Jeudi 21 mars 2024
- Présidence de Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente -
La réunion est ouverte à 14 h 35.
Audition de M. Dominique Libault, président du Haut Conseil du financement de la protection sociale
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Pour notre première audition en réunion plénière, nous accueillons cet après-midi M. Dominique Libault, président du Haut conseil pour le financement de la protection sociale (HCFIPS).
Je précise à l'attention de Monsieur Libault que cette mission est composée de vingt-trois sénatrices et sénateurs de tous groupes politiques. Elle a été créée à l'initiative du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, auquel appartient notre rapporteur Xavier Iacovelli.
Monsieur Iacovelli est empêché de se joindre à nous et vous prie de l'en excuser. Il est exceptionnellement remplacé par Nadège Havet, membre de son groupe.
Cette séance donnera lieu à un compte rendu écrit annexé à notre rapport. Son enregistrement vidéo sera disponible sur le site du Sénat.
Nous débutons avec Monsieur Libault une série d'auditions des principaux acteurs institutionnels concernés, qui nous permettront d'échanger avec la Direction de la sécurité sociale (DSS), la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM) et le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM). Nous entendrons également les représentants des organismes complémentaires, dans leur diversité, ainsi que les représentants des assurés et d'autres acteurs de la société civile.
En parallèle, des auditions sont conduites en format « rapporteur », plus technique. Tous les membres de la mission sont conviés à y participer. Nous avons reçu à ce jour des représentants des différentes fédérations hospitalières publiques et privées, ainsi que des organisations représentatives de plusieurs professions de santé.
Nos travaux portent sur les complémentaires santé et le pouvoir d'achat. Cette question conduit à s'interroger plus largement sur l'architecture de notre dépense de santé, les modalités de sa prise en charge et la répartition entre assurances maladie obligatoire et complémentaire.
Dans le rapport sur la solidarité et la protection sociale complémentaire collective que vous aviez rendu en 2015 à la ministre Marisol Touraine, vous affirmiez, Monsieur le Président, que la généralisation de la complémentaire santé collective aux salariés entraînerait une « transformation radicale du paysage de la protection sociale complémentaire » et qu'il fallait s'attendre « à une forte hausse des cotisations dans les contrats individuels ou à une dégradation de leur couverture santé ». La suite semble vous avoir donné raison et confirme, si c'était nécessaire, l'intérêt de cette audition.
Je vous remercie vivement de vous être rendu disponible pour nous partager avec nous votre expertise.
Nadège Havet vous fera part des questionnements du rapporteur. Je vous donnerai ensuite la parole durant une quinzaine de minutes, puis nous échangerons avec les autres membres de la mission que je remercie pour leur présence.
Mme Nadège Havet, au nom de M. Xavier Iacovelli, rapporteur. - Je saisis l'occasion de cette intervention pour souhaiter à cette mission d'information des suites aussi prometteuses que celle dont j'ai été rapporteure l'an dernier sur la rénovation écologique du bâti scolaire, et qui a abouti à une proposition de loi adoptée à l'unanimité par le Sénat puis, hier, par l'Assemblée nationale, en vertu d'un vote conforme.
J'en viens aux questions adressées par mon collègue à Monsieur Libault :
- De manière générale, que pensez-vous de la répartition des rôles entre assurances maladie obligatoire et complémentaire ? Notre système de prise en charge des dépenses de santé des assurés, fondé sur une action conjointe des assurances maladie obligatoire et complémentaire sur les mêmes soins, vous semble-t-il efficient ? À défaut, comment le faire évoluer ?
- Estimez-vous que le rôle des complémentaires santé devrait plutôt être d'agir en aval d'une intervention de l'assurance maladie obligatoire, ou pensez-vous qu'il faudrait donner aux complémentaires davantage de libertés pour rembourser des actes et produits que l'assurance maladie obligatoire ne prend pas en charge ?
- Les facteurs exerçant une pression à la hausse sur les charges des complémentaires santé vous paraissent-ils justifier le niveau des augmentations de cotisations constatées en 2024 ?
- Compte tenu de la situation financière de la branche maladie, des transferts de dépenses à l'assurance maladie complémentaire tel que celui opéré l'an dernier sur les soins dentaires vous semblent-ils souhaitables ? Nécessaires ? Dans l'affirmative, quel(s) champ(s) vous semblerai(en)t prioritaire(s) ?
- Enfin, dans son rapport pour des finances sociales soutenables, adaptées aux nouveaux défis de janvier 2022, le HCFiPS recommande de « mobiliser les débats sur le partage entre assurance maladie obligatoire et complémentaire pour rechercher une optimisation des frais de gestion du secteur des complémentaires santé » (recommandation n°11). Cette recommandation a-t-elle été suivie d'effets ? Comment expliquer le poids des frais de gestion dans les charges des complémentaires santé ? Comment ce poids pourrait-il être réduit ?
M. Dominique Libault, Président du Haut conseil pour le financement de la protection sociale (HCFiPS). - Je vous remercie pour cette audition. Je me sens très humble sur ce sujet, sur lequel d'autres spécialistes pourront mieux vous éclairer. Je pense notamment à la DREES, qui travaille chaque année sur les complémentaires santé. Le HCAAM a également étudié ces questions et envisagé en 2022 différents scénarios d'évolution ; ces travaux ont notamment démontré qu'en la matière, le passage de la théorie à l'action peut s'avérer difficile, au vu de la complexité du sujet et des intérêts en présence.
Pour restituer le paysage de départ, la santé en France est prise en charge à environ 80 % par l'assurance maladie de base, 13 % par les complémentaires santé et 7 % par les ménages.
La différence essentielle entre assurances maladie obligatoire et complémentaire touche à leurs modalités de tarification. Le système de base, monopolistique, fixe les cotisations en fonction du revenu : l'assuré contribue selon ses moyens et reçoit selon ses besoins. Les complémentaires sont soumises à la concurrence. Ce n'est pas leur faire injure de dire qu'elles facturent en fonction du risque ; l'âge constitue le critère essentiel, les tarifs augmentant avec l'âge de l'assuré.
Autre élément majeur : la répartition entre contrats collectifs et individuels au sein des complémentaires a récemment évolué, notamment à la suite de l'entrée en vigueur, en 2013, de l'accord national interprofessionnel (ANI) imposant aux entreprises du secteur privé de fournir une couverture complémentaire santé collective à leurs salariés. Un mouvement comparable est en cours dans le secteur public.
Cette évolution significative offre de nombreux avantages. Les coûts de gestion des contrats collectifs sont plus limités que ceux des couvertures individuelles. Les salariés bénéficient d'un co-financement de leur employeur. Le collectif permet également d'envisager davantage d'actions, telles que le déploiement de stratégies de prévention.
Cette évolution du collectif dans les complémentaires a néanmoins pour effet de restreindre la part de l'individuel, s'agissant tout particulièrement des séniors et, dans une moindre mesure, des indépendants.
Or, collectif et individuel sont gérés de manière très distincte. Selon la DREES, le collectif représente un enjeu de chiffre d'affaires significatif. Les complémentaires se battent pour décrocher ces marchés, sans nécessairement réaliser beaucoup de bénéfices sur cette activité : les contrats collectifs enregistraient en moyenne 3,9 % de déficit en 2022. Les complémentaires se rattrapent donc sur les contrats individuels, qui peur leur part dégagent en moyenne 4,1% d'excédents. Évidemment, ces chiffres interrogent : les séniors subissent des tarifs plus élevés en raison de leur âge et par l'effet du rattrapage opéré par les complémentaires sur les contrats individuels. Certaines personnes disposent probablement d'une assise financière permettant de supporter ces tarifs, mais notre pays compte de nombreuses personnes âgées aux revenus modestes, et la complémentaire santé solidaire (C2S) ne bénéficie qu'à celles qui disposent des revenus les plus faibles.
L'augmentation du coût de la complémentaire santé représente donc un véritable enjeu pour ces ménages. Selon les chiffres communiqués par les complémentaires, les revalorisations annuelles avoisinent généralement 7 à 9 %. Les réunions tenues sous l'égide de l'ancien ministre Aurélien Rousseau n'ont pas permis de geler ces augmentations qui, dans une certaine mesure, s'inscrivent dans la logique du système existant.
Or, la question de l'articulation entre assurance de base et complémentaire est aujourd'hui posée, certains questionnant l'opportunité d'étendre le rôle des complémentaires pour pallier les difficultés d'équilibre du régime obligatoire. Les chiffres du régime général ont en effet été divulgués hier : le déficit 2023 s'avère plus dégradé que prévu et, selon le Gouvernement, aucune perspective d'équilibre n'est attendue sur les années à venir.
Cette piste ne pourra néanmoins être envisagée tant que le problème des personnes âgées modestes n'aura pas été résolu. Par ailleurs, tout réflexion sur l'articulation entre assurance de base et complémentaire repose sur un arbitrage entre contributions fixées selon le revenu ou selon le risque, notamment l'âge ; or il s'agit d'approches totalement différentes.
Ce système est complexe. Nous établirions probablement un schéma totalement différent si nous devions le repenser ex-nihilo.
Les complémentaires évoquent des coûts de gestion assez élevés, d'environ 20 %, avec des écarts entre contrats collectifs et individuels mais également selon les trois familles de ce secteur : la mutualité, la prévoyance et les assureurs privés.
Les travaux de la Cour des comptes attestent qu'il est difficile de réguler certaines des activités financées par le système, telles que le dentaire ou l'optique. Dans un contexte concurrentiel, il est compliqué pour ces organismes de peser et négocier avec les acteurs qui les financent.
Du temps où j'exerçais les fonctions de directeur de la sécurité sociale, j'estimais qu'une liberté trop importante était source de problèmes. La question de l'étendue de la prise en charge des dépassements d'honoraires doit être posée. Rembourser sans limite reviendrait, d'une certaine manière, à encourager les dépassements d'honoraires. Or, les assurés n'ayant pas accès à ce type de contrat de complémentaire santé pourraient avoir des difficultés à accéder aux praticiens appliquant ces dépassements. Cette approche génèrerait par ailleurs des frustrations importantes, notamment chez les praticiens du secteur 1 qui, à activité égale, seraient moins rémunérés que ceux appliquant les dépassements d'honoraires.
Ces motifs ont conduit le Gouvernement d'alors à écarter la prisse en charge intégrale. Certaines sommes demeurent donc à la charge de l'assuré. Des contrats responsables ont également été instaurés, avec des incitations sociales et fiscales. La plupart des couvertures relèvent aujourd'hui de ces contrats « responsables ». La liberté totale ne peut être envisagée ; elle causerait de véritables difficultés au regard de nos objectifs de politique de santé, de rémunération des professionnels et d'accès aux soins.
Au vu des débats menés au sein du HCAAM, la réforme intégrale du système de santé ne semble pas être une piste réaliste. Il nous faut donc améliorer l'existant, et je crois que les questions que vous posez s'inscrivent dans cette perspective.
Comment donc optimiser le système actuel ?
L'un des axes récemment analysés par le HCFiPS concerne la lutte contre la fraude. Les assurances de base et les complémentaire santé échangent très peu à ce sujet. La fraude représente pourtant un réel défi dans les finances sociales. Son ampleur s'étend notamment par l'usage de techniques numériques, permettant aux fraudeurs d'usurper l'identité d'assurés, de professionnels de santé ou de fournisseurs à l'effet d'obtenir des solvabilisations. Ainsi, un travail important a été réalisé sous l'égide de ce Gouvernement pour améliorer la prise en charge des audioprothèses, ce qui est une bonne chose. Des fraudes importantes ont cependant été déplorées par la suite - allant jusqu'à l'invention de faux dossiers pour obtenir des prises en charge. Je déplore l'absence d'échanges sur ce type de sujets.
Ces coopérations ne peuvent avoir lieu faute de base juridique entre les régimes obligatoires, qui relèvent du service public, et les couvertures complémentaires soumises au droit de la concurrence. Cette question est actuellement à l'étude pour tenter d'élaborer une base juridique ad hoc. Le cadre des échanges devra en outre être sécurisé : les Français ne souhaitent pas que les données qu'ils confient à leurs assureurs se retrouvent dans la nature, et des exemples récents illustrent malheureusement la réalité de ce risque.
Quant aux frais de gestion, la question est effectivement importante et nous interroge. Différentes idées peuvent être explorées pour progresser à ce sujet. Nous pourrions par exemple subordonner les avantages sociaux et fiscaux attachés aux contrats responsables à un plafonnement, qui porterait soit sur le montant global des frais de gestion, soit sur des catégories ciblées telles que les frais d'acquisition - c'est-à-dire le montant des dépenses de publicité engagées par l'organisme.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Existe-t-il un moyen de réintroduire de la mutualisation, pour limiter les effets de la tarification selon l'âge, sans pour autant remettre l'ensemble du système à plat ?
M. Dominique Libault. - Je m'interroge sur la possibilité d'imposer un équilibre financier entre le collectif et l'individuel. On ne peut avoir un déficit sur le collectif qui serait gagé sur les marges dégagées par les contrats individuels. La faisabilité juridique de cette proposition doit toutefois être vérifiée.
La solidarité pourrait également résulter d'une limitation de la possibilité de différencier les tarifs en fonction de l'âge à un plafond, par exemple en introduisant une échelle de un à deux, mais pas plus.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Les séniors pourraient dès lors être en difficulté pour trouver une mutuelle.
M. Dominique Libault. - Moins demain qu'aujourd'hui. La différenciation des tarifs individuels est pour l'heure totalement libre.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Les mutuelles risqueraient d'éviter les assurés coûtant le plus cher si elles ne sont pas en mesure de compenser la dépense sur les cotisations facturées.
M. Dominique Libault. - Si, par le jeu de la concurrence, certaines complémentaires attirent plus de jeunes, ou même des jeunes séniors représentant peu de risques, tandis que d'autres accueillent des personnes âgées qu'elles ne peuvent facturer au juste prix, les secondes risquent effectivement de se retrouver en déficit. Il conviendrait donc d'instaurer un mécanisme de solidarité visant à compenser les inégalités de répartition entre les acteurs.
M. Bernard Fialaire. - Le ticket modérateur avait été introduit pour responsabiliser les assurés, mais avec l'arrivée des mutuelles et l'instauration du tiers payant, plus personne n'est responsabilisé ni ne sait combien coûtent ses frais de santé.
Les frais de gestion de la sécurité sociale sont très largement inférieurs aux 20 % enregistrés par les complémentaires, puisqu'ils s'élèvent à environ 4 % - chiffre que les mutuelles estiment sous-évalué. Aussi, estimez-vous qu'une sécurité sociale universelle, couvrant l'ensemble des dépenses de santé, serait financièrement plus efficiente que le système actuel ? Des « supplémentaires santé » permettraient, dans cette hypothèse, pour les assurés qui le souhaiteraient, de couvrir certaines dépenses non prises en charge. Il faut en effet reconnaître qu'actuellement, les relations avec la sécurité sociale ne sont pas toujours fluides.
M. Dominique Libault. - La complexité ne réside pas tant dans le taux de remboursement des dépenses de santé par l'assurance maladie de base, mais plutôt sur le fait que le système repose sur deux payeurs distincts. Nous pourrions donc simplifier la donne avec un payeur unique. Je pense que l'assurance de base parviendrait à gérer un tel système.
Ce scénario, qui avait été étudié par le HCAAM, comporterait néanmoins des limites, dans la mesure où certains frais ne seraient pas intégralement remboursés par la couverture obligatoire. Je pense par exemple à l'hospitalisation en chambre individuelle ou à l'optique. Les complémentaires se prévalent de cet argument pour affirmer qu'il est illusoire de croire que le régime pourrait être totalement unifié.
La liberté de désigner un assureur complémentaire à même d'assumer les coûts non pris en charge par la sécurité sociale relève des droits fondamentaux des assurés. Ce droit subsistera, car il n'est pas possible de priver l'individu de la possibilité d'obtenir des prestations complémentaires si le panier de base ne satisfait pas ses besoins.
Nous maintiendrions donc une architecture comparable au système existant, qui serait néanmoins beaucoup moins onéreuse, car je pense que le taux de 4 % que vous évoquez est exact.
M. Bernard Fialaire. - Ce schéma règlerait le problème des inégalités tarifaires, puisque le système contributif dépendrait du revenu.
M. Dominique Libault. - Ce scénario serait effectivement plus solidaire que le système concurrentiel actuel.
M. Serge Mérillou. - Les 20 % de coûts de gestion me paraissent exorbitants, mais je ne suis pas spécialiste en la matière.
Les bénéfices réalisés par les complémentaires semblent relativement confortables. Ce secteur très concurrentiel attire une multitude de mutuelles ; il devrait donc naturellement se réguler par le jeu de la concurrence. Pour autant, je peux personnellement attester qu'il est difficile, pour un particulier, d'identifier l'offre correspondant à ses besoins parmi le maquis des solutions proposées, même à l'aide d'un comparateur. J'ai donc le sentiment, peut-être erroné, que la concurrence ne joue pas réellement et que ce secteur rapporte beaucoup d'argent. Il convient donc d'y regarder de plus près, car ce sujet touche tous les Français.
Pour revenir sur la chambre individuelle, j'estime au contraire qu'il ne s'agit pas d'un luxe démesuré. Elle devrait être incluse dans le panier de base de la sécurité sociale.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Il me semble que les établissements de santé offrent des chambres individuelles prises en charge par l'Assurance maladie.
M. Serge Mérillou. - Pas nécessairement.
M. Dominique Libault. - De nombreux établissements facturent encore des surcoûts en chambres individuelles. J'estime que certaines prestations resteront toujours exclues du panier de base et justifieront l'existence d'assurances complémentaires, mais l'exemple de la chambre individuelle n'était probablement pas pertinent.
M. Serge Mérillou. - J'ai personnellement constaté que les professionnels de santé ne s'intéressent à votre mutuelle que lorsqu'il s'agit d'évoquer le dépassement d'honoraires. Il existe un maquis d'approches différentes de la part des praticiens. Ce domaine manque totalement de transparence.
M. Dominique Libault. - Les 20 % de charges de gestion que j'évoquais sont extraits du rapport 2023 de la DREES sur la situation financière des organismes complémentaires assurant une couverture santé, en page 45. Je partage votre étonnement quant au caractère élevé de ce ratio et c'est la raison pour laquelle je propose des idées pour tenter de l'atténuer.
Ce rapport fournit également des données afférentes à la rentabilité des organismes. La profitabilité diffère selon les assureurs mais, de manière générale, elle n'est pas significative. Il existe par ailleurs un fort mouvement de concentration des acteurs, qui s'explique par la difficulté des petites mutuelles à survivre avec les conditions de tarification existantes.
Je partage par ailleurs votre opinion sur le « maquis » auquel l'assuré se sent confronté.
Le degré de solvabilisation autorise le dépassement d'honoraires. Par ailleurs, cette option permet parfois aux praticiens - même s'il ne s'agit pas d'en faire une généralité - de financer des choix de vie : grâce aux dépassements d'honoraires, le professionnel pourra réduire ses heures d'activité. Ces approches ne s'inscrivent pourtant pas dans le sens des objectifs d'accès aux soins poursuivis par les pouvoirs dans certains territoires et/ou segments sur lesquels les besoins médicaux de la population sont insuffisamment pourvus. Personne n'envisage de supprimer ce système, qui existe depuis 1980 ; mais la régulation des dépassements d'honoraires, notamment via le développement de l'Optam (option pratique tarifaire maîtrisée), permet d'assurer une meilleure maîtrise de cet enjeu important du système d'accès aux soins et de financement des dépenses de santé de notre pays.
M. André Reichardt. - J'ai eu l'opportunité d'assister aux travaux de parlementaires en mission sur la lutte contre les fraudes aux prestations sociales. Cette mission avait été confiée à notre collègue Nathalie Goulet ainsi qu'à Carole Grandjean, avant qu'elle devienne ministre chargée de l'enseignement et de la formation professionnelle. Le rapport remis au Gouvernement pointait les différentes les différentes catégories de fraude, y compris la fraude sociale transfrontalière.
À la grande déception des deux auteures, et malgré leurs six mois de travail, le rapport a finalement été enterré au motif que les chiffres qui y figuraient étaient erronés. Je peux pourtant vous assurer que cette fraude transfrontalière existe, notamment avec l'Allemagne, et dans une moindre mesure la Suisse.
Lorsqu'il était ministre en charge des comptes publics, M. Attal était disposé à s'attaquer à ce sujet, et il semble que son successeur le soit également. Pouvez-vous nous apporter des précisions ? Je sais que ce sujet n'est pas populaire, car il concerne tant les acteurs de la santé que les patients.
M. Bernard Fialaire. - Il n'est pas populaire auprès de ceux qui fraudent...
M. André Reichardt. - Ces fraudeurs mécontents semblent néanmoins constituer un certain matelas d'électeurs, selon le rapport.
Je suis élu alsacien. Notre régime local est géré par une instance de gestion exclusivement composée de syndicats de salariés. En 2013, cette instance avait sollicité les parlementaires pour obtenir une dérogation à la mise en application de l'ANI à l'Alsace et la Moselle. Elle demandait que la partie du panier de soins instituée par l'ANI soit ajoutée à ses compétences, et nous alertait sur le fait qu'à défaut, nous verrions les mutuelles s'enrichir en facturant des coûts de gestion extrêmement élevés, alors que l'instance de gestion évoquait pour sa part un taux de l'ordre de 6 %. Cette proposition n'a pu être mise en oeuvre. Le Conseil constitutionnel a en effet estimé que si le régime local évoluait, il devait le faire dans le sens du régime général, et non l'inverse.
Nous connaissons donc un triple pallier - 70 % pour l'assurance « de l'intérieur », 90 % concernant le régime local, et celui résultant de l'entrée en vigueur de l'ANI - sans qu'il n'y ait trois services différents. Et je précise que le régime local d'assurance maladie couvre l'ayant-droit, sa famille et le retraité, au même tarif !
Puisqu'il est question de rechercher des économies, peut-être devrions-nous étudier ce système, qui couvre toutes les dépenses de santé, même si l'idée n'est pas nécessairement de le reproduire en dehors des départements concernés. D'autant que dans certains endroits, le lien entre mutuelle et régime local d'assurance maladie n'est pas toujours patent ; l'assuré doit restituer toutes ses attestations d'assurance, faute de quoi il peut perdre sa prise en charge. J'ai néanmoins conscience qu'un mouvement en ce sens serait, lui aussi, peu populaire auprès des mutuelles.
Je terminerai par une question afférente aux bancassurances, qui obéissent à une logique différente. Nous constatons que les grands groupes bancaires investissent de plus en plus ce secteur. Pouvez-vous nous éclairer à ce sujet ?
M. Dominique Libault. - L'évaluation de la fraude transfrontalière représente un véritable enjeu, bien que je sois incapable de l'évaluer.
Beaucoup de chiffres circulent, au point parfois de susciter des conflits. Gabriel Attal avait effectivement annoncé la création d'un Conseil de l'évaluation des fraudes, initiative reprise par son successeur Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics
L'URSSAF, pionnière sur ces questions, tente depuis plusieurs années d'évaluer la fraude liée au travail dissimulé. Le HCFiPS assure une fonction d'observatoire du travail dissimulé et apporte sa contribution à cette réflexion en publiant régulièrement une note recensant les données disponibles en la matière, publiée sur son site internet.
Étant par ailleurs directeur de l'École nationale supérieure de sécurité sociale (E3S), j'ai initié un groupe de travail dédié aux sujets transfrontaliers. Il est constitué d'élèves et du sous-directeur d'une CPAM frontalière. J'estime en effet que la lutte contre la fraude requiert une collaboration entre les différentes administrations. Ces échanges se sont améliorés à l'échelle nationale, mais tel n'est pas le cas au niveau transnational, y compris au sein de l'Europe. Or, certaines possibilités de fraude ne peuvent pas être repérées en l'absence de coopération entre les pays concernés.
J'ai beaucoup de sympathie pour le régime d'Alsace-Moselle. J'échange régulièrement avec la directrice de la CARSAT locale. C'est en effet la CARSAT qui est l'unique gestionnaire du régime local, ce qui explique les frais de gestion peu élevés. Ce système intéressant est peu étudié, y compris sur la question de savoir combien d'Alsaciens et de Mosellans désignent une mutuelle en complément du régime local. Le risque de sur-tarification des complémentaires existe effectivement, car elles doivent tenir compte des remboursements déjà proposés par le régime local et adapter corrélativement leur couverture. Pour autant, il semble que le régime local soit considéré comme relevant des prélèvements obligatoires, ce qui suffit généralement à éteindre les discussions afférentes à sa possible généralisation.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Les inactifs cotisent-ils au régime local ?
M. Dominique Libault. - Oui. Le système de cotisation est proche de celui du régime de base, et donc avantageux pour l'inactif.
Les bancassurances gagnent des parts de marché de manière efficace car leur contact préexistant avec la clientèle facilite la souscription de leurs propositions d'assurance. Je ne peux vous apporter davantage d'informations à ce sujet.
M. Bernard Fialaire. - Savez-vous si des études ont été réalisées concernant la réserve prudentielle des mutuelles ? Elle est souvent investie dans des actifs immobiliers, ce qui peut parfois fausser légèrement le marché, car elles n'ont pas intérêt à ce que les valeurs soient trop basses.
M. Dominique Libault. - Je n'ai pas analysé ce sujet. L'ACPR dispose probablement de données en la matière.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Nous pourrons effectivement l'interroger concernant l'état de la réglementation applicable aux divers régimes juridiques des complémentaires, dans la diversité de leurs régimes juridiques, et au sujet des contrôles.
En synthèse, la réintroduction de la solidarité et l'amélioration de l'efficacité du système de santé sont finalement des questions récurrentes, qu'il nous faudra creuser. Nous nous intéresserons aussi à la transparence de l'information délivrée aux assurés. Les échanges de données entre administrations et l'hypothèse d'un payeur unique font également partie de nos interrogations.
M. Dominique Libault. - La solidarité figurait au coeur du rapport que vous citiez, Madame la Présidente. Ces travaux ont fait suite à l'invalidation d'une disposition datant de 1994 afférente aux clauses de désignation, qui permettaient de désigner une institution de prévoyance unique pour tous les salariés relevant d'une même branche. Les partisans de cette loi mettaient en avant son caractère solidaire, dès lors que l'ensemble des salariés, quel que soit leur âge ou risques, auraient bénéficié d'un même tarif. Le Conseil constitutionnel a néanmoins estimé qu'il existait un risque de collusion, les institutions de prévoyance étant jugées par des partenaires sociaux, et que l'enjeu de solidarité ne paraissait pas suffisamment caractérisé pour justifier une atteinte à la liberté d'entreprendre.
Mon rapport de 2015 prenait acte de cette décision, tout en posant la question de la manière dont nous pourrions appréhender la réalité et notamment le risque que la tarification soit de plus en plus calculée selon l'âge du salarié, aboutissant à créer des écarts importants. Je n'ai pas connaissance d'études qui se soient à nouveau intéressées à cette question depuis lors.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente. - Je vous renouvelle nos remerciements, Monsieur le Président.
La réunion est close à 15 heures 35
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.