- Mercredi 22 novembre 2023
- Projet de loi de finances pour 2024 - Désignation d'un rapporteur pour avis
- Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Défense » - Programme 144 - Environnement et prospective de la politique de défense - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Défense » - Programme 146 - Équipement des forces - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Défense » - Programme 178 - Préparation et emploi des forces - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Défense » - Programme 212 - Soutien de la politique de la défense - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Sécurités » - Programme 152 - Gendarmerie nationale - Examen du rapport pour avis
- Organismes extraparlementaires - Désignations
- Questions diverses
Mercredi 22 novembre 2023
- Présidence de M. Cédric Perrin, président -
La séance est ouverte à 9 h 35.
Projet de loi de finances pour 2024 - Désignation d'un rapporteur pour avis
M. Cédric Perrin, président. - Nous examinons notamment ce matin les quatre rapports pour avis sur la mission « Défense ». Notre collègue Joël Guerriau n'étant plus en situation d'être le co-rapporteur pour avis de notre commission sur le programme 212 « Soutien de la politique de la défense », il nous revient de nommer un nouveau rapporteur. Le groupe Les Indépendants- République et Territoires m'a informé de la candidature de M Jean-Pierre Grand. Je soumets donc cette candidature à la commission.
La commission désigne M. Jean-Pierre Grand, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs au soutien de la politique de défense.
Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Défense » - Programme 144 - Environnement et prospective de la politique de défense - Examen du rapport pour avis
M. Cédric Perrin, président. - Nous commençons par l'examen du rapport pour avis de Pascal Allizard et Gisèle Jourda sur le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » de la mission « Défense » du projet de loi de finances pour 2024.
Mme Gisèle Jourda, rapporteure pour avis. - Je vais commencer en vous donnant lecture de l'intervention de mon collègue co-rapporteur Pascal Allizard qui est actuellement à Erevan pour participer aux travaux de l'assemblée parlementaire de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE)
La loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030 que nous avons votée cet été consacre l'innovation en tant qu'axe prioritaire d'effort pour les sept années à venir.
Le projet de loi de finances (PLF) pour 2024, première année de sa mise en mise, devrait permettre de consolider les acquis de la programmation précédente dans ce domaine.
Ce projet de budget contient indéniablement des motifs de satisfaction.
En premier lieu, pour la troisième année consécutive, les crédits consacrés aux études amont dépasseront le milliard d'euros. 1,017 milliard d'euros sont ainsi inscrits au titre de ces études qui, je le rappelle, jouent un rôle clé dans la détermination des capacités futures de nos armées et donc du maintien de leur supériorité opérationnelle. Ces crédits permettront de lancer ou de poursuivre des études dans les 10 domaines prioritaires identifiés dans la LPM parmi lesquels les armes à énergie dirigée, l'hypervélocité, l'intelligence artificielle, les nouvelles technologies de l'énergie ou encore le quantique.
En deuxième lieu, une enveloppe de 190 millions d'euros en autorisations d'engagement est prévue au titre du financement de démonstrateurs, en particulier de projets d'envergure. Il s'agit d'une avancée notable, qui était appelée de ses voeux par la commission.
Les armées que nous avons interrogées nous ont indiqué que les priorités tant en matière d'études amont que de démonstrateurs, les deux étant évidemment liés, répondaient à leurs besoins ainsi qu'aux défis posés par les grandes ruptures technologiques à venir.
En troisième lieu, les crédits consacrés à l'analyse stratégique et à la diplomatie de défense seront également en progression. Cette évolution était évidemment plus que nécessaire au regard de la dégradation du contexte stratégique.
Nous donnons donc acte au Gouvernement de sa volonté de poursuivre l'effort engagé depuis 2019 dans ces différents domaines.
Plusieurs points de vigilance doivent cependant être relevés.
Tout d'abord, il est prévu une diminution des crédits consacrés aux études amont hors dissuasion de l'ordre de 15 millions d'euros. Cette baisse est certes justifiée par le ministère par la variation de la répartition des crédits d'une année sur l'autre ou encore la prise en compte des niveaux d'exécution du dispositif RAPID et du Fonds innovation défense, les entreprises privilégiant, semble-t-il, les appels à projets aux subventions. Nous serons cependant attentifs à l'évolution de cet indicateur, tant le soutien à nos entreprises de défense, notamment les plus petites d'entre elles, est clé, j'y reviendrai.
Le deuxième point de vigilance concerne l'enveloppe consacrée aux démonstrateurs. Certains de nos interlocuteurs se sont en effet interrogés sur ce niveau de crédits au regard du coût, parfois très élevé, de plusieurs de ces projets. Nous devrons donc être attentifs à ce que l'ensemble des 15 démonstrateurs d'envergure prévus dans le cadre de la programmation soient bien réalisés ou, s'ils ne le sont pas, que leur abandon soit justifié par une évolution documentée des besoins.
Le troisième point de vigilance est lié aux deux premiers. La LPM programme un niveau de besoin en matière d'études amont hors dissuasion s'élevant à 7,5 milliards d'euros d'ici 2030. Avec 795 millions d'euros inscrits dans le présent PLF, l'effort dans ce domaine devra donc être significativement accentué dans les années à venir. La chronique d'évolution des crédits d'études retenue dans le cadre de la LPM prévoit une inflexion à partir de 2026. Nous serons par conséquent vigilants à ce que cela soit bien le cas, tant les besoins sont importants.
Enfin, le dernier point de vigilance concerne l'accès au financement des entreprises du secteur de la défense, sujet sur lequel la commission a été précurseur. Nous constatons que si le diagnostic est désormais globalement partagé et que des initiatives publiques et privées ont été engagées pour lever un certain nombre de freins, des difficultés persistent. L'article 49 quindecies du présent PLF, qui reprend un amendement de nos collègues députés Thomas Gassilloud, Jean-Louis Thiériot et Christophe Plassard, réintroduit le dispositif que nous avions voté dans la LPM de fléchage d'une partie de l'encours du livret A vers les entreprises de la base industrielle et technologique de défense, dispositif qui avait été, de manière surprenante, censuré par le Conseil constitutionnel. Il s'agit d'une avancée notable que nous soutenons.
J'en viens maintenant aux principaux constats et recommandations concernant les moyens de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et de la Direction du renseignement et de la sécurité de défense (DRSD) dont les crédits de fonctionnement, d'investissement et d'intervention relèvent du programme 144.
Je précise à ce stade que les crédits de personnel de ces deux directions entrent dans le champ de compétence du programme 212, mais nous pourrons évoquer et donc porter un regard croisé sur certains constats relatif à l'évolution des effectifs et leur composition particulière en termes de répartition entre emplois militaires et emplois civils contractuels. Les sujets de recrutement, d'attractivité et de fidélisation nécessitent évidemment des réponses coordonnées.
Pour en revenir aux crédits proprement dit, je dois ici commencer par remarquer que cette première année d'application de la LPM 2024-2030 ne reflétera pas l'effort très important annoncé pour les besoins programmés du renseignement. Je rappelle que la LPM que nous avons adoptée prévoit plus de 5 milliards d'euros pour la période 2024-2030, contre 3,5 milliards d'euros pendant la précédente LPM.
Or, avec 476 millions d'euros de crédits de paiement programmés pour 2024 les crédits de fonctionnement, d'investissement et d'intervention, resteront au même niveau que ceux de l'année 2023. Pour autant, la DGSE comme la DRSD que nous avons auditionnées nous ont dressé le tableau d'une activité opérationnelle en progression, qu'il s'agisse soit de la réforme de leur organisation pour la DGSE, dans un contexte de bouleversement des zones géographiques prioritaires en Afrique et en Europe orientale, ou de projets structurants sur la durée de la LPM. En voici quelques exemples.
S'agissant de la DGSE, la priorité est donnée au déménagement vers le Fort Neuf de Vincennes pour lequel la notification du marché va intervenir avant la fin de l'année 2023, pour un démarrage du chantier en 2025 et une livraison en 2030. L'enjeu ne se limite pas à une opération immobilière car il doit permettre de regrouper et d'optimiser en un lieu unique et plus fonctionnel l'ensemble des moyens humains et technique de cette direction. Ce projet porte notamment une grande ambition sur l'attractivité et la fidélisation des personnels. À ce stade, le coût de l'opération est estimé à 1,34 milliard d'euros dont un dépassement de 184 millions d'euros d'ores et déjà imputé à l'inflation.
S'agissant de la DRSD, certaines problématiques communes de conditions de travail devrait se résorber dans la livraison en 2024 d'un nouveau bâtiment au siège historique du Fort de Vanves et, surtout, sur le plan technologique, d'une nouvelle base de souveraineté, dénommée SIRCID, ainsi qu'un programme d'automatisation du traitement des demandes d'enquêtes administratives dont le nombre, 390 000 en 2023, devrait atteindre 480 000 dès la fin 2024.
Ces quelques exemples permettent d'illustrer le fait que l'activité de ces services ne va pas se stabiliser en 2024. Simplement, la temporalité de ces projets, qui s'inscrit sur toute la durée de la LPM, fait que ce sont d'abord les crédits en autorisations d'engagement (AE) qui vont augmenter dès 2024 de plus 15,6 % avec 540 millions d'euros contre 467 millions d'euros en 2023.
C'est par ailleurs davantage en termes d'effectifs que l'effort de la LPM doit être porté dès 2024. Ainsi, en intégrant les crédits de titre 2 (dont je rappelle qu'ils relèvent du programme 212), le total des crédits de paiements s'établit pour la DGSE et la DRSD à 988 millions d'euros contre 934 millions d'euros en 2023, soit une progression de 5,8 %. Celle-ci est retracée par une augmentation tangible des plafonds d'emplois à hauteur de 7 652 équivalents temps plein travaillé (ETPT) répartis ainsi qu'il suit : 5 987 ETPT pour la DGSE (+ 264 par rapport à 2023) et 1665 ETPT pour la DRSD (+ 55 par rapport à 2023).
Mais là encore, il s'agit d'une prévision qui sera ne sera atteinte qu'au prix d'une évolution des conditions de recrutement, notamment dans le domaine de spécialité cyber, et dans le ratio d'emplois militaires et civils. Ainsi, ce ratio qui était traditionnellement de 30 % de militaires et de 70 % de civils à la DGSE tend progressivement vers du 20 % de militaires et 80 % de civils du fait de la raréfaction du vivier notamment des sous-officiers dans lequel puise le service.
Par ailleurs, le constat de la pénurie de techniciens et d'ingénieurs cyber touche toutes les composantes des armées au même titre que le marché de l'emploi civil. C'est un sujet qui est traité au cas par cas en termes d'attractivité des rémunérations, au risque de créer une concurrence entre les différentes directions. C'est une problématique d'évaporation des compétences mais aussi de préservation de la confidentialité des travaux.
À cet égard, je ne peux que réitérer la recommandation que mon prédécesseur, Yannick Vaugrenard, avais déjà formulée en faveur d'une coordination entre services sur une grille et une politique de rémunération des services de renseignement du premier cercle sous l'égide du coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT).
Sous bénéfice de ces observations propres au programme 144, avec mon collègue Pascal Allizard, j'aurai donc à me prononcer favorablement sur les crédits de la mission « Défense », sous réserve des observations de nos collègues rapporteurs des autres programmes.
M. Cédric Perrin, président. - Lors du vote de la LPM au mois de juillet dernier, nous avons insisté sur la nécessité de flécher une partie des crédits d'études amont vers les PME et les ETI, partant du constat qu'il y avait un problème de financement vers ces entreprises. Il est en effet difficile d'identifier les flux qui concernent ces entreprises et ceux qui bénéficient aux sept grands industriels. Sans pouvoir mentionner un montant, notre objectif était de tendre vers 10 % des crédits d'études amont. La Direction générale de l'armement ou l'Agence de l'innovation de défense estiment ne pas disposer à l'heure actuelle des outils pour quantifier ces flux, mais je crois nécessaire de rappeler dans ce rapport notre vigilance quant au fléchage d'une partie des crédits vers les 4 000 PME et ETI du secteur de la défense. Par ailleurs, nous devons rappeler dans ce rapport notre vigilance concernant les sources de financement des organisations non-gouvernementales qui font pression sur les conseils d'administration de certaines banques, notamment françaises. J'ai encore eu l'exemple cette semaine d'une entreprise fabriquant des munitions et qui ne parvient pas à obtenir des financements pour développer son activité.
Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Défense » - Programme 146 - Équipement des forces - Examen du rapport pour avis
M. Hugues Saury, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs à l'équipement des forces. - Même si nous l'avons adoptée, le regard porté sur la nouvelle loi de programmation militaire (LMP) 2024-2030 est nécessairement nuancé. Si cette dernière met un terme à de longues années d'affaissement de notre défense et peut être considérée comme une loi de « redressement », son ampleur fait encore débat. Certes, une impulsion a été donnée qui devrait permettre de sauvegarder les programmes d'intérêt majeur et de développer des capacités dans de nouveaux champs de conflictualité, mais trois questions n'ont, en réalité, pas été pleinement résolues à ce stade.
Le modèle d'armée tout d'abord. Il a été repensé, mais son volume ne permettra pas à la France de retrouver le poids qu'elle avait jusque dans les années 1990 dans la défense de l'Europe face au pacte de Varsovie. La nouvelle LPM, malgré les sommes en jeu, acte une forme de déclassement de notre pays dans les armements lourds, qui pose question au regard de notre statut de puissance européenne et de membre du Conseil de sécurité de l'ONU.
La capacité à supporter un choc de haute intensité ensuite. Celle de notre pays ne devrait pas être radicalement modifiée par la nouvelle LPM, comme en témoignent l'insuffisance des munitions et les difficultés à passer véritablement, ainsi que cela a été annoncé, à une « économie de guerre ».
Les grands projets de coopération enfin. L'année 2025 pourrait être décisive pour le renouvellement de nos programmes nationaux de blindés lourds et d'avions de combat, compte tenu des incertitudes qui entourent les coopérations engagées avec notre partenaire allemand.
Ces trois limites majeures à la LPM 2024-2030 rendent inéluctable la poursuite du travail de réflexion sur l'avenir de notre politique de défense, tant en ce qui concerne ses objectifs que ses moyens. Ce travail est d'autant plus nécessaire que, en l'absence de Livre blanc, il n'a pas été véritablement mené.
La première année de mise en oeuvre de la LPM est conforme aux engagements. Les crédits du programme 146 s'établiront en crédits de paiement (CP) à 16,59 milliards d'euros en 2024, ce qui représente une augmentation de 7,9%, et les autorisations d'engagement (AE) s'élèveront à 24,39 milliards d'euros.
L'année 2024 verra la livraison de plusieurs équipements majeurs : 13 Rafales, 10 Mirages 2000 D rénovés, 2 Airbus A400M, 1 sous-marin nucléaire d'attaque, 1 frégate de défense et d'intervention (FDI), 138 véhicules blindés Griffon et 103 véhicules blindés Serval, 21 chars Leclerc rénovés, 12 canons Caesar, etc. La force de dissuasion nucléaire poursuivra sa modernisation.
Malgré cette liste, qui de prime abord peut paraître importante, le PLF pour 2024 traduit seulement l'amorçage de l'ajustement de l'effort capacitaire. Il a certes été bien accueilli par les industriels de l'armement, mais ceux-ci restent préoccupés par la santé de leurs sous-traitants. Parmi nos recommandations, nous préconisons de faire de la consolidation du tissu de sous-traitants de la BITD une priorité afin de favoriser l'innovation, de développer l'exportation et d'assurer la pérennité des entreprises possédant des compétences stratégiques ; j'ajoute de veiller, pour les plus sensibles d'entre elles, à leur indépendance à l'égard des pays non européens. C'est notre première recommandation.
Il nous apparaît également indispensable, en complément des moyens dédiés au soutien à l'industrie nationale, de consacrer une partie significative des crédits de la LPM réservés à l'innovation aux entreprises de taille intermédiaire (ETI), notamment celles qui pratiquent des innovations d'architecture. C'est notre deuxième recommandation.
Ces deux priorités répondent plus généralement à la nécessité d'accélérer le passage à l'économie de guerre.
Celle-ci se caractérise par une forte réactivité, un niveau de stocks suffisant pour assurer la « masse » et une souveraineté dans les capacités de production et les circuits d'approvisionnement en matières premières, garantissant une autonomie de décision.
Aucun de ces trois critères n'est aujourd'hui pleinement satisfait, ce qui rend le recours à l'expression « économie de guerre » infondé. Elle n'est pas en 2023 une réalité et ne le sera pas davantage en 2024. Les délais de production demeurent beaucoup trop longs compte tenu des menaces, les stocks n'ont pas véritablement été reconstitués au niveau des besoins générés par la haute intensité, et la dépendance demeure forte concernant certaines matières premières.
Le PLF pour 2024 prévoit un effort accru de 35 % sur les munitions, avec 1,5 milliard d'euros de CP, mais nous considérons que ces moyens demeurent très insuffisants au regard des exigences des combats de haute intensité.
Les livraisons d'obus de 155 mm, par exemple, devraient atteindre un total de 20 000 unités en 2024, soit l'équivalent d'à peine quatre jours de consommation des armées ukrainiennes. Alors que nos alliés ont relancé massivement la production de munitions, il est donc urgent que l'État s'engage sur des commandes de munitions beaucoup plus importantes afin de permettre le développement des capacités de production.
Notre troisième recommandation vise ainsi à reconstituer des stocks de munitions compatibles avec les standards de consommation observés lors des engagements de haute intensité, en particulier pour l'artillerie.
La situation n'est pas très différente concernant les commandes de missiles. Le fabricant franco-britannique MBDA a proposé à l'état-major français de négocier des modalités de livraisons ultrarapides de missiles sans pouvoir trouver jusqu'à présent un accord. Nous estimons que le passage à l'économie de guerre exige l'adoption de ces modalités particulières de livraison. C'est notre quatrième recommandation.
Malgré les sérieuses réserves que je viens de formuler sur le passage à l'économie de guerre, je proposerai - parce qu'ils sont conformes à la LPM que la commission donne un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 146.
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure pour avis sur les crédits relatifs à l'équipement des forces. - Je partage l'avis et les inquiétudes de mon collègue corapporteur. Nous ne pouvons qu'approuver un budget en hausse, qui, de surcroît, respecte la LPM, mais nos inquiétudes portent à la fois sur l'avenir et la cohérence de notre politique de défense, et sur le passage à l'économie de guerre de notre pays, lequel n'est à ce stade pas effectif. C'est dans cet état d'esprit que nous suggérons un certain nombre de propositions.
Faute d'avoir réalisé un Livre blanc en temps utile, nous n'avons pas changé d'approche et la LPM ne pose pas véritablement les bases du passage à une économie de guerre qui supposerait que l'État lance des commandes pour permettre aux industriels d'accroître leurs capacités de production.
On le voit en particulier sur le soutien apporté à l'Ukraine, pour lequel nous demeurons en retrait de nos alliés, même si l'Assemblée nationale vient de renouveler la dotation de 200 millions d'euros pour l'achat de matériels français par les autorités ukrainiennes. Il en va de même pour l'Arménie et les autres démocraties issues de l'ex-URSS qui attendent notre aide. Ne répétons pas les erreurs commises avec l'Ukraine, consistant à livrer tardivement des équipements qui sont immédiatement nécessaires et à réduire de manière dangereuse les stocks dont disposent nos propres armées. Nous incitons donc le Gouvernement - c'est notre cinquième recommandation - à développer nos exportations dans les pays de l'est de l'Europe qui souhaitent intégrer l'Union européenne et l'Otan. Nous souhaitons également que la livraison des systèmes d'artillerie Caesar à l'Arménie soit étudiée compte tenu de l'efficacité de ce matériel et des nouvelles capacités de production de Nexter en 2024. Pour rappel, la production est passée de 2 à 6 unités par mois, avec des pics possibles à 8.
Cet effort a une double vertu : contribuer à notre sécurité par l'aide que nous apportons et développer nos capacités de production.
Nous avons souhaité par ailleurs nous arrêter plus particulièrement cette année sur deux programmes majeurs conduits avec nos partenaires allemands, concernant le char et l'avion de combat du futur. Sans remettre en cause l'intérêt de développer des coopérations avec l'Allemagne, force est de constater que l'absence de synchronisation dans les calendriers de renouvellement de ces équipements, les divergences stratégiques persistantes sur la définition des besoins et des intérêts économiques concurrents obèrent les perspectives de passage à l'étape de la production et pourraient fragiliser notre capacité de défense sur la période 2030-2050.
L'audition du ministre des armées le 11 octobre 2023 n'a pas permis de répondre à toutes les questions soulevées par le programme relatif au système principal de combat terrestre (MGCS, Main Ground Combat System). On ne peut ignorer le caractère politique de l'accord obtenu à Évreux entre la France et l'Allemagne, qui ne repose sur aucune stratégie industrielle partagée, ce qui pose question quant à l'avenir de notre capacité blindée à moyen terme. Une feuille de route définissant les priorités technologiques et industrielles apparaît indispensable pour les industriels.
Certes, le programme MGCS a été relancé cet automne et on ne peut que se féliciter du choix qui a été fait de recourir à la méthode des piliers, qui a montré son utilité pour le système de combat aérien du futur (Scaf). Pour autant, l'horizon de ce programme reste encombré par de nombreux nuages : des doutes sur l'intérêt des industriels allemands perdurent, le Gouvernement allemand privilégie une solution associant Rheinmetall à Krauss-Maffei Wegmann (KMW) et le calendrier accuse un retard substantiel puisque la première capacité opérationnelle n'est pas attendue avant 2040-2045.
Dans ces conditions, il faut impérativement préparer dès maintenant des évolutions supplémentaires du char Leclerc, d'autant que la mise à niveau dont il fait l'objet aujourd'hui -21 exemplaires rénovés seront livrés en 2024- ne lui permettra pas d'être prolongé jusqu'à 2040-2045. Parmi les scénarios envisageables, deux sont à examiner de plus près : une rénovation complète des chars Leclerc qui viserait, en particulier, à les prolonger en modernisant notamment leur moteur et leur boîte de vitesse, ou la réalisation d'un nouveau char qui s'appuierait sur les compétences de KNDS (KMW et Nexter) et pourrait être exporté.
Notre sixième recommandation vise à considérer comme indispensable de garantir nos équipements blindés sur la période 2030-2050 et à demander au Gouvernement qu'il examine rigoureusement en 2024 les avantages et les inconvénients des deux principaux scénarios envisageables pour conserver une capacité blindée souveraine jusqu'en 2050.
Le programme Scaf constitue le second chantier d'importance conduit avec nos partenaires allemands. Les travaux d'études de la phase 1B se poursuivent selon le calendrier défini, mais des incertitudes majeures demeurent quant à la suite de ce programme à l'issue du vol du démonstrateur, désormais prévu en 2029, après plusieurs reports.
Dans un rapport que nous avions réalisé en 2020 avec Ronan Le Gleut, nous avions insisté sur la nécessité que le programme Scaf aboutisse au plus tard en 2040, sur celle que la réglementation des exportations soit clarifiée avec l'Allemagne, enfin sur celle que de nouveaux partenaires européens rejoignent le programme. Aucune de ces trois conditions n'est aujourd'hui satisfaite.
Le calendrier du programme Scaf nous conduit donc à nous interroger sur l'avenir du programme Rafale, dont 13 exemplaires seront livrés en 2024. Alors que le futur chasseur de nouvelle génération (NGF) ne sera pas disponible avant 2045 ou 2050, la France doit s'assurer de disposer d'ici là d'un chasseur du meilleur niveau pour préserver l'effectivité de la composante aérienne de sa dissuasion nucléaire, ce qui plaide pour lancer rapidement le développement du standard F5 du Rafale qui devrait être accompagné d'un drone « Loyal Wingman » dérivé du programme nEUROn.
Or le calendrier de lancement du standard F5 demeure peu clair puisque sa mise en service initialement prévue en 2032 a été reportée en 2035, avant que le ministre des armées ne rappelle en juin dernier devant notre commission que les crédits nécessaires aux études du standard F5 et au nEUROn figureraient dans la LPM et permettraient d'envisager une mise en service vers 2030.
Compte tenu du calendrier du programme Scaf et des incertitudes qui entourent encore son modèle économique et ses conditions d'exportation, nous estimons nécessaire de ne plus tergiverser sur le lancement du standard F5 du Rafale et de son drone d'accompagnement afin, notamment, de pouvoir assurer la permanence et la crédibilité de la dissuasion nucléaire dans les décennies à venir. C'est notre septième recommandation.
Je rappelle que c'est le maintien de notre dissuasion nucléaire au plus haut niveau qui a permis de préserver l'excellence de notre industrie de défense dans de très nombreux domaines, dont les chasseurs et les sous-marins.
Sous ces réserves, qui soulignent un vrai problème de calendrier sur le portage jusqu'en 2040-2045, je recommande à mon tour à la commission de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 146.
M. Cédric Perrin, président. - Je retiens un élément fondamental, celui de l'économie de guerre. L'expression apparaît quelque peu galvaudée et la situation actuelle fait penser à un théâtre d'ombres. Il revient à notre commission de ramener le débat public à la réalité, ce qui suppose d'expliquer ce que l'économie de guerre représenterait concrètement si nous y étions.
Il s'agit, pas de remplir nos stocks de munitions, au-delà de nos besoins, mais d'abord de fournir l'Ukraine à la hauteur des promesses qui lui ont été faites. L'audition du Délégué général pour l'armement nous a permis de comprendre que nous en étions fort éloignés. Nous sommes capables de produire environ 20 000 obus par an, quand l'Ukraine en consomme 5 000 par jour et la Russie peut-être 25 à 30 000 avec, pour ce dernier pays, une production de l'ordre de 1 million à 1,2 million d'obus par an.
Par ailleurs, la problématique qui se joue actuellement est également la question du leadership européen. Les Allemands sont ainsi sur le point de voter une augmentation de 1,3 milliard d'euros de leur budget consacré à l'aide à l'Ukraine, après l'avoir doublé de 4 à 8 milliards, ce qui le porterait à 9,3 milliards d'euros.
Disons clairement les choses : si nous ne parvenons pas à fournir à l'Ukraine les munitions dont elle a besoin pour se défendre, elle perdra la guerre. Nous ne sommes pas au rendez-vous de l'Histoire et à la hauteur de nos promesses. L'économie de guerre renvoie, non à des mots couchés sur le papier, mais à une capacité de produire davantage. Il est naturel que nos rapporteurs du programme 146 viennent le rappeler.
Notre prochain déplacement en Allemagne avec le président Gérard Larcher donnera aussi l'occasion de développer ces points. Il est clair que les Allemands ont pris beaucoup d'avance sur nous.
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure pour avis. - - On nous parle en effet d'économie de guerre tout en nous rappelant que nous ne sommes pas nous-mêmes en guerre. Nous sommes dans la politique du « en même temps » dans toute sa splendeur : on demande aux industriels de produire plus et plus rapidement. Ils prouvent qu'ils en sont capables, mais n'obtiennent de la LPM aucune visibilité sur les commandes à venir. Or ils ne sont pas en mesure d'assurer des stocks importants de munitions sans savoir avec certitude s'ils les vendront et quand ils les vendront.
Je ne partage pas tout à fait votre point de vue sur le leadership européen. Je doute que l'Allemagne l'assume ; ce serait plutôt la Pologne qui y réussirait avant elle. L'Allemagne ne change pas son modèle d'armée ; elle modifie le budget qu'elle consacre à la défense, avec pour objectif principal de vendre et de stimuler son industrie de défense. À cet égard, nos stratégies continuent d'être différentes.
De plus, avant de prétendre au leadership européen, notre premier objectif pour notre politique de défense et notre industrie de défense doit être d'assurer la sécurité et la défense du territoire national. Nous constatons que nous n'en avons aujourd'hui pas la capacité, faute de matériels en quantité suffisante. Le calendrier dans lequel nous nous sommes engagés pose de très sérieuses difficultés pour les décennies à venir. Nos équipements seront obsolètes et rien ne garantit que ceux que nous devrons fabriquer seront prêts à temps. Les Allemands, eux, investissent en effet dans le portage à vingt ou trente ans, ce qui leur permettra d'acquérir et d'utiliser des matériels nouveaux.
Notre réflexion doit d'abord porter sur cette problématique de calendrier. Si la LPM nous a rassurés sur le plan budgétaire, notre politique de défense manque de cohérence. Il y va de la sécurité de notre pays, laquelle prime la question de savoir si nous sommes, ou non, les premiers en Europe.
Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Défense » - Programme 178 - Préparation et emploi des forces - Examen du rapport pour avis
M. Olivier Cigolotti, rapporteur pour avis de la mission « Défense » sur le programme « Préparation et emploi des forces ». - Monsieur le président, mes chers collègues, il me paraît tout d'abord nécessaire d'évoquer un point de méthode important. Les documents budgétaires publiés cette année sur le programme 178 sont un peu vidés de leur substance. Désormais, ni la disponibilité, qu'elle soit technique ou opérationnelle, ni l'activité réalisée par les forces ne sont plus librement accessibles. Or il s'agissait bien là des principaux indicateurs du programme 178, essentiels pour apprécier l'état des forces ! Le motif est que la diffusion de ces données renseignerait trop nos compétiteurs. Pourtant, il n'est pas certain que savoir si la disponibilité est de 65% ou de 70% leur donne un avantage décisif ! D'ailleurs les Américains ou les Allemands publient ces chiffres. Par exemple, l'équivalent américain de la Cour des comptes a récemment communiqué sur la disponibilité du F35 en affirmant que, je cite : « Si l'avion ne peut fonctionner que 55% du temps et que l'objectif est de 85 à 90%, les contribuables n'en auront pas pour leur argent » : c'est précisément pour pouvoir faire ce genre d'analyses que nous évoquions auparavant ces données. Le fait que ces chiffres soient néanmoins transmis aux présidents de commission et partagés avec les rapporteurs, et que nous puissions évoquer les grandes tendances, ne repose pour le moment que sur la bonne volonté du Gouvernement. Il faudrait au moins que ce soit entériné par une circulaire, en attendant que des nouvelles modalités de communication de ces informations soient peut-être trouvées !
J'en viens maintenant au fond. Pour 2024, la LFI prévoit que les crédits en faveur de l'entretien programmé des matériels (EPM) atteindront 5,74 milliards d'euros pour l'ensemble des armées, soit une augmentation de 745 milliards d'euros par rapport à 2023. Cette hausse doit toutefois être relativisée. La précédente LPM évaluait à 6,5 milliards d'euros le besoin en EPM pour 2024. Ainsi le présent PLF pour 2024 prévoit en réalité 800 millions d'euros de moins que ce qui était inscrit pour la même année par la précédente LPM. Il ne faut donc pas s'attendre à une progression radicale de l'état des parcs de matériels en 2024.
En ce qui concerne l'armée de Terre, la situation devrait ainsi s'améliorer, mais très progressivement. Certains parcs ont toujours une disponibilité insuffisante. Les chars seront encore légèrement moins disponibles en 2024 qu'en 2023 en raison de la rénovation des Leclerc. Pour le reste, la disponibilité est soit stable, soit en faible augmentation. Ainsi, pour la catégorie des blindés (VAB, Griffon, Serval, VBCI), la livraison des nouveaux matériels et le retrait des VAB aura un effet légèrement positif. Encore faudrait-il que la cession de matériels à l'Ukraine n'ait pas pour conséquence une baisse de la disponibilité par la prolongation de matériels plus anciens. Le « recomplètement » progressif des matériels concernés palliera progressivement ce problème, en particulier pour les Caesar, les nouveaux étant livrés en remplacement de 2024 à 2027. Sur ce point, il faut se féliciter de l'augmentation très significative de la cadence de production, passant de deux à six canons par mois. La disponibilité des hélicoptères de reconnaissance et d'attaque de l'armée de terre (HRA) est quant à elle en faible augmentation, notamment en raison de nombreux chantiers sur les Tigre, tandis que la poursuite de la livraison des Caïmans fait baisser la disponibilité globale du fait des fortes difficultés de maintenance sur cet appareil.
Concernant l'armée de l'air et de l'espace, il peut être indiqué que pour 2023 les chiffres devraient être stables, voire en baisse pour certains matériels. Pour 2024, les cibles sont en légère hausse. Ainsi, les progrès dus aux contrats verticalisés ne parviennent pas encore à compenser d'autres facteurs, comme l'étroitesse de certains parcs impactés par les cessions : je pense évidemment aux Rafale cédés à la Grèce et à la Croatie. Selon la direction de la maintenance aéronautique (DMAé), un temps d'adaptation est nécessaire pour qu'un contrat verticalisé de 10 ans apporte les bénéfices attendus. Ainsi, le contrat « Ravel » du Rafale a cinq ans, mais pendant les deux ou trois premières années Dassault devait investir, notamment dans son système d'information. C'est donc plutôt dans la deuxième partie du contrat que l'on peut attendre des gains substantiels. Les nouveaux contrats pour le MRTT et son moteur, tout juste signés par la DMAé et la DGA pour 10 ans, devraient aussi bientôt apporter des bénéfices de disponibilité.
Au-delà de ces contrats verticalisés, les efforts d'efficience doivent être poursuivis dans le MCO aéronautique. Cela passe par une diminution de la charge de maintenance, une simplification des normes de navigabilité, une connexion plus directe des industriels à l'armée de l'air et de l'espace via la généralisation des pôles de conduite et de soutien, etc. S'y ajoute l'indispensable effort pour la transformation numérique, en combinant le projet Brasidas de la DMAé aux systèmes d'informations développés par l'industrie à la faveur des contrats verticalisés.
Enfin, en matière de disponibilité des matériels de la Marine nationale, celle des bâtiments de combat sera stable sur le début de la programmation, les admissions au service actif étant compensées par un plan de maintenance dense. Il y aura du mieux pour les sous-marins nucléaire d'attaque (SNA), mais la chasse va traverser une période difficile avec la mise au standard F4 des Rafale.
Au total, en matière de disponibilité, on assiste à un « frémissement » qui augure, on doit l'espérer, d'un redressement plus franc par la suite. Mais il reste des défis d'ampleur. Ainsi, la remontée des stocks dans le cadre de la préparation à l'économie de guerre n'est malheureusement pas financée en LPM. La maintenance terrestre sera donc contrainte de faire des économies pour constituer un stock répondant aux besoins de l'hypothèse d'engagement majeur. Le renouvellement des marchés de soutien en service (MSS) terrestres passés autour de 2010 et la passation des nouveaux marchés de MCO pour les véhicules SCORPION constitue à cet égard un levier essentiel. La nouvelle génération de marchés de soutien « durcis » doit sortir d'une logique de flux tendus de pièces de rechange, très performante mais pas adaptée à la haute intensité, vers une logique de constitution de stocks, permettant une réactivité maximale au combat.
Mme Michelle Gréaume, rapporteure pour avis de la mission « Défense » sur le programme « Préparation et emploi des forces ». - Monsieur le président, mes chers collègues, il faut d'abord rappeler que le rapport annexé de la nouvelle LPM prévoit que « À partir des acquis de la précédente loi de programmation militaire, la préparation opérationnelle progressera quantitativement dès 2024 jusqu'à rejoindre en 2030 les normes d'activité ». Force est de constater que, malgré l'augmentation des crédits prévue pour 2024, qui découle de la première marche rehaussée par nos soins, cette progression quantitative n'est pas vraiment acquise : on reste encore assez loin des normes de l'OTAN et de la LPM. C'est d'ailleurs pourquoi le Gouvernement et les chefs d'état-major préfèrent mettre en avant l'amélioration « qualitative ». Celle-ci est certes réelle. Elle se joue notamment à travers les grands exercices comme ORION, et va se poursuivre en 2024 avec la participation à des exercices multinationaux comme Steadfast Defender 2024 (OTAN), et les missions de réassurance Lynx en Estonie, Aigle en Roumanie, Gerfaut en Pologne. Toutefois, ni les exercices ni les missions opérationnelles et OPEX ne suffiront à garantir l'excellence de la préparation opérationnelle en vue de la haute intensité, si le volume de celle-ci reste insuffisant.
Ainsi, pour l'armée de terre, l'activité par combattant terrestre devrait stagner, de même que le nombre de coups tirés par équipage de Caesar ou le nombre d'heures d'entraînement par équipage de chars et de blindés. Il est clair par ailleurs que l'année 2024, avec les JO de Paris, ne sera pas favorable à une remontée de l'armée de terre vers les compétences nécessaires pour la haute intensité. La préparation opérationnelle devrait même être suspendue pendant plusieurs mois. Ce n'est donc qu'à partir de 2025 et 2026 que les objectifs d'entraînement devraient commencer à être atteints, dans l'optique de disposer d'une division à deux brigades interarmes projetable en 30 jours en 2027.
S'agissant de la préparation opérationnelle de l'armée de l'air et de l'espace, on est également encore assez loin des objectifs. Bien que le PLF 2024 prévoie de passer de 451 millions à 591 millions d'euros de crédits de préparation opérationnelle, les cibles d'activité prévues pour 2024 sont seulement en légère hausse. En particulier, la déflation du parc Rafale due aux problèmes de disponibilité technique et aux cessions rend plus difficile d'atteindre ces objectifs. Le niveau d'entraînement sur le transport a certes progressé en 2023 grâce à ORION et à une meilleure disponibilité des A400M et des C130, mais la situation progresse peu pour les équipages de CN235 (CASA). L'activité « hélicoptères » est notamment impactée par la fin de vie des PUMA. En ce qui concerne enfin la préparation opérationnelle de la Marine, sous l'impulsion du plan « Mercator Accélération 2021 », une phase de préparation opérationnelle de haute intensité est mise en place. Après les exercices POLARIS 21 et ORION 2023, la Marine participera notamment à POLARIS 24 et STEADFAST DEFENDER 24. Les résultats en matière de préparation opérationnelle sont satisfaisants, mais le niveau d'entraînement des pilotes de chasse va être impacté par la mise au standard F4 du Rafale.
Au total, s'agissant de l'activité et de la préparation opérationnelle, les résultats et les prévisions pour 2024 sont donc un peu décevants par rapport à l'ambition que nous avons portée pour le début de la LPM. Nous devrons veiller à ce que la disponibilité technique évoquée par mon co-rapporteur, et l'ensemble des autres facteurs qui déterminent cette préparation opérationnelle, suivent bien la trajectoire ascendante prévue pour les prochaines années. Le niveau de l'inflation ainsi que les conséquences du soutien de l'Ukraine seront également à prendre en compte : il faudra veiller à ce que les effets en soient compensés autant que possible.
J'évoquerai à présent brièvement les soutiens. Le service de santé des armées (SSA) reste pour moi la première préoccupation. Il a fait l'objet d'un rapport assez alarmant de la Cour des comptes : nombreuses vacances de poste (nettement plus d'une centaine de médecins manquent) ; incapacité pour les hôpitaux militaires d'instruction à générer plus de 48 équipes chirurgicales sur les 65 prévues ; difficultés de recrutement au sein de la composante hospitalière, taux d'attrition des étudiants de l'école de santé des armées entre 30% et 40%, etc. Pour 2024, les crédits augmentent et devraient permettre de lancer enfin les étapes préparatoires à la reconstruction d'un hôpital d'instruction des armées à Marseille-Laveran. Le SSA devra surtout faire porter ses efforts sur une meilleure coopération avec le système de santé civile, car il apparaît évident que dans la situation actuelle le système dans son ensemble (civil+militaire) ne pourrait pas faire face à la haute intensité ! Il faut également achever la transposition du Ségur de la Santé, c'est indispensable pour améliorer l'attractivité du service !
Par ailleurs, tant le service des essences opérationnelles (SEO) que le service interarmées des munitions (SIMu) ont un budget en hausse pour 2024 mais doivent faire face à de fortes difficultés de recrutement. Par exemple, environ 10% de l'effectif n'est pas honoré au SIMu. Des pistes pourraient être explorées comme les réservistes industriels, c'est-à-dire des employés qui viendraient dans les dépôts remplacer les militaires lorsqu'ils partent dans les forces. Par ailleurs, il apparaît nécessaire de développer les voies ferrées, indispensables en hypothèse de conflit majeur pour acheminer les munitions. Or les processus sont pour le moment trop longs : pour l'établissement de Brienne le Château, il se sera écoulé 26 ans (de 2000 à 2026) entre la demande et la réalisation du raccordement !
Voici, monsieur le Président, mes chers collègues, les quelques points que je souhaitais soulever à propos de ce PLF 2024 qui entérine la hausse des crédits que nous avions inscrits dans la LPM, mais qui ne produira pas encore d'effets massifs en 2024.
M. Alain Cazabonne. - Qu'en est-il de l'hôpital d'instruction des armées de Bordeaux, avec le projet de regroupement Bahia qui serait arrêté par les armées ? Avez-vous des informations à ce sujet ?
Mme Michelle Gréaume, rapporteure pour avis de la mission « Défense » sur le programme « Préparation et emploi des forces ». - En réalité, tous les hôpitaux militaires traversent une période difficile. Il y a de la concurrence avec les cliniques privées. Les médecins partent car les salaires ne sont pas attractifs. Le Ségur de la santé n'a pas été étendu à tous ceux qui pourraient en bénéficier. Sur Bordeaux spécifiquement je n'ai pas d'information mais nous allons solliciter le SSA pour nous informer.
M. Olivier Cigolotti, rapporteur pour avis de la mission « Défense » sur le programme « Préparation et emploi des forces ». - Nous avons auditionné le nouveau directeur central du SSA, qui veut lancer des investissements importants : cela va être le cas sur Marseille Laveran par exemple avec un hôpital neuf.
Mme Évelyne Perrot. - Je confirme que pour Brienne le Château, il y a un gros problème de connexion ferroviaire. L'Aube est le département le plus mal loti en la matière.
M. Philippe Folliot. - Certains au SSA s'interrogeraient sur le nombre de médecins qui diraient être victimes de syndrome post-traumatique pour pouvoir quitter le service des armées et exercer leur métier dans le civil. Est-ce exact ?
Mme Michelle Gréaume, rapporteure pour avis de la mission « Défense » sur le programme « Préparation et emploi des forces ». - Je n'ai pas de chiffre sur cette question précise mais il est évident qu'il y a une déperdition importante à cause des problèmes de pouvoir d'achat, c'est un problème général.
M. Olivier Cigolotti, rapporteur pour avis de la mission « Défense » sur le programme « Préparation et emploi des forces ». - Il y a aujourd'hui des difficultés de recrutement importantes. En opération, les réservistes sont indispensables au fonctionnement du SSA. Les revalorisations pour mieux fidéliser le personnel sont sur le bureau du directeur central.
M. Cédric Perrin. - Au total, pour le P178 comme pour le reste de la mission « Défense », les budgets augmentent, mais moins vite que les besoins. Nous ne faisons pas de procès d'intention, mais nous avons tellement négligé ces budgets pendant des décennies qu'il faut maintenant rattraper, et c'est compliqué ! Par exemple, sur l'entraînement pour les pilotes d'avions de combats, on est très loin des normes OTAN. C'est très satisfaisant de se dire que les avions volent, mais il faut acculturer nos collègues des autres commissions sur le fait que ce n'est pas forcément dans les meilleurs conditions. Le problème fondamental est de conserver un modèle d'armée de temps de paix, alors que la situation géopolitique a considérablement changé.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Les affaires étrangères et la défense sont précisément les deux ministères qui ont servi de variables d'ajustement pendant toutes ces années !
Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Défense » - Programme 212 - Soutien de la politique de la défense - Examen du rapport pour avis
M. Cédric Perrin, président. - La parole est à Marie-Arlette Carlotti et Jean-Pierre Grand, co-rapporteurs pour avis du programme 212.
Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure pour avis du programme 212. - Nous avons, cette année, creusé la question de l'attractivité de nos armées.
Au printemps dernier, dans notre rapport de préfiguration de la LPM, nous préconisions, dans un contexte international pour le moins tendu, de mettre le format des ressources humaines en cohérence avec nos ambitions stratégiques.
La loi de programmation militaire a fixé des jalons : 700 ETP nouveau en 2024, puis une progression chaque année jusqu'en 2030 pour atteindre 6 300 ETP en 7 ans.
Or voici que, dès le premier exercice, la trajectoire s'écarte déjà de la cible prévue, puisque le projet de loi de finance pour 2024 prévoit en effet la création de seulement 456 ETP, au lieu de 700.
Cet écart, rapporté aux effectifs du ministère - 270 000 personnes environ - ne représentent que l'épaisseur du trait. Mais il révèle une crise d'attractivité. Depuis 3 ans, les effectifs du ministère diminuent au lieu d'augmenter !
Nous aurions voulu faire une analyse plus poussée, mais le directeur des ressources humaines du ministère n'a pas été très prompt, cette année non plus, à répondre à nos sollicitations.
Le diagnostic varie selon les armées. L'armée de terre évoque un simple trou d'air surtout parmi les militaires du rang. L'armée de l'air et la marine se plaignent moins des difficultés de recrutement que de leur capacité à retenir les talents.
Durant ces trois dernières années, la faiblesse des recrutements peut s'expliquer par plusieurs causes : les contrecoups de la pandémie, qui a grippé les mécanismes de communication et de recrutement, l'état du marché de l'emploi et la concurrence d'un secteur privé mieux rémunérateur, le manque d'intensité opérationnelle, ou encore le resserrement des classes d'âge. Au fil des années, les militaires sont plus sensibles au cadre de vie et aux contraintes qui pèsent sur leur vie familiale.
Cette tendance pourrait remettre en cause le niveau de sélection des recrutements. Les états-majors y sont très vigilants, notamment l'armée de terre qui désormais ne reçoit plus qu'une candidature pour un poste.
Le risque vient du mouvement croisé entre des difficultés de recruter d'une part et la progression des départs de l'autre. Car la question de la fidélisation n'est pas plus rassurante. Le Haut comité d'évaluation de la condition militaire (HCECM) a mis en lumière, dans son rapport annuel, l'érosion lente mais constante des effectifs des officiers, avec un pic des départs entre 12 et 16 ans de services.
L'une des causes en est la rémunération des militaires. Le dernier volet de la refonte de la politique indemnitaire est entré en vigueur au 1er octobre dernier, ce qui justifie la budgétisation de 263 millions d'euros pour l'an prochain. Tous saluent cette clarification du dispositif des primes mais, compte tenu de l'impact de l'inflation sur ces nouvelles primes forfaitaires, ainsi que des conséquences de leur fiscalisation, nous serions favorables à ce que la clause de revoyure prévue en 2026 soit avancée. Nous avons besoin de mesurer les effets réels de la réforme qui apparait satisfaisante sur le papier.
C'est à présent la refonte des grilles indiciaires qui doit attirer notre attention. La loi de programmation militaire a prévu la refonte de la grille des militaires du rang dès 2023, celles des sous-officiers en 2024 puis celle des officiers en 2025. Le HCECM plaide, lui, pour que la mise en oeuvre des nouvelles grilles commence par celle des officiers. Son dernier rapport illustre bien le tassement qu'ont subi les grilles indiciaires sous le coup des mesures catégorielles successives : l'échelonnement « entre l'indice plancher du soldat et l'indice sommital du général de division a perdu 52 points entre 2011 et 2023 », tandis que « la grille indiciaire des officiers a subi un tassement de 25 points ».
De plus, il y a un delta de 300 points d'indice majoré entre un administrateur civil de 3e grade et un colonel, ce qui n'est pas acceptable. Le décrochage s'accentue chez les officiers au moment où ils souhaitent construire une vie familiale. Le secteur privé offrant de meilleures rémunérations, avec des sujétions moindres, les officiers partent et parmi eux souvent les meilleurs profils.
Si la situation des officiers est la plus épineuse, ce sont bien des perspectives de carrière de tous les militaires dont il est question, et notamment des sous-officiers, épine dorsale des armées, à qui il s'agit de garantir des évolutions de carrière satisfaisantes. Nous serons particulièrement vigilants à ce que la mise en oeuvre des nouvelles grilles indiciaires favorise les évolutions de carrière et rendent l'escalier social cohérent.
Comment recruter mieux, garder un bon niveau et fidéliser les talents ? Peut-être par ce qui pourrait correspondre à un pré-recrutement.
Nous avons constaté que la durée des carrières est d'autant plus longue que les recrutements ont été précoces. Aussi faut-il être attentifs aux efforts des trois armées pour muscler l'offre de formation spécialisée. Toutes les armées s'y emploient. Ainsi à l'école militaire préparatoire technique de l'armée de terre à Bourges, l'école d'enseignement technique de l'armée de l'air à Saintes, celle des sous-officiers de Rochefort, l'École des Mousses ou le futur projet d'École des apprentis de la Marine Nationale. Mais cette offre de formation est souvent saturée et devrait être renforcée.
Au chapitre de la fidélisation, il y a aussi les différentes mesures d'accompagnement social : plus de 600 millions d'euros sont consacrés à la politique immobilière du ministère, notamment pour rénover un parc dont plus du quart présente un risque « élevé ou très élevé » pour la sécurité des personnes et des biens. Une quarantaine de millions d'euros financeront le plan famille 2.
En résumé, nos armées affichent un déficit d'attractivité préoccupant à l'heure où nous souhaitons les mettre au niveau d'un possible futur conflit de haute intensité. Et c'est sur ce point que nous appelons à votre vigilance.
M. Jean-Pierre Grand, rapporteure pour avis du programme 212. - L'autre aspect de la question de l'attractivité des armées réside du côté de la société elle-même. J'entends par là : de l'appétence des civils pour la réserve, et donc de l'étroitesse de la relation entre le monde militaire et le monde civil.
L'objectif de la loi de programmation est de doubler les effectifs de la réserve opérationnelle d'ici 2030, pour les porter aux alentours de 80 000. Or ils ont diminué à compter de 2020 - sauf dans le service de santé des armées. Avec environ 39 500 réservistes opérationnels fin 2023, nous n'avons pas encore retrouvé le niveau de 2019. Pour mémoire, la loi de programmation prévoit 3 800 nouveaux engagements à servir dans la réserve en 2024. L'atteinte des objectifs ne sera donc pas facile, même si les mesures votées en LPM devraient y contribuer.
Le rapport du P212 appelait l'an dernier à une réserve opérationnelle plus lisible et à une doctrine d'emploi plus précise. Sur ces aspects, les armées font des efforts notables.
L'armée de terre a déjà commencé à hybrider les unités avec des réservistes. Six bataillons de réserve seront créés en 2024, autant en 2025, ainsi que quatre unités outre-mer. D'ici 2030 devront être créés, dans deux métropoles, de nouveaux régiments de réservistes sur le modèle du 24e régiment d'infanterie. Sont également au programme la création de bataillons de réservistes spécialisés, par exemple dans le renseignement et le génie.
Dans la marine aussi, il est prévu d'appuyer les forces d'active avec des unités de réservistes opérationnels intégrées directement en leur sein, et de créer des unités de réservistes spécialisées - deux l'ont été dans les domaines du numérique et de la formation. La montée en charge de la réserve alimentera la constitution de 3 flottilles côtières, implantées dans 30 villes littorales pour venir en soutien des unités d'active en cas de crise, auxquelles s'ajouteront 6 escouades outre-mer.
L'armée de l'air ne sera pas en reste. Elle prévoit elle aussi de créer des unités opérationnelles de réservistes couvrant un large spectre d'emplois - unités aériennes, unités de sécurité et de protections, unités spécialisées dans la cyber-sécurité... - et, à terme, la création d'une base aérienne complète de réservistes, outil utilisable sur le territoire national ou projetable à l'extérieur.
Dans les trois armées, vous le voyez, la réflexion porte sur l'hybridation des unités et sur une meilleure territorialisation des réserves.
La gestion des réservistes devrait être facilitée de manière significative par le système d'information ROC, lancé en 2016 et dont la dernière tranche, dûment financée dans ce PLF, devrait pouvoir être livrée comme prévu en 2024.
Pour mener à bien ces transformations, quelques innovations ont, enfin, été apportées au plan de l'organisation. Par une instruction prise à l'été, les responsabilités dans la gouvernance des réservistes ont été précisées, et le délégué interarmées aux réserves a été placé à la tête d'une division chapeautant en outre la politique relative à la jeunesse et au service national universel, ce qui semble de bon aloi.
Je voudrais en terminer par là en soulignant qu'il ne sera possible de remédier de manière significative aux difficultés de recrutement, de fidélisation et de consolidation de la réserve - bref, d'attractivité des armées -, qu'en renforçant notre capacité à « faire Nation », c'est-à-dire en abaissant les barrières entre les mondes civil et militaire.
Le Haut comité d'évaluation de la condition militaire a d'ailleurs fait un certain nombre de propositions originales sur ce chapitre : sur l'expression publique des militaires, la communication sur les métiers auprès des jeunes, ou encore la reconnaissance immatérielle que la Nation leur témoigne.
Le bureau de la commission ayant décidé de lancer une mission d'information sur ce sujet, nous aurons l'occasion de revenir sur tous ces aspects de manière plus détaillée qu'au détour d'un avis budgétaire.
Pour l'heure, nous vous proposons d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Comment expliquer que la direction des ressources humaines du ministère ne vous ait pas transmis toutes les informations utiles ?
Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure pour avis du programme 212. - C'est en effet un motif de préoccupation, d'autant plus fort que l'an dernier non plus nous n'avons pu disposer, en temps utile, de toutes les réponses à nos questions.
M. Cédric Perrin, président. - Nous écrirons au ministre à ce propos car ce n'est pas acceptable. En attendant, l'évolution des effectifs que nous décrivent les rapporteurs est assez explicite et, pour tout dire, assez surprenante : la diminution engagée depuis 2021 laisse
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Défense ».
Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Sécurités » - Programme 152 - Gendarmerie nationale - Examen du rapport pour avis
M. Cédric Perrin, président. - La parole est à Philippe Paul et Jérôme Darras, co-rapporteurs pour avis du programme 152.
M. Philippe Paul, rapporteur pour avis. - Je commencerai par l'essentiel : le budget de la gendarmerie poursuit sa hausse, de 9,9 milliards d'euros à 10,3 milliards. L'extinction des crédits du plan de relance n'a donc pas remis en cause la trajectoire de progression régulière fixée par la Lopmi. Il faut bien évidemment s'en féliciter.
Ainsi, les effectifs continueront à augmenter, à un rythme encore plus soutenu : + 1 045 ETP, et une création nette de 848 ETP, contre + 950 l'année dernière. Cette progression alimentera notamment le déploiement des 239 nouvelles brigades dont la répartition a été dévoilée le 2 octobre dernier, mais aussi la montée en puissance de l'Agence du numérique des forces de sécurité intérieure, opérationnelle depuis le 1er septembre. Nous avions eu l'occasion de nous féliciter l'année dernière de cette nouvelle agence qui sera le bras armé de nos forces dans le monde numérique, notamment avec le projet de réseau radio du futur (RRF).
Autre satisfaction, les crédits de la réserve opérationnelle qui poursuivent leur progression, en passant de 84 millions d'euros à 114 millions. À la fin octobre, 35 000 réservistes avaient été employés depuis le début d'année 2023. Nous sommes bien dans les temps de passage de l'objectif de 50 000 à l'horizon 2027 fixé par la Lopmi. Le nombre de jours moyen d'activité est lui aussi satisfaisant, puisqu'il se situe au-dessus du seuil des 20 jours considéré comme nécessaire pour maintenir la motivation des réservistes.
C'est un point important dans la perspective des Jeux olympiques, pour lesquels la gendarmerie sera particulièrement sollicitée - mon co-rapporteur Jérôme Darras reviendra sur ce point. Tout aussi importante, la mise en place des sept nouveaux escadrons de gendarmerie mobile qui participeront à la sécurisation de l'événement.
Alors faut-il approuver sans réserve ce budget en progression, qui semble bien s'inscrire dans la trajectoire de la Lopmi ? Non, pour une raison simple et déjà identifiée l'année dernière par vos rapporteurs : avec + 292 millions d'euros, soit 6,3 %, l'essentiel de la progression est en réalité aspiré par le titre 2, c'est-à-dire les dépenses de personnel.
C'est le résultat des diverses mesures interministérielles dites « Guérini » prises pour valoriser l'engagement des agents de la fonction publique : revalorisation du point d'indice de 1,5 %, hausse de cinq points d'indice à chaque échelon, prime de pouvoir d'achat défiscalisée, relèvement des « bas de grille » notamment. Cela fait un surcoût de 120 millions d'euros auquel s'ajoute l'effet sur 2024 des mesures interministérielles déjà prises l'an dernier : 290 millions au total, auxquels s'ajoutent les effets de l'inflation pour arriver à près de 400 millions d'euros !
Et pour financer toutes ces mesures, on est contraint de piocher ailleurs, c'est-à-dire dans le « hors titre 2 » : les dépenses de fonctionnement et d'investissement, principalement. Mon collègue Jérôme Darras abordera ce point plus en détail. Je me concentrerai pour ma part sur l'investissement immobilier, qui est le vrai point noir de ce budget.
L'immobilier est un enjeu crucial pour la gendarmerie puisque les gendarmes, dans leur grande majorité, vivent en caserne avec leur famille. C'est également un poste de coût très important dans un budget où les dépenses de personnel représentent déjà plus de 80 % du total des crédits.
Les services de l'État ont eux-mêmes quantifié le besoin d'investissement annuel à 300 millions d'euros : 200 millions pour les constructions neuves et 100 millions pour l'entretien lourd. Cela permet de maintenir en bon état le parc domanial, sachant que les logements sont vieillissants : plus de 50 ans en moyenne.
Vos rapporteurs s'étaient déjà inquiétés, l'an dernier, de constater que le compte n'y était pas, avec 126 millions d'euros en crédits de paiement. Or cette année, nous sommes à 108,8 millions d'euros ! Cela ne suffit qu'à financer le reste à payer des marchés de partenariat (c'est-à-dire les PPP) lancés en 2023, les travaux imprévisibles et urgents et le lancement d'études pour de nouveaux marchés de partenariat qui ne sont pas pour tout de suite. Autrement dit, c'est une quasi-année blanche !
À cela s'ajoute le sujet du logement des nouvelles brigades, fixes et mobiles, par les collectivités d'accueil. Il faudra faciliter le lancement de programmes de construction par des instruments financiers nouveaux, or il ne semble pas que les choses aient beaucoup avancé depuis l'an dernier. Les remontées du terrain se multiplient sur les difficultés des communes à boucler les financements, notamment en raison des obstacles réglementaires liés à la garantie d'emprunt.
Au total, l'immobilier se trouve donc de plus en plus maltraité. Plus généralement, on risque, en logeant et en équipant mal les gendarmes, d'annuler les effets attendus des revalorisations indemnitaires et des recrutements. La Cour des comptes l'a bien souligné en juillet dernier dans une note thématique : « Cette incohérence, écrit-elle, entre l'augmentation des effectifs et l'insuffisance de financement des coûts qui y sont associés traduit les limites de la programmation budgétaire et les effets d'une accumulation de mesures dont les conséquences à long terme ne sont pas suffisamment prises en compte. » On ne peut pas mieux dire ! Nous souscrivons pleinement à ce constat.
Malgré ces réserves très importantes, je vous recommanderai de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de ce programme : nos gendarmes méritent ces revalorisations, qui récompensent un engagement sans faille dans des conditions de plus en plus difficiles.
M. Jérôme Darras, rapporteur pour avis. - Je partage entièrement l'analyse de mon co-rapporteur sur ce budget de la gendarmerie. C'est en effet un budget en augmentation notable (près de 500 millions d'euros) qui respecte l'engagement de la loi de programmation, mais de quoi parle-t-on ? De mesures principalement interministérielles, certes bienvenues, mais en quelque sorte extérieures à la construction de ce budget. Au total, en tenant compte de l'inflation, comme Philippe Paul l'a rappelé, cela représente 400 millions d'euros. La progression notable des effectifs est bien financée, mais elle se paie sur d'autres postes budgétaires, que ce soit en investissement, avec une baisse de 30,76 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2023, ou en fonctionnement.
Mon co-rapporteur a souligné l'insuffisance de l'investissement immobilier. J'aborderai de mon côté les véhicules. Le renouvellement de la flotte de véhicules légers est en panne cette année, avec 500 véhicules alors que 3 700 seraient nécessaires tous les ans pour rajeunir le parc. Après les années favorables de 2020 à 2022, nous sommes clairement revenus à une tendance baissière qui ne laisse pas d'inquiéter et qui ne pourra durer.
Une bonne nouvelle cependant : l'arrivée des 58 derniers blindés Centaure sur les 90 commandés à la société Soframe fin 2021. Ils remplaceront progressivement les vieux véhicules blindés à roues de la gendarmerie (VBRG), mis en service en 1974. Très polyvalent, le Centaure pourra être déployé, grâce à ses lance-grenades télé-opérés et à ses capacités de dégagement, dans des situations urbaines, mais aussi en zone rurale, voire montagneuse, avec ses quatre roues motrices.
Les dépenses de fonctionnement sont elles aussi en souffrance, avec une quasi-stabilité qui, compte tenu de l'inflation, constitue une baisse en valeur. Le fonctionnement courant lié à l'agent, qui recouvre les moyens quotidiens dont disposent les gendarmes pour exercer leurs missions, est ainsi en baisse de 19,4 %. Presque tous les postes sont affectés : la formation - en baisse de 35 %, ce qui n'est pas un bon signal alors que la gendarmerie a l'ambition de recruter massivement et que ses missions évoluent - mais aussi l'alimentation ou les déplacements.
Les dépenses de fonctionnement liées aux moyens mobiles sont particulièrement affectées : la dotation pour le carburant est en baisse, celle de l'entretien et de la réparation de véhicules est reconduite à l'identique alors que les effectifs s'accroissent, en contradiction avec la doctrine de « l'aller-vers ».
Même chose pour l'équipement - les munitions et l'habillement notamment.
Il était sans doute difficile de faire autrement, dans un contexte budgétaire très contraint par les dépenses de personnel ; mais avec ces coups de rabot, nous sommes loin de la logique vertueuse de programmation pluriannuelle que la LOPMI devait introduire. La Cour des comptes l'a d'ailleurs relevé dans la note thématique mentionnée par mon co-rapporteur. Tout se passe comme si l'intendance ne parvenait pas à suivre l'augmentation des effectifs qui, elle seule, s'inscrit dans la trajectoire pluriannuelle.
Je terminerai mon propos en évoquant la réserve opérationnelle qui, comme l'a dit Philippe Paul, monte en puissance de manière satisfaisante. Je suis particulièrement sensible à cette question en tant qu'élu du Pas-de-Calais, où les réservistes sont très nombreux à épauler les gendarmes dans leurs missions de surveillance des côtes afin d'empêcher les traversées clandestines vers l'Angleterre.
L'appui de la réserve sera indispensable au cours de l'année 2024, où 12 000 à 14 000 gendarmes devraient être mobilisés sur une courte période à l'occasion des Jeux olympiques. Cela imposera une sollicitation supplémentaire au coeur de l'été, alors que la période est déjà très chargée dans les zones touristiques.
La mobilisation des renforts venus des régions ne devrait pas poser de problème d'organisation, encore faudra-t-il s'assurer que les brigades ainsi dégarnies sont en mesure d'assurer leurs missions du quotidien, et que les familles des gendarmes mobilisés seront correctement accompagnées.
Mais dans quelles conditions les réservistes seront-ils mobilisés pour les Jeux olympiques ? La perspective risque d'être pour eux peu motivante, au vu des difficultés de logement et de déplacement qui caractérisent la région parisienne, et qui seront amplifiées lors de l'événement. À cet égard, l'audition du directeur général de la gendarmerie nationale par notre commission le 8 novembre n'a pas permis de lever toutes les incertitudes.
La question dépasse les échéances de court terme. Entre les événements exceptionnels comme les Jeux olympiques, les catastrophes naturelles qui se multiplient, des formes de contestation de plus en plus difficiles à maîtriser, les gendarmes ont le sentiment de ne plus pouvoir assumer leurs missions du quotidien. Les représentants du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale (CFMG) nous ont alertés sur ce point, qui doit faire l'objet d'une attention et d'une réflexion profondes. À l'heure où tous les corps militaires sont confrontés à des difficultés croissantes de recrutement et de fidélisation, il est indispensable de s'assurer que les jeunes gendarmes comprennent le sens de leur mission et ne doutent pas de disposer des moyens de la remplir pleinement.
Je vous proposerai, comme mon co-rapporteur, de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de ce programme. Ne pas voter des crédits en augmentation marquerait un manque de soutien à notre gendarmerie ; mais la soutenir, c'est aussi lui donner à l'avenir les moyens d'exercer ses missions au quotidien. Je vous appelle dès à présent à la vigilance pour le prochain budget.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Sécurités ».
Organismes extraparlementaires - Désignations
M. Cédric Perrin, président. - Mes chers collègues, nous devons désigner plusieurs collègues au sein d'organismes extraparlementaires. Je vous rappelle que l'essentiel des désignations dans ces organismes relève désormais du Président du Sénat, et que lorsque le Sénat dispose de deux représentants, leur désignation doit respecter la parité entre les femmes et les hommes.
Il nous faut désigner une femme et un homme pour le conseil d'administration de Campus France, en remplacement de nos anciens collègues Joëlle Garriaud-Maylam et André Gattolin, respectivement membres des groupes LR et RDPI. Pour ces deux sièges, j'ai reçu les candidatures de Sylvie Goy-Chavent et de Jean-Baptiste Lemoyne.
Il nous faut également désigner une femme au conseil d'administration de l'Institut français. Le groupe socialiste propose de reconduire Hélène Conway-Mouret dans ses fonctions.
Il n'y a pas d'opposition ? Il en est ainsi décidé.
Questions diverses
Nous devons désigner les membres de la mission d'information sur la lutte anti-drones. J'ai reçu les candidatures de Philippe Paul pour le groupe LR, de Rachid Temal pour le groupe SER et de Loïc Hervé pour le groupe UC.
Si certains collègues souhaitent suivre les travaux de nos rapporteurs, ils sont les bienvenus. Je sais que notre collègue Catherine Dumas était intéressée et je tâcherai moi-même de suivre ces travaux.
Nos rapporteurs sont donc désignés et vont pouvoir lancer leurs travaux, dans un temps assez ramassé.
Je vous remercie.
Il est apparu ces derniers jours que nous avions la possibilité d'organiser avant la fin de l'année une mission en plus du programme arrêté l'an passé par le Bureau de la commission.
Il m'a semblé qu'il était important que notre commission organise un déplacement en Ukraine, pour évaluer la situation et pour échanger avec les responsables ukrainiens. Un tel projet nécessite de passer par la Pologne et il m'est apparu opportun de prévoir également des échanges avec les autorités polonaises, d'autant que les dernières élections ont conduit à un changement de majorité.
Ce déplacement se déroulera la semaine du 18 décembre et reste soumis aux difficultés logistiques, qui consistent notamment dans la difficulté de se rendre à Kiev, desservie essentiellement par un train de nuit.
Pour cette délégation que je présiderai, j'ai reçu les candidatures d'Olivier Cigolotti, de Ronan Le Gleut et de Jean-Marc Vayssouze-Faure.
Il n'y a pas d'opposition ? Il en est ainsi décidé.