- Mercredi 5 juin 2024
- Projet de loi relatif à l'accompagnement des malades et de la fin de vie - Désignation de rapporteurs
- Proposition de loi pour améliorer la prise en charge de la sclérose latérale amyotrophique et d'autres maladies évolutives graves - Examen du rapport et du texte de la commission
- Mission d'information sur la financiarisation de la santé - Audition de représentants des grands groupes d'hospitalisation privée
Mercredi 5 juin 2024
- Présidence de M. Jean Sol, vice-président -
La réunion est ouverte à 10 heures.
Projet de loi relatif à l'accompagnement des malades et de la fin de vie - Désignation de rapporteurs
M. Jean Sol, président. - L'Assemblée nationale examine actuellement le projet de loi relatif à l'accompagnement des malades et de la fin de vie, texte qui pourrait être inscrit à l'ordre du jour du Sénat au tout début de la prochaine session ordinaire. Il convient donc d'en désigner dès à présent les rapporteurs, sachant que nous débuterons nos auditions plénières sur le sujet dès la semaine prochaine.
Je vous propose, en vue de ces travaux, de désigner comme rapporteurs Christine Bonfanti-Dossat et Corinne Imbert, qui, avec notre ancienne collègue Michelle Meunier, ont rédigé le rapport d'information de la commission sur ce sujet l'an dernier.
Mme Laurence Rossignol. - Je n'ai pas d'opposition sur ces nominations, même si l'on aurait pu, compte tenu de l'importance de la question, trouver une équipe - binôme, trinôme - représentant mieux la diversité politique de notre commission des affaires sociales. Je regrette simplement que celle-ci soit la seule commission à travailler sur le texte, non pas qu'elle ne soit pas compétente, mais parce que le projet de loi ne se restreint pas au seul domaine de la santé. Ayant une portée philosophique, éthique, il méritait l'instauration d'une commission spéciale.
M. Jean Sol, président. - Nous prenons acte de cette observation, étant précisé que la commission des lois est tout de même saisie pour avis.
La commission désigne Mme Christine Bonfanti-Dossat et Mme Corinne Imbert rapporteurs sur le projet de loi relatif à l'accompagnement des malades et de la fin de vie.
Proposition de loi pour améliorer la prise en charge de la sclérose latérale amyotrophique et d'autres maladies évolutives graves - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Jean Sol, président. - Notre ordre du jour appelle l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de loi pour améliorer la prise en charge de la sclérose latérale amyotrophique et d'autres maladies évolutives graves, déposée par nos collègues Gilbert Bouchet et Philippe Mouiller.
Mme Laurence Muller-Bronn, rapporteure. - La proposition de loi qu'il nous revient d'examiner ce matin, déposée par notre collègue Gilbert Bouchet et par le président Philippe Mouiller, fait l'objet d'un soutien exceptionnellement large : elle a été cosignée par 318 de nos collègues, issus de tous les groupes politiques. Elle vise à pallier les lacunes de notre système de protection sociale pour accompagner les personnes atteintes de sclérose latérale amyotrophique, ou SLA, qui peuvent laisser dans le désarroi des familles déjà choquées par le diagnostic et frappées par les conséquences de la maladie.
La SLA, plus connue sous le nom de maladie de Charcot, est une maladie rare due à une dégénérescence progressive des motoneurones.
Son incidence est d'environ 1 700 nouveaux cas par an - 4 à 5 cas par jour -, ce qui en fait l'une des maladies rares les plus fréquentes. Cette incidence serait stable au cours du temps, même si des augmentations certaines sont constatées localement qui s'expliquent en partie par le vieillissement de la population, mais touchent aussi des individus plus jeunes.
À l'heure actuelle, il s'agit d'une maladie incurable dont l'issue est le décès du patient. L'espérance de vie des patients est de deux ans en moyenne après le diagnostic, avec de fortes variations : 10 à 15 % des malades ont une durée de vie supérieure à cinq ans après le diagnostic, et 5 % une durée de vie supérieure à dix ans.
Ainsi, la prévalence de la maladie se maintient entre 6 000 et 7 000 personnes atteintes de SLA en France, dont 56 % d'hommes et 44 % de femmes.
La SLA se caractérise par un affaiblissement progressif des muscles des jambes et des bras, des muscles respiratoires, ainsi que des muscles de la déglutition et de la parole. De multiples activités simples de la vie quotidienne deviennent progressivement difficiles ou impossibles. Toutefois, la chronologie et le rythme de progression de l'atteinte motrice sont spécifiques à chaque patient, ce qui empêche toute anticipation des besoins de compensation du handicap. Il est également complexe d'en faire un diagnostic précoce, ce qui constitue un des enjeux actuels de la recherche.
La prise en charge sanitaire des patients est organisée autour de centres maladies rares labellisés. Une filière nationale de santé maladies rares SLA et maladies du neurone moteur a été créée en 2014 dans le cadre du deuxième plan national maladies rares, afin de structurer leur coordination et de faciliter la prise en charge des personnes malades. Il s'agit de la FilSLAN, articulée autour de 22 centres de référence. Dans chaque centre, les patients sont accompagnés par une équipe pluridisciplinaire qui suit l'évolution des déficiences causées par la maladie.
Pourtant, le parcours des personnes atteintes de SLA se révèle souvent jalonné d'obstacles.
En complément de la prise en charge à 100 % de leurs frais de santé par l'assurance maladie, les personnes dont la SLA a été diagnostiquée avant l'âge de 60 ans s'adressent à leur maison départementale des personnes handicapées (MDPH) afin de demander les aides et les droits auxquels elles peuvent prétendre, notamment la prestation de compensation du handicap (PCH) pour faire face à leurs besoins d'aides humaines, d'aides techniques, ainsi que d'adaptation de leur véhicule et de leur logement.
L'attribution de la PCH relève de la compétence de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, la CDAPH. Celle-ci prend ses décisions sur la base de l'évaluation de l'équipe pluridisciplinaire de la MDPH. Cette équipe peut entendre la personne en situation de handicap, se rend sur le lieu de vie de la personne - ce n'est pas toujours le cas - et sollicite en tant que de besoin, et lorsque les personnes concernées en font la demande, le concours des centres de référence maladies rares.
L'application de ces procédures pose problème dans le cas de la SLA : qu'il s'agisse de l'ouverture des droits ou de leur actualisation, les délais de traitement des demandes apparaissent, de manière générale, difficilement compatibles avec une maladie aussi rapidement évolutive.
Si la réglementation donne un délai de quatre mois à la CDAPH pour statuer, ce délai est variable selon les départements en pratique et peut s'élever à six, voire neuf mois. Pour les demandes relatives à la PCH, la durée moyenne est de 5,9 mois, d'après le baromètre des MDPH de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Or, le protocole national de diagnostic et de soins sur la SLA recommande « des bilans réguliers adaptatifs tous les trois mois ». Des adaptations plus fréquentes sont même nécessaires dans certains cas.
Mme Corinne Féret, rapporteure. - Dans ces conditions, non seulement la prise en charge n'est pas immédiate et les familles doivent souvent avancer les frais occasionnés par la compensation des handicaps, mais les besoins de la personne peuvent avoir changé avant même que sa demande n'ait abouti. En outre, la procédure se révèle complexe pour les familles qui doivent, chaque fois qu'une adaptation est nécessaire, constituer de leur propre initiative un nouveau dossier de demande.
Il existe néanmoins des procédures d'urgence : en particulier, une procédure spécifique à la PCH permet au président du conseil départemental, en cas d'urgence attestée, d'attribuer la prestation à titre provisoire. Il statue dans un délai de quinze jours ouvrés à la demande de l'intéressé en arrêtant le montant provisoire de la prestation. Toutefois, ces procédures n'apportent pas suffisamment de garanties aux personnes concernées et restent très inégalement appliquées, même si certaines MDPH ont mis en place des bonnes pratiques qu'il faut saluer.
Par ailleurs, les besoins de compensation liés à la SLA font l'objet d'un traitement différent en fonction de l'âge de la personne.
Le bénéfice de la PCH est en effet limité aux personnes dont l'âge est inférieur à une limite fixée par décret à 60 ans. Deux exceptions à cette barrière d'âge sont cependant prévues. La première bénéficie aux personnes dont le handicap répondait, avant l'âge limite, aux critères liés aux besoins de compensation pour bénéficier de la prestation : les personnes dont la SLA a été diagnostiquée avant 60 ans peuvent ainsi continuer à bénéficier de la PCH au-delà de cet âge ; la seconde concerne les personnes qui exercent encore une activité professionnelle au-delà de cet âge limite et dont le handicap répond aux mêmes critères.
Lorsque le diagnostic de la SLA intervient au-delà de cette barrière d'âge, la personne atteinte de la maladie ne peut pas bénéficier de la PCH. Elle peut alors demander l'allocation personnalisée d'autonomie, l'APA, pour améliorer sa prise en charge. Il existe toutefois des différences majeures de prise en charge entre les deux prestations.
En effet, l'ensemble des aides attribuées au titre de l'APA est rattaché à un plan d'aide global dont le montant est déterminé dans la limite d'un plafond mensuel pour chaque groupe iso-ressources (GIR). Dans ce cadre, non seulement le plan d'aide ne permet généralement pas de financer la présence continue d'intervenants auprès du malade, mais il couvre difficilement les nombreuses aides techniques dont ce dernier a besoin.
Selon l'Association pour la recherche sur la sclérose latérale amyotrophique (ARSLA), une trentaine d'aides techniques sont nécessaires au cours de la durée de vie du patient à compter du diagnostic. L'association évalue le reste à charge total sur les aides techniques à 8 000 euros dans le cadre de la PCH et 16 000 euros dans le cadre de l'APA.
Or, la majorité des personnes atteintes de SLA sont prises en charge dans le cadre de l'APA. Les données communiquées par la FilSLAN révèlent effectivement la répartition suivante pour l'incidence de la maladie : 21 % de patients incidents de moins de 60 ans et 79 % de patients incidents de 60 ans et plus.
Si la CNSA ne dispose pas de données consolidées au niveau national sur cette pathologie, on peut donc estimer qu'entre deux tiers et trois quarts des personnes atteintes de SLA pourraient relever de l'APA.
Mme Laurence Muller-Bronn, rapporteure. - Face à ces constats, la proposition de loi vise à faciliter et améliorer l'accès aux aides des personnes atteintes de la maladie.
L'article 1er instaure une procédure dérogatoire de traitement des demandes d'adaptation du plan personnalisé de compensation du handicap, applicable dans le cas où les besoins de compensation et d'accompagnement résultent d'une maladie évolutive grave telle que la SLA. La liste des maladies concernées serait fixée par arrêté.
À la demande de la personne concernée, un membre de l'équipe pluridisciplinaire de la MDPH proposerait directement à la CDAPH, sur la base d'une prescription médicale ou de la prescription d'un ergothérapeute, les adaptations du plan de compensation du handicap nécessaires. La commission devrait statuer sur ces adaptations lors de sa première réunion suivant la réception de la demande.
Nous considérons que les spécificités de la maladie de Charcot justifient le traitement dérogatoire proposé par les auteurs de la proposition de loi.
Il semblerait toutefois prudent de mieux circonscrire le champ des pathologies concernées par ce dispositif en visant, au lieu des « maladies évolutives graves », les « pathologies d'évolution rapide et causant des handicaps sévères et irréversibles ». Cette formulation permettrait de caractériser plus précisément les spécificités de la SLA.
À la lumière de nos auditions, il nous est apparu que l'efficacité de la réponse aux besoins des personnes atteintes de telles pathologies suppose de pouvoir identifier d'emblée les dossiers qui les concernent. Elle nécessite également une meilleure coordination avec les équipes chargées de leur suivi. Nous vous proposerons donc un amendement visant à rendre systématique l'identification par la MDPH, dès leur dépôt, des dossiers relatifs à une pathologie comme la SLA et à prévoir que ces dossiers soient traités en partenariat avec les centres de référence maladies rares chargés du suivi des personnes concernées.
Ces centres disposent de leur propre équipe pluridisciplinaire, qui procède en principe tous les trois mois à une évaluation des besoins des patients. Il serait donc opportun de prévoir un accès à la procédure dérogatoire prévue par l'article 1er sur la base de l'évaluation de l'équipe de soins spécialisée du centre SLA.
Enfin, il nous semblerait utile de préciser que la procédure dérogatoire s'appliquerait dès l'ouverture des droits auxquels la personne atteinte de SLA peut prétendre en fonction de ses besoins de compensation, sans être limitée aux seules adaptations du plan de compensation du handicap.
Mme Corinne Féret, rapporteure. - L'article 2 tend à introduire une exception à la barrière d'âge de 60 ans pour le bénéfice de la PCH. Les personnes d'un âge supérieur à cette limite, mais dont les besoins de compensation résultent des conséquences d'une maladie évolutive grave telle que la SLA, pourraient ainsi bénéficier de la PCH.
La différence de traitement entre les personnes dont la maladie est diagnostiquée avant 60 ans et celles dont la maladie se déclare après cet âge a des répercussions directes sur les conditions de vie des patients et sur leurs choix thérapeutiques. La suppression de cette iniquité nous paraît donc légitime.
En conséquence, les personnes atteintes d'une telle pathologie pourraient, pour la prise en charge de leurs besoins de compensation, être accompagnées par leur MDPH et bénéficier également du dispositif dérogatoire de l'article 1er.
En cohérence avec les modifications apportées à l'article 1er, nous vous proposerons de qualifier plus précisément le champ des maladies concernées par cette suppression de la barrière d'âge.
J'estime qu'on pourrait, plus généralement, s'interroger sur le bien-fondé de cette dernière pour le bénéfice du droit à la compensation. Je rappelle que l'article 13 de la loi du 11 février 2005 prévoit que « dans un délai maximum de cinq ans, les dispositions de la présente loi opérant une distinction entre les personnes handicapées en fonction de critères d'âge en matière de compensation du handicap (...) seront supprimées ». Cette disposition est restée un voeu pieu !
D'autres enjeux relatifs à l'accès aux aides techniques ne relèvent pas de la loi, mais mériteraient aussi d'être pris en considération. En particulier, il serait pertinent de favoriser le remboursement de la location - de préférence à l'achat - pour certaines aides techniques, compte tenu de la brièveté de leur utilisation. L'importance de la formation des intervenants à domicile au maniement des aides techniques nous a également été signalée lors de nos auditions.
Enfin, l'article 3 prévoit un concours financier de la CNSA aux départements afin de compenser le surcroît de dépenses de PCH occasionné par le dispositif. Faute de statistiques sur les montants versés au titre de la PCH et de l'APA à la population concernée, nous estimons que ce surcoût devrait avoisiner 30 millions d'euros par an au total.
Mes chers collègues, ce texte suscite une forte attente de la part des familles concernées par la SLA et des associations qui les accompagnent. Nous vous invitons à répondre à cette attente en le soutenant très largement.
Mme Laurence Muller-Bronn, rapporteure. - Avant d'aller plus loin dans la discussion, il nous revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution.
Nous considérons que ce périmètre comprend des dispositions relatives au traitement par les MDPH des demandes de compensation des handicaps résultant de maladies évolutives graves, aux conditions d'attribution de la PCH en cas de maladie évolutive grave et à la compensation financière des dépenses afférentes à cette prestation par la CNSA.
En revanche, nous estimons que ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé, des amendements relatifs à la recherche sur les maladies rares, ainsi qu'à l'accompagnement de la fin de vie des personnes atteintes de SLA ou d'autres maladies évolutives graves.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. - Si je comprends bien, deux équipes pluridisciplinaires interviennent dans l'accompagnement de ces malades. Pourrait-on mutualiser et n'en avoir qu'une ?
Mme Laurence Muller-Bronn, rapporteure. - Merci pour cette question, que nous nous sommes également posée au cours des auditions. Il y a bien deux équipes pluridisciplinaires : celle qui, au sein du centre de référence, va diagnostiquer la maladie et suivre le patient tous les trois mois, et celle qui intervient dans le cadre de la MDPH. Il se trouve qu'en rencontrant les malades et les familles, nous nous sommes rendu compte que la première avait une position très médicale, sans véritable intervention en matière de conseil, d'orientation et de prise en charge des aides techniques ou humaines. D'où notre préconisation de garder ces deux équipes, qui, en définitive, n'ont pas la même fonction, tout en travaillant à l'intensification de leurs échanges. Il faudrait par exemple qu'au moment où un malade est identifié en centre de référence, l'assistante sociale du centre hospitalier envoie immédiatement les demandes d'aides, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Mme Corinne Féret, rapporteure. - Par ailleurs, nous n'avons pas la certitude que 100 % des malades aient un contact régulier avec un centre de référence. En l'état actuel des choses, il nous a donc semblé préférable de maintenir les deux équipes pluridisciplinaires.
Mme Émilienne Poumirol. - Merci à nos deux rapporteures pour ce rapport évoquant une pathologie extrêmement grave, dont l'Organisation mondiale de la santé dit qu'elle est la plus cruelle qui soit. Quand on connaît la rapidité de l'évolution de cette maladie, on ne peut effectivement que souhaiter la réduction des délais au niveau des MDPH.
Il faudrait à ce titre un modèle de formulaire spécifique, car les services de MDPH indiquent traiter les dossiers au fur et à mesure et ne prennent connaissance de la nature de la pathologie qu'à ce moment-là.
Je partage la position sur la barrière d'âge, qui est très injuste, et je suis particulièrement surprise du montant des restes à charge pour des patients qui ne devraient pas en avoir. Il faut aller plus loin sur ce point.
Il faut également travailler sur la location de matériel, ainsi que sur les aides humaines et la formation. Toutes les associations d'aide à domicile ne souhaitent pas prendre en charge ces patients, du fait de la complexité des gestes techniques à opérer, et quand, faute d'association, les patients prennent le statut d'employeur, ils sont confrontés à d'autres problèmes, comme, par exemple, les démarches et coûts liés aux fins de contrat.
M. Daniel Chasseing. - Je voudrais aussi remercier les rapporteures pour leur travail. Effectivement, il est essentiel qu'une communication soit très rapidement faite à la MDPH, dès l'établissement du diagnostic. La suppression de la notion d'âge est par ailleurs une bonne chose. Je rejoins ce qui vient d'être dit sur la formation : du fait de la lourdeur des handicaps, il faudrait avoir des personnes formées. Enfin, outre l'amélioration de l'accès aux aides, il serait important, aussi, que la décision de la MDPH enclenche un suivi dans la durée, avec, par exemple, des visites tous les trois mois du patient par une équipe pluridisciplinaire, visites susceptibles d'entraîner une réévaluation des aides.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Je remercie à mon tour nos collègues rapporteures pour le travail effectué sur cette proposition de loi qui a tout son sens, tant les familles confrontées à la maladie de Charcot vivent une situation extrêmement difficile et douloureuse.
Je pense, moi aussi, qu'il faut travailler pour supprimer tout reste à charge. Celui-ci est encore trop important. Il faut aussi continuer à travailler sur les MDPH, qui souffrent d'un manque criant de moyens humains et financiers. Je rappelle que les délais de traitement sont de 4,6 mois approximativement.
M. Xavier Iacovelli. - Dans le meilleur des cas !
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Or les personnes atteintes de SLA devraient pouvoir être prises en charge le plus rapidement possible, une fois le diagnostic posé. Au sein de mon groupe, nous voterons bien évidemment cette proposition de loi, qui est un premier pas important dans la bonne direction.
Mme Corinne Féret, rapporteure. - S'agissant de la façon d'identifier très rapidement le dossier pour un traitement en urgence par la MDPH, la notion d'urgence existe déjà : elle est matérialisée par une petite case à cocher en page 4 ou 5 du formulaire. Mais, comme cela a été rappelé, l'urgence absolue dans le cas de la SLA justifie une présentation ou un visuel particulier. On ne peut pas l'inscrire dans la loi. Toutefois, le fait de prévoir une identification immédiate, ce que nous faisons par amendement, permettra que cette proposition puisse être ultérieurement concrétisée, et ce de manière homogène, au sein des MDPH.
Mme Laurence Muller-Bronn, rapporteure. - La prise en charge suivant l'identification doit se faire en « tunnel », pour reprendre l'expression des professionnels. Cela signifie qu'il faut ouvrir tous les droits très rapidement afin d'éviter que les familles aient à monter des dossiers à chaque adaptation à l'évolution de la maladie. On en arrive ainsi à des situations où les patients reçoivent les matériels demandés après leur décès !
Précisons également que cette maladie n'entraîne pas d'affaiblissement des facultés cognitives ou certaines pathologies comme l'incontinence, ce qui limite le niveau du GIR pris en compte pour le versement de l'APA. Ce pourquoi les plans d'aide alloués dans le cadre de cette allocation ne sont pas suffisants.
Bien sûr, tout le monde souhaite que les MDPH travaillent mieux, mais les équipes sont submergées par les demandes. Pour prendre l'exemple de la MDPH de la Collectivité européenne d'Alsace, le nombre de dossiers reçus mensuellement est passé, entre la fin de l'année 2023 et aujourd'hui, de 4 000 à 5 000 dossiers, soit plus de 50 000 demandes par an. Les MDPH méritent donc toute notre attention : les demandes auxquelles elles font face touchent à l'humain et il est évidemment très difficile de ne pas pouvoir y répondre correctement.
Mme Corinne Féret, rapporteure. - Le montant du reste à charge est très élevé, même dans le cadre de la PCH. Notons néanmoins qu'il est aussi possible de solliciter l'aide du département au travers du fonds départemental de compensation du handicap et que certaines complémentaires santé proposent un accompagnement financier en matière d'équipement.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Je m'associe aux remerciements exprimés, que j'adresse tant aux auteurs qu'aux rapporteures du texte. Je vois, dans cette proposition de loi vertueuse, deux opportunités : d'abord, elle permet de parler d'une maladie qui est certes rare, mais qui est également brutale ; elle permet par ailleurs d'améliorer l'accompagnement des personnes qui en sont atteintes.
Ma première question porte sur la recherche. C'est un point important pour les familles qui, même après le décès de leur proche, s'intéressent à ce sujet. N'existe-t-il pas des centres de recherche ? Pouvez-vous donc nous dire si des recherches actuellement menées, y compris au niveau international, permettent un espoir ?
Le rapport mentionne certaines bonnes pratiques des maisons départementales des personnes handicapées ou des maisons départementales de l'autonomie. Quelles sont-elles ?
J'ai un ami qui est décédé dernièrement de la maladie de Charcot et sa femme, qui l'a accompagné pendant sept ans au domicile, est totalement épuisée. Nous enregistrons des avancées à l'heure actuelle sur le sujet des aidants, mais cette maladie est très particulière et justifierait des accompagnements très spécifiques pour les aidants.
Mme Patricia Demas. - Je salue la qualité du travail de nos rapporteures sur ce sujet, très émouvant, qui concerne tout le monde. Je rejoins Élisabeth Doineau sur la question des aidants. Ce sont eux, souvent, qui compensent les conséquences de la désertification médicale et l'absence d'offre de soins de longue durée dans certains secteurs, par exemple en kinésithérapie. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur l'accompagnement des aidants et les formations qui leur sont proposées afin qu'ils acquièrent les bons gestes et les bonnes pratiques ?
Mme Anne-Sophie Romagny. - Je souhaitais, moi aussi, aborder les questions de la recherche et des aidants, et remercie mes collègues qui les ont posées. Merci, également, aux auteurs et rapporteures du texte pour ces travaux éclairants. En complément, il me semble nécessaire de réfléchir à la manière d'assurer un accès équitable aux soins et aux traitements, indépendamment de la zone géographique : comment garantir l'application de vos propositions uniformément sur le territoire ?
Mme Frédérique Puissat. - Tout en remerciant les rapporteures, je voudrais souligner les efforts réalisés par certains départements, en période de restriction financière, pour tenter d'améliorer des délais de gestion de dossiers MDPH globalement longs pour toutes les situations. Avez-vous rencontré l'Assemblée des départements de France (ADF) ? Comment ses représentants envisageaient-ils cette proposition de loi et la façon dont vous appréhendez la gestion des dossiers MDPH ?
Je souhaite enfin, au moment où nous abordons ce sujet, avoir une pensée pour notre collègue Gilbert Bouchet, qui a porté ce texte. N'étant pas membre de la commission, il n'est pas présent ce matin parmi nous, mais je ne doute pas qu'il sera à nos côtés lors des débats en séance.
Mme Corinne Féret, rapporteure. - Les centres de référence et les centres de recherche constituent bien une même structure. Il existe aujourd'hui 22 centres sur le territoire et leur nombre pourrait augmenter dans les mois à venir. Comme nous l'avons indiqué, il n'est pas certain que tous les patients soient en relation avec ces centres, mais un effort maximal est fait pour que le lien avec l'équipe médicale soit effectif.
Par ailleurs, les travaux de recherche sont importants, en particulier en matière de recherche sur les gènes et antécédents familiaux, puisque l'on a constaté des causes génétiques pour une partie des patients. Un professeur nous expliquait que la détection de certains gènes avant que la maladie ne se déclare pourrait permettre une prise en charge beaucoup plus efficace. Ces travaux sont donc porteurs d'espoir.
Mme Laurence Muller-Bronn, rapporteure. - En auditionnant les associations et les familles, nous avons constaté que ces dernières sont très isolées et, faisant face à une maladie qu'elles ne connaissent pas, elles ignorent les bons gestes et les apprennent souvent au hasard. Rien n'est automatique en matière de formation ; or nous estimons que cela devrait l'être, d'où certains amendements que nous avons déposés. Mais tout dépend, aussi, des personnels à disposition et, nous le savons tous, il y a une réelle carence en matière de soins et de services à domicile.
Sur le traitement des dossiers MDPH, il existe effectivement des disparités entre départements : entre celui du Bas-Rhin et celui du Haut-Rhin, le délai de numérisation varie de 1 à 10 jours. Mais le problème tient bien au fait que les dossiers numérisés sont ensuite traités au fil de l'eau. J'ai l'exemple d'une famille qui, pour un diagnostic posé le 14 mars, a un rendez-vous en MDPH le 28 août. L'idée globale est donc d'identifier, de traiter en « tunnel » et de procéder par dérogation.
L'ADF est tout à fait favorable aux propositions que nous avançons. C'est l'État qui doit nous suivre maintenant... Le Gouvernement préférerait traiter le cas de cette maladie sans dérogation susceptible de créer un précédent. Telle est la nature des discussions en cours avec le ministère.
Mme Corinne Féret, rapporteure. - Puisque nous évoquons le ministère, je précise que nous avons eu une réunion de travail avec le cabinet de la ministre. Même s'ils comprennent bien la situation et la difficulté des familles, ils ne se sont pas montrés très favorables au contenu de la proposition de loi. Or nous parlons d'un texte que nous portons, au Sénat, de manière totalement transpartisane. Ayant eu la volonté politique de parler d'une seule voix sur ce sujet, nous aurions souhaité que le Gouvernement entende cette volonté commune.
Mme Laurence Muller-Bronn, rapporteure. - En réalité, à part le Gouvernement, tout le monde va dans le même sens : médecins, associations de malades et confédérations nationales d'associations, qui ont rendu un avis favorable dans le cadre du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH).
Mme Jocelyne Guidez. - Je voudrais revenir sur le sujet des aidants. Aujourd'hui, le problème le plus aigu, c'est que les gens ne connaissent pas leurs droits ni les dispositifs auxquels ils peuvent avoir accès. Je vous invite, en particulier, à regarder ce qui figure dans le petit livret de l'Agirc-Arrco.
Mme Laurence Muller-Bronn, rapporteure. - Nous avons aussi constaté le dynamisme des associations, beaucoup plus réactives que l'État ou les départements. Elles possèdent, par exemple, des parcs de matériel et apportent beaucoup plus rapidement tout ce qu'il faut pour aider le malade que nos organismes et institutions nationales ou départementales.
EXAMEN DES ARTICLES
Mme Laurence Muller-Bronn, rapporteure. - L'amendement COM-1 vise à rendre systématique l'identification par la MDPH, dès leur dépôt, des dossiers relatifs à une sclérose latérale amyotrophique pour permettre leur traitement en priorité.
En outre, il prévoit que ces dossiers doivent être traités en partenariat avec les centres de référence maladies rares chargés du suivi et de la coordination du parcours des personnes atteintes de SLA.
Enfin, il a pour objet de préciser le champ des maladies concernées par ce traitement prioritaire, en les qualifiant de « pathologies d'évolution rapide et causant des handicaps sévères et irréversibles ».
L'amendement COM-1 est adopté.
Mme Laurence Muller-Bronn, rapporteure. - L'amendement COM-2 tend à permettre l'application de la procédure dérogatoire prévue à l'article 1er, non seulement aux adaptations du plan de compensation du handicap, mais aussi à l'ouverture des droits auxquels la personne atteinte de SLA peut prétendre au fil de l'évolution de sa maladie.
L'amendement COM-2 est adopté.
Mme Laurence Muller-Bronn, rapporteure. - Avec l'amendement COM-3, nous proposons l'application de la procédure dérogatoire proposée à l'article 1er sur le fondement de l'évaluation de l'équipe spécialisée du centre de référence SLA. Ces centres disposent effectivement de leur propre équipe pluridisciplinaire, qui procède tous les trois mois à une évaluation des besoins des patients. Nous entendons ainsi renforcer la coordination entre les centres SLA et les MDPH afin d'optimiser le temps de réponse aux besoins des malades.
L'amendement COM-3 est adopté.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Corinne Féret, rapporteure. - L'amendement COM-4 tend à préciser, en cohérence avec les modifications proposées à l'article 1er, le champ des pathologies concernées par la suppression de la barrière d'âge pour bénéficier de la PCH. Il s'agit, suivant l'esprit de la loi du 11 février 2005, de caractériser cette situation en fonction du retentissement de la pathologie sur la vie des personnes.
L'amendement COM-4 est adopté, de même que l'amendement rédactionnel COM-5.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Articles 3 et 4
Les articles 3 et 4 sont successivement adoptés sans modification.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
TABLEAU DES SORTS
La séance débute à 11 heures 05.
Mission d'information sur la financiarisation de la santé - Audition de représentants des grands groupes d'hospitalisation privée
M. Jean Sol, vice-président de la Commission des affaires sociales. - Nous poursuivons nos travaux par une audition commune de représentants de grands groupes d'hospitalisation privée dans le cadre de la mission d'information sur la financiarisation de l'offre de soins. Nous accueillons ainsi :
- Monsieur Pascal Roché, Directeur Général du Groupe Ramsay Santé ;
- Monsieur Sébastien Proto, Président exécutif du Groupe Elsan ;
- Monsieur Daniel Cahier, Président fondateur du Groupe Vivalto Santé.
Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation et de l'éclairage que vous pourrez nous apporter.
Il est précieux car la présence de grands groupes privés est ancienne dans le secteur de l'hospitalisation privée, la part du privé à but lucratif, représentant environ 30 % de l'ensemble de l'offre hospitalière en France.
De plus, vos groupes sont susceptibles de participer à la restructuration en cours dans d'autres professions, notamment au travers de la reprise de cabinets. Votre vision pourra donc porter, le cas échéant, au-delà du seul segment des établissements de santé privés.
Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est retransmise en direct sur le site du Sénat et sera disponible en vidéo à la demande.
Je vous laisse la parole pour un propos introductif, puis les membres de la commission vous interrogeront, en commençant par les rapporteurs de la mission d'information, Corinne Imbert, Olivier Henno et Bernard Jomier.
M. Pascal Roché, directeur général du groupe Ramsay Santé. - Ramsay Santé est un groupe d'hospitalisation privée et de centres de soins. Nous sommes présents dans cinq pays en Europe. Je le dirige depuis douze ans.
En France, Ramsay Santé est une entreprise à mission. Son comité de mission est présidé par Monsieur Martin Vial. Nous avons 133 établissements de soins, en médecine, chirurgie, obstétrique (MCO), en soins médicaux et de réadaptation (SMR) et en santé mentale. Nous prenons en charge environ 4 millions de patients chaque année.
En termes de chirurgie, nous opérons un Français sur neuf dans un peu plus de 900 salles d'opération. Nous accueillons tous les patients, pour toutes les pathologies. Nous sommes par exemple le premier offreur de soins en Seine-Saint-Denis, avec sept établissements, qui sont tous en déficit.
Notre groupe est coté pour 1 % de son capital. Par conséquent, nos comptes sont publics, certifiés, soumis à l'Autorité des marchés financiers (AMF).
Plus de 10 % des patients que nous prenons en charge relèvent de la protection universelle maladie (Puma). En Seine-Saint-Denis ou à Trappes le ratio est de 17 ou de 18 %.
Nous réalisons beaucoup d'actes lourds. Nous disposons de 224 autorisations en cancérologie et nous sommes le premier acteur en cardiologie interventionnelle lourde.
Pendant le covid, nous avons joué un rôle complémentaire avec le secteur public à la demande du gouvernement.
En Île-de-France, nous sommes passés en 3 semaines de 225 lits de réanimation à près de 600 lits. Nous avons ainsi pu prendre en charge en réanimation 18 % des patients covid de la région. En France, nous avons pris en charge près de 20 000 patients en réanimation. Le Premier ministre Jean Castex est d'ailleurs venu dans un de nos établissements pour remercier notre groupe et, à travers notre groupe, l'hospitalisation privée pour son implication dans la gestion de la crise covid.
Être un groupe nous a permis de prendre des décisions fortes. Par exemple, le 2 avril 2020, soit 3 semaines après le démarrage du covid, nous avons pris la décision de transférer quasiment l'intégralité de nos stocks de curares, de propofol et de respirateurs de nos hôpitaux en régions, par exemple de Biarritz ou de Bayonne, où le covid était encore très faible, vers nos établissements en Île-de-France. Des centaines d'infirmières et d'aides-soignantes sont également venues renforcer nos équipes en Île-de-France et en région Rhône-Alpes.
Nous avons des centaines d'accords avec l'hospitalisation publique, que ce soit l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) ou les Hospices civils de Lyon (HCL), puisque notre groupe est essentiellement présent dans les grandes villes.
Nous avons deux actionnaires à long terme depuis plus de dix ans, Ramsay Health Care, groupe australien d'hospitalisation privée comme premier actionnaire, et le Crédit Agricole. Ces deux actionnaires ont depuis 10 ans investi 2,5 milliards d'euros dans des salles hybrides, des robots, etc. et ne se sont pas versés un seul euro de dividende.
M. Sébastien Proto, président exécutif du groupe Elsan. - Le groupe Elsan réalise 10 % du total des séjours d'hospitalisation publics et privés en France, avec des dominantes fortes, notamment la cancérologie. Nous sommes le deuxième acteur du cancer en France, derrière les centres de lutte contre le cancer. Un patient sur huit est opéré du cancer dans l'un de nos établissements.
Le groupe est présent sur tous les segments, en particulier sur la médecine, la chirurgie, l'obstétrique, les soins de suite et de réadaptation, la dialyse, la chimiothérapie et l'hospitalisation à domicile. Nous sommes un acteur de territoire, avec 3 établissements en Île-de-France et plus de 200 dans les territoires. C'est un élément très structurant, caractéristique du groupe.
Nous sommes un groupe de santé privé auquel on accole le terme « lucratif », mais nous sommes d'abord un acteur de santé dans les territoires. Notre échange nous permettra de montrer l'apport des groupes de santé privés en complément des acteurs indépendants. Un groupe, compte tenu de son assise, de son nombre d'établissements permet, à rebours des idées reçues, de maintenir l'offre dans les territoires. À la fin de l'année 2023, 40 % de nos établissements étaient en perte. En Bretagne, la plupart de nos établissements sont en perte, en Seine-Saint-Denis, notre établissement qui joue un rôle majeur d'appui à l'hôpital public, enregistre des pertes très importantes.
Cependant, nous sommes en capacité de maintenir ces établissements alors qu'ils sont en perte et que le nombre d'établissements en perte augmente parce que nous sommes un groupe. La profonde dégradation économique du secteur de l'hospitalisation privée est inquiétante. Si nos établissements en perte étaient des acteurs indépendants, ils auraient fermé depuis de nombreuses années. Le fait d'être un groupe permet de faire jouer des complémentarités et de maintenir l'accès aux soins dans des territoires qui sont généralement des déserts médicaux, avec des densités professionnelles de santé plus faibles que la moyenne nationale et, dans certains cas, nous sommes le seul offreur de soins, en particulier vis-à-vis des populations âgées. Le groupe a donc la capacité de protéger et maintenir l'offre de soins.
Un groupe, c'est aussi une capacité d'investissement plus forte qu'il faut protéger. Le groupe Elsan investit chaque année 170 millions d'euros pour ses équipements médicaux et pour l'innovation. Pour un groupe qui n'est présent que dans les territoires, cela signifie apporter l'innovation et l'excellence médicale dans ces territoires. Par exemple, dans le domaine de la chirurgie, nous disposons de robots qui sont indispensables aujourd'hui pour attirer les professionnels de santé et suivre l'évolution de la technologie.
Les groupes permettent aussi d'accélérer la transformation du système hospitalier. Le secteur hospitalier privé a massivement basculé dans l'ambulatoire, avec un taux d'ambulatoire supérieur de 25 points de pourcentage à celui de l'hôpital public. C'est le résultat d'un effort de transformation et d'investissement. Les groupes ont guidé cette transformation.
Enfin, au-delà du débat sur la notion de financiarisation, que je ne partage pas pour l'hospitalisation privée, quelques enjeux me semblent importants. Je suis très préoccupé par la fragilisation croissante du secteur de l'hospitalisation privée. C'est un élément de contexte grave, il est structurel et inquiétant. Certaines activités sont particulièrement affaiblies, comme la maternité, les urgences, les services de soins critiques et même les activités de médecine pour des raisons de financement. Le cadre de régulation reste problématique et nous espérons que la mise en place d'un cadre pluriannuel sera de nature à protéger l'offre de soins dans les territoires. Enfin, il y a un enjeu majeur en termes de coopération entre le secteur public et le secteur privé. Dans bien des cas, elle est indispensable pour garantir le maintien des activités, d'un côté ou de l'autre, dans les territoires.
M. Daniel Caille, président fondateur du groupe Vivalto Santé. - Je suis dans ce métier depuis 35 ans. J'ai recréé le groupe Vivalto Santé il y a une quinzaine d'années, à partir de la Bretagne. Nous sommes un groupe essentiellement provincial, avec quelques établissements dans les Yvelines. Je l'ai créé avec des médecins actionnaires et avec d'autres investisseurs. Je pratique donc depuis 15 ans la recherche du bon investisseur.
Je ne vais pas vous raconter l'évolution du secteur parce que cela nous emmènerait un peu loin, mais l'évolution est irrémédiable, avec un transfert de génération, avec des investissements, considérables à réaliser dans nos établissements, comme l'ont très bien dit M. Roché et M. Proto. Ces investissements représentent 5 à 6 % de notre chiffre d'affaires. Notre métier c'est d'investir ; le résultat est une variable qui permet d'investir. S'il n'y a pas de résultat, nous ne pouvons pas investir.
Vivalto Santé est un acteur européen, le sixième ou septième. Le groupe est plus petit que Ramsay ou qu'Elsan de l'ordre de 40 %, avec 52 établissements en France et une centaine au Portugal, en Espagne, en Suisse, en Tchéquie et en Slovaquie, ce qui représente à peu près 20 000 personnes. Ce groupe a grandi parce qu'il crée du sens et de la valeur, à la fois médicale et économique. Le capital est réparti entre 1 000 médecins actionnaires sur un total de 3 000 en exercice, qui sont devenus investisseurs.
Nos établissements ne sont pas du tout régulés comme des sociétés d'exercice libéral (SEL). Nous ne sommes pas dans le monde de la radiologie ou de la biologie. Ce sont des sociétés par actions simplifiées (SAS) confrontées au problème de la transmission au moment du départ des médecins fondateurs. Les nouveaux médecins veulent bien investir leur épargne mais ils ne sont pas capables de prendre la suite. Le groupe a été créé pour se substituer aux médecins fondateurs.
Vivalto Santé a toujours considéré qu'il fallait marcher sur deux pieds avec l'hôpital public. Nous sommes donc préoccupés par le sort de l'hôpital public et nous aimerions que celui-ci le soit autant par le nôtre.
Ce que disait M. Proto est tout à fait vrai : sur les territoires, face à des problématiques concrètes de prise en charge, il n'y a pas de tension entre l'hôpital public et l'hôpital privé. Il peut y avoir des tensions de compétition avec les CHU, il peut y avoir une compétition marginale de parts de marché dans les grandes villes, mais dans les déserts médicaux, nous sommes beaucoup plus dans la complémentarité que dans la concurrence.
Mon actionnariat est composé de banques, BNP Paribas, Crédit Agricole et Arkea, d'un assureur, la MACSF, et la Bpifrance. 85 % du capital non-médecin est détenu par des acteurs français.
Nous sommes devenus il y a 4 ans la première entreprise à mission. L'un des garde-fous du système est de mettre des valeurs, du sens et du contrôle là où c'est nécessaire, de dire à quoi nous servons, c'est-à-dire à accompagner et à soigner nos patients tout au long de leur parcours de soins et de vie. Tout cela est bien distinct du rôle de l'actionnaire. Le président du comité de mission a un rôle important à jouer dans l'expression de la satisfaction de notre mission, qui se décline dans quatre secteurs : le patient, le médecin, les salariés et l'environnement.
Notre système se caractérise par ce grand garde-fou de l'entreprise à mission, qui est extrêmement contraignant dans les objectifs chiffrés, et par une gouvernance partagée, avec cinq administrateurs sur onze qui sont médecins. Toutes les décisions stratégiques sont prises par le corps médical qui est rémunéré en honoraires. C'est un poids considérable de surveillance de la qualité de l'outil puisque c'est elle qui leur permet de travailler.
Le développement européen était nécessaire parce que le risque financier en France est devenu énorme, avec une visibilité très faible. Nous devons bien sûr rendre des comptes sur l'utilisation des deniers publics mais nous devons aussi rester attractifs pour les investisseurs qui nous accompagnent dans notre développement. L'absence de visibilité, la situation assez dramatique de nos comptes - 40 % de nos cliniques sont en déficit - fait qu'aujourd'hui l'attractivité du secteur est extrêmement faible. Ce n'est pas inquiétant à très court terme, mais c'est inquiétant à moyen terme. Sans critères de visibilité et de programmation pluriannuelle, sans critères de stabilité au-delà de l'arbitrage de Bercy qui tombe chaque année, nous aurons une énorme difficulté à continuer et le processus de restructuration du secteur s'arrêtera. C'est un vrai cri ! Aujourd'hui, je suis incapable de réaliser une sortie de mes investisseurs et d'en trouver de nouveaux. La stabilité, ce sont les médecins et moi, mais cela n'a qu'un temps, la loi de l'argent est toujours plus forte.
L'attractivité, la visibilité, la capacité à rentrer dans un schéma durable de partenariat public-privé, la nécessité de moderniser l'hôpital public, de faire de la marche en avant économique et non pas simplement de la protestation budgétaire de fin de mois, ce sont nos équations. L'équation de Bercy est contrainte et elle le sera malheureusement de plus en plus.
Mme Corinne Imbert, rapporteur. - Je vous remercie Messieurs pour vos propos introductifs.
Dans son dernier rapport, l'Assurance maladie indique que « si l'objectif final des acteurs financiers demeure la rémunération du capital investi, cet objectif peut être aligné de manière temporaire ou durable avec les objectifs des politiques publiques et donc constituer un levier de transformation de l'offre de soins ».
En parallèle, la Cour des comptes a pointé dans un rapport de l'été 2023 sur les logiques de complémentarité et de concurrence entre les établissements de santé publics et privés une implantation très inégale du secteur privé lucratif dans les territoires, avec une concentration marquée dans des grandes agglomérations, sur le pourtour méditerranéen et en Île-de-France. J'ai bien entendu combien vous avez insisté sur les territoires, mais quand on regarde la carte de France, on a quand même une concentration sur ces régions. Dans ce contexte, peut-on vraiment dire que vos groupes contribuent à favoriser l'accès aux soins des patients ?
Par ailleurs, la nette répartition des activités et des actes entre le secteur public et le secteur privé lucratif, qui est également relevée par la Cour des comptes, s'est-elle accentuée sous l'effet de la financiarisation ? La situation des maternités est un exemple assez éclairant, avec un doublement ces 20 dernières années du nombre de départements sans aucune maternité privée.
Plus largement, quelle est votre politique de rachat, de concentration, de choix ou d'abandon de certaines activités et votre politique en termes de ressources humaines ? Quand vous choisissez d'arrêter une activité, discutez-vous avec l'hôpital public du territoire des effets de cette décision sur le territoire ? Je pense par exemple à la fermeture d'une maternité réalisant plus de 1 000 accouchements et à ses conséquences en termes de surcharge pour l'hôpital public.
M. Pascal Roché. - En France, plus de 90 % de notre activité est payée par l'État. C'est une chance et une responsabilité. En ce moment, c'est une difficulté puisque l'ensemble du groupe est déficitaire. Nous devons être des gestionnaires responsables des deniers publics avec, en moyenne, une qualité des soins meilleure qu'à l'hôpital public. Comme vous le savez, pour le même patient, la même pathologie, nous sommes en moyenne payés à peu près 25 % de moins que l'hôpital public. Par ailleurs, les frais de personnel représentent à peu près 50 % de nos coûts. Pour la même infirmière, nous payons 10 points de charges sociales en plus. Cela crée des contraintes très fortes. Nous sommes donc de facto gestionnaires responsables des deniers publics et la Haute Autorité de Santé montre, qu'en moyenne, l'hospitalisation privée offre une meilleure qualité de soins. Nous ne sommes pas parfaits, il peut arriver ce que nous appelons pudiquement des événements indésirables graves.
Vous interrogez notre présence sur les territoires dans certaines activités. Comme l'a souligné Sébastien Proto, nous sommes avant tout payés par l'État. Nous sommes aujourd'hui structurellement sous-financés au regard de l'inflation, de l'Objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM), etc. Paradoxalement, plus nous traitons des pathologies lourdes, plus nous sommes en déficit.
Notre groupe est le premier acteur privé avec près de 9 000 médecins libéraux en France en cardiologie interventionnelle, en cancérologie, etc. Nous avons le premier centre de neurochirurgie en France avec l'hôpital Clairval à Marseille qui réalise plus de 12 000 interventions par an. Depuis 12 ans que je dirige ce groupe, malgré les difficultés, bien que nous soyons déficitaires, nous n'avons pas rendu une seule autorisation de cancérologie. Nous considérions que c'était notre rôle et nous assumions jusqu'à maintenant d'avoir 35 % ou 37 % de cliniques en déficit. Cependant, comme l'a bien exprimé Sébastien Proto, la situation est en train de changer. En 12 ans, nous n'avons mis un terme qu'à un partenariat public-privé à Giens car nous ne parvenions plus à recruter des anesthésistes pour notre bloc obstétrical ouvert en permanence. Nous avons discuté avec le centre hospitalier régional (CHR) d'Orléans pour transférer les activités, les salariés, etc. Le chiffre d'affaires, qui était d'environ 9 millions d'euros, est monté le lendemain à 13 millions d'euros, puisque, pour le même patient, la même pathologie, le public est mieux payé.
Nous n'avons jamais rendu d'activité. En Île-de-France, notre nombre de patients bénéficiaires de la Puma augmente structurellement, depuis 7 ans. Nous sommes le seul hôpital à Trappes, où nous enregistrons 55 000 passages aux urgences. Nos 7 hôpitaux en Seine-Saint-Denis font plus d'activité que l'AP-HP à Avicenne et sont structurellement déficitaires.
Dans les années 60, plus d'un bébé sur deux naissait en France dans une maternité privée. Aujourd'hui, ce chiffre est tombé à 18 %. Dans 39 départements, il n'y a plus de maternité privée. Ramsay dispose de 24 maternités dans lesquelles naissent 29 000 bébés. Nous en avions 30 il y a 5 ans. Sur le plan médical, en dessous de 550 naissances par an, en termes de présence de gynécologues obstétriciens, de sages-femmes, etc., nous considérons que nous mettons en risque les parturientes. Pour ces 6 maternités, notamment à Valence ou à Vert Galant en Seine-Saint-Denis, nous avons discuté avec l'hôpital public et avec le soutien de l'agence régionale de santé (ARS), nous lui avons transféré notre activité.
Compte tenu du décret périnatalité de 1998 qui fixe les conditions techniques de fonctionnement de ces activités, je pense que dans 20 ans, moins d'un bébé sur 10 naîtra dans le privé. C'est dommage pour notre pays car, comme l'a très bien exprimé M. Proto, les deux systèmes sont complémentaires en termes d'agilité et de flexibilité. Ce décret a classé les maternités en niveaux 1, 2 ou 3. Il y a 68 maternités de niveau 3, dans les CHU et les CHR. La Cour des comptes dit de manière régulière que près de deux tiers des bébés qui naissent en maternité de niveau 3 auraient pu naître dans une maternité de niveau 1 ou 2. Les acteurs privés n'ont pas accès au niveau 3 même s'ils disposent de services de néonatologie et font de la recherche clinique. Dans un monde d'anxiété, de plus en plus de couples veulent aller vers ces maternités de niveau 3.
M. Sébastien Proto. - Le groupe Elsan est vraiment un acteur de territoires. Nous sommes présents dans des villes de taille moyenne, voire dans des petites villes. Notre dernière grosse acquisition, le groupe C2S en Bourgogne-Franche-Comté, nous a permis de nous renforcer dans cette région avec des établissements dans des petites villes ou des villes de taille moyenne. Nous resterons un acteur des territoires. Nous ne sommes pas implantés à Paris sur les activités de MCO ou de soins de suite et de réadaptation et notre présence à Lyon et à Marseille est très limitée. Nos établissements sont à Dol, Lons-le-Saunier, Limoges, Albi, Perpignan, à Céret, etc.
Quels sont les critères pour fermer une activité et nous désengager ? Le groupe dispose de 25 maternités et d'une trentaine de services d'urgence. Quand devons prendre une décision sur une activité, c'est parce que le fondement sanitaire n'est plus respecté, ce ne sont jamais des fermetures sèches. Dans l'un de nos établissements à Avignon, nous avons une maternité dans laquelle il nous reste trois gynécologues obstétriciens. Avant 2010, elle réalisait 1 800 accouchements par an. Elle en fait désormais 900. Les femmes accouchent à un âge en moyenne plus élevé, vont plutôt dans des maternités de niveau 2B ou 3, ce qu'on peut comprendre. Or, les maternités de l'hospitalisation privée sont majoritairement de niveau 1 et quelquefois de niveau 2. Nous sommes donc beaucoup plus impactés par la baisse des naissances que l'hospitalisation publique.
Nous sommes également confrontés à la pénurie de gynécologues obstétriciens qui frappe l'ensemble du territoire, en particulier les villes de taille moyenne et les petites villes. Nos trois gynécologues obstétriciens doivent assurer le même nombre de gardes que s'ils étaient six. Il est évident que cette situation leur pose un problème. Par ailleurs, pour payer l'assurance dont le coût peut aller jusqu'à 40 000 euros par an, il faut qu'ils fassent plus de 100 accouchements par an. Ce contexte conduit inéluctablement à vider nos maternités de leurs dernières forces, les gynécologues obstétriciens et les pédiatres.
Si notre motivation était d'abord économique, ce que j'entends souvent, nous aurions fermé de nombreuses maternités. En effet, les deux-tiers de nos 25 maternités sont en déficit. Quand c'était nécessaire, dans un nombre de cas extraordinairement limité, nous avons discuté, sous l'égide de l'ARS, avec le centre hospitalier pour mettre en place des regroupements. Ce sera le cas à Avignon, après des mois de discussions. À aucun moment il n'y a eu de fermeture sèche, nous ne vidons pas un territoire de son offre en matière de périnatalité. Le même raisonnement vaut concernant les services d'urgence, quand nous avons l'obligation de fermer des urgences la nuit, parce que nous n'avons plus de médecins urgentistes en nombre suffisant pour assurer les gardes. Mais ce ne sont pas des raisonnements économiques, quel que soit l'actionnariat.
Le groupe Elsan a beaucoup d'actionnaires, français et étrangers, le premier actionnaire est KKR, qui détient 40 % du capital, CVC est le deuxième, puis nous avons Thétys, qui un actionnaire de très long terme dans la santé, AXA, la famille Mérieux, le fonds d'investissement Ardian et CNP Assurances. Le groupe Caisse des Dépôts est donc actionnaire d'Elsan, comme de Ramsay Santé et de Vivalto Santé. Il a accès, comme l'ensemble des actionnaires, aux décisions que nous prenons.
Vous nous interrogez sur notre politique en termes de concentration, de rachat ou d'abandon d'activité. Notre groupe s'est développé sur le postulat d'avoir, sur chaque territoire sur lequel nous sommes implantés, une offre large et cohérente. Nous voulons être présents de la fonction de diagnostic, d'imagerie, à l'acte de médecine, de chirurgie, d'obstétrique, jusqu'au retour à domicile en passant par les soins de suite.
Les conditions économiques du secteur se sont tellement dégradées que les opérations de croissance externe ne se font plus, ou alors de manière marginale. Le groupe Clariane vient de céder son activité d'hospitalisation à domicile. Elsan est le premier acteur du marché de l'hospitalisation privée à domicile, et donc le premier acteur de soins palliatifs en hospitalisation à domicile. L'hospitalisation à domicile de Clariane a été rachetée non pas un acteur privé lucratif, mais par une fondation, un acteur non lucratif, qui, paradoxalement, a les moyens de réaliser cette opération.
M. Daniel Caille. - Rappelez-vous que tout ce qui n'est pas autorisé est interdit dans le monde de la santé, sur la totalité de nos activités. La concentration est liée aux besoins des grandes métropoles qui ne pouvaient pas être comblés par les structures publiques. L'Assurance maladie, qui avait la main sur le secteur libéral et privé, a autorisé ces créations. Les établissements ont été créés par des entrepreneurs médecins. La concentration est le résultat des besoins identifiés, ce n'est pas une volonté des acteurs.
Le désastre que nous vivons sur les maternités a été programmé depuis très longtemps. Le secteur public a bénéficié de moyens d'investissements considérables pour rénover ses maternités et obtenir les autorisations 2A, 2B et 3. Nous n'en avons pas bénéficié, la compétition est inégale. Sur nos 10 maternités, seules 6 devraient survivre. Pour les 4 autres, nous discutons avec les ARS qui sont bien informées de la situation. La concentration des maternités s'opère par la volonté des ARS de rationaliser l'offre de soins au regard de la baisse de la démographie médicale.
M. Olivier Henno, rapporteur. - La financiarisation n'est pas le diable à nos yeux. Nous essayons de comprendre ce qui est bousculé par ce phénomène et si la qualité des soins est affectée. Notre système de santé repose depuis longtemps sur la combinaison de la médecine publique et de la médecine libérale.
Est-ce que la financiarisation et son développement bousculent la pratique libérale traditionnelle, qui repose sur la responsabilité personnelle, sur l'autonomie notamment dans l'organisation des charges de travail ? Quel regard portez-vous sur le communiqué du Conseil de l'Ordre des médecins qui appelle à stopper le processus de financiarisation en interdisant de manière rétroactive la participation de tiers non professionnels dans les sociétés d'exercice libéral (SEL) médicales ?
Ma deuxième question s'adresse au groupe Ramsay. Vous avez été en négociation pour la reprise de six centres de santé de la Croix-Rouge mais le projet n'a pas abouti. Comment vous voyez votre développement dans les soins primaires ?
Enfin, nous sommes confrontés à une obligation de régulation. Notre pays dépense 12 % de son PIB pour la santé, alors que les autres en dépensent 10 %. Or, la satisfaction des usagers est modérée, leur regard est plus critique. Un déficit de 17 milliards d'euros est envisagé d'ici 2027, nous ne pouvons pas continuer dans cette voie au regard de nos responsabilités pour les générations à venir. Quel regard portez-vous sur la nécessaire et indispensable régulation de notre système de santé ?
M. Bernard Jomier, rapporteur. - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation, le quatrième grand groupe d'hospitalisation qui avait été convié l'a déclinée.
Notre sujet est bien la financiarisation et non les rôles respectifs du secteur public et du secteur privé. Le fonds KKR est arrivé au capital d'Elsan en 2020 dans le cadre d'un LBO de 3,3 milliards d'euros. KKR est devenu l'actionnaire de référence avec 42 % du capital, en s'engageant pour une durée de 5 à 6 ans, ce qui est cohérent avec les pratiques du secteur. KKR a remplacé un autre fonds, CVC Partners, afin d'accroître les investissements du groupe. Fin 2020, Elsan a racheté le groupe C2S, implanté en Rhône-Alpes et en Bourgogne-Franche-Comté pour 400 millions d'euros. À l'époque, l'investissement dans les nouvelles technologies a été mis en avant, mais une grande part des fonds injectés par KKR a été utilisée pour racheter d'autres cliniques.
En avril 2022, le même fonds KKR a déclenché, pour 15 milliards de dollars, une OPA sur 100 % du capital de Ramsay Health Care qui détient 53 % du capital de Ramsay Santé. Il y a eu de nombreuses réactions et la presse a souligné que l'Autorité de la concurrence pourrait s'opposer à l'opération. Au mois d'août 2022, KKR a retiré son offre. Si l'opération avait abouti, KKR aurait été l'actionnaire de référence d'Elsan et aurait détenu la totalité de Ramsay Santé.
Ce capitalisme financier, cette financiarisation, présentent-ils un risque de constitution a minima d'oligopoles, voire de monopoles dans le domaine de la santé ?
Certains de vos groupes communiquent de façon régulière sur leur chiffre d'affaires, il faut saluer cette transparence. Celui de Ramsay a augmenté de plus de 9 % en 2023. En revanche, nous ne connaissons pas l'évolution de vos bénéfices nets, nous ne connaissons pas la part des bénéfices réinvestis dans le secteur de la santé en France ni la part qui sert à rémunérer les actionnaires ou qui est réinvestie à l'étranger. Or, c'est un enjeu crucial parce que, comme vous l'avez rappelé, 90 % des recettes de vos établissements proviennent de l'Assurance maladie, c'est-à-dire de prélèvements obligatoires sur les Français. Ces prélèvements obligatoires sont-ils transformés en pensions de retraite pour les citoyens américains ou australiens ? Je vous vois hocher négativement de la tête mais lors des auditions précédentes, tous les acteurs qui s'intéressent à la financiarisation, notamment les économistes de la santé, ont répondu oui à cette question, sans être capables de dire si c'était un phénomène marginal ou plus important, puisqu'il n'est pas possible de trouver ces informations. Il n'est pas normal de ne pas pouvoir y accéder alors qu'il s'agit d'argent provenant des prélèvements obligatoires des Français. La question se pose donc aussi pour les élus.
Je vous remercie de nous indiquer quelle est la part des bénéfices réinvestis en France dans le secteur de la santé.
M. Pascal Roché. - Ramsay Santé étant coté en bourse, nous publions un document d'enregistrement universel (DEU) de 334 pages, qui est soumis à l'Autorité des marchés financiers (AMF). Nos comptes sont certifiés par les cabinets Deloitte et EY. L'an dernier, notre bénéfice s'est élevé à 49 millions d'euros pour un chiffre d'affaires de 4,9 milliards, soit moins de 1 % de résultat net, ce qui est très faible. Nos investissements sont décrits dans les états financiers qui figurent dans le DEU. Nous avons investi 243 millions d'euros dont 217 millions en France. Je vous confirme que depuis 10 ans il n'y a eu aucun versement de dividendes aux actionnaires. À fin décembre, notre perte dans les cinq pays d'Europe dans lesquels nous sommes présents était de 17 millions d'euros. Malgré cela, avec le support de notre conseil d'administration et de notre administratrice référente Anne-Marie Coudert, nous avons continué à investir plus de 200 millions d'euros, notamment dans nos 900 salles d'opération en France et dans des robots. Nous venons d'investir 5 millions d'euros au sud de Paris, dans l'hôpital Jacques Cartier, qui est le premier hôpital d'Europe d'IRM-Coeur, et le neuvième hôpital dans le monde en pose de TAVI (Transcatheter Aortic Valve Implantation), avec 53 cardiologues qui accueillent des praticiens en formation complémentaire du monde entier.
KKR n'a pas déclenché d'OPA sur Ramsay Health Care. Le fonds a envoyé une offre non engageante et au bout de six mois, les deux acteurs ont mis fin aux discussions. Si elles avaient abouti, KKR ne serait pas devenu le seul propriétaire de Ramsay Santé, puisque le Crédit Agricole est un actionnaire très important de notre groupe.
Sur les soins primaires, nous avons une stratégie. Je serai encore la semaine prochaine en Suède. Tout n'est pas parfait dans le système suédois, mais dans nos 130 centres de soins primaires, nous prenons en charge un million de Suédois, dans des lieux qui emploient 25 professionnels payés à la capitation. Nos médecins en Suède voient en moyenne 12 à 14 patients par jour contre 25 à 27 en France en médecine générale de ville. En 20 ans, les 21 régions suédoises qui correspondent à 21 systèmes de santé, qu'elles soient dirigées par des socio-démocrates ou des conservateurs, ont basculé sur ce système de financement. Aucun système n'est parfait mais j'y crois profondément. En 2020, avec Madame Buzyn, dans le cadre des expérimentations dites de l'article 51, nous avons obtenu l'autorisation d'ouvrir en France cinq centres de soins payés à la capitation, avec de la prévention et sept indicateurs de santé publique.
Nous avions effectivement été contactés il y a 3 ans par le directeur général de la Croix-Rouge qui avait six centres de santé en grande difficulté dont cinq dans des villes dans lesquelles nous sommes présents, notamment Antony et Boulogne-Billancourt. Nous avons étudié la reprise de ces centres. Certaines personnes s'étaient émues qu'une entreprise privée à but lucratif puisse se développer dans les centres de soins primaires de la Croix-Rouge. Nous nous étions engagés à rester secteur 1, à prendre en charge tous les patients, etc. Malgré le soutien de l'ARS, nous nous étions finalement retirés. Ces centres ont aujourd'hui fermé, ce qui pose de gros problèmes aux villes concernées.
M. Sébastien Proto. - Toutes les questions qui ont été posées sont liées. La thématique de la financiarisation me gêne beaucoup. Je la trouve insuffisamment précise. Même le directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie fait désormais des distinctions dans cette thématique et dans son champ d'application.
La financiarisation, prenons une acception simple, c'est le fait d'avoir des investisseurs privés. Je ne crois pas que ce soit un problème d'avoir des investisseurs privés à partir du moment où ils exercent leur activité dans un cadre régulé, ce qui est le cas pour l'hospitalisation, avec un système d'autorisation, des contrôles réguliers de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), des chambres régionales des comptes, une certification de la Haute Autorité de santé, etc. Ce cadre s'impose à tous les acteurs, quel que soit l'investisseur.
Par ailleurs, les groupes qui ont des investisseurs privés ont aussi parmi leurs actionnaires la Caisse des dépôts (Vivalto, Almaviva, Elsan) ou des actionnaires à l'engagement incontestable comme le Crédit Agricole chez Ramsay. Toutes les décisions qui pourraient être « cachées » seraient connues de l'État par l'intermédiaire du groupe Caisse des dépôts.
Ces actionnaires, quelle que soit leur nationalité, n'ont pas d'influence sur l'exercice des praticiens. Nous ne sommes pas dans le schéma des sociétés d'exercice libéral (SEL). Les praticiens qui travaillent dans nos établissements ont des contrats d'exercice libéral de la médecine. Ils déterminent eux-mêmes leur activité et la manière de la faire. Nous discutons avec eux des redevances qu'ils payent pour l'accès aux plateaux techniques.
La nationalité de l'investisseur est-elle un problème, puisque les questions se polarisent sur KKR, qui est un investisseur anglo-saxon ? Je rappelle que nos activités ne sont pas délocalisables. On ne peut pas délocaliser une clinique ni les professionnels qui y travaillent. L'accès aux données de santé est protégé, réglementé, quelle que soit la nationalité de l'investisseur. Il est impossible de prendre des données de santé des patients et de les envoyer aux États-Unis. La nationalité est une question qui se pose très différemment pour des activités stratégiques dans le domaine de la santé délocalisables, par exemple dans la production pharmaceutique.
Enfin, vous m'interrogez sur la transparence du groupe Elsan. Notre groupe réalise un chiffre d'affaires de 3,1 milliards d'euros. Il a progressé, mais moins que le nombre d'établissements en perte. Nous essayons d'expliquer au ministère de la santé qu'il est dans l'intérêt du patient que l'hospitalisation privée ait une activité forte. Nous invitons à chaque fois nos interlocuteurs à apprécier les conséquences sanitaires pour les Français si l'hospitalisation privée fonctionnait comme l'hospitalisation publique. Je vous invite à regarder nos chiffres en matière de diagnostic du cancer, de chirurgie complexe, de traitement de la dette covid, qui n'aurait pas baissé si nous avions eu la même activité que le public, mais qui serait passée de 3,5 millions de séjours de retard à 4 millions.
En 2023, le résultat net du groupe Elsan était négatif. S'il avait été positif, cela n'aurait rien changé. Aucun dividende n'a été versé aux actionnaires au cours des dernières années. KKR ne touche pas de dividendes ! S'il en touchait, le groupe Caisse des Dépôts en toucherait également et je pense qu'il le dirait. Aucune somme ne quitte la France pour aller financer soit la santé soit des retraités à l'étranger.
Enfin, il y a une grande différence, souvent méconnue, entre les fonds d'investissement et les fonds de pension. Ils ne fonctionnent pas de la même manière.
M. Daniel Caille. - Nos cliniques sont des SAS, elles ont des autorisations et sont séparées de l'activité des médecins. Le problème posé est celui de la répartition des responsabilités au sein d'une SEL entre les investisseurs, qui sont à la fois les médecins libéraux, souvent des radiologues, après avoir été historiquement les biologistes, et les investisseurs financiers. Le Conseil de l'Ordre a été extrêmement vigilant à ce sujet, qui mobilise des montages compliqués. Le Conseil de l'Ordre dispose d'énormément de moyens pour apprécier la bonne répartition des responsabilités et du libre arbitre des médecins.
Pour les cliniques, le sujet porte sur l'outil de travail, nous avons l'obligation de mettre des moyens à disposition de nos praticiens pour qu'ils exercent. Nous n'avons aucune responsabilité sur l'acte médical lui-même, puisque le médecin est totalement responsable.
Le Conseil de l'Ordre regarde si nous subventionnons nos médecins ou si nous faisons trop payer les prestations de service que nous leur rendons. La zone d'interface est donc celle-ci.
L'appréciation de la concurrence s'exprime par la voix de l'Autorité de la concurrence, au niveau territorial et en prenant en compte l'offre publique et l'offre privée. Les jurisprudences ont été bien écrites. La concurrence concerne la concentration sur un territoire d'acteurs privés. Pour l'instant, il n'y a pas encore de jurisprudence sur le caractère monopolistique du secteur public. L'Autorité de la concurrence a dit qu'elle s'y intéresserait. À chaque fois que le seuil de 50 millions d'euros est dépassé, nous sommes obligés de soumettre les dossiers à l'Autorité de la concurrence. Dans le cadre des GHT, alors que le public essaie d'exercer une emprise quasiment monopolistique sur le territoire, notre problème est d'arriver à survivre. Il y a donc une concentration des établissements sur une zone géographique pour coordonner les médecins libéraux et organiser les filières, avec le consentement des ARS. Nous sommes bien loin de phénomènes de concentration des acteurs du secteur privé, mais il faut conserver la concentration géographique pour se renforcer. Le secteur public, pour des raisons de concentration de moyens, est obligé d'y procéder et mène cette concentration géographique.
Nous communiquons régulièrement nos résultats auprès de nos tutelles. Nous investissons chaque année entre 5 et 6 % de notre chiffre d'affaires mais nos résultats n'ont jamais représenté 5 ou 6 % de ce chiffre d'affaires. Quand nous gagnons de l'argent, c'est de l'ordre de 1,5 ou 2 %. Aujourd'hui, nous sommes déficitaires. Nous investissons parce que nous cherchons à nous développer. Notre pari, c'est que le développement va nous permettre de compenser nos coûts, puisque nous sommes payés à l'activité. Il faut investir dans les outils de travail pour franchir le point d'équilibre. Notre métier est donc un métier d'investissement. Nous attirons les médecins parce que nous leur donnons des outils de travail de qualité. Nous sommes donc condamnés à investir.
À un moment de ma vie, j'ai créé un autre groupe au sein de la Générale des Eaux. Quand on m'a annoncé en 1997 qu'il serait vendu, j'ai fait le tour de tous les investisseurs de France : fonds, assurances, Caisse des dépôts, etc. Déjà à cette époque, ils craignaient le manque de visibilité dans le secteur de la santé, y compris les investisseurs publics. J'ai réclamé des cadres pluriannuels, des cadres de stabilité, pour une meilleure lisibilité. L'Ondam étant approuvé par le Parlement, les moyens sont contraints. Son évolution est liée à la productivité du secteur public et du secteur privé. Notre sort est aujourd'hui dépendant de la capacité de l'hôpital public à améliorer sa productivité. C'est de cette manière que nous ferons des économies sur l'ensemble de la dépense sociale. Ne vous trompez pas ! Nous mourrons peut-être mais il restera à poursuivre l'évolution du secteur public. Nous avions engagé il y a quelques années des démarches pour transformer les hôpitaux publics en fondations, en établissements de santé privés d'intérêt collectif (ESPIC), pour mettre la dimension économique sur le devant de la scène. Cela a été enterré par tous les ministres. Le problème des excès de comportements de la finance n'est pas le sujet d'aujourd'hui.
En revanche, la répartition du pouvoir entre les médecins et les investisseurs est un sujet de contrat d'exercice. Ce n'est pas un sujet du même ordre que les sociétés d'exercice libérales dans lesquelles il y a des répartitions d'actions qui sont sujettes à beaucoup plus d'interprétations fines que les nôtres.
M. Daniel Chasseing. - Je vous remercie de nous avoir présenté vos groupes. Je suis élu de la Corrèze. Les établissements en Haute-Vienne et en Corrèze fonctionnent bien, à la satisfaction des patients et des professionnels privés, notamment des médecins généralistes, qu'ils ont une place importante et complémentaire des CHU ou des CHR.
Vous nous aviez écrit concernant les problèmes des salariés du privé, notamment les primes de nuit et de dimanche des professionnels du privé par rapport au public. J'avais interrogé le ministre qui m'avait indiqué qu'il était totalement prêt à revoir la situation. Où en est cette question ?
Vous nous avez indiqué que des investissements très importants étaient nécessaires pour faire évoluer les techniques et les locaux, et que vous investissez 200 millions d'euros alors que votre résultat est de 40 millions. Vous considérez également que le prix de la journée est trop faible. De son côté, le ministre ne connaît pas vos résultats.
Les tarifs des hôpitaux publics seront augmentés de 4 %, mais la population qu'ils accueillent souffre souvent de maladies chroniques qui nécessitent une prise en charge importante. Je sais que les hôpitaux sont eux aussi en difficulté et en déficit.
Malgré les déficits, vous avez la possibilité de poursuivre votre action, avec l'accord de vos actionnaires. Qu'attendez-vous de l'État pour que les établissements privés, qui sont complémentaires des hôpitaux et qui prennent une place maintenant très importante, poursuivent leur activité à la satisfaction des médecins et des patients ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Je vous remercie de vous être prêtés à cet exercice qui nous permet de vous poser un certain nombre de questions et de vous entendre sur votre écosystème. Avec l'ancienne présidente de notre commission, Catherine Deroche, et quelques-uns de mes collègues, nous avions eu l'occasion de visiter la clinique Saint Göran à Stockholm, et nous avons pu constater sa complémentarité avec l'hôpital public Karolinska.
La complémentarité est essentielle, le système de santé marche sur deux jambes, nous avons besoin de vous comme nous avons besoin de l'hôpital public. Les conditions ne sont pas les mêmes, vous partez avec un petit handicap sur le plan financier.
Pourquoi sommes-nous en France toujours suspicieux par rapport à l'investissement des groupes ? Pourtant, quand un établissement privé s'installe ou est repris par le privé, les patients sont plutôt satisfaits. Les habitants de mon territoire sont heureux d'avoir un hôpital et une polyclinique et de pouvoir, dans certaines spécialités, aller à la polyclinique plutôt qu'à l'hôpital.
Par ailleurs, quelles sont les raisons de l'insatisfaction dans notre système de santé ? Que faut-il changer ? Qu'avez-vous observé à l'étranger ?
Mme Nadia Sollogoub. - Je vous remercie pour votre présence. En tant qu'élus des territoires, notre seule préoccupation est l'accès aux soins des habitants. C'est notre seul cap.
L'outil de pilotage de l'hospitalisation dans les territoires ne marche que sur une seule jambe. En effet, les GHT font comme si le privé n'existait pas. Faut-il remettre cette question sur la table ? Ce serait en plus un lieu de dialogue entre vous. Si le privé et le public ne se parlent que par élus interposés, il est peu compliqué d'avancer. Faut-il remettre dans les territoires de vrais outils de concertation ?
Vous avez bien dit que vous n'étiez pas en concurrence dans l'activité mais complémentaires. En revanche, vous êtes en concurrence pour le recrutement des médecins, des infirmiers, et des aides-soignants. Le sujet a été un peu abordé lors des douloureuses négociations dont nous sortons péniblement. Les conditions de travail et de salaire de vos collaborateurs sont-elles une priorité pour vous ?
Mme Céline Brulin. - Je ne doute évidemment pas de l'altruisme de tous nos interlocuteurs, en particulier à titre individuel, mais en entendant qu'il n'y avait que des résultats nets négatifs, beaucoup de déficits, aucun dividende, nous sommes un certain nombre à nous interroger sur l'objectif de votre activité. Nous comprenons que les investisseurs attendent un retour sur leurs investissements. Je m'interroge d'autant plus que vous continuez à acquérir des centres de santé, y compris en redressement judiciaire, donc dans une situation économique compliquée. Quel est le but de ces opérations si cette activité ne rapporte rien ?
Je trouve également que vous faites de la politique. Vous avez une vision de l'organisation sociale, de l'organisation des soins. Vous dites assez clairement que vous comptez peser sur les décisions et les orientations, sur la vision de notre pays en matière de santé. Vous dites par exemple qu'il faut moderniser l'hôpital. Bien sûr, sous cette forme, nous sommes tous d'accord. Vous dites également que ce que vous considérez être aujourd'hui un monopole public est à réinterroger. Quelle est votre légitimité pour peser et influer sur l'organisation de notre société ?
M. Daniel Caille. - Regardez la réalité en face, au moins une fois dans votre vie !
Mme Céline Brulin. - Il est plutôt sain que nous n'ayons pas le même point de vue mais ne dites à personne que nous ne regardons pas la réalité en face, nous y sommes confrontés au quotidien dans notre mandat d'élu.
M. Pascal Roché. - Tout n'est pas parfait dans les systèmes de santé étrangers. Depuis 5 ans, je vais tous les mois en Suède, en Norvège et au Danemark, et Mme Doineau évoquait l'hôpital de Saint Göran. À travers cet exemple, j'aimerais vous donner un sentiment personnel. Nous gérons Saint Göran depuis 25 ans à la suite de trois appels d'offres, en partenariat avec le Karolinska qui est le grand hôpital universitaire de Suède. Le contrat de gestion arrive à échéance en 2026 et nous venons de candidater pour continuer à gérer cet hôpital.
Lorsque la région de Stockholm lance un nouvel appel d'offres pour l'hôpital Saint Göran, elle donne une visibilité sur 8 ans, plus 4 ans éventuellement. Nous disposons donc d'au moins 8 ans de visibilité sur le tarif auquel nous serons payés. C'est absolument majeur dans un métier d'investissements lourds. L'hôpital emploie 1 000 collaborateurs, enregistre 100 000 passages par an aux urgences et il est très renommé dans la prise en charge des cancers du sein et de la prostate. Par ailleurs, 5 % de la rémunération sont assis sur la qualité. Enfin, il y a une transparence absolue pour les 10 millions de citoyens suédois qui peuvent consulter les données de notre hôpital ou des autres hôpitaux publics très renommés à Stockholm comme le Karolinska, Danderyd ou Södersjukhuset. Par exemple, nous gérons 3 000 patients diabétiques de type 1. Nous avons un engagement pour que 97 % d'entre eux bénéficient chaque année de 4 contrôles d'hémoglobine glyquée. Pour 98 % d'entre eux, nous devons faire un contrôle du pied diabétique tous les 2 ans, etc.
Pour la France, je suis convaincu que dans les 254 milliards d'euros de L'Ondam, 2 ou 3 évolutions seraient nécessaires pour nous permettre de mieux exercer notre métier.
La première est la pluriannualité. Nous avons besoin d'une visibilité tarifaire indexée sur l'inflation. Je sais que la Fédération des hôpitaux publics, la FHF, y croit profondément elle aussi.
Le deuxième sujet concerne le nombre de lits. Il y a en France 400 000 lits d'hôpitaux, le même nombre qu'il y a 10 ans. Or, le nombre de séjours de plus d'une nuit en MCO a baissé depuis 10 ans en raison du développement de l'ambulatoire, de retours à domicile plus précoces, de la mise en place de plateaux de kinésithérapie en ville, etc. Nous sommes tous sortis du covid en constatant que nous étions passés près de la catastrophe sur les lits de réanimation. Nous sommes rentrés le 12 mars 2020 dans le covid avec exactement 5 051 lits de réanimation. Sous la houlette du ministre, nous sommes montés à 7 200. Je crois qu'aucun Français n'est décédé comme dans d'autres pays, dans un couloir parce qu'il n'y avait pas de lit. Beaucoup de personnes sont convaincues que nous manquons de lits d'hôpitaux. En réalité, le taux d'occupation en moyenne des 400 000 lits est de 72 % à 73 %.
Je pense qu'il y a une problématique de restructuration de l'offre hospitalière. Dans les autres pays, cette restructuration de l'offre s'est faite dans la transparence, sur la base d'objectifs de santé publique. En tant qu'hospitalier, je regrette que la rémunération hospitalière ne soit pas plus liée à la qualité. L'incitation financière à la qualité (IFAQ) ne représente que 700 millions d'euros sur les 105,6 milliards d'euros de budget hospitalier en 2024. Sur ces 700 millions d'euros, la moitié est liée à l'activité. Seule 0,3 % de la rémunération hospitalière est assise sur la qualité. Cela n'aide pas les Français à avoir une transparence sur les indicateurs et à choisir leur hôpital, cela ne nous pousse pas à créer de l'émulation. Je crois profondément à un système beaucoup plus basé sur des objectifs de santé publique. Depuis 2000, sur les 22 indicateurs clés de l'OMS, nos résultats ont baissé. Notre pays est très en retard sur la rémunération à la qualité et sur la transparence.
M. Sébastien Proto. - Je conçois que vous ne compreniez pas pourquoi des investisseurs privés s'intéressent à une activité qui ne dégage pas de bénéfices. Nous ne développons pas une vision politique. En revanche, nous avons une vision profondément sanitaire et de santé publique. Depuis le XIXe siècle, le système de santé français est structuré sur deux jambes, le public et le privé. Nous nous inscrivons dans cette histoire qui est fondamentalement bonne pour les patients, tant qu'il y a à la fois de la complémentarité et un peu de concurrence et que le système est tiré vers le haut. Je pense que la présence du privé, lucratif ou non lucratif, et du public, tire le système vers le haut.
S'il y a un secteur privé de la santé, il faut des investisseurs et il faut qu'ils gagnent de l'argent. Ils n'en gagnent pas par les dividendes mais au moment où ils sortent du capital, par la réalisation d'une plus-value. J'observe une forme de paradoxe. Si nous dégagions des bénéfices, nous devrions les justifier et justifier leur affectation. Vous êtes donc plutôt rassurés que nos établissements soient déficitaires mais je ne le suis pas. Le directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam), Thomas Fatome, parle beaucoup de financiarisation de la santé mais pour l'hospitalisation privée, mon inquiétude, c'est la définanciarisation. Les investisseurs privés sont partis. Les actionnaires actuels ne peuvent donc pas réaliser de plus-value, ni maintenant, ni demain. Le cadre de régulation est devenu tellement mauvais, au détriment du public comme du privé, à rebours de l'objectif d'attirer des investisseurs étrangers en France mis en avant lors du dernier sommet de Choose France. Plus personne ne veut aujourd'hui investir dans le secteur de l'hospitalisation privée.
Vous dites, Madame la sénatrice Brulin, que vous ne comprenez pas parce que nous continuons à réaliser des acquisitions. Mais ce n'est plus le cas, ou alors marginalement. Cependant, c'est un autre paradoxe, quand un établissement est en liquidation judiciaire - généralement un acteur indépendant -, l'ARS nous invite à le reprendre au regard des enjeux sanitaires sur le territoire. Le coeur du sujet est l'offre dans les territoires, et la capacité à la maintenir.
Nous sommes confrontés à des injonctions paradoxales. On nous demande de ne pas faire de profit mais d'investir, de conserver des activités en perte, de ne pas fermer de maternité mais de veiller à ce qu'elles ne passent pas sous le seuil de 500 accouchements par an, etc. Nous ne gérons pas de la politique, mais des paradoxes. Nous essayons de le faire, chacun avec nos convictions, de la meilleure manière possible.
Nous avons parlé de la financiarisation sous l'angle des sociétés d'exercice libéral. Une ordonnance a été publiée en août 2023 mais elle est insuffisante. Elle autorise l'arrivée d'acteurs purement financiers au capital des sociétés d'exercice libéral des praticiens, c'est-à-dire de non-exerçants dans des structures de professionnels-exerçants. Nous n'avons eu de cesse de dire que l'ordonnance n'était pas suffisamment protectrice. Nous avons eu ce débat lors du PLFSS 2024, nous l'avons indiqué à la Cnam, nous l'avons indiqué à l'Assemblée nationale. Depuis, le Conseil national de l'Ordre des médecins a dit qu'elle n'était pas suffisante, qu'elle n'empêchait pas des détournements, les actions de préférence, les droits de vote double, en bref, tous les mécanismes qui permettent à des tiers non-exerçants de prendre de fait le contrôle de l'activité des professionnels de santé. C'est ça la financiarisation !
M. Daniel Caille. - Je suis un entrepreneur, je regrette mes termes très directs mais le fond est juste. Nous vivons au quotidien avec l'hôpital public. Vivalto assure 60 % des urgences de l'agglomération de Rennes. Quand le CHU n'assure plus ses missions, nous en subissons les conséquences, et quand j'ai des difficultés, le CHU en a aussi. Nous dialoguons au quotidien, nous travaillons ensemble. À Nantes, nous assurons 40 % des urgences, notre rôle est considérable. Nous sommes venus combler des vides dans l'offre. C'est cette solidarité que j'ai toujours exprimée.
L'Europe est plus innovante que la France. Je gère des hôpitaux publics à Valence en Espagne avec un paiement au forfait par habitant. Nous sommes très contrôlés, nous avons des objectifs de qualité, de résultat. Gérer au forfait permet de voir la dépense de santé d'une manière différente du paiement à l'activité. On regarde quel est le juste soin au bon moment, nous sommes très attentifs à la prévention et à la pertinence, thèmes sur lesquels nous ne progressons pas en France. Il serait pourtant important de parler de la pertinence de la radiologie, de l'analyse biologique, de la cotation de l'acte médical, etc. Je regrette l'immobilisme de la santé en France.
J'ai voulu refaire appel à mes investisseurs pour développer notre activité. Ils ont refusé car ils considèrent qu'il n'est pas opportun de se développer en France aujourd'hui.
Notre valorisation est une valorisation de fonds de commerce. Quand on fait plus de chiffre d'affaires, la valeur d'un fonds de commerce augmente. C'est pour cette raison que nous avons grandi, malgré les difficultés économiques. Le modèle est fragile et ne tient que s'il y a des acheteurs. Aujourd'hui, nous sommes à l'arrêt. À un moment se posera la question de la solvabilisation du secteur.
J'ai toujours appelé de mes voeux la création d'un organisme parapublic, rassemblant des investisseurs français de long terme, capables de s'engager sur la durée, mais aujourd'hui ils sont frileux. Il ne faut donc pas nous reprocher d'être allés chercher des investisseurs qui l'étaient un peu moins. À part la Caisse des Dépôts et la Bpifrance, tous mes investisseurs ont refusé de s'engager davantage. Je me suis tourné vers mes banques historiques et vers la MACSF qui était intéressée.
J'en appelle aux investisseurs institutionnels de long terme pour solvabiliser un secteur qui ne l'est plus.
Mme Laurence Muller-Bronn. - Je reviens d'une mission avec notre président et quelques-unes de mes collègues. Nous sommes allés en Allemagne et au Danemark pour comprendre leur système hospitalier. L'Allemagne est à la veille d'une grande réforme hospitalière. Elle dispose de 1 950 hôpitaux et dépense énormément d'argent, encore plus que la France, pour le soin de ses citoyens. Face à l'absence de résultats, la réforme prévoit de ne conserver que 900 hôpitaux. Au Danemark, la réforme est derrière eux, mais ils sont à la veille de décisions très importantes sur leur système hospitalier.
Quel regard portez-vous sur ces réformes dans des pays qui ne sont pas dans l'immobilisme. Sont-elles bonnes pour les patients ?
Le médecin généraliste revient au coeur du système de santé mais en France nous avons un souci avec nos médecins généralistes.
M. Pascal Roché. - Je ne suis pas familier de l'Allemagne mais je serais ravi d'être auditionné à nouveau.
En Norvège, au Danemark ou en Suède, nous sommes payés à la capitation, avec un système de délégation d'État.
Nous suivons un million de Suédois dans nos centres de soins primaires et le médecin généraliste joue un rôle majeur. Par ailleurs, nous disposons d'outils digitaux de continuité des soins pendant la nuit. C'est la force d'un groupe présent dans de nombreux pays. Nous cherchons à les développer en France. La grande différence, c'est que 92 % des patients qui viennent dans les centres de soins primaires en Suède comme au Danemark sont préqualifiés. Par exemple, quand un patient diabétique de type 1 a rendez-vous pour un contrôle, il est reçu par une infirmière diplômée en diabétologie. Si les résultats ne sont pas bons, si l'hémoglobine glyquée a dérivé, le patient verra le médecin généraliste.
En Suède, les médecins généralistes, qui sont moins nombreux par habitant qu'en France, comme les infirmières, se concentrent sur les cas les plus complexes. Nos centres de soin regroupent 25 personnes et assurent la continuité de soins, y compris la nuit. C'est un changement de paradigme par rapport au système que nous connaissons en France.
Je serais ravi d'en parler plus en détail une autre fois.
M. Jean Sol, vice-président de la commission des affaires sociales. - Je vous remercie pour votre disponibilité.
La séance est levée à 12 heures 40.