Mardi 19 mars 2024

- Présidence de Mme Annick Jacquemet, présidente -

La réunion est ouverte à 14 heures.

Audition de Pierre Gabach, adjoint à la direction de l'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins et chef du service Bonnes pratiques de la Haute autorité de santé

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Mes chers collègues, nous entamons aujourd'hui les travaux de la mission d'information sur « l'avenir de la santé périnatale et son organisation territoriale ». Pour cette première audition, nous recevons le Docteur Pierre Gabach, adjoint à la direction de l'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins et chef du service « Bonnes pratiques » de la Haute autorité de santé (HAS). Je précise que notre réunion est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera ensuite consultable en vidéo à la demande.

Merci pour votre présence aujourd'hui, dans un délai assez court, et pour la présentation que vous pourrez nous faire des travaux récents de la HAS en matière de santé périnatale.

La HAS certifie la qualité de l'ensemble des maternités et développe des indicateurs de qualité et de sécurité des soins. À ce titre, vous nous présenterez votre analyse des facteurs qui peuvent expliquer une certaine dégradation des indicateurs de santé des femmes enceintes et de leurs bébés ces dernières années et des différences éventuelles, en la matière, entre établissements de catégorie différente et entre territoires. En effet, comme l'intitulé de notre mission l'indique, nous avons une double préoccupation, à la fois sanitaire et territoriale : la question du maillage territorial en services de maternité et de néonatalogie, et de sa capacité à fournir des soins de qualité, nous préoccupe particulièrement.

Par ailleurs, la HAS élabore des recommandations de santé publique comme de bonnes pratiques. Vous nous direz si des mises à jour de vos recommandations sont prévues en matière de prise en charge globale des femmes et de leurs bébés, au regard notamment de l'augmentation des facteurs de risque des mères comme la précarité, mais aussi l'âge ou l'obésité.

Dr Pierre Gabach, adjoint à la direction de l'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins et chef du service Bonnes pratiques de la Haute autorité de santé. - La HAS, n'est pas une agence, mais une autorité publique et sanitaire indépendante. Elle a pour principal rôle de réguler le système de santé par la qualité et la sécurité des soins. Parmi ses 31 missions, trois d'entre elles intéressent plus particulièrement le champ de votre mission d'information.

La première consiste en l'élaboration de recommandations de bonnes pratiques à destination des professionnels, qu'ils relèvent du champ sanitaire, du champ social ou du champ médicosocial. En effet, la HAS a intégré l'Anesm (Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médicosociaux) en 2012.

Sa deuxième mission renvoie à l'évaluation technique et technologique des dispositifs. La HAS évalue ainsi les médicaments, les dispositifs médicaux et les actes professionnels qui ouvrent droit à remboursement par l'Assurance-maladie. C'est à cette fin qu'elle avait d'ailleurs été créée dans la loi de 2004, qui portait réforme de l'Assurance-maladie. Ainsi, le périmètre qu'elle couvre est fixé dans le code de la sécurité sociale.

Sa troisième mission est celle de l'évaluation. La HAS est ainsi en charge de la certification des établissements de santé, de l'évaluation des établissements sociaux et médicosociaux et de l'élaboration d'indicateurs de qualité et de sécurité des soins.

La HAS édicte, depuis plus d'une dizaine d'années, des recommandations dédiées au secteur de la périnatalité et de la santé périnatale. Elle a ainsi édicté des recommandations importantes, concernant la prise en charge de la grossesse, la gestion des grossesses à risque et l'orientation des femmes enceintes en fonction des situations à risque identifiées. Elle a également diffusé des recommandations en lien avec le dépistage des pathologies néonatales.

À la demande du ministère de la santé, la HAS a publié, en février 2024, une recommandation consacrée à l'accompagnement médico-psychosocial des femmes, des parents et de leurs enfants en situation de vulnérabilité pendant la grossesse et en post-partum. Celle-ci cible plus particulièrement les femmes enceintes qui sont en situation de précarité, cette dernière constituant un facteur de risque de mortalité périnatale.

Auparavant, en 2018, la HAS a édicté des recommandations liées à la prise en charge de l'accouchement. En 2012, elle avait fait de même, concernant les césariennes programmées, qui sont trop nombreuses en France. Le ministère de la santé, récemment, a demandé à la HAS de se pencher sur le retour précoce à domicile après l'accouchement. En effet, les maternités sont de plus en plus surchargées et les femmes rentrent à domicile de plus en plus tôt.

S'agissant de l'accompagnement post-partum, la HAS a édicté des recommandations en 2014. Elles ciblaient le suivi de la mère et de l'enfant après la sortie de la maternité. En 2007, elle avait publié des recommandations concernant la prise en charge des nourrissons décédés de mort inattendue : elle avait ainsi préconisé qu'ils soient couchés sur le dos, et pas à plat ventre comme par le passé. De nombreuses recommandations de la HAS concernent le dépistage néonatal lié aux erreurs de métabolisme. Elle a ainsi préconisé un certain nombre de bonnes pratiques, s'agissant des femmes en âge de procréer et qui souffrent d'épilepsie ou d'un trouble bipolaire, et plus particulièrement des femmes qui prennent des spécialités à base de Valproate.

En 2023, la HAS a mis en place une cellule d'actualisation des recommandations. Elle est retournée auprès des obstétriciens, des gynécologues obstétriciens et des sages-femmes. Elle devrait, sur cette base, actualiser certaines de ses recommandations sur des points très précis, comme la délivrance artificielle des soins de suite par exemple. A ce stade, le travail d'actualisation des recommandations devrait être assez limité : il reste toutefois à voir si ces dernières sont véritablement appliquées.

Par ailleurs, la HAS est en charge de la certification des établissements de santé pris dans leur ensemble : elle ne les certifie pas spécialité médicale par spécialité. Cependant, deux critères de certification concernent l'obstétrique.

Le premier d'entre eux est rédigé comme suit : « Est-ce que les futurs parents discutent d'un projet de naissance avec l'équipe soignante dès le début de la grossesse » ? Le deuxième est le suivant : « Les équipes maîtrisent-elles les risques liés à l'hémorragie du post-partum » ? Celui-ci est une cause importante de décès et de complications chez les mères.

En pratique, je ne suis pas en capacité de vous communiquer des éléments chiffrés précis. Comme je l'ai souligné, la HAS certifie chaque établissement pris dans son ensemble. Le service dédié à la certification des établissements de santé va toutefois essayer de réaliser une analyse spécifique des deux critères précités : elle vous sera transmise.

Par ailleurs, la dégradation du taux de mortalité infantile est un constat partagé. Toutes les études démontrent que la France, sur ce plan, est mal positionnée par rapport aux pays de l'Union européenne. Quelles en sont les raisons ? Des études de la Direction de la recherche, des études, des évaluations et des statistiques (DREES), au sein du ministère des solidarités et de la santé, donnent à penser que cette situation est peut-être liée à l'état de santé des mères, avec une augmentation de leur âge moyen, du nombre de fumeuses et du nombre de femmes en situation de surpoids ou d'obésité, ce qui accroît le risque de prématurité. Néanmoins, aucune étude scientifique n'a réellement établi de lien entre ces facteurs et l'augmentation du taux de mortalité infantile.

En revanche, une étude anglaise a démontré que la précarité multipliait par cinq le nombre de décès d'enfants. C'est la raison pour laquelle la HAS avait édicté une recommandation dédiée à l'accompagnement médical, psychologique et social des femmes en situation de précarité durant les 1000 premiers jours.

La question de l'accès aux soins et de l'insuffisance du nombre de maternités peut également constituer un facteur d'explication : toutefois, aucune donnée scientifique n'a été publiée sur le sujet. D'aucuns plaident pour que les maternités réalisent un nombre minimal d'accouchements. Certaines d'entre elles en assurent moins de 600 par an, ce qui questionne la sécurité et la qualité des soins, tout en sachant qu'il n'existe aucune analyse des événements indésirables graves associés aux soins (EIGS) par taille de maternité. La démographie des professionnels de santé, qui concerne de nombreux secteurs, crée probablement des difficultés supplémentaires.

En 2021, les EIGS frappant les femmes parturientes ont fait l'objet d'une analyse - je vous transmettrai le rapport afférent. Pour information, les établissements sont tenus de déclarer les EIGS aux agences régionales de santé (ARS). Celles-ci doivent ensuite les diffuser, de manière anonymisée, à la HAS. Cette anonymisation ne permet donc pas d'identifier les établissements concernés, ce qui crée une vraie difficulté.

Entre mars 2017 et décembre 2021, 269 EIGS ont concerné des femmes parturientes : 141 ont concerné les enfants et 102 les mères, les 26 dernières étant mixtes. 55 % des EIGS ont entraîné des décès, à raison de 110 décès d'enfants et 40 décès maternels.

Lorsque les équipes soignantes déclarent un EIGS, elles doivent compléter un questionnaire. Elles ont estimé que 51 % des EIGS auraient pu être évités. Pour elles, les principales causes d'EIGS renvoient, par ordre d'importance, au défaut ou au retard de prise en charge, au défaut ou au retard de diagnostic et aux erreurs médicamenteuses. Il est à noter qu'un défaut ou un retard de prise en charge correspond à une césarienne trop tardive. Ont également été recensés des retards de prise en charge post-partum, avec des hémorragies.

En complément, certaines complications ont été liées à l'état de santé des femmes enceintes, à des difficultés sociales ou à des protocoles indisponibles, inadaptés, méconnus ou inutilisés, comme l'ont reconnu les équipes elles-mêmes. Celles-ci ont également pointé des problèmes d'organisation du service, une charge de travail trop importante et des problèmes de locaux ne favorisant par exemple pas la communication entre la salle des naissances et le bloc opératoire. Elles ont également mis en évidence la sous-estimation de certains risques par du personnel inhabituel (intérimaires, ou personnels en formation - internes ou élèves).

Bien que très intéressants, ces éléments n'ont pas de valeur statistique. Les données présentées, de surcroît, ne peuvent pas être rattachées aux différents établissements : si les ARS disposent de ces informations, elles ne les communiquent pas à la HAS. Si l'anonymat sur les IEGS était levé toutefois, certains établissements ne manqueraient probablement pas de sous-déclarer certains événements. En effet, ils n'ont pas tous la culture de l'évaluation et de l'amélioration de la qualité des soins, comme dans les pays anglo-saxons ou d'Europe du Nord.

Par ailleurs, la HAS, en 2016 ou 2017, a déployé, au titre de la qualité et de la sécurité des soins, un indicateur portant sur la détection de l'hémorragie du post-partum et l'identification des causes associées. Cette démarche était complexe, puisqu'elle nécessitait de revenir aux dossiers médicaux des patients. En tout état de cause, l'accessibilité à ces derniers est difficile et inadaptée à notre temps.

La HAS est en train d'élaborer, avec les professionnels, un indicateur statistique dédié aux hémorragies du post-partum, à partir des données du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) : les résultats devraient être disponibles en 2025. Bien évidemment, cet indicateur ne sera pas aussi riche que s'il était fondé sur les dossiers médicaux : il aura toutefois une vraie vertu en matière de suivi.

Enfin, la dernière recommandation publiée par la HAS porte sur l'accompagnement médico-psychosocial des femmes, des parents et de leurs enfants en situation de vulnérabilité pendant la grossesse. Importante, elle définit les situations de vulnérabilité, mais également les modalités de dépistage, lequel doit être systématique. Il convient également de veiller à ce que les femmes enceintes aient accès, durant leur grossesse, à un hébergement, à de la nourriture et à l'eau.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - La HAS, dans le cadre de la mission de certification, assure le suivi de deux indicateurs qui concernent, si je ne m'abuse, le projet parental et le post-partum, ce qui semble être assez limité. Est-il envisagé, en conséquence, de faire évoluer les indicateurs de certification des établissements ?

En complément, j'ai noté que la HAS n'était pas en mesure de faire le lien entre les EIGS et les différents niveaux de maternités. Cette situation est-elle l'illustration d'un impensé ? Selon vous, serait-il judicieux de faire évoluer ces indicateurs, en préservant l'anonymat des soignants qui déclarent des EIGS ?

Quel est l'avis de la HAS sur l'encadrement réglementaire des secteurs de naissance ? Une révision des décrets relatifs aux conditions nécessaires pour les unités d'obstétrique vous semble-t-elle nécessaire ? Dans l'affirmative, quelles évolutions conviendrait-il, en matière d'encadrement, de mettre en oeuvre ? Le suivi des nouveaux-nés pourrait-il être effectué par les généralistes ou les sages-femmes ? Enfin, un questionnaire assez complet vous a été transmis : nous vous laisserons bien évidemment le temps de le compléter.

Par ailleurs, vous avez évoqué la désertification médicale et la difficulté d'accès aux soins. La HAS considère-t-elle qu'il est nécessaire de faire évoluer les recommandations de suivi, par exemple, des nouveau-nés par les médecins généralistes en ville ? La même question se pose pour les sages-femmes : doivent-elles prendre, au sein des établissements évoqués, une place croissante, pour faire face à la pénurie de professionnels de santé ?

Dr Pierre Gabach. - Il existe deux critères spécifiques dédiés à l'obstétrique, mais tous les autres critères liés à la certification des établissements de santé s'appliquent évidemment à ces services. Il n'en demeure pas moins qu'il pourrait être envisagé de les développer. En complément, nous vous donnerons communication, des données croisées entre nombre d'accouchements par établissement et déclarations d'IEGS.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Est-il possible de ne pas certifier l'un des secteurs d'activité d'un établissement ?

Dr Pierre Gabach. - Non. Comme mentionné précédemment, les établissements sont certifiés dans leur ensemble, éventuellement sous condition. Le dispositif n'est pas prévu pour ne certifier que certaines activités au sein d'un établissement.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Quel est le pourcentage d'établissements non certifiés ?

Dr Pierre Gabach. - Il est assez faible, probablement de 7 à 8 %. Ce taux est toutefois en progression. Cela étant, il faut réellement qu'un établissement se soit rendu coupable de manquements graves pour ne pas obtenir sa certification.

Surtout, la HAS peut délivrer des certifications sous conditions : elle a en effet vocation, non pas à « punir » les établissements, mais à les aider à améliorer la qualité des soins qui y sont dispensés. Elle essaie, avec les ARS, de les accompagner en ce sens, afin de pouvoir lever, après un an, les conditions précitées. D'ailleurs, le nombre d'établissements de santé est de plus en plus faible : il est donc important de tout faire pour les conserver, tout en veillant à ce qu'ils dispensent des soins de qualité. Certains départements, ainsi, ne comptent plus qu'une clinique ou qu'un hôpital.

Par ailleurs, la HAS a édicté une recommandation liée à la prise en charge des nouveau-nés. Celle-ci porte sur le premier recours, qui s'entend du médecin généraliste ou du pédiatre libéral. En effet, le nombre de pédiatres libéraux est devenu très faible. In fine, un généraliste doit pouvoir appliquer les recommandations de la HAS.

La HAS est éminemment favorable aux protocoles de coopération et au partage des tâches entre les professionnels. Ainsi, les sages-femmes, les infirmières ou les puéricultrices doivent pouvoir intervenir si besoin, dans la limite de leurs compétences bien évidemment.

Enfin, la HAS ne s'est jamais positionnée sur les normes et les seuils. En effet, aucune étude scientifique n'a établi de lien entre ces derniers et la qualité des soins. Au Canada ou en Californie, des normes ont été mises en place : elles n'ont pas emporté d'amélioration significative de la qualité des soins.

Mme Annick Billon. - L'anonymisation des données permet d'avoir une vision globale de la situation. En revanche, il est indispensable, pour véritablement agir et proposer des solutions, de s'appuyer sur des analyses précises, permettant d'identifier les établissements et les populations.

Selon vous, le seuil de 600 accouchements par an est-il pertinent ? A contrario, doit-il être revu, afin de maintenir ouvertes certaines maternités, dont la fermeture est programmée ?

Par ailleurs, vous avez précédemment évoqué des césariennes trop tardives et des protocoles indisponibles ou méconnus. La formation continue des professionnels est-elle, à votre sens, suffisante ? Est-elle réellement mise en oeuvre ? Des mesures doivent-elles être déployées pour qu'elle devienne une réalité ?

Vous avez également indiqué que certains événements indésirables étaient liés à la présence d'intérimaires. Quel est le taux d'intérim au sein des maternités ? Comment la formation des intérimaires, qui peuvent être appelés à intervenir dans différents services, est-elle assurée et suivie ?

Dr Pierre Gabach. - Le seuil de 600 accouchements n'a pas été fixé par la HAS, mais par l'État, le ministère et l'Académie de médecine. Aussi la HAS ne peut-elle pas se prononcer sur le sujet. La HAS travaille à partir de la littérature et des études scientifiques disponibles : à défaut de données, elle ne se prononce pas.

L'académie de médecine a évoqué un seuil de 1 000 accouchements par an, je ne sais si c'est - ou pas - pertinent. Certains pays ont un recours plus important que la France aux accouchements à domicile et affichent un taux de mortalité infantile plus faible.

La formation continue - je vous rejoins sur ce point - est essentielle. La HAS a déployé une accréditation dédiée aux spécialités médicales à risque, en relation avec les collèges de professionnels. De mémoire, un peu moins de 2 000 des 3 800 obstétriciens en disposent.

Ladite accréditation, qui est passée sur la base du volontariat, a valeur de Développement professionnel continu. L'organisme d'accréditation, qui est une émanation du CNP, part des EIGS recensés pour bâtir des formations.

Enfin, l'accréditation évoquée peut être individuelle, mais également collective, en ciblant l'ensemble d'une équipe, ce qui est particulièrement intéressant dans le domaine de l'obstétrique.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Au-delà de la formation des intérimaires, il me semble qu'il ne faut pas non plus mésestimer l'importance de la connaissance de l'écosystème hospitalier, des relations avec les confrères et du travail d'équipe.

Mme Annie Le Houerou. - Je tenais à revenir sur le seuil évoqué précédemment de 600 accouchements annuels. Il y a quelques années, il était de 300 accouchements, avant de passer à 500. Le récent rapport rédigé par le professeur Ville au nom de l'Académie nationale de médecine préconise de le porter à 1 000.

La HAS ne dispose d'aucune étude permettant de faire le lien entre le type de maternité et le nombre d'événements indésirables graves. En conséquence, comme le seuil précité a-t-il été fixé ? À mon sens, il est davantage la résultante de considérations économiques et politiques que de considérations techniques.

Dr Pierre Gabach. - La HAS ne formule que des recommandations. C'est l'État qui fixe les critères d'activité des établissements de santé.

Mme Annie Le Houerou. - A titre d'exemple, une maternité a été « suspendue », alors qu'elle réalisait 600 accouchements par an. À mon sens, cette décision est davantage liée à un problème de démographie médicale qu'à un problème dans la qualité de la prise en charge. Désormais en conséquence, nombre de femmes finissent par accoucher sur la route, quand d'autres font le choix d'accoucher à domicile.

S'agissant de la qualité de la prise en charge et de l'environnement de la naissance, nombre de femmes se plaignent d'être accompagnées, durant et après leur accouchement, par des équipes différentes. En effet, cela ne concourt pas à leur sérénité. Quel est votre sentiment sur le sujet ?

Sauf erreur de ma part enfin, la HAS labellise des établissements. S'occupe-t-elle de la labellisation des maternités labellisées « Amis des bébés » ?

Dr Pierre Gabach. - Non. La HAS certifie des établissements, mais n'en labellise pas.

Mme Annie Le Houerou. - Effectivement, la labellisation à laquelle je faisais allusion est assurée par l'Organisation mondiale de la santé.

Dr Pierre Gabach. - La HAS ne dispose d'aucun élément scientifique qui lui permettrait de déterminer le nombre minimal d'accouchements que doit prendre en charge une maternité. Elle ne fait qu'édicter des recommandations. Les critères de fonctionnement des établissements de santé sont ainsi du ressort de l'État et du gouvernement.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Le rapport de l'Académie de médecine de mars dernier a préconisé un certain nombre de fermetures de maternités : elle sera auditionnée le mercredi 27 mars à 16 heures 30.

Mme Florence Lassarade. - Pour avoir été pédiatre libérale et en maternité, je déplore l'abandon de la spécialité pédiatrique, en particulier dans le suivi de l'enfant de moins d'un mois. En effet, je ne suis pas persuadée que chacun dispose de la formation requise. Les enseignants de pédiatrie s'alarment du raccourcissement de durée des stages en pédiatrie et au sein des maternités. Il n'en demeure pas moins indispensable que les médecins généralistes possèdent des notions de pédiatrie, le premier mois de vie d'un enfant devant être suivi de très près.

La formation continue a connu un certain nombre d'évolutions. J'ai par exemple assuré la formation d'internes, lesquels m'ont ensuite formée à nouveau, m'expliquant alors que la manière dont je pratiquais les réanimations n'était pas académique. Des efforts ont également été réalisés dans la formation des sages-femmes. Celles-ci savent désormais ventiler ou initier une réanimation.

Alors que la formation s'est améliorée, le taux de mortalité des nouveau-nés s'est dégradé, ce que je peine à expliquer. En complément, les maternités de niveau 1, qui réalisent de 600 à 800 accouchements par an, n'accueillent pas de femmes enceintes à risque. Ces dernières sont en effet orientées vers des maternités de niveau 2 ou de niveau 3. Dès lors, il n'y a aucun sens de comparer une maternité de niveau 1 avec une maternité de niveau 3, laquelle accueille davantage de grossesses à risques.

L'abandon de la pédiatrie libérale emportera un recours accru aux praticiens hospitaliers. Or la réalisation de gardes et d'astreintes en résultant n'est pas susceptible d'attirer des étudiants. Ne faudrait-il pas de nouveau demander aux obstétriciens, aux anesthésistes et aux sages-femmes d'acquérir tous les gestes de réanimation de base ? Ne faut-il pas mettre l'accent sur ces réévaluations et ces formations récurrentes, y compris in situ ?

Dr Pierre Gabach. - Encore une fois, la HAS se garde de donner des chiffres par niveau de maternité. Elle ne communique que les éléments donc elle dispose. Je ne plaide bien évidemment pas pour une disparition de la pédiatrie : en province toutefois, il est factuellement de plus en plus difficile d'accéder à des pédiatres. Au sein des établissements de santé, les sages-femmes se forment à la réanimation néonatale, ne serait-ce que faute de ressources alternatives.

Mme Florence Lassarade. - Les aides-soignants le font également.

Dr Pierre Gabach. - Oui. Encore une fois, la HAS est favorable, non pas à la délégation des tâches, mais au partage des tâches, à condition qu'il soit encadré et s'appuie sur des formations aux gestes induits par la prise en charge de nouveau-nés. Enfin, les décès des nourrissons surviennent pour la plupart au cours du premier mois de vie.

Mme Anne-Sophie Romagny. - S'agissant de la formation, vous avez précédemment évoqué la mise en place, par la HAS et le collège des obstétriciens, d'une accréditation.

L'appétence des professionnels de santé aux accréditations peut-elle être mesurée ? Si la formation continue est nécessaire, les professionnels de santé sont libres de s'y soumettre ou pas. Combien sont-ils à s'y intéresser ?

Dr Pierre Gabach. - Le développement professionnel continu relève d'une obligation pour l'ensemble des professionnels de santé. Néanmoins, sa mise en oeuvre concrète n'atteint pas les objectifs fixés. C'est la raison pour laquelle la HAS a pris la décision de déployer une accréditation en lien avec les spécialités à risque. En pratique, 1 231 des 4 900 obstétriciens ont fait l'effort de s'y inscrire. Enfin, les problèmes aujourd'hui rencontrés sont multifactoriels : ils ne seront pas résolus par leur seul truchement de la formation.

Mme Émilienne Poumirol. - Le constat qui vient d'être dressé est pour le moins alarmant. Alors que vous pointez certaines difficultés et formulez des recommandations à la fois pertinentes et judicieuses, le taux de mortalité infantile se dégrade. Par surcroît, environ 40 femmes enceintes sont décédées en quatre ans, ce qui n'est pas négligeable.

Vous n'êtes pas en capacité de répondre à un certain nombre de nos questions. À qui devons-nous, en conséquence, « demander des comptes » ? Devons-nous nous tourner vers le ministère ou vers les doyens des facultés, au motif de formations insuffisantes ? Qui est responsable de la situation, qui peut être vécue comme un échec ?

Sur le plan de la mortalité infantile en effet, la France est passée, en quelques années, de la 4e ou 5e place à la 18e place au sein des pays de l'OCDE, ce qui ne manque pas de m'inquiéter. Qui est véritablement en capacité d'agir ?

Dr Pierre Gabach. - La HAS n'intervient pas sur le terrain. Elle édicte, à la demande du ministère, des recommandations. Il appartient ensuite aux ARS et aux conseils professionnels de les faire appliquer.

La responsabilité de la situation actuelle, qui était inimaginable il y a dix ans, est collective. En matière de mortalité infantile, les pays d'Europe du Nord sont dans une situation bien plus favorable que la France, qui souffre d'un vrai déficit d'information. Ils ont ainsi fait le choix de mettre en place un registre des naissances, qui recense notamment les complications survenues à la naissance. La France a besoin, au-delà d'enquêtes, de ce type d'information. Le ministère, les parlementaires, les professionnels et les associations doivent agir en ce sens.

Les doyens de faculté ne sont pas responsables de la situation. En effet, la formation des professionnels de santé est, en France, de grande qualité. L'école de pédiatrie y est remarquable. Néanmoins, les maternités souffrent d'un véritable manque de moyens, avec des postes vacants, bien qu'indispensables pour bien accompagner les femmes qui accouchent.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Au vu des chiffres communiqués, il est de notre devoir de comprendre pourquoi la France a glissé, sur le plan du taux de mortalité infantile, à la 18e place du classement des pays de l'OCDE, et cela afin de proposer des pistes d'amélioration.

Mme Laurence Muller-Bronn. - Le poids des césariennes dans les naissances est-il en augmentation ? En complément, votre intervention me laisse perplexe ; en effet, vous indiquez ignorer les causes de la dégradation observée et ne disposer d'aucun chiffre.

La dégradation au classement de la France, qui est passée de la 4e à la 18e place, bien qu'alarmante, ne semble donner lieu à aucune action concrète. Vous faites montre, à travers votre intervention, d'une résignation qui m'étonne.

Dr Pierre Gabach. - Je vous transmettrai des informations sur le pourcentage des césariennes parmi les accouchements : il doit en effet pouvoir être déterminé via le programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI).

Mme Laurence Muller-Bronn. - Pourquoi la situation s'est-elle à ce point dégradée en vingt ans ? Vos données intègrent-elles celles relatives à Mayotte, ce qui pourrait expliquer la dégradation observée de la mortalité infantile ? Il serait judicieux, en la matière, de disposer de données chiffrées par département.

Dr Pierre Gabach. - Les taux de mortalité infantile les plus élevés sont observés dans les départements et territoires d'outremer et, dans l'hexagone, dans le département le plus pauvre - la Seine-Saint-Denis - ainsi que dans le Jura, en Indre-et-Loire et dans le Lot.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Quel regard la HAS porte-t-elle sur la situation des DROM ? A-t-elle édicté, les concernant, des recommandations spécifiques, puisque les chiffres y sont plus défavorables ? A contrario, sont-ils ciblés par les mêmes préconisations que les départements métropolitains ?

Dr Pierre Gabach. - Les recommandations de la HAS, qui se fondent sur des données scientifiques, sont les mêmes pour l'ensemble des territoires : les citoyens français doivent tous avoir la possibilité d'accéder à des soins de même qualité. Cela étant, je conviens qu'il serait judicieux de lancer des réflexions sur l'organisation des soins au sein des départements et territoires d'outremer, où certaines pathologies sont particulièrement importantes, comme le diabète par exemple.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Quels sont les contrôles réalisés au sein des maisons de naissance, des centres de protection maternelle et infantile (PMI) et des services MCO (médecine, chirurgie, obstétrique) ?

Dr Pierre Gabach. - Les maisons de naissance et les centres de PMI ne sont pas des établissements de santé. Ils n'entrent donc pas dans le champ de compétences de la HAS en matière de certification.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Qui a la compétence sur ces derniers ?

Dr Pierre Gabach. - À mon sens, il s'agit des ARS et du ministère. Quoi qu'il en soit, la HAS n'a pas le droit de se rendre au sein desdits établissements.

Mme Annick Billon. - La délégation aux droits des femmes, à laquelle la présidente de la mission d'information appartient également, avait travaillé, sous ma présidence, sur la parentalité dans les territoires ultramarins. Si le diagnostic est peut-être similaire, même s'il faudrait s'en assurer, les réponses à déployer ne sauraient être les mêmes au sein de ces derniers.

La délégation s'était rendue en Guadeloupe, à Saint-Martin, à Marie-Galante et à Saint-Barthélemy. Il était apparu que l'insularité et l'éloignement de ces territoires, qui connaissent par ailleurs une vraie précarité, faisaient obligation aux femmes enceintes de rejoindre, à leurs frais, la Guadeloupe un certain temps avant leur accouchement, les exposant à des conditions d'hébergement très précaires, mais également à des trafics divers et variés.

Quoi qu'il en soit, il me semble essentiel de différencier les analyses, aux fins d'apporter les réponses les plus appropriées aux femmes évoquées, en matière d'hébergement et de suivi de la grossesse.

Dr Pierre Gabach. - Si une femme doit bénéficier d'une césarienne, elle doit avoir la possibilité, selon la HAS, d'y accéder, quel que soit son département de résidence. Bien entendu, les organisations doivent être adaptées aux territoires : elles doivent toutefois garantir un accès à des soins de qualité. La HAS n'a jamais dégradé ses recommandations en fonction des territoires : il appartient aux pouvoirs publics de mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour permettre à tous d'accéder à des soins de qualité. Cela pose la question des mesures à mettre en oeuvre pour y parvenir.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Certaines recommandations revêtent un caractère général, puisque d'application assez simple. Néanmoins, ne pourrait-il pas être envisagé de déployer des recommandations distinctes, pour tenir compte du principe de réalité ?

Dr Pierre Gabach. - La HAS, pour établir ses recommandations, s'appuie sur la littérature scientifique disponible. Malheureusement, la science n'apporte pas la solution à tous les problèmes.

Quoi qu'il en soit, les recommandations sont établies par des groupes de travail, qui se composent notamment de professionnels de santé et d'usagers : ces derniers les modulent à l'aune de leur expérience.

S'agissant de l'accompagnement médical, psychologique et social des femmes en situation de précarité, les membres du groupe de travail ont, d'une certaine manière, fait le choix de s'autocensurer, afin de tenir compte, au-delà de la science, de la réalité.

Enfin, l'organisation de la prise en charge se doit d'être, au sein des territoires, innovante. Si un enfant souffre d'une « double-circulaire » du cordon, une césarienne en urgence s'impose, et cela sans la moindre discussion.

Mme Florence Lassarade. - Sur le plan technique, il est aujourd'hui possible de réanimer des enfants après seulement cinq mois de grossesse et ces opérations sont de plus en plus fréquentes. Disposez-vous, sur ce plan, d'éléments de comparaison avec d'autres pays européens ? Ce phénomène de réanimation précoce n'est-il pas la cause de la dégradation des indicateurs de mortinalité français ? Il serait utile de disposer, en la matière, de données chiffrées, en fonction de l'âge et du niveau de prématurité. Peut-être que les autres pays pratiquent des réanimations à un stade plus avancé de la grossesse, ce qui pourrait expliquer la place défavorable de la France. Enfin, les enfants mort-nés sont-ils pris en compte dans le taux de mortalité infantile ?

Dr Pierre Gabach. - La définition de ce qu'est un enfant mort-né est assez difficile à donner et peut varier selon les pays, ce qui rend les comparaisons internationales difficiles.

La HAS n'a pas vocation à produire des données. Elle a rencontré des pédiatres et des représentants de la Société française de néonatologie : pour eux, la hausse de la mortalité infantile n'est pas liée à la réanimation précoce. Il n'existe pas non plus de données sur le sujet dans la littérature scientifique internationale.

Mme Laurence Muller-Bronn. - Vous nous avez précédemment communiqué des données pour la période 2017-2021 : il serait utile que vous nous transmettiez des données annuelles.

Dr Pierre Gabach. - Elles vous seront communiquées. J'ajoute qu'elles se limitent aux événements déclarés ; elles ne sont donc pas exhaustives.

Mme Laurence Muller-Bronn. - Je le regrette.

Dr Pierre Gabach. - Au-delà des données elles-mêmes, c'est l'analyse des causes, par les équipes concernées, qui est intéressante. Or le PMSI ne permet pas de disposer de cette analyse.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Nous en sommes aujourd'hui à la première audition d'une longue série. J'observe qu'elle suscite, d'ores et déjà, de nombreuses questions. Je tenais, Docteur, à vous remercier d'avoir participé à nos travaux. Je compte sur vous pour que vous nous transmettiez le questionnaire complété, ainsi que les différents documents auxquels vous avez fait référence.

Dr Pierre Gabach. - J'y veillerai.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - J'invite celles d'entre nous qui participeront au déplacement au centre hospitalier Robert Debré à se retrouver à 15 heures 45 au pied de l'escalier d'honneur. Enfin, l'audition de Santé Publique France aura lieu demain, à 13 heures 30.

La réunion est close à 15 h 15.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Mercredi 20 mars 2024

- Présidence de Mme Annick Jacquemet, présidente -

La réunion est ouverte à 13 h 30.

Audition des docteurs Michel Vernay, directeur de la direction des maladies non transmissibles et traumatismes de Santé publique France et Arielle Le Masne, chargée d'expertise scientifique interactions précoces - 1 000 premiers jours au sein de la direction de la prévention et de la promotion de la santé de Santé publique France

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Mes chers collègues, nous entendons deux représentants de Santé publique France : le Dr Michel Vernay, directeur de la direction des maladies non transmissibles et traumatismes, et le Dr Arielle Le Masne, chargée d'expertise scientifique interactions précoces - 1 000 premiers jours au sein de la direction de la prévention et de la promotion de la santé.

Agence scientifique et d'expertise du champ sanitaire, Santé publique France publie régulièrement des enquêtes et rapports de surveillance de la santé périnatale, avec des indicateurs déclinés par département. Son analyse intéresse donc à un double titre notre mission d'information sur l'avenir de la santé périnatale et son organisation territoriale.

Le dernier rapport de Santé publique France, publié en 2021, témoigne certes d'un niveau élevé et stable de prise en charge périnatale, mais aussi d'une forte hétérogénéité de la santé périnatale en France, notamment dans les départements et régions d'outre-mer (Drom), mais aussi en Île-de-France. Pourquoi ces différences territoriales ? Existe-t-il des corrélations entre certains indicateurs de santé et la prévalence d'incidents indésirables graves, d'une part, et les catégories de maternité et le nombre d'actes pratiqués annuellement, d'autre part ? Le seuil « raisonnable » du nombre d'accouchements pratiqués dans une maternité pour qu'ils se déroulent en toute sécurité a progressivement été revu à la hausse. L'Académie nationale de médecine, dans son rapport d'il y a un an, évoque celui de 1 000 naissances par an, alors que le chiffre de 500 prévalait jusqu'alors, voire celui de 300.

Vous nous direz également quel regard vous portez sur l'organisation actuelle du suivi de la grossesse et du suivi postnatal. En particulier, l'anticipation de l'état de santé post-partum, notamment en matière de santé mentale, vous semble-t-elle pouvoir être améliorée ?

Enfin, quel regard portez-vous sur l'incidence de l'accroissement des situations de précarité ? Hier, nous nous sommes rendus à l'hôpital Robert-Debré où nous avons pu mesurer les difficultés multiples auxquels sont confrontés les professionnels pour faire face à ces situations qui relèvent souvent de l'urgence. L'obésité est également un facteur de risque non négligeable.

Mme Alima Marie-Malikité, directrice de cabinet de Santé publique France. - Le champ d'action de Santé publique France, agence nationale de santé publique, est très vaste. Il va de la surveillance à l'intervention, la prévention et la réponse aux menaces. Ses seize cellules régionales, implantées auprès des agences régionales de santé (ARS) lui permettent d'agir au plus près des acteurs des territoires.

Certaines de nos activités ont trait à des moments clés de la vie. Santé publique France s'efforce de tenir compte de tous les sujets englobant à la fois la santé de la mère et celle de l'enfant - santé périnatale, 1 000 premiers jours, etc. -, pour mettre en oeuvre ses programmes, études et interventions, dans le champ de la surveillance comme dans celui de la prévention.

Nous vous présenterons tout d'abord un état des lieux des connaissances et des indicateurs sur la périnatalité et nos principales recommandations. Nous partagerons ensuite avec vous des préconisations relatives à la prévention, tant pour des actions de prévention relevant des politiques publiques que pour des actions visant les comportements individuels.

Dr Michel Vernay, directeur de la direction des maladies non transmissibles et traumatismes de Santé publique France. - Il existe d'assez nombreux systèmes de surveillance en France, qui souffrent de certains manques. Certains systèmes fonctionnent en routine et couvrent l'intégralité du territoire français, comme les statistiques de l'état civil, le système national des données de santé (SNDS) - qui compile les hospitalisations, les consommations de soins de ville de l'assurance maladie et les causes médicales de décès - ainsi que les certificats de santé du huitième jour qui ne sont plus exploités désormais au niveau national.

D'autres systèmes de surveillance fonctionnant également en routine ne s'appliquent qu'à certains territoires : on recense ainsi sept registres des anomalies congénitales et deux registres du handicap de l'enfant. Il existe aussi des enquêtes sur les causes de mortalité maternelle. La France et le Royaume-Uni sont les deux seuls pays européens à disposer de ce type d'enquête. S'ajoute à cela l'Observatoire national des morts inattendues du nourrisson (Omin). L'actualisation des données relatives aux causes de mortalité maternelle est prévue pour le 3 avril prochain.

Des enquêtes ponctuelles sont aussi menées, de façon cyclique, la plus ancienne étant l'enquête nationale périnatale (ENP) qui a lieu tous les cinq à six ans et contribue notamment aux suréchantillonnages effectués dans les Drom. L'étude relative à l'épidémiologie en France de l'alimentation et de l'état nutritionnel des enfants pendant leur première année de vie (Epifane), étude ancillaire couplée avec l'ENP, permet de suivre le devenir de l'allaitement et la diversification alimentaire pendant les douze mois suivant l'accouchement. L'étude épidémiologique sur les petits âges gestationnels (Epipage) porte sur le suivi d'enfants prématurés. Enfin, la cohorte de l'étude longitudinale française depuis l'enfance (Elfe) suit les dix-huit premières années de vie.

Il existe donc de nombreux systèmes d'information, mais certaines sources ne sont pas « chaînables » du fait de leur fragmentation. On peut notamment difficilement appareiller les certificats de décès néonatals avec les données du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) ou du SNDS. En cas de mort néonatale, nous n'avons donc pas toutes les informations sur le parcours de soins de la mère en amont, donc sur les causes potentielles du décès de l'enfant, ou les éléments permettant de juger de son imputabilité au système de soins.

Nous travaillons pour réduire cette fragmentation. Nous menons ainsi, en lien avec la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) du ministère de la santé et l'équipe de recherche en épidémiologie obstétricale périnatale et pédiatrique (Épopé) de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) un projet de constitution de bases chaînées visant à mieux détailler les causes de mortalité néonatale.

L'amélioration des systèmes d'information en périnatalité est donc l'un des points d'attention que nous pouvons soulever.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Quel est le calendrier du projet que vous venez d'évoquer ?

Dr Michel Vernay. - La Drees, qui pilote ce projet, serait mieux à même de vous répondre sur ce point. La création d'un registre national de la mortalité néonatale a par ailleurs été récemment suggérée.

Si l'on observe le contexte général qui explique les grandes tendances actuelles, on note que l'âge de la maternité a augmenté entre 1995 et 2021, la proportion de naissances chez les mères âgées de plus de 35 ans ayant crû sur cette période. Or l'âge est un facteur de risque pour les grossesses, notamment pour l'obésité et le diabète gestationnel. Inversement, d'autres évolutions sont plus favorables. Ainsi, le niveau d'éducation des mères augmente régulièrement. La proportion de mères d'origine étrangère augmente par ailleurs, ce qui fait écho à ce que vous avez évoqué sur l'accès aux soins. L'indicateur relatif au fait de vivre seule au moment de la grossesse reste stable, tout comme la part de revenus du travail dans le ménage. En revanche, l'obésité avant grossesse augmente, comme elle augmente dans la population générale. Une préconisation serait donc de mieux prévenir l'obésité en population générale.

J'en viens aux pathologies maternelles, aux complications et aux pratiques d'accouchement. Si le nombre de désordres hypertensifs de la grossesse recensés reste stable, la prévalence du diabète gestationnel a presque doublé. Le nombre d'hémorragies sévères post-partum augmente également. L'ENP de 2021 a présenté, pour la première fois en France, une estimation du nombre de dépressions post-partum : elles concernent environ 17 % des femmes ayant accouché. Il faudra toutefois attendre la reconduction de l'ENP en 2027 pour établir une tendance sur ce point. On relève en outre 5,4 % d'idéation suicidaire. Le suicide est la première cause de mortalité maternelle, suivie par les pathologies cardiovasculaires. Les effectifs restent cependant, heureusement, faibles.

Concernant les pratiques au moment de l'accouchement, la proportion d'épisiotomies est en nette diminution, ce qui est un point favorable. La part de césariennes reste stable, autour de 20 % mais vous noterez l'extrême hétérogénéité entre les établissements sur ce point.

La prématurité à moins de 37 semaines d'aménorrhée est stable. En revanche, l'extrême prématurité, à moins de 28 semaines d'aménorrhée, augmente.

Nous préconisons de renforcer la santé mentale en population générale et de prévoir un dépistage précoce, répété au cours de la grossesse ainsi que post-partum, de la dépression.

La mortinatalité est relativement stable, à raison de neuf mort-nés pour 1 000 naissances. On observe une disparité assez forte sur ce point entre l'Hexagone et les Drom, et une variabilité importante au sein même de ces derniers.

La mortalité néonatale, sur les vingt-sept premiers jours d'existence de l'enfant, augmente entre 2012 et 2019, augmentation marquée sur les six premiers jours de vie. On retrouve de nouveau ici un contraste fort entre l'Hexagone et les Drom.

La France est classée 20e sur 28 en Europe en matière de mortinatalité et n'est pas très bien placée non plus concernant la mortalité néonatale. Cependant, plusieurs pays ne tiennent pas de statistiques dans ce domaine, ce qui compromet la comparabilité de l'ensemble.

Améliorer les systèmes de surveillance épidémiologique en périnatalité nous permettrait de mieux expliquer l'augmentation de la mortalité néonatale, dont les causes demeurent incertaines.

Des marges de progrès se dégagent sur la diffusion de l'information relative au couchage de l'enfant. Au moins 50 % des femmes déclarent ne pas avoir reçu de conseils sur le couchage de l'enfant durant la grossesse. À deux mois, environ 7 % des femmes déclarent n'avoir reçu aucun conseil pour coucher l'enfant sur le dos. La diffusion des recommandations sur le couchage des nourrissons ou sur d'autres pratiques, comme le tabagisme, serait une piste à explorer.

J'en viens à d'autres leviers de prévention. La couverture vaccinale contre la grippe est en augmentation et le tabagisme au troisième trimestre diminue. Un point d'interrogation demeure toutefois : de nombreuses mères déclarent avoir repris le tabac deux mois après la naissance de leur enfant, alors qu'elles avaient fait l'effort d'arrêter de fumer durant la grossesse. Le dépistage de la trisomie 21 est en revanche en nette augmentation, tout comme la préparation à la naissance. D'autres points restent à parfaire : la supplémentation en acide folique avant la grossesse, les conseils relatifs à l'infection à cytomégalovirus (CMV), l'entretien prénatal précoce et la poursuite de l'allaitement. Un peu plus d'un quart des femmes ayant commencé l'allaitement à la maternité l'arrêtent dans les sept jours qui suivent, le manque de soutien étant probablement l'une des causes de cet arrêt.

Dans les points d'attention, nous pouvons citer le fait de promouvoir l'allaitement ainsi que l'entretien préconceptionnel en matière de tabac, d'obésité et de supplémentation en acide folique.

Mme Marie Mercier. - Étudiez-vous les autres addictions que le tabac, notamment l'alcool ?

Dr Michel Vernay. - Il est très difficile de recueillir des données sur l'alcool via l'enquête nationale périnatale, compte tenu d'une probable sous déclaration. Nous étudierons en revanche d'autres types d'addiction comme l'usage du cannabis pendant la grossesse.

Les taux de mortalité maternelle sont trois fois plus élevés dans les Drom que dans l'Hexagone. En mortinatalité, les taux sont 1,5 point plus élevés et ils sont deux fois plus élevés en mortalité néonatale ainsi qu'en mortalité infantile, c'est-à-dire durant la première année de vie de l'enfant. La situation est toutefois hétérogène entre les Drom.

Il faut donc accorder une vigilance accrue à l'égard des territoires les plus défavorisés et des inégalités sociales.

Les mères sont plus souvent obèses au début de leur grossesse dans les Drom que dans l'Hexagone. Une proportion plus importante de grossesses y sont survenues trop tôt ou de façon non désirée. En revanche, les mères allaitent plus souvent dans les Drom que dans l'Hexagone. La part des enfants présentant un petit poids à la naissance, c'est-à-dire inférieur à 2,5 kilogrammes, y est plus importante. Par ailleurs, l'adhésion aux recommandations sur le couchage des bébés y est plus faible.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Quand vous dites qu'un nombre important de grossesses sont survenues trop tôt, parlez-vous de l'âge des mères ?

Dr Michel Vernay. - La question que nous posons aux mères ne tient pas compte de leur âge. Nous leur demandons simplement si elles estiment que la grossesse est survenue trop tôt par rapport à leur parcours de vie. L'institut national de la statistique et de l'étude économique (Insee) dispose en revanche de statistiques sur l'âge de la maternité.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Nous retrouvons à travers votre présentation plusieurs éléments qui nous ont été exposés hier à l'hôpital Robert-Debré, notamment sur l'obésité ou l'élévation de l'âge des mères. Par ailleurs, un lien probable a été établi par le chef de service que nous avons rencontré entre les bons taux de mortalité recueillis en Suède et les choix de ce pays en matière d'organisation des soins. Le regroupement des maternités au sein d'établissements de pointe et parfois éloignés du domicile des parturientes serait un facteur favorable. Avez-vous un avis là-dessus ?

Comment expliquez-vous le défaut d'appariement des données ? S'agit-il d'un problème uniquement technique, d'un retard technologique, ou cela tient-il à un désintéressement des pouvoirs publics ou à un manque de financement ? Le manque d'exploitation des données a été également mis en avant par la cheffe de service de néonatologie que nous avons vue hier.

Par ailleurs, durant notre visite, les équipes nous indiquer noter une forte croissance du nombre d'interruptions médicales de grossesse proposées mais non acceptées par les familles. Avez-vous des chiffres à ce sujet ? Quelle serait la raison de ce phénomène, qui s'observe malgré la performance des diagnostics anténataux ? On a évoqué des facteurs religieux à l'hôpital Robert-Debré, liés à la population qui fréquente l'établissement.

Ce phénomène peut-il être mis en lien avec la hausse de la mortinatalité, ou bien d'autres facteurs jouent-ils en la matière ? Une interruption médicale de grossesse est en effet proposée aux parents en cas de polyhandicap grave ou pour des enfants jugés non viables.

Dr Michel Vernay. - Plusieurs facteurs expliquent la fragmentation des systèmes de surveillance, à commencer par un coût financier certain. Je vous renverrai sur ce point vers la Drees. Des limites réglementaires existent également, le SNDS ayant été construit de façon à limiter les risques de réidentification, ce qui compromet un chaînage optimal des données pour les morts néonatales. Des voies de contournement existent néanmoins.

En matière de mortinatalité et de mortalité néonatale, des confusions se produisent aussi entre les sources. Des mort-nés enregistrés dans le PMSI sont ainsi comptabilisés à l'état civil comme des enfants nés puis décédés, donc relevant de la mortalité néonatale. Il s'agit de très faibles effectifs, de 100 à 150 enfants, mais qui jouent sur les taux que nous calculons, car nous avons affaire à de petits ordres de grandeur. En appareillant ces données de manière optimale, nous pourrions résoudre ce problème.

Aucun suivi particulier des interruptions médicales de grossesse (IMG) n'est effectué par Santé publique France. Cependant, la diminution du nombre des IMG peut clairement agir sur la mortinatalité ainsi que sur la mortalité néonatale ou l'extrême prématurité. En revanche, nous ne savons pas quelle proportion cela représente dans les évolutions que nous constatons.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Disposez-vous de données comparatives par rapport aux autres pays de l'Union européenne sur ce point ?

Dr Michel Vernay. - Je ne peux pas vous répondre dans l'immédiat, mais nous regarderons quelles données nous pourrons vous fournir ultérieurement.

Mme Émilienne Poumirol. - La précarité ne figure pas parmi les indicateurs que vous mettez en avant, alors qu'il s'agit d'un facteur important. Manquez-vous de données sur ce point ? Est-ce un choix de votre part ? L'hôpital Robert-Debré reçoit de nombreuses mères d'origine étrangère, sans-abri, etc.

Que pensez-vous du rôle que pourraient jouer les sages-femmes dans l'entretien prénatal précoce, compte tenu du manque de médecins ?

Mme Marie-Pierre Richer. - La part de césariennes dans les pratiques d'accouchement varie de 8 % à 42 % selon les établissements. Quelle est la raison de écarts très importants ? Les pourcentages les plus élevés ne concernent-ils que quelques établissements ?

Quelles conséquences le couchage d'un enfant de deux mois, seul dans une pièce, peut-il avoir sur lui, par comparaison avec un couchage dans la chambre de ses parents ? Je ne comprends pas très bien la partie de votre document de présentation qui porte sur ce sujet.

Par ailleurs, si les femmes sont plutôt bien suivies durant la grossesse, elles sont souvent assez désarmées après l'accouchement.

Dr Michel Vernay. - Nous n'avons pas détaillé le panorama des inégalités sociales de santé, mais la position socioéconomique joue évidemment un rôle, notamment sur l'appropriation des messages favorables à la santé. La nouvelle enquête nationale périnatale, qui sera bientôt dévoilée, vous fournira d'autres éléments à ce sujet.

Certaines maternités pratiquent davantage de césariennes car elles assurent le suivi des grossesses à risque. En revanche, nous n'avons pas d'explication sur le fait que certaines maternités comparables aient plus fréquemment recours à la césarienne que d'autres.

Mme Marie-Pierre Richer. - N'avez-vous pas les chiffres des césariennes programmées ?

Dr Michel Vernay. - Je me renseignerai, mais je ne le crois pas.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Il existe effectivement une très grande disparité en la matière entre les établissements. On nous a dit, à l'hôpital Robert-Debré, que certains établissements pratiquent très peu de gestes techniques tels que césariennes ou épisiotomies, car ils reçoivent beaucoup de patientes et disposent des ressources humaines nécessaires pour intervenir en temps voulu.

Dr Michel Vernay. - Nous avons indiqué dans notre document les pratiques de couchage telles qu'elles ont été rapportées par les mères que nous avons interrogées. Le fait de dormir dans le lit des parents est un facteur de risque important.

Mme Marie-Pierre Richer. - Qu'en est-il du suivi des mères après l'accouchement ?

Dr Arielle Le Masne, chargée d'expertise scientifique interactions précoces - 1 000 premiers jours au sein de la direction de la prévention et de la promotion de la santé de Santé publique France. - Nous n'avons pas de données sur l'accès des femmes à l'entretien postnatal précoce, car il vient d'être mis en place. Nous espérons qu'il devienne un jalon pour briser l'isolement dans lequel la femme est plongée à cette période. En revanche, l'obligation et la généralisation de l'entretien prénatal précoce amélioreront peut-être son accès, dont les chiffres ont été publiés dans l'enquête de 2021.

Notre stratégie de promotion de la santé périnatale s'appuie sur la non-séparation de la relation mère-enfant, qui est un élément fondamental pour la santé de l'enfant. L'OMS et l'Unicef ont proposé un cadre de référence, dans le rapport Nurturing care for early childhood development, qui est le fondement de notre stratégie de promotion de la santé. Ce cadre s'articule autour de cinq composantes : les soins de santé, la nutrition, le soutien aux familles les plus vulnérables, la sécurité et la sûreté des environnements et l'apprentissage précoce.

La santé de l'enfant dépend de la santé mentale et physique des parents. C'est pourquoi le suivi médical pendant la grossesse inclut le tabac, l'alcool, les perturbateurs endocriniens. Les entretiens de parcours de grossesse sont fléchés sur la santé mentale, car c'est la première cause de complication de la grossesse. Les séances de préparation à la naissance et à la périnatalité permettent de lutter contre l'isolement. Il faut augmenter l'accès à ce dispositif, car toutes les femmes n'y ont pas accès. Enfin, l'entretien postnatal précoce a pour objectif de repérer les dépressions post-partum ou les facteurs de risque, afin de bien orienter les femmes. C'est un dispositif intéressant ; il faut en accompagner la montée en puissance. Cet entretien postnatal précoce n'est pris en charge qu'à 70 % par l'assurance maladie contre 100 % pour l'entretien prénatal précoce.

Il est nécessaire d'articuler les relations entre l'hôpital, la médecine de ville, les services de protection maternelle et infantile (PMI) et les dispositifs spécifiques régionaux de périnatalité. Ce maillage est important pour assurer la continuité de l'accompagnement des parents.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - La différence du niveau de remboursement des entretiens prénatal et postnatal a-t-elle un impact sur le nombre de consultations ?

Dr Arielle Le Masne. - Nous ne disposons pas de chiffres, mais, logiquement, cela ne facilite pas l'accès aux consultations pour les populations les plus vulnérables. L'entretien prénatal précoce a été encouragé dans le cadre de la feuille de route des 1 000 premiers jours.

J'en viens à la nutrition. L'allaitement est un point important, qui ne peut être délié des soins délivrés dans les services de maternité et de néonatologie. Santé publique France soutient, au travers du programme Initiative hôpital ami des bébés (Ihab), la mise en place des conditions pour le succès de l'allaitement, qui passe par des pratiques de soins centrées sur les rythmes et les besoins des enfants et des parents ; ce programme axé sur la non-séparation a prouvé son efficacité. Nous recommandons l'allaitement maternel au travers de propositions à destination du grand public et des professionnels.

La sécurité affective est un autre point fondamental, quel que soit l'état médical du bébé, car ce qui se passe dans les premières semaines aura des répercussions à long terme sur sa vie. Pour qu'il se sente en sécurité, il faut que les parents le soient eux-mêmes. La non-séparation à la naissance est un élément important pour la mise en place d'un environnement sûr. Mes collègues de néonatologie ont sans doute évoqué avec vous les transferts in utero et le modèle du couplet care.

La sécurité affective est également liée à la disponibilité des parents ; il faut redonner du temps aux parents - c'était une priorité de la feuille de route des 1 000 premiers jours -, ce qu'a permis l'allongement du congé parental, même s'il reste des progrès à faire. Le retour au travail est une période difficile, notamment parce qu'il entraîne des cessations d'allaitement.

Il est nécessaire d'accompagner les compétences parentales des personnes fragiles. Nous avons mis en place des interventions de prévention précoce, qui ont montré leur efficacité aussi bien sur la santé de la mère que sur le recours aux soins de l'enfant et sur son développement. Dans les départements pilotes, l'intervention de prévention précoce Panjo propose aux femmes vulnérables des visites à domicile réalisées par les puéricultrices de la PMI sur la base d'un programme construit, évalué, cadré et évolutif.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Avez-vous constaté davantage de problèmes de santé mentale depuis le covid ?

Mme Alima Marie-Malikité. - Nous n'avons pas de données propres aux femmes enceintes. La santé mentale des jeunes entre 15 ans et 24 ans s'est beaucoup dégradée. Dans le cadre de l'ENP, nous avons davantage travaillé sur la dépression post-partum ; il faut attendre la prochaine édition pour connaître les évolutions.

Dr Arielle Le Masne. - La santé mentale est un point important.

Mme Émilienne Poumirol. - La PMI est différente selon les moyens dont disposent les conseils départementaux, ce qui fait que le suivi des enfants est inégal selon les territoires ; voilà d'ailleurs un exemple des inconvénients du non-aboutissement de la décentralisation. Avez-vous des données sur les différences de suivi en matière de PMI selon les départements ? Le suivi devrait être égal à l'échelle nationale ; les inégalités départementales me gênent.

Dr Arielle Le Masne. - Nous partageons votre constat. Les PMI maillent le territoire, mais de façon hétérogène, en fonction de décisions locales. La Drees a publié, en 2022, un rapport sur la protection maternelle et infantile, montrant combien ces servies géraient la pénurie de professionnels.

Cela étant dit, ces services nous semblent les plus pertinents pour répondre au problème des inégalités territoriales de santé, comme l'a montré la députée Michèle Peyron dans son rapport Pour sauver la PMI, agissons maintenant ! Ils peuvent travailler dans la proximité. Toutefois, les consultations à domicile n'ont pas de cotation ni de valorisation.

L'efficacité d'un fin maillage territorial, des visites à domicile, des formations et des programmes a été prouvée.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Les données relatives au certificat de santé au huitième jour n'étant plus recueillies, faut-il y renoncer ou au contraire l'améliorer ?

Dr Michel Vernay. - Les données sont recueillies, mais elles ne sont plus compilées à l'échelle nationale depuis 2018 - la Drees en était chargée - en raison d'un problème de standardisation des données. De plus, certains conseils départementaux ne les transmettaient pas aux services centraux.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Je suis frappée par les chiffres relatifs au suicide, qui serait la première cause de mortalité des femmes en post-partum et par ceux qui montrent l'explosion de l'obésité, facteur de risque important.

Est-ce qu'un autoquestionnaire, à l'instar de celui qui peut être utilisé à l'hôpital Robert-Debré que nous avons visité, est un outil bien identifié par l'ensemble des hôpitaux ? Est-il promu auprès des femmes en post-partum ? Permet-il de réduire le risque de suicide ?

À l'occasion de cette visite, nous avons discuté de la prise en charge de l'activité physique et de l'alimentation de la femme enceinte pour lutter contre le risque d'obésité. Il existe des plans d'activité physique, mis en oeuvre par des éducateurs formés et des nutritionnistes, mais ils ne sont pas remboursés pour la femme enceinte. Selon vous, faudrait-il envisager une prise en charge par l'assurance maladie pour contenir l'explosion de l'obésité chez la femme enceinte ?

Les mères rentrent plus rapidement à leur domicile qu'auparavant. Le suivi de la grossesse est plutôt cadré et lisible, mais une fois à la maison, tout dépend du milieu social, du territoire, de la proximité d'une ville ou non. Les effets du retour précoce pour les parturientes les plus fragiles ont-ils été étudiés de près ?

Dr Arielle Le Masne. - Il existe plusieurs questionnaires de repérage dits EPDS (Edinburgh Postpartum Depression Scale), analogues à celui que vous avez eu entre les mains à l'hôpital Robert-Debré. Nous en proposons un sur le site internet 1000-premiers-jours.fr.

L'utilisation de ces questionnaires soulève des questions de fond : ce n'est pas la même chose d'y répondre dans la salle d'attente d'un service de soins - il y a souvent ensuite une discussion avec un professionnel - ou de le faire seule chez soi devant son ordinateur... De plus, comment sera ensuite orientée la patiente ?

De même que l'entretien prénatal précoce est un moment fondamental pour repérer les vulnérabilités des femmes, ces questionnaires standardisés constituent une aide précieuse au repérage pour les cliniciens, les sages-femmes et les autres professionnels de santé.

Les dispositifs de retour précoce sont variables selon les territoires. Nous ne pouvons qu'appeler à la continuité de la relation hôpital-ville, les services de PMI pouvant être le point central de ce maillage. Certains services de PMI sont intégrés à l'hôpital, comme au centre hospitalier universitaire (CHU) de Lille ou à Roubaix ; cela permet à la puéricultrice d'orienter les patientes. La continuité est une piste de réflexion, de même que le renforcement impérieux du nécessaire lien entre les aspects médicaux et sociaux.

Je n'ai pas d'information sur le remboursement des séances d'activité physique pendant la grossesse.

Mme Émilienne Poumirol. - Actuellement, elles ne sont pas remboursées, contrairement à l'activité physique adaptée (APA) pour les patients atteints de cancer.

Dr Michel Vernay. - Le risque d'obésité est pris en charge dans le suivi de la grossesse ; les équipes médicales y sont déjà vigilantes. L'obésité, c'est comme le tabac : il est plus facile de ne pas y entrer que d'en sortir. La priorité, c'est de prévenir l'obésité dans la population générale.

Il faut garder ce risque à l'esprit, car il aura des conséquences sur la grossesse, sur la santé de la femme et sur celle des enfants. Il faut travailler sur la prévention de l'obésité et accompagner les femmes pour en maîtriser le risque.

Dr Arielle Le Masne. - En résumé, nous souhaitons appeler votre attention sur l'importance des données pour comprendre les sujets sur lesquels vous travaillez et y répondre le plus finement possible, notamment pour la prise en charge des extrêmes prématurés ou les transferts in utero. Sans ces données, on ne peut formuler que des hypothèses pour identifier les leviers de prévention pertinents.

Nous souhaitons également appeler votre attention sur l'importance des recommandations pour la population générale, parce que les problèmes médicaux ne commencent pas à la grossesse, même si les femmes ont, au cours de cette période, un suivi médical serré et reçoivent beaucoup d'injonctions. Ce suivi est l'occasion de procéder à certains rattrapages, par exemple pour les jeunes adultes n'ayant pas eu beaucoup de rendez-vous médicaux.

Les autres points d'attention sont l'importance de la coordination du parcours de grossesse, la promotion de l'allaitement maternel, le soutien aux interactions précoces qui passe, pour les personnes les plus vulnérables, par le déploiement d'interventions de prévention précoces à domicile réalisées par les PMI et la nécessité de consolider les droits des futurs parents et d'être vigilant sur les nombreux petits territoires défavorisés.

Mme Alima Marie-Malikité. - Au-delà des réponses écrites à votre questionnaire, -que nous vous ferons rapidement parvenir - nous restons à votre disposition pour vous fournir d'autres informations spécifiques.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Je vous remercie.

La réunion est close à 15 heures.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.