- Mardi 26 mars 2024
- Mercredi 27 mars 2024
- Audition des professeurs Catherine Barthélémy, présidente, Yves Ville, membre titulaire, et Pierre Gressens, membre associé, de l'Académie nationale de médecine
- Audition du professeur Christèle Gras-Le Guen et de M. Adrien Taquet, co-présidents du comité d'orientation des Assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant
Mardi 26 mars 2024
- Présidence de Mme Annick Jacquemet, présidente -
La réunion est ouverte à 18 h 30.
Audition de professionnels de santé périnatale
Mme Annick Jacquemet, présidente de la mission d'information. - Mes chers collègues, nous entendons aujourd'hui plusieurs sociétés savantes constituées de professionnels de santé concernés par la prise en charge des mères et de leur bébé pendant la grossesse, l'accouchement et les premières semaines de vie, à savoir :
- le collège national des gynécologues et obstétriciens français ;
- le collège national des sages-femmes de France ;
- la société française de néonatalogie ;
- et la société française de médecine périnatale.
Ces sociétés savantes regroupent des obstétriciens, des sages-femmes, des pédiatres et des anesthésistes mais aussi, au sein de leur conseil d'administration, des psychiatres, des psychologues, des puéricultrices, des épidémiologistes et des représentants des patients.
Nos auditions de la Haute Autorité de santé (HAS) et de Santé publique France ainsi que notre visite à l'hôpital Robert Debré la semaine dernière nous ont permis de dresser un premier état des lieux global de la santé périnatale en France aujourd'hui.
Plusieurs éléments nous ont marqués.
Tout d'abord, la mortalité infantile augmente sans que l'on ne dispose d'étude permettant d'en identifier précisément tous les facteurs sous-jacents et sans qu'il soit possible d'établir de corrélation claire entre le type et la taille des maternités, d'une part, et la sécurité des soins d'autre part. Ce constat nous interroge sur les conclusions de l'Académie de médecine qui, dans son rapport de l'année dernière, recommandait la fermeture des maternités réalisant moins de mille naissances par an.
Ensuite, les facteurs de risques associés aux grossesses sont en hausse du fait notamment d'un âge de maternité plus tardif, d'une augmentation de la précarité, d'une obésité plus fréquente et de la dégradation de la santé mentale des mères. Le suicide est désormais la première cause de mortalité des mères dans l'année qui suit leur grossesse, ce qui interroge sur la prise en charge de la santé mentale des mères dans la période prénatale, comme postnatale.
Vous nous direz quel regard vous portez sur ces différents sujets et quelles sont vos préconisations pour améliorer la prise en charge des mères et de leur bébé dans le contexte de pénurie de professionnels de santé que nous connaissons. Je vais vous laisser la parole successivement pour quelques minutes. Puis je passerai la parole à notre collègue Véronique Guillotin qui est rapporteure et qui vous posera une première série de questions.
Jean-Christophe Rozé, société française de néonatalogie. - En 2019, nous avions déjà prévenu le Premier ministre, car la France était l'un des seuls pays européens qui n'avait pas amélioré sa mortalité néonatale entre 2010 et 2015. Ce déclassement ne s'explique pas par le développement de facteurs de risques spécifiques à notre pays, ceux-ci connaissant la même croissance dans tous les pays. Notre problème est ailleurs.
En 2019, la France était particulièrement déclassée, tant concernant la mortinatalité, c'est-à-dire les enfants nés sans vie, que la mortalité néonatale. Il ne s'agit donc pas d'un problème de transfert de la mortalité anténatale vers la mortalité post-natale.
La demande principale des cliniciens était de parvenir à établir des statistiques sur la mortalité périnatale. Or il existe plusieurs bases de données qui ne communiquent pas entre elles. Ainsi, s'il est possible de compter la mortalité, il n'est pour l'heure pas possible de rattacher chaque décès à une histoire médicale.
Depuis lors, Jennifer Zeitlin et les chercheurs de l'équipe EPOPé ont pu comparer la situation de la France à celle de cinq autres pays. Ils ont pu constater qu'il existe une très importante différence de taux de mortalité pour les extrêmes prématurés. Cependant, ceux-ci représentent moins de 1 % de la population et, ainsi, le nombre de patients réellement concernés est très faible. À l'échelle logarithmique, l'on constate que l'écart du taux de mortalité pour les naissances à terme est légèrement plus élevé mais, comme il s'agit d'une part très importante de la population étudiée, cet écart recouvre un nombre important de décès. En France le taux de mortalité de l'enfant au terme de la grossesse est de 0,5 pour 1000.
Ainsi, la France connaît un taux de mortalité supérieur à ses voisins européens sur les situations à la fois de haut risque (prématurés extrêmes) et de bas risque (naissances à terme).
Sur le bas risque, la mortalité est évitable, la problématique principale est celle de la permanence des soins. Il existe un défaut d'organisation des soins identifiés. Il faut en effet comprendre que, pour assurer la sécurité des naissances dans une maternité, trois permanences de soins doivent être assurées : obstétrique, pédiatrique et anesthésique.
S'y ajoute le fait que les jeunes souhaitent travailler en équipe et dans de bonnes conditions de sécurité. Ils ne souhaitent pas faire plus de quatre ou cinq gardes par mois et un à deux week-ends au maximum. Ceci signifie que chaque maternité doit être dotée a minima de trois équipes de sept personnes. Or les petites maternités n'ont pas les moyens de fournir de l'activité à 21 personnes.
Cette modification majeure a d'ores et déjà été prise en compte dans les pays d'Europe du Nord qui ont le taux de mortalité périnatale le plus bas d'Europe et qui ont engagé par le passé des restructurations profondes. Le problème n'est pas de fixer un seuil à 500 ou 1 000 naissances mais de savoir si l'établissement a les effectifs pour effectuer les gardes dans de bonnes conditions. La HAS a par ailleurs omis de dire qu'il existe un consensus des praticiens sur l'insécurité des équipes constituées de « mercenaires » intérimaires. Si les salariés ne se connaissent pas, ils ne sont pas capables de faire face aux situations de crise.
Concernant les situations de haut risque, avec mes collègues, nous avons mené cinq enquêtes, dont les principaux résultats avaient été transmis au Monde. Je vous les ai également envoyés. En résumé, ces études mettent en avant les éléments suivants :
- une offre de soins insuffisante, mal financée et mal répartie ;
- une charge de soin excessive pour les infirmières ;
- des ressources humaines médicales fragilisées ;
- un transport néonatal très inéquitablement organisé sur le territoire.
En conclusion, je voudrais insister sur le fait que la campagne des 1 000 premiers jours, bien qu'utile, est insuffisante pour améliorer la santé périnatale. Cette campagne vise à améliorer l'état de santé ultérieur de l'enfant. Néanmoins, elle n'a pas d'impact sur la mortalité. Il faut ainsi adopter une politique périnatale assurant la sécurité. Actuellement, cinquante maternités sur le territoire français sont hors la loi car elles ne disposent pas de pédiatre, mais elles sont toujours ouvertes. À cela s'ajoute le fait que la DGOS ne dispose pas de référent en périnatalité depuis une dizaine d'années et que la commission nationale des naissances ne se réunit plus depuis dix ans. Il manque un pilote dans l'avion. L'ensemble de ces facteurs expliquent pourquoi les résultats s'aggravent année après année.
Mme Véronique Guillotin, rapporteur. - Nous entendons, au cours de nos auditions, les mêmes éléments de diagnostic, ce qui est rassurant. Pouvez-vous nous en dire plus sur les décrets péinatalité de 1998 et la manière dont il serait souhaitable de les faire évoluer ?
Jean-Christophe Rozé, société française de néonatalogie. - Plusieurs groupes de travail se sont penchés sur la réforme des autorisations menée par la DGOS. Dans le cadre des soins critiques pour adultes et pédiatriques, ces travaux ont abouti à la publication de décrets en avril 2022. Pour les soins critiques néonataux, tous les travaux ont été arrêtés en raison de la crise des Gilets jaunes.
En définitive, cela ne me gêne pas que de petites maternités restent ouvertes, mais il faut savoir que le prix de cette ouverture est de disposer d'un taux de mortalité qui se situe à 1 pour 1000 pour les situations de bas risques. Ainsi, toutes les mille naissances, un risque non prévu existe. En l'absence de personnel médical, ce risque peut aboutir au décès de l'enfant. Il y a un choix politique à faire. La population n'a pas connaissance de ce risque. Néanmoins, les personnes ayant connaissance des accidents qui surviennent dans une maternité décideront de ne pas y aller pour y donner naissance à leur enfant.
Ma position est par conséquent la suivante : il faut restructurer très fortement les maternités de France afin de mettre en sécurité à la fois les parents et les enfants.
Mme Véronique Guillotin, rapporteur. - Quand vous évoquez les maternités « insécures », évoquez-vous le nombre d'accouchements ou la composition des équipes de ces maternités ?
Jean-Christophe Rozé, société française de néonatalogie. - J'évoque principalement la question de la composition des équipes. Il existe de nombreuses petites maternités qui n'ont plus le nombre de praticiens nécessaires qui leur permettrait d'avoir une équipe stable.
Elsa Kermovant, société française de néonatalogie. - Une remarque complémentaire concernant les décrets de 1998 : au sein de la société française de néonatalogie, nous lançons des alertes sur le problème de l'inadaptation capacitaire de l'offre de soins critiques, en termes de taille, de répartition et d'organisation. Enfin, ceux-ci sont en très forte situation de sous-effectif.
Jean-Christophe Rozé, société française de néonatalogie. - Un groupe de travail sur la réforme du financement des soins critiques a mis en évidence qu'une journée de soins critiques en néonatalogie coûte environ 1 300 euros (contre 2 100 euros pour une journée de soins critiques adultes). Par ailleurs, seuls soixante services en France proposent des soins critiques pour la néonatalogie. Pour ce type de soins, nous avons des modèles très clairs : le Québec ou encore la Suède. Les soins de néonatalogie ne coûtent pas beaucoup en médicaments, mais nécessitent la présence de puéricultrices qui s'en occupent à quatre mains. Il s'agit avant tout de faire du « care ». Nous ne mettrions pas en péril les finances de la Sécurité sociale si nous développions les services de soins critiques en néonatalogie.
Mme Annick Jacquemet, présidente. - Vous évoquiez la nécessité de disposer d'une équipe de 21 personnes pour assurer les gardes en maternité. Comment procéder dans une situation de pénurie de soignants ?
Jean-Christophe Rozé, société française de néonatalogie. - Actuellement, nous mettons les soignants dans une situation où leurs souhaits ne sont pas respectés. Par conséquent, les soignants ne sont plus attirés par ces activités. La pédiatrie est un métier merveilleux et attirant. Cependant, il faut que les conditions de travail soient raisonnables. Il faut notamment que les soignants soient accueillis dans de grandes équipes et que leur vie familiale soit respectée. À mon avis, ces souhaits sont réalisables, à condition de procéder à une restructuration.
Delphine Mitanchez, présidente de la société française de médecine périnatale. - Je suis professeur de néonatalogie à Tours. Je suis accompagnée du professeur Damien Subtil, gynécologue obstétricien à Lille et vice-président de la SFMP. Notre société réunit l'ensemble des professionnels médicaux, paramédicaux, ainsi que des représentants d'usagers impliqués dans l'accompagnement et la prise en charge clinique et psychosociale de la grossesse et de la naissance.
Nous envisageons une prise en charge globale des parents et de l'enfant. Nous travaillons en lien avec la fédération des réseaux et plusieurs sociétés savantes, dont celle des anesthésistes de l'obstétrique, les associations de sages-femmes et les puéricultrices qui sont des acteurs importants de la périnatalité. Il serait intéressant de les auditionner, car elles travaillent dans les services hospitaliers mais également dans les PMI. Les représentants des usagers siègent également dans notre conseil d'administration.
Nos objectifs sont de :
- rassembler les professionnels de santé de la périnatalité ;
- soutenir la recherche en périnatalité pour améliorer les prises en charge ;
- diffuser les nouvelles connaissances (congrès annuel et webinaires) ;
- collaborer et échanger avec les autres sociétés ;
- représenter les professionnels de la périnatalité auprès des instances ;
- prendre position sur des propositions d'organisation des soins (maisons de naissances) ;
- coordonner et animer des groupes de travail (groupe de travail sur la bientraitance en périnatalité -- table ronde au congrès de Nancy en octobre 2024).
Tous les acteurs ont dressé le constat de la dégradation de la santé périnatale. La SFMP estime que cette dégradation est causée par une inadéquation entre les exigences du système de soins, tel qu'il est organisé actuellement, des professionnels de la périnatalité et des usagers. Chacun de ces acteurs accorde des priorités différentes à la périnatalité en termes de sécurité, d'efficience et d'accessibilité aux soins.
En mars 2023, la SFMP, la SFN et le CARO (Club anesthésie-réanimation en obstétrique) ont signé une tribune dans Le Monde afin d'alerter les pouvoirs publics sur la situation du système de soins.
Nos constats sont les suivants :
- Il y a d'abord un enjeu de territoire : nous n'avons pas de vision globale sur la situation des ressources humaines dans les maternités. Au regard de la pénurie de ressources humaines, les fermetures se poursuivront, sans que l'on ne puisse réellement savoir quels établissements fermeront, ni quand. Nous avons également, cela a déjà été dit, un manque d'information extrêmement préjudiciable lorsque nous sommes dans l'incapacité de relier les évènements indésirables au parcours de soin par exemple.
- En raison de cette pénurie, l'inégalité territoriale se creusera. De plus en plus de territoires se trouveront privés d'offre de soins périnataux et seront en situation de « désert périnatal ». Ces inégalités s'accentueront au détriment des territoires ruraux.
- Il est nécessaire de définir une stratégie nationale d'aménagement du territoire en matière d'offre de soins périnataux. Celle-ci doit être concertée avec les élus, les professionnels et les usagers et permettre aux usagers d'accéder au « plus haut niveau de soins ».
Nous pensons que le regroupement des plateaux d'accouchement est inévitable en raison, d'une part de l'évolution de la démographie médicale, et d'autre part, de l'aspiration des jeunes soignants à obtenir un meilleur équilibre entre leur vie personnelle et leur vie professionnelle. Les jeunes soignants n'acceptent plus la même charge en garde que celle que nous avons pu accepter. Nous ne pouvons aller contre cette évolution sociétale.
Nous souhaitons aussi éviter des fermetures temporaires et intempestives. Se pose également le problème de l'intérim qui, il me semble, ne favorise pas la sécurité des soins. En effet, le travail d'équipe est très important. Or si nous envoyons les jeunes des centres les plus fournis vers les centres en difficulté, nous les découragerons.
De notre point de vue, il ne faut pas raisonner en termes d'accouchement (nous ne validons pas le seuil des mille naissances), mais en temps d'accès. Il faut des équipes en nombre suffisant (au minimum 7 ETP par garde pour chaque spécialité, obstétrique, anesthésie, pédiatrie). Par ailleurs, les équipes pédiatriques peuvent couvrir plusieurs secteurs de garde. Il faut donc au minimum 21 soignants pour que les maternités soient considérées comme sécurisées.
Mme Annick Jacquemet, présidente. - Quel est le temps d'accès maximal à la maternité que vous jugez acceptable pour limiter les risques ?
Damien Subtil, société française de médecine périnatale. - En Suède, les distances sont bien plus importantes qu'en France. Les maternités se situent en moyenne à une heure de distance du domicile des parents.
Jean-Christophe Rozeé société française de néonatalogie. - Les habitants des îles de l'Atlantique ne disposent pas de maternité. Ils sont éduqués à cette réalité. Par conséquent, les parents viennent sur le continent à l'approche de la naissance de leur enfant. Ce mode de fonctionnement nécessite une organisation. Il n'y a pas de distance idéale. Une étude de la DRESS a ainsi montré que l'éloignement des maternités augmentait le nombre d'accouchements extrahospitaliers, mais sans augmenter la morbidité.
Damien Subtil, société française de médecine périnatale. - Les maternités suédoises sont moitié moins nombreuses que les nôtres et sont dotées de très grands plateaux d'accouchement. Certains patients habitent à trois cents kilomètres des maternités. Tout est organisé pour que les patientes viennent avant leur accouchement et logent dans des hôtels hospitaliers. Toutefois, il est vrai que la Suède a davantage recours au déclenchement. Ce modèle est très tentant. La prise en charge humaine y est très forte. Les sages-femmes assurent tout le suivi de la grossesse et les parents ne viennent à la maternité que pour accoucher. Ils n'y restent que quelques heures, ils demeurent ensuite deux jours dans l'hôtel hospitalier et enfin ils rentrent chez eux.
Delphine Mitanchez, présidente de la société française de médecine périnatale. - C'est exactement le sens de notre proposition. Nous souhaitons que le territoire soit couvert par des maternités qui n'assurent pas les accouchements, mais qui réalisent le suivi à proximité pendant la grossesse. Ces maternités travailleraient en collaboration avec les plateaux d'accouchement. Nous pouvons aussi penser à mutualiser les compétences pour préserver le suivi de proximité avant et après la naissance. En Suède, les mères bénéficient d'un accompagnement individualisé, ce qui nécessite de mettre en place un maillage territorial en matière de transport, ainsi que de développer des hôtels hospitaliers.
Nous voulons aussi insister sur la considération de la santé mentale en périnatalité. Ce sujet nous tient à coeur. La santé mentale des mères est considérée comme étant de haute importance pour l'avenir de l'enfant. C'est le sens de la campagne des mille jours, de l'entretien du quatrième mois et de l'entretien postnatal qui peine à être déployé. Il faut mettre en place des structures de soutien psychosocial et accompagner les inquiétudes des usagers face à l'évolution du système. Il faudra, enfin, mettre en place des mesures en faveur de la bientraitance des usagers comme des professionnels. Nous sommes dans l'attente d'un rapport du groupe de travail de la SFMP sur le sujet.
Mme Annick Jacquemet, présidente. - Le Monde vient de publier un article qui indique que 5 % des jeunes pères souffriraient aussi de dépression post-partum.
Delphine MITANCHEZ, présidente de la société française de médecine périnatale. - Nous proposons de revenir à un cercle vertueux avec la mise en place d'un processus de décision qui viserait à la mise en application et la réorganisation des soins en périnatalité dans la concertation, la discussion et l'arbitrage.
Je pense qu'il est nécessaire que ce processus soit accompagné d'un plan de formation ambitieux des professionnels en périnatalité. Nous sommes confrontés à un manque de professionnels dans certaines filières et nous devrons augmenter le numerus clausus. Il faut également adopter un plan de communication à destination des usagers.
Nous souhaitons aussi le développement de la recherche pour mieux comprendre les raisons de la dégradation de la situation, ainsi que certains mécanismes (celui de la prématurité par exemple).
Il faut rouvrir les discussions. Nous avions demandé, dans le cadre de notre tribune dans Le Monde, la tenue d'assises de la périnatalité. Il serait souhaitable d'ouvrir ces discussions au niveau régional avant de les étendre au niveau national.
Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Vous avez évoqué le nombre de 21 ETP (équivalent temps plein) pour assurer les gardes médicales. Combien faudrait-il d'ETP de personnels paramédicaux ?
Delphine MITANCHEZ, présidente de la société française de médecine périnatale. - Je connais moins cette question, mais il est évident qu'il faut un minimum d'infirmières et d'auxiliaires de puéricultures. A ma connaissance, ce n'est pas normé. Par ailleurs, le modèle des 21 ETP n'est pas non plus idéal à cause des comptes épargne temps qui permettent aux soignants de partir à la retraite de manière anticipée sans qu'il soit possible de les remplacer pendant cette période.
Éléonore Bleuzen-Her, présidente du collège national des sages-femmes de France. - Je vous remercie d'initier cette mission d'information. Les sages-femmes sont des acteurs majeurs de la santé périnatale. Nous partageons les constats de nos collègues sur les difficultés à faire fonctionner les maternités, à la fois en raison de la diminution du personnel médical et du développement de l'intérim dans certains établissements.
Nous voulons insister sur le fait qu'il existe une mauvaise rationalisation des soins. En France, les grossesses sont majoritairement physiologiques (dans 70 % des cas). Or 54 % des grossesses à bas risque sont suivies par des gynécologues obstétriciens. Nous nous interrogeons donc sur la rationalisation des soins et l'utilisation à bon escient de l'expertise médicale.
Je voudrais, par ailleurs, ouvrir une réflexion sur la notion de bas risque, qui n'est pas encore définie en France. Qu'est-ce qu'une femme et une grossesse à bas risque ? Cette définition permettrait de mieux orienter les femmes vers des soins qui sont adaptés à leur situation.
En outre, la demande des femmes évolue. Entre les deux enquêtes périnatales de 2016 et de 2021, nous avons constaté que trois fois plus de femmes font des projets de naissance.
La santé mentale est, de plus, un sujet important. Une femme sur sept présente une dépression post-partum. Dans ce contexte, il est important de mettre en place une prise en charge holistique incluant des dimensions somatiques, psychosociales et environnementales. Il convient de s'interroger sur l'environnement dans lequel la femme évolue.
La demande de médecine personnalisée se développe également en salle de naissance ou en consultation pré ou post natale. Les dispositifs spécifiques régionaux en périnatalité sont perfectibles, notamment pour résoudre les difficultés de coordination dans les grandes régions et les transferts entre établissements selon les risques. Il doit y avoir des transferts à la fois de maternités de type 1 vers des maternités de niveau supérieur selon les risques associés à la grossesse mais également dans l'autre sens de maternités de type 2 ou 3 vers des maternités plus adaptées à des grossesses physiologiques. Les retours du terrain mettent aussi en évidence des situations de mauvaise orientation des femmes au sein des établissements et l'impact des fermetures de maternités qui conduisent à l'engorgement des maternités de grande taille.
Nous souhaitons émettre plusieurs propositions autour de deux axes :
- Premièrement, agir sur le parcours pour répondre aux demandes des usagers :
- Valoriser l'expertise des sages-femmes selon une vision holistique pour prendre en charge 70 % des grossesses en France et développer la notion et le dispositifde la sage-femme référente qui s'assure du suivi global de la patiente ;
- Utiliser l'expertise professionnelle à bon escient en distinguant l'expertise pathologique de l'expertise physiologique. À ce titre, il convient de se référer aux recommandations de la HAS sur l'orientation et le suivi des femmes enceintes ;
- Renforcer le suivi post-partum et valoriser l'accompagnement. Il s'agit également de mobiliser les autres professionnels de santé et notamment les puéricultrices et les auxiliaires de puériculture. Il y a de nombreux points de contact pendant la grossesse mais en post-partum, le suivi reste très faible malgré des améliorations récentes comme l'entretien post-natal précoce ;
- Deuxièmement, agir sur l'organisation territoriale ;
- Coordonner les trois acteurs que sont les établissements de santé, la médecine libérale et la PMI : la place des Dispositifs spécifiques régionaux en périnatalité est centrale. Il convient de revoir régulièrement le zonage de la répartition sur le territoire des sages-femmes libérales ;
- Établir un cadre national tout en prenant en compte les spécificités territoriales sur l'harmonisation et en fonction des besoins de santé publique d'un territoire ;
- Depuis 20 ans, les fermetures de maternité sont à l'oeuvre, mais les indicateurs de santé publique ne s'améliorent pas. Les centres périnataux de proximité qui existent déjà doivent être développés , - des sages-femmes pourraient d'ailleurs en assurer la gestion selon les cas et organiser tout l'accompagnement prénatal. .
Alexandra Benachi, vice-présidente du collège national des gynécologues et obstétriciens français. - Mon message principal serait le suivant : si vous changez les politiques de périnatalité, n'oubliez pas que toutes les professions sont affectées (sages-femmes, pédiatres, anesthésistes, médecins généralistes, personnel non médical, etc.).
L'enquête nationale périnatale a montré que les patientes sont de plus en plus âgées et avec un IMC de plus en plus élevé. Je partage le constat de mes collègues sur la possibilité que les sages-femmes assurent le suivi des grossesses physiologiques. Toutefois, dans dix ans, les femmes enceintes seront plus âgées, plus grosses et probablement dans des situations plus précaires. Or, plus une femme enceinte est âgée, plus elle risque d'être hospitalisée pendant sa grossesse. Cet élément doit être intégré dans les politiques de santé publique des dix prochaines années.
Par ailleurs, le suicide est la deuxième cause de mortalité des femmes. La première cause est représentée par les pathologies cardio-vasculaires. Grâce aux progrès de la médecine, de plus en plus de femmes qui sont porteuses de malformations ou de maladies rares peuvent être enceintes.
Il existe, en outre, un véritable problème quant à la permanence des soins. Il devient impossible de maintenir une offre de soin sécurisée en maternité en l'absence d'un gynécologue obstétricien. Or cette activité n'est pas reconnue comme une activité d'urgence.
Mme Annick Jacquemet, présidente. - Concrètement qu'est-ce que cela signifie pour les personnels médicaux ?
Alexandra Benachi, vice-présidente du collège national des gynécologues et obstétriciens français - Cette reconnaissance permettrait de fidéliser le personnel en lui octroyant un certain nombre d'avantages. En parallèle, il faut prendre en compte le souhait des jeunes soignants d'avoir une charge de travail moindre et l'arrêt des gardes par les femmes en moyenne douze ans après avoir soutenu leur thèse. Se pose aussi le problème du manque d'attractivité des carrières.
Nous sommes en 2024 et les décrets sur la périnatalité datent de 1998. L'organisation des maternités a considérablement évolué depuis. Aucun des dispositifs en fonctionnement aujourd'hui n'est inscrit dans ces décrets. En outre, dans ces décrets, le type de maternité est défini en fonction de la prise en charge néonatale, mais jamais en fonction de la prise en charge maternelle. Il faut absolument revoir ces décrets qui ne correspondent à aucune réalité aujourd'hui.
Enfin, nous dressons le constat que les sages-femmes sont moins nombreuses dans les salles de naissance, en raison des conditions de travail. Celles-ci sont de plus en plus jeunes, ce qui nécessite par ailleurs de pouvoir leur proposer un encadrement spécifique.
Je ne peux vous dire s'il faut fermer les maternités. Je pense en revanche qu'il faut mener une concertation avec tous les corps de métiers sur tous les territoires. Il existe des variations territoriales importantes en fonction du type de maternité. Je pense que les équipes doivent travailler ensemble. Il faut que les fermetures de maternité ne soient plus subies, mais anticipées. Il faut également développer les centres périnataux de proximité. Dans certaines régions, les ARS ont pris des décisions sans concertation avec les acteurs locaux, ce qui est regrettable. Il faut éviter les mesures sans coordination apparente entre les professionnels.
Je suis favorable au développement de l'expertise des sages-femmes. Malheureusement, le décret a été imposé de telle manière que le personnel médical, notamment gynécologue-obstétricien, a eu le sentiment que, ce faisant, les sages-femmes leur prenaient leur travail. Or ce n'est pas le cas puisque les sages-femmes n'ont vocation à s'occuper que des grossesses physiologiques. Il en est de même pour les parcours de fausse couche. A ce sujet, nous avons expliqué que nous ne disposions pas des ressources nécessaires pour les mettre en place. Malheureusement, nous n'avons pas été écoutés et le texte réglementaire a été publié il y a deux semaines. L'idée est bonne, mais nous ne sommes pas écoutés.
Les gynécologues et les sages-femmes ont, de surcroît, vécu des moments difficiles ces derniers temps, car ils ont été mis en opposition. Les gynécologues n'ont ainsi pas pu prendre part aux débats autour de décisions concernant les sages-femmes qui les affectaient directement. Je trouve cette situation regrettable.
Accessoirement, le glissement des tâches nécessitera un suivi de la qualité des prescriptions.
J'estime donc important de fédérer les corps de métier et de faire participer l'ensemble des métiers à la prise de décision.
Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Vous évoquiez le défaut d'attractivité des salles de naissance pour les sages-femmes. Il y a de plus en plus de sages femmes qui sortent de formation. Pour autant, elles sont nombreuses à s'installer en médecine de ville.
Je comprends aussi que les maternités sans accouchement et les centres périnataux de proximité recouvrent la même notion.
Delphine Mitanchez, présidente de la société française de médecine périnatale. - Je pense que d'un point de vue symbolique, il faut tout de même conserver le terme de maternité.
Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Enfin, vous indiquiez que le zonage des sages-femmes libérales devrait être revu plus régulièrement. À votre avis, à quelle fréquence doit-il être revu ?
Éléonore Bleuzen-Her, présidente du collège national des sages-femmes de France. - L'on entend beaucoup l'idée selon laquelle les sages-femmes ne veulent plus réaliser des accouchements. C'est faux. Les sages-femmes sont toujours attirées par cette activité. Le principal problème réside dans la dégradation de la qualité de vie au travail. Les conditions de travail en salle de naissance sont difficiles. Si les conditions de travail en salle de naissance s'améliorent, les sages-femmes y reviendront. Il serait à ce titre utile d'autoriser les sages-femmes à exercer, de manière pérenne, une activité mixte, à la fois à l'hôpital et en médecine de ville.
Mme Annick Jacquemet, présidente. - Quelles sont vos propositions pour rendre cette activité attractive ?
Camille Dumortier, collège national des sages-femmes de France. - Je suis sage-femme en salle de naissance au CHU de Nancy depuis 25 ans.
L'attractivité de cette activité réside dans les conditions de travail qui sont proposées. Durant ma carrière, j'ai passé seulement trois Noël et Nouvel An avec mes enfants. Il s'agit principalement d'un problème statutaire. Par ailleurs, nous avons droit à deux jours et demi de formation par an, ce qui est insuffisant pour une profession médicale. Il nous est ainsi quasiment impossible de préparer un DUE ou un diplôme complémentaire.
Par ailleurs, cette interdiction de l'exercice mixte rend les conditions de travail très difficiles. Il existe actuellement une pénurie de sages-femmes dans les établissements. Pour pouvoir réduire notre temps de travail et exercer en parallèle en libéral, il faut que le chef d'établissement donne son autorisation de réduire notre temps de travail et de reprendre ou créer un cabinet libéral.
Les demandes de disponibilités pour les sages-femmes sont refusées. Parallèlement, nous constatons que les sages-femmes sont de plus en plus nombreuses à démissionner de la fonction publique hospitalière, car elles ne veulent plus travailler dans les conditions actuelles.
Vous évoquiez, de plus, une différence entre les conditions de travail à Paris et en province. Il faut savoir que, dans la plupart des maternités, aucune infirmière n'est présente en salle de naissance. Seules des sages-femmes y travaillent.
Au bout de 25 ans, je vis encore des moments particulièrement difficiles, mais je pense que cela ne changera jamais, car c'est le propre de notre métier.
Nous avons néanmoins pris conscience de la problématique liée à la formation professionnelle. Nous avons demandé la réorganisation de nos études en six ans. Je rappelle que notre formation est réalisée intégralement en compagnonnage.
Pour ma part, j'ai travaillé dans différents établissements. J'y ai rencontré des internes en médecine qui se sentent « jetés » sur le terrain. En effet, en raison du manque d'effectif, nous avons moins de temps pour former nos pairs. Or c'est un élément important d'attractivité de la profession. Les étudiants qui sont bien accompagnés pendant leurs études sont plus enclins à travailler à l'hôpital public. Or, quand ils sont catapultés en deuxième année sur des gardes difficiles et que nous n'avons pas le temps d'organiser des débriefings avec eux, ils souhaitent, en définitive, s'orienter vers une autre activité.
En France, nous avons les compétences les plus larges qui existent. Ainsi les sages-femmes réalisent-elles des suivis gynécologiques et des interruptions volontaires de grossesse. Je rappelle que les sages-femmes sont les vigies des maternités.
Nous sommes assez attachées aux gardes de douze heures. C'est beaucoup plus difficile à vivre quand on vieillit, mais ce n'est pas impossible. Je connais de nombreuses sages-femmes libérales qui sont prêtes à venir prêter main-forte aux équipes hospitalières pour le suivi des naissances ou des grossesses pathologiques.
Mme Anne-Sophie Romagny. - Je vous remercie d'être venus témoigner devant nous aujourd'hui afin de mieux comprendre vos problématiques et vos enjeux. Je vous remercie également pour vos propositions.
Je voudrais vous interroger sur la prise en charge des dépressions périnatales. Avez-vous des préconisations pour améliorer la détection et le soin des dépressions périnatales ? Disposez-vous d'appuis dans les territoires pour ce faire ?
Anne Chantry, collège national des sages-femmes de France. - Je vous remercie de cette question. La santé mentale des mères est au coeur de nos préoccupations. Aujourd'hui, on considère qu'une femme sur sept développe une dépression post-partum. Les dernières études réalisées montrent que le premier facteur de risque serait d'avoir développé une dépression avant ou pendant la grossesse. Ceci signifie qu'il est possible d'agir en amont. Pendant la période périnatale, il faudrait que la santé mentale des femmes soit placée au coeur des consultations.
Un gynécologue qui intervenait ce matin à la radio expliquait que ceux-ci avaient désormais besoin de plus de temps pour réaliser les consultations. Les gynécologues examinent en effet les antécédents médicaux mais également l'environnement de leurs patientes, les violences qu'elles peuvent subir et, enfin, leur santé mentale.
Néanmoins, nous n'avons pas d'outil de détection des dépressions pendant la grossesse. Les outils permettant la détection des dépressions pendant la période post-partum ne sont pas adaptés. Il faut donc développer la recherche autour de cette question.
Enfin, il faut que les professionnels de santé aient le temps de recevoir la parole des femmes si celles-ci expriment un mal-être et être en mesure de leur proposer des solutions.
Les psychiatres et les psychologues de la périnatalité sont en très faible nombre et sont très peu coordonnées. En conclusion, tout est à faire en la matière.
Alexandra Bénachi, vice-présidente du collège national des gynécologues et obstétriciens français. - Il y a un chapitre dédié aux solutions possibles pour améliorer la santé psychique des femmes enceintes dans le programme des mille premiers jours. Il serait possible dans un premier temps de mener des campagnes de sensibilisation auprès des femmes. Un certain nombre de mesures peuvent aussi être mises en place.
Des études sont actuellement menées sur le sujet. Nous avons les moyens de faire beaucoup mieux. Il faut en particulier améliorer la coordination entre les psychiatres et les pédopsychiatres.
Jean-Christophe Rozé, société française de néonatalogie. - Je voudrais recentrer le débat sur le nouveau-né. À l'heure actuelle, en France, nous enregistrons mille décès de plus chaque année que les pays nordiques. Ces décès correspondent à mille drames familiaux. Notre priorité doit être de remettre de la sécurité autour de l'accouchement. Il faut remettre un pilote dans l'avion pour éviter que cette situation ne continue de se dégrader.
Damien Subtil, société française de médecine périnatale. - Je ne voudrais pas que l'on donne l'impression qu'on oppose sécurité physique et sécurité psychique. Nous avons besoin des deux. En matière de sécurité psychique, nous devons encore fournir des efforts. Néanmoins, il faut d'abord assurer la sécurité physique de la maman et des enfants. La semaine dernière, une maman de 33 ans est décédée dans un camion du SAMU. Si elle était allée dans un grand centre d'accouchement, elle ne serait pas morte. Nous partageons l'idée de l'urgence de la restructuration. Cependant, il va falloir expliquer l'intérêt de cette restructuration, notamment aux maires,. Nous avons eu récemment la fermeture de la maternité de Tourcoing, 1 800 naissances, du jour au lendemain sans aucune anticipation. Elle a pu rouvrir au bout de quelques mois mais demain ce seront peut-être des maternités de 3 000 naissances qui fermeront faute de personnels.
Mme Florence Lassarade. - J'ai été pédiatre de maternité pendant 35 ans, d'abord dans la plus grande maternité de France à Bordeaux, puis dans une petite maternité. J'ai adoré mon parcours. Néanmoins, la qualité de l'exercice dans une petite maternité dépend de la quantité de praticiens. Je constate, en outre, que si les maternités de ma région étaient regroupées, il n'y aurait plus de maternité entre Bordeaux et Toulouse.
Ma question est la suivante. Nous avons réduit le nombre de praticiens en raison du numerus clausus. Si le nombre de praticiens était suffisant, pourrions-nous garder les petites maternités ouvertes ? En effet, ces petites maternités rendent service et, si elles disparaissent, l'offre de transport devra être restructurée.
Deuxièmement, à la fin de mon exercice, j'ai constaté que les sages-femmes demandaient de suivre davantage de formations. Nous les organisions au CHU. Tout le monde connaissait son poste et, grâce à cette connaissance, nous augmentions les chances de l'enfant.
La formation des sages-femmes à la réanimation pédiatrique me semble être indispensable. S'il existe une pénurie, ouvrons la formation et recrutons des étudiants. Il est regrettable de devoir fermer des structures.
Alexandra Benachi, vice-présidente du collège national des gynécologues et obstétriciens français. - Effectivement, si nous avions suffisamment de personnel soignant, nous ne nous poserions pas ces questions. Néanmoins, il faut plusieurs années pour former des soignants.
J'ajoute que les pédiatres de maternité voient quinze à vingt enfants par jour. Les sages-femmes sont débordées. Il n'y a plus suffisamment de puéricultrices dans les maternités. Or elles jouaient un rôle important dans l'accompagnement des mères et dans la prévention de la mort subite du nourrisson.
Pour le moment, il est difficile de considérer que les médecins généralistes vont remplacer les pédiatres à la sortie de la maternité. En effet, la part consacrée à la formation pédiatrique est en diminution pour les médecins généralistes.
Mme Céline Brulin. - Savez-vous de combien de soignants il faudrait se doter pour remédier à cette pénurie ?
Quel regard portez-vous sur la réforme des études de santé qui est à l'oeuvre au regard des enjeux de vos professions ?
Jean-Christophe Rozeé société française de néonatalogie. - Le principal problème réside dans la charge de travail qui incombe aux soignants. Avant de penser au nombre, le plus important est de rendre les conditions de travail attractives dans les lieux qui offrent des permanences de soin.
M. Patrice Joly. - J'habite une commune dont j'étais le maire et qui se trouve désormais à au mieux à 1 heure 15 de route de trois maternités. Aucune ne réalise mille accouchements par an. En deuxième rang, il existe deux maternités qui se situent à 1 heure 45 voire 2 heures de route. Je comprends que vous suggérez de recourir davantage à l'hôtel maternel. Avez-vous identifié les conséquences psychiques sur les parents du modèle scandinave ? Par ailleurs, la réduction constatée du nombre de naissances n'allège-t-elle pas un peu la charge de travail collective ? Enfin, ne pourrait-on pas créer des réseaux de maternités, notamment en matière de gardes, ce qui éviterait la concentration des maternités ?
Mme Annie Le Houerou. - J'entends vos difficultés et le malaise de vos professions. Nous payons le manque de professionnels. Néanmoins, je ne veux pas me résigner à vos propositions. Il faut sortir par le haut pour accompagner les femmes et les enfants dans de bonnes conditions. Demander aux femmes d'aller accoucher à une heure de leur domicile, c'est prendre le risque de les traumatiser. Ce modèle ne permet pas aux femmes d'être accouchées par l'équipe qui les a suivies pendant toute leur grossesse. De plus, aucune place n'est faite aux pères ni aux autres enfants.
Je m'interroge quand je vois que la chirurgie réparatrice est la première spécialité choisie par les étudiants de médecine. Notre rôle en tant qu'élus est aussi de réguler les orientations de formation. Nous devons chercher des solutions qui vont au-delà de la simple gestion de la pénurie. Selon les informations dont je dispose, les pays nordiques semblent revenir sur cette organisation qu'ils avaient mise en place il y a plusieurs années.
Éléonore Bleuzen-Her, présidente du collège national des sages-femmes de France. - Concernant la formation des professionnels de santé, nous partageons l'idée d'augmenter le numerus clausus devenu le numerus apertus. Cependant, celui-ci est défini en fonction des capacités d'accueil des formations. Celui-ci doit évoluer pour mieux prendre en compte les besoins de santé publique.
Concernant le suivi pédiatrique, nous constatons que les sorties de maternité sont de plus en plus précoces. Nous recommandons de réorganiser les soins en fonction du temps de sortie des femmes et de leurs enfants. Ainsi, le certificat de santé des huit jours pourrait être signé par une sage-femme puisque l'examen médical que nous faisons en salle de naissance et en visite à domicile répond à tous les critères de cet examen. Nous saurons orienter les enfants vers des pédiatres si une pathologie est constatée.
Enfin, le collège des sages-femmes était opposé au déploiement des hôtels de maternité pour les raisons que vous évoquiez. Il serait effectivement judicieux de mutualiser les gardes entre des maternités de différent type pour disposer de l'expertise de chacun. Cette solution pourrait résoudre le problème de manque d'activité sur des soins d'urgence.
Alain Beuchée, société française de néonatalogie. - Pour répondre à la question de l'attractivité, à Rennes, quatre internes ont utilisé leur droit au remords au cours des dernières années, considérant que la charge de travail en pédiatrie était trop lourde.
Alexandra BENACHI, vice-présidente du collège national des gynécologues et obstétriciens français. - J'estime que la mutualisation des services augmentera la charge de travail des soignants. Quand on vous demande de gérer votre service et en plus d'aller faire des gardes à 50 kilomètres, c'est extrêmement épuisant. Pour répondre à votre question sur la chirurgie plastique, lorsque vous choisissez cette spécialité, vous êtes amenés, la plupart du temps, à faire des gardes sur les premières années seulement. Enfin, si le nombre d'étudiants n'augmente pas, c'est aussi parce que le système de formation n'est pas en capacité de les accueillir.
Jean-Christophe Rozé, société française de néonatalogie. - En réalité, la mutualisation est une fausse bonne idée, car elle épuise les équipes. Par ailleurs, j'estime qu'il est intéressant d'étudier le modèle des pays scandinaves qui ont réussi une restructuration de leur réseau de maternités tout en maintenant un service humain.
Mme Annick Jacquemet, présidente. - Nous sommes là pour travailler, pour recueillir des informations et pour faire changer les choses. Merci beaucoup pour votre participation. Nous ne manquerons pas de vous contacter si au cours de nos auditions nous souhaitons obtenir des informations complémentaires.
La séance est levée à 20 h 00.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Mercredi 27 mars 2024
- Présidence de Mme Annick Jacquemet, présidente -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Audition des professeurs Catherine Barthélémy, présidente, Yves Ville, membre titulaire, et Pierre Gressens, membre associé, de l'Académie nationale de médecine
Mme Annick Jacquemet, présidente. - Mes chers collègues, dans le cadre des travaux de notre mission d'information sur la santé périnatale et son organisation territoriale, nous entendons cet après-midi la professeure Catherine Barthélémy, présidente de l'Académie nationale de médecine, le professeur Yves Ville, membre titulaire de l'académie nationale et rapporteur d'un rapport adopté au mois de février 2023 et intitulé Planification d'une politique en matière de périnatalité en France : organiser la continuité des soins est une nécessité et une urgence, ainsi que le professeur Pierre Gressens, membre associé de l'Académie nationale de médecine.
Ce rapport préconisait une réduction du nombre de maternités par des regroupements de structures, autour de l'hypothèse d'un seuil de 1 000 naissances par an. Dès sa publication, il a eu un fort écho médiatique et a relancé un débat récurrent sur la fermeture de celles que l'on désigne parfois comme les « petites maternités ». Il n'est d'ailleurs sans doute pas étranger à la constitution de cette mission d'information à la demande du groupe RDSE.
Notre mission d'information a commencé ses travaux, la semaine dernière, avec les auditions des représentants de la Haute Autorité de santé et de Santé publique France et notre visite à l'hôpital Robert-Debré et, cette semaine, des auditions de syndicats lundi et des principales sociétés savantes concernées hier.
Ces auditions confirment une préoccupation générale sur la situation de la santé périnatale, notamment au regard des grands indicateurs de santé publique que sont ceux de la mortalité néonatale, infantile ou maternelle. Cependant, les déterminants conduisant à la dégradation de ces indicateurs depuis plusieurs années dans notre pays ne sont pas toujours bien identifiés. Plus particulièrement, le lien entre l'organisation des soins, notamment le maillage territorial en maternités, et la qualité et la sécurité des soins n'est pas nécessairement établi ou bien mis en valeur. Vous comprendrez donc que les conclusions de ce rapport puissent susciter des interrogations chez les élus que nous sommes.
Nos premières auditions soulignent en outre des évolutions, depuis une quinzaine d'années, concernant les facteurs de risque associés aux grossesses. Sont notamment évoqués l'âge plus tardif de la maternité, l'augmentation de la précarité ou une plus forte prévalence de l'obésité. En outre, la santé mentale des mères est devenue une priorité, alors que le suicide est désormais la première cause de décès des mères dans l'année qui suit l'accouchement.
Notre réflexion est large, s'intéressant à la prise en charge des mères et de leurs bébés pendant la grossesse, l'accouchement et les premières semaines de vie.
Sur ce vaste sujet, l'académie estime dans son rapport de 2023 que « la mise en oeuvre d'un plan de périnatalité ambitieux est une priorité et une urgence » et propose différents axes de travail pour définir une nouvelle politique publique en la matière.
Au-delà du ton alarmant - et alarmiste - de ce rapport, l'académie ne propose rien de moins qu'une réorganisation assez radicale de l'offre de soins, un « choc », dont l'acceptabilité politique et sociale ne serait certainement pas garantie.
Le constat dressé par l'académie embrasse de nombreux sujets, notamment les structures existantes et les professionnels concernés. Il traite notamment de la question de la raréfaction des professionnels de santé : cela vaut pour les gynécologues-obstétriciens et les pédiatres, mais aussi pour les anesthésistes ou encore les sages-femmes, qui, bien que plus nombreuses, manquent à l'hôpital.
Surtout, le schéma cible que l'académie soutient suppose, au-delà d'une rationalisation du nombre de structures, une profonde mutation de l'organisation entre les établissements de santé comme entre la ville et l'hôpital. Dans le contexte de crise de la démographie médicale, mais également de fortes contraintes budgétaires et alors que de nombreuses maternités subissent des fermetures temporaires ou définitives, il sera intéressant d'avoir votre éclairage sur les modalités concrètes de transformation qui ont pu être envisagées par l'académie pour parvenir à ces conclusions.
Vous l'avez compris, votre audition est très attendue par les membres de notre mission d'information et vient nourrir la réflexion sur l'une des questions les plus cruciales, mais aussi les plus complexes que nous avons à traiter : peut-on encore garantir aux femmes d'accoucher en sécurité près de leur domicile, partout sur le territoire national ?
Madame, messieurs, je vous laisse sans attendre la parole pour que vous puissiez présenter la position de l'Académie nationale de médecine sur ce sujet, les conclusions du rapport adopté au mois de février 2023 et les travaux complémentaires ou suites qui ont pu y être apportés. Je passerai ensuite la parole à Véronique Guillotin, rapporteure, pour une première salve de questions.
Je précise que notre réunion est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera ensuite consultable en vidéo à la demande.
Pr Catherine Barthélémy, présidente de l'Académie nationale de médecine. - L'Académie nationale de médecine que je préside actuellement est composée de médecins, de spécialistes de la médecine, de la chirurgie, de la biologie médicale, de la pharmacie et de la santé publique, ainsi que de quelques vétérinaires. Elle a pour but de fournir des renseignements et des avis sur des questions relatives à la santé, mais aussi et surtout à la prévention, aux fins d'éclairer les nouvelles pratiques et l'organisation de notre pays dans la perspective notamment d'éviter des difficultés concernant le développement de l'enfant, puisque c'est le sujet qui nous occupe aujourd'hui, de l'enfant à naître, de la santé des mères, de la santé des familles, surtout dans cette période clé qui est celle de la naissance. La question de la périnatalité est bien à l'ordre du jour de l'académie.
La pluridisciplinarité de cette instance permet d'éclairer, à la lumière des progrès de la science, ce qui peut constituer la vulnérabilité de l'enfant et de la mère à cette période clé de la vie, mais aussi les forces.
L'académie a produit deux types de communication.
En premier lieu, le rapport du professeur Yves Ville, qui a été très largement voté par les membres de l'académie, émane d'une commission intitulée « Reproduction, développement, santé de l'enfant » présidée par Yves Ville, René-Charles Rudigoz et Jean-Michel Hascoët.
En second lieu, en plus d'autres travaux issus de réflexions des différents groupes de travail, il faut souligner une contribution majeure du professeur Pierre Gressens, neuropédiatre qui dirige une unité de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) spécialisée dans l'étude du neurodéveloppement, émanant du groupe « Avenir de l'enfant, neurologie et psychologie du développement ». Elle a produit trois communiqués - Grandir ensemble, Agir tôt, Les parents acteurs du neurodéveloppement de l'enfant -, qui permettent de comprendre l'écosystème de la naissance, avant, pendant et juste après. Les regards croisés de scientifiques, de spécialistes de la médecine, du tout-petit, de la femme, de la mère, de la famille, mais aussi de la santé publique ont permis de dégager un certain nombre de recommandations sur lesquelles nous pourrons revenir.
Pr Yves Ville, membre titulaire de l'Académie nationale de médecine. - Je vous remercie de nous recevoir. J'avais d'ailleurs espéré, lors de la publication de ce rapport, que ce moment viendrait.
Quelle est l'origine de ce rapport ? L'Académie nationale de médecine compte une vingtaine de membres dont la vie professionnelle a été ou est encore liée à la périnatalité, ce qui explique cette vision longitudinale, mais aussi transversale de la périnatalité, de ses enjeux, des progrès qu'elle a pu réaliser et des périls qui peuvent la menacer. Elle s'est donc saisie tout à fait spontanément de ce sujet. Il n'est d'ailleurs pas nécessaire d'être un professionnel de la périnatalité pour s'alarmer. Presque chaque semaine, la presse régionale se fait l'écho d'une crise locale ou régionale autour d'une maternité, le plus souvent une petite maternité. Je reviendrai sur cette définition qui change au cours du temps, puisqu'aujourd'hui est considérée comme petite une maternité qui pratique moins de 1 000 accouchements par an, contre moins de 100 accouchements en 1976.
D'où viennent ces préoccupations grandissantes autour de la maternité ? Il s'agit là d'une question sociétale, qui vient d'une exigence de sécurité de la population. De 1976 à 1995, c'était l'objectif principal, voire l'obsession, des différentes mesures prises dans le domaine de la périnatalité. Il fallait absolument corriger des taux de mortalité et de morbidité sévère qui étaient devenus inacceptables chez les nouveau-nés comme chez les mères. À partir des années 1990, on est entré dans l'ère du postmodernisme ou de la postmodernité, qui, d'un point de vue sociétal, se traduit par une priorisation de l'individu sur le groupe, une utilisation de plus en plus large des réseaux sociaux, ce qui aboutit à des exigences de l'individu en termes de qualité.
C'est en 2007 que, pour la dernière fois, on a officiellement entendu parler de planification de la périnatalité. À cette occasion, des charges et des obligations de qualité d'accueil ont été ajoutées aux maternités auxquelles on avait déjà imposé des normes de sécurité. Cette même année, un rapport de la Cour des comptes avait déjà montré que cette obligation de sécurité n'était pas remplie par un grand nombre de maternités, en particulier les plus petites.
Les familles, qui - très normalement - revendiquent cette qualité, se trouvent face à ce dilemme : où trouver à la fois la sécurité et la qualité de l'accueil ? On assimile qualité de l'accueil à proximité. Je ne sais pas si proximité rime toujours avec qualité de l'accueil, mais je sais que cela ne rime certainement pas avec sécurité. On ne peut définir la sécurité autrement que par un cahier des charges quantitatives, qui tient au personnel médical, aux moyens matériels présents sur place, donc au niveau de prise en charge médicale d'un bébé qui serait trop petit ou trop prématuré. C'est sur les critères de poids de naissance et de terme de naissance qu'ont été définis des types de structures d'accueil mère-nouveau-né de niveau 1, 2 ou 3, avec une capacité croissante à prendre en charge les pathologies des nouveau-nés. La mère n'a jamais été l'objet principal de cette typologie de maternité. D'ailleurs, même les maternités de niveau 3 sont bien en peine d'accorder des soins nécessaires à une pathologie maternelle très sévère. Le paysage est donc très hétérogène.
Ce besoin de sécurité et de qualité d'accueil a entraîné une désaffection spontanée des plus petites maternités et celles de niveau 1, dont le nombre baisse de 2 % par an depuis vingt ans. On a ainsi perdu 40 % de petites maternités au cours de cette période.
Les familles se sont en effet tournées vers des maternités de niveau 2 ou 3 pour y chercher la sécurité, alors que leur niveau de risque ne nécessitait pas forcément une telle prise en charge ; elles se trouvent toutefois frustrées, car la qualité d'accueil n'est pas toujours à la hauteur de leurs attentes postmodernes : pouvoir héberger la famille, prendre son temps, avoir un entretien avec une sage-femme... Cette frustration des usagers n'a d'égal que la frustration des soignants, en particulier des sages-femmes, qui, dans ces conditions et parce qu'elles ne sont pas assez nombreuses et que les locaux sont exigus, ne peuvent accéder à la demande des parents et leur offrir la qualité de relations demandée.
Il s'agit là d'un phénomène spontané. Mesdames, Monsieur les sénateurs, vous vous êtes saisis des conclusions de ce rapport, mais, depuis 2007, rien ne s'est passé. La seule structure existante, qui permettait un échange quasi permanent et une vigie de ce qui se passait en périnatalité, était la Commission nationale de la naissance : elle a disparu du jour au lendemain. J'y représentais alors l'académie, je n'ai même pas été informé de la raison à l'origine de cette décision. Depuis 2007, il n'y a donc plus de structure mettant en relation de façon régulière et officielle à la fois les autorités de santé, les usagers et les professionnels de la naissance : c'est silence radio ! Pour autant, ce n'est pas un silence média : des crises explosent çà et là, localement, sur tout le territoire, avec des femmes qui ne trouvent plus de maternité et des maternités qui ne sont plus ouvertes en permanence.
Il existe donc des maternités dites en tension sévère. Il s'agit d'un critère composite que l'on peut définir ainsi : ce sont des maternités qui n'arrivent pas à assurer la continuité des soins vingt-quatre heures sur vingt-quatre et 365 jours par an, dont les listes de garde présentent des trous, c'est-à-dire un défaut de soins potentiel. Ces maternités ont un recours quelquefois massif, voire exclusif, à l'intérim : c'est donc un regroupement de mercenaires et, quelles que soient la motivation, la bienveillance et l'intelligence que ceux-ci peuvent avoir dans leur travail, si une situation de crise et d'urgence survient, une catastrophe peut se produire, simplement parce qu'ils ne sont pas habitués à travailler ensemble. Ce sont aussi des maternités qui composent avec moins de 7 équivalents temps plein (ETP), ce qui entraîne des burn-out - plus de la moitié des personnels travaillant dans ces établissements en sont affectés.
Si l'on ne veut pas regarder ces situations en face et essayer d'y remédier activement, on attend le pourrissement. Quand on lit la presse ou que l'on écoute la radio, c'est bien cette situation de pourrissement extrême dans laquelle telle maternité est tombée dont il est question. C'est pourquoi, forts de ce constat et après avoir auditionné à la fois les usagers et tous les acteurs soignants de la périnatalité, nous en sommes arrivés à la conclusion qu'il fallait identifier ce qui apparaissait comme une fragilité continue. Ce mouvement de fermeture de 2 % par an affecte principalement les maternités de niveau 1 qui font moins de 1 000 accouchements ; 80 % d'entre elles sont en tension sévère. Puisque rien n'est fait, cette pente fixe de 2 % par an va finir à zéro...
Comment assurer à la fois la qualité d'accueil et la sécurité ? En préservant les maternités de niveau 2, qui font moins de 1 000 accouchements, parce qu'elles sont un peu plus adaptées, un peu plus en proximité et beaucoup plus armées pour la sécurité. Quand ce rapport est sorti, la presse n'a retenu qu'une seule chose : il faut fermer 100 maternités qui font moins de 1 000 accouchements. Elle aurait pu dire : il faut sauver 52 maternités qui font moins de 1 000 accouchements et qui sont de niveau 2.
D'un point de vue organisationnel, si l'on fusionnait ou incitait à le faire les personnels des maternités de niveau 1 extrêmement fragilisées qui ne satisfont ni les usagers sur les deux critères principaux ni les soignants qui y sont, dans le but de garder ouvertes ces 52 maternités de niveau 2 qui sont tout aussi menacées, on pourrait ralentir, voire inverser, cette tendance à la désertification dans le domaine périnatal. Je reviendrai sur la fusion et l'incitation, car la décision n'a rien de médical, elle est politique, elle est une solution d'aménagement du territoire.
D'un point de vue macroscopique, si l'on s'intéresse à l'échelle de la commune, on constate qu'un peu moins de 400 communes ont une maternité ; il existe énormément de communes sans maternité, ce qui n'est pas un drame. Quand on a moins de 50 ans, on accepte tout de même d'habiter dans ces communes qui n'ont pas de maternité.
La solution consiste à séparer l'acte d'accouchement du suivi de la grossesse. Je conçois que cela constitue une rupture importante, plus importante d'un point de vue social et sociétal que médical d'ailleurs, car de nombreux pays voisins l'ont déjà compris - je ne parle pas de pays plus éloignés dans le domaine médico-économique et sociologique. En séparant l'acte d'accouchement du suivi de grossesse et, ensuite, du post-partum, on peut très bien assurer la sécurité et la proximité, peut-être à l'exception de l'accouchement lui-même.
En d'autres termes, une femme enceinte peut être suivie à proximité de son domicile, accoucher dans une structure soit de niveau 1 suffisamment équipée et staffée pour que la sécurité soit garantie et avec une qualité d'accueil, soit de niveau 2 ou 3, et retourner dans sa commune quelques heures plus tard ou le lendemain avec des sages-femmes à proximité qui assureront l'apprentissage de la parentalité et les soins du bébé. C'est possible, cela se passe ainsi dans de nombreux pays d'Europe, en particulier d'Europe du Nord. De même, aujourd'hui, une femme qui est suivie à Barcelone ou à Amsterdam pour sa grossesse et qui rentre en travail n'accouche pas là où elle a été suivie : elle compose un numéro de téléphone et on lui indique où il faut aller accoucher ce jour-là, sauf si elle veut accoucher à la maison.
Quand on se regarde, on se désole ; quand on se compare, on peut se consoler. C'est valable aussi en matière de périnatalité, à condition de ne pas perdre pied. Nous en sommes à la dernière limite avant de perdre complètement pied. En effet se développent des conduites inadaptées où l'on veut absolument faire croire, soit par conviction personnelle - donc par incompétence, à notre avis -, soit pour des raisons qui ne sont pas médicales, mais de politique ou de politique locale, ce qui peut s'entendre, que la sécurité, c'est la proximité.
La sécurité n'est pas la proximité. Il vaut mieux qu'une femme en travail se trouve dans un camion de Samu avec un personnel compétent que dans une maternité où l'on ne pourra pas réanimer l'enfant. Je parle sous le contrôle de Pierre Gressens : nous savons qu'au moins 3 % des accouchements dits normaux nécessiteront une réanimation néonatale intensive. La société d'aversion au risque dans laquelle nous vivons aujourd'hui peut-elle accepter cela ?
Madame la présidente, vous l'avez rappelé en introduction, le phénotype de la femme enceinte a beaucoup changé et la définition d'une femme à bas risque est bien difficile à établir aujourd'hui avec l'augmentation de l'âge de la conception, l'épidémie de diabète et d'obésité pendant la grossesse, le recours à la procréation médicalement assistée et des pathologies préexistantes à la grossesse qui sont beaucoup plus fréquentes et qui ont un impact sur la grossesse et l'accouchement, comme l'endométriose ou le syndrome des ovaires polykystiques.
Il est très difficile, voire impossible, surtout si l'on ne s'en donne pas les moyens - malheureusement, notre pays pèche dans la prévention et l'identification des risques -, de savoir qui est à bas risque. S'il faut le découvrir le jour de l'accouchement, c'est trop tard.
Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Bien évidemment, le rapport a fait du bruit, vous deviez d'ailleurs vous en douter. Étant médecin, j'entends les risques que vous pointez. De nombreux professionnels de santé ont relayé certaines de vos analyses et nous ont également fait part des problématiques de bien-être au travail, de la nécessité de travailler dans de bonnes conditions et de l'acceptabilité du travail, qui n'est plus aujourd'hui la même qu'hier - nuits, week-ends, responsabilités... Comme vous, ils ont souligné les risques relatifs à l'âge des mères, à l'obésité, à la santé mentale ou à la paupérisation, qui font que les accouchements d'aujourd'hui et les conditions dans lesquelles on accouche ne sont plus les mêmes.
Vous avez indiqué que 3 % des grossesses normales présentaient le risque de basculer de manière non prévue vers des accidents de la grossesse, voire de l'enfant.
Pr Yves Ville. - Non seulement des grossesses normales, mais également des accouchements qui ont l'air de se passer normalement.
Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Sur quelles études et publications vous appuyez-vous pour avancer ce chiffre ?
De la même façon, sur quelles études vous êtes-vous basés pour conclure qu'une maternité qui réalise plus de 1 000 accouchements par an était plus sûre qu'une petite maternité, hormis la volonté des praticiens de travailler ensemble ? J'exclus les équipes de moins de 7 ETP ; tout le monde nous a donné ce critère. Y a-t-il d'autres indicateurs, par exemple de sécurité, d'accidentologie, de risque, entre une maternité d'au moins 1 000 accouchements et une maternité de moins de 1000 accouchements ?
Certaines des personnes que nous avons auditionnées ne confirment pas votre version, mais regardent la grossesse et l'accouchement sous un autre prisme : pour elles, il s'agit d'un acte normal, physiologique, qui se déroule sans aucun problème dans 70 % à 80 % des cas. Faut-il voir l'organisation des maternités et leur gradation sous l'angle de la pathologie et du risque ou faut-il partir du principe que les grossesses sont normales et qu'il faut anticiper des accouchements qui ne se passent pas bien et diriger la femme vers un plateau technique plus sûr ? Ce sont en effet les deux versions de l'organisation future.
Vous avez mentionné les pays d'Europe du Nord, qui comptent de très grosses maternités situées à des distances du domicile des femmes enceintes bien plus importantes qu'en France et où la mortalité infantile est bien plus faible. Pour autant, peut-on vraiment comparer les deux systèmes ?
Pr Yves Ville. - Sur quels critères les maternités de moins de 1 000 accouchements par an sont-elles moins sûres que les autres ? Il en existe deux.
Tout d'abord, le critère de la tension sévère : recours massif à l'intérim ; épuisement et burn-out des gens qui y travaillent - des médecins qui effectuent plus de cinq gardes par mois dans ces structures - ; moins de 7 ETP - minimum pour pouvoir constituer une équipe de soins avec une absence de rupture dans la continuité des soins. Cela ne signifie pas que, sur le site, il y ait sept obstétriciens, sept pédiatres et sept anesthésistes. Ces personnels peuvent travailler aussi ailleurs, mais ils assurent la continuité des soins et ils ne sont pas totalement épuisés par les gardes.
Ensuite, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a publié une étude sur la mortalité maternelle, menée par Catherine Deneux-Tharaux. Comme la France n'est heureusement pas le Burkina Faso, cette étude a également examiné ce que les anglo-saxons appellent le Near miss, c'est-à-dire toute situation qui aurait pu, voire dû, aboutir à une catastrophe si on ne l'avait pas rattrapée par les cheveux ou par chance. Là encore, ce qui apparaît comme étant un facteur de risque indépendant, ce sont les petites maternités de moins de 1500 accouchements, en particulier celles de moins de 1 000 accouchements.
Pr Pierre Gressens, membre associé de l'Académie nationale de médecine. - Je reviens sur le chiffre de 3 %, que l'on peut d'ailleurs discuter - 4 %, 5 %...
Une grossesse est un événement particulier, qui se passe bien dans 99 % des cas. En revanche, on ne peut malheureusement pas prédire quand cela se passera mal : cela arrive dans les maternités de petite taille, de moyenne taille et même dans les maternités de niveau 3. Cela peut concerner la mère, mais aussi l'enfant, qui gardera des séquelles neurologiques, ce qui coûtera de 10 millions d'euros à 20 millions d'euros à la société qui, fort heureusement, a mis en place des mesures pour les prendre en charge leur vie durant. Et que dire de l'impact pour la famille ?
Même si tous ne coûteront pas autant à la société, entre 15 % et 20 % des enfants dont la mère a eu un accouchement difficile vivront difficilement. Ces enfants passent sous les radars. On ne les voit pas tous. Ceux qui sont dans les situations les moins graves iront à l'école, seront un peu hyperactifs, courront dans la classe, auront des problèmes de mémoire, échoueront à l'école ; c'est aussi un manque à gagner pour la société.
En outre, les familles payent cash : les parents devront passer beaucoup de temps à s'occuper d'eux ; souvent, la mère ne pourra plus travailler. Cela aura donc un impact économique énorme, d'autant que la France manque déjà d'enfants. Si tous ne sont pas performants...
Mme Jocelyne Guidez. - Malgré le manque de pédiatres et de médecins généralistes, nous ne formons plus assez de professionnels spécialisés aujourd'hui. L'inspection générale des affaires sociales (Igas) le pointait déjà en 2021. Au contraire, nous faisons face à un risque de disparition des compétences spécialisées. L'écart entre les discussions, les annonces et les actions concrètes reste considérable. Certaines défaillances dans ce domaine sont profondément enracinées dans notre système de formation de santé. Il est essentiel de souligner que le programme de formation des infirmiers puériculteurs diplômés d'État n'a pas été mis à jour depuis 1983. Il est grand temps de faire quelque chose.
Depuis vingt ans, 40 % des petites maternités ont disparu pour des questions de sécurité. C'est énorme ! Comment expliquez-vous qu'aujourd'hui la mortalité chez les jeunes enfants continue d'augmenter en France ?
Pr Yves Ville. - Le rapport formule des recommandations pour pouvoir former plus d'infirmières puéricultrices, de leur donner un accès à la prescription de façon à aider la pédiatrie, qui est l'une des spécialités les plus sinistrées en matière de ressources humaines, en particulier en ville. La puéricultrice diplômée qui aura une année de formation supplémentaire et un droit de prescription sera l'équivalent pour la pédiatrie de ce qu'est la sage-femme à l'obstétrique. C'est indispensable.
La grande période de la fermeture des petites maternités s'est arrêtée en 1995. Depuis, on les a beaucoup plus regardé fermer et pourrir qu'on ne les a fermées en amont : carence de personnel, accidents, manque de moyens, manque de rentabilité... Aujourd'hui, notre rapport recommande de les fermer intelligemment, c'est-à-dire en les regroupant, et de les transformer d'un site d'accouchement en un site de suivi de la grossesse et d'accueil du post-partum, des familles et des bébés. La presse a résumé cela de façon simpliste en parlant de la fermeture de 100 maternités, mais ce n'est pas ce qui est proposé. Il s'agit plutôt d'une transformation de sites d'accouchement qui ne peuvent proposer à la fois la sécurité et la qualité d'accueil en des endroits de suivi performant et d'accompagnement à la parentalité une fois l'accouchement réalisé.
On m'a reproché d'être le chef de service d'une maternité high tech dans le XVe arrondissement de Paris et de me mêler de ce qui se passait en Aquitaine ou ailleurs. Dans cette carrière, certes il y a douze ans à Necker, mais il y a aussi dix ans à Poissy où j'ai réalisé la fusion des maternités de Poissy et de Saint-Germain-en-Laye qui étaient à quatre kilomètres l'une de l'autre à travers la forêt - les maires des deux communes trouvaient absolument inadmissible de fermer l'une des deux maternités, alors que les deux étaient en souffrance. Auparavant, j'ai travaillé pendant cinq ans en Angleterre, où les regroupements de maternités sont assez automatiques et où une petite maternité est une maternité de 5 000 accouchements. Avant encore, j'ai travaillé pendant deux ans en Afrique, où le regroupement, le transfert des patientes et la sécurité au regard de la qualité de l'accueil ont une autre dimension. J'ai donc un passé suffisamment étoffé et varié pour pouvoir évoquer ces questions.
Je formule la suggestion suivante : si une femme accouche, non pas dans la commune où elle a été suivie pendant sa grossesse et sera suivie en post-partum, mais dans une commune voisine, la déclaration à l'état civil pourrait être faite dans la commune où elle réside et où elle est suivie en post-partum. Si l'on mettait en place cette mesure, je pense qu'un grand nombre d'édiles locaux trouveraient ces recommandations beaucoup moins inacceptables. Avoir eu dans sa commune une maternité, avoir encore une structure de suivi de la grossesse et d'accueil du post-partum et ne plus pouvoir déclarer une naissance, c'est une frustration. Quand on a accouché à vingt ou trente kilomètres de chez soi, on devrait malgré tout pouvoir déclarer cette naissance à l'état civil de sa commune de résidence.
Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Les petites maternités ont été regroupées, supprimées ou fermées ; pourtant, les indicateurs de la natalité sont loin de s'être améliorés. C'est ce paradoxe que ma collègue pointe.
Pr Yves Ville. - Une partie de la réponse, c'est que l'on n'a pas assez fermé !
Mme Jocelyne Guidez. - C'est un peu court...
Pr Pierre Gressens. - La France n'est pas si mauvaise en termes d'indicateurs de néonatalité, même si l'on peut toujours faire mieux. En ce qui concerne les maternités de niveau 3, notre pays est même très bon. Peut-être qu'il est moins bon pour les maternités de niveau 1. Peut-être faudrait-il que l'on fasse mieux. Pour tout dire, je n'ai pas la réponse.
Je rebondis sur votre question relative à la pédiatrie. Cette spécialité est sinistrée pour plusieurs raisons. D'abord, elle n'attire plus trop les futurs internes. D'autre part, elle est très féminisée. Par conséquent, beaucoup de femmes pédiatres, une fois qu'elles ont des enfants, travaillent à mi-temps. Par conséquent, le nombre de pédiatres en France est faux, il faut quasiment le diviser par 1,5. Les départements du Val-d'Oise et de Seine-Saint-Denis accusent un déficit majeur, puisqu'il n'y a plus de pédiatres. Pendant la crise du covid, les enfants n'étaient plus vus par qui que ce soit. Les déserts médicaux pédiatriques sont les pires ; or les enfants représentent l'avenir de notre pays. Comment faire pour revaloriser la pédiatrie ?
Les médecins généralistes ne peuvent pas tout faire et ils ont peur de s'occuper des enfants, ce que je comprends.
Il faut faire quelque chose. On parle aujourd'hui des maternités, mais il faut aussi parler de la petite enfance et de la pédiatrie ; sinon, la situation va empirer. En matière de diagnostic des troubles de neurodéveloppement - cela concerne 10 % de la population -, les résultats ne sont pas bons.
Mme Annick Jacquemet, présidente. Jocelyne Guidez a beaucoup travaillé sur le sujet des troubles du neurodéveloppement et a pointé pas mal de difficultés.
Il a été question de la déclaration de l'état civil dans la commune de résidence, le groupe Union Centriste a déposé une proposition de loi en ce sens ; elle a été adoptée par le Sénat en janvier 2022 mais n'a malheureusement pas poursuivi son chemin à l'Assemblée nationale... Après vos propos, peut-être allons-nous la réactiver.
Pr Yves Ville. - Je souhaite revenir sur les structures d'accueil des nouveau-nés en détresse. Elsa Kermorvant, vice-président de la Société française de néonatalogie, que vous avez auditionnée, a dû vous parler du déficit de lits de réanimation pour 1 000 naissances. La France compte de 0,6 à 1,3 lit de réanimation pour 1 000 naissances, ce qui est quatre à cinq fois moins élevé qu'aux États-Unis.
Mme Annie Le Houerou. J'ai cru comprendre que, pour vous, la fermeture des maternités était liée à la sécurité. A-t-on des chiffres précis indiquant que le taux de mortalité ainsi que le nombre d'événements indésirables graves d'accès aux soins sont plus importants dans les petites maternités que dans les plus grandes ?
Quid des accouchements à domicile du fait du refus des femmes d'aller dans des grosses structures et de la rupture entre l'accompagnement prénatal et l'accompagnement postnatal ? Les femmes sont nombreuses à nous dire qu'elles veulent être accompagnées de manière sereine par la même équipe du début de la grossesse jusqu'à l'accouchement, qui est un acte important pour elles, et suivies ensuite en post-natalité.
Vous préconisez le nombre de 1 000 accouchements au minimum pour une maternité sûre, mais vous l'avez ensuite justifié pour des questions d'organisation de travail et de confort - tout à fait légitimes - des équipes dans la prise en charge de qualité de la maman et du bébé. Pourtant, vous ne mentionnez pas qu'il s'agit d'abord d'un problème de démographie médicale et qu'il faut trouver des solutions afin d'avoir plus de professionnels de santé pour répondre aux besoins des femmes. Plutôt que de proposer de gérer la pénurie par l'installation de supermaternités-usines, ne vaut-il pas mieux dire que le besoin des femmes, des bébés et des enfants est la proximité ?
Vous avez évoqué les difficultés d'un suivi pédiatrique, mais il en est de même pour les rendez-vous chez des spécialistes. En milieu rural, des questions de mobilité se posent : les familles n'ont pas les moyens de se déplacer dans les grands centres hospitaliers universitaires, où leurs enfants peuvent être pris en charge dans de bonnes conditions. En termes de bénéfice-risque, je ne suis pas sûre que la solution soit de préférer les très grandes maternités, très éloignées des lieux d'habitation des personnes, si l'on veut un aménagement du territoire équilibré et une qualité de vie avec les services qui vont avec. Je m'étonne que vous n'ayez pas évoqué cela.
Pr Yves Ville. - Dans l'expression « désert médical », il y a deux termes : désert et médical. Quand vous êtes dans une région qui est richement peuplée de gens jeunes, la question ne se pose pas : il y a une maternité, elle est fréquentée et il y a des gens qui prodiguent les soins médicaux. Quand vous êtes dans un désert médical, le plus souvent la population est plus âgée, si bien que les soins les plus nécessaires ne sont pas forcément des soins de périnatalogie.
Les médecins, quelle que soit leur spécialité, et les soignants en général ont le même âge que leurs patients, ils ont les mêmes désirs et, par conséquent, ils ne souhaitent pas travailler seuls. Ce que nous connaissions auparavant a disparu une fois pour toutes, il ne faut même pas essayer d'y revenir.
La spécialité de gynéco-obstétrique est une spécialité très large faite de sous-spécialités et, chaque année, on remplit le tonneau des Danaïdes, en augmentant le nombre d'internes dans cette filière : nous sommes passés de 40 postes par an il y a dix ans à 200 aujourd'hui, soit une multiplication par cinq ! Or, dès le début de l'internat, seule la moitié des étudiants disent qu'ils feront de l'obstétrique ; qui plus est, ils ne veulent plus prendre de garde après 50 ans et ils ne veulent pas travailler dans des structures où ils seront moins de sept, et cela pour avoir une vie normale - c'est d'ailleurs ce que les patientes veulent pour elles-mêmes. Ainsi, la moyenne d'âge des obstétriciens est aujourd'hui en France de 56 ans !
Vous n'arriverez pas à peupler une maternité qui pratique moins de 1 000 accouchements dans un désert médical avec sept obstétriciens contents d'y travailler et compétents. Vous n'arriverez pas à résoudre cette équation avec les données actuelles de la démographie médicale - données qui ne vont qu'empirer.
L'obstétrique est une spécialité en désaffection. Je ne parle pas des autres aspects de la spécialité de gynéco-obstétrique, qui vont globalement très bien. J'ajoute que, pour la plupart de ces aspects - l'échographie, le suivi de grossesse, le suivi gynécologique... -, les sages-femmes font aussi bien, voire mieux, que les médecins. L'obstétrique elle-même n'a pas la cote auprès des plus jeunes. Et de toute façon, ceux-ci veulent travailler dans de bonnes conditions, c'est-à-dire, selon eux, dans des équipes dynamiques suffisamment nombreuses pour échanger des idées et recevoir de l'aide et des conseils.
Si vous prenez un jeune obstétricien par l'oreille et que vous le mettez dans un désert médical, il n'assumera pas ce qu'ont fait ses aînés pendant des générations. Il ne faut pas attendre des médecins une attitude différente de celle du public !
Pr Catherine Barthélémy. - L'Académie nationale de médecins se penche sur un autre sujet de préoccupation : la faillite de la formation des médecins, pas tant en termes de quantité qu'en termes de qualité et de choix d'orientation. L'environnement professionnel et certaines spécialités, dites plus « actuelles », sont des facteurs d'attractivité. Ayons bien en tête que des généralistes qui s'installent font de la médecine esthétique !
Mme Annick Jacquemet, présidente. - Avez-vous des données particulières sur l'outre-mer ?
Pouvez-vous nous dire un mot sur les maisons de naissance ?
Pr Yves Ville. - En outre-mer, les problématiques à l'oeuvre en métropole sont aggravées par la plus grande précarité des populations, notamment du fait des migrations.
En ce qui concerne les maisons de naissance, il y avait, il y a une dizaine d'années, un consensus pour dire qu'il fallait des zones de suivi et d'accouchement physiologique au sein des grandes structures. Tout le monde avait l'air de devenir raisonnable, mais il faut s'en donner les moyens. Les grandes structures peuvent assurer la sécurité et la qualité de l'accueil, mais elles doivent être davantage aidées pour la partie qualité de l'accueil. Il faut pouvoir prendre la main médicalement si une catastrophe arrive, ce qui est le cas dans 3 % des situations, en particulier pour des anoxies périnatales.
En tout cas, s'agissant des maisons de naissance elles-mêmes, je crois que les rapports d'évaluation sont insincères : il s'agit en fait d'auto-évaluations, ce qui ne peut pas donner une bonne évaluation. Comme je le disais, nous ne sommes pas Burkina Faso. Quand les situations qui auraient pu être catastrophiques ne le sont finalement pas, c'est probablement par chance ! En obstétrique et en périnatalité, la nature est quelquefois bonne, mais quand elle ne l'est pas, elle ne l'est pas du tout !
Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Vous parliez dans votre rapport de l'urgence à agir. Un an après, avez-vous constaté des avancées, une prise en main du sujet ? Avez-vous échangé avec le Gouvernement sur cette question ?
Par ailleurs, vous préconisez une transformation profonde qui nécessite de prévoir et de prendre en compte l'accueil des familles, le transport, le bien-être du bébé, de la maman et de son entourage. Avez-vous évalué le coût de tout cela ?
Pr Yves Ville. - J'ai présenté ce rapport à tous les ministres qui se sont succédé depuis lors. La direction générale de l'offre de soins du ministère de la santé est très consciente du problème et elle n'est pas forcément très éloignée de nos conclusions, en particulier sur les problèmes de démographie médicale. Je rappelle cependant que l'académie s'est autosaisie.
La solution n'est pas médicale, elle est politique et liée à l'aménagement du territoire. Vouloir former beaucoup plus de médecins ne servira à rien. En revanche, former des infirmières puéricultrices compétentes et autonomes va beaucoup aider. Les sages-femmes sont une profession exceptionnelle et elles peuvent faire face à pratiquement tous les aspects dont nous avons parlé, sauf bien entendu les extractions instrumentales et la gestion des grossesses à haut risque ou pathologiques. Il faut donner les moyens à ces différents acteurs de la périnatalité de travailler dans de bonnes conditions.
Pour cela, nous avons besoin d'une prise de conscience des élus qui ont un rôle absolument essentiel à jouer. Nous devons réussir à séparer la question de la sécurité de l'accouchement de celle de la qualité de l'accompagnement. Une commune qui avait une maternité où avaient lieu des accouchements peut tout à fait valoriser son action auprès de ses administrés, en offrant un suivi remarquable des femmes enceintes et des familles, en particulier dans un contexte où se développent la télémédecine et le travail en réseau - deux éléments parmi les rares choses bénéfiques que nous a apportées le covid. Quelques heures après l'accouchement, cette structure peut reprendre en charge la famille pour l'accompagner dans la périnatalité. Les Samu et les sages-femmes sont prêts à assurer la sécurité des transports, à l'aller comme au retour.
Il existe un plan d'engagement en périnatalité qui permet le financement par l'assurance maladie de quelques nuitées d'hôtels hospitaliers. Il faut étendre le dispositif jusqu'à presque trois semaines. Quelle que soit l'offre qui sera organisée, elle sera toujours bénéfique, y compris sur le plan médico-économique, par rapport à la solution visant à garder des structures qui ne pourraient finalement assurer ni la sécurité ni la qualité de l'accueil. Les hôtels hospitaliers, les maisons familiales et les centres périnataux de proximité bien gérés avec des sages-femmes et des puéricultrices constituent, à notre avis, la solution pour la grande majorité des zones tendues.
Pr Pierre Gressens. - Je suis tout à fait d'accord avec Yves Ville. Il existe aussi une solution très peu coûteuse : améliorer la parentalité. Nous constatons un grand déficit de connaissances chez les futures mamans. Nous pourrions prévoir des programmes scolaires adaptés dès 14-15 ans sur ce que c'est être maman ou papa et organiser un relais pour répondre aux questions des jeunes. Cela ne coûterait pas très cher et pourrait rapporter gros. Les pays nordiques font cela très bien : en Suède, une fille de 15 ans sait ce que représente une grossesse.
Mme Annick Jacquemet, présidente. - Nous avons déjà des difficultés à mettre en place des cours d'éducation sexuelle : 15 % des écoles seulement en organisent !
En tout cas, nous vous remercions pour toutes ces explications.
La réunion est close à 18h30.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition du professeur Christèle Gras-Le Guen et de M. Adrien Taquet, co-présidents du comité d'orientation des Assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant
Mme Annick Jacquemet, présidente. - Mes chers collègues, nous entendons aujourd'hui M. Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de l'Enfance et des Familles de 2020 à 2022 et Mme Christèle Gras-Le Guen, Professeure des Universités en pédiatrie, cheffe du service de pédiatrie générale et des urgences pédiatriques au CHU de Nantes et présidente de la Société française de Pédiatrie.
Dans un contexte de crise du secteur de la pédiatrie, et plus globalement de la santé des enfants, les Assises de la Pédiatrie et de la Santé de l'enfant lancées en décembre 2022 par M. François Braun, alors ministre de la santé et de la prévention, devaient conduire à identifier, avant l'été 2023 selon les annonces initiales, des réponses de moyen et long terme pour faire évoluer et renforcer la pédiatrie et établir un plan d'action « ambitieux » pour la santé des enfants et des adolescents dans notre pays. Près d'un an plus tard, la publication des conclusions des Assises de la Pédiatrie se fait toujours attendre alors même qu'un rapport a été remis au ministre de la santé à l'été dernier. Nous serons donc particulièrement intéressés par les explications que vous pourrez nous donner quant aux raisons de ce retard.
Nos premières auditions de la HAS et de Santé publique France, ainsi que notre déplacement à l'hôpital Robert Debré nous ont permis de constater l'urgence de la situation de la santé périnatale en France. Notre rapporteure a pu entendre lundi plusieurs représentants des syndicats d'obstétriciens, d'anesthésistes-réanimateurs et de pédiatres qui ont confirmé l'état critique dans lequel se trouve notre système de santé et appelé à un sursaut et à une réorganisation ambitieuse de notre système de soin périnatal en France.
Dans ce contexte, et alors qu'une tribune de la Société française de médecine périnatale publiée au début du mois appelait à la mise en place d'Assises nationales de la périnatalité, nous serons également particulièrement attentifs aux éléments que vous pourrez nous donner sur les conclusions des Assises, sur les recommandations qui ont été formulées par les différents groupes de travail et notamment sur deux objectifs des Assises qui intéressent tout particulièrement notre mission d'information : « Sécuriser les conditions de naissance dans toutes les régions et H24/7 » et « Renforcer et développer les compétences en pédiatrie sur l'ensemble du territoire »
Je vais vous laisser la parole successivement pour quelques minutes chacun. Je passerai ensuite la parole à Véronique Guillotin, notre rapporteure, pour une première salve de questions.
Je précise que notre réunion est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera ensuite consultable en vidéo à la demande.
M. Adrien Taquet, co-président du comité d'orientation des Assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant. - Merci beaucoup pour votre invitation. Nous avons préparé un support de présentation pour étayer nos propos qui, je pense, couvriront à peu près l'ensemble des questions que vous venez de soulever.
Je rappelle très brièvement le contexte de ces Assises, qui remontent à l'hiver 2022. À l'époque, la crise des urgences pédiatriques était un peu le « marronnier » de chaque hiver mais celle de l'hiver 2022 a été particulièrement aiguë avec la conjonction de trois épidémies de grippe, de Covid et de bronchiolite. L'origine des Assises se rattache à la nécessité de faire face à un cumul de difficultés : la saturation des urgences, le manque de lits d'hospitalisation conventionnels ou en soins critiques, une périnatalité en difficulté structurelle, un pic d'activité générateur d'épuisement des équipes ainsi que de démissions en augmentation et une permanence des soins problématique.
C'est à ce moment que François Braun, d'une part, a débloqué un certain nombre de moyens supplémentaires : 400 millions d'euros, de mémoire. Par ailleurs, tout n'étant pas qu'une question d'argent sans quoi les choses seraient assez simples , il a décidé de lancer des assises de la pédiatrie que nous avons transformé en assises de la pédiatrie « et de la Santé de l'enfant » pour bien signifier que partir des besoins de l'enfant nous semble toujours être la bonne approche pour éviter de s'enfermer dans des disciplines ou dans des compétences.
Très rapidement, il nous est apparu évident que cette crise des urgences pédiatriques n'était que la face émergée de l'iceberg car le mal est bien plus profond et se situe tant en amont qu'en aval de l'hôpital. Plusieurs acteurs de la santé de l'enfant connaissent une situation critique. Tel est d'abord le cas des PMI (centres de Protection Maternelle et Infantile) dans un certain nombre de départements, avec des situations très inégales. De plus, il ne reste que 800 médecins scolaires en France et donc nous partons d'un point très bas si on veut, comme on le prétend, refonder la médecine scolaire. S'agissant de la pédopsychiatrie, à chacun des 300 déplacements que j'ai faits en tant que ministre, un élu local, un député, un sénateur, un président de conseil départemental, un travailleur social ou un responsable de l'ASE (Aide Sociale à l'Enfance) m'a alerté sur le manque de pédopsychiatres dans notre pays et sur les délais d'attente pour obtenir un rendez-vous de 6 à 12 mois dans certains CMP-IJ (centres médico-psychologiques infanto-juvénile). S'y ajoute la re-augmentation depuis 2012 de la mortalité infantile.
Mme Christèle Gras-Le Guen, co-présidente du comité d'orientation des Assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant. - En premier lieu, le travail réalisé par l'équipe de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) dans laquelle je travaille montre, jusqu'en 2005, la diminution de la mortalité infantile qu'on connaissait depuis la période de l'après-guerre dans tous les pays riches comme le nôtre. S'en est suivie de 2005 à 2012 une période de ralentissement de cette baisse, voire de stagnation, qui a finalement débouché sur une reprise de la mortalité infantile depuis 2012. Nous avons essayé de l'analyser, tout d'abord à travers des comparaisons européennes qui permettent de constater un décrochage de la France par rapport à la Finlande et à la Suède, avec une estimation d'environ 1 200 décès de nourrissons par excès en France par rapport à ces deux pays.
Nous avons également essayé de mieux comprendre les facteurs de cette évolution. Entre 2001 et 2005, tous les indicateurs étaient au vert quel que soit l'âge des enfants, étant entendu que nous avons distingué les nourrissons de zéro à 6 jours, la période périnatale de 7 à 27 jours et la période néonatale de 28 jours à un an. Dans la période intermédiaire de 2005 à 2012, quelques clignotants s'allument, avec en particulier une augmentation de la mortalité périnatale (entre 7 et 27 jours ) ainsi qu'un arrêt de la diminution de la mortalité des tout petits de zéro à 6 jours. Dans la période postérieure à 2012 qui nous alerte, on observe enfin une augmentation significative de la mortalité des tout petits et un arrêt de la diminution de la mortalité périnatale.
M. Adrien Taquet. - Au-delà de la crise des urgences pédiatriques, c'est bien l'ensemble de notre système de prise en charge de la santé de l'enfant qui est confronté à des difficultés systémiques et l'ambition que nous nous sommes assignés est de refonder l'ensemble de ce système avec un objectif de dépasser les constats largement partagés pour essayer de construire un plan d'action pluriannuel en recueillant les propositions des différents intervenants et contributeurs.
Je rappelle quelques définitions et principes directeurs pour éclairer notre démarche. Tout d'abord, on parle d'enfants de zéro à 18 ans en portant une attention particulière aux périodes de transition. Nous avons également pris en compte dans nos travaux la santé globale au sens de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) dans ses dimensions physique, mentale, sociale et même environnementale avec une approche par parcours de santé en considérant les enfants et les parents comme acteurs de santé. Nous avons enfin proposé des mesures concrètes qui relèvent de l'urgence ainsi que des réformes systémiques à moyen terme.
Notre méthode a été celle de la concertation la plus large possible.
Mme Annick Jacquemet, présidente. - Pouvez-vous préciser quelles sont les périodes de transition dont vous parlez ?
Mme Christèle Gras-Le Guen. - Il s'agit de la période d'adolescence des enfants porteurs de maladies chroniques et de l'âge auquel ils passent dans le secteur des adultes, ce qui rend nécessaire d'organiser la transition de leur prise en charge.
M. Adrien Taquet. - En termes de méthode et d'organisation, nous présidions ce comité d'orientation et avons défini six axes de travail, avec à la tête de chacun de ces axes, un certain nombre de professionnels de santé avec des compétences et des talents variés - médecine de ville, généralistes, pédiatres, infirmières puéricultrices qui ont un rôle essentiel, et santé mentale - pour éviter une composition trop hospitalo-centrée. Évidemment, il y a trop de disciplines et de sous-spécialités, pour ne pas dire parfois de chapelles, pour que tout le monde soit représenté mais nous avons veillé à organiser une concertation très large.
23 tables rondes et 121 auditions ont permis d'auditionner plus de 300 personnes, organisations associatives et autres. L'IGAS, nous a apporté un soutien technique et intellectuel et nous avions ouvert une plateforme qui a reçu plus de 2000 contributions écrites, à la fois d'organisations, de professionnels de santé à titre individuel et de patients.
Tout cela a nourri notre rapport qui a été publié dans les délais prévus ; il s'intitule « Ma santé, Notre Avenir » parce qu'il traite de la santé de l'enfant et de l'avenir de la Nation : investir dans la santé des tout petits, c'est un investissement social crucial pour les futurs adultes qu'ils deviendront et pour notre pays.
Ce rapport contient près de 350 propositions car nous avons appréhendé notre sujet de façon très large en incluant le parcours de santé de l'enfant de 0 à 18 ans, la recherche en pédiatrie qui est insuffisamment soutenue, la formation de l'ensemble des professionnels de santé à la médecine de l'enfant, la prévention, les PMI, la santé scolaire, la santé mentale et une attention particulière a été portée aux enfants fragiles porteurs de maladies chroniques ou en situation de handicap. Nous avons dédié un gros chapitre aux enfants des outre-mer car ces territoires constituent trop souvent la « cinquième roue du carrosse » ou font simplement l'objet de l'habituel dernier article d'application balai à la fin des propositions ou projets de loi. Un certain nombre de mesures portent ainsi spécifiquement sur les enfants fragiles, victimes de violences ou en grande précarité sociale.
Nous avons veillé à ce que les associations de patients et de parents soient associées à la démarche avec, en particulier deux de leurs représentants dans le comité d'orientation. Nous avons également beaucoup travaillé avec l'UNAF (Union nationale des associations familiales) en conduisant une grande enquête auprès des parents français pour appréhender leur perception de la santé de leurs enfants.
De plus, nous avons évidemment associé les enfants à cette démarche sur la base de la méthode développée par le Défenseur des enfants chaque année pour élaborer son rapport. Nous avons travaillé avec le GEPSo (Groupe national des établissements publics sociaux et médico-sociaux), le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA) et avec un certain nombre de réseaux pour que les enfants en situation de handicap, dans des foyers ou des conseils municipaux de jeunes, puissent travailler non pas sur l'ensemble des thématiques que je vous ai présentées mais sur les sujets particuliers de prévention en matière de santé et d'activité physique. Nous avons intégré dans le rapport les recommandations formulées par ces enfants.
Le rapport a été remis à François Braun qui a ensuite été remplacé par Aurélien Rousseau, lequel a démissionné le mercredi 20 décembre 2023 la veille du jour où il devait effectuer un déplacement au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes, dans le service de Christèle Gras-Le Guen, et annoncer des premières mesures sur le volet hospitalier des Assises de la santé de l'enfant. Les Assises prévues le lendemain jeudi n'ont pas eu lieu. Agnès Firmin Le Bodo a pris la suite en tant que ministre en charge de la Santé jusqu'au 11 janvier 2024, date de la démission du gouvernement d'Elisabeth Borne. Catherine Vautrin et Frédéric Valletoux ont alors repris le portefeuille ministériel de la santé. Nous avons repris les échanges avec les ministres et leurs cabinets en mars 2024. Sachez que sous le ministère Aurélien Rousseau, un certain nombre de mesures issues de ce rapport avaient été arbitrées à l'interministériel. Nous y avons beaucoup travaillé notamment avec la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) tout au long des assises. Nous nous étions efforcés d'associer les cabinets ministériels ainsi que les administrations dès le début du processus pour gagner du temps mais on l'a malheureusement perdu en raison du changement de Gouvernement. Pour ne pas repartir de zéro, le cabinet de Frédéric Valletoux s'est basé de ce qui avait été déjà élaboré par le précédent cabinet, à savoir un plan ainsi que des mesures évaluées, budgétées et arbitrées. Comme cela a été annoncé dans la presse, ces assises devraient se tenir entre fin avril et mai ; elles ne représentent qu'une étape qui doit donner lieu à un certain nombre d'annonces et sera suivie de nombreux autres projets. Nos propositions comportent des mesures très précises mais également des orientations plus principielles. Nous avons intégré des travaux récemment publiés comme la stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppementaux. Bien que la deuxième feuille de route des « 1000 premiers jours » de l'enfant ne soit pas encore sortie, nous avons intégré des mesures dans ce domaine. Le rapport du professeur Ville et de l'Académie nationale de médecine a donné lieu à une mission lancée par François Braun qui doit formuler des recommandations sur les maternités et nous n'avons pas à ce stade pris position sur ce sujet. Bref, nous nous sommes efforcés d'intégrer toutes les dynamiques en cours et, à tout le moins, de ne pas entrer en contradiction avec ces dernières.
Je pense donc que ces assises sont un processus qui continuera à vivre au-delà de la fin du mois d'avril prochain, sachant que nos propositions ne sont pas celles du Gouvernement.
Mme Christèle Gras-Le Guen. - On aimerait bien qu'elles soient toutes effectivement adoptées mais je ne suis pas sûre que ce soit le cas.
La première, en lien avec la santé périnatale, est de créer un registre des naissances et des décès pour pouvoir piloter au mieux la mortalité infantile. On a réussi à analyser cette mortalité en fonction des classes d'âge mais on ne dispose malheureusement pas de plus de précisions pour savoir de quoi sont décédés ces enfants et ce qui s'est passé. Un tel outil est vraiment nécessaire pour améliorer le pilotage car nous n'en disposons pas aujourd'hui en France. Beaucoup de chiffres sont disponibles mais ils ne sont pas articulés les uns avec les autres, Ce registre nous semble être un préalable indispensable pour comprendre ce phénomène et prendre des initiatives en les ajustant à la réalité.
Mme Annick Jacquemet, présidente. - On nous a déjà parlé de cette compilation de données en nous précisant qu'elles sont pour l'instant anonymes, ce qui complexifierait leur interprétation : est-il selon vous nécessaire ou pas d'anonymiser les données recueillies ?
Mme Christèle Gras-Le Guen. - Nous sommes en permanence confrontés au problème que vous mentionnez dans tous nos travaux de recherche et la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) veille à ce qu'on ne puisse pas identifier, à travers nos bases de données, des enfants avec des parcours très particuliers ; plus généralement, l'anonymisation est une nécessité pour protéger tous nos concitoyens. Pour autant, des chainages permettent d'articuler les bases les unes avec les autres pour aboutir à un registre qui ne nécessite pas trop de travail ou de saisies supplémentaires. À l'heure actuelle, des informaticiens et des bio-informaticiens extraordinaires parviennent à surmonter ces difficultés pour que nous comprenions ce qui se passe et quel impact auront les réformes sur les différents paramètres observés.
J'en viens à nos propositions visant à assurer la sécurité des naissances H24 et 7 jours sur 7 qui ont été formulées par le professeur Ville.
Les propositions portées par les Assises consistent d'abord à développer des plateaux techniques permettant de naître en toute sécurité, avec des professionnels présents le jour et la nuit, ce qui suppose de pouvoir répondre à la pénibilité de la permanence de soins sur des gros plateaux de naissance. Il faut ensuite pouvoir transférer les mamans et leurs bébés, après une période de surveillance minimale, vers des maternités sans accouchement où ils pourront être surveillés par des professionnels de santé qui existent déjà dans ces petits centres pour lesquels c'est vraiment la salle de naissance qui pose problème. Cela implique d'organiser des systèmes de transport efficaces et sûrs : un certain nombre de travaux de recherche sont menés sur l'optimisation et la souplesse de ce transport de la mère et de son enfant dans les heures qui suivent la naissance afin de répondre à la difficulté majeure qu'on rencontre aujourd'hui avec les petites maternités.
Mme Annick Jacquemet, présidente. - Avez-vous identifié un temps de transport maximum ?
Mme Christèle Gras-Le Guen. - Il faut avant tout pouvoir transporter les enfants en sécurité et, à partir du moment où la prise en charge se fait avec du personnel formé, aucun temps de transport maximum n'a été aujourd'hui chiffré. On n'est pas dans la situation d'un enfant ayant une détresse respiratoire ou une urgence vitale mais au contraire dans l'hypothèse où l'enfant et sa mère vont bien puisqu'on les a gardés suffisamment de temps - au moins deux heures - pour s'en assurer. Le transport se fait ensuite avec des professionnels de santé : la mère et l'enfant ne se retrouvent alors pas seuls dans une ambulance roulant à tombeau ouvert puisqu'il n'y a pas d'urgence.
M. Adrien Taquet. - Nos propositions sont en ligne avec l'analyse du professeur Ville, sans mentionner le nombre d'accouchements par maternité. François Braun avait annoncé le lancement d'une mission dans la suite du rapport Ville, il confiait une mission pour mettre en musique concrètement les préconisations du rapport Ville...
Dans ma position actuelle, sans responsabilité politique, je constate que dès qu'une maternité, telle qu'on la conçoit aujourd'hui, ferme dans un endroit, les élus, qu'ils soient locaux, parlementaires, députés ou sénateurs, font le siège du cabinet du ministre de la Santé et du ministre lui-même, qui passe pas mal de temps à traiter ces sujets. À un moment, il faudrait qu'on fasse confiance aux spécialistes pour essayer d'arriver à un consensus sur cette nouvelle organisation de l'accouchement en France. Nous avons longuement débattu de ce sujet entre nous et, à mon sens, on pourrait aussi décider de garder ouvertes des maternités qui soulèvent des problèmes de sécurité à condition d'afficher clairement les choses et que chacun prenne ses responsabilités. En Angleterre, comme l'ont souvent rappelé des membres du comité d'orientation, quand vous arrivez dans une maternité, le nombre de décès par milliers de naissances est collé sur la porte : ainsi, chacun sait où il se trouve et la responsabilité des uns ou des autres est clarifiée.
Mme Annick Jacquemet, présidente. - Permettez-moi de faire le parallèle avec les maisons France service. Avant qu'elles soient lancées, beaucoup d'élus montaient au créneau dès qu'un service public devait fermer. À présent qu'on voit comment ces maisons fonctionnent, tout le monde en est content. Je pense que c'est un peu la même chose avec les petites maternités : si elles doivent fermer, il faut expliquer aux élus quel système va les remplacer et quel parcours va être mis en place. À mon avis cela favoriserait l'acceptabilité de certaines fermetures par les élus.
Mme Christèle Gras-Le Guen. - Dans l'imaginaire collectif, on pense qu'il faut être proche et que le risque est lié à l'éloignement. Or il n'y a jamais d'accidents dans des endroits éloignés comme les îles bretonnes parce que les parcours sont anticipés et ce n'est donc pas la distance qui fait le risque. Il faut donc calmer les inquiétudes qui ne sont pas les bonnes. On ferait mieux de s'inquiéter dans les cas où votre obstétricien n'a pas fait au moins 10 gardes dans le mois précédent, votre anesthésiste a plus de 70 ans et de se demander si un pédiatre est joignable en cas de problème : or ce ne sont pas toujours les risques identifiés par la plupart des gens.
Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Je pense qu'on nous annonce à chaque fois des fermetures de maternités dans l'urgence et la gestion de crise. Il me semble que les Français sont capables d'entendre des arguments raisonnables et, au cours des auditions, des professionnels nous ont expliqué l' évolution de leurs métiers, de leurs aspirations ainsi que les enjeux de sécurité. Comme vous l'indiquez, il y a des décisions politiques à prendre et nous nous demandons aujourd'hui comment améliorer la santé de l'enfant et de la femme en intégrant la prévention, la période anténatale, celle de l'accouchement, et le postnatal. La grossesse est un moment particulier et on dit qu'une grossesse normale comporte 3 à 5 % de risques imprévisibles. Je crois qu'on ne peut pas se contenter d'annoncer des fermetures et des regroupements de maternités sans ouvrir un vrai chantier sur la prise en charge globale de la femme et de l'enfant avec un regard à 360 degrés.
Mme Christèle Gras-Le Guen. - Je complète votre propos en indiquant qu'il faut aussi des personnels formés et une prise en charge de qualité, même en post-natal qui est une période très importante.
Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - On a besoin en outre de vrais chiffres et d'études consolidées. Je me félicite ici de votre proposition de registre car il faut mettre les donnes de santé sur la table.
M. Adrien Taquet. - C'est tout l'intérêt de votre mission d'appréhender l'organisation de la santé périnatale de manière systémique ; cette approche holistique correspond également à l'état d'esprit des 1000 premiers jours. L'intérêt du rapport du professeur Ville est de proposer un système cible et vous avez tout à fait raison de souligner la nécessité de communiquer sur les solutions de remplacement. Je ne minore pas le sentiment que peuvent éprouver les élus et les habitants en cas de fermeture de services publics ; il faut tenir compte de cette dimension psychologique totalement légitime et compréhensible.
Mme Christèle Gras-Le Guen. - Il y a également la question moins médicale mais extrêmement sensible de la ville de naissance. Celle-ci figure à vie sur le carnet de santé ainsi que sur de nombreux documents administratifs. Je travaille à Nantes et je constate qu'une naissance dans la clinique située quelques kilomètres plus loin entrainera, par exemple, la mention « Né à Saint-Herblain », ce qui choque un certain nombre de parents. Voilà également une dimension très sensible qui n'a plus rien à voir avec la santé mais qu'il faut pouvoir prendre en compte
Mme Annick Jacquemet, présidente.- À l'initiative du groupe Union centriste, le Sénat a examiné, en janvier 2020, une proposition de loi sur la déclaration de naissance auprès de l'officier d'état civil du lieu de résidence des parents ; le Sénat l'a adoptée et nous allons tenter de réactiver la navette qui s'est arrêtée à l'Assemblée nationale
Mme Christèle Gras-Le Guen. - Je poursuis sur les améliorations de la prise en charge des enfants prématurés. L'idée était de développer des équipes mobiles néonatales pour que les enfants puissent rentrer plus vite à leur domicile grâce à des équipes qui les connaissent et peuvent se déplacer. 11 équipes participent actuellement à une expérimentation.
Le « zéro séparation » durant l'hospitalisation paraît essentiel. Il y a beaucoup de travaux sur ce sujet, y compris pendant le transport. D'autres propositions concernent la prématurité. Vous avez probablement déjà évoqué avec la Société Française de Néonatologie (SFN) la problématique de l'âge biologique et de l'âge civil pour les enfants prématurés qui semble modifier totalement leur performance et leur neurodéveloppement à quelques mois près. Je mentionne également l'importance de la formation des soignants pour garantir la qualité des soins de développement pour les tout petits enfants.
J'en viens à la question du dépistage néonatal qui est au coeur de nos discussions en ce début 2024, avec la mise en oeuvre du dépistage de la drépanocytose. Un certain nombre de dépistages sont « dans les tuyaux », je pense en particulier à celui du déficit immunitaire. De nombreuses discussions, inquiétudes et fantasmes, se sont fait jour, alors que les données scientifiques sont encore insuffisantes, pour pouvoir avancer sur le séquençage systématique du génome à la naissance qui permettrait de prédire quelques centaines de maladies susceptibles d'arriver plus tard et d'en limiter les effets si on les traite rapidement. Bien évidemment, on voit les excès et les débordements auxquels cette technique pourrait conduire mais tous les dépistages réalisés aujourd'hui seront dépassés par cette technique très rapide puisqu'il faut trois heures aujourd'hui pour screener un génome. Cela donne un peu le vertige : on est un peu dans de la science-fiction mais, pour autant, ce procédé est en train de nous rattraper. En articulant cette technique avec l'intelligence artificielle, on peut discerner les contours de la révolution qui surviendra dans les mois à venir et pour laquelle il faut que nous soyons au rendez-vous.
Mme Annick Jacquemet, présidente. - Est-ce que cela se pratique déjà dans d'autres pays ?
Mme Christèle Gras-Le Guen. - Les Américains sont très amateurs de ce genre d'approche. Des expérimentations et des publications relatives à des femmes qui étaient volontaires sont déjà disponibles. Comment ces pratiques pourraient-elles être transposées en France, où l'état d'esprit est très différent, notamment chez les parents ? Nous souhaitons mettre en place des outils performants au service des enfants et de leur famille sans créer de stress supplémentaire.
S'agissant de la mort inattendue du nourrisson, le cumul des décès recensés dans le registre depuis sa mise en place en 2015 s'établit à 1 896 au 31 décembre 2023. L'évolution annuelle fait apparaitre une diminution pendant la pandémie (avec un nombre de morts inférieur à 200 par an), ce qui laisse à penser qu'il existe un lien avec les maladies infectieuses.
Ce registre, dont le financement pérenne n'est pas assuré, montre également que, depuis 2015, environ 13% des enfants décédés ont moins d'un mois.
On connaît un certain nombre de facteurs de risque de décès dans la première année et le premier mois de vie. Certains ne sont pas modifiables comme la génétique, la prématurité et les enfants qui naissent avec un très petit poids de naissance. Ces décès inévitables surviennent principalement avant l'âge de six mois. En revanche, certains décès peuvent être évités. En particulier, on sait depuis les années 1990 que le fait de dormir sur le dos est particulièrement protecteur et, inversement, un des facteurs de risque les mieux connu est de dormir sur le ventre ou sur le côté, avec un « odds ratio », à savoir un risque relatif, qui peut atteindre 45. Parmi les facteurs de risque modifiables figurent également l'environnement de couchage inapproprié, à savoir des objets dans lesquels les bébés viennent s'étouffer ou se bloquer ainsi que le tabagisme.
Voici une diapositive illustrant, dans la vraie vie, les conditions de couchage - strictement déconseillées depuis 1990 - du dernier du dernier enfant pris en charge il y a 15 jours par le service où je travaille. Il était chez une assistante maternelle et s'est étouffé dans son oreiller et sa couette. On estime que ce type de décès évitable représente environ la moitié des morts inattendues du nourrisson. Les réseaux sociaux regorgent de produits et ustensiles de puériculture strictement interdits et pourtant vendus par l'industrie. Tous les jeunes parents doivent être alertés sur la dangerosité de ces objets. De la même manière, sur des paquets de couches, on voit des enfants endormis dans des positions qui ne sont pas du tout recommandées. Le professeur Chalumeau parle, dans ses travaux, d' « exposome visuel » et malheureusement, seuls 10 % des paquets de couches qu'il a analysé sont assortis d'images conformes aux recommandations. L'action préventive que nous préconisons pour lutter contre cet exposome qui banalise des comportements dangereux ne coûte rien.
M. Adrien Taquet. - Vous voyez, sur la diapositive, le logo de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), celui de Santé publique France et même celui des « 1000 premiers jours ». S'agissant des paquets de couches non conformes, j'avais très vite remonté l'information auprès de la DGCCRF, compétente pour autant que les images portent sur des produits diffusés en France. Il faut contrôler davantage les pratiques non conformes au niveau commercial et sensibiliser les parents.
J'ajoute quelques éléments sur les 1000 premiers jours qui constituent une part importante des recommandations que nous avons formulées. Cette politique publique, que j'ai portée quand j'étais ministre, au cours des deux dernières années, n'a pas bénéficié de l'investissement et de la constance que nécessite toute politique de prévention.
Une deuxième feuille de route des 1000 premiers jours a été mise en chantier, les professionnels de santé, sur le terrain, l'attendent. Des crédits ont tout de même été reconduits et des appels à projets lancés via les Agences régionales de santé (ARS). Les professionnels peuvent donc continuer à mener leurs activités mais il faut aussi incarner à nouveau cette politique publique.
Nous avons repris des propositions tirées de cette démarche des 1000 premiers jours, qui vise à créer un parcours d'accompagnement à la parentalité pour tous les parents avec une approche très universelle et très « à la française ». La création d'un entretien prénatal précoce obligatoire au quatrième mois s'est accompagnée du financement de postes médico-psycho-sociaux dans des maternités prioritaires. Des crédits ont également été dégagés pour travailler le lien ville-hôpital et rapprocher les services de Protection maternelle et infantile (PMI) des maternités. L'entretien postnatal entre le 5ème et le 12ème mois permet notamment de lutter contre la dépression post-partum.
En Finlande, dont nous nous sommes beaucoup inspirés, le parcours va un peu au-delà des 1000 jours et comporte 13 étapes. C'est pourquoi nous proposons de renforcer ce parcours d'accompagnement, notamment en désignant une sage-femme référente en lien avec le médecin traitant, ce qui se rattache à la fameuse question de la coordination des professionnels autour de la personne et du couple. Nous suggérons aussi de systématiser les groupes de pair-aidance notamment avec les pères, pour lesquels existent des groupes de paroles, comme au Kremlin-Bicêtre. Il faut également améliorer l'information des parents et des professionnels sur la question du sommeil des parents car le manque de sommeil est un déclencheur du syndrome du bébé secoué. Nous proposons par ailleurs de déployer un plan sommeil dans le cadre de ces assises à l'attention des enfants et des adolescents, ce qui recoupe plusieurs sujets comme l'exposition aux écrans et la santé mentale.
Mme Christèle Gras-Le Guen. - J'ajoute qu'il faut être attentifs au charlatanisme, car les parents sont aujourd'hui très exposés à des coachs ou autres gadgets qui leur coûtent une fortune sans pour autant leur simplifier la vie.
M. Adrien Taquet. - Il faut que la puissance publique soit en soutien à la parentalité, sinon c'est la jungle. J'ajoute que la question du père ou du conjoint a été insuffisamment traitée jusqu'à présent ; il faut que celui-ci soit investi dans la construction du lien avec l'enfant pour des questions d'égalité femme-homme et de charge mentale. Il est donc nécessaire que la consultation prénatale pour les conjoints soit prise en charge par la Sécurité sociale et qu'ils puissent participer aux séances de préparation à la naissance ainsi qu'à la parentalité. Il n'y a pas de raison pour que le conjoint ne bénéficie pas de tout ce qui a commencé à se développer pour les femmes.
La psychiatrie périnatale est un sujet qui m'est cher car dans un monde idéal, la protection de l'enfance n'existerait pas si on avait décelé précocement et accompagné intensivement les difficultés notamment psychiatriques. Par ailleurs, ce n'est pas parce qu'on a des problèmes psychiatriques qu'on n'a pas le droit d'être parent mais cela nécessite d'être repéré et accompagné. Nous avions donc financé, dans le cadre de la première feuille de route des 1000 premiers jours, un certain nombre de dispositifs en psychiatrie périnatale avec la création d'équipes mobiles associant des professionnels de la PMI et des hospitaliers qui font de « l'aller vers », dès qu'une situation de fragilité est repérée. Parfois, l'accompagnement commence au stade du projet parental ou au début de la grossesse ; par la suite, des unités de jour accompagnent la mère et l'enfant, ce qui suppose des compétences à la fois en pédopsychiatrie et en psychiatrie adulte. Il faut donc un peu casser des silos existants mais on ne doit pas séparer la mère de l'enfant et recourir à des unités d'hospitalisation plus intenses si nécessaire : l'expérimentation menée à Strasbourg fonctionne bien et peut être généralisée.
Mme Christèle Gras-Le Guen. - J'en viens au carnet de santé numérique : celui-ci va faciliter le suivi sanitaire dès la sortie de maternité, mais aussi dès le stade prénatal pour commencer à discuter de l'enfant à naître et améliorer la santé de la femme enceinte en lui conseillant zéro tabac ainsi que zéro alcool, éventuellement avec des incitations financières pour arrêter le tabac pendant la grossesse.
Les campagnes de vaccination pour les femmes enceintes portent déjà sur la grippe, la coqueluche, la Covid, et j'ai proposé d'y rajouter le virus syncytial respiratoire (VRS). La facilitation de l'allaitement maternel paraît également aujourd'hui indispensable.
Par ailleurs, il avait été envisagé de lancer des travaux sur la fusion des congés familiaux pour pouvoir, là encore, faciliter le retour à domicile et le lien parent-enfant en s'inspirant de ce qui est fait dans certains pays d'Europe du Nord.
M. Adrien Taquet. - Le Gouvernement a pris des initiatives dans ce domaine et nous allons plus loin avec un regard un peu différent. Notre modèle cible était plutôt ce qui se pratique dans les pays nordiques avec un congé unifié plus long, partagé entre les deux conjoints avec des durées obligatoires pour chacun d'entre eux.
S'agissant de l'allaitement maternel, il faut éviter une démarche normative dans un domaine où il ne doit pas y avoir de normes. Nous souhaitons cependant continuer à promouvoir et à faciliter l'allaitement maternel, notamment avec le label IHAB (Initiative Hôpital Ami des Bébés) dont disposent un certain nombre de maternités, comme au CHU de Lille. Par ailleurs les entreprises de plus de 100 salariés doivent, conformément à la loi, prévoir la mise à disposition d'une salle d'allaitement.
J'en termine en évoquant le déploiement des maisons des 1000 premiers jours partout en France préconisé en 2020, de façon assez maximale, par le rapport de Boris Cyrulnik. Des initiatives sont lancées par des communes, en outre, les maisons des 1000 jours existent déjà : cela s'appelle les PMI. Leur compétence s'étend en principe jusqu'aux six ans de l'enfant mais, en réalité, les PMI ne voient que les enfants de zéro à trois ans pour des raisons d'effectifs et de manque de moyens. Il faut donc recentrer et renforcer les PMI, que ce soit en effectifs, en rémunération et en statut. Par ailleurs, les exercices mixtes et partagés correspondent aux aspirations des jeunes soignants d'aujourd'hui.
Bien que le numerus clausus ait été remplacé par le numerus apertus, aujourd'hui, pour un médecin qui part à la retraite, il en faut deux pour le remplacer, voire plus. Aujourd'hui, un professeur des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH) souhaite également pouvoir exercer pendant une journée en PMI ou en médecine scolaire. Le service de santé scolaire doit d'ailleurs être renforcé dans ses effectifs bien au-delà des seuls 800 médecins scolaires actuels et les recrutements prévus ne sont pas suffisants. Nous proposons donc la création d'un statut de médecin de fonction publique commun - PMI, santé scolaire, centre de santé et hôpital - qui aura un coût important pour être attractif. Cela favorisera néanmoins le renforcement des PMI que l'on propose par ailleurs de transformer en maisons des 1000 jours et de l'enfance pour éviter les effets de seuil.
Mme Annick Jacquemet, présidente. - Quelle serait la fourchette de rémunération des médecins de fonction publique que vous venez d'évoquer ?
Mme Christèle Gras-Le Guen. - Nous nous étions basés sur la grille des praticiens hospitaliers : en effet, qu'on travaille toute la semaine à l'hôpital ou en exercice partagé entre plusieurs entités, la grille de rémunération devrait être la même. De plus, la diversité des missions augmente l'intérêt des emplois, évite qu'on s'épuise et prévient des démissions de médecins qui partent parfois amers et désabusés alors qu'on est tous convaincus, par exemple dans les PMI, de l'immense service rendu par ces équipes. Les parents en témoignent tous : ce sont des endroits extraordinaires où les équipes ont une vraie expertise mais sont insuffisamment dotées pour pouvoir faire face aux demandes. Il faut également renforcer les effectifs de puéricultrices qui jouent un rôle majeur dans les examens de routine, l'accompagnement, le dépistage, l'orientation, les conseils aux familles et la parentalité. Ces PMI maisons de 1000 jours sont véritablement un lieu où se crée la santé de demain.
M. Adrien Taquet. - Ces exercices mixtes permettent aussi d'améliorer la fluidité des parcours et d'éviter les ruptures puisque des professionnels peuvent suivre les enfants d'une institution à l'autre en « cassant » les silos à la française.
Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - De quelles spécialités seraient issus ces médecins de fonction publique ?
Mme Christèle Gras-Le Guen. - On pourrait les recruter parmi les pédiatres ou les médecins généralistes qui sont nombreux à s'être formés spécifiquement à l'occasion d'un D.U. (Diplômes d'Université) à la santé de l'enfant.
Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Cela ne risque-t-il pas de devenir de moins en moins possible compte tenu de l'évolution des formations médicales avec des spécialités un peu organisées en silo ?
Mme Christèle Gras-Le Guen. - On peut tout de même encore compter sur les D.U. et les D.I.U (Diplômes Interuniversitaires d'Université) qui permettent à des médecins généralistes d'acquérir des connaissances et des compétences en santé de l'enfant. Ces diplômes existent à peu près dans toutes les universités et c'est comme ça que fonctionnent aujourd'hui un grand nombre de PMI.
Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Votre schéma à court et moyen terme de renforcement des maisons des 1000 jours nécessiterait beaucoup de ressources humaines et de formations. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce point ?
M. Adrien Taquet. - Cela passe par des recrutements et de la formation. S'y ajoute le coût lié à l'éventuelle création d'un statut de médecin de fonction publique et de la grille salariale que l'on retient. Pour que les personnels adhèrent à la démarche, on ne peut pas uniquement tabler sur la vocation et le sens de l'engagement. Dans le cadre de mes fonctions ministérielles, 100 millions d'euros de plus avaient été alloués aux PMI qui avaient été retirées au cours des dix dernières années par les départements. Ce financement supplémentaire s'était accompagné de délégations de compétences mais cela ne suffit pas. Nous avons débattu de ce sujet, y compris avec un certain nombre de professionnels de PMI ; et nos positions ne sont pas toujours alignées. À un moment donné, deux solutions se présentent. La première est de continuer à se réfugier derrière des totems avec un très beau concept d'universalisme différencié, mais cette voie risque de faire évoluer la PMI - comme c'est déjà le cas dans certains territoires - vers une médecine du pauvre. Si on choisit cette solution, il faut l'énoncer clairement et en tirer toutes les conséquences en ciblant les moyens sur ces populations-là en s'organisant différemment et en pratiquant plus « l'aller vers ». L'autre option est de renouer avec la dimension universelle de la PMI et de se donner les moyens d'y parvenir ; cela passe notamment par un recentrage sur la réalité actuelle, à savoir que la plupart des enfants reçus par les PMI ont entre zéro et moins de trois ans. En termes de compétences et de formation, ce virage tendant à assurer l'accompagnement à la parentalité est déjà pris par un certain nombre de PMI et de professionnels et il faut juste continuer à l'accompagner. Ainsi ces maisons des PMI, des 1000 jours et de l'enfant, puis la santé scolaire rénovée pourraient assurer un continuum, l'école étant obligatoire à partir de trois ans. C'est un beau projet qui ne peut se faire qu'avec les départements et les professionnels eux-mêmes. Une fois encore, « il faut sauver la PMI » comme le disait Michèle Peyron dans son rapport de 2019.
Mme Christèle Gras-Le Guen. - En lien avec votre question sur l'articulation des différents soignants autour du parcours de soins de l'enfant, nous proposons une gradation des soins clarifiée « au bon endroit et au bon moment » afin de ne pas avoir d'emblée recours aux spécialistes de tel ou tel organe. Il faut pouvoir d'abord s'adresser à un médecin référent, généraliste ou pédiatre, qui connaisse l'enfant, le voit régulièrement et qui puisse s'articuler avec les PMI ou les nouvelles maisons des 1000 jours et la santé scolaire. En premier recours, nous préconisons que les familles puissent également s'adresser aux infirmières puéricultrices qui pourraient avoir une pratique avancée - ce qui n'est pas le cas aujourd'hui - leur permettant d'accomplir un certain nombre de missions dans lesquelles leur expertise et leur savoir-faire est tout à fait considérable. Cet accès direct serait également aménagé pour les infirmières qui souhaiteraient se former, auxquels nous ajoutons les orthophonistes, les kinésithérapeutes ainsi que tous les spécialistes de la santé de l'enfant.
En cas de difficulté identifiée lors de ce premier contact, les enfants seraient pris en charge par des professionnels qui exercent dans des domaines plus spécifiques, comme les pédiatres, pédopsychiatres ou pédodontistes, le troisième recours étant le centre hospitalier ou le centre hospitalo-universitaire pour tout ce qui est médico-chirurgical, soins intensifs ou maladies chroniques identifiées.
M. Adrien Taquet. - Cette architecture répond aussi à la question initiale qui nous était posée, à savoir l'embolie des urgences pédiatriques, avec l'idée que chaque enfant puisse idéalement, dès l'anténatal, se voir désigner un médecin référent.
Mme Christèle Gras-Le Guen. - On voit trop souvent, malheureusement, des familles arriver aux urgences avec des bébés de 10 ou 15 jours qui les inquiètent mais elles ne savent pas qui est leur médecin traitant. Identifier d'emblée un médecin référent permettrait d'éviter des passages aux urgences, d'autant que l'hôpital est un milieu où il y a beaucoup de microbes auxquels il faut éviter d'exposer des tout petits enfants.
J'en viens au dernier axe de notre exposé : l'offre de soins. Aujourd'hui 20 % des Français n'ont pas de médecin traitant et des familles affluent par centaines aux urgences en indiquant qu'elles ne savent pas où aller. Il faut améliorer l'offre de soins de manière quantitative et qualitative. Il faut plus de professionnels de santé formés à la pédiatrie ou, en tout cas, à la santé de l'enfant. L'augmentation du numerus apertus est, de ce point de vue, une très bonne chose et les courbes montrent qu'on va bientôt retrouver à peu près le nombre de diplômés des années 1980, après un creux vertigineux. Pour autant, les diplômés des années 2024-25 ne travailleront pas comme leurs ainés : de manière un peu caricaturale, on a dit qu'il fallait arrêter de s'intéresser au nombre de diplômés pour se concentrer sur le temps médical disponible et si on veut cibler l'objectif - porté par les Assises - de permettre à chaque enfant d'avoir un médecin traitant, il faut multiplier au moins par deux le nombre de médecins diplômés. En outre, il y a un décalage de 10 ans pour former un médecin et ces recrutements ne suffiront pas.
Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Je pense également que les effectifs de médecins resteront insuffisants compte tenu du vieillissement, de la paupérisation de la population et de l'évolution de l'offre de temps médical. Certains intervenants ont évoqué une réduction de la durée de la formation des médecins généralistes ; pouvez-vous préciser ce point ?
Mme Christèle Gras-Le Guen. - Les médecins généralistes assurent 85 % des consultations d'enfants ; ils sont donc au coeur du dispositif et sont les médecins référents des familles. Cela suppose qu'ils soient formés à la santé des enfants qui représentent à peu près 20 % de la population française et donc environ 20 % des consultations. Il faut donc plus de médecins généralistes et, par conséquent, plus d'enseignants pour les former ; or l'augmentation du numerus apertus ne s'est pas accompagnée de celle du nombre d'enseignants, notamment en pédiatrie et pédopsychiatrie. Il faut également multiplier les lieux de stage, par exemple en milieu libéral.
Nous proposons également de former tous les internes de médecine générale à la santé de l'enfant. Malheureusement, une réforme qui doit s'appliquer au 1er novembre prochain prévoit de diviser par deux la durée du stage de pédiatrie en le ramenant à trois mois, qu'il soit effectué en milieu hospitalier, libéral ou dans un cabinet de médecin généraliste. Cette réduction est absolument incompatible avec l'amélioration de la formation à la santé de l'enfant qui impose de pouvoir en examiner beaucoup. Un certain nombre de nos confrères généralistes sont très au fait de la santé de l'enfant mais les besoins de formation sont aujourd'hui insuffisamment couverts et doivent porter sur des domaines extrêmement variés comme la parentalité, les bébés de huit jours ou la maternité. On ne peut pas s'auto-former à la santé de l'enfant et il faut s'y familiariser auprès des maîtres de stage et des praticiens généralistes libéraux qui restent en nombre insuffisant. Il nous paraît indispensable de maintenir une durée de six mois minimum de stage pour se former à la santé de l'enfant, contrairement à ce qui est prévu et qui donne lieu à beaucoup de tensions, voire d'agressivité, et je pèse mes mots. Je rappelle que cette réforme a été adoptée dans l'urgence en juillet 2023 au moment où il fallait adopter une nouvelle maquette pour permettre aux internes de choisir leur parcours. Cependant, cette maquette n'est absolument pas adaptée aux missions du médecin généraliste qui est le médecin référent au centre du dispositif de santé de l'enfant.
Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - De qui émanent les tensions dont vous parlez ?
Mme Christèle Gras-Le Guen.- L'élaboration de la maquette de l'internat de médecine générale a été confiée à quatre personnalités qualifiées qui ont rendu un rapport et des préconisations sur ce sujet. Nous les avons rencontrés à la demande du ministre Aurélien Rousseau, qui avait signé cette maquette, pour tenter de trouver un compromis permettant de porter de trois à six mois la formation à la santé de l'enfant. Il n'y a pas eu de discussion possible ; notre échange n'a pas permis d'aboutir et on est aujourd'hui face à un mur.
M. Adrien Taquet. - La position que ces acteurs ont prise est tout à fait antinomique avec notre investissement et notre démarche globale. Cela ne doit pas être un point de cristallisation des prochaines Assises mais nous sommes assez inquiets sur ce point car le généraliste reste le médecin de base de l'enfant.
Mme Christèle Gras-Le Guen.- Une confusion s'est introduite avec l'idée que nous souhaitions que ces six mois de formation se déroulent à l'hôpital, ce qui n'est pas le cas. Ces six mois peuvent se faire ailleurs, pourvu qu'ils soient consacrés à la santé de l'enfant. Cette cause nous parait très importante à défendre, en cohérence avec rôle de médecin généraliste référent.
Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Les pédiatres estiment rester les parents pauvres du système de prise en charge de l'enfant : ils sont de moins en moins nombreux et bénéficient d'une revalorisation insuffisante de leurs actes. Par ailleurs, ils soulignent l'importance du suivi de l'enfant dans la phase très précoce qui s'étend de zéro à un mois. Avez-vous relevé ces différents points ?
Mme Christèle Gras-Le Guen. - Il est évident que les parents peuvent choisir le médecin qu'ils consulteront au moment de la sortie de maternité. On aimerait qu'ils le choisissent par anticipation mais ce n'est pas toujours le cas. Il y a, en effet, des spécificités dans cette période précoce de la vie mais le nombre de pédiatres en France, de l'ordre de 8 000, est dramatiquement insuffisant face aux 700 000 naissances chaque année. En pratique, un certain nombre de familles s'orientent donc vers la PMI ou vers leur médecin généraliste, qui doivent être formés aux sorties de maternité, aux allaitements qui ne démarrent pas bien, aux dépressions post-partum et à la détection des enfants dont la courbe de croissance n'est pas bonne.
M. Adrien Taquet. - La pédiatrie est sous-valorisée et nous préconisons la revalorisation de tous les actes de pédiatrie et de pédopsychiatrie que ce soit à l'hôpital ou en libéral. Je crois savoir qu'un certain nombre de travaux en cours au niveau gouvernemental vont dans ce sens.
Mme Christèle Gras-Le Guen. - J'en viens à un autre volet de l'amélioration de l'offre de soins qui porte sur la formation des infirmières, des orthophonistes, des psychomotriciens et des ergothérapeutes. Depuis plusieurs années, le programme de pédiatrie a disparu des Instituts de formation en soins infirmiers (IFSI). Les nouvelles infirmières arrivent donc dans des services de pédiatrie totalement démunies et découvrent un monde qu'elles ne soupçonnent même pas. Nous souhaitons donc remettre de la pédiatrie dans le programme et dans le terrain de stage des infirmières ainsi, en règle générale, que dans tous les programmes de formation des professionnels de santé qui seront amenés à prendre en charge des enfants par la suite.
Nous proposons également de recruter des personnels médicaux et non-médicaux ayant des compétences pour le suivi des enfants, que ce soit pour les infirmières ou les puéricultrices dotées d'un diplôme spécifique pour pouvoir travailler en réanimation ou en soins critiques. Il faut augmenter le nombre de diplômés en pédiatrie et en chirurgie pédiatrique, dont les rangs sont plus que clairsemés. Les radiopédiatres sont également en grande difficulté. Nous préconisons également de former et d'embaucher prioritairement des puéricultrices en reconnaissant leur diplôme au niveau de Master 2, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. On sait bien, aujourd'hui à l'hôpital, que le recrutement d'une infirmière coûte moins cher que celui d'une puéricultrice et donc, sur des missions où elles seraient plus compétentes, celles-ci n'obtiennent pas le poste pour des raisons financières. Il faut, par conséquent, pouvoir mettre en valeur la plus-value qu'apportent les puéricultrices dans leur formation et dans la prise en charge des enfants.
J'ajoute qu'il faut développer les formations en pratiques avancées (IPA) dans le domaine pédiatrique car cela n'existe pas aujourd'hui.
M. Adrien Taquet. - Des négociations sont en cours depuis plusieurs mois entre les syndicats, les représentants de ces différentes formations et le ministère sur la ré-ingénierie de ces diplômes.
Mme Christèle Gras-Le Guen. - Le service rendu par l'amélioration de ces diplômes est, de manière générale, extraordinaire et le serait aussi en pédiatrie pour libérer du temps médical ainsi que pour d'autres missions comme la psychiatrie.
Enfin, nous proposons de mieux valoriser les actes et les séjours qui concernent les enfants car ces prises en charge sont de plus en plus chronophages, lourdes et complexes, tout particulièrement dans le cas de maladies chroniques.
Au final, la liste de nos propositions en matière de santé périnatale s'articule ainsi : créer un registre des naissances, assurer la sécurité des naissances, prendre en charge les enfants prématurés, lutter contre la mort inattendue du nourrisson, investir dans les 1000 premiers jours, renforcer les PMI qui deviendraient des maisons des 1000 jours et de l'enfant, augmenter le nombre de professionnels formés en pédiatrie et en santé de l'enfant et, enfin, former tous les internes de médecine générale à la santé de l'enfant. Ce dernier point nous parait fondamental : six mois de stage pour tous devrait en être la règle.
Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Merci pour vos indications qui répondent globalement à notre questionnaire. Nous avons appris beaucoup de choses, même si vos propos rejoignent ceux que nous avons entendus dans d'autres auditions ; en particulier la création d'un registre apparait de manière consensuelle comme une absolue nécessité. Nous relayerons au plan parlementaire des sujets que vous avez évoqués.
Mme Annick Jacquemet, présidente. - Je vous remercie de ces informations que vous nous avez présentées de façon complète et accessible.
La réunion est close à 18 h 30.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.