- Mercredi 12 juin 2024
- Rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss) et la certification des comptes de la sécurité sociale - Audition de Mme Véronique Hamayon, présidente de la 6e chambre de la Cour des comptes
- Organisation des travaux
- Mission d'information sur les négociations salariales - Examen du rapport d'information
Mercredi 12 juin 2024
- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss) et la certification des comptes de la sécurité sociale - Audition de Mme Véronique Hamayon, présidente de la 6e chambre de la Cour des comptes
M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, nous recevons ce matin Mme Véronique Hamayon, présidente de la 6e chambre de la Cour des comptes, afin qu'elle nous présente le rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss) de la Cour ainsi que ses conclusions en matière de certification des comptes de la sécurité sociale.
L'audition de ce matin est traditionnelle puisque nous entendons chaque année la Cour des comptes sur ces questions. Néanmoins, il n'échappe à personne qu'elle intervient dans un contexte particulier, trois jours après la dissolution de l'Assemblée nationale par le président de la République.
Je vous rappelle cependant que les règles organiques issues de la réforme du 14 mars 2022 imposent que chaque assemblée se soit exprimée sur le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss) avant de pouvoir examiner le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) de l'année suivante. Nos auditions se poursuivront donc dans les semaines à venir avant que nous nous prononcions sur le Placss, vraisemblablement en septembre.
L'éclairage que la Cour s'apprête à nous apporter sera donc utile à la commission pour former son jugement sur ce projet de loi.
Mme Véronique Hamayon, présidente de la 6e chambre de la Cour des comptes. - Je suis heureuse de vous présenter, malgré les circonstances un peu particulières, le rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale 2024.
Ce rapport est une obligation de la Cour dans le cadre de sa mission constitutionnelle d'assistance au Parlement. Depuis l'an dernier, notre rapport accompagne le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale, dont l'examen avait commencé à l'Assemblée nationale avant d'être ajourné pour cause de dissolution.
Cette année, nous avons structuré notre rapport autour de trois axes.
La première partie est consacrée à la situation financière d'ensemble de la sécurité sociale, notamment de l'assurance maladie, avec un chapitre dédié à l'Objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam). La deuxième partie consiste en une analyse de cinq domaines dont l'évolution récente, en recettes comme en dépenses, a eu des incidences importantes sur les déficits sociaux. Nous proposons, dans un troisième temps, un examen, au travers de cinq exemples, des moyens d'améliorer la qualité et l'efficience de la dépense publique de sécurité sociale.
En préambule, la Cour a rendu un avis sur la cohérence des tableaux d'équilibre et du tableau de situation patrimoniale pour 2023. Il faut bien distinguer les tableaux d'équilibre, qui correspondent à des comptes de résultats combinés couvrant l'ensemble des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et le Fonds de solidarité vieillesse, et le tableau de situation patrimoniale, qui intègre l'amortissement de la dette sociale par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) et la mise en réserve par le Fonds de réserve pour les retraites (FRR).
La Cour estime, cette année, que les tableaux d'équilibre fournissent une représentation cohérente des recettes, des dépenses et du solde qui en découle. Toutefois, une attention particulière doit être portée sur les comptes de la branche famille, que la Cour avait refusé de certifier en 2022. En 2023, la Cour constate l'impossibilité de les certifier, car les progrès réalisés en matière de contrôle interne - qui sont réels - ne se traduisent pas encore dans les comptes de l'exercice 2023. La Cour note plus globalement des faiblesses persistantes dans les dispositifs de contrôle interne ainsi qu'un certain nombre de difficultés comptables qui affectent la fiabilité des comptes retracés dans les tableaux d'équilibre.
Le rapport de certification indique notamment que la branche vieillesse voit une nouvelle fois augmenter le nombre d'erreurs de liquidation. Une pension sur huit est toujours affectée d'au moins une erreur en 2023 - c'était une pension sur sept l'an dernier. L'incidence financière peut ainsi être estimée à 1,2 % du montant des prestations liquidées, majoritairement au détriment des assurés.
Par ailleurs, concernant la branche maladie, l'évaluation incomplète du risque lié aux contentieux en cours sur les remises pharmaceutiques conduit à sous-évaluer de façon trop significative les provisions. Au total, elle entraîne un défaut d'assurance qui pourrait atteindre 1 milliard d'euros, ce qui améliore d'autant le résultat de la branche maladie.
Comme elle le fait depuis plusieurs années, la Cour alerte également sur les différentes contractions de produits et de charges qui permettent d'aboutir au tableau d'équilibre. Ces contractions s'écartent du cadre fixé par la loi organique. Elles minorent le montant des produits et des charges par rapport à ceux qui sont retracés dans les comptes des régimes de sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse. En parallèle, tout en alertant sur plusieurs points techniques, la Cour constate une amélioration de la situation patrimoniale de la sécurité sociale, après une dégradation marquée notamment par les conséquences financières de la crise sanitaire. Les fonds propres ont progressé de 7 milliards d'euros, et le résultat net est désormais positif à 8,5 milliards. L'endettement financier net a atteint 113,4 milliards d'euros au 31 décembre 2023.
En conclusion, l'avis réitère les recommandations des années précédentes sur la nécessité de mieux formaliser les retraitements opérés pour la production des tableaux d'équilibre et de mettre fin aux contractions de produits et de charges. Il demande par ailleurs une anticipation de dix jours du calendrier de production des comptes, en cohérence avec le raccourcissement de la date de production des annexes aux comptes effectué en 2024.
Dans la première partie du rapport, la Cour s'alarme d'une trajectoire de déficit non maîtrisée, qui impose, selon nous, un redressement rapide. La fin de la crise sanitaire et la croissance économique des deux dernières années ont, certes, permis une certaine résorption du déficit de la sécurité sociale, après les sommets atteints en 2020 et 2021. Toutefois, le rythme de cette amélioration s'essouffle, et le déficit s'établit en 2023 à 10,8 milliards d'euros. Il est ainsi supérieur de près de 4 milliards d'euros aux prévisions de la loi de financement initiale.
Ce déficit aurait même atteint un montant de 1,5 milliard d'euros supplémentaires sans l'application en 2023 de deux mesures techniques portant sur les provisions. La principale de ces mesures portait sur les conditions de provisionnement des risques contentieux dans le domaine du médicament, pour 1 milliard d'euros.
L'écart du déficit à la prévision s'explique d'abord par de moindres recettes. Après un début d'année dynamique, nous avons en effet assisté, à la fin de l'année 2023 et pour la première fois depuis trois ans, à une diminution de l'effectif salarié dans notre pays. Couplée au ralentissement de l'inflation, cette situation a conduit mécaniquement à une progression de la masse salariale moins forte que prévu, donc à de moindres recettes pour la sécurité sociale.
Le déficit est accentué également par une faible maîtrise de la dépense d'assurance maladie. La branche maladie porte en effet la totalité du déficit 2023 de la sécurité sociale et est responsable de la totalité de sa dégradation par rapport à la prévision initiale. L'amélioration par rapport à 2022 est imputable à la fin de la pandémie de covid-19, mais il n'y a eu aucun réel effort d'économies.
Le déficit de la branche vieillesse se réduit de 1 milliard d'euros, grâce à la bonne tenue de la masse salariale jusqu'au troisième trimestre 2023 et au relèvement de 1,6 milliard d'euros de la contribution que verse l'État au titre des retraites des fonctionnaires et de l'équilibre des régimes spéciaux. Cette branche a dû contribuer à hauteur de 900 millions d'euros à un mécanisme complexe de compensation aux organismes de retraite complémentaire des exonérations de cotisations sur les bas salaires, alors même qu'ils sont excédentaires. Un dispositif équivalent a été mis à contribution pour les branches famille, accidents du travail et maladies professionnelles, à hauteur de 600 millions d'euros, pour financer l'Unédic.
Au regard des montants atteints par ces versements et de l'état des finances de la sécurité sociale, ces dispositifs pourraient, selon nous, être réexaminés. Les perspectives pour l'avenir sont inquiétantes. Pour 2024, la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) prévoyait un déficit de 10,5 milliards, à peu près équivalent à celui de 2023. La Commission des comptes de la sécurité sociale vient de réévaluer ce déficit à la hausse pour 6 milliards, le portant à environ 16,5 milliards d'euros, en raison du ralentissement de la progression de la masse salariale. Ce niveau de déficit très élevé supposerait, en outre, pour être respecté, un net ralentissement de la dépense d'assurance maladie. Pour cela, il faudrait maîtriser la dynamique d'activité et réaliser bien plus d'économies que ces dernières années.
Après 2024, le déficit de la sécurité sociale devrait recommencer à se creuser, selon les propres prévisions du Gouvernement, et atteindre plus de 17 milliards d'euros en 2027 - sans doute plus encore avec les moindres recettes constatées en 2024. Nous sommes en train d'atteindre un point de bascule, car le déficit devient supérieur à la capacité d'amortissement de la Cades. La dette sociale va recommencer à croître sans aucune perspective tracée de retour à l'équilibre, ce qui est totalement inédit.
Cette aggravation continue sera principalement portée par le déficit de la branche vieillesse. En effet, la loi du 14 avril 2023 portant réforme des retraites ne produira l'essentiel de ses effets qu'après 2027. Elle n'en a en outre que très partiellement traité la question de l'équilibre de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), qui portera les trois quarts du déficit de la branche en 2027.
Le déficit de la branche maladie devrait se stabiliser entre 9 milliards et 12 milliards d'euros, à condition toutefois que le rythme de progression de l'Ondam soit maîtrisé autour de 3 % par an. Cela implique des économies importantes, alors même que le Gouvernement n'a annoncé à ce jour aucune réforme en ce sens. Cette trajectoire est selon nous insoutenable en l'état.
La dette sociale sera de plus en plus portée par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), à hauteur de 70 milliards d'euros dès 2027, ce qui pourrait placer la sécurité sociale en situation de très grande fragilité financière. Il est urgent d'assurer un financement permanent des déficits sociaux et de mettre en oeuvre des réformes, dont certaines sont illustrées par les chapitres thématiques de la deuxième partie du Ralfss.
J'en viens à l'Ondam, qui recouvre 80 % des dépenses de la branche maladie. Alors que l'Ondam 2023 a été annoncé comme celui de la sortie de crise sanitaire, donc rigoureusement maîtrisé, les dépenses ont continué d'augmenter de 4,8 % et ont largement dépassé l'objectif initial de 3,2 %. Pour la deuxième année consécutive, le dépassement atteint près de 4 milliards d'euros.
Plusieurs décisions intervenues en 2023 expliquent pour partie ce fort dépassement - les revalorisations salariales, le dynamisme des soins de ville et la rallonge budgétaire allouée aux établissements de santé pour atténuer leur déficit. Cela n'empêche pourtant pas la persistance de déficit, notamment des hôpitaux publics.
Enfin, la première partie du rapport se termine par une analyse d'un dispositif peu connu et particulièrement complexe, les transferts financiers de compensation démographique entre régimes de retraite. Ce système de transfert a été créé en 1974 et devait durer quatre ans. Il s'agissait alors de prendre en compte les effets sur l'affiliation des actifs des mutations économiques, avec le déplacement notamment des emplois du secteur primaire vers les secteurs secondaire et tertiaire. Ce dispositif de solidarité était minimal, pour ne pas dissuader les régimes eux-mêmes de consentir les efforts nécessaires pour revenir à l'équilibre. Près de cinquante ans plus tard, 6 milliards d'euros sont encore transférés en 2022 entre dix-sept régimes de base de retraite. Mal piloté, ce dispositif est désormais fondé sur une architecture artificielle. D'autres mécanismes s'y sont additionnés au fil du temps, au prix d'une complexité croissante. Les récentes réformes des retraites ont ajouté des règles nouvelles au dispositif, pour éviter de modifier les montants transférés, dans des conditions qui confinent à l'arbitraire. Parmi plusieurs scénarios examinés, la Cour propose de supprimer tout simplement ce dispositif et de le remplacer par des règles d'équilibrage entre régimes plus limitées et plus simples, ce qui serait sans effet sur les comptes de la branche vieillesse.
J'en viens maintenant à la deuxième partie du rapport, dans laquelle nous portons à la connaissance des citoyens, du Gouvernement et des parlementaires des pistes d'économies potentielles et de dynamisation des recettes, dont la mise en oeuvre contribuerait au rétablissement des comptes de la sécurité sociale.
Nous avons d'abord examiné les niches sociales sur les compléments de salaire. Il existe depuis longtemps des aides directes versées par les employeurs aux salariés, comme les titres-restaurants, les chèques-vacances ou les chèques emploi-service. Depuis la crise des « gilets jaunes », pour soutenir le pouvoir d'achat des salariés, l'État a étendu le périmètre de ses compléments de salaire, notamment en créant une prime de partage de la valeur, et a réduit le rendement des taxes compensatoires affectées à la sécurité sociale pour compenser le manque à gagner. Les heures supplémentaires sont, en outre, exonérées, depuis 2019, de cotisations salariales et patronales. Depuis 2018, la progression des compléments de salaire est devenue nettement plus rapide que celle des salaires de base. Ces compléments se substituent donc en partie aux augmentations de salaire.
Tous ces dispositifs, qui représentaient 87,5 milliards d'euros versés aux salariés en 2022, ont été créés sans objectif macroéconomique précis et disposent de régimes sociaux dérogatoires. S'ils sont utiles pendant les périodes de crise, ils privent aussi la sécurité sociale de ressources pérennes nécessaires. La perte de recettes totale est estimée à 18 milliards d'euros en 2022. C'est 8 milliards de plus qu'en 2018, qui ne sont pas compensés par l'État. Une telle augmentation du manque à gagner pour la sécurité sociale est à comparer aux 6,6 milliards d'euros de creusement de son déficit dans la même période. L'extension des compléments de salaire depuis 2018 retarde donc fortement le retour à l'équilibre financier de la sécurité sociale.
La répartition des compléments de salaire est en outre inéquitable entre salariés, car les dispositifs de partage de la valeur sont concentrés sur les plus grandes entreprises et les salaires les plus élevés. La Cour recommande donc à l'État de compenser le manque à gagner pour la sécurité sociale et de revenir vers des conditions de droit commun pour ces dispositifs dérogatoires. Les économies chiffrées pour la sécurité sociale pourraient dépasser 4 milliards d'euros.
La Cour propose aussi des pistes d'économies dans le domaine des arrêts de travail pour maladie, qui ont été abondamment relayées, de manière déformée, par la presse. J'aurai l'occasion de revenir sur ce point en répondant à vos questions. Les arrêts de travail pour maladie ont représenté 12 milliards d'euros de dépenses pour la sécurité sociale en 2022, en forte augmentation depuis 2017. Le chapitre offre d'abord une analyse inédite des raisons de l'augmentation du coût des arrêts maladie depuis 2017. Trois causes ont été identifiées.
D'abord, on peut citer l'augmentation du Smic et des salaires, qui explique 730 millions d'euros, soit 16 % des dépenses supplémentaires. Vient ensuite l'augmentation de la population au travail ; l'effet volume est à l'origine 14 % des dépenses supplémentaires. Enfin, une partie de la hausse est liée aux dépenses exceptionnelles découlant de la crise sanitaire. Les arrêts pour motif de covid représentent ainsi près de 40 % des dépenses supplémentaires. L'augmentation du nombre d'arrêts longs, c'est-à-dire de plus de six mois, qui résulte également en grande partie de la crise sanitaire, est responsable de près de 10 % des dépenses supplémentaires.
À cela, il faut ajouter environ 20 % de dépenses non rattachables à une cause particulière, ce qui représente 850 millions d'euros environ.
Nous examinons également la réglementation qui encadre ces arrêts maladie, qui est complexe et mal connue des assurés. Sa simplification est indispensable. Par ailleurs, la lutte contre la fraude est aussi insuffisante, alors même que la généralisation de la télétransmission des arrêts maladie permettrait de tarir quasi intégralement les risques de fraude. De nouveaux outils informatiques ont été créés pour mieux cibler les médecins surprescripteurs. Ils pourraient être utilisés de façon plus graduée avant de déclencher les procédures de sanction.
Enfin, la Cour explore plusieurs pistes, versées dans le débat public, afin de trouver les voies d'une meilleure régulation de la dépense. Afin de réduire les dépenses de l'assurance maladie, nous recommandons de modifier les paramètres de l'indemnisation des arrêts de travail, notamment en vue de mieux répartir la charge entre la sécurité sociale, les entreprises et les assurés, à l'issue d'une concertation avec les partenaires sociaux. La Cour ne propose donc pas de cesser d'indemniser les salariés pour les arrêts de travail de moins de huit jours, contrairement à ce qui a pu être relayé. L'instauration d'un ou deux jours de carence d'ordre public, donc non indemnisés et non indemnisables, est l'un des autres outils possibles qui peuvent être actionnés.
Il appartient au Gouvernement de définir les meilleures voies possibles après une large concertation avec les partenaires sociaux. Selon les dispositifs retenus, la Cour chiffre les économies possibles pour la sécurité sociale entre 500 millions et 1 milliard d'euros par an.
Dans un troisième chapitre, nous avons examiné le recours croissant aux médicaments anticancéreux, qui se sont ajoutés, depuis les années 2000, aux traitements classiques de chimiothérapie, radiothérapie et chirurgie. La Cour met l'accent sur la véritable efficacité de ces médicaments, qui permettent d'améliorer sensiblement l'espérance de vie des patients. Elle souligne également les défis qu'ils posent en matière de coûts, d'une part - près de 6 milliards d'euros avant remise en 2022 -, et, d'autre part, de régulation par la puissance publique. Parce qu'il est difficile d'établir rapidement le degré d'amélioration du service médical rendu par ces médicaments, ceux-ci bénéficient d'un mode dérogatoire de mise sur le marché. Sans compromettre l'accès rapide des patients à ces médicaments, la Cour recommande d'abord à la Haute Autorité de santé (HAS) de produire des évaluations médico-économiques indépendantes des laboratoires pharmaceutiques et de suivre l'efficacité de ces traitements à long terme en conditions de vie réelles. La Cour recommande également au Comité économique des produits de santé (CEPS) de renégocier les prix des médicaments quand les résultats de ces études sont inférieurs à ceux qui étaient attendus initialement.
La deuxième partie du Ralfss comprend le dernier rapport issu de la consultation citoyenne menée par la Cour en 2022, qui porte sur l'intérim médical. La Cour s'alarme du rapide développement des différentes formes d'emplois temporaires à l'hôpital, dont le coût représente environ 600 millions d'euros par an. Les rémunérations des médecins contractuels, notamment, dépassent fréquemment les plafonds réglementaires, pour un surcoût estimé à 180 millions d'euros en 2021. Cette situation fragilise le statut des praticiens hospitaliers, qui constatent que ces collègues venus temporairement les épauler sont de plus en plus souvent mieux rémunérés qu'eux et soumis à des horaires moins contraignants. La part croissante de ces emplois temporaires dans les petits hôpitaux, qui atteint le tiers des médecins, rend les équipes médicales instables et fragilise la qualité des soins. Le législateur a récemment introduit une forme de régulation, mais sa mise en oeuvre a pris du temps et paraît encore insuffisante. Les règles de recours à ces emplois temporaires doivent être mieux définies, et un contingentement de ces types de contrats pourrait être envisagé.
Enfin, pour clore cette deuxième partie, nous avons analysé la question sensible de la fermeture de lits dans les hôpitaux. Le nombre de lits a en effet baissé de 23 % entre 2000 et 2022 pour l'ensemble des hôpitaux publics et privés. Cela s'explique pour moitié par un transfert de lits de soins de longue durée de l'hôpital vers les Ehpad et pour moitié par la montée en charge de la chirurgie réalisée en ambulatoire, donc sans nuitée à l'hôpital. La réduction du nombre de lits d'hôpital, qui reste d'ailleurs supérieur à celui de la plupart des autres pays européens, était nécessaire. Sa mise en oeuvre par des baisses de tarifs généralisées a toutefois été insuffisamment pilotée. Surtout, on constate de plus en plus de fermetures de lits temporaires, notamment la nuit et le week-end, liées à des manques de personnel. Nous recommandons d'améliorer le recensement en temps réel des lits effectivement disponibles partout sur le territoire, de développer des outils permettant d'évaluer l'effectif nécessaire pour effectuer les soins des patients et de mieux adapter leur gestion aux réalités de chaque territoire.
À l'avenir, les effets du vieillissement de la population ne permettront pas de poursuivre la réduction du nombre de lits. Ils rendront nécessaires une accentuation du recours à l'ambulatoire et une meilleure coordination des professionnels de santé pour fluidifier les parcours de soins. La Cour estime en effet qu'une progression du taux de chirurgie ambulatoire de 62 % en 2021 à 80 % ne permettrait de compenser qu'un tiers des besoins nouveaux liés au vieillissement de la population.
La dernière partie du rapport est consacrée à l'amélioration de la qualité de la dépense sociale. Cet objectif commence par l'examen de la qualité du service rendu aux usagers par les caisses de sécurité sociale. Les usagers considèrent, en effet, que cette qualité se dégrade, du fait notamment de la complexité des démarches. Les temps d'attente augmentent. Dans la branche maladie, un appel téléphonique sur deux, après un temps moyen d'attente de près de dix minutes, n'aboutit pas ou tombe sur une boîte vocale recommandant de rappeler plus tard. Les délais de traitement continuent à s'allonger. Pire, les réponses que les caisses apportent aux usagers sont souvent erronées. Dans la branche maladie, c'est le cas de deux tiers des réponses. Nous appelons donc à un véritable saut qualitatif pour qu'une plus grande attention soit portée aux usagers, en les aidant davantage face à l'utilisation des outils numériques, en luttant contre le non-recours aux prestations et en améliorant la performance des plateformes téléphoniques.
Compte tenu de l'importance de l'enjeu du numérique en santé, deux chapitres y sont ensuite dédiés.
Le premier porte sur « Mon espace santé », projet relancé en 2019 après plusieurs échecs et principalement composé du dossier médical partagé. Ce nouvel espace numérique en santé a été enrichi d'autres composantes. Il s'agit d'abord d'un projet coûteux - plus de 700 millions d'euros, auxquels il faut ajouter une partie des dépenses du Ségur du numérique. Il est cependant vecteur d'importantes améliorations potentielles pour la prise en charge des patients, notamment pour la prévention et pour la télésurveillance médicale. Toutefois, de nombreuses contraintes de sécurité des données pèsent sur le projet. L'alimentation par les professionnels de santé est également à ce jour très sensiblement en deçà des objectifs. Nous formulons donc des recommandations pour convaincre les médecins de l'utiliser et recueillir davantage l'adhésion du grand public.
L'autre chapitre est consacré au système national des données de santé (SNDS). Il s'agit d'une base de données principalement issue de l'assurance maladie des séjours hospitaliers et des causes médicales de décès. Une plateforme, le « Health Data Hub » (HDH), est chargée de mettre ces données à disposition de la recherche et des acteurs économiques. Alors qu'avec l'intelligence artificielle, les potentialités du SNDS ont été multipliées, nous constatons que cette base de données reste sous-exploitée et que la procédure d'accès pour les chercheurs est anormalement lourde et longue. Il faut donc lui donner un nouvel élan en réglant d'abord la question de l'hébergement des données, aujourd'hui bloquée, faute d'entreprises européennes capables de répondre aux besoins pour les fonctionnalités avancées liées à l'intelligence artificielle. Un rapport récemment remis au Gouvernement estime qu'une solution européenne sera disponible d'ici à 2026, ce qui nous semble très optimiste. Il serait donc souhaitable qu'entre-temps, l'assurance maladie fournisse une copie de la base principale du SNDS à un hébergeur relevant du droit de l'Union européenne, pour répondre a minima aux fonctionnalités requises pour les traitements simples de données, hors intelligence artificielle. Il faut également réduire les délais de mise à disposition des données et continuer à enrichir le SNDS.
Enfin, les deux derniers chapitres sont consacrés chacun à une branche différente. Nous nous sommes d'abord penchés sur la retraite des professions libérales, qui représente 7,2 milliards de pensions en 2022. Leur gestion est assurée par une caisse « tête de réseau », la caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL), et par ses dix sections professionnelles. Celles-ci ont conservé une très large autonomie, laquelle leur permet de se maintenir en dehors des règles communes des organismes de sécurité sociale. Cette organisation est complexe et fragmentée. La caisse nationale n'a pas de réelle capacité d'initiative et ne parvient pas à enclencher des mutualisations, pourtant indispensables. En parallèle, la tutelle par les pouvoirs publics est très distante. Nous appelons donc à exploiter les gisements d'efficience que permettrait un rapprochement de ces organismes du reste de la sécurité sociale et, ainsi, à améliorer le service rendu aux assurés à un moindre coût. Pour cela, un renforcement du rôle de l'État est indispensable.
Pour en terminer, le dernier chapitre porte sur les aides accordées aux familles nombreuses, comptant trois enfants et plus, qui représentent une famille sur six et un tiers des enfants. Ces familles bénéficient de dispositifs fiscaux et sociaux, pour un montant total que nous avons évalué à 30 milliards d'euros et qui est stable depuis dix ans. L'essentiel relève des prestations familiales, de la majoration des pensions de retraite et du quotient familial ou encore des aides au logement. À partir de 2012, certains avantages qui leur étaient accordés ont été limités, ce qui a affecté le pouvoir d'achat de ces familles. Celles-ci sont souvent dans des situations socioprofessionnelles fragiles. La proportion de non-diplômés y est plus importante, ce qui les expose au chômage, et le taux d'emploi féminin chute drastiquement à partir du troisième enfant. L'augmentation du nombre de familles nombreuses monoparentales a également contribué à accroître leur taux de pauvreté. Dans un contexte de baisse de la natalité, il paraît donc impératif de redéfinir les objectifs des dispositifs sociaux et fiscaux en faveur de ces familles.
Pour conclure, la Cour alerte une nouvelle fois sur l'urgence, pour notre sécurité sociale, d'entreprendre des réformes qui doivent permettre d'envisager une résorption de son déficit. Dans un contexte économique où la croissance des recettes va ralentir, la maîtrise de la dépense et la qualité de cette dépense doivent constituer le fil directeur de la gestion de la sécurité sociale.
La Cour était engagée, à la demande du Premier ministre, dans un exercice de revue des dépenses sociales, dont elle devait rendre les conclusions avant la fin du mois de juin. Le devenir de ce travail est désormais en suspens.
M. Philippe Mouiller, président. - Je vous remercie pour la qualité de votre éclairage.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Je vous remercie pour ces éléments d'analyse, qui nous permettent, alors que les comptes de la sécurité sociale nous ont été remis très récemment, d'envisager des pistes d'amélioration.
La Cour des comptes indique être dans l'impossibilité de certifier les comptes 2023 de la branche famille et de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf). On peut y voir une forme de progrès par rapport au refus de certification des comptes 2022. Pouvez-vous revenir sur les causes de la forte augmentation du montant des paiements erronés depuis les comptes 2018, et sur les raisons qui ont amené la Cour à passer d'un refus à une impossibilité de certification ?
Concernant le Ralfss, un arrêté du 2 février 2024 avance de dix jours la date de production des annexes définitives, désormais fixée au 5 avril. En conséquence, la recommandation 1 consiste à « avancer de dix jours la date de production des comptes provisoires et définitifs ». Quelles vous semblent être les perspectives de mise en oeuvre de cette recommandation ? Cela permettrait-il, selon vous, d'anticiper la réunion de la Commission des comptes de la sécurité sociale ?
Votre recommandation 4 sur l'Ondam consiste à « définir un programme pluriannuel de régulation des dépenses, partagé avec les parties prenantes, comprenant un renforcement des outils et instances de pilotage, un changement d'échelle dans la lutte contre les fraudes, des mesures structurelles d'adaptation de l'offre de soins aux besoins de la population et conditionner les mesures nouvelles par la réalisation d'économies ». Pouvez-vous nous indiquer plus précisément en quoi pourraient consister ces différentes mesures, en particulier d'un point de vue organisationnel ?
À la fin du chapitre sur la situation financière de la sécurité sociale, vous indiquez, page 62 : « Si la sécurité sociale n'est pas dotée de ressources nouvelles, il est donc impératif d'établir un programme pluriannuel de réformes et de lutte contre les fraudes pour étayer une trajectoire crédible de rétablissement des comptes. » Cette formulation suggère que vous n'excluez pas une stratégie consistant à rétablir les comptes sociaux en agissant sur les seules ressources. Qu'en est-il vraiment ? Pensez-vous qu'une stratégie reposant sur les seules dépenses est réaliste, ou faut-il nécessairement, selon vous, augmenter les recettes ?
Mme Véronique Hamayon. - L'année dernière, la Cour a constaté, pour la branche famille et la Cnaf, non seulement une dégradation des indicateurs de risque financier résiduel, mais aussi l'absence de perspective d'amélioration. C'est ce qui a justifié notre refus de certification.
En 2023, la situation a évolué plutôt favorablement. En effet, la branche famille s'est dotée d'un plan de rétablissement des comptes, pour lequel elle a d'ailleurs bénéficié, à la suite, peut-être, de notre refus de certification, de moyens supplémentaires de la part de l'Acoss. Elle s'est dotée d'objectifs financiers en matière de contrôles, et, pour la première fois depuis plusieurs années, le nombre de ces derniers a cessé de diminuer. Pour autant, l'indicateur de risque financier résiduel à vingt-quatre mois se stabilise à 7,4 % - ce qui représente un montant de 5,5 milliards d'euros d'indus et de rappels -, tandis que l'indicateur de risque résiduel à neuf mois, dégradé, s'établit à 10,9 %, contre 9,9 % en 2022.
Surtout, nous avons prononcé l'impossibilité de certifier ces comptes, parce que nous espérons voir la traduction comptable des mesures engagées au deuxième semestre 2023 dans les comptes 2024 - leurs effets ne sont pas encore visibles. Un refus de certifier aurait davantage été interprété comme une sanction.
Concernant le calendrier, la production des annexes a été avancée de dix jours, à notre demande. Malheureusement, ce n'est pas le cas de la production des comptes. Cette évolution ne nous a donc pas été très utile. Ainsi, les perspectives de mise en oeuvre de notre recommandation sont très ténues. Néanmoins, il est possible que nous finissions par obtenir une amélioration. Nous pourrions ainsi anticiper la réunion de la Commission des comptes de la sécurité sociale. Le calendrier actuel n'est pas très satisfaisant. Nous avons, par exemple, certifié les comptes et rendu public notre rapport avant que la Commission des comptes de la sécurité sociale ne se prononce sur les comptes 2023.
Concernant l'Ondam, il est nécessaire d'établir un plan pluriannuel d'économies, fondé sur des hypothèses solides, et assis sur des mesures de nature structurelle, et non seulement financière.
La trajectoire définie par le Gouvernement jusqu'en 2027 prévoit 3 milliards d'euros d'économies par an, soit 9 milliards au total, sans pour autant les documenter. En outre, son objectif est seulement de stabiliser le déficit, et non de revenir à l'équilibre. Pour cela, il faudrait compter sur 9 milliards de plus. Nous arriverions donc à 18 milliards d'euros, sans compter le rattrapage des 4 milliards de moindres recettes constatées en 2023, qu'il faut intégrer dans la trajectoire. Au regard de l'ampleur des montants, il est indispensable de fonder la trajectoire de redressement des comptes sur des mesures structurelles, car les coups de rabot ne seront pas suffisants.
En l'espèce, il s'agirait notamment de sécuriser la construction de l'Ondam grâce à une prévision pluriannuelle, fondée sur des mesures structurelles. Il faudrait également veiller à la cohérence entre les lois de programmation des finances publiques et la construction de l'Ondam. Nous pourrions aussi songer à conditionner toute nouvelle mesure à des mesures d'économies de montant égal. Il serait également utile de se doter de modalités de suivi de l'Ondam beaucoup plus fines, à un rythme mensuel. Enfin, nous pourrions réfléchir à une régulation qui ne repose pas uniquement sur les dépenses hospitalières, en envisageant par exemple d'élargir le mécanisme de régulation prix-volume des dépenses de biologie médicale à d'autres professions.
Par ailleurs, le montant de la fraude aux prestations de l'assurance maladie est estimé entre 4 milliards et 6 milliards d'euros, dont seuls 500 millions sont récupérés. En doublant ce montant, ce qui ne paraît pas hors de notre portée, nous récupérerions entre un quart et un sixième des montants totaux de la fraude.
Il ne s'agit pas de les supprimer les niches sociales, car certaines sont très utiles : je pense notamment aux heures supplémentaires. En revanche, nous recommandons de rétablir le droit commun pour certaines niches dont l'usage est détourné, les employeurs les utilisant comme des compléments de salaires au lieu de procéder à des augmentations. Ce sont donc 4 milliards de recettes supplémentaires qui pourraient être obtenus de cette manière.
L'ensemble de ces leviers doit ainsi être considéré dans une perspective de redressement des comptes de la sécurité sociale.
Pour en revenir à l'augmentation des recettes que j'évoquais tout à l'heure, je précise à nouveau qu'une telle hausse n'implique pas nécessairement un accroissement des prélèvements. La lutte contre la fraude, le retour au droit commun et la fin d'un certain nombre de niches sociales, par exemple, sont des moyens de limiter le manque à gagner pour la sécurité sociale. L'essentiel est d'agir sur l'efficience des dépenses et de renforcer la prévention, laquelle entraînera, de fait, des économies à moyen et long termes.
Il conviendra également de réfléchir à une autre répartition des financements entre les différents acteurs concernés : l'assurance maladie obligatoire, l'assurance maladie complémentaire, les employeurs et les assurés.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - L'an passé, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, les niches sociales ont fait l'objet de débats nourris : selon vous, aurions-nous dû aller plus loin ?
Mme Véronique Hamayon. - Il ne revient évidemment pas à la Cour des comptes d'en juger : il va de soi que les parlementaires légifèrent comme ils l'entendent. Dans notre rapport, nous montrons simplement qu'il serait possible de limiter le manque à gagner pour la sécurité sociale en évitant un usage détourné de certaines niches sociales et de certaines exonérations.
Mme Corinne Imbert, rapporteure pour la branche maladie. - Madame la présidente, je vous remercie de votre présentation très claire et pédagogique, ainsi que de la qualité de vos premières réponses.
Je souhaite aborder la question de l'Ondam. Lors de l'examen du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, j'ai déclaré ici même que cet objectif n'était plus pilotable. Le Sénat l'avait du reste rejeté en raison de son insincérité.
En 2023, la Cour des comptes avait déjà fait un bilan sévère de l'Ondam, dénonçant le décalage entre la vocation de celui-ci et la réalité de sa construction et de sa mise en oeuvre. Cette année, vous appelez à une reprise en main impérative de son pilotage dès 2024. Selon vous, comment refaire de l'Ondam une réelle norme de dépenses, un instrument efficace de pilotage des dépenses de santé ? Comment mieux maîtriser le fort dynamisme des dépenses dans un contexte où les hôpitaux sont confrontés à un déficit important, où une revalorisation de l'objectif serait nécessaire pour redynamiser la médecine de ville, renforcer l'accès aux soins, ou encore financer les médicaments innovants ? Enfin, quel regard portez-vous sur la cible de taux de croissance de 3 % qui a été fixée et sur le rendement réel des mesures d'économies annoncées ces dernières années ?
L'an dernier, le Sénat avait pointé les lacunes des sous-objectifs de dépenses, pour lesquels l'unité de compte se situe au niveau du milliard d'euros : en deçà de ce montant, aucun débat n'est possible, ce qui est dommageable pour les comptes de la sécurité sociale.
Je tiens également à évoquer la problématique de l'hôpital. La Cour des comptes dresse le bilan de la politique de réduction du nombre de lits depuis 2013, qui découle évidemment de l'essor revendiqué du virage ambulatoire. Vous insistez sur un certain nombre de points que la commission d'enquête sénatoriale sur la situation de l'hôpital en France avait déjà mis en avant en 2022 : ainsi, vous déplorez un manque important de données quant aux lits effectivement disponibles ou fermés de fait, et une analyse très lacunaire de ce que l'on appelle communément la « charge en soins ».
D'où mes questions : la France a-t-elle encore les moyens de sa carte hospitalière ? Avons-nous encore les moyens de garder nos hôpitaux de proximité, essentiels en termes d'aménagement du territoire et d'accès aux soins ?
Enfin, je veux vous interroger sur l'intérim médical. Vous constatez un recours important aux contrats d'intérim sous différentes formes : mise à disposition, contrats de gré à gré, etc. Vous pointez l'échec des dispositifs adoptés pour l'encadrer, notamment la difficulté de limiter le recours aux contrats dits « de type 2 », que l'on peut considérer comme un dévoiement manifeste des règles visant à réduire l'intérim. La Cour des comptes s'inquiète également de la fragilité même du système hospitalier, de la grande vulnérabilité des petits établissements. La révision de la carte hospitalière - je précise que ce n'est pas nécessairement ce que je souhaite - permettrait-elle, à votre avis, de régler la question de l'intérim ?
Ma dernière question porte sur le rapport sur la décentralisation remis par Éric Woerth au président de la République il y a quelques jours, qui prévoit de transférer les ressources tirées des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) au bloc communal et de compenser cette perte de recettes pour les conseils départementaux par une part supplémentaire de CSG, contribution qui finance une partie du budget de la sécurité sociale. Que pensez-vous de cette mesure sur un plan strictement financier ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur pour la branche vieillesse. - Madame la présidente, je souhaiterais vous entendre sur l'évolution financière de la branche vieillesse, dont la situation est plutôt alarmante. Considérez-vous que la réforme des retraites de 2023 est correctement calibrée ? Pensez-vous qu'elle permettra d'atteindre les objectifs financiers que nous nous sommes fixés pour la branche ?
Quelles mesures préconisez-vous pour le retour à l'équilibre de la CNRACL ? Quelles seraient, selon vous, les conséquences pour cette caisse de la suppression de la compensation démographique qui est préconisée par la Cour des comptes ?
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles. - Avec ma collègue Annie Le Houerou, nous menons actuellement une réflexion sur les enjeux liés à la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP).
À ce sujet, la Cour des comptes a publié un audit flash intitulé Les aides de la Caisse nationale de l'assurance maladie à la prévention des risques professionnels : une efficacité non démontrée. Par ailleurs, à la suite d'une audition de représentants de la direction de la sécurité sociale (DSS), j'ai cru comprendre qu'il y a actuellement une remise en cause des subventions versées aux petites entreprises.
Or, bien que la prévention doive prévaloir sur la réparation, les actions de prévention ne représentent aujourd'hui que 2 % du montant total du budget de la branche AT-MP : quel regard portez-vous sur les incitations à la prévention, notamment celles qui sont destinées à des entreprises - les plus petites - dont la sinistralité est importante ?
Dernière question : que pensez-vous du prélèvement opéré chaque année par la branche maladie sur la branche AT-MP au titre de la sous-déclaration des accidents du travail et maladies professionnelles ?
Mme Véronique Hamayon. - S'agissant de l'Ondam, il serait de bonne politique de disposer d'indicateurs précis par sous-objectif, autrement dit de piloter l'Ondam de manière beaucoup plus fine qu'aujourd'hui. Selon nous, seul un suivi mensuel permettrait de prendre des mesures de régulation, de réorientation ou de limitation de la dépense en cas de dépassement avéré, ce qui implique des sous-objectifs assortis d'indicateurs et d'outils de régulation.
Autre point, l'objectif de ramener la croissance de l'Ondam à 3 % nous paraît extrêmement optimiste, en tout cas en l'absence d'éléments chiffrés et compte tenu des hypothèses macroéconomiques retenues. Nous avons de sérieux doutes sur la capacité de la France à tenir l'Ondam pour 2024-2027.
Pour ce qui est de l'hôpital, je ne suis pas certaine que la Cour des comptes soit en mesure de vous dire si la France dispose encore des moyens de sa carte hospitalière. Les petits hôpitaux et établissements hospitaliers sont un vrai sujet. J'ai eu l'occasion d'aborder cette problématique devant la mission d'information sénatoriale consacrée à la santé périnatale : selon moi, la question est moins celle des moyens que celle de la qualité et de la sécurité des soins. Nous avons observé, pour ce qui est de la périnatalité, qu'il existait une corrélation entre la taille de l'établissement, le nombre de médecins intérimaires et le nombre d'événements indésirables. Ce constat ne peut cependant pas être généralisé.
Nous allons engager d'ici quelques mois un travail approfondi sur la qualité et la sécurité des soins dans les établissements hospitaliers ; nous essaierons d'établir des corrélations entre l'organisation des soins, notamment le turnover, la proportion de médecins intérimaires, la taille de l'établissement et la qualité des soins. C'est ce point qui nous semble essentiel - j'insiste -, davantage que l'aspect financier qui, d'une certaine façon, en résulte.
Pour ce qui est de l'intérim médical, je commencerai par un constat. La loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification (« loi Rist ») est bienvenue, mais elle est sans doute insuffisante à elle seule pour endiguer le phénomène, non pas de l'intérim, mais du recours abusif à l'intérim ou aux contrats courts. Nous recommandons de définir de manière plus restrictive les conditions dans lesquelles il est possible de recourir aux contrats de type 2, qui sont destinés à pallier les difficultés de recrutement grâce à des conditions financières attractives.
L'intérêt du métier de médecin hospitalier ne découle pas seulement de la rémunération ; elle résulte aussi de l'environnement, du regard que la société porte sur la profession, des attentes à l'égard des professionnels, notamment en termes d'organisation des gardes et des astreintes. À l'évidence, tant que l'organisation de ces gardes et astreintes, donc de la permanence des soins, reposera essentiellement sur l'hôpital public, le différentiel d'attractivité entre l'hôpital public et l'hôpital privé restera significatif. Au-delà des questions de rémunération, de permanence des soins et d'attractivité du métier, il faudra probablement se poser la question du statut des médecins hospitaliers, une réflexion qui excède largement les compétences de la Cour des comptes.
Vous m'interrogez sur le rapport Woerth et la possible évolution du financement de la sécurité sociale. La Cour des comptes souhaiterait que l'organisation de ces financements ne soit pas modifiée ou que si elle l'était, il soit prévu une compensation à l'euro près. Par le passé, beaucoup trop de dispositifs censés être compensés ne l'ont été que partiellement, ce qui pèse aujourd'hui sur les comptes de la sécurité sociale. Évidemment, nous ne portons aucun jugement sur la légitimité des réorganisations financières ; nous en appelons simplement à la prudence, car il ne faudrait pas déstabiliser et fragiliser encore davantage la sécurité sociale, qui n'en a pas besoin aujourd'hui.
Concernant la branche vieillesse, la réforme de 2023 ne produira ses pleins effets qu'à partir de 2027 ; or c'est aussi à compter de cette date que les comptes de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales se creusent : le déficit de la branche vieillesse découlera alors, pour les trois quarts, de la dégradation des comptes de la CNRACL.
Vous m'interrogez sur la suppression du mécanisme de compensation démographique : si l'on se contente de cette suppression, cela défavorisera évidemment la CNRACL. Nous estimons qu'un autre mécanisme de compensation, plus simple, devra être mis en place. Cette évolution est toutefois complexe à mettre à oeuvre, et il appartiendra aux pouvoirs publics de trancher cette question.
Pour ce qui est de la branche AT-MP, la prévention est absolument essentielle, mais le niveau de prévention est certainement insuffisant dans un certain nombre de branches. La Cour des comptes s'est intéressée à l'accidentologie dans les établissements et services médico-sociaux, qui était plus élevée que dans les entreprises du secteur du bâtiment, faute de prévention, de formation du personnel et d'informations suffisantes.
La sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles conduit aujourd'hui à transférer de la branche AT-MP à la branche maladie un montant légèrement supérieur à 1 milliard d'euros. Nous suggérons de retenir le haut de la fourchette des estimations de la commission chargée d'évaluer le coût réel pour la branche maladie de cette sous-déclaration, soit plus de 2 milliards d'euros. Sur le principe, en tout cas, une telle compensation nous semble une bonne chose : elle doit permettre aux employeurs de prendre conscience de la nécessité d'une meilleure prévention.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Madame la présidente, vous considérez qu'il est nécessaire de réexaminer les compensations financières de l'État envers l'Unédic sous prétexte de son excédent, alors qu'une baisse de ces compensations est, me semble-t-il, déjà prévue d'ici 2027. À mon sens, vos voeux sont donc déjà exaucés.
Je tiens à revenir sur la question de la non-indemnisation des arrêts maladie de moins de huit jours, qui a beaucoup fait parler dans la presse. Votre recommandation me semble plus grave encore que ce qui a été relaté, puisque vous proposez de porter de trois à sept le nombre de jours de carence, quelle que soit la durée de l'arrêt de travail. Parmi vos propositions figurent aussi la mise en place d'un jour de carence d'ordre public et la suspension du versement des indemnités journalières au bout de deux ans - contre trois ans aujourd'hui. Avez-vous bien réfléchi aux conséquences de telles mesures, parmi lesquelles figurent l'essor de la pauvreté ou le risque de renoncement aux soins ?
En revanche, je considère que votre analyse des causes de la hausse du nombre des arrêts de travail est intéressante : vous démontrez qu'il ne s'agit pas uniquement d'arrêts abusifs, comme la presse l'a indûment rapporté.
Il faut reconnaître que votre étude sur les niches sociales est également utile à bien des égards : nous sommes un certain nombre à dénoncer le fait que ces dispositifs sont de moins en moins bien compensés, alors que les transferts compensatoires sont pourtant obligatoires.
Nous dénonçons par ailleurs le caractère inégalitaire des mesures figurant dans la loi portant transposition de l'accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l'entreprise, dans la mesure où elles profitent essentiellement aux Français les plus aisés, aux catégories socioprofessionnelles qui bénéficient déjà de l'intéressement et de la participation ; ces dispositions opèrent, en outre, un effet de substitution sur les éléments traditionnels de rémunération, ce qui a pour effet de faire baisser le niveau des cotisations. Or une telle dynamique se traduit par la hausse du nombre de jours de carence : à force de réduire le niveau des cotisations, on est obligé d'équilibrer le système en baissant le niveau des prestations.
Un travail de pédagogie doit être mené auprès des Français pour leur faire prendre conscience de cette réalité. Sachez que, pour les deux tiers, l'aggravation des déficits est due aujourd'hui à l'explosion des mesures dérogatoires. Il importe de revenir rapidement aux dispositifs de droit commun.
Mme Frédérique Puissat. - Je commencerai par un clin d'oeil, madame la présidente : si nous avions des raisons de ne pas avoir le moral en cette période politique un peu compliquée, je peux vous dire que votre rapport ne contribue pas à nous le remonter...
Vous estimez, dans votre rapport, que les niches sociales sont à l'origine d'un manque à gagner très élevé pour la sécurité sociale. Cela étant, elles sont aussi le résultat d'un équilibre subtil entre des enjeux de compétitivité économique, d'amélioration du pouvoir d'achat et d'équilibre de nos comptes. Le débat est ouvert, mais on sait qu'il est complexe, d'autant plus que les compléments de revenus liés aux dispositifs de partage de la valeur ont fait l'objet d'un accord national interprofessionnel entre les organisations salariales et patronales, notamment pour les entreprises de moins de cinquante salariés.
Au vu de vos propositions, madame la présidente, je souhaite vous poser deux questions : la Cour des comptes est-elle associée aux travaux en cours, notamment ceux d'Antoine Bozio et d'Ëtienne Wasmer, sur la politique d'allègements des cotisations ? Ce débat est très technique : les incidences de telle ou telle mesure peuvent être très variées selon les branches. Seconde question : avons-nous les moyens de mieux évaluer les conséquences des niches sociales et d'envisager une évolution différenciée de celles-ci au sein des différentes branches professionnelles ?
Mme Christine Bonfanti-Dossat. - La Cour des comptes a recensé 5,5 milliards d'euros d'erreurs au sein de la branche famille l'an dernier. La mise en place de la solidarité à la source à partir de la fin de cette année permettra-t-elle de réduire le nombre de ces erreurs ?
M. Daniel Chasseing. - Je vous remercie, madame la présidente, de la qualité de vos travaux et recommandations pour un retour à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale et une meilleure qualité des soins.
Le déficit du budget de la sécurité sociale s'aggravera jusqu'en 2027, en raison notamment d'une diminution du nombre de cotisants, elle-même liée à une baisse de la croissance consécutive à l'inflation, à la guerre russo-ukrainienne, etc.
Vous pointez le dépassement de l'Ondam, et ce malgré l'absence de prise en compte des dispositions de la loi Grand Âge. Chacun sait pourtant que le nombre de Français de plus de 80 ans va presque doubler entre 2020 et 2040 !
Je partage votre constat sur les niches sociales, mais ces dernières doivent être préservées pour maintenir le pouvoir d'achat de nos concitoyens. J'insisterai sur la question des arrêts de travail, qui ont beaucoup augmenté, et qui doivent être mieux encadrés. La lutte contre la fraude doit aussi s'améliorer.
Vous recommandez de moins recourir à l'intérim médical. Je ferai simplement observer que les centres hospitaliers régionaux (CHR) de moyenne importance sont parfois contraints de faire appel à des intérimaires pour préserver la sécurité des soins et leurs services des urgences.
Vous avez également raison de demander que l'on revoie la stratégie de réduction du nombre de lits d'hôpital. L'engorgement des urgences est parfois dû à la trop forte diminution des lits d'aval.
Je terminerai en formant un voeu : j'espère que la réforme des retraites, une lutte plus efficace contre les fraudes, un meilleur encadrement des arrêts de travail et l'amélioration des compensations financières versées à chaque régime par l'État permettront de rééquilibrer les comptes de la sécurité sociale.
M. Khalifé Khalifé. - En tant qu'ancien médecin hospitalier durant quarante ans, je tiens à vous rassurer, madame la présidente : malgré tout ce que l'on entend aujourd'hui, s'il fallait recommencer, je le ferais !
Vous avez évoqué la diminution du nombre de lits : je précise, à ce sujet, qu'il existe un répertoire des lits disponibles dans les hôpitaux, dont les agences régionales de santé (ARS) disposent en permanence, même en dehors des plans blancs.
Parmi vos préconisations, vous avez évoqué le virage ambulatoire, mais vous n'avez pas mentionné l'expérimentation des hôtels hospitaliers. Cette solution, qui a semble-t-il fait ses preuves, vous paraît-elle intéressante ?
Pour ce qui concerne les arrêts de travail, je ne souhaite pas entrer dans les détails, mais je tiens tout de même à vous interroger sur la possibilité de prescrire un arrêt de travail par téléconsultation : envisagez-vous une surveillance prospective de ce phénomène, qui, semble-t-il, entraîne une augmentation significative des arrêts maladie ?
Enfin, avez-vous constaté une évolution des dépenses depuis la généralisation de ce que nous appelons ici la « financiarisation de la médecine » ?
Mme Véronique Hamayon. - Madame la sénatrice Poncet Monge, vous m'interrogez sur les compensations financières entre l'État et l'Unédic. Chaque année, l'État récupère, en effet, 2 milliards d'euros de l'Unédic, mais c'est à son seul avantage, si je puis dire. Il faut distinguer cette « ponction » - sur laquelle nous ne nous prononçons pas dans le rapport - des 600 millions d'euros que j'évoquais tout à l'heure, qui sont prélevés sur le budget de la sécurité sociale pour alimenter l'Unédic.
Vous m'interrogez également sur la question des indemnités journalières. En réalité, notre rapport ne fait que décrire l'ensemble des sources d'économies existantes pour mieux lutter contre la fraude aux arrêts maladie. Nous avons évalué le montant d'économies que représenterait chacun de ces leviers pris individuellement. Nous ne recommandons pas de recourir à l'un ou l'autre d'entre eux. En effet, seuls les pouvoirs publics disposent de la légitimité pour se saisir de cette question.
Enfin, le fait de porter de trois à sept jours la période non indemnisée par l'assurance maladie aurait des conséquences, non pas tellement sur les salariés, qui, pour la plupart, voient leur salaire maintenu par leur employeur, mais sur les employeurs eux-mêmes, car la plupart d'entre eux compensent aujourd'hui les arrêts de travail bien avant le délai à partir duquel ils sont tenus de le faire.
Mme Raymonde Poncet Monge. - C'est inexact : vous oubliez les salariés précaires, les employés des très petites entreprises, qui ne compensent pas les jours de carence !
Mme Véronique Hamayon. - C'est pourquoi je parle d'une grande majorité des salariés, et c'est aussi pourquoi nous nous montrons extrêmement prudents dans notre rapport. Nous précisons, par exemple, que, si l'une de ces mesures d'économie devait être mise en oeuvre, cela ne pourrait se faire qu'après consultation de l'ensemble des partenaires sociaux, ce qui nous semble bien sûr la moindre des choses.
Pour ce qui est des jours de carence d'ordre public, nous ne faisons là encore qu'évaluer les conséquences financières d'une telle mesure ; nous ne recommandons pas de diminuer le niveau des prestations qui sont servies aux salariés malades. Je tiens à lever toute ambiguïté à ce sujet, ambiguïté qui a peut-être été malencontreusement relayée par la presse.
Madame la sénatrice Puissat, nous n'avons pas été associés aux travaux sur les niches sociales que vous avez cités. Par ailleurs, je serais bien en peine de vous apporter une réponse sur les moyens dont nous disposons pour mieux les évaluer ; nous ne sommes en effet pas descendus à un tel degré de détail.
Madame la sénatrice Bonfanti-Dossat, la majorité des erreurs qui affectent la branche famille et qui aboutissent à ces 5,5 milliards d'euros d'indus ou de rappels sont liées à des données déclarées par les assurés ou les allocataires eux-mêmes. Aussi, plus les déclarations seront faites par des tiers à partir de données déjà disponibles dans diverses administrations, plus on réduira les risques d'erreur. Il faudra pour cela fiabiliser les données de la déclaration sociale nominative (DSN). Tout cela va évidemment dans le bon sens : à terme, l'impact de la solidarité à la source devrait être positif.
Monsieur le sénateur Chasseing, il est exact que les perspectives pluriannuelles de l'Ondam ne tiennent pas compte de la loi Grand Âge et de l'incidence du vieillissement de la population sur les dépenses d'assurance maladie ou les dépenses liées à la dépendance. À structure de soins et à consommation de soins inchangées, le seul effet du vieillissement de la population renchérirait les dépenses d'assurance maladie de 13 milliards d'euros à l'horizon 2030 et de 27 milliards d'euros à l'horizon 2040. Le vieillissement de la population a un effet extrêmement important, qui était prévisible. Néanmoins, force est de constater qu'il n'a pas été pris en compte dans les perspectives pluriannuelles actuellement définies.
Pour ce qui concerne les lits disponibles, les chiffres dont disposent les ARS ont trait à leur disponibilité théorique, si je puis dire. En réalité, si les effectifs de soignants ou paramédicaux manquent, les lits ne sont alors pas disponibles. Nous avons besoin, comme les ARS, de connaître en temps réel le nombre de lits effectivement « armés », et non pas ceux qui sont théoriquement disponibles.
Au sujet des arrêts de travail prescrits par téléconsultation, le Gouvernement a déjà limité dans certains cas leur durée maximale à trois jours. Nous n'avons pas réalisé d'étude prospective ; je ne suis pas sûre que cela relève de notre rôle. D'autres institutions se pencheront peut-être sur ce sujet.
M. Khalifé Khalifé. - Des recommandations ?
Mme Véronique Hamayon. - Nous n'avons pas creusé plus avant cette question. Au demeurant, nous avons remis, voilà trois ans, un rapport sur la télémédecine, qui dépassait le champ de la téléconsultation. Nous n'avions alors pas émis de recommandations en ce sens.
À propos de la financiarisation de la médecine, je ne suis pas non plus certaine qu'il relève du rôle de la Cour des comptes de répondre à cette véritable question de société, qui dépasse largement nos compétences.
M. Philippe Mouiller, président. - Madame, je vous remercie de ces réponses et de la qualité de vos travaux. Nous nous appuierons sur le rapport pour préparer nos prochains débats.
Organisation des travaux
M. Philippe Mouiller, président. - Notre Bureau se réunira tout à l'heure sur le contenu de nos auditions.
Dans cette période particulière, nous tiendrons encore une réunion de commission dans les 2 semaines à venir. Il nous est en effet demandé de maintenir notre mission de contrôle.
Nous suspendrons nos travaux entre les 2 tours des législatives pour les reprendre à partir du 10 juillet.
La suite des événements dépendra du résultat des élections législatives. Officiellement, aux termes de l'article 12 de la Constitution, nous reprendrons nos travaux en séance publique le 18 juillet, jusqu'au 1er août inclus.
Mission d'information sur les négociations salariales - Examen du rapport d'information
M. Philippe Mouiller, président. - Nous allons maintenant entendre la communication de nos rapporteures, Frédérique Puissat et Corinne Bourcier, à l'issue des travaux de la mission d'information sur les négociations salariales dans le secteur privé qu'elles ont conduite.
Cette présentation donnera lieu à une information du Sénat. La période actuelle n'y étant pas propice, nous organiserons une audition sur le sujet en septembre, qui sera l'occasion, pour nos rapporteures, de présenter de nouveau les conclusions de leur rapport et de communiquer sur les propositions du Sénat.
Mme Frédérique Puissat, rapporteure. - Après des années de faible évolution de l'indice général des prix, le choc inflationniste qu'a connu la France à partir de 2021 a brusquement mis en exergue la question des salaires. Avec un taux d'inflation atteignant plus de 6 % à la fin de l'année 2022 ou au début de l'année 2023, les négociations salariales dans les branches professionnelles et dans les entreprises ont été bousculées et ont brusquement subi la pression des revalorisations automatiques du Smic qui se sont enchaînées. Ce changement de contexte économique constitue le point de départ de la mission d'information dont nous vous présentons les travaux ce matin.
En préambule, rappelons que les salaires sont définis librement dans le contrat de travail signé par le salarié et l'employeur, dans le respect du Smic, des grilles salariales d'entreprise, ainsi que des grilles conventionnelles de branche déterminées au travers du dialogue social. Notre fil directeur a donc été de laisser les partenaires sociaux négocier entre eux et non d'encourager l'État à administrer les salaires.
Dès lors, pourquoi conduire une mission d'information sur cette question ? Parce que le débat public s'est emparé de ce sujet en raison de la crainte légitime d'une « smicardisation » et d'une paupérisation de la société.
Il faut l'indiquer, l'exécutif a délibérément choisi de faire de la lutte contre la « smicardisation » de l'économie un axe important de sa politique. Dans sa déclaration de politique générale prononcée devant notre assemblée le 31 janvier 2024, le Premier ministre annonçait vouloir « désmicardiser » la France. Ces mêmes termes avaient été, peu ou prou, employés par le Président de la République lors de sa conférence de presse du 16 janvier 2024. Le Gouvernement a, en particulier, mis en cause les branches professionnelles, qui, selon lui, seraient rétives à négocier des hausses pour les salaires constituant les minima conventionnels et qui seraient en partie responsables de cette « smicardisation » en laissant le Smic rattraper le bas de leurs grilles salariales.
Notre mission d'information s'est donc attelée, tout d'abord, à analyser la façon dont les partenaires sociaux ont effectivement négocié durant cette période grâce au cadre juridique existant, mais aussi les résultats obtenus. Nous avons, ensuite, étudié le phénomène de « smicardisation », aussi bien au niveau de la société dans sa globalité que de celui des carrières professionnelles. Nous avons, enfin, tenté d'identifier les freins structurels aux revalorisations salariales et les entorses à la cohérence des rémunérations prises dans leur ensemble.
Au regard des compétences de notre commission, nous avons centré nos travaux sur le secteur privé dit général, dont la direction générale du travail (DGT) assure le suivi, sans oublier le secteur social et médico-social. Le secteur agricole et celui de la pêche maritime demeurent donc exclus du champ, bien que la question des salaires y soit évidemment d'une actualité brûlante.
Mme Corinne Bourcier, rapporteure. - Notre premier constat est que le cadre juridique qui s'applique aux négociations salariales est globalement adapté.
Tout d'abord, les différentes réformes du droit du travail, notamment les ordonnances Travail du 22 septembre 2017, ont laissé pratiquement inchangée l'articulation des normes relatives à la question des salaires. Les salaires minimaux relèvent ainsi des thèmes pour lesquels les accords de branche demeurent prépondérants sur les accords d'entreprise, sauf en cas de garantie au moins équivalente. Dans les faits, la branche détermine ainsi des minima conventionnels selon les classifications qu'elle retient pour organiser les emplois du secteur d'activité. Ces salaires minima hiérarchiques (SMH) sanctuarisent un montant comprenant un salaire de base et des compléments de salaire que la branche souhaite intégrer. Les salaires effectifs ne peuvent pas être inférieurs à ces SMH, même si les entreprises restent libres de prévoir d'autres éléments de rémunération pour atteindre son montant. Il ressort de nos auditions que ce statu quo convient aux partenaires sociaux.
Ensuite, nos travaux reconnaissent l'importance des accords salariaux de branche, qu'il convient de ne pas fragiliser. Le rôle historique des branches, qui consiste à réguler la concurrence d'un secteur d'activité en évitant le dumping social, demeure essentiel. Les grilles salariales de branche sont structurantes surtout pour les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME) qui ne disposent pas toujours des marges de manoeuvre financières pour s'en écarter.
Dès lors, il est important de ne pas retarder l'extension des accords de branche portant sur les salaires afin qu'ils s'appliquent le plus rapidement possible à l'ensemble des salariés couverts par une convention collective de branche. La loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, dite loi « Pouvoir d'achat », a réduit à deux mois le délai maximal dont dispose le ministre du travail pour étendre les avenants salariaux, lorsque le Smic augmente deux fois au cours des douze derniers mois. Le délai moyen d'extension de tels avenants a en effet diminué pour s'établir à quarante-cinq jours en 2023. C'est pourquoi nous proposons de consacrer ce délai de deux mois comme une règle pérenne, quelles que soient les circonstances économiques.
Enfin, pour clore le chapitre ayant trait au cadre juridique, le code du travail prévoit des modalités de négociations salariales ; en cela, la France est fidèle à son légicentrisme. Les entreprises comme les branches professionnelles doivent négocier sur les salaires tous les ans, à moins que les organisations syndicales et patronales aient conclu un accord de méthode prévoyant une autre périodicité. En réalité, cette possibilité de déroger aux négociations annuelles obligatoires (NAO), prévues par une ordonnance Travail du 22 septembre 2017, n'a jamais été utilisée ; les organisations syndicales ne souhaitent pas espacer davantage les négociations sur les salaires, sujet trop structurant à leurs yeux.
Avec ou sans accord de méthode, nous ne pouvons cependant qu'encourager les partenaires sociaux à se saisir de la possibilité de conclure des accords salariaux de branche couvrant plusieurs années et comportant, bien sûr, des clauses de revoyure. De telles négociations pluriannuelles, dont les modalités pratiques pourraient être définies par un accord national interprofessionnel (ANI), offrent davantage de prévisibilité aux employeurs comme aux salariés et sont donc particulièrement bénéfiques.
S'agissant des entreprises, les NAO ne s'appliquent qu'à celles où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales représentatives et dans lesquelles au moins un délégué syndical a été désigné. Ces dispositions laissent donc en dehors du périmètre la plupart des entreprises comptant onze à quarante-neuf salariés, puisque seulement 4,5 % d'entre elles disposent d'un délégué syndical. Il est regrettable que ces entreprises ne soient pas incitées à négocier sur les salaires, alors qu'une telle démarche, si elle doit être loyale et sincère, ne saurait faire l'objet d'une obligation de résultat. Certaines de ces entreprises disposent tout de même d'un comité social et économique (CSE), dont les membres sont des interlocuteurs pertinents. C'est pourquoi nous proposons d'expérimenter, pendant quatre ans, une obligation bisannuelle de négociations salariales dans les entreprises de plus de onze salariés dotées d'un CSE.
Mme Frédérique Puissat, rapporteure. - Grâce à l'action des partenaires sociaux, le cadre juridique est resté adapté à la période d'inflation soutenue que nous avons connue. Pour reprendre l'image d'un célèbre fabuliste, les branches ont plié, mais n'ont pas rompu.
Les branches ont plié, car elles ont été soumises à la pression d'une inflation qui s'est établie à 5,2 % en 2022, puis à 4,9 % en 2023, ce qui a bouleversé le rythme habituel des négociations salariales. Les règles de revalorisation du Smic, particulièrement la garantie de pouvoir d'achat qui entraîne une revalorisation en cours d'année lorsque l'indice des prix augmente de 2 %, se sont traduites par huit hausses du Smic depuis 2021. Les branches professionnelles ont été mises au défi, puisque la loi leur impose de se réunir pour discuter des SMH dès lors que ces derniers deviennent inférieurs au Smic.
Face à cette course en avant, une première tentation consisterait à vouloir indexer les SMH sur le Smic. Cette idée, qui semble séduisante, nous a été soumise par des représentants aussi bien syndicaux que patronaux. Cependant, nous pensons qu'en matière de négociation collective, il faut parfois faire des choix. Or indexer les pieds de grille sur le Smic risquerait d'escamoter le dialogue social et, in fine, de renforcer le tassement des grilles de rémunération en agissant uniquement sur les échelons rattrapés par le Smic. Aussi, nous vous proposons de réaffirmer l'importance de l'interdiction d'indexation des SMH.
Nos auditions nous ont, en outre, amenées à nous interroger sur la pertinence du seuil de 2 % de l'indice des prix à la consommation qui entraîne une revalorisation automatique du Smic. Ce mécanisme est intervenu deux fois en 2022, de telle sorte que certaines branches, qui étaient en passe d'aboutir à un accord sur les SMH, ont relancé des négociations, sans pouvoir les conclure, en mai, puis de nouveau en août. Certes, les salariés dont la rémunération se situe au niveau du Smic ont bénéficié immédiatement de ces hausses, mais les autres salariés ont perdu le bénéfice d'un an de revalorisation des grilles des SMH.
Cette situation est amenée à se reproduire, plus qu'à l'accoutumée, puisque nombre d'économistes, y compris au sein de la Banque centrale européenne (BCE), considèrent que l'objectif de 2 % d'inflation dans la zone euro peut, et devrait être, dépassé dans les années à venir. Aussi, nous vous proposons d'en tirer les conséquences et de porter à 2,5 % le seuil d'inflation à partir duquel le Smic est réévalué en cours d'année sans attendre le 1er janvier de l'année suivante. En parallèle, nous souhaitons que des prévisions de revalorisation du Smic au 1er janvier soient communiquées aux partenaires sociaux le 1er octobre, afin de permettre aux branches qui le souhaitent d'entamer des négociations et de mieux anticiper la revalorisation à venir.
Les branches professionnelles ont donc plié, mais elles n'ont pas rompu. En effet, les partenaires sociaux des branches se sont efforcés de jouer le jeu de la négociation collective après chaque revalorisation du Smic. Au 1er janvier 2024, les SMH de 56 % des branches étaient conformes au regard du niveau du Smic, tandis qu'ils ne l'étaient plus pour 33 % d'entre elles depuis la revalorisation du 1er janvier et pour seulement 4 % des branches depuis une date antérieure au 1er mai 2023.
Pour autant, le principe même d'une comparaison entre le Smic et les SMH ne va pas de soi : les assiettes de ces deux salaires ne sont, de fait, pas les mêmes. À titre d'exemple, des représentants des branches auditionnés ont souligné que l'ensemble de leurs salariés bénéficiaient d'un treizième mois dans leurs grilles hiérarchiques de SMH, mais que ce dernier n'était pas intégré par la DGT dans ses comparaisons au niveau du Smic, alors qu'il représenterait une augmentation de 7 % des SMH. Une évolution de l'assiette du Smic est évidemment à proscrire, mais nous proposons que les services de l'État prennent désormais en compte l'ensemble des éléments de rémunération dont bénéficient les salariés, lorsqu'ils comparent les SMH d'une branche au niveau du Smic, afin d'aboutir à une comparaison qui ne soit pas biaisée.
En outre, le Gouvernement a menacé les branches prétendument « non conformes » de manière structurelle, c'est-à-dire celles dont au moins un minimum conventionnel est inférieur au Smic depuis plus d'un an. Lors de la conférence sociale du 16 octobre 2023, Élisabeth Borne, alors Première ministre, indiquait que, à défaut de progrès significatifs d'ici au 1er juin 2024 quant à la mise en conformité des branches dont les SMH sont inférieurs au Smic, le Gouvernement proposerait au Parlement de minorer les exonérations de cotisations sociales et envisagerait la fusion administrative des branches dans lesquelles l'activité conventionnelle serait structurellement dégradée. La communication de l'exécutif mentionnait alors l'existence d'une dizaine de branches dans ce cas.
Sur ce point, notre mission d'information a réalisé, en quelque sorte, un véritable travail d'enquêteur sur les branches mises à l'index par le Gouvernement. Les enseignements tirés des informations transmises par la DGT ou de nos auditions sont bien différents du réquisitoire de l'exécutif.
En décembre 2023, six branches professionnelles étaient encore identifiées par le Gouvernement comme étant non conformes depuis plus d'un an. Sur les six branches mises en cause, trois étaient déjà dotées, en mars 2024, de SMH supérieurs au Smic, pour tous les niveaux de leur classification.
Par conséquent, nous avons auditionné les représentants des trois branches restantes, à savoir celles des chaînes de cafétérias et assimilés, des institutions de retraite complémentaire et des foyers et services pour jeunes travailleurs (FSJT) -, qui ne représentent plus que 48 000 salariés sur les 13 millions que compte le secteur privé hors secteur agricole. Aucune des situations qui nous ont été présentées ne rendait compte d'un dialogue social moribond ou impuissant en matière de négociation salariale. Les représentants de la branche des FSJT font même état d'une divergence d'appréciation avec le Gouvernement et contestent la non-conformité des SMH au regard du Smic. En outre, la nouvelle convention collective entrera bientôt en vigueur et réglera définitivement le problème.
Nous en avons donc conclu que la chasse faite aux branches non conformes, par tous les moyens, n'est définitivement pas un enjeu sérieux de politique publique. De surcroît, les mises en cause et les mesures coercitives ne sont pas dépourvues d'effet réputationnel pour les branches et peuvent nuire aux recrutements.
Nous nous sommes ensuite penchées sur la « smicardisation » de la société, selon ce néologisme désormais répandu dans les discours politiques. Comme tous les mots récemment forgés, son emploi n'est pas encore stabilisé et recouvre au moins trois acceptions : premièrement, une proportion accrue de salariés rémunérés au Smic ou à un salaire très proche ; deuxièmement, une paupérisation de la société ; troisièmement, une absence de progression salariale au cours de la carrière conduisant à une stagnation au niveau du Smic.
Le premier sens du mot « smicardisation » est, sans aucun doute, le plus répandu dans le débat public et dans les médias. Il est certain que la part des salariés rémunérés au Smic a particulièrement crû en raison des revalorisations successives de ce dernier. Entre le 1er janvier 2021 et le 31 décembre 2023, le montant du Smic a été globalement revalorisé de 13,5 %. En conséquence, le groupe d'experts sur le Smic relève que la part de salariés du secteur privé, hors secteur agricole, directement concernés par la revalorisation du Smic horaire du 1er janvier 2023 a atteint 17,3 %, soit le niveau le plus élevé depuis les années 1990.
En outre, les revalorisations successives du Smic ont conduit à un tassement des salaires : 61,4 % des 171 branches du secteur général ont vu leur éventail de salaires, soit le ratio entre les salaires du dernier et du premier niveau hiérarchique, se resserrer entre la fin de l'année 2022 et mars 2024.
Les salariés dont la rémunération a été rattrapée par le Smic, alors que celle-ci lui était auparavant supérieure, ont éprouvé un sentiment de déclassement social que nos auditions ont mis en lumière. Les études sociologiques soulignent, par ailleurs, que le Smic est un élément de comparaison communément partagé et un point de référence à l'aune duquel les ouvriers et les employés jugent du caractère satisfaisant ou non de leur situation.
Cette situation de « smicardisation » existe également dans le secteur social et médico-social, au sein duquel les modalités de négociations salariales sont pourtant fortement dictées par les pouvoirs publics. Ainsi, au sein de l'ensemble de la branche associative sanitaire, sociale et médico-sociale (Bass), environ un salarié sur cinq touche un salaire compris entre 1 et 1,2 Smic. En outre, deux des trois principales conventions collectives de cette branche, à savoir la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 et la convention collective nationale de la Croix-Rouge française, présentent des pieds de grille inférieurs au Smic.
Enfin, comme point de comparaison, la fonction publique n'a pas non plus été épargnée par un tassement du bas des grilles salariales. Après la revalorisation du Smic de mai 2023, 167 000 agents publics de l'État percevaient un traitement brut égal au Smic, contre seulement 44 000 en avril 2021, soit 6,7 % d'entre eux. Si ce pourcentage est moindre que celui observé dans le secteur privé, il ne tient cependant pas compte des fonctions publiques territoriale et hospitalière, pour lesquelles l'administration n'a pas pu nous transmettre de données.
Après ce tableau général des niveaux de rémunération dans les différents secteurs de l'économie, il convient de souligner que cette « smicardisation » du secteur privé, aussi déstabilisante soit-elle, n'est pas, pour autant, le phénomène le plus préoccupant. D'une part, cette situation a déjà été observée dans un passé récent : en 2005, la proportion de salariés rémunérés au niveau du Smic avait dépassé 16 %, avant de décroître pour se stabiliser autour de 11 %. D'autre part, l'inflation a ralenti au début de l'année 2024 pour s'établir à 2,3 % et les prévisions envisagent un niveau d'évolution des prix similaire pour les années à venir. En conséquence, la proportion élevée des salariés rémunérés au Smic est certainement conjoncturelle et devrait progressivement se réduire au fil du temps.
En outre, si les revalorisations fréquentes et élevées du Smic ont provoqué un tassement des rémunérations, elles n'en ont pas moins permis de sauvegarder le pouvoir d'achat des salariés. En 2022, le pouvoir d'achat a diminué pour tout l'éventail des salaires, sauf pour ceux au niveau du Smic, pour lesquels il a pu se maintenir.
La véritable source de préoccupation que nous devons garder à l'esprit est la « smicardisation » qui perdure à l'échelle individuelle. La stagnation salariale au cours de la carrière est le principal problème auquel nos politiques économiques ou de formation doivent remédier.
À cette fin, il convient, tout d'abord, de ne pas entraver les secteurs économiques qui, naturellement, permettent une ascension salariale importante ; nous pensons, en particulier, aux secteurs industriels. À titre d'illustration, un salarié du secteur de la métallurgie et de la sidérurgie, âgé de plus de 50 ans, gagne 1,7 fois plus qu'un salarié âgé de moins de 29 ans, tandis que ce rapport n'est que de 1,3 dans les secteurs de l'hôtellerie, de la restauration et du tourisme. Il existe donc de véritables différences d'évolution salariale entre les secteurs.
C'est pourquoi il convient, ensuite, d'apporter un soutien public ciblé sur les branches professionnelles qui, par la nature de leur secteur d'activité, ont des difficultés à offrir une progression salariale satisfaisante à leurs salariés. Pour cela, les dotations accordées par France Compétences aux opérateurs de compétences (Opco) au titre du financement des plans de développement des compétences pourraient être majorées, sous réserve de l'engagement des branches au travers d'accords qui inciteraient au développement des compétences et à la formation continue.
En outre, nous proposons que le Fonds national de l'emploi-Formation (FNE-Formation), dans le cadre du conventionnement entre l'État et chaque Opco, intègre un objectif d'aide à la progression salariale. Les crédits de ce fonds, qui sont inscrits au sein de la mission « Travail et emploi » du projet de loi de finances, sont aujourd'hui orientés vers l'accompagnement de la triple transition écologique, alimentaire et agricole, ainsi que de la transition numérique.
De la même façon, dans les secteurs d'activité qui concentrent des stagnations salariales, il convient d'encourager les perspectives d'évolution hors de l'entreprise. Pour cela, la lutte contre la stagnation salariale doit faire partie des priorités des projets de transition professionnelle (PTP), mis en place depuis le 1er janvier 2019 au bénéfice de tous les salariés. Nous ne pouvons également que saluer les initiatives de certaines branches, comme celle du bâtiment, qui structurent des écoles de formation visant à former les salariés du secteur pour en faire les cadres dirigeants des entreprises de la branche.
Enfin, un dernier levier pour désmicardiser les carrières ressort de nos travaux. Les organisations tant patronales que syndicales nous ont confirmé que la révision des classifications de branche, sans être, en soi, un outil de politique salariale, agit sur les salaires sur le temps long : la rémunération prend ainsi en compte les évolutions professionnelles et, par conséquent, reflète fidèlement la réalité des métiers. Or ces révisions sont des procédures, à la fois, lourdes à engager et longues à aboutir, ce qui explique que l'obligation d'engager une négociation sur ces classifications au moins une fois tous les cinq ans ne soit pas tenue dans toutes les branches. L'État pourrait donc aider davantage les partenaires sociaux à refondre les grilles de classification de branche en leur fournissant les données nécessaires à l'appréciation des mutations économiques des secteurs ou en finançant le recours à des cabinets de conseil ou d'avocats.
Mme Corinne Bourcier, rapporteure. - Dans le cadre de nos travaux, nous nous sommes enfin intéressées aux freins qui, indépendamment du contexte d'inflation, pèsent structurellement sur les augmentations salariales et, en conséquence, sur le pouvoir d'achat des travailleurs.
C'est un truisme qu'il nous faut pour autant rappeler : le premier frein à la revalorisation salariale relève des contraintes économiques auxquelles sont soumis les employeurs. Ces dernières tiennent d'abord à la nature des économies intégrées, qui soumettent nos entreprises à la concurrence internationale et les contraint à une modération salariale afin de conserver une compétitivité à l'export et sur le marché national. La réponse à cette concurrence pesant sur le coût du travail passe principalement par des mesures d'allègement des cotisations sociales dues par les employeurs, dont nos auditions nous ont permis de constater qu'elles pouvaient avoir un effet pervers en introduisant des seuils qui n'incitent pas l'employeur à accorder une augmentation de salaire, et parfois le salarié à la demander.
En effet, la multiplication des allègements de cotisations employeurs, qu'ils soient généraux ou qu'ils concernent les bandeaux « maladie » et « famille », ont réduit les charges patronales à 3,45 % pour les salaires au niveau du Smic, contre plus de 30 % en 1991. Par conséquent, alors que le coût horaire moyen de la main-d'oeuvre de la France figurait parmi les plus élevés d'Europe, celui-ci se situe désormais dans la moyenne européenne avec 38,3 euros brut et est proche de celui de l'Allemagne qui s'élève à 37,2 euros.
Cependant, cette politique en faveur de la compétitivité a un coût non négligeable, d'autant plus que les allègements de cotisation ont connu une dynamique forte ces dernières années - ils atteignent ainsi 73 milliards d'euros en 2022, soit une augmentation de 13,1 % par rapport à 2021 -, au point que l'Urssaf évoque un « effet d'emballement ». Lors de nos auditions, certains représentants syndicaux ont été jusqu'à estimer que ces allègements étaient devenus « le troisième budget de l'État », après le remboursement de la dette et l'enseignement scolaire. Cette assertion, discutable sur le plan comptable, invite cependant à prendre la mesure de cette dépense sociale et doit nous inciter à être d'autant plus exigeants sur son efficacité.
Cette exigence a récemment nourri de nombreux travaux, scientifiques et parlementaires, ayant trait aux réductions de cotisations pour les salaires au-dessus de 2,5 Smic. Il semble qu'un consensus s'installe concernant le peu d'effet sur l'emploi et sur la compétitivité d'une telle mesure appliquée à ce niveau de rémunération.
Néanmoins, nos auditions nous ont permis de constater qu'il fallait être prudent en matière d'évolution du système d'exonérations de cotisations sociales, car les conséquences des évolutions de taux peuvent être très diverses selon les branches professionnelles. En définitive, les allègements ont un fort effet cliquet : il est difficile de revenir sur une mesure sans mettre à mal certains secteurs. Aussi, nous proposons de renforcer l'évaluation des allègements de cotisations patronales à l'avenir, et d'envisager systématiquement l'effet des évolutions au sein des différents types de branches professionnelles, selon des objectifs précis, tels que le soutien à l'emploi ou le renforcement de la compétitivité ou de la productivité.
Cet appel à la prudence ne saurait conduire à l'immobilisme, et une évolution du système des allègements de cotisations nous semble souhaitable, notamment pour renforcer la progressivité du coût salarial. En effet, les effets de seuil propres aux allègements peuvent participer à freiner les augmentations salariales du côté de l'employeur, et parfois même du salarié.
Le coût salarial, qui détermine le coût pour l'employeur nécessaire afin d'augmenter d'un euro le salaire d'un individu, est révélateur des freins que subissent les employeurs. Par exemple, afin d'augmenter de 100 euros net un salarié qui est rémunéré à 1,2 Smic, un employeur doit y consacrer 580 euros, contre seulement 174 euros pour un salarié rémunéré à hauteur de 1,6 Smic du fait du profil des allègements.
Plus grave encore, ces effets de seuil propres aux allègements se cumulent avec des effets qui touchent directement le salarié du fait des prestations sociales sous conditions de ressources, et le conduisent parfois à refuser une augmentation de sa rémunération. Les directeurs des ressources humaines (DRH) entendus lors de nos auditions ont insisté sur la difficulté de penser cette articulation entre salaire et prestations sociales, puisque le premier est individuel tandis que les secondes sont familialisées, et de conclure avec un peu d'esprit qu'« augmentations salariales et prestations sociales ne font pas bon ménage ». Cette situation construit de réelles trappes à pauvreté, et la Fédération des entreprises de propreté a par exemple rapporté que de nombreuses mères seules n'ont pas d'autre choix que de travailler moins d'un mi-temps afin de ne pas perdre le bénéfice de certaines aides sociales.
Face à cette situation, nous ne vous proposons pas la panacée, nous souhaitons plutôt dessiner les contours d'une réforme des allègements de cotisations qui serait favorable aux augmentations salariales. Pour ce faire, une telle réforme devrait respecter impérativement trois critères.
D'abord, celle-ci devrait faire l'objet d'une concertation avec les partenaires sociaux, afin de leur permettre de contribuer à ce nouveau système sociofiscal en prenant en compte la diversité des situations connues par les branches professionnelles.
Ensuite, cette réforme doit assurer une meilleure articulation du bénéfice des allègements et de celui des prestations sociales, en raisonnant non pas sur les seuls salaires brut et net, mais en prenant en compte le revenu disponible après redistribution via les prestations sociales, afin de limiter les effets de seuil qui favorisent la stagnation salariale.
Enfin, cette réforme doit impérativement connaître une mise en oeuvre progressive, puisque seule cette prévisibilité sur une période suffisamment longue est de nature à limiter la déstabilisation pour les entreprises.
Le second frein à la revalorisation que nous avons identifié lors de nos travaux porte sur la définition même de la rémunération des travailleurs. En effet, si le salaire est défini comme la contrepartie du travail fourni indiquée dans le contrat de travail, la rémunération globale des salariés est plus large en ce qu'elle inclut les compléments du salaire et les avantages liés à la condition de salarié : primes et gratifications, prise en charge de frais professionnels, majoration liée aux heures supplémentaires et avantages en nature. Ces compléments du salaire ne peuvent s'y substituer ; ils jouent néanmoins un rôle souvent essentiel dans l'amélioration du niveau de vie des salariés, et parfois dans le sentiment d'appartenance au collectif de l'entreprise.
Nos travaux et nos propres expériences professionnelles nous ont permis de constater que c'est particulièrement le cas des dispositifs de partage de la valeur, qu'il s'agisse de participation dans les entreprises de plus de 50 salariés, d'intéressement ou d'épargne salariale. En effet, ces dispositifs permettent de fédérer les salariés dans une projection commune de l'entreprise, et constituent parfois un complément du revenu avantageux. Pour autant, les DRH auditionnés ont insisté - et nous les rejoignons - sur le fait que le partage de la valeur ne peut pas constituer une réponse à l'inflation, mais doit plutôt s'envisager dans le temps long, celui de la fidélisation et du parcours du salarié au sein de l'entreprise.
Nous avons toutefois constaté que l'ensemble de ces compléments de rémunération faisaient l'objet d'une information incomplète, et parfois déficiente, des salariés. Le bulletin de paie ne détaille ni ne comporte l'intégralité des efforts consentis par l'employeur en faveur de leur niveau de vie. Or il paraît très important que ceux-ci en aient connaissance, à la fois pour se situer, mais aussi pour favoriser les comparaisons en cas de projet de mobilité professionnelle.
Nous proposons donc de nous inspirer des initiatives de certains employeurs consistant à établir un document récapitulatif annuel de l'ensemble des efforts financiers de l'employeur pour le salarié, afin de renforcer la lisibilité de la rémunération globale. Ce document devrait mentionner le salaire ainsi que les autres éléments de rémunération, que ceux-ci relèvent de primes et gratification, d'indemnités professionnelles ou d'avantages en nature, mais également de dispositifs de partage de la valeur. Le financement de la formation professionnelle devrait également y figurer, afin que le salarié dispose d'une vision exhaustive des avantages dont il bénéficie.
Certes, un tel document constituerait in fine une charge pour l'entreprise, mais il permettrait en retour de faire valoir ses efforts sur le plan salarial, de renforcer la culture de la rémunération auprès des salariés, et donc l'attractivité de certains secteurs.
En définitive, les négociations salariales dans les branches tout comme dans les entreprises ont su s'adapter à l'inflation. Si des mesures d'ordre technique gagneraient à être prises afin de fluidifier encore davantage les négociations salariales de branche, les réformes structurelles qui doivent être mises en oeuvre portent plutôt sur les freins à l'évolution professionnelle et salariale au cours de la carrière.
D'une part, la formation professionnelle doit hisser les salariés des secteurs en difficulté à des postes plus productifs et plus demandés, afin de favoriser une progression salariale réelle au cours de la carrière.
D'autre part, la progressivité du coût salarial doit être renforcée en articulant mieux les allègements des cotisations employeurs avec le bénéfice d'aides sociales, et en renforçant la qualité de l'information des salariés sur leur rémunération.
Ces enjeux, cruciaux pour le pouvoir d'achat des salariés ainsi que pour l'attractivité des entreprises, nécessitent que l'ensemble des acteurs se mobilisent en ce sens.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Merci pour ce rapport intéressant.
Vous indiquez que les ordonnances Macron n'ont pas bouleversé la hiérarchie des normes sur la question des salaires, je m'en réjouis. Les branches jouent toujours un rôle majeur, qui bénéficie tant aux salariés qu'aux employeurs, et les négociations n'ont pas été transférées au niveau des entreprises.
Vous soulignez à juste titre que les augmentations de Smic ont permis de garantir le pouvoir d'achat des salariés. Il faut donc maintenir le seuil d'inflation de 2 % à partir duquel le Smic est automatiquement réévalué, au risque sinon de perdre en réactivité.
Je rappelle que le Smic devrait correspondre à la rémunération d'un salarié sans qualification et sans ancienneté : on ne reste pas toute sa vie au Smic !
Vous évoquez la situation de la métallurgie : si le salaire des employés en fin de carrière est 1,7 fois plus élevé que les jeunes embauchés, c'est grâce aux primes d'ancienneté, qui avaient été pourtant combattues lors de leur mise en place. J'étais consultante auprès d'Elf à l'époque. La prime d'ancienneté était appelée la « prime de l'âne », car il suffit de vieillir pour en bénéficier... Le patronat la remettait vivement en cause, alors que celle-ci révèle la dynamique des parcours : la prime d'ancienneté récompense les savoir-faire, il faut la préserver.
Mme Monique Lubin. - Je vous félicite pour la qualité et pour la richesse de ce rapport.
Toutefois, je ne partage pas nécessairement l'ensemble de vos conclusions. Pourquoi ne pourrait-on pas systématiquement rehausser les SMH à l'occasion des augmentations du Smic ? Pourquoi les unes ne pourraient-elles pas suivre les autres ? Comme Raymonde Poncet Monge, je ne suis pas d'accord avec votre proposition de relever le seuil d'inflation à 2,5 % à partir duquel le Smic est automatiquement réévalué.
Tout à l'heure, nous avons examiné le rapport de la Cour des comptes sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss) : les effets des exonérations de cotisations sociales sur les comptes de la sécurité sociale sont clairement établis. Or vous prônez la continuité de cette politique. C'est inadéquat.
Pourquoi établissez-vous une corrélation entre augmentations de salaire et prestations sociales ? J'en comprends la teneur et j'écoute les propos de certains DRH. Mais il me semble dangereux de faire un tel lien à l'occasion d'un débat relatif aux augmentations de salaire. Certes, c'est un principe de réalité - je ne vis pas sur une autre planète -, mais cela pose la question du niveau des salaires dans certaines branches. Qu'une mère de famille élevant ses enfants seule soit obligée de choisir entre un emploi à temps plein et le maintien des prestations sociales me pose problème : qu'en est-il de la juste rémunération de ces métiers, sans parler du fait que certaines personnes qui ne comprennent pas cette situation en tirent des conclusions inappropriées ?
Mme Pascale Gruny. - Merci à nos rapporteures. Le sujet est très intéressant et complexe.
Le tassement de la grille salariale vers le bas est un réel problème. Comment inciter les jeunes à évoluer dans l'entreprise si la différence de rémunération avec un nouveau venu n'est pas notable ? Cette question diffère selon les types d'entreprises et est aussi fonction de leurs résultats.
Je suis assez d'accord avec Monique Lubin : le salaire doit être rémunérateur, il est triste de s'en remettre toujours aux prestations sociales. On acquiert de la dignité lorsque l'on est au travail. Ce sujet me tient à coeur.
J'entends la position de Raymonde Poncet Monge sur la prime d'ancienneté, c'est un sujet important. Certains salariés se contentent de 1 % supplémentaire chaque année ; or cela n'incite pas à progresser au sein de l'entreprise. Par ailleurs, les jeunes ne font plus toute leur carrière au sein de la même entreprise, ils changent très souvent d'employeur, ce qui réduit de fait le montant de la prime.
Vous avez largement évoqué la question de la formation. Mais où trouver l'argent nécessaire ? Allons-nous évoquer l'éloignement de France Compétences ? Auparavant, les organismes paritaires collecteurs agréés (Opco) étaient à nos côtés pour construire les plans de formation. Nous pouvions les solliciter en cas de besoin complémentaire, ce n'est plus le cas aujourd'hui ; désormais, les entreprises regrettent d'avoir perdu en souplesse et en moyens de financement. Or la formation permet aux salariés de progresser au sein de l'entreprise.
Les niches sociales sont aussi un sujet important. Nous devrions pouvoir faire sans elles, mais la compétitivité du pays s'en trouverait amoindrie, en ces temps de dumping social. Nous devions examiner le projet de loi relatif à la simplification de la vie économique. Vous renoncez à l'objectif de simplifier le bulletin de paie, puisque vous considérez qu'il ne comporte pas suffisamment d'informations ; je vous rejoins sur ce sujet essentiel.
Mme Frédérique Puissat, rapporteure. - Nous avons auditionné toutes les branches qui avaient été clouées au pilori par le Gouvernement : non seulement celles-ci sont utiles, mais elles favorisent aussi le dialogue social. Elles ne sont pas responsables de la « smicardisation » des salaires : nous nous élevons contre ce faux débat, car nous considérons que les branches ont fait leur travail. J'ai évoqué trois cas : les FSJT, qui ont résolu le problème ; les cafétérias ; les institutions de retraite complémentaire, dont on sait que les agents ne sont pas les moins bien payés du secteur. Hormis le Gouvernement, nous sommes unanimes pour saluer le travail mené par les branches.
J'en viens à la question de la « smicardisation ». Il est en effet difficile d'évoluer au sein de certaines branches : certains salariés, s'ils y passent toute leur carrière professionnelle, auront le sentiment de stagner. Dès lors, comment faire pour augmenter les salaires ? Nous formulons des propositions ; la formation joue un rôle important et offre l'occasion aux employés de progresser dans d'autres branches ou de monter leur propre entreprise - telle est la politique menée dans le secteur du bâtiment, notamment. Ces questions sont au coeur de nos territoires : si on développe l'industrie, on améliorera le pouvoir d'achat des salariés qui travaillent dans ce secteur ; si le tissu économique est uniquement composé d'entreprises de service, c'est le contraire qui se produira. On peut regretter que des salariés du secteur de la propreté opèrent un choix entre l'augmentation de leur salaire et les aides sociales : peut-être ne faudrait-il pas mettre ces débats en parallèle, mais telle est pourtant la réalité. Le secteur est extrêmement réglementé et il est impossible aux entreprises du secteur d'augmenter les tarifs proposés dans les marchés publics, car nous tirons les prix vers le bas. Résultat : les salaires sont tirés vers le bas. Nous sommes aussi responsables.
Le Smic augmente automatiquement le 1er janvier. Mais, dans les faits, les branches conduisent des négociations et l'augmentation des SMH devient effective au mois de juin. Lorsque les augmentations automatiques de 2 % ont lieu au cours de l'année, que se passe-t-il ? Les branches disent qu'elles courent après les accords. Par conséquent, des personnes passent à côté des accords, et donc d'une augmentation salariale. Nous ne proposons pas une augmentation automatique du Smic à 2,5 %, nous proposons que les partenaires sociaux mènent des concertations afin de porter de 2 % à 2,5 % le seuil d'inflation entraînant automatiquement la revalorisation du Smic au cours de l'année. Ainsi, cela évitera que certains salariés ne bénéficient pas de hausses de salaire en cours d'année.
Par ailleurs, nous ne proposons pas d'indexer le SMH sur le Smic. Retenir cette possibilité revenait à tuer le dialogue social. Nous avons choisi de le maintenir.
Mme Corinne Bourcier, rapporteure. - Madame Poncet Monge, les primes d'ancienneté relèvent de la négociation, et donc des partenaires sociaux. Il faut aussi être attentif à la productivité de l'entreprise, qui ne permet pas toujours d'octroyer des primes aux salariés.
La mission d'information adopte le rapport d'information et en autorise la publication.
La réunion est close à 12 h 00.