Mercredi 15 mai 2024

- Présidence de Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 45.

Audition de MM. Xavier Lagarde, médiateur de la protection sociale, Arnaud Chneiweiss, médiateur de l'assurance, et Antoine Lamon, médiateur de la mutualité française

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Nous poursuivons cet après-midi nos auditions avec les médiateurs compétents pour traiter les réclamations concernant les complémentaires santé relevant des trois familles de l'assurance maladie complémentaire : mutuelles, sociétés d'assurance et institutions de prévoyance. Messieurs, je vous remercie de votre présence cet après-midi. Merci, également, d'avoir pris soin de répondre au questionnaire qui vous a été adressé avant cette audition.

Notre mission d'information consacrée aux complémentaires santé et au pouvoir d'achat aborde ce sujet de façon large, en essayant d'examiner tous les déterminants qui font le prix d'une complémentaire santé pour diverses catégories de français. Nous voyons qu'ils ne sont pas tous confrontés aux mêmes tarifs, en fonction de leur âge ou de leur lieu de résidence notamment. Les déterminants relèvent du partage entre l'assurance maladie obligatoire et la complémentaire sur les différents postes de santé, des frais de gestion, des dépenses de courtage - qui semblent avoir connu un certain essor depuis quelques années -, de la tarification...

Nous cherchons à identifier des leviers pour faire en sorte que ces tarifs de complémentaires évoluent le plus modérément possible. Nous sommes évidemment conscients que leur augmentation s'explique par la hausse des dépenses de santé elles-mêmes, par le vieillissement de la population ou par les technologies médicales utilisées, par exemple.

Cette audition nous intéresse fortement. À ce titre, je vous prie d'excuser le rapporteur Iacovelli, qui ne peut être présent à nos côtés aujourd'hui.

Je vous poserai donc en son nom une première série de questions, puis après vos interventions mes collègues sénateurs pourront vous interroger, eux aussi.

En préambule, pouvez-vous nous présenter vos liens avec les familles de complémentaires santé dont vous traitez les litiges, les mutuelles, les institutions de prévoyance et les sociétés d'assurances ?

Quelle est la part des saisines concernant les complémentaires santé dans l'ensemble des saisines que vous recevez ? Représentent-elles une part importante du volume total ?

La question suivante concerne peut-être davantage les compagnies d'assurance et les institutions de prévoyance. Nous nous interrogeons sur le niveau de transparence de l'offre des complémentaires santé. Que révèlent les dossiers qui vous sont soumis sur les dysfonctionnements des complémentaires santé, qu'il s'agisse de la gestion des contrats, du montant des cotisations et des prestations versées ou de l'information des consommateurs ? Quelles causes de mécontentement ces saisines mettent-elles en lumière ? Dans vos réponses écrites, vous signalez la relative fréquence des réclamations concernant l'optique et le dentaire. Pouvez-vous détailler ce point ? Quelles conclusions en tirez-vous s'agissant des évolutions à apporter au système ?

Ensuite, au regard des réclamations dont vous êtes destinataires, avez-vous le sentiment que des curseurs devraient être modifiés ? Des éléments du système devraient-ils être réformés pour diminuer le volume de réclamations, rendre le système plus transparent, moins onéreux, et meilleur pour les assurés ? Que faire pour que les assurés soient remboursés au mieux ?

Enfin, pouvez-vous nous donner votre point de vue sur la question du courtage ? Recevez-vous des réclamations concernant le démarchage téléphonique de la part des assureurs, des intermédiaires, des sociétés de courtage ?

M. Antoine Lamon, médiateur de la Mutualité Française. - Je suis issu d'une carrière d'un peu plus de trente-trois ans au sein de l'armée de l'air. Fin 2007, j'ai été nommé président de la mutuelle de santé de l'armée de l'air, la MAA, par le ministre de la Défense. Il m'a par la suite nommé premier vice-président, puis président de la mutuelle UNEO, créée en 2019 par la fusion des mutuelles de l'armée de l'air et de la gendarmerie et de la mutuelle nationale militaire.

Au terme de mon mandat de Président, en 2017, Thierry Baudet, alors président de la Fédération nationale de la Mutualité Française, m'a proposé de devenir médiateur de la Mutualité Française. J'ai accepté ce poste, car il me permettait de rester dans le monde de la mutualité, que j'appréciais particulièrement. En effet, les valeurs mutualistes se rapprochent dans une certaine mesure des valeurs militaires.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Vous avez donc été désigné par la Mutualité Française, et votre périmètre d'intervention couvre les mutuelles adhérentes de la Mutualité.

M. Antoine Lamon. - 233 mutuelles santé et prévoyance adhèrent à la Mutualité Française. 170 d'entre elles ont choisi sa médiation. Les mutuelles peuvent opter pour le médiateur de leur choix.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Elles sont donc dans l'obligation de recourir à un système de médiation.

M. Antoine Lamon. - En effet, mais elles ne sont pas contraintes de recourir au médiateur de la Mutualité.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Quelles sont les autres solutions de médiation ?

M. Antoine Lamon. - À titre d'exemple, l'une des mutuelles les plus importantes de la Mutualité Française n'a pas recours à la médiation de la Mutualité, mais à un cabinet de médiation.

J'ai été nommé pour une durée de six ans par l'assemblée générale de la Fédération nationale de la Mutualité Française (FNMF) en juin 2017. Cette nomination a été agréée par la commission d'évaluation et de contrôle de la médiation de la consommation (CECMC) en septembre 2017. Un second mandat m'a été accordé par la FNMF le 15 juin 2023. Il a été agréé par la CECMC le 20 décembre 2023.

Je vous l'indiquais plus tôt, 170 des 233 mutuelles santé et mutuelle prévoyance de la Mutualité Française ont choisi la médiation de son médiateur. En 2023, nous avons reçu 1 847 saisines.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - L'existence de plusieurs systèmes de médiation n'occasionne-t-elle pas une complexité supplémentaire, si un assuré cherche vers qui se tourner sur internet ?

M. Antoine Lamon. - Pas nécessairement, étant donné que votre mutuelle est dans l'obligation de vous communiquer le nom et les coordonnées du médiateur auquel vous devez avoir recours en cas de litige.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Je comprends donc qu'en cas de litige, je dois d'abord m'adresser à ma mutuelle, qui me dira vers qui je dois me tourner...

M. Antoine Lamon. - Une page du site internet de la Mutualité est dédiée au médiateur.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Je connais un peu le secteur. J'ai adhéré à des mutuelles, mais je n'ai jamais su qui était mon médiateur. Il est à noter que je n'ai jamais eu de conflits particuliers avec l'une d'entre elles.

M. Antoine Lamon. - Durant mes 33 ans de carrière dans l'armée de l'air, je ne me suis jamais soucié de ma mutuelle. Je n'ai compris que j'en avais une que lorsque je suis passé en deuxième section !

Nous avons traité environ 1 800 saisines en 2023, ce qui correspond à une augmentation de 15,2 % en un an. En revanche, la tendance est à la diminution des saisines relatives aux complémentaires santé. Elles représentaient 60 % du montant total en 2020, et 52 % en 2023. Les contrats des complémentaires santé restent majoritaires, mais près de la moitié des saisines concernent la prévoyance, et notamment les contrats garantissant l'incapacité de travail et l'invalidité.

La baisse des réclamations concernant les complémentaires santé résulte, à mon avis, de plusieurs facteurs. D'abord, je l'explique par une meilleure compréhension des contrats responsables de la part des sociétaires, et par une meilleure lisibilité des garanties santé. Des travaux ont été menés sur ce sujet avec le Comité consultatif du secteur financier (CCSF). Ils ont permis l'harmonisation des principaux intitulés de postes de garantie et la mise à disposition d'un tableau d'exemples de remboursement en euros sur les actes les plus fréquents. Ainsi, les sociétaires disposent d'une visibilité sur le montant qui pourrait leur être remboursé.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Est-ce appliqué par tout le monde dans votre champ ? J'ai réalisé un petit sondage tout à l'heure en contactant des acteurs connus sur le marché de l'assurance et des mutuelles, pour obtenir des tarifs. On m'a systématiquement demandé mon identité et mes coordonnées avant de me laisser cliquer sur le lien « demande de devis ». Cet accès ne me semble pas tout à fait libre et direct.

M. Antoine Lamon. - Les recours à ce sujet sont tout de même moins importants que par le passé, ce qui me laisse entendre qu'une prise de conscience a eu lieu. Il reste néanmoins du travail à faire sur les mutuelles, notamment en matière de clarté des tableaux de prise en charge.

Par ailleurs, l'entrée en vigueur de la loi du 14 juillet 2019 relative au droit de résiliation sans frais des contrats de complémentaire santé - la résiliation infra-annuelle - a entraîné une diminution de 10 % des litiges associés. Ils représentent tout de même encore 15 % du volume global de saisines.

Les litiges qui concernent les contrats des complémentaires santé portent majoritairement sur les prestations, pour 70 % des litiges, et sur la gestion des contrats pour 30 %.

S'agissant des prestations, ce sont les postes de soins dentaires et optiques qui suscitent le plus de mécontentement. Si certains litiges font apparaître des dysfonctionnements des organes mutualistes, ils concernent tout de même majoritairement l'information communiquée aux adhérents, plus que l'exécution du contrat en lui-même.

Chaque année, dans mes rapports, j'émets des recommandations portant sur la qualité de l'information que doivent dispenser les mutuelles, sur leur pertinence au regard des questions posées par les adhérents et sur la pédagogie dont ils doivent absolument faire preuve. En 2023, j'y ai insisté sur les devis de prestations et de cotisations. Ils ne sont pas toujours très clairs.

Dans le même temps, nous devons noter une attitude un peu plus consumériste des adhérents. Ils considèrent souvent que les prestations prévues par leur garantie sont un dû. Même si les conditions de délivrance de la prestation prévue au contrat ne sont pas toujours remplies, ils estiment y avoir droit. Par exemple, ils demandent le report sur l'année suivante d'un forfait non utilisé l'année N, ou veulent changer systématiquement d'équipement optique tous les deux ans, comme le permet la réglementation. Les litiges relatifs au remboursement des audioprothèses sont peu nombreux, parce que le recours à ces équipements est relativement faible. Je pense que ce dernier constat témoigne aussi d'une mauvaise compréhension des modalités de prise en charge dans le cadre du 100 % santé. Il est assez compliqué, pour un adhérent, de connaître le forfait, le montant, le mode de remboursement - est-il effectué par oreille, ou non ? -. Je pense que ces incompréhensions vont s'estomper au fil du temps, et que les gens recourront de plus en plus à l'audioprothèse, compte tenu de la publicité éhontée qu'en font les vendeurs à la télévision.

Quelles sont les causes du mécontentement des assurés ? Que ce soit en matière de complémentaire santé ou de prévoyance, dans une proportion non négligeable de litiges, les réclamants se plaignent, à tort ou à raison, d'un défaut d'information et de conseil en phase précontractuelle ou au cours du contrat.

Dans le cadre des litiges portant notamment sur les fausses déclarations, par exemple, les adhérents mettent toujours en avant leur bonne foi lors du remplissage du questionnaire médical. Nous pouvons en déduire que celui-ci n'est pas suffisamment clair et suffisamment précis. Il est très difficile de remplir des questionnaires dont les questions ne sont pas suffisamment précises. On peut alors croire à une fausse déclaration intentionnelle, alors que ce n'était nullement la volonté de l'adhérent.

Ensuite, la fréquence des réclamations concernant l'optique et les frais dentaires ne résulte pas, à mes yeux, de l'application du 100 % Santé. Je pense en effet que les sociétaires ont mieux compris le fonctionnement de ce dispositif. Simplement, ces deux postes ont toujours été majoritaires dans la contestation relative aux prestations. Ils sont ceux dans lesquels les complémentaires interviennent le plus massivement, les remboursements de l'assurance maladie en matière d'optique et de prothèses dentaires étant faibles, voire inexistants. Il est donc normal que ces frais donnent lieu à plus de contestations.

Les réclamations ne résultent pas nécessairement de dysfonctionnement de la part des mutuelles. En matière d'optique notamment, les adhérents ont assez souvent une attitude consumériste. Ils essaient de jouer sur les dates de prescription de la délivrance des équipements pour contourner la date du renouvellement biennal. En outre, je note depuis environ un an une hausse de la fréquence des tentatives de fraude. Les mutuelles deviennent de ce fait plus méfiantes et plus exigeantes en matière de preuve et de réalité des soins.

Pour la première fois, en 2023, un consommateur a eu l'audace de me saisir, alors qu'il était prouvé par attestation de l'ophtalmologue qu'il avait commis une fraude en présentant de fausses prescriptions. Est-ce la situation économique qui génère de plus en plus de difficultés pour les assurés, qui essaient de s'arranger un peu ? Je laisse cette question à votre appréciation. Toujours est-il que le phénomène de fraude apparaît de plus en plus prégnant. Quand j'ai pris mes fonctions, je ne rencontrais pas de tels soucis.

En matière dentaire, ensuite, un effort doit être encore poursuivi par les mutuelles sur la clarté des garanties, notamment en matière de soins non remboursés par la Sécurité sociale. Elles doivent aussi clarifier les estimations de remboursement lors de la présentation des devis. Ces derniers doivent être beaucoup plus rigoureux et exhaustifs, de façon à ce que le sociétaire sache exactement ce à quoi il a droit dans le cadre de remboursement. Ici aussi, la lutte contre la fraude constitue une préoccupation forte des mutuelles.

Quant au faible nombre des litiges concernant les audioprothèses, il provient, comme je le disais plus tôt, d'un recours limité à ces équipements. Ce recours devrait augmenter lorsque les assurés auront intégré la prise en charge de ces équipements dans le cadre du 100 % santé. Nous pourrons alors nous attendre à une augmentation des litiges en la matière.

Le sujet du démarchage téléphonique me paraît important. De nombreuses réclamations me parviennent pour des contrats distribués par des courtiers ou gérés par des tiers, les délégataires de gestion. De fait, il importe de rappeler aux mutuelles qu'elles doivent être vigilantes quant aux interventions des intermédiaires à qui la distribution de leurs contrats est confiée.

Je leur rappelle à cet égard qu'elles doivent veiller à ce que les distributeurs de leurs contrats respectent le devoir d'information et de conseil précontractuel, et puissent justifier du recueil des besoins des candidats à l'adhésion. La multiplicité des acteurs intervenant dans la souscription, la gestion et la réalisation des contrats - l'assureur, le courtier, le délégataire de gestion - rend bien souvent l'identification du médiateur compétent difficile pour l'assuré. En effet, je suis souvent saisi par des assurés mécontents qui assimilent l'intermédiaire, le distributeur ou le gestionnaire du contrat à leur organisme complémentaire.

Mes services doivent alors mener une enquête pour tenter d'obtenir les coordonnées de l'assureur du contrat, afin de déterminer si les contestations relèvent bien de ma compétence, ou de celle du médiateur de l'assurance. En effet, dans certaines saisines, les documents émanent principalement du courtier et ne présentent pas les coordonnées de l'organisme assurant le contrat. Il peut en résulter des difficultés, notamment quand il s'agit d'un contrat souscrit auprès d'un assureur. Dans un tel cas, je dois me déclarer incompétent et renvoyer l'adhérent vers le médiateur de l'assurance. Cette situation est préjudiciable au délai du traitement des requêtes, mais aussi à l'image même de la médiation.

Dans ce cadre, je recommande aux mutuelles de prévoir, dans les conventions de courtage qui les lient à leurs intermédiaires, une mention claire de leurs coordonnées. Le courtier est un tiers intermédiaire : il doit être identifié comme tel, et ne pas être assimilé à l'organisme assureur. La convention de courtage d'assurance, qui constitue le fondement de la responsabilité du courtier, doit être claire dans ce domaine. Il en est de même pour les délégataires de gestion. Bien souvent, les adhérents se tournent vers la médiation en incriminant le gestionnaire de leur contrat, le considérant comme leur mutuelle. Or, il s'agit là encore d'un tiers qui, à l'inverse du courtier, représente et agit pour le compte de la mutuelle, qui doit répondre de ses opérations.

Il appartient à cet égard à la mutuelle de s'assurer que ses coordonnées figurent sur les documents délivrés par le gestionnaire du contrat. Je rappelle que le lien contractuel lie la mutuelle et l'adhérent. Lorsqu'un litige est soumis, il concerne précisément ce lien contractuel dégradé.

Ensuite, en application du décret du 17 janvier 2022 relatif au démarchage téléphonique, cette pratique est encadrée de manière à garantir aux adhérents une information claire, exacte et non trompeuse en phase précontractuelle, et ce, même si l'adhésion se réalise par téléphone. Cette nouvelle réglementation vise à protéger le consommateur vis-à-vis du professionnel, grâce à la mise en place d'une procédure à respecter.

De manière générale, le distributeur doit transmettre avec précision certaines informations afin que le consommateur ait connaissance de l'objet de l'appel, des conséquences de son adhésion et du produit souscrit. Le professionnel doit également recueillir toutes les informations nécessaires à la détermination des besoins de santé du consommateur, en fonction de sa situation. Pour autant, je constate encore de nombreuses erreurs commises par les distributeurs du contrat.

À cet égard, de nombreux courtiers ont été sanctionnés pour leurs pratiques abusives, par l'autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ou par la Direction générale de la concurrence et de la consommation et la répression des fraudes (DGCCRF).

Cette année encore, j'ai été saisi plusieurs fois par des adhérents pour des cas d'affiliation non consenties, réalisées par le biais d'un démarchage téléphonique. Dans ce type de dossier, les affiliations sont généralement réalisées par un courtier et sont contestées tardivement, après le délai de rétractation, lorsque l'adhérent se rend compte de son affiliation.

Au regard de ces situations, je préconise aux mutuelles de porter une attention particulière aux pratiques de leur courtier en la matière, de sorte que soit garantie la validité des contrats souscrits.

Ensuite, l'information relative aux suites des saisines qui me sont adressées s'opère de différentes manières sur le terrain. Les recommandations du rapport d'activité sont présentées lors d'une réunion à l'ensemble des correspondants en médiation et des directeurs généraux des mutuelles. Elles le sont également à l'occasion de diverses réunions de mutuelles organisées par la Fédération de la mutualité : les réunions des directeurs généraux, des unions régionales ou des correspondants marketing... De plus, les clubs des correspondants en médiation qui se tiennent trimestriellement ont pour objet d'échanger sur des problématiques spécifiques rencontrées en médiation. Nous y présentons des cas concrets auprès des responsables de la médiation, et expliquons les solutions retenues. Avant le Covid, nous organisions également des rencontres avec les directeurs de mutuelles qui rencontraient une difficulté particulière, juridique ou dans le traitement des réclamations, au cas par cas.

Enfin, de manière générale, je pense que nous devons rétablir une relation de confiance entre les adhérents et les mutuelles. Pour ce faire, nous avons besoin d'une communication gouvernementale moins stigmatisante à l'égard de ces derniers. Elles ne sont pas responsables de tous les maux. Je pense qu'elles font des efforts, et qu'elles ne s'enrichissent pas au détriment des consommateurs. En revanche, elles doivent s'améliorer en matière de communication et de pédagogie vis-à-vis de leurs assurés.

En ce qui concerne les réformes, il me paraît souhaitable d'obliger les mutuelles à conclure des conventions de courtage, qui permettraient de clarifier le rôle du courtier et de la mutuelle.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Vous évoquiez des questionnaires médicaux. Il me semble qu'ils sont assez peu nombreux en matière de santé.

M. Antoine Lamon. - En effet. Ils s'appliquent surtout en prévoyance.

M. Arnaud Chneiweiss, médiateur de l'assurance. - Merci pour cette audition.

Les adhérents de la médiation de l'assurance sont les assureurs du code des Assurances, à savoir les sociétés anonymes - Axa, Allianz ou Generali --, les mutualistes - la MAIF, la Macif, Groupama ou Covéa - et enfin les filiales d'assurance des banques - Crédit Mutuel, Crédit agricole ou Société Générale.

Nous sommes nous aussi une médiation de la consommation. La directive européenne sur la médiation et la loi française qui l'a transposée prévoient notre financement intégral par les assureurs et les courtiers, selon un principe de « pollueur-payeur ». Ainsi, si la CNP représente 10 % du volume de dossiers que nous avons à traiter, elle financera 10 % de notre budget. Les assurés nous saisissent gratuitement, et nous ne recevons aucune subvention publique.

Notre équipe compte aujourd'hui 82 personnes, et traite 33 000 saisines par un, dont deux tiers ont trait à l'assurance dommages.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Les courtiers vous financent-ils ? À quel titre ? Sont-ils obligés de recourir à votre service de médiation ?

M. Arnaud Chneiweiss. - Il est rare que les courtiers soient directement mis en cause par l'assuré. Ils nous financent à hauteur du nombre de dossiers lorsqu'ils sont adhérents. Des associations ont adhéré pour le compte de leurs courtiers. Ces derniers étant au contact du grand public, ils doivent en effet disposer d'un système de médiation.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - En effet, mais ils pourraient se tourner vers n'importe quel système de médiation.

M. Arnaud Chneiweiss. - C'est vrai, mais un certain nombre ont décidé d'adhérer à notre service de médiation. Ils peuvent se tourner vers n'importe quel médiateur référencé par la Commission d'évaluation et de contrôle de la médiation de la consommation (CECMC). L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) fait la chasse aux petits courtiers qui n'étaient pas conscients de leurs obligations en la matière, de manière à leur rappeler leurs obligations légales.

26 % des 33 000 saisines arrivent au pôle santé-prévoyance. En 2023, 2 770 saisines concernaient spécifiquement des sujets de frais de santé, ce qui représente environ 25 % de l'activité de ce pôle, en progression de 22 % par rapport à l'année précédente.

Au total, notre médiation a connu une hausse de 42 % des saisines. Le taux de recevabilité s'étant amélioré pour approcher les 50 %, nous avons traité 70 % de dossiers supplémentaires en un an.

Ce constat s'explique notamment par une réforme du traitement des réclamations, entrée en vigueur au 1er janvier 2023. Souhaitée par les associations de consommateurs depuis des années, elle a été élaborée dans le cadre du CCSF. L'ACPR a apporté des précisions à cette recommandation sur le traitement des réclamations. Si celle-ci relève de la soft law, les assureurs ont intérêt à la respecter. Elle leur fixe notamment un délai réduit à deux mois pour traiter une réclamation, et leur impose de mieux faire figurer le nom du médiateur dans le contrat d'assurance. Par ailleurs, en cas de protestation de l'assuré, l'assureur doit désormais rappeler qu'il dispose de deux mois pour répondre à la réclamation, délai à l'issue duquel il pourra saisir le médiateur - dont les coordonnées sont précisées - si le mécontentement persiste.

Nous recevons de nombreuses saisines prématurées, parce que les assurés nous saisissent tout de suite, sans attendre la réponse de l'assureur.

Ensuite, de nombreuses raisons expliquent la croissance du volume de saisines, à commencer par leur gratuité. Par ailleurs, la loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme de la justice impose un premier recours à la médiation avant d'aller en justice, pour les litiges inférieurs à 5 000 euros. Ce seuil pourrait passer à 10 000 euros pour désengorger les tribunaux. S'y ajoutent des sujets de pouvoir d'achat, mais aussi de défiance dans notre société : de nombreux assurés nous saisissent pour s'assurer que le montant remboursé par leur assurance est conforme à la garantie prévue. Nous jouons en quelque sorte un rôle de tiers de confiance dans ce genre de situation.

Ensuite, je pense que tous les assureurs n'ont pas suffisamment renforcé leur service réclamations à la suite de la recommandation de l'ACPR. Certains ont joué le jeu, mais d'autres ont considéré que ce n'était pas nécessaire, et que les dossiers seraient traités par la médiation, qu'ils financent en partie.

Ceci étant, j'identifie deux principales raisons pour les assurés de protester, à commencer par la lisibilité des contrats, malgré les nombreux efforts consentis depuis des années. Lorsqu'on dit à un assuré « vous allez être remboursé de 100 % de la base de remboursement de la sécurité sociale », voire simplement « 100 % BRSS », comment peut-il le comprendre ? Parfois, ce qui sera pris en charge n'est pas expliqué clairement. On vous indique par exemple que les médicaments seront pris en charge, mais qu'il peut subsister des subtilités sur ce qu'est un médicament prescrit. Par exemple, il peut arriver qu'un médicament ne soit pas référencé dans le répertoire de l'agence régionale de santé (ARS). En outre, les médicaments homéopathiques seront-ils pris en charge par le contrat ? Souvent, seuls ceux qui figurent dans une certaine nomenclature le sont.

La question des « médecines douces » est également difficile à comprendre. Certaines complémentaires acceptent de rembourser les cures thermales si elles sont médicalement justifiées. Le médecin généraliste de l'assuré peut affirmer que c'est le cas, mais être contredit par le médecin-conseil de la complémentaire santé. Ce désaccord peut occasionner un refus de prise de charge.

Par ailleurs, le démarchage téléphonique abusif constitue aussi un sujet de protestation. Il existe manifestement des trafics de fichiers, permettant à des escrocs de contacter les assurés.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - S'agit-il uniquement d'escrocs, ou la législation permet-elle de récupérer des numéros de téléphone de gens qui ont, à un moment donné, coché une case permettant à un courtier de les contacter ?

M. Arnaud Chneiweiss. - Il convient en effet d'être plus mesuré. Pour autant, nous recevons des cas d'assurés ou d'enfants d'assurés qui ont été contactés par une personne leur disant : « je sais que vous êtes assurés à la Macif et que vous avez souscrit au contrat Santé Plus [ce qui est le cas et qui les met en confiance], je vous appelle de la part de la sécurité sociale. Votre contrat n'est plus adapté. Vous devez en changer. Voilà celui que je vous propose, de la part de la sécurité sociale ». Il revient à l'ACPR et à la DGCCRF de mettre ces personnes hors d'état de nuire.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Les personnes qui vous saisissent ont donc bien souscrit à une complémentaire santé ?

M. Arnaud Chneiweiss. - Oui. Elles nous appellent parce qu'elles ont été abusées par une personne travaillant pour un courtier, et qu'elles désirent se rétracter.

Nous recevons d'autres saisines d'adhérents déçus par une inadéquation entre le devis, la prestation réalisée et le remboursement obtenu, ou concernant la portabilité lors d'un départ en retraite ou d'une fin de contrat de travail.

La hausse des saisines en matière de frais dentaires et optiques a déjà été évoquée : elle est assez logique, puisque les complémentaires santé les financent en majorité.

Dans votre introduction, Madame la présidente, vous avez mentionné l'opacité lie à l'intervention des courtiers. Dans de nombreux cas, les assurés connaissent leur courtier, qui est leur intermédiaire, et pas leur assureur. Nous y voyons aussi un problème de clarté. Le courtier doit clairement rappeler qui est l'assureur du contrat. Les complémentaires santé délèguent aux courtiers la relation clients, bien plus qu'en assurance dommages ou qu'en assurance vie, épargne, retraite.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Ce constat est peut-être lié au fait que ce n'était pas leur métier historique.

M. Arnaud Chneiweiss. - Peut-être. Ainsi, les courtiers se positionnent en intermédiaires extrêmement importants, ce qui explique que l'assuré ne soit pas en mesure d'identifier son assureur.

Vous nous interrogiez sur les suites de nos saisines. Nous établissons un rapport annuel pour diffuser des messages. Nous rencontrons sur une base bilatérale les assureurs et les complémentaires santé, et leur adressons un retour quantitatif et qualitatif. Nous leur parlons d'eux au travers des dossiers reçus à la médiation de l'assurance.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Quelles sont vos propositions de réformes ?

M. Arnaud Chneiweiss. - Si nous partions d'une feuille blanche, il nous faudrait nous orienter vers plus de simplification. Pourquoi trouve-t-on deux organismes payeurs sur un même risque santé ? En matière d'optique, de frais dentaires ou d'audioprothèses, les complémentaires santé sont déjà le financeur majoritaire. Par ailleurs, ne faudrait-il pas aller au bout de la logique en clarifiant les rôles respectifs de la sécurité sociale et des complémentaires santé, tout en conservant une supervision des autorités publiques ? Cette imbrication de la sécurité sociale et des complémentaires santé est source d'incompréhension. Une vraie simplification nous éviterait bien des litiges...

M. Xavier Lagarde, médiateur de la protection sociale. - Merci de nous écouter cet après-midi. J'espère vous convaincre, ou du moins démontrer l'utilité de la médiation dans la régulation en matière de prévoyance et de frais de santé.

Je suis professeur des universités, professeur de droit à Paris 1 Panthéon-Sorbonne. J'ai été choisi comme médiateur de la protection sociale, moins parce que j'étais un spécialiste de la protection sociale que parce que je connaissais bien le droit de la médiation, sujet de plusieurs de mes publications. Je me suis formé par la formation continue, mais aussi par la formation initiale. J'ai pris des enseignements de droit des assurances et de la protection sociale pour me remettre à niveau.

Le domaine dans lequel j'interviens se situe au croisement du droit du travail (les garanties sont issues de la négociation collective), du droit de la sécurité sociale et du droit privé (ces garanties reposent sur des mécanismes juridiques pointus), plus précisément du droit civil. Les contrats appliqués sont tripartites. Les employeurs souscrivent auprès d'institutions de prévoyance et, ce faisant, « emmènent » les salariés qui sont garantis par ces dernières. Ce rapport pose des difficultés régulières : quand l'employeur change d'organisme assureur, quid des salariés ? Quand un salarié sort des effectifs de l'entreprise, quid de ce salarié ? Ces mécanismes juridiques sont difficiles, ce qui peut expliquer que l'on ait imaginé qu'un professeur compétent sur ces questions de droit privé fondamental pourrait faire l'affaire.

Je précise que je n'ai jamais eu le moindre lien avec les institutions de prévoyance. Le lien s'est noué en 2008, lors de l'adoption des dispositifs de portabilité. J'écrivais à l'époque sur le droit du travail, raison pour laquelle le Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP) m'avait sollicité pour réaliser une expertise objective. Il m'interrogeait sur les bonnes conditions de mise en oeuvre du nouveau dispositif de portabilité issu d'un accord national interprofessionnel. Après avoir fait connaissance, nous avons pensé que je pourrais devenir un médiateur acceptable.

Le CTIP a pour fonction de défendre et de représenter les intérêts de ces institutions auprès des pouvoirs publics. Il porte également une mission d'expertise et de réflexion. C'est dans le cadre de la mission d'expertise que la fonction de médiation a vu le jour en 2010.

Le CTIP compte 42 institutions de prévoyance adhérentes. Toutes adhèrent désormais au dispositif de médiation. Elles ont pour adhérents 2 millions d'entreprises et 14 millions de salariés. Les cotisations s'élèvent à 15,1 milliards d'euros et les prestations, à 13,2 milliards d'euros. Malgré tout, nous sommes une petite médiation, sauf à préciser deux choses. D'abord, les chiffres ne sont pas encore stabilisés. Pour le premier exercice, en 2011, qui comportait une petite part de l'année 2010, nous comptions 79 saisines. En 2023, nous en avons traité 1 298. Par ailleurs, notre contentieux est qualitativement assez lourd, étant donné que la part essentielle de notre activité concerne la prévoyance, et donc les risques lourds : incapacité, invalidité, décès. La semaine dernière, j'ai traité un dossier dont l'enjeu dépassait un million d'euros.

Les garanties frais de santé concernent environ 30 % des saisines. Cette proportion n'a jamais varié, sauf en 2015, après l'entrée en vigueur des contrats responsables et des incompréhensions qu'elle a pu susciter.

Je compare cette proportion de 30 % des saisines à la proportion que représentent les frais de santé parmi les prestations (47 %). Nous pouvons, je pense, l'expliquer par des enjeux et montants moins importants qu'en matière de prévoyance, et par l'efficacité du dispositif NOEMIE, qui assure la transmission entre le régime de base et les régimes complémentaires.

Parmi les sources de mécontentement, j'identifie trois types de contentieux, qui concernent les cotisations, les prestations, et l'information.

Sur les cotisations, les débats sont rares pendant que le contrat est en cours, étant donné que la garantie de frais de santé résulte d'un contrat collectif. Le salarié y est affilié mécaniquement dès qu'il entre dans l'entreprise. La cotisation est répartie entre une part patronale et une part salariale. Des débats peuvent en revanche avoir lieu au début ou à la fin du contrat.

La question du début du contrat s'étiole un peu, parce qu'elle est en partie résolue, mais elle s'est posée au travers des dispenses d'affiliation. Il a pu arriver que les salariés soient déjà couverts individuellement avant d'entrer dans une entreprise couverte par un contrat collectif. À la suite de l'entrée en vigueur de la loi du 1er janvier 2016, tous les employeurs ont été tenus de proposer une garantie collective. Or, dans des domaines où l'obligation n'était pas respectée, certains salariés avaient déjà souscrit individuellement un contrat. Ils se sont retrouvés avec affiliés à un contrat collectif dont, souvent, ils ne voulaient pas. Ces salariés ont droit à une dispense d'affiliation, et à ne pas être contraints par le dispositif obligatoire. Encore faut-il qu'ils le demandent ! Certains s'y sont pris un peu tard. Aujourd'hui, le sujet est à peu près résolu.

Ensuite, nous rencontrons un autre problème à la sortie du contrat de travail, spécialement lorsque les salariés partent à la retraite. Selon l'article 4 de la loi Évin, ils ont droit à un maintien des garanties qui leur étaient offertes lorsqu'ils étaient salariés. En revanche, la cotisation, si elle reste identique la première année, peut augmenter de 25 % la deuxième année et de 50 % la troisième année. Le retraité paiera donc 150 % de sa cotisation après trois ans. Le débat était alors le suivant : les garanties des salariés peuvent-elles être adaptées lorsque ceux-ci deviennent retraités ? La jurisprudence, que je suis en médiation, est claire : la réponse est non.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Pour le retraité, la cotisation ne passe pas de 100 à 150 %, mais de 50 à 150 %. Il paie la taxe plein pot. Par ailleurs, la jurisprudence a tranché sur le périmètre des garanties. Estimez-vous qu'il devrait évoluer ? D'après votre expérience, beaucoup de salariés utilisent-ils la faculté prévue par la loi Évin de conserver une couverture identique lors de leur départ à la retraite ?

M. Xavier Lagarde. - Je ne dispose pas de données chiffrées, mais intuitivement, ma réponse serait positive. Ils veulent surtout maintenir leurs garanties pour leurs ayants droit. Pour ces derniers, le plafonnement n'existe pas. Nous voyons qu'ils aimeraient continuer à profiter du contrat, et se voir offrir un contrat individuel dont la cotisation ne serait pas nettement supérieure à celui dont bénéficie l'ex-salarié. Je pense ainsi que l'article 4 répond à une vraie demande.

Je constate de nombreux de retraités comptent parmi les auteurs des saisines de la médiation en frais de santé : leur pouvoir d'achat n'augmente pas, ils sont exposés à plus de dépenses en matière de santé, et ils ont davantage de temps à consacrer à ces démarches.

Ensuite, si les retraités bénéficient des mêmes garanties que les salariés, le contrat collectif de ces derniers peut évoluer. La question se pose : doit-on conserver, lors de la liquidation des droits à pension de retraite, les mêmes garanties qu'à la sortie des effectifs de l'entreprise, ou doit-on les faire évoluer à l'image de celles qui s'appliquent aux salariés ? La réponse n'est pas uniforme. Elle est parfois relativement subtile.

Le contentieux des prestations représente 30 % du volume total. Les discussions sur les plafonds reviennent assez souvent, car ils sont annuels, alors que les prestations sont parfois réalisées dans la continuité. Par exemple, la pose d'un appareil dentaire durerait trois ans, et dans les garanties, les frais seraient plafonnés à 500 ou 1 000 euros par an. Ici aussi, la réponse apportée n'est pas uniforme.

Nous avons également rencontré des différends sur les estimations de remboursement. Au début de ma mission, j'avais recommandé aux adhérents de développer les estimations de remboursement, compte tenu de la complexité des informations transmises par les notices et les tableaux de garantie. Cette pratique est presque systématique désormais, mais la qualité des estimations n'est pas toujours optimale. Certaines sont assorties de tant de réserves qu'elles n'estiment finalement plus rien. De ce fait, lorsque les soins sont dispensés, il est compliqué de savoir ce qui sera remboursé. Les déceptions peuvent être réelles.

De nombreuses saisines concernent aussi les dépassements d'honoraires. La matière est complexe. En effet, il revient de savoir si le dépassement est autorisé ou non. Tous les professionnels de santé ne sont pas soumis aux mêmes règles. Souvent, les complémentaires santé prévoient une prise en charge partielle des dépassements d'honoraires : les assurés ne comprennent pas que si le dépassement est par principe illicite, il ne peut être couvert. Ensuite, lorsque le dépassement est autorisé, il est important de bien comprendre la proportion exacte qui est prise en charge.

Classiquement, d'autres saisines concernent l'optique et les montures de lunette. Enfin, des contentieux portent sur les soins qui ne sont pas pris en charge par la sécurité sociale et qui, en principe, n'ont pas à l'être par les complémentaires. Pourtant, celles-ci prévoient souvent d'en rembourser une partie : ainsi, il n'est pas facile de faire la différence parfois entre des soins remboursés et des soins non remboursés.

Si vous avez un problème de cataracte, l'implant intraoculaire sera remboursé. Si, à cette occasion, on vous pose un implant multifocal, qui vous permettra de ne plus jamais porter de lunettes, le soin sera qualifié de confort, et ne sera alors pas remboursé. Il est difficile de comprendre les garanties, d'autant plus que les notices parlent de « chirurgies réfractives » et de bases de remboursement peu accessibles aux néophytes.

Les mécontentements correspondent à des attentes déçues : l'assuré perçoit un remboursement inférieur à ce qu'il attendait. Cette déception génère une partie des demandes formulées en médiation. Elle repose tout de même très largement sur une complexité générale inhérente aux dispositifs de remboursement. Nous pourrions procéder à de nombreux efforts de simplification, mais nous ne serons pas en mesure de tout simplifier, pour deux raisons.

D'abord, les complémentaires santé raisonnent avec les mêmes catégories que celles de la sécurité sociale. On peut penser que la complémentaire va compléter la prise en charge des soins, qui seront donc remboursés en totalité, mais ce n'est pas nécessairement le cas. Il peut être difficile de comprendre que la complémentaire, travaillant avec les mêmes catégories que la sécurité sociale, ne distribue pas la même quantité. L'organisme assureur est libre de décider d'une prise en charge partielle ou totale de la partie non couverte.

Par ailleurs, je pense qu'aucun organisme assureur ne peut répercuter dans une notice ou un tableau de garantie de quelques pages la complexité des nomenclatures de la sécurité sociale. Ainsi, en médiation, nous devons réaliser un travail extrêmement subtil de qualification des catégories de la sécurité sociale, pour voir si elles entrent dans les catégories contractuelles. Je dirais presque que les juristes sont payés pour faire des qualifications. Ils doivent qualifier des faits, de la diversité pour la réduire à une catégorie. Je ne sais comment cette complexité pourrait être supprimée.

De plus, l'adhésion aux institutions de prévoyance est obligatoire. Les salariés se disent qu'ils cotisent à la complémentaire santé comme ils cotisent à la sécurité sociale. Ils pensent donc que la relation qu'ils entretiennent avec ces deux structures est de même nature. Ils considèrent donc qu'il est normal que la complémentaire complète totalement la prise en charge des soins exposés. Il nous faut clarifier ce sujet juridiquement.

Quels sont les remèdes ? Je pense pour commencer que la médiation en est un. Nous réalisons un travail d'explication, de clarification. Nos propositions sont admises à des taux tout à fait considérables. En prévoyance, nous ne comptons que très peu de contentieux après nos avis, même dans le cas de dossiers très lourds. Nous affichons un taux d'acceptation de 95 à 98 %.

La médiation porte une fonction de régulation et permet d'améliorer les pratiques. Nos recommandations sont suivies, dans l'ensemble. Elles le sont davantage en prévoyance qu'en santé. Nous voyons régulièrement les correspondants en médiation, et tenons avec les institutions de prévoyance des échanges ad hoc à l'occasion de chaque dossier. Si l'une d'elles refuse un avis, une discussion lui permet de s'adapter et de réfléchir à l'avenir.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Un rapport suggérait la création d'une médiation des médiations, qui coordonnerait les différents organismes. Avez-vous besoin d'une telle coordination ?

M. Xavier Lagarde. - Je pense que nous nous coordonnons bien. Quand un rapport n'arrive pas au bon endroit, nous nous le transmettons.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Je comprends que la spécificité de vos organismes justifie l'existence de médiations différentes.

M. Antoine Lamon. - Je crois que les médiations en matière de santé ou de prévoyance sont les mêmes pour nous trois. Effectivement, Arnaud Schneiweiss couvre tout le spectre des assurances de biens, mais j'identifie peu de différences.

M. Xavier Lagarde. - La dimension des contrats collectifs obligatoire crée un particularisme assez fort.

M. Arnaud Chneiweiss. - Nous nous coordonnons. Il est crucial que l'assuré sache à qui s'adresser.

En effet, notre système peut être source de confusions. Par exemple, au sein du Groupe AG2R La Mondiale, un assuré AG2R bénéficiera de la médiation de Xavier Lagarde, et un assuré La Mondiale, de la mienne.

Le monde de l'assurance est compliqué, et relève de trois codes (codes des assurances, de la mutualité et de la sécurité sociale). Nous comptons aussi trois fédérations : France Assureur, la Fédération nationale de la Mutualité Française et le Centre technique des institutions de prévoyance. À ce stade, chaque fédération affiche la volonté d'avoir un médiateur qui représente son univers. Nous sommes tous trois agréés par la Commission d'évaluation et de contrôle de la médiation de la consommation. Les assurés peuvent donc être rassurés sur notre compétence.

M. Xavier Lagarde. - S'il existait un médiateur des médiateurs, je pense que le phénomène selon lequel les assureurs, mutuelles et institutions de prévoyance se désolidarisent et prennent leur propre médiateur s'amplifierait.

M. Antoine Lamon. - Je partage cet avis.

M. Xavier Lagarde. - Revenons-en aux remèdes. Je pense que nous devons éviter la multiplication des informations, qui devient contre-productive. Dans le domaine du crédit au particulier, on a augmenté les informations dédiées aux particuliers. Plus personne ne les lit !

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Il est possible en revanche améliorer la transmission et la transparence. Bien des garanties fondamentales pourraient être exprimées obligatoirement d'une manière identique, de manière à faciliter la comparaison.

M. Xavier Lagarde. - Je suis opposé à l'accroissement quantitatif de l'information, mais favorable à une clarification qualitative des garanties. Il serait par exemple opportun d'expliquer dans les notices ce qu'est l'économie d'une garantie de frais de santé. Un petit exposé pédagogique semblable à ceux que l'on peut retrouver sur des sites de services publics serait utile. De nombreuses notices publiques commencent par une flopée de citations de textes du code associé. J'imagine qu'un profane peine à les comprendre, même après plusieurs lectures.

Je pense que nous pouvons aussi faciliter le lien entre les catégories contractuelles et les nomenclatures de la sécurité sociale. Dans certains contrats, les notes de bas de page comportent un lien hypertexte permettant d'accéder aux nomenclatures du site Ameli. Il permet ainsi à celui qui lit son contrat de savoir si son soin sera couvert. La mise en oeuvre de cette technique résoudrait selon moi bon nombre de difficultés.

Ensuite, les estimations de remboursement sont extrêmement utiles. Je pense que nous devons absolument limiter les réserves. Deux réserves sont à mon sens légitimes : la durée de validité et la réserve des plafonds. On vous donne une estimation sur des soins pour lesquels les garanties sont plafonnées, mais on ne peut pas préjuger du fait que vous ayez sollicité d'autres estimations qui engendreront également un déplacement du plafond.

Enfin, je ne vous ai pas répondu s'agissant du courtage, car je ne suis que peu concerné par le sujet, les contrats étant collectifs et obligatoires. Pour l'instant, je ne vois pas de contentieux à ce sujet, à l'exception de contentieux entre l'entreprise et l'organisme assureur, parce que la première agit pour le compte de son ou de ses salariés.

M. André Reichardt. - Serait-il possible d'obtenir une régionalisation éventuelle de vos chiffres ? Je suis élu alsacien. L'Alsace-Moselle bénéficie d'un régime un peu particulier. Compte tenu de la spécificité de notre système de protection, et avec un reste à charge des complémentaires santé moins élevé qu'ailleurs, quel est l'effet sur le volume de saisines ? J'imagine que les recours sont moindres.

Par ailleurs, quelle est la suite donnée sur le territoire à vos observations et constats ? Vous notez que le contrat n'a pas été respecté, en défaveur de la personne qui vous saisit. Comment procédez-vous ? J'imagine que vous remontez l'information à votre mandant. Suit-il vos recommandations ?

Vous l'avez compris, nous ne travaillons pas que sur les complémentaires santé, mais aussi et surtout sur leurs répercussions sur le pouvoir d'achat. Ainsi, dans quel délai la régularisation est-elle opérée au profit de celui qui vous saisit ?

Enfin, avez-vous une idée de ce que coûte à vos mandants la prestation de médiation ? Vous savez qu'une préoccupation de ceux qui essaient de défendre les assurés relève des coûts administratifs pratiqués par un certain nombre d'organismes de protection. Leur augmentation est toujours trop importante. Bien sûr, si votre prestation est gratuite, elle a un coût pour le mandant. Dans quelle mesure ? J'imagine que le montant est plutôt résiduel. Ces organismes couvrent plusieurs types de sinistres. Ces coûts sont répercutés sur l'ensemble des usagers. Disposez-vous de chiffres à cet égard ? Comment sont-ils pris en compte sur le portefeuille des usagers concernés ?

M. Arnaud Chneiweiss. - Je ne suis pas certain de disposer de chiffres s'agissant de l'Alsace Moselle. Nous essaierons d'en trouver et de vous les faire parvenir. Spontanément, je ne pense pas à une surreprésentation de ce territoire dans les saisines reçues.

M. André Reichardt. - Une autre couverture santé est en vigueur dans cette région. Elle pourrait au contraire avoir une incidence à la baisse sur les litiges. Nous pourrions intégrer cette donnée à la réflexion globale sur le sujet, à l'échelle de la France entière.

M. Arnaud Chneiweiss - 99,85 % des recommandations de la Médiation de l'Assurance étaient suivies en 2023. Ainsi, seuls 10 à 15 dossiers n'ont pas été suivis. Si une recommandation ne l'est pas, le directeur général de l'assureur doit l'assumer. Dans ce cas, nous revoyons le dossier avec l'équipe, pour vérifier que nous n'avons rien oublié. Si ce n'est pas le cas, nous organisons une visioconférence avec l'assureur et essayons de le convaincre du bien-fondé de notre recommandation.

Ensuite, je ne pense pas que la médiation ait un impact important sur le coût de l'assurance et de la complémentaire santé. Le nombre de saisines qui nous parviennent s'explique par le fait que certains assureurs ne jouent pas suffisamment le jeu. Ils n'ont pas suffisamment renforcé leur service de gestion de sinistres et réclamations, ce qui occasionne une hausse de 22 % des saisines en matière de santé. Ils laissent les dossiers se déverser à la médiation, estimant qu'ils ont réalisé un arbitrage entre le renforcement de leur service de gestion de sinistre, et le financement d'une part du budget de la médiation. Ils considèrent que ce recours leur coûte moins d'argent. Je demande aux assureurs de jouer le jeu dans le cadre de la recommandation de l'ACPR.

Une proposition de solution à la médiation de l'assurance coûte environ 900 euros. Dans ce cadre, il est clair que les assureurs auraient intérêt à faire un geste commercial plus tôt.

Notre équipe compte 82 personnes. Elle devrait prochainement en compter 90. La Commission d'évaluation et de contrôle de la médiation nous demande d'atteindre des délais de médiation raisonnables. Ils s'établissent aujourd'hui à 7 mois en moyenne, bien que l'assuré reçoive dans la moitié des cas une réponse dans les trois mois. Des dossiers plus anciens connaissent tout de même des attentes de plus d'un an pour obtenir une réponse. Ce délai est trop long, j'en conviens. Il est dû à une forte augmentation du nombre de saisines reçues en 2023.

M. Xavier Lagarde. - Je constate empiriquement que le contentieux est plus provincial que parisien ou francilien.

Je ferai la même observation que le médiateur des assurances s'agissant des suites données à nos recommandations, bien que nous affichions un résultat un peu moins bon sur la prévoyance. Nous rendons un avis. Une fois qu'il est rendu, nous ne nous parlons plus, en principe. Après un refus, j'ai pour principe de poursuivre la discussion. Parfois, je n'ai pas compris certains éléments. Dans d'autres cas, nous parvenons à faire évoluer le dossier individuellement, ou à faire évoluer les pratiques collectives. Nous affichons tout de même un taux de réussite avoisinant 95 %. Le taux significatif est celui de l'acceptation par les organismes assureurs. Celui des plaignants est plus faible.

Enfin, notre service de médiation doit coûter environ 400 000 euros. Il suffit de le mettre en regard des 15,1 milliards d'euros de cotisations et des 13,2 milliards d'euros de prestations versées. Le différentiel correspond à 1,9 milliard d'euros de frais administratifs.

M. Antoine Lamon. - Nous comptons beaucoup de mutuelles nationales de la fonction publique parmi nos adhérents. Ainsi, les adhérents, où qu'ils soient situés sur le territoire, dépendent d'une mutuelle qui se trouve à Paris. Nous ne pouvons donc pas suivre l'origine géographique des réclamations. Je ne me souviens que d'un litige en Alsace Lorraine, émanant d'une personne qui ne bénéficiait plus de la minoration de sa cotisation, en raison d'un oubli de sa mutuelle. Je pense que le régime local donne lieu à moins de contentieux.

94 % de nos avis sont suivis par les mutuelles. Je ne suis pas capable de vous dire que ce qu'il advient des 6 % restants.

Enfin, dans un premier temps, le coût de la médiation était compris dans la cotisation de la FNMF. Chaque mutuelle cotisait en fonction du nombre de ses adhérents, et le coût de la médiation était pris sur cette cotisation. Certaines mutuelles ont estimé qu'elles étaient plus petites et n'avaient pas besoin de recours aux médiations, ou n'avaient pas recours aux médiateurs de la Mutualité. Elles ont demandé à ne pas voir ce coût imputé à leur cotisation. Depuis, la médiation fait payer les mutuelles sur la base des dossiers traités. Je pourrai vous communiquer ces coûts.

Mme Silvana Silvani. - Je fais partie du grand nombre de personnes qui peinent à comprendre les multiples lignes en petits caractères qui précisent ce qu'un médecin aurait très bien pu m'expliquer.

Je comprends que vous êtes médiateurs tant pour des assurances que pour des mutuelles ou des courtiers ?

M. Antoine Lamon. - Je ne le suis que pour des mutuelles de santé et de prévoyance relevant du code de la Mutualité Française.

M. Xavier Lagarde. - Les institutions de prévoyance sont des organismes paritaires, dont le conseil d'administration est composé à parité de représentants du personnel et de représentants des syndicats.

M. Arnaud Chneiweiss. - Je traite aussi avec les assureurs.

M. Xavier Lagarde. - Le terme d'assureur est générique.

Mme Silvana Silvani. - Avez-vous identifié des points de tension ou de désaccords, depuis votre poste d'observation, en fonction du statut de l'assureur, et sur quel sujet ? J'ai rencontré des praticiens qui évitaient les incompréhensions des patients sur les soins et leur remboursement en leur fournissant les explications nécessaires.

M. Arnaud Chneiweiss. - Nous jouons un rôle de tiers de confiance, les assurés nous saisissant pour s'assurer qu'ils ont été remboursés du montant adéquat. Dans notre société, la parole des assureurs et des institutions financières est en effet questionnée. Il est très compliqué pour un assuré de comprendre les remboursements, notamment en cas de relation de défiance avec son assurance. Il demande donc à un tiers, qu'il peut saisir gratuitement, si le contrat a été correctement appliqué. Cela nous arrive très fréquemment.

Il arrive aussi qu'un assuré proteste et demande au médiateur s'il a droit à un remboursement lorsque son assureur indique qu'il ne paiera pas.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Merci pour vos exposés très clairs et intéressants. Nous avons beaucoup appris grâce à cette audition. Votre expérience et votre connaissance technique de ces sujets nous sont précieuses.

La séance est levée à 18 heures 26

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Jeudi 16 mai 2024

- Présidence de Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente -

La réunion est ouverte à 15 heures.

Audition des grands groupes de complémentaires santé

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Nous poursuivons cet après-midi les travaux de notre mission d'information consacrée aux complémentaires santé et au pouvoir d'achat, initiée par le groupe Rassemblement Démocratique et Progressiste Indépendant (RDPI). Je vous prie de bien vouloir excuser notre rapporteur, Xavier Iacovelli, qui ne peut malheureusement pas être présent aujourd'hui.

Nous avons souhaité entendre plusieurs grands acteurs de la protection complémentaire santé en France, relevant de divers régimes juridiques, avec l'objectif de comprendre la diversité de leurs activités et de leurs modes d'intervention.

Aujourd'hui, nous accueillons donc : M. Thomas Blanchette, vice-président du groupe mutualiste Vyv et président d'Harmonie mutuelle, accompagné de Mme Catherine Touvret, directrice Assurance et protection sociale du groupe Vyv et directrice générale d'Harmonie mutuelle ; M. Thomas Saunier, directeur général, et M. Laurent Borella, directeur santé, représentant le groupe de protection sociale paritaire et mutualiste à but non lucratif Malakoff Humanis ; Mme Diane Milleron Deperrois, directrice générale Santé et Collectives d'Axa France, et M. Hubert Marc, directeur des affaires publiques du groupe Axa.

Nous avons commencé nos travaux en mars dernier, avec l'ambition de publier, à l'été 2024, un rapport assorti de recommandations. La problématique des complémentaires santé et du pouvoir d'achat est vaste et complexe, nous cherchons à identifier les principaux déterminants du coût des complémentaires ainsi que les raisons de son augmentation, notamment pour les personnes les plus vulnérables en fonction de leur âge ou de leur lieu de résidence.

Cette audition, comme vous en avez été informés, donnera lieu à un compte rendu écrit qui sera annexé à notre rapport, et son enregistrement vidéo, disponible en direct, sera également accessible en différé sur le site du Sénat.

Nous vous proposons de présenter brièvement vos groupes, leur statut juridique, leur histoire, et la place des complémentaires santé dans vos activités ; ensuite, nous aborderons des questions spécifiques à notre mission : l'évolution des cotisations, les raisons de leur hausse, les frais de gestion, l'intermédiation, la transparence et la lisibilité des contrats, assortis de vos recommandations pour offrir la meilleure couverture santé au meilleur prix, indépendamment de l'âge ou du lieu de résidence des assurés.

Mme Diane Milleron Deperrois, directrice générale Santé et Collectives d'Axa France. Nos trois organismes, malgré nos sensibilités et nos différences liées à nos histoires respectives, répondent à un même corpus réglementaire et sont réunis face aux défis de l'évolution de notre système de santé.

Après quelques considérations générales sur la protection sociale complémentaire, je présenterai Axa et ses actions en santé, les principaux facteurs contribuant à nos évolutions tarifaires, les frais de gestion et nos propositions pour améliorer le système.

Nous nous accordons sur le constat selon lequel les enjeux de notre système de protection sociale sont importants, celui-ci étant confronté à une augmentation structurelle des dépenses et à d'immenses défis : déserts médicaux, efficience, vieillissement de la population et reste à charge pour les bénéficiaires. Entre 2011 et 2021, les dépenses de santé ont augmenté de 27 %. Les comptes sociaux sont dégradés, le secteur est marqué par des enjeux de pouvoir d'achat et de soutenabilité, des abus, des fraudes et du gaspillage alors qu'il est surréglementé et a besoin d'être repensé, s'agissant notamment des contrats responsables, lesquels ont aujourd'hui plus de vingt ans. On ne pourra répondre à ces enjeux qu'en anticipant, en concertation entre les nombreuses parties prenantes - assurance maladie, pouvoirs publics, professionnels -, en repensant notre système et en opérant un véritable virage préventif dans le cadre d'un partenariat public-privé.

La protection sociale complémentaire est au coeur de la stratégie d'Axa France. Nous assurons 130 000 entreprises et leurs salariés, nous travaillons avec 75 000 entreprises en santé, et notre part de marché atteint 15 %. Nous sommes le cinquième acteur en santé individuelle. La protection sociale complémentaire représente plus du tiers du chiffre d'affaires d'Axa France, soit 9,5 milliards d'euros, les deux tiers restants allant respectivement au pôle épargne individuelle et au pôle dommages. La santé proprement dite représente environ 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires pour plus de 4 millions de bénéficiaires et leurs ayants droit.

Notre implantation est forte dans les territoires, notamment via nos agents ancrés localement, qui apportent un conseil de proximité à moins de 6 kilomètres (ou une demi-heure) de chez l'assuré, en zone rurale comme en zone urbaine. Plus de 15 000 personnes travaillent ainsi sur le territoire pour assurer notre devoir de conseil et répondre aux besoins hétérogènes des Français en santé.

Nous avons à coeur d'accompagner au mieux nos bénéficiaires. Nous favorisons ainsi l'accessibilité par les services afin de faciliter l'accès aux soins avec des restes à charge parmi les plus faibles d'Europe et des délais de remboursement réduits, grâce à la mise en place de tiers payants. Le projet ROC - remboursement des organismes complémentaires - avec les hôpitaux publics améliore ainsi la prise en charge des factures et génère des gains de productivité importants pour les établissements de santé, en favorisant le tiers payant hospitalier. Nous investissons également dans le numérique, avec des applications et des sites internet, afin de faciliter les remboursements grâce au dépôt de documents, au téléchargement de cartes de tiers payant, au suivi des remboursements. Pour autant, nous restons accessibles par téléphone pour ceux qui ne sont pas adeptes de ces outils. Concernant l'accès aux soins, nous avons mis en place la téléconsultation dès 2015 comme un accès aux soins augmenté, complémentaire à l'accès physique, et désormais intégré dans le parcours de soins. Nous responsabilisons aussi les bénéficiaires en indiquant sur les décomptes le coût total des soins, la part de l'assurance maladie et celle des complémentaires santé, même en tiers payant. La santé a un coût réel qu'il convient, selon nous, de rendre visible : il ne s'agit pas d'un banal bien de consommation.

La prévention est un axe primordial sur lequel nous pouvons travailler ensemble en partenariat public-privé. Conscients du retard de la France en matière de dépistage du cancer par rapport à nos voisins européens, nous avons, par exemple, lancé une campagne dans ce domaine pour nos clients. Nous sensibilisons aussi sur l'absentéisme, en lien avec les problématiques de santé mentale, en avançant des propositions d'actions pour nos bénéficiaires.

Offrir à nos clients le meilleur taux de redistribution possible est notre souci quotidien. Ce taux est un indicateur important du service rendu, avec le meilleur reste à charge et le meilleur rapport qualité-prix. À ce titre, il nous semble très important. Nous suivons de près, de la même manière, le taux de satisfaction de nos clients : 85 % de nos assurés santé se disent satisfaits.

S'agissant des principaux facteurs contribuant à nos évolutions tarifaires, nous évoluons quasi exclusivement dans le cadre de contrats responsables, un dispositif créé il y a une vingtaine d'années. Or, depuis la mise en place du 100 % Santé, nous nous trouvons dans un environnement largement inflationniste qui laisse peu de marge pour moduler nos contrats en fonction des besoins de chacun. Si le 100 % Santé a permis de solvabiliser les Français et d'éviter des renoncements aux soins, il nous semble nécessaire d'en dresser un bilan partagé après quelques années de pratique. Ainsi, sur notre portefeuille de contrats individuels, nous observons un doublement des prestations versées sur l'audiologie entre 2019 et 2023 ; sur le portefeuille collectif d'entreprises, la consommation optique et dentaire a augmenté de plus de 12 % sur la même période. Ces postes représentent 50 % de la consommation sur ce périmètre. Ces éléments doivent nous inciter à agir.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Lorsque vous parlez de 50 % de la consommation sur ce périmètre, parlez-vous de l'optique, l'audiologie et le dentaire ou du 100% santé ?

Mme Diane Milleron Deperrois, directrice générale Santé et Collectives d'Axa France. - Il s'agit de la part de l'optique, de l'audiologie et du dentaire dans l'ensemble des contrats des salariés.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Vous étiez déjà particulièrement engagés dans ces postes avant la réforme du 100 % santé qui a renforcé cette tendance, outre les évolutions de la prise en charge des soins dentaires...

Mme Diane Milleron Deperrois. - Un bilan du 100 % santé est nécessaire. Avons-nous suffisamment étudié les impacts de ce dispositif ?

Il y a eu de nombreuses améliorations dans la prise en charge, ce qui est une très bonne chose, mais on peut s'interroger sur la notion de responsabilisation et sur la consommation du bien commun qu'est la santé.

En outre, la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) indique que le résultat technique des complémentaires santé est quasi nul, alors que l'on constate une inflation très forte sur le coût des soins en complément de la consommation.

Vous nous avez aussi interrogés sur les majorations. Leur taux est estimé entre 8 % et 11 % en moyenne, dans le marché. Durant les quinze dernières années, un tiers de nos augmentations ont été la conséquence de mesures fiscales et réglementaires. Nous sommes conscients de l'impact de ces hausses et nous nous mobilisons activement pour travailler sur la prévention.

Quant à la lutte contre la fraude et les abus, de nombreux travaux existent sur le sujet. Pour prendre un exemple, en 2023, nos travaux sur la fraude et les abus dans les domaines de l'optique et de l'audio nous ont permis d'éviter 20 millions d'euros de dépenses inutiles. Mais avons-nous vu tout ce qu'il fallait voir ? Le directeur général de l'assurance maladie et le directeur de la sécurité sociale ont annoncé des mesures dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 afin de mieux coordonner l'assurance maladie et les organismes complémentaires d'assurance maladie (Ocam) pour lutter contre la fraude.

Pour ce qui est des frais de gestion, le sujet est assez complexe. On peut considérer qu'il existe quatre catégories dans lesquelles identifier les frais généraux des assureurs de santé, en lien avec le taux de redistribution. Premièrement, les frais de commercialisation, de relations clients et de conseil pèsent environ 40 % du total. La deuxième catégorie concerne les frais relatifs à la gestion des contrats, à l'encaissement des cotisations, aux affiliations de tiers payant et aux paiements des prestations, pour un poids à peu près équivalent de 40 %. La troisième catégorie est constituée par les frais relatifs aux fonctions supports de l'entreprise, notamment les services informatiques : elle représente 14 % du total. La quatrième catégorie couvre les autres frais, notamment ceux engagés pour la lutte contre la fraude ou la prévention, et représente 6 % du total.

Ces frais de commercialisation sont nécessaires et justifiés au regard de l'environnement concurrentiel dans lequel nous évoluons. En effet, celui-ci va de pair avec une tarification au plus juste, avec un conseil adapté, avec le meilleur rapport qualité prix ou encore avec l'innovation que nous mettons au profit du reste à charge et de la satisfaction des clients. Quant aux frais de publicité, ils représentent 2 % des frais de commercialisation.

Par conséquent, les périmètres ne sont pas comparables entre l'assurance maladie obligatoire et l'assurance complémentaire. En outre, nous travaillons à diminuer nos frais et à améliorer notre taux de redistribution, qui a d'ailleurs augmenté.

Pour conclure, nous souhaitons premièrement engager un dialogue pour repenser le système dans sa totalité, car il mérite de l'être étant donné les enjeux auxquels nous faisons face. Nous avons besoin de visibilité et d'anticipation pluriannuelle sur les évolutions des dépenses de santé et sur les transferts de charges envisagés - le directeur de la sécurité sociale est intervenu sur ce sujet et nous l'en remercions. C'est un point majeur sur lequel nous devons pouvoir avancer dans le dialogue et au mieux des intérêts des bénéficiaires.

Deuxièmement, il faut faire évoluer le plus rapidement possible le contrat responsable, qui est vieux de vingt ans. Tous les acteurs s'accordent sur la nécessité de le revisiter tout en conservant ses caractéristiques vertueuses qui favorisent l'accès aux soins et limitent le reste à charge des Français, ainsi que son caractère solidaire, respectueux des objectifs fixés par l'État, tels que les franchises ou les pénalités. Ce contrat s'est tellement enrichi qu'il n'est plus en mesure d'atteindre les objectifs qui lui avaient été initialement assignés, comme la maîtrise des dépenses, l'accessibilité aux soins, la responsabilité des acteurs ou la maîtrise du reste à charge. Nous proposons de revoir le dispositif de manière globale. En effet, tous les partenaires sociaux le demandent.

Troisièmement, nous souhaitons développer une collaboration accrue avec l'assurance maladie et la direction de la sécurité sociale sur les fraudes et les abus. Luttons ensemble contre les fausses factures. Il faut poursuivre le partage d'informations en cas de suspicion de fraude avérée et ce, dans les deux sens. Luttons ensemble contre les établissements et les professionnels abuseurs. Mettons en place des protocoles AMO (assurance maladie obligatoire) et AMC (assurance complémentaire obligatoire), car nous avons tous à y gagner. Luttons aussi contre les abus dans d'autres domaines. Nous pouvons collaborer davantage sur les arrêts de travail, tout en respectant le secret médical auquel les médecins sont tenus, grâce à des programmes de prévention.

M. Thomas Saunier, directeur général de Malakoff Humanis. - Nous souscrivons en grande partie aux propos qui viennent d'être tenus. Malakoff Humanis est un groupe de protection sociale. En effet, en matière de protection sociale, il y a toujours une couche de solidarité et une couche de mutualisation, la solidarité relevant de l'État et la mutualisation relevant d'acteurs comme nous. En l'occurrence, nous intervenons dans le domaine de la mutualisation des risques. Nous sommes une entreprise à but non lucratif, sans actionnaires à rémunérer, et notre gouvernance est paritaire et mutualiste - ce sont les représentants de nos clients qui gouvernent le groupe et ses différentes composantes, sur le plan politique.

Plus précisément, nous intervenons dans quatre domaines : la santé ; la prévoyance ; l'épargne, qui inclut l'assurance vie, la retraite supplémentaire et l'épargne salariale ; la gestion du régime Agirc-Arcco pour la retraite complémentaire.

Les missions de Malakoff Humanis s'inscrivent dans un modèle résolument redistributif au bénéfice de l'ensemble des parties prenantes, au premier rang desquelles les clients. Nous nous sommes fixé un taux minimal de redistribution de 83 % et, pour la santé, ce taux atteint 86 %. La redistribution se fait aussi au bénéfice de nos 10 000 collègues du corps social, qui travaillent à la fois sur la retraite complémentaire et l'assurance des personnes. Nous souhaitons, en effet, qu'ils aient un bon contrat social. Enfin, notre modèle est redistributif au bénéfice de l'intérêt général, sous la forme de l'action sociale que nous menons auprès de nos clients qui sont en situation de fragilité, et sous la forme d'une action sociétale dans les domaines du handicap, du cancer, des aidants et du bien-vieillir. Chaque année, notre groupe consacre 200 millions d'euros à l'action sociale et sociétale.

Quelques chiffres-clés : pour la retraite complémentaire, nous comptons 6 millions d'allocataires et 7 millions de cotisants. La partie assurance de personnes compte 9 millions d'assurés pour un chiffre d'affaires de 6,8 milliards d'euros, dont 4 milliards d'euros sur la santé. Le poids de la santé au sein de notre activité d'assurance est donc lourd. Il est important de préciser que nous sommes en déficit technique sur la santé, à hauteur de 138 millions d'euros par an et sur l'assurance en général, à hauteur de 130 millions d'euros par an. Nous maintenons notre équilibre grâce aux produits financiers, dont une partie sert à « éponger » les pertes techniques, tandis qu'une autre partie est redistribuée aux clients, le reste constituant le résultat du groupe, à hauteur de 183 millions d'euros.

Si l'on considère le ratio combiné de Malakoff Humanis en santé, c'est-à-dire l'ensemble des charges divisé par les primes que l'on reçoit, il est de 104,6 %. Cela signifie que lorsque nous recevons 100 euros de nos clients, nos frais sont de 104,6 euros, d'où le déficit technique, qui est néanmoins compensé par les produits financiers.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Depuis quand ?

M. Thierry Saunier. - Depuis plusieurs années. Mais nous assumons cette perte technique, du moins tant que les produits financiers suffisent à la combler.

L'évolution des cotisations s'explique tout simplement par le fait que nous répercutons l'évolution des dépenses qui sont à notre charge. Ainsi, au cours des trois dernières années, nos dépenses globales ont augmenté de 5 % par an et les cotisations ont augmenté de 4,8 % par an. Pour les assurés individuels, nos dépenses ont augmenté de 6,1 % par an en moyenne, et les cotisations ont augmenté de 4,1 % par an. L'évolution des cotisations est donc moindre que l'évolution des dépenses prises à notre charge pour le compte de nos clients.

Je m'oppose à l'idée selon laquelle les complémentaires devraient augmenter leur tarif de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam). En effet, l'augmentation des dépenses que nous prenons en charge s'explique seulement en partie par l'Ondam et résulte aussi des transferts de charges qui s'opèrent entre l'assurance maladie obligatoire et l'assurance maladie complémentaire. Par exemple, le ticket modérateur dans le secteur dentaire est passé l'an dernier de 30 % à 40 %. Cela signifie que nous prenons désormais 40 % des dépenses en charge contre 30 % l'année précédente, ce qui représente 1,1 % d'augmentation des cotisations, en plus de l'Ondam.

Autre exemple, le dispositif Mon soutien psy, en année pleine, représente environ 0,5 % de dépenses en plus. Cela montre bien que, en plus de l'inflation des dépenses que nous subissons au même rythme que l'assurance maladie obligatoire, nous devons aussi assumer les transferts de charges. On estime que, pour 2024, ces transferts représenteront une hausse des dépenses à notre charge de 2,5 % en plus de celles de l'Ondam. Telles sont les raisons qui expliquent que les cotisations des complémentaires santé peuvent augmenter davantage que l'Ondam.

Il faut également mentionner les taxes. En effet, si un assuré paie 114 euros de cotisations, il faut compter 14 euros de taxes. Dans les 100 euros qui restent, il y aura 86 euros de prestations et donc 14 euros à la charge de l'assuré.

Sur les frais généraux, je souscris à l'analyse qui vous a été livrée précédemment. J'ajouterai que la comparaison entre les frais de gestion de l'assurance maladie obligatoire et les frais généraux des complémentaires est un peu caricaturale, à deux titres : d'une part, dans les frais de gestion de l'assurance maladie obligatoire, tout n'est pas pris en compte, notamment l'Urssaf, alors que nous devons aller chercher nos cotisations ; d'autre part, le conseil ou la relation avec nos clients sont pris en compte dans nos frais généraux.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Et l'action sociale ?

M. Thomas Saunier. -Également. La part du relationnel compte pour 8 % dans les frais généraux, elle est de 2 % pour la structure d'assurance et de 2 % pour ce qui relève du service et de l'action sociale.

Je ne reviens pas sur les défis de notre système de santé, qui sont nombreux : déserts médicaux, efficience du système, augmentation significative des dépenses globales qui deviennent structurelles à cause du vieillissement de la population, augmentation des besoins de santé, coût des médicaments...

Il faut noter que l'Ondam réalisé est souvent supérieur à celui qui a été voté. Ainsi, en 2023, l'Ondam voté était de 3,7 % et l'Ondam réalisé de 4,8 %. En moyenne, sur les quatre dernières années, l'Ondam voté était de 4 % et l'Ondam réalisé de 5,1 %. Cela un impact sur notre groupe.

Je suis convaincu que les Français sont attachés à ce système de paiement dual, entre le public et le privé. Nous avons mené une grande enquête l'année dernière, qui montre que quatre Français sur cinq y tiennent. Ils sont contre la « Grande Sécu ».

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Leur a-t-on posé la question en ces termes ?

M. Thomas Saunier. - Oui, on leur a demandé s'ils préféraient un financement public ou conserver le régime actuel. Nous vous transmettrons les documents.

La sécurité sociale, ce sont des déficits ; la Grande Sécu, ce seront probablement de grands déficits, donc moins de sécurité sociale, puisqu'il faudra raboter sur les prestations. Par ailleurs, à partir du moment où le financement est étatique, le système a tendance à le devenir aussi, ce qui ouvre la voie à la médecine à deux vitesses. Il n'est qu'à voir ce qui s'est passé en Espagne ou en Angleterre. Ainsi, les plus riches, soit 10 %, sortiront complètement du système et prendront une assurance privée au premier euro.

Comme Axa et Harmonie mutuelle, nous appelons à une vraie concertation avec l'État sur la prévention, la maîtrise des dépenses et le cadre contractuel responsable dans lequel nous évoluons.

Le 100 % Santé a été une réforme utile en termes d'accès aux soins, pas trop pour l'optique, mais pour l'audioprothèse et le dentaire. Initialement, il était prévu que 170 millions d'euros seraient à la charge des complémentaires ; in fine, trois ans après, ce sont 2,5 milliards par an ! Sur les trois dernières années, plus de la moitié de la hausse des dépenses à notre charge est due au 100 % santé. Je rappelle que nous n'avons jamais été consultés lors de sa constitution, alors que nous assumons 80 % des charges. Nous prônons donc le dialogue.

Qui plus est, à ma connaissance, aucun bilan financier n'a été dressé.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Il y a eu un rapport de la Cour des comptes.

M. Thomas Saunier. - Il ne contient pas de bilan financier complet. Ce qui est à la charge des complémentaires se répercute sur les primes des assurés, puisque nous nous contentons de mutualiser le risque.

Un chiffre : pour nous, la fraude représente 52 millions d'euros. La somme des fraudes pour les groupes présents ici, si elles étaient évitées, serait significative, probablement autant que pour l'assurance maladie obligatoire, alors qu'elle prend en charge 75 % des dépenses, contre 16 % pour les complémentaires. Si nous mettions nos moyens et nos données en commun, nous serions probablement beaucoup plus efficients dans cette lutte.

Les réseaux de soins font économiser 80 millions d'euros par an à nos clients. Voilà un type de services à valeur ajoutée qui est mis à disposition de nos clients.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Comment parvenez-vous à ce montant ?

M. Thomas Saunier. - Laurent Borella y reviendra. Le réseau de soins Kalixia, que l'on partage d'ailleurs avec Harmonie mutuelle, compte 20 millions d'assurés, ce qui nous donne la capacité de négocier, par exemple avec des opticiens, pour qu'ils procurent une qualité de verres supérieure.

Pour faire de la prévention, il faut faire du prédictif et, pour cela, utiliser de la donnée. Aujourd'hui, on est très précautionneux sur ce sujet. Bien sûr, la donnée doit être anonymisée ; reste qu'il faudrait une réflexion poussée sur de son usage, car, j'y insiste, la data permet de faire du prédictif, donc de la prévention. Je pense que les assurances maladie obligatoire et complémentaires pourraient progresser en la matière.

Nous souhaitons un bilan du contrat solidaire responsable, et ce afin de l'adapter, non de le remettre en cause. On peut tout à fait concevoir qu'en matière de complémentaire santé les besoins d'un étudiant ne sont pas ceux d'un senior.

M. Laurent Borella, directeur santé de Malakoff Humanis. - Je reviens sur l'économie réalisée grâce aux réseaux de soins.

On dispose en base de données du détail individuel de chaque équipement optique vendu : le verre, la marque, la réfraction visuelle, son prix. On compare l'ensemble des verres vendus dans le cadre des accords de réseau avec l'ensemble des verres vendus par ailleurs. Cela représente une différence d'à peu près 40 millions d'euros. On constate aussi que nos assurés qui vont dans le réseau, grâce aux baisses de tarifs, achètent des verres de meilleure qualité. On est donc capable de calculer l'écart de valorisation du verre entre une personne qui s'est rendue dans le réseau et celle qui n'y est pas allée. En résumé, dans le réseau, le case mix qualité des verres est supérieur - cela représente également 40 millions d'euros. Voilà comment on parvient aux 80 millions d'euros qui sont rendus à nos assurés. Cela fait partie des 200 millions d'euros dont il a été question tout à l'heure.

M. Thomas Blanchette, vice-président du groupe mutualiste Vyv et président d'Harmonie mutuelle, membre fondateur du groupe Vyv. - Harmonie mutuelle est la première mutuelle santé de France avec près de 5 millions de personnes protégées, majoritairement et depuis longtemps par des contrats d'entreprise. Elle compte 5 500 collaborateurs, tous basés en France. Elle est membre fondatrice du groupe Vyv, avec la Mutuelle générale de l'éducation nationale et les Mutuelles nationales territoriales. Le groupe Vyv est un acteur spécifique, présent sur le champ de la santé, à la fois sur les métiers de l'assurance, mais également dans le soin et l'accompagnement.

Nos principaux métiers sont la prévention, la santé et la prévoyance. Nous sommes une mutuelle relevant du code de la mutualité et sommes un acteur non lucratif, qui n'a aucun actionnaire à rémunérer.

Une gouvernance mutualiste, cela signifie que l'instance de décision qui est notre conseil d'administration est composée exclusivement d'hommes et de femmes représentant nos adhérents, élus par ceux-ci. Harmonie mutuelle, née en 2013, est issue de la fusion de cinq grandes mutuelles régionales ; elle garde une forte implantation dans les territoires où 95 % de ses emplois sont situés.

Comme les autres opérateurs de santé, publics et privés, nous nous mobilisons pour trouver des solutions, au bénéfice de nos adhérents et entreprises clientes, face à un contexte sanitaire exigeant et à des moyens limités devant répondre à des problèmes illimités.

Je laisse Catherine Touvrey, directrice générale, vous exposer notre modèle de redistribution.

Mme Catherine Touvrey, directrice Assurance protection sociale du groupe Vyv et directrice générale d'Harmonie mutuelle. - Notre modèle économique repose sur la redistribution. Nous gérons à prix coûtant l'activité santé. À l'occasion de la crise du covid, nous avons mis en place un mécanisme de protection des assurés qui consiste statutairement à ne jamais descendre en dessous de 80 % de prestations. Si, d'aventure, ce chiffre venait à être franchi à la baisse, le mécanisme statutaire qu'Harmonie mutuelle a mis en place crée une dotation au bénéfice des adhérents, c'est-à-dire une provision pour ristourne qu'elle utilise ensuite dans les deux ans, soit par réduction de cotisation, soit par l'aménagement de prestations.

Ce mécanisme n'a pas eu à jouer de façon globale puisqu'à l'occasion de la pandémie, alors que les consommations ont été moindres, une contribution a été versée à la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) sous forme de taxes. En revanche, nous avons été partie prenante au procès Mediator et obtenu 8,5 millions d'euros. Cette somme a été dotée en provision pour ristourne par le conseil d'administration et sera utilisée dans les deux ans qui viennent, au bénéfice des adhérents. Il s'agit là d'un mécanisme statutaire unique au sein des complémentaires santé.

Nous fixons les cotisations de l'année suivante en fonction d'un taux de redistribution cible, élevé et pérenne. En 2023, ce taux est élevé : 82,7 %. Par ailleurs, nos frais de gestion sont de 17,1 % - 11 % en frais administratifs et 6 % en services, qu'il s'agisse de l'action sociale, du magazine, des agences. Le taux de redistribution est obligatoirement publié par les organismes complémentaires à la clôture de chaque exercice. Il est tout aussi important que le taux de frais de gestion, car il renseigne sur la politique de marge de chacun des opérateurs.

Nous avons fait un calcul. Si l'ensemble du marché de la complémentaire santé appliquait de façon volontaire ou moins volontaire ce minimum de redistribution, 1,5 milliard d'euros auraient été rendus aux assurés en 2023. Il existe assez peu de mesures permettant un gain de 1,5 milliard d'euros de pouvoir d'achat sans coûter 1 euro aux finances publiques.

Harmonie mutuelle présente une autre spécificité : l'accès à la complémentaire santé pour les plus modestes. Depuis l'origine, nous sommes un opérateur de la complémentaire santé solidaire. D'ailleurs, avant que celle-ci n'existe, nous avions créé un dispositif avec ATD Quart Monde. Aujourd'hui, nous sommes le premier gestionnaire privé de la complémentaire santé solidaire en France ; nous couvrons au titre de ces contrats 250 000 personnes à qui nous proposons les mêmes attributs qu'aux autres adhérents d'Harmonie mutuelle.

La participation à ce dispositif dans lequel nous nous sommes maintenus est un choix fort d'Harmonie mutuelle, dans une vocation universelle de faire participer à la gestion et à la vie démocratique du groupe tous les publics de toutes les conditions sociales.

Aujourd'hui, le dispositif est déséquilibré. En effet, il existe une partie complémentaire santé solidaire dite « gratuite », pour laquelle nous ne touchons aucune rémunération, et une autre partie dite « payante », pour laquelle nous percevons une rémunération de la part de la Cnam d'environ 30 euros par an et par bénéficiaire. Pour autant, bon an mal an, ce sont des conditions acceptables.

J'évoque ce point pour montrer que, lorsqu'on travaille avec la Cnam, on est capable de trouver des conditions économiques à peu près supportables par les parties. C'était le cas d'ailleurs historiquement avec le régime social des indépendants avant qu'il ne soit repris. Harmonie mutuelle était également le premier gestionnaire, avec plus de 600 000 travailleurs indépendants, et on avait dressé le même constat.

M. Thomas Blanchette. - Voilà pour la présentation de notre modèle économique et de notre action vers les publics les plus fragiles.

La question centrale de la mission d'information est celle de l'accès à la couverture santé et de son lien avec le pouvoir d'achat. Vous l'aurez compris, nos cotisations dépendent des dépenses de santé. Dès lors, pour agir sur les cotisations, il faut aussi continuer d'agir sur la dépense. Pour réussir ce défi, qui est celui de notre système de santé dans son ensemble, nous avons une conviction forte et partagée, celle d'agir en complémentarité des pouvoirs publics et des parties prenantes sur des sujets aussi majeurs et structurants que la prévention, la lutte contre la fraude, la régulation des prix en santé. Il nous faut chercher ces complémentarités. Chacun doit être à sa place, là où il est le plus efficient, car nos défis sont communs. Il est illusoire de croire que nous les affronterons en ignorant les acteurs qui nous entourent.

Mme Catherine Touvrey. - Pour terminer sur l'approche partenariale, j'évoquerai la lutte contre la fraude. En 2023, elle a représenté 45 millions d'euros pour Harmonie mutuelle.

Harmonie mutuelle a lancé le dispositif en audioprothèse avec un an d'avance sur la réforme du 100 % santé. Nous étions très désireux de favoriser l'accès aux soins. Un acquéreur d'audioprothèses sur deux était un primoéquipé. Quand on parle d'accès aux soins, il s'agit là d'un élément d'information important.

Le dispositif 100 % santé se voulait équilibré pour l'ensemble des parties prenantes dans une logique prix-volume. Il faut de nouveau s'asseoir autour de la table pour analyser - nous avons des chiffres et connaissons les comportements qui les expliquent - et faire les réglages prix-volume qui permettront de maintenir ce dispositif dans la durée.

J'en viens à la hausse des prestations. Sur la période 2019-2023, celle-ci a atteint 20 % : deux tiers de cette hausse s'expliquent par le 100 % santé. C'est lié à l'écart de portefeuilles individuels et collectifs, puisque, de façon assez naturelle, le rattrapage a été plus fort pour les individuels.

Nous souhaitons insister sur la prévention. Pour que le système soit efficient, il est très important que chacun ait un rôle spécifique sans redondance ni superposition. En matière de prévention, tous les efforts que nous fournissons historiquement depuis plus de vingt ans sont tournés vers les changements de comportement.

La prévention, c'est passer d'un comportement A à un comportement B, par exemple d'une situation de non-dépistage à une situation de dépistage, d'une situation de sédentarité à une situation d'activité physique, etc. Or nous constatons que les changements de comportement ne sont pas rationnels : il ne suffit pas de savoir pour agir. Il n'est qu'à voir les médecins qui fument, alors que 100 % d'entre eux savent que la cigarette n'est pas bonne pour la santé.

Les leviers étant plutôt relationnels et émotionnels, puisque nous sommes implantés dans les territoires, nous rencontrons nos adhérents dans les entreprises, dans les agences, dans le cadre des opérations de mobilisation que nous menons. À titre d'exemple, en 2024, nous organiserons 50 agoras, c'est-à-dire des réunions de 100 à 1 000 personnes en présentiel et en webinaire consacrées à l'importance de l'activité physique.

Notre proposition est d'appuyer l'action des pouvoirs publics, ou des agences telles que Santé publique France ou l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), dans une logique de transmission auprès de nos adhérents.

On peut s'engager sur des actions de mise en oeuvre concrète de la prévention et sur des indicateurs pour les suivre. La Fédération nationale de la mutualité française (FNMF) a montré il y a quelques années que lorsque l'on relaie des campagnes de vaccination, on peut doubler le taux de recours.

On pourrait aller jusqu'à une logique de conventions d'objectifs et de gestion, avec un engagement clair, des indicateurs de suivi et un partage des rôles explicite avec l'État et l'assurance maladie, en cherchant la plus grande complémentarité. La confiance ne se décrète pas ; elle se construit sur des engagements tenus. Nous y sommes prêts, en tant que partenaires fiables.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - J'aimerais que vous détailliez vos propos sur les évolutions du contrat responsable. Pourriez-vous nous parler plus précisément des évolutions qui vous paraîtraient pertinentes ? Quelle serait l'ambition ?

J'aimerais un point de vue global sur le 100 % Santé. Comment se partagent les effets de l'inflation et ceux du rattrapage en équipements, tels que les audioprothèses ? Qu'anticipez-vous pour l'avenir ? Y aura-t-il des dépenses non justifiées, en tant que « droit à » ? Ou alors a-t-on assisté à une grosse part de rattrapage ?

Sur la lutte contre la fraude, j'entends que vous souhaitez un plus grand partage de données avec la Cnam. Qu'est-ce qui bloque actuellement la coopération entre l'assurance maladie et les mutuelles ?

M. Thomas Saunier. - Nous n'avons pas de propositions toutes faites sur le contrat responsable. Ce que nous souhaitons, c'est un dialogue et un bilan de toutes les dimensions du contrat responsable, par catégorie d'âge, par profil. Le 100 % Santé, qui est dans le contrat responsable, est une bonne chose. Mais pas une fois nous n'avons été concertés pour en définir le panier... Or on aurait probablement pu obtenir le même résultat de santé sans que cela coûte aussi cher, s'il y avait eu concertation. La moitié des augmentations de tarif des trois dernières années sont dues au 100 % Santé. Que ce soit au sein du comité de dialogue ou ailleurs, dans une instance à institutionnaliser, nous voulons pouvoir échanger sur trois points : l'augmentation des dépenses de santé, la prévention - quelles actions doivent relever de l'AMO et quels retours d'expérience peut-on proposer ? - et le cadre contractuel, sur lequel un bilan doit être établi.

Si nous venions avec des propositions toutes faites, l'assurance maladie obligatoire serait en droit de répondre : « C'est à prendre ou à laisser. » Instaurons un dialogue. Sur de la fraude, il n'y en a pas, car il n'y a pas d'instance. Au sein de certaines fédérations, nous avons une instance qui mériterait d'être développée, mais ce n'est pas suffisant. Il faut une instance institutionnalisée pour réfléchir aux fraudes.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Quelle instance appelez-vous de vos voeux ? Qui vous représenterait ? Serait-ce l'Unocam ?

M. Thomas Saunier. - C'est à définir. L'agenda doit être fixé de part et d'autre, pour commencer.

Mme Diane Milleron Deperrois. - Il faut parvenir à une opérationnalité partagée. L'AMO voit un certain nombre de choses, nous aussi, mais il n'y a pas de partage. Par conséquent, on est moins efficace. Or il y a un gisement formidable. Le temps est venu. La volonté est vraiment présente de part et d'autre.

Mme Catherine Touvrey. - On constate une volonté explicite et affirmée de l'ensemble des parties prenantes. Le moment est favorable. Il y a quelques obstacles juridiques purs : la capacité des complémentaires à donner des informations au régime général sur les arrêts de travail pose des problèmes de droit à surmonter. Ensuite, il existe des processus très opérationnels, d'échanges de données, de communication avec l'Agence de lutte contre la fraude à l'assurance (Alfa), qui joue un rôle très intéressant.

Nous sommes dans les starting blocks pour adapter nos chaînes de traitement afin que les informations soient mieux et plus partagées. On pourrait systématiser des recours plus efficaces.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Je connais un peu la loi de 2004 qui a créé l'Union nationale des organismes complémentaires d'assurance maladie (Unocam)... Je cite un passage de l'exposé des motifs : « L'absence de coordination entre l'assurance de base et les assurances complémentaires conduit souvent à des incohérences dans la gestion de notre système de soins. » Un autre : « L'union nationale des organismes de protection sociale complémentaire et l'union nationale des caisses d'assurance maladie examinent conjointement leurs programmes annuels de négociations avec les professionnels et les centres de santé portant sur leur champ respectif. Elles déterminent annuellement les actions communes menées en matière de gestion du risque ».

Qu'est-ce qui n'a pas fonctionné ? Tout le monde se plaint d'un univers complexe. Ce n'est pas simple d'avoir affaire à deux payeurs, et autant d'interlocuteurs, même si une très grande majorité des Français plébiscite le système. Il y a un problème de régulation collective et de répartition des actions.

Ainsi, sur la prévention, si l'on ne connaît pas les composantes de la politique de santé publique, ses objectifs, les modalités d'évaluation des résultats obtenus, le rôle de chacun, comment cela peut-il fonctionner ? On pourrait même estimer que la dimension de prévention constitue un élément marketing pour gagner des clients.

On a l'impression que l'on ne se donne pas tous les moyens d'être efficace. Les outils prévus ne sont-ils pas les bons, ou était-ce trop tôt en 2004 ? Et cela peut archer en 2024 ?

Mme Diane Milleron Deperrois. - Contre la fraude, il y a aussi des moyens d'action nouveaux. On constate que les informations sont fragmentées et non partagées, ce qui laisse un champ ouvert aux fraudeurs. Aujourd'hui, avec les moyens d'identification, on peut aller plus loin. Je pense que la notion de dialogue préalable, pour aller finalement jusqu'au cadre juridique de sécurisation, et les échanges de données, avec le cadre approprié en matière contractuel et de protection, sont devant nous, parce que les moyens ont évolué.

M. Thomas Saunier. - L'Unocam n'est probablement pas l'alpha et l'oméga des interlocuteurs. Ce qu'il faut, c'est un dialogue entre l'assurance maladie obligatoire, la direction de la sécurité sociale et les organismes complémentaires. Il faut probablement les trois fédérations autour de la table, ainsi que l'Unocam, mais celle-ci n'intervient que sur le conventionnel, non sur le contractuel, or l'on sait que la tuyauterie est importante !

Madame la présidente, vous évoquiez la complexité engendrée par le fait qu'il y ait deux payeurs. Je voudrais souligner que pour 100 actes de remboursement, 55 passent par le tiers payant, et donc le client ne les voit pas.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - C'est plus compliqué quand il y a deux interlocuteurs plutôt qu'un.

M. Thomas Saunier. - Ensuite, 28 passent par la noémisation - l'usage du système de télétransmission NOEMIE. Il reste 17 actes manuels, dont la moitié, chez nous, sont automatisés. Donc, sur 100 actes, 5 font l'objet d'un paiement non instantané. C'est un progrès important des complémentaires santé.

M. Thomas Blanchette. - Était-il trop tôt, en 2004 ? Oui. J'ai siégé dix ans à l'Unocam et autant à la Cnam. Je peux dire que nos organismes ont évolué. On évoquait tout à l'heure la concentration des opérateurs. À l'époque, discuter avec Frédéric Van Roekeghem d'un possible partenariat était compliqué, eu égard à la taille de nos organismes. Aujourd'hui, discuter avec Thomas Fatome, ou Nicolas Revel avant lui, de partage de données et d'outils devient possible.

L'Unocam est dans un cadre bien précis de la négociation conventionnelle et la gestion du risque (GDR) est un sujet sensible. Il y a nécessité de se réunir autour d'une table, dans une logique partenariale, et d'aborder ensemble la capacité des opérateurs... Cela fait trente ans que je suis administrateur de mutuelle. La concentration des opérateurs et son effet sur leur taille ont permis d'investir dans des outils, notamment de lutte contre la fraude, de créer des partenariats. La taille de nos organismes a permis d'apporter des réponses. Il convient maintenant de partager avec l'assurance maladie et les autres partenaires, pour monter ensemble des dispositifs.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Je me réjouis que les auditions permettent de dégager ce constat partagé d'une volonté de travailler en commun.

Malgré tous les systèmes d'accès à une complémentaire santé pour les personnes à faibles ressources, malgré la complémentaire santé solidaire (C2S) et la loi Évin du 31 décembre 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques, il y a des assurés qui, en particulier du fait de leur âge, subissent un niveau de cotisation complémentaire en forte hausse par rapport à leur période d'activité. Quelles seraient vos recommandations pour éviter cela ? Comment faire en sorte que l'âge et le lieu de résidence ne soient pas aussi discriminants ? Partagez-vous ce diagnostic et si oui, comment lisser davantage l'évolution ?

Évidemment, vous êtes des assureurs et la progression des dépenses est assez linéaire à partir d'un certain âge !

Les indépendants ne bénéficient pas de contrats collectifs et paient l'intégralité du montant de leur cotisation, ainsi que de la taxe.

Mme Catherine Touvrey. - Madame la présidente, vous avez demandé si, sur le 100 % Santé, le rattrapage était terminé : en optique, on n'a pas constaté d'amélioration significative de l'accès aux soins. Le fonctionnement antérieur, les réseaux de soins avaient déjà apporté des réponses avant le 100% santé. D'ailleurs le recours au fameux panier A est extrêmement faible, à 6 %, contrairement à l'audioprothèse et aux soins dentaires, qui sont assez liés à l'âge. Aujourd'hui, sur notre portefeuille, le rapport entre une consommation à 30 ans et une consommation à 65 ans est de deux, et de trois entre 30 ans et 87 ans. Le poids des consommants est croissant dans notre population.

Nous exerçons un métier de mutualisation. Tous les retraités ont une hausse de consommation, mais le taux d'effort n'est pas le même pour tous. Le sujet est vraiment important et doit faire l'objet d'un dialogue entre les partenaires.

M. Thomas Saunier. - On pense naturellement à deux catégories de personnes, en matière de complémentaire santé : les jeunes et les retraités. Un certain nombre de complémentaires santé ont déjà pris des mesures en faveur des jeunes : elles les couvrent jusqu'à 25 ans ou à leur premier emploi, même s'ils ont terminé leurs études.

Vous connaissez la C2S pour les seniors, avec ses deux plafonds. Pour répondre à la difficulté de ceux qui sont juste au-dessus de la C2S, il y a deux pistes : étudier la question des seniors dans le cadre de la revisite et du bilan du contrat responsable, pour une réponse à moyen terme ; supprimer la taxe sur les contrats qui sont juste au-dessus du seuil de la C2S, pour une réponse à court terme. C'est le cas chez Malakoff Humanis, avec une aide à la cotisation de 200 euros par personne, en dessous de 14 000 euros de revenus annuels par membre du foyer fiscal. Au vu de la situation fiscale du foyer, l'aide peut être de 200 euros pour une personne, de 400 euros pour deux personnes. Nous le pouvons car nous sommes à but non lucratif. De façon plus générale, est-ce normal qu'il y ait une taxe sur les contrats destinés à des personnes ayant des faibles revenus, pour des montants négligeables ? Ne pourrait-on pas supprimer la taxe sur ces contrats ?

Mme Catherine Touvrey. - Certaines collectivités territoriales ont apporté une tentative de réponse ; ainsi, de l'Île-de-France avec Harmonie Mutuelle et Axa.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Nous avons auditionné des représentants des associations d'élus et cette opération a été évoquée. Combien de personnes y ont souscrit ?

Mme Catherine Touvrey. - J'évoquerai deux expériences : avec la région Île-de-France et avec le conseil départemental des Bouches-du-Rhône. Dans les deux cas, nous constatons un nombre de chefs de famille assez limité, de 1 900 en Île-de-France, ce qui est très peu, et de 2 500 personnes protégées dans les Bouches-du-Rhône après seize mois de mise à disposition et une communication importante. Finalement, ces dispositifs sont l'occasion de réorienter nombre de demandeurs vers la C2S.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - L'existence même de ces dispositifs prouve qu'il y a un souci.

Mme Diane Milleron Deperrois. - La vocation pédagogique de ces expériences est importante, que le chef de famille soit ensuite éligible à la C2S ou non. Beaucoup de démarches sont réalisées sur le terrain auprès des centres communaux d'action sociale (CCAS).

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - En tout cas, cela conduit à des démarches d'acteurs engagés au contact de populations susceptibles de rencontrer des difficultés. Nous avons constaté, au cours de nos auditions, à quel point le non-recours est problématique.

Mme Diane Milleron Deperrois. - La proximité est vraiment nécessaire.

M. Thomas Blanchette. - Il y a quelques années a été imaginée la Plate-forme d'intervention départementale pour l'accès aux soins et à la santé (Pfidass), qui met en action sur les territoires les CCAS, les acteurs du soin, les caisses d'allocations familiales et les caisses primaires d'assurance maladie, pour identifier le besoin des personnes en écart de soin, puis les accompagner dans le parcours de soin, afin de leur permettre de franchir la porte du professionnel de santé et d'entrer dans une logique d'assurance, avec une complémentaire santé de qualité.

Nous sommes dans une dynamique d'accompagnement de ces populations dites fragiles, mais c'est chronophage. Dans certaines agences de Marseille, 70 % du taux d'occupation de nos collaborateurs consiste à les accompagner. On le fait bien volontiers, mais si, demain, un dispositif faisait doubler, tripler ou quadrupler ce flux, la supportabilité de notre modèle ne serait pas la même. Pour autant, nous voulons trouver des solutions, tant sur l'accès aux soins que sur l'accès à une complémentaire santé de qualité et de proximité, car la proximité dans les territoires est importante pour tous, quel que soit le modèle.

M. Thomas Saunier. - Cela concerne la question des frais généraux. Il y a besoin de donner du conseil, d'approcher les assurés, y compris en matière de C2S. Un certain nombre de personnes ne savent pas qu'elles ont droit à la C2S. Même quand elle est gratuite, on a besoin de la « vendre ».

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Merci pour cette audition vraiment très intéressante.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 heures.