Mercredi 3 avril 2024
- Présidence de Mme Marie-Pierre Monier, présidente -
La réunion est ouverte à 13 heures 30.
Audition de M. Albéric de Montgolfier, sénateur, président de la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture (CNPA)
Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui les travaux de notre mission d'information consacrée au périmètre d'intervention et aux compétences des Architectes des bâtiments de France avec l'audition de notre collègue Albéric de Montgolfier, que nous recevons en sa qualité de président de la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture.
Monsieur le président et cher collègue, au nom de l'ensemble des membres de la mission d'information, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation.
Vous avez vécu de nombreuses vies professionnelles et politiques, puisque vous avez été, successivement ou simultanément, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, élu local, sénateur ou encore rapporteur général de la commission des finances. Plusieurs des fonctions que vous avez occupées ou que vous occupez toujours témoignent d'un intérêt fort pour les enjeux liés au patrimoine : en 2019, vous avez été rapporteur pour avis sur le projet de loi pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris ; vous êtes aujourd'hui, en plus de vos fonctions de vice-président de la commission des finances, président de la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture. Je n'y vois là aucun hasard pour le fils d'un conservateur en chef honoraire du patrimoine et ancien directeur du Musée Carnavalet.
Cette commission, dite « CNPA », s'est substituée en 2017 à la Commission nationale des monuments historiques, à la Commission nationale des secteurs sauvegardés et au Conseil national des parcs et jardins. Elle est obligatoirement consultée sur un certain nombre de projets de classement ou de modification d'édifices protégés - les projets de classement de sites patrimoniaux remarquables, par exemple, ou encore les projets d'aliénation d'immeubles protégés au titre des monuments historiques.
Votre expérience en matière de conservation du patrimoine ainsi que votre expertise pour ce qui concerne les saisines de la CNPA nous ont donc paru tout à fait précieuses pour éclairer les travaux de notre mission d'information. À l'initiative de notre rapporteur Pierre-Jean Verzelen, nous nous sommes fixés pour objectif d'établir une forme de bilan de l'action des ABF dans nos territoires, en mettant en lumière non seulement les inévitables difficultés rencontrées par les différents acteurs concernés, mais aussi les bonnes pratiques qui existent sur le terrain.
Il nous serait donc particulièrement utile que vous partagiez avec nous, au-delà d'une présentation des missions de la CNPA, votre expérience concrète de l'intervention des ABF. En tant que président de la CNPA, élu local et parlementaire engagé sur le sujet, partagez-vous le constat fait par la Cour des comptes en 2022 d'une inadéquation entre leurs missions et leurs moyens ? Comment leurs relations avec les élus locaux pourraient-elles, s'il en est besoin, être améliorées ? Telles sont les premières questions que nous nous posons au lancement de nos travaux.
Je vous laisse donc sans plus attendre la parole pour un propos introductif d'une dizaine de minutes. Je passerai ensuite la parole au rapporteur pour une première série de questions, avant de laisser l'ensemble des membres de la mission s'exprimer à leur tour. Monsieur le président et cher collègue, vous avez la parole.
M. Albéric de Montgolfier, président de la CNPA. - Madame la présidente, monsieur le rapporteur, chers collègues, je vous remercie pour votre invitation sur un sujet qui suscite beaucoup d'intérêt, parfois de polémique. Je me réjouis qu'une mission d'information aborde le sujet, et j'imagine, étant donnée toute la diversité de mes collègues ici présents, qu'ils sont porteurs d'expériences parfois douloureuses. C'est aussi mon cas en tant qu'élu local et parlementaire.
La CNPA se réunit tous les jeudis pour des classements, avec une vision à l'échelle nationale du patrimoine en France, en incluant l'outre-mer. Elle est composée de sept sections, qui s'occupent de sujets allant des instruments de musique aux grottes ornées en passant par le mobilier. Trois sections, composées chacune de 26 membres et présidées par un parlementaire (comme moi-même) sont plus particulièrement concernées par le patrimoine monumental et ont des rapports avec les Architectes des bâtiments de France (ABF) : la section des SPR (sites patrimoniaux remarquables), la section en charge des classements (après avis de la Commission régionale du patrimoine et de l'architecture, CRPA) et enfin la section des travaux qui examine les projets de travaux majeurs ou posant des questions doctrinales, à l'image du chantier de Notre-Dame qui a déjà fait l'objet de 10 réunions de la CNPA pour chacune de ses grandes étapes (choix d'une charpente en bois, modèle de charpente, abords, protection incendie, aménagements liturgiques).
Les projets étant présentés par un porteur du projet qui développe souvent une vision politique plus ou moins fondée - il peut s'agir d'un maire dans le cas d'un classement SPR, les ABF sont auditionnés en tant qu'experts par la CNPA, parallèlement à la DRAC, pour apporter avant tout leur expérience de terrain, à savoir la connaissance des immeubles et de leurs intérieurs. Les projets de classement, une quarantaine chaque année, peuvent concerner Montmartre ou la tour Eiffel, mais aussi des églises rurales, des lavoirs ou des bâtiments pénitentiaires en outre-mer. Comme le périmètre des DRAC est désormais étendu sur de grandes régions, il est difficile pour le conservateur régional des monuments historiques d'avoir une vision de terrain à l'échelle par exemple de la Nouvelle-Aquitaine, qui s'étend du sud de la région Centre à la frontière des Pyrénées, de sorte que la connaissance fine du patrimoine appartient à l'ABF.
La CNPA est donc un collège d'experts, où s'exprime l'administration, ainsi qu'un collège des associations du patrimoine. On y vote comme dans toutes les commissions, parfois à bulletins secrets. Les avis de la CNPA sont des avis simples, et non conformes, mais ils ont toujours été suivis à ce jour par le ministre. Lorsqu'ils portent sur les monuments classés de l'État, ce n'est pas l'ABF qui est sollicité, puisqu'ils relèvent du monopole des architectes en chef des monuments historiques selon le code du patrimoine. En revanche, l'ABF est le conservateur au quotidien des monuments, dont il assure l'entretien et la sécurité.
Je serai direct : selon moi, la mission de l'ABF est presque une mission impossible. Cela tient tout d'abord à la question du périmètre. Quand on cumule le périmètre de 500 mètres autour d'un monument classé ou inscrit relevant d'une autorisation pour travaux, les surfaces couvertes par les SPR et les sites naturels classés ou inscrits, 8 % du territoire français sont potentiellement concernés par un avis de l'un des 189 ABF, souvent en zone rurale avec des déplacements. La mission des ABF est rendue encore plus impossible parce que le législateur et le pouvoir réglementaire leur ont ajouté de nouvelles missions concernant les projets d'énergies renouvelables, dont le nombre croît exponentiellement, le conseil sur l'entretien du patrimoine ou la sécurité des cathédrales. Les ABF sont ainsi en charge des avis d'urbanisme, conservateurs des monuments de l'État et conseil sur des périmètres très variés géographiquement et cette accumulation de mission est à mon sens à la source des incompréhensions, voire des conflits qui existent et qui ont sans doute motivé la constitution de la présente mission d'information. En effet, il arrive que des ABF surchargés soient amenés, par sécurité et par précaution, à émettre un avis négatif sur tel ou tel projet de fenêtres de toit, faute de temps ou de capacité d'aller sur le terrain.
J'ai des propositions très concrètes à faire pour remédier à cette situation, mais demandons-nous auparavant si les critiques formulées à l'égard des ABF sont justifiées. À mon sens, si l'idée de l'ABF tout puissant marque encore les esprits, l'instauration d'une voie de recours, avec la possibilité de faire intervenir un médiateur, a constitué une avancée considérable. Bien que l'on compte moins de 1 000 recours par an, soit 0,2 % des avis rendus, on n'est plus totalement démuni, lorsque l'on est élu ou pétitionnaire, face à un ABF.
Une critique fréquente porte sur le fait que les avis des ABF peuvent être amenés à changer selon les personnes. Pourquoi mon voisin a-t-il eu le droit de peindre ses volets en jaunes, alors que le précédent ABF voulait des volets verts ? Pourquoi ma voisine a-t-elle pu installer une fenêtre de toit et pas moi ? À cela on peut répondre que la matière que travaillent les ABF ne relève pas d'une science exacte, et qu'ils ne sont confrontés qu'à des cas d'espèce. De fait, la France présentant une grande diversité d'urbanisme, qui va de la cité antique à la ville nouvelle, avec un enchevêtrement d'époques et de styles, on ne peut y appliquer la même doctrine partout.
De plus, la réglementation est compliquée, ne serait-ce que parce que s'applique dans le périmètre de 500 mètres autour des monuments protégés, la règle de la covisibilité, qui a donné lieu à une doctrine du Conseil d'État illustrée de photos. Il ne suffit donc pas de tracer un cercle au compas autour du monument protégé, puisqu'il peut s'avérer qu'une maison située à 30 mètres ne sera absolument pas visible depuis une église protégée (ce dont on ne peut se rendre compte qu'en allant sur le terrain). Je pense que les ABF sont très démunis en l'absence de doctrines nationales et de guides méthodologiques et que cela tend à accroître la part de subjectivité inhérente au traitement de tout dossier.
Afin que cette commission soit vraiment utile, je souhaite proposer quelques pistes visant à alléger certaines des tâches des ABF, afin que ceux-ci puissent se recentrer sur d'autres tâches et se déplacer davantage sur le terrain. En premier lieu, ce pourrait être le cas en ce qui concerne les sites naturels classés ou inscrits, qui donnent lieu à des dossiers très considérables, avec des interactions avec le ministère de l'environnement.
En deuxième lieu, le périmètre des 500 mètres mérite d'être reconsidéré, sans doute par la création de périmètres délimités des abords (PDA) tenant compte, afin de ne pas obliger les ABF à ne pas émettre des avis totalement inutiles en l'absence de toute covisibilité et de concentrer les moyens là où il y a de vrais enjeux.
En troisième lieu, la mission de gestionnaire de patrimoine de l'État, qui a considérablement été alourdie depuis que le ministère de la culture a pris conscience de la situation catastrophique des cathédrales du point de vue de la sécurité, ce qui a généré de nombreux audits, pourrait être mutualisée avec d'autres services de l'État comme le CMN (Centre des monuments nationaux), les services de l'État ou des collectivités. Il faudrait que l'ABF soit un peu moins seul dans ce domaine.
Outre ces allègements de mission, il apparaît souhaitable de doter les ABF d'une doctrine et de guides méthodologiques. On me citait récemment l'exemple d'un ABF qui refusait systématiquement les doubles vitrages, malgré l'interdiction de louer des passoires thermiques et l'existence de menuiseries isolantes de qualité, mais validait les projets de toit en tuiles mécaniques rouges hideuses. Ce type d'exemple montre la nécessité pour le ministère d'établir, en lien avec les architectes, l'École de Chaillot, la direction du patrimoine et la Fédération du Bâtiment, un corpus méthodologique validant les procédés de travaux compatibles avec la préservation du patrimoine. À cet égard, les guides d'action existants sont singulièrement pauvres. Il n'est pas normal que l'ABF de l'Aveyron s'oppose aux doubles vitrages alors que celui du Tarn les autorise.
La question de la formation continue doit aussi être traitée, car les techniques et les normes du bâtiment applicables par les architectes, les artisans et les constructeurs évoluent. On pourra s'appuyer à cette fin sur des associations comme l'association Maisons paysannes de France qui transmet des savoir-faire traditionnels, comme celui de l'enduit à la chaux. Il existe à cet égard une vraie inégalité de traitement entre les départements où le Conseil architecture urbanisme environnement (CAUE) est efficace et où les pétitionnaires peuvent aller recueillir des conseils en amont et d'autres départements qui en sont démunis où les pétitionnaires se voient proposer par leurs artisans des procédés que ne validera pas leur ABF.
Enfin, un effort doit être fait dans le sens de la dématérialisation des documents et des procédures, compte tenu de la masse considérable de paperasse que génère chaque dossier, ce qui est une des sources importantes d'incompréhension et de retard entre les pétitionnaires et l'ABF. Le projet PATRONUM du ministère de la culture, que vous a sans doute présenté le Directeur des patrimoines et de l'architecture, pourra amener des progrès dans ce sens.
En revanche, la mission des ABF devrait être renforcée en matière de conseil et d'assistance à maîtrise d'ouvrage, comme cela a été suggéré dans le rapport d'information sur le patrimoine religieux d'Anne Ventalon et Pierre Ouzoulias. En effet, le maître d'ouvrage, souvent un maire de commune rurale, est parfois très démuni et a besoin d'un premier conseil avant même de solliciter un architecte. Ce conseil pourrait lui être donné avec davantage d'efficacité par l'ABF si celui-ci n'était pas accaparé par d'innombrables avis inutiles à rendre sur des périmètres mal calibrés. Cette expertise de terrain est plus nécessaire que jamais si l'on veut éviter que la France voie son patrimoine défiguré.
Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Merci, monsieur le président, pour ces premiers éclairages et ces pistes tout à fait passionnants. Monsieur le rapporteur, vous avez à présent la parole pour une première série de questions.
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Merci beaucoup cher collègue. La façon dont vous posez le rôle des ABF, les contraintes auxquelles ils sont confrontés et la façon dont leurs interventions sont ressenties, notamment dans les territoires ruraux, me donne à penser que, s'il vous restait un peu de temps, c'est vous qui auriez dû porter la mission d'information. Quant aux pistes d'amélioration que vous proposez, j'y souscris tout à fait.
S'agissant des recours, qui sont peu nombreux (environ un millier), sans doute parce que certains maîtres d'oeuvre choisissent de passe outre, j'aimerais savoir quelle proportion des avis des ABF sont confortés et infirmés par la CNPA après saisine du préfet. Par ailleurs, combien compte-t-on de médiateurs, dont la fonction a été créée en 2016 et dont j'avoue avoir peu entendu parler sur le terrain.
On constate que les PDA se développent très peu depuis leur création. Cela est dû au fait que ce dispositif non seulement est peu connu des maires, faute de pédagogie, mais aussi au fait que la création d'un PDA s'avère extrêmement complexe, avec notamment le lancement d'une enquête publique. Sans doute pourrait-on alléger cette procédure, en s'appuyant sur les CAUE.
Enfin, y aurait-il selon vous opportunité à redonner du pouvoir au préfet en matière sur ces sujets ?
Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - J'aimerais comprendre comment fonctionne l'intervention du médiateur.
M. Albéric de Montgolfier. - Vous devriez poser cette question à la Direction du patrimoine, car la CNPA n'est pas l'instance d'appel des CRPA, de sorte que les zones de recours restent à leur niveau.
Je vous confirme que la création des PDA est un processus assez lourd, qui mobilise beaucoup les communes.
Comme nous parlons de problèmes très techniques, je considère qu'il est souhaitable que l'ABF conserve une certaine indépendance, à l'abri de certaines pressions que pourraient subir les préfets. Je ne souhaite en tout cas pas que les ABF soient soumis hiérarchiquement au préfet, mais qu'ils continuent de dépendre du ministère de la culture, étant entendu qu'il existe un médiateur et une procédure de recours auprès des CRPA. Compte tenu du périmètre très vaste que couvrent les DRAC, les ABF sont ceux qui ont la vision la plus fine et la plus indépendante du terrain.
M. Vincent Éblé. - Nous nous connaissons bien avec Albéric de Montgolfier, puisqu'il était rapporteur général du budget quand je présidais la commission des finances et que nous avons présidé un département. Notre sensibilité patrimoniale nous rapproche et confine à une forme de complicité, au point que je boive ses paroles à chaque fois qu'il intervient sur le sujet. Il nous est d'ailleurs arrivé de procéder comme un rasoir à double lame pour circonvenir un ministre du budget sur des questions de fiscalité incitative sur travaux pour les détenteurs de monuments historiques, avec d'autant plus d'efficacité que nos origines politiques différentes.
Je confirme que les ABF sont surchargés de travail et qu'il serait très bienvenu d'alléger certaines de leurs missions afin qu'ils puissent se recentrer sur le coeur de leur fonction, à savoir la prescription pour intervention sur un monument protégé ou sur un bâtiment situé à proximité d'un monument protégé, avec autant de pédagogie que possible. Pour l'heure, lorsque vous sollicitez un ABF en tant que pétitionnaire putatif pour expertiser un sujet et vous accompagner dans la préparation d'un dossier que vous allez leur présenter pour avis dans les mois suivants, ils ne vous reçoivent pas, faute de temps, quitte à ce que ce manque de concertation préalable conduise ensuite au conflit.
La question cruciale est de savoir à qui seraient transférés les allègements de tâches dont bénéficieraient les ABF. Par exemple, je ne suis pas sûr que les services de l'État, dont les DRAC, aient des disponibilités pour hériter du « mistigri » de l'entretien courant des cathédrales et des monuments de l'État. J'y suis néanmoins favorable, car cela permettrait de spécialiser les ABF sur leur travail de territoire et d'accompagnement pédagogique de nos concitoyens, étant entendu que nous ne nous pouvons qu'exprimer une recommandation dans ce sens au pouvoir exécutif.
Pour ce qui est des PDA, qui permettent de limiter la contrainte du périmètre de 500 mètres, s'il est vrai que la gestion de la covisibilité est complexe, il faut souligner qu'elle est aussi très peu évolutive, puisque des portions du périmètre seront toujours en visibilité, alors que d'autres ne le seront jamais parce que masquées par certains éléments.
Cette discrimination devrait permettre d'exclure rapidement de larges portions desdits périmètres, comme, par exemple, à Noisiel, une commune du canton où je suis élu, qui est connue pour la présence d'anciennes usines du chocolat Meunier, avec une cité ouvrière associée dont la préservation a du sens, mais qui accueille aussi des lotissements qui ont anticipé le développement de la ville nouvelle de Marne-la-Vallée et qui tournent le dos à la cité ouvrière. Bien que ces lotissements des années 60 avec terrasse soient en béton et ne constituent a priori pas un enjeu pour l'ABF, ils relèvent du périmètre de 500 mètres protégé, de sorte que le moindre permis arrive sur son bureau.
Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Je crois que nous partageons tous cette observation de bon sens.
Mme Sabine Drexler. - Je partage complètement l'avis du rapporteur. En matière de rénovation énergétique du bâti patrimonial non protégé, il devrait être possible de poser des fenêtres à double vitrage si celles-ci permettent une bonne intégration visuelle. Je suis particulièrement inquiète pour l'isolation des façades, car dans ma région d'Alsace, notre ABF est extrêmement mobilisé pour empêcher que des personnes isolent leurs bâtiments en secteur protégé. Étant seul, il n'arrive pas à endiguer le phénomène, qui a des conséquences catastrophiques. La commission de la culture du Sénat vient d'ailleurs de demander une révision du diagnostic de performance énergétique (DPE) pour tenir compte des spécificités du bâti ancien et proposer la création d'un DPE patrimonial. Pensez-vous qu'il faille inventorier et identifier tout le petit patrimoine en France, y compris celui qui n'est pas protégé, mais qui contribue à l'attractivité de nos villages et de nos régions, pour lui appliquer un DPE spécifique et le préserver ?
M. Albéric de Montgolfier. - La question de l'isolation des bâtiments est une des plus sensibles, non seulement pour ne pas tuer le caractère ancien des immeubles, mais aussi parce qu'une isolation par l'extérieur mal faite, qui enferme de l'humidité, peut conduire à des conséquences dramatiques et irréversibles, notamment pour les maisons avec des pans de bois, dont le développement de mérule, faute de laisser respirer le bâtiment. C'est d'autant plus dommage que l'inertie thermique des bâtiments anciens est souvent très élevée, ce qui explique que les églises restent fraîches l'été, alors qu'une maison construite en parpaing, le matériau dominant de la construction dans notre pays (l'Allemagne a opté pour le béton cellulaire), préserve très mal des fortes chaleurs.
Il se trouve que, le secteur du BTP drainant beaucoup d'argent, grâce notamment à Ma Prime Rénov', il attire beaucoup d'intervenants plus ou moins sérieux, voire des escrocs proposant une isolation à 1 euro. Le risque est le même que lorsque l'on a décidé après-guerre de recouvrir de ciment de nombreuses églises, ce qui a généré de l'humidité et du salpêtre. D'où l'importance d'une doctrine et de la formation continue non seulement des ABF, mais de tous les corps de métier. À cet égard, je vous encourage à l'élaboration d'un DPE assorti de mesures spécifiques pour le patrimoine.
Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Que pensez-vous de l'idée de procéder à un inventaire du bâti ancien non classé ?
M. Albéric de Montgolfier. - Il est vrai qu'il n'existe que quelques labels pour protéger le patrimoine ancien non classé et non inscrit (label Patrimoine remarquable, label Patrimoine d'intérêt régional, Label Patrimoine du XXe siècle) et qu'en outre l'attribution ne se fait qu'à la demande du propriétaire, de sorte que cette approche n'a rien de systématique. Il reste donc à faire un énorme travail d'identification des bâtis présentant un intérêt patrimonial indéniable, étant entendu toutefois que l'on ne peut pas tout classer. Cela relèverait en zone rurale d'une démarche similaire à celle des sites SPR en zone urbaine.
Mme Guylène Pantel. - Je vous remercie, cher collègue, pour les propos introductifs que vous avez tenus. Vous m'avez en partie réconciliée avec les ABF. Il faut dire que dans mon département de la Lozère, qui ne compte que 77 000 habitants, nous n'avons qu'un seul ABF, et qu'il est très débordé.
M. Vincent Éblé. - Vous avez de la chance, madame : mon département ne dispose que de deux ABF pour 1,5 million d'habitants !
Mme Guylène Pantel. - J'ai découvert l'existence du médiateur. À mon sens, le périmètre protégé de 500 mètres me semble excessif, puisqu'il couvre la totalité de nombreux villages du fait de la présence d'une église en leur centre. Et je ne vous cache pas que l'avis de l'ABF est souvent mal compris quand il intervient après l'avis favorable du maire pour changer des volets. Certains avis ne pourraient-ils pas faire l'objet d'une décision collégiale ?
M. Albéric de Montgolfier. - La Lozère est certes peu peuplée, mais elle est vaste et dispose d'un patrimoine important, et l'on comprend que son unique ABF ne puisse en avoir une vision aussi précise et quotidienne que celle du maire. Il faut aussi reconnaître que certains maires sont très heureux de pouvoir s'abriter derrière les avis négatifs des ABF et leur faire porter le mauvais rôle.
À mon avis le périmètre de 500 mètres devrait à terme ne s'appliquer que par défaut, en l'absence de PDA. Il reste que l'établissement d'un PDA requiert un investissement de la commune, et l'on comprend que la réalisation d'une enquête publique implique un coût administratif lourd pour les petites communes.
Mme Anne-Marie Nédélec. - Je m'associe à tout ce qui a été dit. Pour mémoire, nous n'avons dans mon département de la Haute-Marne qu'un ABF pour 170 000 habitants... Je tiens à souligner que des petites communes ou des particuliers qui souhaitent s'installer se heurtent au coût de la réalisation des travaux selon les prescriptions de l'ABF. Faute de savoir comment contacter le médiateur ou d'oser former un recours, ils se retrouvent confrontés soit à l'abandon pur et simple d'un projet pourtant porté par le souci de la sauvegarde d'un patrimoine, avec la renonciation d'une famille à s'installer soit, dans le cas de particuliers, par la réalisation de travaux en toute anarchie. Beaucoup de maires se trouvent assez démunis face aux avis « couperets » de l'ABF...
M. Albéric de Montgolfier. - Je ne sais pas plus que vous comment solliciter le médiateur. Sans doute le ministère n'en fait-il pas suffisamment la promotion. Je suis convaincu que l'on pourrait trouver d'anciens professionnels du bâtiment ou architectes qui pourraient s'investir dans cette mission bénévolement, pour sauvegarder le patrimoine. Comme c'est un sujet qui suscite l'intérêt des Français, il doit exister un vivier de personnes prêtes à s'impliquer dans cette fonction. Le fait est que l'on peut trouver des solutions pour la réalisation de travaux qui permettent de réduire très sensiblement la facture, pourvu que l'on soit bien conseillé : pour ce faire, il existe des CAUE qui fonctionnent, des architectes DPLG sensibilisés au patrimoine et des artisans qui connaissent les bons procédés, sans parler de l'apport d'associations comme Les Maisons paysannes de France. Autant la construction neuve est normée, autant la rénovation ne connaît que des cas d'espèce. D'où l'importance, et j'y reviens toujours, de la formation continue des intervenants et des conseils susceptibles d'accompagner les pétitionnaires en amont du rendu d'avis des ABF. Les ABF pourraient aussi organiser des permanences pour donner des conseils aux pétitionnaires.
Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Cette construction des dossiers en amont a fait ses preuves dans le domaine de l'urbanisme.
Mme Anne-Marie Nédélec. - On pourrait aussi alléger la procédure pour les avis simples...
M. Pierre Barros. - Étant maire et ayant exercé le métier d'architecte en agence pendant 20 ans, il m'est arrivé de me sentir en forte empathie avec des maîtres d'ouvrage chargés de projets de rénovations de bâtiments publics dans l'Oise qui été confrontés à un ABF foncièrement obtus, avant qu'il finisse par être sommé de quitter le département en raison de problématiques assez lourdes. Nous intervenions alors pour de très petites collectivités qui n'avaient pratiquement pas de services et se trouvaient très démunies pour mener des projets comme une extension d'école.
D'après mon expérience, j'estime que les projets passés par les mains des ABF sont de meilleure qualité. D'où la nécessité de leur donner le temps pour qu'ils puissent participer à la phase de conception amont. Il faut lui donner le temps de « faire les choses avec », afin qu'ils se positionnent comme un partenaire de l'acte de rénovation, afin que leur avis ne soit plus une sanction, mais l'aboutissement d'un acte de produire et de réfléchir ensemble. Force est de constater que ce processus n'est pas celui qui prévaut généralement et que l'on se trouve dès lors contraint de refaire et re-refaire certains projets, au prix d'allers-retours fastidieux.
Le fait que 90 % de la production de logements ne passe pas par des architectes, mais seulement par les ABF, auxquels il est demandé de se poser en garants d'une unité architecturale face à une réalité vernaculaire dans les secteurs protégés, explique qu'ils soient surchargés. Ils sont les seuls recours pour éviter des catastrophes architecturales, sans disposer du temps nécessaire pour le faire sereinement.
À mon sens, il n'est pas possible d'établir un catalogue qui permettrait de déterminer ce qui est acceptable ou non dans tous les cas. Cela relève d'un travail collectif, auquel participent les CAUE, des collectifs, des associations, voire des parcs naturels, en établissant des plans de paysages et des carnets de recommandations. Les architectes DPLG doivent y être associés et être aussi responsables de ce qui se rénove. Sans pour autant leur confier des missions « fenêtres et volets », un glissement de tâches pourrait s'opérer des ABF vers eux. Cela permettrait d'initier un dialogue entre les architectes, les maîtres d'ouvrage et les services de l'État, en abaissant le niveau de conflictualité et en évitant des situations où chacun considère l'autre comme un empêcheur de tourner en rond.
M. Albéric de Montgolfier. - Certes, il faudrait passer de « l'ABF censeur » à « l'ABF accompagnateur », mais on se heurte toujours au facteur temps.
M. Hervé Reynaud. - Je vous remercie, cher collègue, pour la clarté de votre propos, qui nous permet d'avoir une vision lucide de ces sujets, ainsi que pour vos propositions. Pour ma part, je doute de la capacité de l'ABF de rendre des avis compréhensibles par les pétitionnaires, en particulier lorsqu'il est question de renouvellement urbain et de quartiers en mutation, avec des friches industrielles. Pour avoir été élu local et président d'établissement public foncier d'État, j'ai souvent été confronté à des avis des ABF qui étaient en totale contradiction avec ceux de leurs collègues de la direction départementale des territoires (DDT) ou de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal). Il faudrait accroître leurs moyens pour leur permettre de gagner en hauteur de vue et être en mesure de travailler de façon collective et mutualisée en amont pour converger vers les meilleures solutions.
M. Albéric de Montgolfier. - Les projets complexes impliquant des friches industrielles et des équipements collectifs ne font pas l'objet du même traitement par l'ABF que le rendu d'un avis sur une fenêtre de toit : ils doivent être l'occasion d'un travail collectif avec des architectes, des urbanistes et les autres services de l'État, dont les établissements publics fonciers. L'ABF ne peut ignorer que sa mission s'inscrit dans un paysage et un environnement qui sont concernés par d'autres considérations et d'autres enjeux que les siens. Fort heureusement, certains ABF s'impliquent beaucoup dans les projets de renouvellement urbain de certaines grandes villes. Il reste qu'il ne s'agit que de cas d'espèce et que la France dispose d'un patrimoine extrêmement diversifié, qui est le fruit de multiples strates historiques, et qui ne peut faire l'objet d'un traitement uniformisé. C'est là toute la richesse de cette mission d'information... À titre d'illustration de cette complexité, nous avons dû prendre en compte, lors de la procédure récente de classement d'un pont-grue maritime, le fait que la grue est un objet selon la réglementation française, qui relève donc du classement des objets, alors que ses rails et le sol sont considérés comme relevant du bâti. Et d'aucuns s'appliquent à déterminer si la clé de voûte d'une église tombée au sol doit être considérée comme un meuble ou la partie d'un immeuble, en fonction notamment de la façon dont elle était scellée (au plâtre ou à la chaux) ...
Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Merci encore, monsieur le président, pour la qualité et la pertinence de votre intervention.
La réunion est close à 14 heures 45.