % de la consommation totale destinée à la consommation humaine.

Les prélèvements sont autorisés par les pouvoirs publics ; il s'agit souvent d'autorisations en termes de volume total annuel, ainsi que de débits maximaux horaires et journaliers, avec un suivi par les services de l'État. Les données sont mises à disposition annuellement par les agences de l'eau ; chacun peut y accéder.

Le changement climatique augmente les températures et conduit à une modification du régime des pluies. En effet, qui dit températures plus importantes dit augmentation de l'évaporation et de l'évapotranspiration. Le cycle de l'eau est donc modifié. Savoir quelles seront les répercussions sur les ressources en eau, en particulier en eau souterraine, est un enjeu extrêmement important.

Depuis quelques mois, nous disposons des résultats d'un exercice réalisé par beaucoup d'établissements de recherche français, de Météo France au BRGM, en passant par l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Ce travail a permis de faire une modélisation beaucoup plus fine des effets du changement climatique sur la ressource en eau. L'exercice a porté sur la recharge en eau cumulée à l'horizon 2071-2100, selon différents scénarios climatiques provenant du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec).

Sans entrer dans les détails, la France serait, en quelque sorte, coupée en deux, avec une partie septentrionale dans laquelle il y aurait plus d'eau en moyenne annuelle, et une partie méridionale dans laquelle il y aurait moins d'eau, avec une forte baisse sur l'extrême sud-est ou l'extrême sud-ouest. Je le précise, je parle bien de quantité annuelle : même dans la partie septentrionale, il y aura des périodes, sans doute longues, de sécheresse. Vous le savez, le changement climatique modifie le régime des pluies : même s'il tombera plus d'eau, ce sera de manière plus concentrée. Cela soulève la question des moyens pour gérer la ressource en eau et la préserver sur la durée.

Tels sont les éléments que nous souhaitions porter à votre connaissance à ce stade, afin d'éclairer vos réflexions.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez présenté l'état de la ressource sur trois années. J'aimerais avoir votre vision sur un horizon de temps plus long, par exemple plusieurs décennies. Avez-vous des indicateurs synthétiques permettant d'expertiser la qualité en eau ?

Avez-vous le même système de supervision pour les eaux souterraines soumises à votre contrôle et pour les eaux embouteillées ?

Auriez-vous des informations particulières à nous communiquer sur les nappes qui sont exploitées par les industriels des eaux embouteillées ?

M. Christophe Poinssot. - Vous l'avez compris, historiquement, le premier souci du BRGM a été de suivre la quantité. Nous avons aujourd'hui un réseau piézométrique qui est assez performant - beaucoup de pays l'envient - et qui nous permet vraiment d'avoir une information fiable, bien répartie sur le territoire, sur le suivi du niveau des nappes.

Sur le volet qualité, les choses sont encore en train de se développer. Nous n'avons pas du tout le même recul. Néanmoins, nous avons déjà des analyses, certes plus ponctuelles. Elles montrent que nos nappes d'eau souterraines sont marquées par les activités humaines. Je souhaite toutefois faire deux commentaires.

Premièrement, ce n'est pas parce que nous détectons quelque chose que l'eau n'est pas potable ou pose des problèmes de santé. Aujourd'hui, nous avons des limites de détection qui sont extrêmement faibles. Nous voyons un pouillème de tout ce qu'il peut y avoir dans l'eau. C'est extrêmement intéressant parce que cela permet de percevoir des signaux précurseurs avant la survenue d'un problème.

Deuxièmement, tout dépend des nappes. Dans le cas des nappes réactives, nous pouvons voir très vite ce qui se passe. Dans celui des nappes inertielles, les effets mettront beaucoup plus de temps à apparaître et à disparaître.

M. Alain Dupuy, directeur du programme « Eaux souterraines et changement global » du Bureau de recherches géologiques et minières. - Les éléments relatifs aux indicateurs de qualité que nous vous avons communiqués proviennent d'un travail lié à la directive-cadre sur l'eau (DCE). Nous avons à disposition deux ou trois campagnes nationales d'état des lieux. Il est nécessaire d'avoir des campagnes de synthèse annuelles ; elles sont en train de se mettre en place. Des bilans sont réalisés.

Il y a également un volet bio, afin de donner un indicateur supplémentaire sur la qualité des eaux.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je comprends que vous ne soyez pas aussi avancés sur la qualité que sur la quantité. Mais j'aimerais revenir sur les eaux embouteillées.

D'une part, procédez-vous aux mêmes mesures de qualité pour les nappes qui sont gérées par les industriels et pour celles qui sont soumises à votre contrôle ?

D'autre part, quels types de pollution constatez-vous ? Quelles en sont les origines ? Avez-vous relevé de bonnes pratiques en certains endroits ?

M. Christophe Poinssot. - Notre rôle est de suivre en quantité et en qualité les nappes souterraines, qu'il y ait ou non des prélèvements à des fins industrielles. Notre suivi est régional, au sens plus territorial qu'administratif du terme. Nous avons donc des informations sur les nappes exploitées par les industriels. Nous n'effectuons pas de contrôles - c'est le rôle des services de l'État, pas le nôtre - sur la qualité ou la quantité de l'eau prélevée. Nous nous cantonnons au suivi du milieu naturel et du niveau des nappes, afin de pouvoir analyser, le cas échéant, si elles évoluent dans un sens ou dans un autre.

M. Alain Dupuy. - Je vous le confirme, que les nappes soient ou non exploitées par un industriel pour produire de l'eau potable ou par le secteur agricole, les moyens de surveillance des systèmes aquifères sont les mêmes. Nous regardons les phénomènes à l'échelle des nappes ou à celle de masses d'eau, c'est-à-dire d'ensembles de nappes. Il n'existe pas de distinction entre la surveillance d'une source hydrothermale qui servirait à un embouteillement et celle d'une autre nappe qui ne servirait qu'à l'alimentation en eau potable (AEP).

M. Christophe Poinssot. - Nous pourrions multiplier les exemples de bonnes pratiques qui se développent actuellement. Sur le territoire de Vittel-Contrexéville, une organisation réunit les industriels et les services de l'État, dont le BRGM, pour mieux connaître la ressource et installer des piézomètres supplémentaires afin d'obtenir un modèle de la nappe phréatique des grès du Trias inférieur. Une connaissance plus fine de cette nappe permet de vérifier que son niveau est stabilisé et de s'assurer que les prélèvements autorisés par l'État sont soutenables.

Chaque cas est particulier, par sa géographie et les caractéristiques de son site, ainsi que par les démarches mises en oeuvre.

M. Alain Dupuy. - La typologie des pollutions sur une exploitation ou un site d'embouteillage dépendra du type de nappe sur laquelle la ressource est prélevée. Si la nappe est directement connectée à la surface, le risque d'y retrouver des pollutions issues de la surface existe. Si la nappe est plus profonde et que l'eau qu'on y trouve a plusieurs centaines, voire plusieurs milliers d'années, la présence de polluants anthropiques est due non à la percolation, mais plutôt à des forages installés dans la nappe, qui font court-circuit et amènent les polluants jusqu'au point d'émergence.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si je résume vos propos, à part l'expérimentation que vous avez mentionnée sur la nappe du territoire de Vittel-Contrexéville, on ne sait pas si les nappes sont ou non surexploitées par les industriels ?

M. Christophe Poinssot. - Oui.

M. Alain Dupuy. - Nous sommes d'accord.

M. Christophe Poinssot. - Il y a toutefois un suivi de long terme du niveau d'une partie de ces nappes. Le niveau de la nappe des grès du Trias inférieur a eu tendance à baisser durant des décennies, mais les eaux de source Vittel et Contrexéville ne sont pas les seules à prélever dans cette nappe : toutes les activités agricoles ou industrielles de la région y puisent. La question devient celle du partage des ressources et de la gouvernance qui y est associée. Nous ne percevons que le résultat global de l'ensemble des activités.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les industriels invoquent souvent comme une difficulté pour leur activité la multiplication d'événements climatiques extrêmes dus au changement climatique. Quels sont, selon vous, les principaux points de vulnérabilité liés au changement climatique ?

M. Alain Dupuy. - Le changement climatique a comme effet visible une concentration des précipitations durant l'hiver, avec une intensité des pluies plus importante. Ces phénomènes ont des conséquences plutôt défavorables sur la percolation et l'infiltration. En raison des événements plus violents, le curseur bascule vers moins de percolation et plus de ruissellement, avec les conséquences que l'on connaît en matière d'inondations. Même si les précipitations sont plus importantes, il est légitime de se demander si elles sont efficaces par rapport à la ressource, notamment par rapport à sa disponibilité future. C'est un vrai écueil. Statistiquement, il a été prouvé que les événements hivernaux d'intensité supérieure à la normale sont plus fréquents.

M. Christophe Poinssot. - Dans la palette de solutions à très long terme dont nous disposons, sans parler de la recharge maîtrisée des nappes qui existe déjà dans certains territoires, il faut ralentir les ruissellements et faciliter la pénétration des précipitations dans le sous-sol afin d'assurer la recharge des nappes.

Mme Audrey Linkenheld. - Je souhaite revenir sur la question des forages. Il y a 186 eaux conditionnées en France. Depuis combien de temps ces eaux ont-elles été créées ? Certaines sont-elles plus récentes que d'autres ? J'ai été assez surprise d'apprendre que certains forages étaient récents et que des gisements étaient découverts. Les industriels, en raison de l'évolution de la réglementation, sont amenés à fermer des forages et à en ouvrir d'autres, à prélèvement équivalent. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce point ?

M. Alain Dupuy. - Avant l'introduction de la technologie des forages modernes, apportée après la Seconde Guerre mondiale par les Américains, on savait faire des puits par battage. L'origine des puits thermaux est romaine ; sous le Troisième Empire, leur développement est dû à celui du thermalisme. Sur les sources thermales ont ensuite été implantés des forages, dans l'idée de protéger le consommateur en cherchant une ressource plus pure, parce que plus profonde.

Les demandes de création de nouveaux points hydrothermaux, à des fins médicales ou d'embouteillage, ne sont pas liées à des découvertes : nous connaissons et surveillons déjà ces systèmes aquifères. Elles font l'objet d'une demande auprès de l'académie nationale de médecine, au cours de laquelle il faut prouver le bénéfice pour la santé de la consommation de ces eaux. C'est à ce titre que les eaux minérales naturelles sont agréées par le ministère de la santé.

M. Daniel Gremillet. - Les 2 300 piézomètres que vous avez mentionnés sont-ils tous sous le contrôle du BRGM, ou avez-vous comptabilisé ceux dont disposent des entreprises privées, qui mettent éventuellement leurs mesures à votre disposition ?

Les opérations Ferti-Mieux, mises en place sur les territoires afin de suivre l'évolution de la pollution des eaux par les nitrates, font-elles partie des opérations contrôlées par le BRGM ?

Vous avez évoqué les 1 400 années qui s'écoulent en moyenne entre le moment où l'eau tombe sur le sol et celui où elle est prélevée. Beaucoup de territoires sont-ils concernés par une faille telle que celle que l'on trouve sur le territoire de Vittel-Contrexéville, qui fait que d'un côté ou de l'autre de cette faille l'âge de l'eau prélevée est très différent ?

M. Christophe Poinssot. - Entre 1 600 piézomètres et 1 650 piézomètres sont directement gérés par le BRGM ; les autres sont gérés par des associations, des organismes publics ou privés. Au total, nous nous servons de 2 300 piézomètres pour assurer le suivi des nappes.

D'autres piézomètres existent en France, mais le suivi des données qu'ils fournissent n'est pas assuré avec les mêmes procédures de qualité. Ils ne permettent pas d'obtenir un suivi fin, représentatif et comparable d'un territoire à un autre. En revanche, certains permettent d'obtenir des données plus spécifiques.

M. Alain Dupuy. - Des moyens de limiter les contaminations aux nitrates ont été développés ailleurs que sur les territoires où ont eu lieu des opérations Ferti-Mieux. Tous les territoires de protection des captages d'eau potable bénéficient de ces démarches. D'ailleurs, les embouteilleurs d'eau se sont souvent inspirés de ces procédures de protection des ressources en eau potable pour développer ce type de pratiques sur leurs bassins versants.

Les 1 400 ans de l'eau ne sont qu'une moyenne : pour certaines nappes, il ne s'agit que de quelques mois ; pour d'autres, la durée peut aller jusqu'à plus de 10 000 ans. La présence de failles relève malheureusement du cas par cas. Nous avons une connaissance relativement globale de l'âge des eaux qui circulent dans tel ou tel horizon aquifère, mais nous n'avons pas daté, au cas particulier près, l'eau de tous les points de prélèvement. En revanche, nous savons observer la circulation de l'eau et calculer les taux de renouvellement des nappes phréatiques.

M. Christophe Poinssot. - Un des enjeux importants est de disposer de modèles hydrogéologiques qui permettent de modéliser la totalité des aquifères. Nous disposons d'un certain nombre d'analyses, mais nous ne couvrons pas encore l'ensemble du territoire français. C'est l'objet de travaux en cours, pour anticiper à l'échelle saisonnière de potentielles périodes de sécheresse, ainsi que pour mesurer plus finement les impacts du changement climatique à l'échelle décennale.

Mme Antoinette Guhl. - Compte tenu de votre expertise dans le domaine de l'eau, quel regard portez-vous sur les scandales qui ont touché les eaux minérales ces dernières années ? On a parlé de pollutions aux substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS) et aux pesticides. La situation de certains minéraliers est-elle très particulière, ou ces pollutions sont-elles généralisées à toutes les nappes ?

Un travail a été réalisé pour limiter les pollutions à Vittel et Contrexéville. En revanche, en raison de la surexploitation de la nappe sur laquelle l'eau d'Hépar est puisée, les prélèvements ont été diminués de moitié, après que des volumes sans doute excessifs ont été autorisés. Je m'étonne que vous n'interveniez que sur les niveaux de prélèvement. Y a-t-il une différence entre les nappes phréatiques des eaux minérales de Vittel, de Contrex et d'Hépar ?

M. Alain Dupuy. - Les contaminations par des PFAS ou des pesticides sont des cas typiques de contaminations venant de la surface. Soit ces contaminations ont suivi un cheminement préférentiel par l'intermédiaire d'un ou de plusieurs forages, qui amènent les contaminants de surface à une certaine profondeur avant de les reprendre par les pompes ; soit il s'agit d'une contamination de plus longue haleine, qui par percolation contamine l'intégralité de la nappe.

Une contamination par un point de passage est plus facile à traiter et à résoudre. Une contamination plus généralisée par percolation, ayant modifié les écoulements, met à mal l'intégralité de la ressource ; trouver une solution est alors bien plus complexe.

M. Christophe Poinssot. - Ainsi que je l'indiquais lors de mon propos introductif, certaines nappes, très réactives, sont assez rapidement contaminées par toute pollution anthropique. La contamination prendra beaucoup plus de temps sur d'autres, à l'inertie beaucoup plus grande. Inversement, il sera plus facile de dépolluer une nappe réactive qu'une nappe inertielle.

Des eaux de surface sont marquées par les activités anthropiques. Le cas des nitrates est emblématique : il faudra des décennies pour effacer le marquage aux nitrates sur une partie du territoire.

M. Hervé Gillé. - Les inquiétudes sont très fortes en ce qui concerne les aires d'alimentation de captage. Dans la perspective d'une grande conférence nationale sur l'eau, les déclarations gouvernementales récentes mettaient en avant la nécessité de préserver les aires d'alimentation de captage en allant bien au-delà des priorités actuellement fixées.

Avez-vous eu des directives ou des recommandations du Gouvernement pour analyser la situation ? La priorisation des aires d'alimentation de captage supposerait de dresser une cartographie pour établir une stratégie à moyen terme. Êtes-vous associés à une telle réflexion, essentielle pour déterminer les moyens à mettre en oeuvre ?

M. Alain Dupuy. - Nous avons entendu parler des demandes de protection, mais nous n'avons pas de commande au sujet de la priorisation des aires de protection des captages. On peut légitimement avancer qu'il vaudrait mieux regarder les nappes libres réactives que les nappes captives.

M. Hervé Gillé. - La priorité serait donc établie en fonction de la percolation des pollutions et de la réactivité de la nappe ?

M. Alain Dupuy. - Tout à fait.

M. Christophe Poinssot. - Nous sommes sollicités à l'échelle des territoires pour développer une meilleure connaissance des aquifères, que cela soit dans l'Hexagone ou dans les territoires d'outre-mer. Des moyens de géophysique aéroportée, avions et hélicoptères, permettent d'obtenir une cartographie du sous-sol. Des travaux de modélisation permettent alors de mieux connaître la ressource pour mieux la gérer à long terme.

Mme Marie-Lise Housseau. - Le BRGM étudie l'évolution qualitative et quantitative des masses d'eau. De votre point de vue, percevez-vous une amélioration de la qualité de l'eau, en particulier en ce qui concerne les pollutions aux nitrates, aux produits phytosanitaires ou pharmaceutiques ?

Comme toutes les masses d'eau communiquent, y a-t-il à terme un risque que les eaux minérales soient contaminées malgré les périmètres de captage mis en place, ou les forages sont-ils suffisamment profonds et étanches pour les préserver des évolutions futures ?

M. Christophe Poinssot. - Il est important de rappeler qu'un forage bien fait ne permet pas de court-circuit entre des nappes d'eau. L'intégrité des nappes est préservée, même en cas de forages ; l'État est là pour le vérifier.

Il est difficile de répondre à votre question parce que, chaque année, nous mesurons de nouveaux polluants qu'on ne savait pas détecter l'année précédente. Les techniques progressent. Les PFAS, que nous ne savions pas analyser jusqu'à récemment, en fournissent un très bon exemple. Pour cette raison, il est difficile de comparer les mesures actuelles à celles qui ont été réalisées par le passé, alors que nous ne savions pas mesurer certaines substances. La réponse à votre question est délicate : nous progressons au fur et à mesure des observations.

M. Olivier Jacquin. - Je m'étonne du peu d'éléments dont vous disposez au sujet de l'évolution de la qualité des eaux. Vers quel organisme public faut-il se tourner pour avoir des informations plus précises sur les menaces et les risques relatifs à la qualité de l'eau, en particulier pour les eaux minérales naturelles ? Faut-il se tourner vers les agences de l'eau ou vers les agences régionales de santé (ARS) ? J'ai été vice-président d'une agence de l'eau. Le nombre de fermetures de captages d'eau était un indicateur assez révélateur de la baisse de la qualité de la ressource.

M. Christophe Poinssot. - L'évolution actuelle est que les eaux souterraines sont plus marquées que par le passé par les activités humaines. C'est logique, compte tenu de l'effet mémoire et de l'accumulation des années de forte activité industrielle. L'évolution va plutôt dans le sens d'une dégradation progressive, que l'on ne sait pas forcément quantifier.

Le suivi des eaux prélevées n'est pas de notre ressort. Je ne sais pas si cela relève de la compétence des ARS ou de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), mais nous regardons les nappes de manière générale et en aucun cas les prélèvements qui y sont effectués.

Mme Élisabeth Doineau. - Si cette commission d'enquête a été créée, c'est parce que, dans différents groupes industriels, les traitements subis par certaines eaux minérales font qu'en réalité on ne peut plus les considérer comme telles.

Les eaux conditionnées sont les eaux minérales naturelles, les eaux de source et les eaux rendues potables par traitement. Peut-on envisager que certaines de ces eaux classées comme minérales doivent passer dans la catégorie des eaux rendues potables par traitement ?

M. Alain Dupuy. - Oui, des eaux minérales peuvent basculer vers cette catégorie, mais ce n'est pas nous qui donnons l'agrément, c'est l'académie nationale de médecine qui décide de ce classement. Si les eaux ont été traitées, elles doivent normalement perdre leur agrément d'eau minérale naturelle.

Il est du ressort des autorités sanitaires de dégrader le classement d'une eau minérale vers une eau d'un autre type. Il me semble que cela n'a jamais été fait, sauf en cas de conditions irréversibles pour la qualité de l'eau. Certaines eaux ont perdu leur agrément, ce qui a conduit à la fermeture de points de prélèvements, mais les exemples qui me viennent à l'esprit concernent plutôt des stations thermales que des eaux embouteillées.

Mme Florence Lassarade. - Existe-t-il des systèmes de surveillance des eaux similaires dans les autres pays européens ? Quelles sont vos relations avec vos homologues européens ? Comparez-vous vos méthodes de travail ? Je pense notamment aux pays du Sud, qui sont confrontés à des problèmes de sécheresse.

M. Christophe Poinssot. - Il existe à l'échelle européenne une association des services géologiques nationaux, EuroGeoSurveys, que j'ai l'honneur de présider depuis deux ans. Celle-ci nous permet de discuter et de comparer les missions de nos services géologiques respectifs, en particulier dans le domaine de l'eau. Des représentants des vingt-sept services géologiques européens sont réunis dans un groupe d'experts et partagent leurs méthodologies et leurs savoir-faire. Nous essayons de mutualiser nos expériences pour enrichir nos connaissances.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je ne sais pas à quel point la carte des vulnérabilités que vous avez mentionnée est aboutie, mais il serait très intéressant pour la commission d'enquête d'en disposer. Cela nous permettrait d'identifier les zones sujettes à des fragilités afin d'adapter la réponse publique.

Par ailleurs, l'outil le plus connu pour agir sur un problème quantitatif est l'arrêté préfectoral sécheresse. De quels outils manquons-nous en matière de prévention ? L'avenir de la prévention semble résider dans la gestion de la ressource ; que développez-vous à cet égard ?

À ce stade, notre seule réponse aux sécheresses est quelque peu primaire : prendre un arrêté préfectoral, y mettre fin et recommencer le cas échéant. Ce qui se passe en amont de ces décisions est assez opaque.

Comment rendre la réponse publique efficace pour préserver la ressource en eau ? Vous nous avez alertés sur le fait que la qualité de celle-ci tend à se dégrader. Comment enrayer ce processus ? À l'aide de quels outils ?

M. Christophe Poinssot. - Il convient de distinguer les solutions au long court et les situations de crises, qui sont traitées par des arrêtés sécheresse. Je laisserai mon collègue vous répondre sur ce second aspect.

Pour renforcer notre capacité d'anticipation au long court, deux points nous paraissent très importants.

Tout d'abord, nous devons nous munir d'outils pour anticiper les évolutions d'une nappe d'eau souterraine en fonction de ce que nous savons du climat et des prévisions météorologiques annuelles, afin d'anticiper des politiques publiques avant que ne survienne une situation de crise. À cet effet, nous avons développé des outils de modélisation. C'est sur ces derniers que porte notre deuxième point d'inquiétude : pour qu'ils soient fiables, nous devons avoir une bonne connaissance des prélèvements non seulement des embouteilleurs, mais de tous les points d'eau, qu'il s'agisse d'eau potable, de systèmes d'irrigation ou d'exploitations industrielles. Il existe des obligations de déclaration, mais leur fréquence est insuffisante. Il est nécessaire de renforcer notre connaissance collective des prélèvements si nous voulons être capables d'anticiper dès l'hiver ou le début du printemps les crises qui pourraient survenir durant la période estivale et de gérer collectivement cette ressource limitée.

M. Alain Dupuy. - Pour ce qui concerne les arrêtés sécheresse, ils sont l'ultime solution en cas de crise. Vous aurez compris que la gestion de l'eau est un enjeu territorialisé. Les situations sont spécifiques et exigent des réponses au cas par cas.

Les outils les plus adaptés sont les schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (Sage), car ils permettent de prendre des décisions collégiales et partagées sur l'état quantitatif et qualitatif des nappes souterraines. Ils font appel à des outils numériques de prévision des tendances d'évolution des niveaux des nappes en fonction des contraintes climatiques. Nous avons par exemple développé MétéEAU Nappes.

Toutefois, pour employer au mieux ces outils, nous devons connaître les contraintes supplémentaires, c'est-à-dire les prélèvements, les comportements humains, etc. En cela, je rejoins les propos de mon collègue : une actualisation plus rapide des données de prélèvements nous serait utile pour apporter des réponses efficaces aux décideurs publics.

M. Laurent Burgoa, président. - Messieurs, je vous remercie de la qualité de nos échanges. Vous étiez les premières personnes à être entendues par notre commission d'enquête, qui devra rendre son rapport au plus tard le 20 mai prochain.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Sylvain Barone, membre de l'unité mixte de recherches Gestion de l'eau, acteurs, usages de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae)

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons notre série d'auditions introductives destinées à clarifier les enjeux géologiques et physiques relatifs aux eaux souterraines. Nous avons souhaité entendre M. Sylvain Barone, membre de l'unité mixte de recherches Gestion de l'eau, acteurs, usages de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae).

Compte tenu du faible délai que nous avons imposé à M. Barone, nous avons accepté de l'entendre en visioconférence.

Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Sylvain Barone prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille et les responsabilités des pouvoirs publics dans les défaillances du contrôle de leurs activités et la gestion des risques économiques, patrimoniaux, fiscaux, écologiques et sanitaires associés.

Au début de l'année 2024, la presse s'est fait l'écho de pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Progressivement, l'opinion publique a appris que le recours à ces pratiques, mais aussi à d'autres pratiques, comme des forages illégaux, durait depuis plusieurs années. En outre, il a été mis au jour que l'État avait connaissance de certaines d'entre elles depuis au moins l'année 2020.

La commission d'enquête du Sénat vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours. Aussi, sa vocation est de s'assurer que la santé et la correcte information des consommateurs d'eaux minérales et eaux de source sont bien garanties et que les errements passés ont cessé ; d'établir les responsabilités industrielles, administratives et politiques dans la poursuite de certaines pratiques interdites ; de contribuer, le cas échéant, à restaurer la confiance dans un secteur industriel au poids économique crucial.

L'objet de nos premières auditions est d'apprécier la situation actuelle des eaux souterraines dans notre pays et d'en comprendre les enjeux.

Issu du rapprochement de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) et de l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (Irstea), l'Inrae est le premier organisme de recherche spécialisé dans l'agriculture, l'alimentation et l'environnement.

Monsieur Barone, vous êtes chargé de recherche en science politique au département Écosystèmes aquatiques, ressources en eau et risques de l'Inrae, dit département Aqua, au sein de l'unité mixte de recherche (UMR) Gestion de l'eau, acteurs, usages. Vos recherches portent sur l'action publique environnementale, les conflits autour de l'eau et leur régulation et le traitement judiciaire des atteintes à la nature. Vous avez récemment publié, dans les Cahiers français, un article intitulé « La gestion de l'eau et la question des usages à l'heure du changement climatique ».

Nous souhaitons vous entendre sur la gestion de la ressource en eau et les conflits d'usage.

Quels sont selon vous les principaux enjeux actuels et à venir en matière de préservation de la ressource en eaux souterraines ?

Comment évaluez-vous le dispositif de gouvernance de la gestion de l'eau à l'échelle locale ? Estimez-vous qu'il fonctionne de manière satisfaisante ? Les intérêts des différents types d'usagers sont-ils représentés de façon équilibrée ?

Quels conflits économiques liés à la gestion de l'eau et impliquant directement ou indirectement le captage d'eaux à des fins de conditionnement identifiez-vous sur le territoire national ?

À quels enjeux devrons-nous faire face en matière de gestion de l'eau à court et moyen terme ?

Voilà quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur, puis les autres membres de la commission d'enquête vous interrogeront. Avant cela, je vous cède la parole pour un propos introductif.

M. Sylvain Barone, membre de l'unité mixte de recherches Gestion de l'eau, acteurs, usages de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae). - Je vous remercie de me donner la parole dans le cadre de cette commission d'enquête. Comme vous venez de l'indiquer, monsieur le président, je suis chercheur en sciences politiques à l'Inrae et mes travaux portent sur les conflits autour de l'eau, sur les politiques publiques et la gouvernance de l'eau, mais aussi sur le traitement judiciaire, notamment pénal, des atteintes à l'environnement, du contrôle jusqu'à l'éventuelle sanction.

Je précise que je n'ai jamais travaillé directement sur l'industrie de l'eau en bouteille. De plus, étant chercheur en sciences politiques et non hydrogéologue ou écotoxicologue, il est possible que certaines des questions qui me seront adressées dépassent mon champ de compétences.

Permettez-moi de rappeler quelques éléments de contexte, avant d'évoquer des pistes de discussion.

Tout d'abord, malgré l'existence de toute une série de directives européennes, de textes nationaux et de plans d'action, plusieurs questions liées à la qualité de l'eau demeurent insuffisamment traitées et ont fait l'objet d'une attention particulière dans les médias ces derniers mois.

Je pense par exemple à l'importante concentration en nitrates qui a été relevée dans les eaux de nombreuses zones en France. En juillet 2024, la Commission européenne a annoncé poursuivre la France pour non-respect de la concentration maximale de nitrate dans l'eau potable fixée par la directive relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine de 2020 dans 107 zones de distributions réparties dans sept régions.

Je pense également à la question des pesticides et des polluants éternels. Des enquêtes, des articles de presse, des rapports d'inspection ou d'autorités publiques sont régulièrement publiés depuis plusieurs mois pour alerter sur la présence généralisée de ces substances dans l'eau. Il s'agit d'un problème de santé publique qui pourrait devenir majeur dans les années à venir.

En outre, les effets du changement climatique conduisent à concentrer des substances polluantes dans une eau plus rare, en particulier durant certaines périodes de l'année.

Ces différents types de pollution concernent toutes les eaux, y compris souterraines : celles qui sont destinées à la consommation humaine ne font pas exception. Les récentes affaires de tromperie des consommateurs sur les eaux en bouteilles ne sont pas d'ordre sanitaire - il est utile de le rappeler -, mais soulèvent un certain nombre de questions, qui pourraient altérer la confiance des citoyens dans l'eau qu'ils boivent, qu'il s'agisse de l'eau du robinet comme de celle en bouteille. Pour autant, plusieurs enquêtes récentes montrent que 80 % des Français ont encore confiance dans la qualité de l'eau du robinet, et un peu davantage dans l'eau en bouteille.

Dans ce contexte général, plusieurs questions se posent sur l'eau en bouteille.

La première porte sur le contrôle des industriels de l'eau en bouteille par les autorités compétentes, c'est-à-dire les préfets, les agences régionales de santé (ARS), les directions départementales de la protection des populations (DDPP) et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

Il me semble très frappant que les affaires de traitements non autorisés de certaines eaux minérales naturelles aient été mises au jour par des signalements, voire des autosignalements, sans lesquels ces pratiques non réglementaires auraient pu se poursuivre encore longtemps. La publication d'un rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) et sa mention dans la presse nationale ont ensuite porté cette affaire à la connaissance du grand public.

Par ailleurs, l'ampleur de la tromperie est saisissante, de même que le fait qu'elle semble relever d'une pratique assez courante, qu'elle ait duré depuis plusieurs années et qu'elle perdure peut-être dans certains sites où il est facile de dissimuler de telles pratiques, tout du moins en l'état actuel des contrôles.

Ces affaires mettent au jour autant le caractère perfectible du fonctionnement administratif que la réactivité et la transparence relative dont font preuve les pouvoirs publics.

La première réponse consiste bien sûr à contrôler mieux et davantage. Les rapports récents qui sont parus sur le sujet - le rapport de l'Igas de 2022, le rapport d'audit de la Commission européenne de 2024, le rapport de la mission d'information du Sénat d'octobre 2024 - formulent des propositions pertinentes, notamment la réalisation de davantage de contrôles inopinés sur site tout au long du processus de fabrication et l'amélioration de la coordination entre les services de contrôle. L'objectif est de repérer les dysfonctionnements, mais aussi de renforcer le caractère dissuasif des contrôles.

À ce sujet, de nombreux travaux en sociologie et en sciences politiques ont mis en évidence l'attitude traditionnellement flexible ou conciliatrice des services déconcentrés de l'État dans leur mission de contrôle des industriels, notamment sur les questions d'eau et d'environnement. Ces travaux montrent leur tendance à accompagner les industriels vers la conformité sans les brusquer, en s'appuyant sur leurs données. Le dialogue est favorisé plutôt que la vérification des pratiques réelles ou l'instauration de mesures contraignantes. Cela s'explique par l'injonction contradictoire à laquelle sont soumis ces services : protéger l'environnement, tout en préservant le développement économique local.

Autrement dit, si l'affaire que j'ai mentionnée se distingue par son importance, elle témoigne également, de manière plus globale, de la façon dont les services de l'État exercent leur mission de contrôle auprès des industriels. Lorsque des non-conformités sont repérées et que des mises en demeure de la part des services de l'État ne sont pas suivies d'effets, les préfets peuvent prononcer des sanctions administratives : des amendes, des astreintes, l'exécution d'office de travaux, voire l'arrêt temporaire de l'activité. En théorie, ils disposent donc d'outils puissants. Pourtant, ces derniers sont rarement mobilisés dans les faits, pour les raisons que je viens d'évoquer.

Lorsque le traitement de ces pratiques non réglementaires sort du champ strictement administratif pour entrer dans une procédure judiciaire, par exemple à la suite d'une plainte et/ou d'un signalement, l'industriel peut faire l'objet d'une sanction. Si une telle sanction a bien sûr pour objectif d'être dissuasive, elle recouvre également une valeur symbolique : elle marque une réprobation sociale, voire morale, de la transgression de normes collectives.

Or l'affaire Nestlé a abouti non pas à une telle sanction, mais à la conclusion d'une convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) entre l'entreprise et le parquet d'Épinal. Nous y reviendrons au cours de nos échanges si vous le souhaitez, mais il s'agit d'une forme de sanction négociée, sous-tendue par une logique de rédemption associée à une logique de réparation, qui est au bout du compte relativement neutre en termes de réprobation sociale.

Enfin, je souhaite mentionner l'enjeu de la protection globale des milieux naturels. Il est à mon sens fondamental d'inscrire l'activité de l'embouteillage de l'eau dans un cadre beaucoup plus large. Pour nous assurer d'une qualité durable de l'eau, il convient de développer une approche systémique, qui dépasse de loin cette seule activité. Cela exige de prendre des mesures de protection des milieux pour éviter que des substances polluantes ou nocives pour la santé se retrouvent dans l'eau que nous buvons, quelle qu'elle soit.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous propose de prolonger les discussions que vous avez ouvertes dans ce propos liminaire. Tout d'abord, vous évoquez une attitude conciliatrice et d'accompagnement des services déconcentrés de l'État. Dans l'affaire qui nous concerne au premier chef, nous ne saurions vous donner tort. Ce sujet est au coeur de notre réflexion. Avez-vous réfléchi à des évolutions organisationnelles ou structurelles susceptibles de corriger la situation ? Quelles recommandations êtes-vous en mesure de formuler pour éviter ce type de conflits d'objectifs ?

M. Sylvain Barone. - Je n'ai pas de recommandations à proprement parler, mais j'insiste sur le fait que nous sommes face à un fonctionnement structurel, qui dure depuis assez longtemps. Les raisons sont diverses : les injonctions contradictoires que j'ai évoquées concernent non seulement les services techniques de l'État, mais aussi les préfets.

Pour ce qui concerne les services, de nombreux travaux portant sur les inspecteurs des installations classées montrent que ces derniers partagent une certaine culture professionnelle, voire une formation commune avec les industriels qu'ils contrôlent, ce qui crée des effets de proximité.

Dans la mesure où il s'agit d'un problème systémique, il est compliqué de formuler des recommandations pour y remédier. D'un point de vue plus ponctuel, il serait souhaitable d'améliorer les contrôles.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous d'autres exemples que celui de Nestlé pour étayer le caractère systémique que vous évoquez ?

M. Sylvain Barone. - Un cas d'école, assez ancien, mais qui renvoie à des logiques qui demeurent d'actualité, est celui de la pollution de la Brenne, en 1988, par l'usine Protex. Il a fait l'objet de nombreux travaux. L'usine a été à l'origine de cinquante-six cas de pollution, avec, à chaque fois, des mises en demeure non respectées. Après vingt ans pendant lesquels la pollution s'est ajoutée à la pollution, un incendie a causé une pollution majeure de la Brenne, avec une population en danger et privée d'eau potable pendant plusieurs jours, ainsi qu'une mortalité piscicole considérable.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En ce qui concerne la CJIP et le régime de sanction, vous avez parlé, lors des travaux de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, « d'impunité environnementale ». Sommes-nous dans ce cas ? Quelle est votre analyse de la procédure de CJIP ?

M. Sylvain Barone. - La loi du 24 décembre 2020 relative au parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée a étendu la CJIP aux délits environnementaux. Cette alternative aux poursuites permet de négocier des sanctions sans procès pénal. Les amendes d'intérêt public peuvent atteindre 30 % du chiffre d'affaires et s'accompagner de mesures de réparation et de mise en conformité. Recommandé pour les cas graves, cet outil est nouveau et des conventions sont accessibles en ligne. Ainsi, elles commencent à être conclues dans le domaine de l'environnement : une vingtaine depuis 2020, aboutissant à des amendes dépassant parfois 100 000 euros.

Dans le cas de Nestlé, cette procédure a été privilégiée. Le procureur de la République d'Épinal a argué de la coopération de l'entreprise tout au long du processus, du fait qu'elle a révélé d'elle-même des traitements illégaux et procédé à des régulations, ainsi que de l'absence de risque sanitaire pour les consommateurs. En outre, le lien entre les prélèvements non autorisés et les effets sur les écosystèmes n'a pas été établi.

Y a-t-il impunité environnementale ou non ? La réponse ne peut qu'être nuancée. La convention concernant Nestlé a abouti à l'amende la plus importante à ce jour en France, de 2 millions d'euros. Elle permet une sanction des non-conformités, une régularisation de la situation, la réparation du préjudice écologique à hauteur de 1 million d'euros et l'indemnisation des parties civiles pour 516 800 euros.

C'est, certes, significatif. Cependant, cette procédure éteint l'action judiciaire, sans déclaration de culpabilité ni condamnation. La symbolique de la sanction est donc atténuée et l'entreprise échappe à un procès public. Elle doit payer plusieurs millions d'euros, mais est-ce significatif ? Le montant ne représente en effet que 1 % du chiffre d'affaires de Nestlé Waters Supply Est et environ 0,1 % de celui de Nestlé Waters. Quant au chiffre d'affaires de Nestlé dans son ensemble, il est de 100 milliards d'euros...

M. Daniel Gremillet. - L'Inrae poursuit-il encore ses travaux sur la qualité de l'eau pour le compte de Nestlé Waters sur le site de Vittel-Contrexéville ? Ils ont débouché sur un cahier des charges qui devait être imposé aux agriculteurs. Ces derniers ne pouvaient plus exercer leur droit de préemption, Nestlé Waters devenant propriétaire avec indemnisation du fermier. Avez-vous constaté une amélioration ou une dégradation de la protection des eaux du site au regard des préconisations de l'Inrae ?

Quant à la CJIP, il s'agit d'une forme de plaider-coupable. Confirmez-vous que la transaction comporte une obligation de réparation, sans quoi la procédure ne s'éteint pas ? En ce cas, il y aurait donc un suivi des obligations, en plus de l'amende : au-delà du délai imparti pour les travaux et la réalisation d'investissements bien plus coûteux que les sommes que vous avez mentionnées, la procédure pourrait reprendre.

M. Sylvain Barone. - Je n'ai pas connaissance des travaux que vous mentionnez sur le site de Vittel. Je ne peux donc vous répondre.

Cette CJIP comporte bien un volet de réparation, pour 1,1 million d'euros. L'amende d'intérêt public est donc assortie d'une obligation de réparation. Les travaux sont en cours et doivent être accomplis dans un délai précis. Il faudra donc s'assurer de leur suivi effectif sur le terrain.

M. Daniel Gremillet. - Cela déclenche-t-il bien, si l'exécution n'est pas réalisée, la réouverture de la procédure ?

M. Sylvain Barone. - En effet, la convention ne tient plus si les engagements de Nestlé à remettre le site en état ne sont pas respectés.

Mme Audrey Linkenheld. - Vous avez mentionné des injonctions contradictoires, citant en particulier la confrontation des intérêts économiques avec la protection l'environnement et la santé des populations. Que pensez-vous de l'argument de l'importance de la disponibilité de l'eau embouteillée, parfois la seule qui reste dans certains secteurs ? L'avez-vous entendu repris par les administrations ?

M. Sylvain Barone. - Je ne l'ai pas souvent entendu au cours de mes enquêtes, même s'il est vrai que la question se pose. Avec le changement climatique, certaines communes n'avaient plus d'eau du robinet pendant la sécheresse de 2022. Elles se sont alors fait livrer des bouteilles, apportant de l'eau au moulin des minéraliers, si vous me permettez cette expression dans ce cas.

Je ne suis pas hydrogéologue, mais je constate que cette logique infuse les services du ministère de la transition écologique. L'arrêté du 30 juin 2023 sur les mesures de restriction en période de sécheresse exclut ainsi les producteurs d'eau des installations classées pour la protection de l'environnement devant diminuer leurs prélèvements en cas de sécheresse, peut-être pour cette raison.

Mme Audrey Linkenheld. - Ce que j'ai entendu ne renvoie pas qu'à des questions de sécheresse ou de changement climatique, mais aussi à des risques géopolitiques de manque d'eau potable, en particulier outre-mer.

M. Sylvain Barone. - Je ne connais pas le dossier de l'outre-mer. Toutefois, les pouvoirs publics ont certainement cela en tête, dans la mesure où la récente hausse de TVA, telle que les sénateurs l'ont votée il y a quelques jours, ne concernait pas ces territoires.

M. Hervé Gillé. - Vous êtes expert de l'action publique environnementale et vous avez sans doute un regard spécifique sur la gestion des conflits et de crise. Le système français est-il assez réactif ? Pour le dossier Nestlé Waters, le Gouvernement a-t-il fait preuve d'indépendance ? Si celle-ci était questionnée, quelles préconisations formuleriez-vous pour plus de transparence, particulièrement vis-à-vis des consommateurs ?

M. Sylvain Barone. - Concernant la réactivité du Gouvernement, il y a bien eu un délai entre la prise de connaissance de l'affaire par le ministère chargé de l'industrie et la mise aux normes par les industriels. En tout état de cause, les rapports dont on dispose pointent des délais.

Transparence et confiance sont très importantes. Une multiplication de telles affaires pourrait altérer la confiance des consommateurs dans l'eau qu'ils boivent. Cela pourrait déboucher sur des systèmes d'auto-alimentation susceptibles d'augmenter les risques pesant sur la santé des consommateurs.

Étant chercheur, je ne suis pas le mieux placé pour formuler des préconisations politiques.

M. Olivier Jacquin. - Vous êtes spécialiste des conflits d'usage. Alors vice-président d'une agence de l'eau, je m'étais étonné de l'effet des pratiques agricoles dans les périmètres de protection du captage (PPC) rapprochée. Dès lors que la pollution liée à l'utilisation d'intrants de l'agriculture conventionnelle cessait, on pouvait enregistrer des progrès extrêmement rapides selon le type de sol.

Je suis donc surpris que la puissance publique ne puisse pas mieux réguler ces PPC, éventuellement en indemnisant les agriculteurs pour les pertes subies. Quel est votre regard sur ce point ? Un moyen de réguler la qualité des eaux est de mettre fin aux captages nocifs. Avez-vous des données sur le nombre de fermetures de sites de captage ?

M. Sylvain Barone. - Les chiffres existent ; je vous les communiquerai par écrit.

L'agriculture a un impact important sur la qualité des eaux, y compris souterraines. J'ai évoqué les nitrates, issus des engrais azotés et de l'élevage intensif ; n'oublions pas les pesticides, essentiellement liés à l'activité agricole.

L'amélioration de la qualité de l'eau passe donc en grande partie par l'évolution des pratiques agricoles, notamment en les rendant moins dépendantes d'intrants de synthèse et de pesticides. Mais les modalités de gestion de l'eau sont également un point à prendre en compte. Ainsi, on voit des initiatives se multiplier dans certains territoires, comme la labellisation des pratiques agricoles utilisant moins de pesticides - c'est par exemple le cas autour de Rennes. Je pense aussi aux paiements pour services environnementaux en faveur des agriculteurs qui s'engagent à réduire l'usage de pesticides, ce qui a un coût, mais aussi des effets sur l'environnement : ainsi, Eau de Paris contracte avec des agriculteurs autour des aires de captage pour réduire l'usage des pesticides.

M. Saïd Omar Oili. - Dans le cadre de la crise de l'eau à Mayotte, depuis 2023, plus de 3 millions de litres d'eau ont été distribués à la population en six mois, sur une île de 374 kilomètres carrés, grâce à vingt-six rotations de bateaux avec la métropole et La Réunion. Cela représente 80 bouteilles par mètre carré. Nous avons donc un problème environnemental : ces bouteilles sont partout, et il n'y a aucune politique pour leur ramassage ou leur rapatriement, pas plus que de retour d'expérience. Devrait-on se poser la question de la potabilité pour la population, des adultes aux nourrissons, de cette eau venue de l'extérieur ?

M. Sylvain Barone. - Même si elle a parfois une justification thérapeutique, l'eau en bouteille, notamment minérale, soulève le problème de la pollution par les plastiques, sans oublier son prix, bien plus élevé que celui de l'eau du robinet. Les études attestent de deux causes à la présence dans l'eau de micro- et nanoplastiques à des niveaux dangereux pour la santé, notamment le système reproductif. Ils proviendraient du nylon des filtres utilisés dans les processus industriels et du plastique des bouteilles elles-mêmes.

M. Laurent Burgoa, président. - En accord avec notre rapporteur, peut-être pourrions-nous programmer une réunion consacrée aux outre-mer. Vous savez toute l'attention qu'y porte le Sénat. Il ne faut pas les oublier et leurs problématiques, en particulier sur le sujet qui nous préoccupe, sont singulières.

La réunion est close à 18 h 45.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Mercredi 11 décembre 2024

- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Politiques publiques en matière de contrôle des traitements des eaux minérales naturelles et de source - Communication (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu relatif à ce point de l'ordre du jour sera publié ultérieurement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Nicolas Marty, professeur des universités en histoire contemporaine à l'Université de Perpignan, auteur de L'Invention de l'eau embouteillée (2013) (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu relatif à ce point de l'ordre du jour sera publié ultérieurement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Guillaume Pfund, docteur en géographie économique, chercheur à l'université Lumière Lyon II (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu relatif à ce point de l'ordre du jour sera publié ultérieurement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 heures.