Mercredi 25 septembre 2024
- Présidence de Mme Marie-Pierre Monier, présidente -
La réunion est ouverte à 17 h 30.
Examen du rapport de la mission d'information
Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui réunis pour clore les travaux de notre mission d'information relative aux architectes des bâtiments de France (ABF), entamée en mars dernier sur l'initiative du groupe Les Indépendants - République et Territoires (INDEP). Ce fut une mission passionnante, dont le rapport final est attendu par l'ensemble des acteurs du patrimoine.
Je souhaite tout d'abord remercier chacune et chacun d'entre vous d'avoir participé à nos travaux, et tout particulièrement notre rapporteur, Pierre-Jean Verzelen.
Au cours des six mois qu'a duré cette mission, nous avons pu recueillir la parole de l'ensemble des parties prenantes sur un sujet dont nous savions bien, dès le lancement de nos travaux, qu'il suscitait à la fois intérêt et frustrations. Nous avons ainsi mené 20 auditions et entendu 49 personnes, ce qui nous a permis d'aboutir à un constat précis de la situation.
Nous avons également effectué quatre déplacements : à l'école de Chaillot, à Paris ; à Figeac et à Cahors, dans le Lot, en compagnie de plusieurs ABF ; à Lyon, dans le Rhône, aux côtés d'ABF, de quelques élus et du président de la direction régionale des affaires culturelles (Drac) ; enfin, à Richelieu et à Loches, en Indre-et-Loire.
Le calendrier que nous avions fixé n'a pas été simple à tenir, la dissolution de l'Assemblée nationale ayant contraint à décaler un certain nombre de nos déplacements.
Enfin, sur l'initiative du rapporteur, nous avons lancé une consultation des élus locaux sur le site internet du Sénat. Elle a rencontré un très grand succès, avec plus de 1 500 réponses et 600 témoignages écrits, qui se sont révélés particulièrement utiles à l'élaboration du rapport.
Le succès de cette consultation comme la qualité des échanges que nous avons pu avoir avec les élus lors de nos déplacements montre que la préservation du patrimoine dans nos communes, au-delà des obligations qu'elle entraîne, est essentielle pour nous tous.
Je tiens à remercier Sabine Drexler, qui, lors de notre déplacement à Figeac, nous a lu ce bel extrait de Guerre aux démolisseurs !, pamphlet écrit par Victor Hugo en 1832 : « Il y a deux choses dans un édifice : son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde, à vous, à moi, à nous tous. Donc, le détruire, c'est dépasser son droit. »
Le rapporteur et moi-même avions des positions assez éloignées au lancement de cette mission. Cependant, nous avons su travailler en parfaite harmonie, en ce qui concerne tant l'organisation matérielle de nos travaux que le fond du sujet. Nous avons oeuvré de concert pour tenir compte des divers retours recueillis sur le terrain pour élaborer ce rapport. Telle est la marque de fabrique du Sénat.
Voici comment va se dérouler la présente réunion. Tout d'abord, le rapporteur nous présentera les principaux éléments de son rapport et les propositions qu'il contient.
Ensuite, je laisserai la parole à ceux d'entre vous qui souhaitent s'exprimer, étant entendu que le rapport a été mis à votre disposition pour consultation. Il vous a été donné la possibilité de nous soumettre des propositions de modification, que nous examinerons par la suite.
Enfin, nous nous prononcerons sur le rapport dans son ensemble - le rapporteur a tenu à ce qu'il soit élaboré en concertation avec l'ensemble des membres de la mission, ce qui n'est pas si souvent le cas -, ainsi que sur son titre.
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - C'est la première mission d'information que je suis d'aussi près depuis que je suis élu sénateur ; cela m'a permis de mesurer combien les travaux que nous devons mener sont chronophages, pour moi comme pour mes collègues...
Je tiens à remercier l'ensemble des membres de cette mission d'information, ainsi que sa présidente. Lorsque Marie-Pierre Monier et moi-même nous sommes rencontrés pour la première fois pour discuter du sujet, je me suis dit que nous allions vivre un drôle de moment pendant six mois, tant nos points de vue étaient différents... Toutefois, cela ne nous a pas empêchés de faire du bon travail.
Ainsi que nous l'avons dit lors de la réunion constitutive, en fonction des territoires dont nous sommes élus ou selon les ABF que nous avons connus, les avis sont assez tranchés sur ce sujet.
L'objectif de la mission d'information consistait à objectiver les choses, à les chiffrer, à les rendre concrètes ; il s'agissait aussi de déterminer quelques lignes d'actions efficaces. La mission s'est déroulée dans un contexte politique assez particulier, celui de la dissolution, qui nous a finalement laissé pas mal de temps pour conduire nos travaux.
J'avoue avoir ressenti une forme de frustration dès le départ. En effet, les personnes que nous avons été amenés à rencontrer - maires, organisations professionnelles, conservateurs - ont toutes l'habitude de travailler dans le domaine du patrimoine, en lien avec les ABF. Voilà pourquoi j'ai décidé d'envoyer un questionnaire à l'ensemble des maires. Les retours ont nourri notre travail.
Tout au long de cette mission d'information, je me suis efforcé de prendre en considération ce que l'on peut appeler les « petits dossiers », tels que les changements d'huisseries dans les communes à intensité patrimoniale faible.
Comment faire en sorte que ce rapport serve à quelque chose ? Certes, il sera rendu public et envoyé à la presse, mais cela ne suffira pas. Je m'adresse donc au président Lafon : il serait bon, dans les semaines ou les mois à venir, que Marie-Pierre Monier et moi-même puissions présenter nos travaux à la commission de la culture. Nous pourrions également communiquer notre rapport à la ministre de la culture et rencontrer les représentants de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) et de l'Association des maires ruraux de France (AMRF).
J'en viens au fond du travail que nous avons mené. Je ne vous dresserai pas d'inventaire à la Prévert et me contenterai de mettre en exergue quelques points saillants. Bien entendu, nous avons rappelé les nombreuses critiques évoquées à l'égard des ABF : coût des travaux, divergence des avis selon les territoires, manque de pédagogie, prise en compte insuffisante de la transition énergétique, manque d'effectifs, etc.
Ceux qui se plaignent des ABF évoquent avant toute chose l'avis conforme. Contrairement à ce que j'ai pu parfois entendre, il n'a jamais été question de faire sauter l'avis conforme. Il s'agit simplement de le faire accepter, dans son périmètre et dans la manière dont il est appliqué.
Je veux maintenant parler du périmètre délimité des abords (PDA), que j'aime appeler « périmètre intelligent ». C'est un sujet essentiel, dont les maires doivent absolument s'emparer. En la matière, il conviendrait de lever les lourdeurs administratives, notamment l'enquête publique. Aussi, la mise en place du PDA devrait être rendue automatique en cas de modification du plan local d'urbanisme (PLU) ou du plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi). Cela me semble essentiel pour que le maire, dans le cadre d'une discussion avec l'ABF, comprenne l'enjeu patrimonial de sa commune.
Bref, le PDA doit résonner dans la tête des maires tout aussi automatiquement qu'un tennisman répète son coup droit pendant l'entraînement. Nous pourrions sans doute modifier la loi, à l'occasion d'une niche parlementaire, afin que le PDA devienne le plus concret possible.
J'entends parfois dire que l'ABF n'aurait pas de contre-pouvoirs, dès lors que sa décision ne peut être ni contestée ni révisée. En effet, qui a autorité sur l'ABF ? Certains pensent qu'il s'agit du préfet... Quoi qu'il en soit, je ne suis pas certain que ces questions relèvent du domaine législatif et qu'il faille revoir le traitement des refus, dont le nombre reste extrêmement faible. Le coeur du problème, ce sont plutôt les avis formulés avec des recommandations très longues.
En revanche, je crois beaucoup en l'institution d'une commission de conciliation départementale. Composée des services de la préfecture, d'ABF et de représentants des élus, elle aurait à vocation à se réunir de manière régulière et, sur saisine d'un maire, elle examinerait le dossier de refus. Voilà qui permettrait de mettre l'ABF et les personnels des unités départementales de l'architecture et du patrimoine (Udap) devant leurs responsabilités. Je suis convaincu que cette commission peut avoir un effet pédagogique et résoudre bon nombre de problèmes.
Il convient également de mentionner la politique de l'État en matière de ressources humaines. Il s'agit non pas de faire du flicage, mais, encore une fois, d'objectiver les choses. Ainsi, les décisions rendues par les ABF devraient être inscrites dans un registre national consultable en ligne. Cela permettrait, chiffres à l'appui, d'identifier les territoires dans lesquels des problèmes se posent.
J'en viens au métier des ABF en tant que tel. Ce métier, comme beaucoup d'autres, souffre d'un manque d'effectifs et d'une crise des vocations. C'est pourquoi il faudrait le rendre plus attractif et embaucher davantage d'ABF. Toutefois, les choses ne sont pas si faciles, compte tenu de la quadrature du cercle budgétaire.
En outre, il conviendrait de mettre en place une politique nationale des ressources humaines propre au métier d'ABF. Conformément aux ambitions en matière de développement durable, des lignes directrices et des partages de bonnes pratiques à l'échelle nationale, notamment sur l'origine des matériaux, seraient les bienvenues. Notez que 85 % du bois posé en France vient de Chine, ce qui n'est pas le cas de tous les matériaux, comme l'aluminium.
Nous savons bien qu'aucune commune ni aucun bâtiment ne se ressemble - et je ne parle même pas de la maille humaine dans chaque territoire. Ce n'est pas pour autant qu'il ne faut pas essayer d'établir un peu de cohérence à l'échelle nationale.
Les projets de service me semblent une excellente chose. À Figeac, nous avons rencontré un ABF qui s'était chargé d'en rédiger un. Il avait ainsi identifié les endroits d'intensité patrimoniale forte, déterminé l'organisation de son travail avec les élus et défini le rôle des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE). Il s'était également mis au défi de présenter son projet de service à toutes les intercommunalités au cours de l'année.
Un échange de bonnes pratiques entre les ABF, les CAUE et les services d'instruction des villes et des intercommunalités, à l'échelle du département, permettrait de simplifier au mieux la vie des pétitionnaires.
La sensibilisation des plus jeunes au patrimoine est un autre sujet essentiel. Je pense que l'on pourrait faire davantage en la matière, notamment au sein de l'éducation nationale.
J'en termine par le diagnostic de performance énergétique (DPE) patrimonial. Une chose est sûre, on ne peut pas traiter les bâtiments à intensité patrimoniale forte comme on traite les bâtiments neufs : le cahier des charges est différent et le financement coûte plus cher. Il conviendrait qu'un référent travaille sur ces sujets dans chaque Udap.
Mme Nadine Bellurot. - Nous avons tous vécu des expériences différentes sur ce sujet difficile. Il est essentiel, pour les élus locaux, de disposer du conseil des ABF, mais ils connaissent souvent d'importantes divergences avec ces derniers.
Les avancées que vous proposez concernant l'avis conforme sont particulièrement demandées. Idem pour les recours : le délai d'un mois est beaucoup trop court ! La commission de conciliation est une excellente chose, d'autant que l'échelon départemental permet de connaître le territoire au plus près.
Je vous remercie pour votre travail, qui va dans le sens d'une meilleure connaissance de ce métier difficile, surtout que les effectifs d'ABF sont assez faibles par rapport au nombre de dossiers à traiter.
Mme Anne-Marie Nédélec. - Je tiens, moi aussi, à souligner la qualité de ce rapport, qui nous a été communiqué très amont. D'un point de vue économique et financier, il est nécessaire de distinguer ce qui est souhaitable de ce qui est possible, toujours dans l'objectif commun de préserver le patrimoine.
Ce rapport soulève quatre points essentiels, à commencer par l'adaptation des périmètres. En effet, la ligne des 500 mètres aux abords d'un monument historique donne parfois lieu à des situations ubuesques. Aussi, il convient d'alléger la procédure. En l'occurrence, la méthode proposée me semble tout à fait réaliste.
Deuxième point essentiel : les ABF et les élus doivent pouvoir se parler. Les maires sont très demandeurs de conseil et d'accompagnement, surtout dans les petites communes, qui, dans une écrasante majorité, maillent notre territoire.
Troisièmement, la culture patrimoniale est sans doute un peu légère et mériterait d'être renforcée.
Quatrième et dernier point, il faut faire face aux nouveaux enjeux, notamment énergétiques, tout en préservant le patrimoine. Ainsi, nous ne saurions durcir inutilement les contraintes et favoriser la création d'usines à gaz, en particulier au niveau des services instructeurs. Cela demande d'agir avec beaucoup de doigté. Pour que les choses soient bien admises, il faut qu'elles soient simples et accessibles.
M. Laurent Lafon. - Je me joins aux remerciements formulés à l'endroit du rapporteur et de la présidente de cette mission d'information.
Notre collègue Verzelen évoquait les inquiétudes que lui a inspirées sa toute première discussion avec Mme Monier. Je ne vous cache pas que nous avions, nous aussi, quelques craintes. En effet, pourquoi soulever ce sujet, alors qu'il crée souvent des dissensions entre nous ? Cela étant, au terme de ces six mois de travaux, vous avez pleinement justifié votre démarche. Grâce au constat que vous avez dressé et aux propositions que vous avez formulées, vous êtes même parvenus à apaiser les choses.
Nous avions l'habitude d'aborder ce sujet dans l'urgence, à l'occasion d'un texte de loi faisant mention des ABF, ce qui favorisait les positions manichéennes, mais pas les avancées. Vous avez réussi à vous extraire de cette situation.
Votre rapport servira de référence sur la position à tenir par le Sénat, du moins par les membres de cette mission d'information.
Vos propositions ne posent pas de difficultés dans l'ensemble. Elles ont chacune un caractère très réaliste et n'omettent pas les craintes et les réactions négatives, qui peuvent être nombreuses. Bien entendu, je souscris à la demande du rapporteur de présenter ces travaux devant la commission de la culture : voilà qui permettra d'enrichir les connaissances de chacun.
Une présentation du rapport à la ministre me semble tout aussi utile ; cela permettra de renforcer sa sensibilité à ces questions. Il faudrait aussi communiquer le résultat de vos travaux au directeur général des patrimoines et de l'architecture, car c'est une personne écoutée au sein du ministère de la culture.
Il me semble que les questions d'organisation du dialogue entre les élus locaux et les ABF et de gestion des ressources humaines ne sont pas de nature législative. Toutefois, votre proposition de compléter la loi du 3 janvier 1977 sur l'architecture pour y introduire la notion de réhabilitation me paraît intéressante.
M. Adel Ziane. - Le directeur général des patrimoines et de l'architecture est très sensible à ces questions ; il en ira peut-être de même de la ministre de la culture.
Dans mes précédentes fonctions d'adjoint à l'aménagement et à l'urbanisme, j'ai vu combien la dichotomie était forte entre les problématiques urbaines, qui reçoivent plus de moyens, et les difficultés du monde rural ou périurbain, où les maires sont démunis.
Dès le début de nos auditions, nous avons constaté qu'il fallait recruter davantage d'ABF, justement pour renforcer le rôle de conseil et de préservation du patrimoine, aux titres tant matériel que paysager. Vos recommandations en matière de ressources humaines me semblent donc aller de soi.
Par ailleurs, l'« an II des PDA », comme vous l'écrivez dans votre rapport, est une très belle formule. La recommandation n° 6, qui consiste à supprimer l'obligation de mener une enquête publique lorsque la création d'un PDA n'est pas réalisée simultanément à l'élaboration, à la modification ou à la révision d'un PLU ou d'un PLUi, me semble excellente. C'est une mesure essentielle pour alléger et faciliter les procédures et créer des discussions lors de la révision de ces documents d'urbanisme.
Je souscris à l'idée d'instituer une commission de conciliation à l'échelon départemental : voilà une proposition du Sénat pour aider les maires et les élus locaux à sortir des difficultés.
Enfin, nous avons noté la proposition de la Drac Bourgogne-Franche-Comté, qui a édité un guide de bonnes pratiques à destination des élus, dans la logique d'assurer la lisibilité du travail des ABF.
Nous avons mis le doigt sur le problème d'adaptation d'un certain type de bâtiments protégés. L'adéquation entre les normes écologiques les plus récentes et la préservation et la qualité du bâti sont parfois antinomiques. Il faut donc trouver un équilibre.
M. Pierre Barros. - Cela a été dit, les positions du rapporteur et de la présidente de la mission d'information ne sont pas les mêmes. Toutefois, le Sénat est suffisamment astucieux pour mettre en mouvement deux personnes qui ne pensent pas la même chose : ce rapport en est l'expression.
Le sujet des ABF est dans la bouche de tous les élus ; il est parfois difficile d'en discuter dans les territoires.
Le rapport rappelle des choses simples : un projet doit se faire à plusieurs ; dès lors, il faut que les différentes parties prenantes arrivent à parler la même langue. On le sait, les architectes ont un langage très particulier, peu compréhensible pour le commun des mortels. Si les ABF ont une vision particulière, ils doivent aussi respecter le regard des élus, qui connaissent très bien leur territoire.
Quoi qu'il en soit, la culture des architectes et celle des élus n'ont pas à être mises en concurrence. Il suffit de créer des passerelles entre les uns et les autres.
En matière de périmètres, on confine parfois à la folie. La délimitation des périmètres et les effets de bord associés peuvent conduire à des injustices et à des aberrations architecturales, au détriment même de la qualité de l'environnement.
Les services locaux et les services de l'État doivent communiquer et penser ensemble les dossiers, sous la forme de projets.
Le Conseil national de l'ordre des architectes s'intéresse aussi à l'évolution de la loi de 1977 et à la notion de réhabilitation. S'il n'y a ni création de surface ni changement de destination, un projet de réhabilitation n'impose pas de prendre un architecte ; or les architectes veulent s'impliquer, alors que tant de réhabilitations se font sans leur intervention. Certaines d'entre elles sont terribles et peuvent défigurer une collectivité ! Nous pourrions envisager la création d'un véritable permis de réhabilitation.
Mme Monique de Marco. - Cette mission était nécessaire, car le rôle et les missions des ABF sont peu connus - ces derniers sont souvent critiqués.
L'excellente participation à la consultation en ligne a démontré l'intérêt que suscite cette question parmi les élus, notamment pour ce qui concerne la compatibilité des prescriptions des ABF avec la transition énergétique et écologique.
Je vous remercie d'avoir bien voulu examiner mes propositions de modification, tout comme je vous remercie pour votre recommandation n° 23, qui vise à compléter la loi de 1977 sur l'architecture pour y inclure les réhabilitations. Voilà qui répond au souhait des architectes.
La Cour des comptes note un manque de disponibilité des ABF, et la profession est touchée par de nombreux départs. Il faudrait donc renforcer le nombre des ABF et revoir leur formation. En la matière, les auditions m'ont laissée sur ma faim. Lors de son audition, Jean-François Hébert, directeur général des patrimoines et de l'architecture au ministère de la culture, a lui-même souhaité une réforme du concours d'entrée à l'école de Chaillot et de la formation, tout en renforçant la formation continue. Je l'ai interrogé avec insistance pour qu'il précise ses intentions, mais je n'ai pas eu de réponse. Il faudrait aller plus loin. Peu de candidats se présentent au concours. Est-ce dû à un manque d'information des étudiants ? La formation est-elle adaptée ?
Ce rapport est consensuel. Cependant, j'aurais souhaité que nous réaffirmions l'indépendance des ABF. Votre recommandation n° 3 me semble un peu raide : pourquoi parler de « changement d'affectation » ? Quand un ABF est considéré comme trop rigide ou trop souple, certains maires ou pétitionnaires savent aussi faire pression. Vous y allez sans doute un peu fort.
Mme Anne-Marie Nédélec. - Par un changement d'affectation, vous ne feriez que déplacer le problème !
Mme Monique de Marco. - Pourquoi ne pas parler d'un « dialogue » ?
Je voulais proposer une modification complémentaire, mais je ne l'ai pas fait afin de préserver l'esprit consensuel du rapport. Ma proposition concernait les installations photovoltaïques inférieures à 6 kilowatts-crête (kWc) : pourquoi ne pas demander un avis simple, comme pour les antennes relais ?
Pour ce qui concerne le DPE, Sabine Drexler et moi-même avions cherché une formulation plus forte. Des suggestions ont été faites. Le ministère de la culture, dans son rapport Les patrimoines et l'architecture dans la transition écologique publié le 18 juillet dernier, a proposé une adaptation de la méthode de calcul de consommations conventionnelles des logements, dite 3CL, pour l'établissement du DPE, afin de mieux prendre en compte les particularités du bâti, en ajustant des critères de confort d'été ou d'inertie thermique. C'est le Comité de la prospective et de l'innovation (CPI) du ministère de la culture qui préconise cette solution, utile pour résoudre le problème du DPE dans le bâti ancien sans déstabiliser davantage ce même diagnostic. Il existe aussi un manque de formation des diagnostiqueurs en matière de bâti ancien : nous pourrions approfondir le sujet.
Pour conclure, j'ai apprécié cette phrase, entendue lors de nos auditions : « Rien n'est interdit, mais tout n'est pas possible. »
Mme Sabine Drexler. - Monsieur le rapporteur, je vous remercie pour cette restitution remarquable. Votre rapport est une synthèse très fidèle de nos échanges et de notre travail, qui prend en compte de matière approfondie les attentes des ABF et de tous les acteurs. Les préconisations sont complètes et pertinentes.
Le rapport rappelle aussi l'importance de la fonction de l'ABF, souvent dénigrée, car mal comprise. Ce rapport contribuera à la compréhension du rôle éminent des ABF.
L'État devrait renforcer leur nombre, leur rôle et leurs moyens. Ils sont dans l'impossibilité de remplir leurs missions, notamment en matière de conseil : les avis tombent souvent comme un cheveu sur la soupe, sans explication. Les ABF apprécieront sans doute ce travail, car nous avons montré que nous les avons compris.
La transmission du patrimoine est en péril, car elle dépend du niveau des exigences et des normes de rénovation énergétique. Nous allons continuer à travailler sur la question à l'automne, notamment au moment du rapport budgétaire sur le patrimoine.
Par ailleurs, nous avons de nouvelles idées pour limiter les démolitions. Quand il n'y a aucune protection, les gens pensent que tout est permis, sans comprendre les levées de boucliers quand ils envisagent de démolir un bien qui possède une valeur patrimoniale. Dans leur esprit, l'absence de protection ou de périmètre équivaut souvent à un feu vert pour faire ce que l'on veut.
Nous sommes à un point de bascule. Si nous ne nous mobilisons pas dans les vingt ans à venir, certaines zones n'auront plus aucun patrimoine bâti, et nous nous contenterons de muséifier quelques lieux. Ce serait dramatique. Notre commission a la responsabilité d'agir.
Cet automne, il faudra faire un point sur le DPE avec les nouvelles équipes du ministère de la transition écologique. Le ministère ne souhaite pas créer un DPE patrimonial, mais il travaille à l'intégration de nouveaux critères en matière de matériaux biosourcés et locaux. Nous devons rester vigilants et interpeller les équipes régulièrement pour nous assurer que le travail aboutisse.
Le PDA devrait être obligatoire partout. Dans certains villages du Morvan, il n'y a aucun bâtiment inscrit ou classé, car l'inventaire n'a jamais été fait ; dès lors, tout est possible.
Il faut effectivement faire évoluer le métier des architectes, avec une certification sur le bâti ancien. Un nouveau métier pourrait voir le jour : nous pourrions rendre obligatoire une forme de diagnostic de valeur patrimoniale, à l'instar du DPE.
M. Vincent Éblé. - En tant que membre de la commission des finances, je me réjouis particulièrement d'avoir participé à ces travaux. Je souhaite remercier le binôme constitué par la présidente et le rapporteur, image du sérieux du travail du Sénat, qui ne se contente pas d'appréciations à l'emporte-pièce, trop politiques ou simplement arrêtées ; nous savons rapprocher nos points de vue. Ce rapport, qui fera l'objet d'un consensus intelligent, en témoigne. Il pourra produire des effets : raisonnablement modeste dans ses recommandations, il est en phase avec les attentes de chacun.
Je partage l'essentiel des recommandations du rapport, tout particulièrement celle qui porte sur l'enquête publique : cette dernière devrait être allégée, que ce soit par voie législative ou réglementaire. Veillons à trouver le bon véhicule.
Nous avons fait oeuvre utile. Toutes les personnes concernées, les responsables et les acteurs du patrimoine attendent ce rapport. J'espère que nous ferons progresser, par exemple, la formation ou la collégialité des décisions. Le point problématique reste souvent la décision relativement solitaire de l'ABF. Au-delà des nouvelles possibilités de recours, plus de pédagogie et plus de dialogue, plus de confrontation des points de vue et plus de parole collective seront les bienvenus. En effet, la parole collective est toujours plus convaincante face à un pétitionnaire.
M. Hervé Reynaud. - Membre de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, j'ai beaucoup apprécié l'émulation qui a présidé à ces travaux.
J'ai beaucoup évolué tout au long de la mission d'information. Les élus regardent toujours les irritants ; ils ont parfois envie d'en découdre. Face à la raréfaction du foncier, les maires sont souvent très isolés dans leur confrontation avec l'ABF ; cependant, j'ai aussi constaté combien les ABF étaient tout aussi isolés dans leur démarche. Ce rapport, par sa hauteur de vue, rééquilibre les choses.
Nous voudrions sans doute une déclinaison, peut-être législative, notamment pour unifier les référentiels et harmoniser les décisions. La question de l'autorité hiérarchique reste en suspens. Les maires se tournent parfois vers le préfet ou le préfet de région pour se faire entendre. Préserver le patrimoine peut aussi passer par une forme de destruction : face à des dizaines d'hectares de friches industrielles, il faut parfois savoir détruire pour le mettre en valeur.
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Je vous remercie pour vos propos et pour cet esprit de consensus.
Nous essayons de faire en sorte que le dialogue existe entre les élus et les ABF ; nous voulons faire confiance à l'intelligence collective au niveau départemental, car ABF et maires peuvent se mettre d'accord et définir de nouveaux périmètres sans cabinet d'études.
Par ailleurs, ce rapport est fidèle au travail réalisé et au contenu des auditions - je tenais à le souligner.
Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Le préfet de région n'est pas l'autorité hiérarchique supérieure, mais peut modifier l'avis de l'ABF en cas de recours.
Les ABF doivent rendre 13 décisions par jour ouvré, ce qui est impossible. Le président de la chambre régionale des comptes de Bourgogne-France-Comté nous avait, le premier, proposé qu'il y ait un ABF de plus par département. J'espère que nous porterons cette mesure dans le prochain projet de loi de finances. Dans 40 % des départements, l'ABF est seul pour décider.
À Figeac, ville administrée pendant des années par Martin Malvy, j'ai vu le résultat d'un travail extraordinaire. Pour un projet donné, l'ABF rencontre en amont les pétitionnaires, avec le maire et les services instructeurs. Les projets qui se passent bien sont ceux qui sont préparés en amont. Autre exemple, dans l'Hérault, pour installer une antenne relais, une fausse cheminée a été proposée par un ingénieur paysagiste. Les solutions existent.
Par ailleurs, entre 2013 et 2023, le nombre d'avis rendus par les ABF a augmenté de 63 %, tandis que l'effectif des ABF a augmenté de seulement 6 %.
Passons à l'examen des propositions de modification.
La proposition de modification n° 1 de M. Pierre-Jean Verzelen, rédactionnelle, est adoptée.
Mme Monique de Marco. - Sabine Drexler et moi-même souhaitions une rédaction plus volontaire au sujet des DPE, notamment pour la recommandation n° 22.
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Avis favorable.
La proposition de modification n° 2 de Mmes Monique de Marco et Sabine Drexler est adoptée.
Mme Monique de Marco. - L'Île-de-France est très bien pourvue en ABF. Nous attendons la création de nouveaux postes, et non un redéploiement depuis l'Île-de-France, même si la répartition n'est pas équilibrée. En effet, ce sont les territoires ruraux qui manquent le plus d'ABF et de personnels administratifs.
Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous proposons bien un ABF de plus par département ! De plus, le patrimoine de l'Île-de-France est tout à fait exceptionnel. Il faut en tenir compte.
Nous passons à l'examen de la proposition de modification n° 3.
Mme Monique de Marco. - Je propose une rédaction plus précise, notamment pour la recommandation n° 24, en remplaçant « écologique » par « énergétique et environnementale ».
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Excellente idée !
La proposition de modification n° 3 de Mme Monique de Marco est adoptée.
Les recommandations, ainsi modifiées, sont adoptées.
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Nous vous proposons le titre suivant : « Les architectes des bâtiments de France face au défi de la transition économique et écologique de notre patrimoine : des pratiques à adapter, une profession à réhabiliter, un cadre de vie à préserver ».
Mme Monique de Marco. - Je ne comprends pas cette notion de « transition économique ». Cela n'a pas de sens.
Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous vous proposons donc cette nouvelle rédaction : « Les Architectes des bâtiments de France face aux contraintes économiques et aux défis de la transition énergétique et environnementale de notre patrimoine : des pratiques à adapter, une profession à réhabiliter, un cadre de vie à préserver ».
Le titre du rapport d'information, ainsi modifié, est adopté.
La mission d'information adopte, à l'unanimité, le rapport d'information ainsi modifié et en autorise la publication.
Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Mes chers collègues, avant de clore la réunion, j'appelle votre attention sur le fait que le rapport ne sera publié que lundi 30 septembre en début d'après-midi. D'ici là, je vous invite à la plus grande confidentialité sur son contenu et sur ses conclusions. Je vous invite à laisser sur place le projet de rapport.
Je vous rappelle enfin que les groupes politiques ont la possibilité, s'ils le souhaitent, de faire valoir leur position dans une contribution annexée au rapport. Ces contributions devront être reçues avant vendredi 27 septembre à 17 heures.
La réunion est close à 18 h 55.