Mardi 4 avril 2023
- Présidence de M. Bernard Fialaire. vice-président -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Audition d'architectes - paysagistes
M. Bernard Fialaire, président. - Mes chers collègues, j'ai l'honneur de présider cette table ronde en remplacement de M. Jean-Marie Mizzon, président de notre mission d'information, qui ne pouvait être parmi nous cet après-midi. Il me charge de vous prier d'excuser son absence. J'excuse également notre rapporteur, Nadège Havet, qu'un cas de force majeure retient dans son département. Mme Havet vous parlera donc par la voix de notre collègue Gilbert Favreau, que je remercie en son nom.
Nous poursuivons aujourd'hui les travaux de notre mission d'information sur le bâti scolaire avec une table ronde destinée à entendre le point de vue des architectes et des paysagistes, indispensable à notre réflexion. Nous accueillons donc : Mme Valérie Flicoteaux, vice-présidente du Conseil national de l'Ordre des architectes ; Mme Leslie Gonçalves, architecte, plasticienne et co-fondatrice du groupe Seuil ; Mme Juliette Hunin, déléguée générale de la Fédération française du paysage (FFP), association nationale professionnelle des paysagistes concepteurs ; trois paysagistes concepteurs : Mme Anne-Cécile Jacquot, Mme Edith Vallet et M. Dany Hermel-Wiart.
Je vous rappelle que cette audition donnera lieu à un compte rendu écrit qui sera annexé à notre rapport, et que son enregistrement vidéo sera accessible sur le site du Sénat.
Mesdames, Monsieur, je vous souhaite la bienvenue au Sénat et je vous remercie de vous être rendus disponibles cet après-midi pour nous. Selon la même logique que celle que nous avons retenue quand nous avons entendu les entreprises, nous associons aujourd'hui autour de la table les architectes et les paysagistes. Nous attachons en effet beaucoup d'intérêt aux espaces extérieurs des bâtiments scolaires, dont l'aménagement est crucial pour lutter contre la canicule. J'indique à votre attention que notre objectif ici est non seulement d'évaluer les besoins de rénovation des écoles, des collèges comme des lycées, besoins qui sont liés à la transition écologique, mais aussi d'identifier les défis - notamment juridiques et financiers - de cette rénovation pour les collectivités territoriales et d'évaluer l'efficacité de l'accompagnement des décideurs locaux. Avant de vous donner la parole, Mme Havet, par la voix de Gilbert Favreau, va vous poser une première série de questions.
M. Gilbert Favreau. - Je vous remercie, monsieur le président. La rénovation énergétique du bâti scolaire ainsi que l'aménagement extérieur des écoles, collèges et lycées constituent un enjeu majeur, ceci d'autant que l'évolution climatique la rend nécessaire et impérative. Elle est accentuée par la crise de l'énergie. Dans ce cadre, nous avons le souhait de nous faire une idée sur les travaux que mènent les architectes et les paysagistes sur des bâtiments, qui sont généralement des bâtiments anciens. Jusqu'à la décentralisation, l'État avait la responsabilité des établissements d'enseignement. La situation a évolué depuis lors. Les écoles primaires sont du ressort des communes ou des intercommunalités. Les collèges sont du ressort des départements. Les lycées sont du ressort des régions. Les bâtiments qui ont été transférés en propriété à ces collectivités territoriales sont parfois en mauvais état, qui se caractérise parfois par leur délabrement. Très souvent, il est indispensable de les reconstruire. Je vais donc vous poser quelques questions.
Tout d'abord, il apparaît que les travaux qui ont été entrepris pour reconstruire certaines écoles sont inspirés par le souhait de l'architecte de faire preuve d'innovation et d'agréable pour les visiteurs. Mais il arrive bien souvent que le bâtiment ainsi construit s'avère dysfonctionnel et inadapté à l'enseignement. En outre, concernant les défis posés par la transition écologique, la question qui se pose est de savoir si les architectes et les paysagistes sont formés à cette transition et à ses enjeux. Ensuite, je voudrais évoquer un document qui est intitulé « maires et architectes : dix clefs pour réussir la transition écologique », téléchargeable sur le site de l'Ordre national des architectes. Dans quelles conditions ce support a-t-il été produit ?
Mme Valérie Flicoteaux, vice-présidente du Conseil national de l'Ordre des architectes. - Je vous remercie, monsieur le président, d'auditionner ici le Conseil national, qui réunit les 30 000 architectes répartis sur l'ensemble du territoire national. Pour entrer dans le vif du sujet, notamment pour aborder la question de la rénovation énergétique des bâtiments scolaires, nous pensons qu'il ne convient pas de cantonner les opérations de rénovation qui y sont conduites uniquement au prisme de leur rénovation thermique, mais aussi et surtout d'y intégrer d'autres paramètres, notamment pour remédier aux problèmes que peut parfois poser le « geste architectural ». Vous m'en voyez peinée, car un architecte qui se voit confier une mission de rénovation intègre dans sa réponse l'usage et le confort des usagers du bâtiment dont il conçoit et pilote la rénovation. Des gestes correctifs peuvent, en conséquence, être apportés afin de travailler au confort d'été qui devient chaque jour de plus en plus prégnant, notamment dans un contexte de transition environnementale, sachant que l'on attend à l'horizon 2050 plus de vingt jours de canicule mortelle par an. Cet enjeu est cependant très mal pris en compte dans la réglementation telle qu'elle est pratiquée en rénovation.
Certes, nous savons bien que la réglementation environnementale RE2020 qui s'applique aux bâtiments neufs intègre bien cette problématique du confort d'été et l'approche « bas carbone », mais, en ce qui concerne la rénovation, c'est la réglementation thermique 2012 qui continue de s'appliquer et elle est en retrait par rapport à la réglementation RE2020.
Nous préconisons de recourir, en ce qui nous concerne, à des solutions qui relèvent du low-tech avec un entretien minimal ainsi que des systèmes en faible nombre. Nous savons que les bâtiments scolaires, notamment quand ils sont pris en charge par de petites collectivités territoriales, ne disposent pas d'organismes ou d'équipes de maintenance performantes. Il convient donc de privilégier des solutions de robustesse et nécessitant peu de maintenance. C'est la raison pour laquelle le low-tech est très certainement l'option la plus appropriée. Nous avons donc élaboré un support, fruit de notre réflexion, intitulé « rénover low-tech ». Il est consacré à cette question de la rénovation en l'appuyant sur des solutions aussi simples que possible. Par exemple, nous préconisons d'éviter les systèmes de ventilation à double flux qui impliquent une maintenance exigeante.
Nous invitons, par ailleurs, le législateur à ne pas privilégier des contrats globaux mais, pour ces rénovations, des contrats en lots séparés, notamment parce que cela permet de disposer d'une maîtrise d'oeuvre adaptée à la situation, qui portera un regard à la fois objectif et adapté et reposant sur un diagnostic patrimonial et architectural dédié aux bâtiments idoines. Il convient d'éviter les solutions toutes faites telle que la démarche Energiesprong. L'intérêt de disposer d'une rénovation sur mesure et intégrant à chaque fois une maîtrise d'oeuvre dédiée permet de se reposer toutes les questions liées aux problématiques de vie et d'usage. Des bâtiments similaires, construits la même année, peuvent répondre à des usages et s'inscrire dans des contextes sociaux différents, ce qui exclut pour leur rénovation des solutions standards. Cela suppose d'utiliser l'ensemble environnemental du bâtiment pour en faire un outil de la conception bioclimatique (rafraîchissement des cours d'école, gestion durable de l'eau par un système d'assainissement idoine, etc.).
Nous savons également que les équipements publics impactent directement la question du patrimoine et la qualité patrimoniale du bâti. Cela suppose de savoir porter un regard particulier et d'être en mesure d'engager un dialogue décalé, notamment avec les architectes des bâtiments de France sur les questions de préservation patrimoniale, dialogue qui sera notamment facilité par la présence d'une maîtrise d'oeuvre sur mesure.
Je voudrais aussi évoquer la question de l'aménagement urbain décarboné. Nous observons, notamment pour les collèges, que la gestion départementale peut entraîner l'implantation de bâtiments en dehors des centres villes, en fonction d'opportunités foncières. La question des trajets, de la place à accorder aux mobilités douces et décarbonées, les enjeux d'aménagement du territoire sont importants.
Je termine mon propos en suggérant au législateur la création d'un observatoire du bâti scolaire, dont la mission s'inscrirait dans le cadre de la planification de la transition écologique. Cet observatoire se fixerait pour tâche principale d'accompagner les collectivités territoriales, notamment les communes, dans l'engagement de travaux visant les bâtiments qui souffrent le plus du manque du confort d'été ou du confort d'hiver. Le travail de cet observatoire aiderait grandement les entreprises du secteur à mener les travaux qu'elles conduisent. Nous estimons, pour notre part, que cette vision stratégique est essentielle.
Je pense, sans me tromper, que les architectes n'ont pas de problème particulier en termes de compétences : ils reçoivent, en effet, une formation initiale très solide. Qui plus est, ils suivent des formations continues à l'occasion desquelles ils sont sensibilisés notamment aux questions de rénovation du bâti et à la prise en compte de la transition écologique. En revanche se pose la question des « déserts architecturaux », liée à la démographie de la profession. L'observatoire de la profession publie des chiffres tous les deux ans. Treize architectes dans la Creuse : cela peut poser à terme un problème d'accompagnement des communes rurales.
Le Conseil national de l'Ordre a publié d'autres documents que « Maires et architectes », que vous évoquiez dans votre introduction. Je pense à « Habitats, villes, territoires, l'architecture comme solution », plaidant pour reconnaitre le rôle de l'architecte comme levier de la transition socio-environnementale, notamment pour développer des filières de matériaux biosourcés. Je pense aussi à l'opération « Un maire, un architecte » présentée lors du dernier Salon des maires.
M. Bernard Fialaire, président. - Quid des Conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) ?
Mme Valérie Flicoteaux. - Il y a 36 000 communes : le projet « Un maire, un architecte » ne se fera pas sans les CAUE !
Je tiens à achever mon propos en vous indiquant que les opérations de rénovation que conduisent les architectes ne peuvent se concevoir sans la présence des élus.
Mme Leslie Gonçalves, architecte, plasticienne et co-fondatrice du groupe Seuil. - Je vous remercie, monsieur le président. Je suis architecte et co-fondatrice du groupe Seuil dont les activités recouvrent notamment l'architecture et l'aménagement. Il inscrit son action dans le cadre d'une démarche écoresponsable, régénératrice et participative. Notre cabinet existe depuis 2005. Il est généraliste en ce qu'il accompagne des opérations de toute nature (aménagement de bureaux, de logements, d'usines, etc.). Il n'est donc pas spécialisé dans la rénovation du bâti scolaire.
Je suis heureuse de participer à cette table ronde. Je voudrais toutefois revenir sur l'intitulé de votre mission : « le bâti scolaire à l'épreuve de la transition écologique ». La présence du terme « épreuve » m'interpelle car il est négativement connoté. Je préfère donc reformuler cet intitulé de la façon suivante : « la transition énergétique, une opportunité pour le bâti scolaire » ! Je ne nie évidemment pas le contexte climatique compliqué prévalant en ce moment. Le cabinet que je dirige en est d'autant plus conscient qu'il est implanté en région Occitanie. Ses antennes sont respectivement installées à Montpellier et à Toulouse.
La région Occitanie est confrontée en ce moment à une hausse du coût de l'énergie, hausse qui concerne autant les entreprises que les établissements scolaires. Dans certaines écoles, les factures énergétiques ont bondi jusqu'à quatre fois le coût d'il y a un an. Il ne faut donc pas se cantonner au prisme de la rénovation thermique, mais privilégier une approche globale, qui doit permettre de concevoir des bâtiments destinés à accueillir des groupes scolaires dans les vingt ou trente prochaines années et qui correspondent aux usages et aux besoins de ces deux ou trois décennies. J'imagine que ces problématiques sont chères aux sénateurs, qui sont les représentants des territoires par excellence. Nous, architectes, devons vous expliquer en quoi la rénovation énergétique (au-delà de l'enveloppe du bâtiment proprement dit) doit être accompagnée du début à la fin du travail qui est entrepris.
J'ai identifié à cet égard trois axes. D'abord, il convient de privilégier une démarche à la fois contextuelle et participative, ayant en perspective l'adaptabilité des bâtiments. Il faut éviter de construire des extensions de façon industrielle faisant fi des problématiques locales, mais imaginer, pour chaque cas, un projet bien adapté. Je voudrais citer le cas d'un collège pour lequel il nous a été demandé de réaliser une extension. Nous avons pris conscience que cette extension ne présentait pas autant d'avantages que ce qui était originellement envisagé. Les usagers se retrouveraient, si le projet était conduit ainsi, dans un bâtiment très vaste et pas réellement adapté aux besoins. Certes, cette extension est nécessaire, mais ce chantier doit être l'occasion de repenser l'aménagement du bâtiment existant, ce qui devrait permettre in fine de construire certes moins, mais surtout mieux et de reconfigurer les pièces actuelles. Nous pensons, à travers cet exemple, que le fait d'associer les utilisateurs à nos projets permet aux élus d'être au plus près des populations et de leur garantir une offre en matière pédagogique adaptée à leurs besoins.
Le deuxième axe que j'ai identifié concerne les matériaux. Nous estimons très important de travailler avec des matériaux biosourcés ou géo-sourcés, voire avec des matériaux recyclés. Cela constitue, pour nous, une obligation et un atout pour l'avenir. Quand nous réutilisons des matériaux, la plupart du temps, ce réemploi nous demande très peu de moyens et d'énergie. Ces matériaux sont généralement « bas-carbone ». Je songe ici à la paille et au bois, par exemple. Nous travaillons aussi avec la terre crue, qui peut apporter de l'inertie à une construction. Elle nécessite très peu d'eau et permet de requalifier et de revaloriser certains métiers et de développer des savoir-faire : je pense notamment aux maçons. Évoquons aussi le réemploi de matériau, que nous favorisons considérablement sur les projets que nous sommes amenés à conduire, avec la réutilisation des fenêtres ou des portes, ou d'autres matériaux divers et variés. Cela étant, il existe quelques freins liés à la réglementation française. J'ajoute que les bureaux de contrôle et les assureurs sont associés à nos discussions et sont sensibles à la question du réemploi, en dépit des réticences qu'ils peuvent originellement exprimer.
Il me semble enfin opportun, avant d'aborder mon troisième axe, de préciser que si la question de la rénovation du bâti scolaire est devenue très pertinente, nous ne trouvons pas de partenaires pour nous accompagner, notamment sur le plan financier. Nous espérons pouvoir compter sur vous pour nous aider à lever ces freins. Nous avons ainsi conduit un projet de rénovation de logements, pour laquelle il nous a été impossible d'être accompagnés par des établissements bancaires. Ces freins sont très handicapants et tant qu'ils n'auront pas été levés, notre profession ne pourra pas vraiment répondre à tous les besoins.
Le troisième axe auquel je souhaite vous sensibiliser concerne le rôle décisif de nos collègues paysagistes, sans lesquels nous ne pouvons pas conduire les projets qui nous sont confiés. Ceux-ci doivent inclure la régénération des milieux et la préservation des sols. Ce travail commun permettra aussi de favoriser le développement de la biodiversité et d'apporter un bénéfice environnemental à nos chantiers. Je cite à cet égard l'exemple du lycée Antoine Bourdelle de Montauban, dans l'académie de Toulouse : une architecture bioclimatique, un lycée végétalisé, avec une agroforesterie et un îlot de fraicheur.
Mme Juliette Hunin, déléguée générale de la Fédération française du paysage (FFP), association nationale professionnelle des paysagistes concepteurs. - Je vous remercie, monsieur le président d'avoir invité notre fédération à cette table ronde. La Fédération française du paysage compte aujourd'hui plus de 600 adhérents sur une profession qui réunit plus de 4 500 paysagistes concepteurs en France. Je suis accompagnée cet après-midi de trois paysagistes concepteurs, qui ont chacun une approche qui leur est propre sur la rénovation et l'aménagement des cours d'école. Le prisme des paysagistes sur l'aménagement des cours est probablement plus large que celui des architectes.
M. Dany Hermel-Wiart, paysagiste concepteur. - Mon propos ambitionne de vous décrire mon expérience à travers l'assistance à maîtrise d'ouvrage confiée à mon agence par la ville de Bordeaux visant à réhabiliter certaines cours d'école. Penser la rénovation du bâti suppose de penser aussi la rénovation de la cour d'école. Il revient au paysagiste d'appréhender le lieu et d'engager un dialogue avec ses usagers. Bien entendu, nous connaissons les caractéristiques de ces cours, en l'occurrence la présence très massive de l'enrobé et celle de quelques arbres. Les cours sont faciles à entretenir et permettent la présence d'un maximum d'enfants.
Repenser ces cours revient tout d'abord à les « décroûter » : il s'agit de retirer l'enrobé. La revitalisation des sols reste la clef du rafraîchissement de nos villes à travers la rétention des eaux pluviales. Les sols ont aussi la capacité de stocker le carbone. Un autre enjeu est de remettre les enfants au contact de la nature afin de leur permettre de mieux la respecter. La cour d'école est ainsi un lieu d'apprentissage à la biodiversité.
Un autre enjeu de ces travaux concerne le rapport au temps, le temps de la conception et celui des travaux. Parfois, nous disposons des deux mois d'été - un mois si le bâtiment accueille une crèche ou des activités périscolaires. Or les plantations se font vers la Toussaint et en hiver... Enfin, la concertation est essentielle à ces travaux. Une cour buissonnière est le fruit d'une co-construction qui associe les enseignants, les équipes pédagogiques, les élèves et les personnels. Nous avons, à travers l'expérience qu'il nous a été donné de connaître à Bordeaux, rencontré des difficultés, mais aussi des surprises. Enfin, je tiens à souligner l'importance des diagnostics qu'il convient de mener au préalable, notamment pour la réfection des réseaux. Je parle en connaissance de cause.
Nous avons aussi constaté les limites de la végétalisation elle-même. Le végétal n'a pas vocation à résoudre automatiquement les problèmes de réchauffement des bâtiments. Il est nécessaire de lui donner du temps. Nos solutions s'inscrivent donc dans le temps long. Elles supposeront aussi d'accompagner les utilisateurs à maîtriser les nouveaux usages qui en découlent.
Mme Edith Vallet, paysagiste concepteur. - La question de la réalisation du chantier est importante et pose un certain nombre de défis, en particulier sur le plan technique. Comme l'a indiqué mon collègue Dany Hermel, il convient de rappeler que les « fenêtres de tir » qui nous sont octroyées pour concevoir et pour réaliser ces travaux d'aménagement sont très courtes. Or les travaux que nous conduisons s'apparentent bien souvent à des chantiers de génie civil ! Cela nécessitera une mobilisation de la maîtrise d'oeuvre et des entreprises concernées. Le préalable consiste, comme l'a dit mon collègue, à mener une opération de décroûtage. Une fois que celle-ci est conduite, il convient de choisir le bon revêtement. Sachez que les revêtements drainants sont actuellement en phase expérimentale. Je pense à la résine poreuse. Nous travaillons donc avec nos fournisseurs pour adapter nos procédés. Nous sommes à même de conduire des opérations de recyclage de matériaux qui ne perdent pas leur perméabilité. Se pose aussi la question du défi de l'eau puisqu'une rénovation de cour d'école suppose aussi de traiter le ruissellement des eaux de pluies qui peuvent être stockées, puis réutilisées intelligemment, notamment pour l'arrosage automatique. Elles peuvent aussi arroser des espaces fragiles, notamment les potagers. Nous travaillons à des réseaux à ciel ouvert, dans une démarche « zéro tuyau ». S'agissant du rafraichissement, les arbres sont les premiers climatiseurs ! Les pergolas constituent des solutions intéressantes. On nous demande de plus en plus d'aménager les extérieurs dans une logique de classe en plein air. On recourt donc ainsi à des toiles d'ombrage.
Mme Juliette Hunin. - Précisons que nous sommes accompagnés sur ces opérations qui constituent autant de défis techniques par des agences de l'eau qui sont des appuis extrêmement précieux pour nos chantiers.
Mme Anne-Cécile Jacquot, paysagiste concepteur. - Je veux à présent évoquer la cour d'école en tant que premier espace d'expérimentation de l'altérité, où l'on découvre l'autre, où l'on entre dans le jeu de la sociabilité et où l'on prend conscience de la place respective des garçons et des filles. Nos réflexions visent également à trouver des solutions pour favoriser cette place. La transformation des cours d'école doit, par conséquent, s'entendre dans le cadre d'une co-conception avec les enfants eux-mêmes et les services techniques. Notre travail de paysagiste va au-delà de la problématique de la végétalisation. Il consiste à élaborer des cours qui répondent à des besoins qui sont les plus variés possibles et visent à susciter les ambiances les plus variées possibles. Nous recherchons des solutions permettant aussi de lire, d'être au calme, de discuter. Les garçons sont traditionnellement situés au milieu de la cour où ils jouent au ballon cependant que les filles sont reléguées aux alentours et conversent. Il faut réfléchir à une nouvelle organisation de l'espace, à de nouveaux usages. Cela pose aussi la question des espaces où l'on s'assied : différentes solutions s'offrent à nous en la matière.
Un chantier qui est mené dans une cour d'école nécessite différentes phases répondant à divers impératifs. Notre travail consiste donc à développer tous les outils graphiques qui vont nous permettre d'exprimer notre projet pour emmener les acteurs dans l'histoire qui va s'écrire. Nous devons présenter nos projets tant à des parents d'élèves, qu'aux élèves eux-mêmes ou aux élus territoriaux. Le retour vers les élèves peut aussi être l'occasion de leur expliquer que les travaux qui sont conduits dans la cour de leur école sont financés par les impôts...
M. Dany Hermel-Wiart. - Le choix de la palette végétale fait partie de notre domaine d'expertise. Nous sommes à même d'évaluer le choix de cette palette selon les besoins qui s'expriment et les critères en vigueur. Nous savons qu'il est de plus en plus difficile de choisir la palette végétale en raison des problématiques sanitaires que posent certains végétaux. Nous établissons donc un lien avec la filière du végétal (pépiniéristes, etc.) qui bénéficie d'une connaissance des sols et des végétaux. Planter dans les cours d'école ne s'avère efficace que si l'on remet à jour les différentes strates végétales. Il est certaines strates que nous connaissons, mais il en est d'autres que nous avons oubliées : je pense à la strate herbacée ou à la strate arbustive, qui apportent de la diversité aux utilisateurs des cours. On peut, par exemple, recourir à une palette végétale méditerranéenne en Lorraine : cela permet de se passer d'arrosage, mais n'apportera pas de fraicheur. Prenons garde au fait que les plantes méditerranéennes gardent l'eau : il n'y a pas de solution miracle ! Quant à implanter dans certaines cours des potagers, c'est une belle idée mais il faut être sûr que quelqu'un puisse l'entretenir pendant les vacances d'été...
Mme Anne-Cécile Jacquot. - Nous avons parfaitement conscience que ces projets représentent des investissements très conséquents pour les communes. Certains élus envisagent d'ouvrir les cours et d'en faire des espaces publics hors des temps scolaires : nous devons intégrer la possibilité d'intégrer cette autre dimension dans notre réflexion.
Mme Jocelyne Guidez. - Votre intervention me fait dire que votre travail s'apparente à celui qui peut être mené en amont du lancement d'un chantier d'une zone d'aménagement concerté.
Mme Valérie Flicoteaux. - Je considère que la démarche conduite ici s'apparente plutôt à une opération de « reconquête » des sols.
M. Bernard Fialaire, président. - Vous avez beaucoup parlé de la concertation. Je vous ai entendu parler des élèves, des parents d'élèves, des élus et des personnels techniques. Mais vous n'avez pas du tout cité l'éducation nationale. Quelle est sa place dans les opérations de concertation que vous êtes amenés à conduire ? Fait-elle preuve de réticence face à certains de vos projets ?
Mme Valérie Flicoteaux. - Nous travaillons beaucoup à sensibiliser nos interlocuteurs à la nécessité d'introduire de nouveaux usages dans les bâtiments où nous intervenons, sans limiter strictement leur usage aux missions qui leur sont usuellement dévolues. Dès lors la question de la mutualisation des usages est très importante, car elle permet de mieux rentabiliser l'investissement lourd qui est consenti par la collectivité. À Paris, il est question d'ouvrir les cours oasis au public pendant les périodes de canicule. Tout dépendra cependant de la rigidité du système. Vous avez cité l'éducation nationale. Vous auriez pu tout aussi bien citer le Ministère de l'Intérieur, qui est extrêmement vigilant aux enjeux sécuritaires des aménagements apportés à certains espaces publics. Le Ministère de l'Intérieur a, en raison de la menace terroriste, très significativement rigidifié les conditions d'accès aux établissements scolaires. Ce sont des réalités qui impactent directement le travail des concepteurs que nous sommes et qui génèrent des contraintes sur la conduite d'un projet qui se voudrait normalement plus souple, plus participatif, plus ouvert.
M. Bernard Fialaire, président. - Disposez-vous de solutions vous permettant justement de relever les défis auxquels vous avez fait allusion à l'instant ?
Mme Valérie Flicoteaux. - Le contrôle des accès fait partie du cahier des charges auquel nous devons répondre. Les réponses que nous apportons ont donc vocation à tenir compte de ces contraintes et seront de ce fait moins généreuses en termes d'ouverture. Cela limite le nombre des accès. Il nous semble tout à fait approprié de nous imposer ces contraintes, de la même façon que l'on ne saurait reprocher à l'État de nous imposer des contraintes en matière de sécurité incendie. Il s'agit de sujets qui impactent la réponse architecturale. Il nous revient cependant de la rendre la plus qualitative possible, au cas par cas. La proposition sera différente selon que l'établissement sur lequel nous intervenons se situe en milieu rural ou en milieu urbain.
Mme Leslie Gonçalvez. - Ces contraintes n'existent nullement dans d'autres pays européens. Je peux témoigner de l'existence, en Autriche, d'écoles situées en milieu rural, dont la cour donne quasiment sur la place du village et est en contact direct avec celle-ci, voire partagée. Quant à la question que vous posez, monsieur le président, de la place de l'éducation nationale, notamment quand les espaces peuvent et doivent être partagés avec d'autres, nous tâchons de l'instruire à l'occasion d'ateliers participatifs que nous conduisons et dans le cadre desquels les acteurs de ces espaces interviennent. Dans la plupart des cas, nous sommes amenés à recommander de proroger ces ateliers participatifs dont l'animation est confiée à des « architectes assistants à maîtrise d'usage ». S'il est un mot qu'il convient de retenir, c'est celui de contexte : nous devons en permanence nous adapter au contexte dans lequel nous intervenons.
Mme Valérie Flicoteaux. - Le Conseil national de l'Ordre des architectes travaille en ce moment avec le ministère de l'éducation nationale à l'élaboration d'un document sur l'intégration de la problématique de la transition énergétique aux programmes scolaires. Le conseil travaille aussi à la mise à jour de certaines recommandations qui sont en vigueur au sein de l'éducation nationale. Nous pourrions toutefois favoriser le lancement de réflexions à un échelon plus local. Je vous parlais tout à l'heure de patrimoine : il y a les mêmes questionnements avec les architectes des bâtiments de France, dont le discours est souvent « monocorde » et a du mal à s'adapter aux contingences locales. Le problème le plus compliqué à gérer pour nous est celui de l'injonction contradictoire et il faut réellement que les services de l'État tout comme les territoires oeuvrent dans un même sens.
Mme Anne-Cécile Jacquot. - La collaboration avec le corps enseignant pour la conception des espaces extérieurs, que ce soit pour des collèges ou pour le primaire, se déroule convenablement parce que les enseignants sont tout à fait disposés à dispenser leurs enseignements à l'extérieur. Aucune transformation ne peut se faire sans l'implication de ces personnels, voire des personnels périscolaires dont les habitudes et les exigences doivent être prises en compte, notamment la surveillance des enfants, dans les meilleures conditions qui soient. Il y a un équilibre à trouver entre les souhaits des enfants et les attentes des enseignants : quand ceux-ci sont impliqués dès l'origine du projet que nous conduisons, c'est très satisfaisant. Je pourrais citer l'exemple d'un établissement scolaire sur lequel nous sommes intervenus : il nous a été rapporté le souhait des équipes pédagogiques d'inclure un poulailler dans notre projet d'aménagement. Nous étions évidemment très étonnés. Les équipes pédagogiques souhaitaient vraiment un poulailler et nous l'avons donc intégré à notre démarche d'aménagement.
Mme Valérie Flicoteaux. - Je pense que ces moments de transformation qui concernent autant les bâtiments que les extérieurs sont une extraordinaire opportunité de favoriser une approche pédagogique. Ils sont l'occasion de parler aux enfants du cycle de l'eau, de la transition énergétique, voire du coût que représentent les travaux qui sont engagés dans leur école. Imaginez des jeunes à qui l'on explique comment l'on monte et comment l'on installe une charpente. De vous à moi, ils seront certainement plus intéressés par ce montage et par cette installation que par leur cours de physique-chimie ! Je crois donc qu'il est absolument indispensable de faire de ces moments de transformation des moments de partage pédagogique. Pour bénéficier de ces moments de partage pédagogique, nous avons besoin des enseignants.
Mme Juliette Hunin. - Dans un collège où nous sommes intervenus, nous avons inséré des équipements qui permettent de mesurer la consommation énergétique du bâtiment lui-même.
M. Gilbert Favreau. - Je souhaite connaître les préoccupations des maîtres d'ouvrage que vous êtes amenés à rencontrer dans le cadre des travaux que vous pouvez conduire. Le maître d'ouvrage qui est amené à intervenir pour un collège accueillant 400 à 500 élèves au titre d'un chantier de rénovation supervisera un chantier dont le coût est estimé à une vingtaine de millions d'euros, et qui sera généralement pris en charge dans sa quasi-totalité par le département. Outre cette question financière, il doit, si le projet qui lui est confié suppose la construction d'un bâti neuf ou d'une extension d'un bâtiment existant, rechercher un site remplissant les conditions d'accès nécessaires à l'installation d'un établissement d'enseignement, en particulier en termes d'organisation territoriale. N'oublions pas non plus que la taille de ces établissements peut varier. Je puis en témoigner : mon département compte 36 collèges publics, on trouve sur le territoire que je représente des petits et des grands collèges. Les besoins et les attentes ne sont bien évidemment pas les mêmes. L'éducation nationale prend une certaine distance par rapport à la maitrise d'ouvrage, se bornant aux questions relatives à l'enseignement et la sécurité. En conclusion, permettez-moi d'exprimer mes craintes et mes appréhensions quant à une certaine déconnexion de vos aspirations avec la réalité des territoires et de leurs acteurs locaux. Vous présentez un monde merveilleux, mais n'oubliez pas qu'un élu engage sa responsabilité quand un établissement scolaire est construit ou aménagé. Les exigences de sécurité, dans le cadre de Vigipirate, sont très strictes. Tous ces enjeux nous conduisent à une vision plus terre à terre, mais notre responsabilité d'élus l'exige.
Mme Céline Brulin. - Je vous remercie bien sincèrement de vos interventions qui ouvrent de belles perspectives. À mon tour, je vais revenir aux réalités des territoires. Le coût global de la rénovation du bâti scolaire a été évalué à 40 milliards d'euros. Vous avez parlé aussi de « déserts architecturaux ». À quelle échéance pensez-vous que nous puissions arriver au terme de nos obligations de rénovation énergétique des établissements scolaires ? Vous avez évoqué un travail mené en coordination avec l'éducation nationale. Les collectivités territoriales sont-elles associées à ce travail ? Elles sont amenées à supporter les charges financières des chantiers dont il est ici question ! Nous observons enfin un fléchissement démographique scolaire entraînant la fermeture de classes, voire d'écoles ou des regroupements scolaires. Avez-vous intégré à votre réflexion cette évolution ? Quel regard portez-vous sur ses effets ? Enfin, je voudrais savoir comment il est possible de conduire des projets de rénovation d'établissements scolaires dans la durée, en raison des contraintes calendaires qui s'imposent aux corps de métier, du fait de l'année scolaire qui s'y déroule. Pourriez-vous nous citer des exemples de chantiers de rénovation de collèges qui ont été réalisés alors que l'établissement était occupé ?
M. Bernard Fialaire, président. - Pour compléter le propos de ma collègue, disposez-vous d'une évaluation du coût par mètre carré des travaux de rénovation énergétique dont font l'objet les bâtiments sur lesquels vous êtes amenés à intervenir ? Pour finir, nous avons évoqué tout à l'heure l'ampleur des travaux à entreprendre, estimés il y a quelques années à plus de 40 milliards d'euros. Ma question est très simple : pensez-vous que nous disposons tout simplement de suffisamment d'entreprises en France pour répondre à ces besoins et relever ces défis ?
Mme Valérie Flicoteaux. - C'est tout l'enjeu de l'observatoire que j'évoquais tout à l'heure, dont la mission consisterait justement à définir une vision stratégique, adossée à un plan d'investissement à cinq ou dix ans, ce qui donnera à toutes les filières une perspective sur le long terme leur permettant de s'organiser dans les meilleures conditions et d'articuler des priorités. La réhabilitation des logements sollicite les mêmes professions. Il faut donc une programmation des investissements pour donner de la visibilité à chacun et permettre aux filières de s'organiser. Il importe de commencer par les chantiers les plus urgents, des années 1970-1980 (je pense par exemple aux façades vitrées plein sud). Il faudrait aussi définir des éco-conditionnalités permettant à des filières géo-sourcées ou biosourcées de s'organiser localement pour répondre de façon exemplaire à une commande publique. Cette visibilité est donc absolument essentielle.
Vous nous interrogez, par ailleurs, sur une éventuelle déconnexion de notre activité par rapport à la réalité du terrain et des exigences du maître d'ouvrage. Je vous répondrai que le maître d'ouvrage, au travers des procédures qu'il met en oeuvre, a les moyens de trouver des solutions idoines. La commande publique devrait se fixer des objectifs d'exemplarité en n'hésitant pas, par exemple, à recourir aux concours. Certes il s'agit d'une procédure qui est coûteuse, mais qui permet d'emporter plus simplement l'ensemble de l'écosystème qui est attaché au projet. Cela renforce le plaidoyer que je formulais tout à l'heure préconisant de ne pas privilégier les contrats globaux et de favoriser une maîtrise d'oeuvre « classique » de façon à privilégier une maîtrise d'oeuvre au cas par cas, privilégiant une approche concertée, ce qui suppose des procédures de désignation pouvant aller jusqu'au concours. Je crois qu'une telle approche permettrait de résoudre bien des problèmes en amont du projet.
M. Gilbert Favreau. - Les régions font parfois travailler des entreprises générales. S'agissant de ma région, où des collèges et des lycées sont régulièrement rénovés, des maîtres d'oeuvre pilotent les chantiers. Les corps de métier interviennent derrière ces derniers. Notre vision est plurielle.
Mme Valérie Flicoteaux. - Dans le cadre de contrats globaux, la maitrise d'oeuvre n'est pas en lien direct avec le maitre d'ouvrage. L'intervention d'entreprises générales est un autre sujet.
Mme Juliette Hunin. - Le document présenté par la Fédération française du paysage vous présente ce que l'on peut qualifier de « gouvernance vertueuse ».
M. Dany Hermel-Wiart. - Un modèle de gouvernance vertueuse a été mis en place pour le projet d'école buissonnière de la ville de Bordeaux. La maîtrise d'ouvrage est assurée par la Direction de l'Animation, de l'Équipement et de l'Éducation de la ville de Bordeaux. Le pilotage est confié au pôle « Patrimoine végétal et Biodiversité » de la métropole bordelaise, gestionnaire des espaces verts. Citons également l'assistance à maîtrise d'ouvrage qui est assurée par un bureau d'études et par divers paysagistes, dont moi-même. Enfin, la structure s'appuie sur quatre équipes de maîtrise d'oeuvre dont le paysagiste est mandataire. Évoquons aussi le partenariat avec les élus locaux. La volonté politique est donc très claire : il s'agit de végétaliser les cours d'école et de favoriser l'inclusion entre filles et garçons au sein de ces cours. Nous avons constaté la survenue de problèmes de surcoûts, notamment en raison de la lourdeur des travaux de désimperméabilisation des sols, qui peuvent représenter jusqu'à 40 % de l'enveloppe globale. La ville de Bordeaux a fait le choix de lancer des marchés d'une durée de quatre ans. Les BPU viennent de sortir. Les entreprises répondent, mais elles ne sont pas nombreuses en raison de la brièveté de la « fenêtre de tir » qui leur est imposée pour effectuer les travaux. Elles savent qu'il sera difficile de trouver des entreprises disponibles pour se mobiliser durant les congés estivaux et en capacité d'apporter à ce moment-là leur expertise.
Mme Anne-Cécile Jacquot. - Vous nous avez, par ailleurs, interrogés sur notre capacité à répondre à la demande, qui représente un montant conséquent en termes d'investissement (environ 40 milliards d'euros). Je cite le cas de la CAUE 54, qui organise des formations et fait monter en compétences les équipes de paysagistes. Je voudrais aussi insister sur la nécessaire vision à long terme : quand nous sommes contactés en janvier pour lancer un chantier qui se déroulera en juillet, je fais le choix de ne pas répondre car il faut du temps à la communauté éducative pour participer au projet et pour se l'approprier. Il en va de même des collectivités territoriales. Quand une cour d'école est transformée, le minimum est d'y associer les personnels enseignants, les personnels techniques qui assureront l'entretien et les élus des collectivités concernées.
Mme Leslie Gonçalvez. - Je rejoins le point de vue de mes collègues. S'agissant des investissements, globalement estimés à 40 milliards d'euros, je voudrais rappeler que la France a beaucoup d'obligations. Il sera peut-être nécessaire d'allonger le délai d'élaboration du projet, mais cet allongement doit être pensé à l'aune de la durée de vie de celui-ci. Je voudrais aussi vous assurer que, tous les jours, nous construisons en paille, en bois ou en terre crue : ce n'est pas une utopie ! Nous connaissons ces matériaux et nous les utilisons dans le strict respect des enveloppes budgétaires qui nous sont octroyées. Nous encourageons à poursuivre ces rénovations en n'hésitant pas à y recourir.
Mme Valérie Flicoteaux. - Je voudrais insister sur le travail partenarial que nous conduisons avec l'éducation nationale. Ce partenariat concerne des questionnements aussi concrets que le renouvellement et la circulation de l'air. L'État a la responsabilité de garantir un cadre d'enseignement idoine et homogène. Cela passe par un travail et une concertation avec l'éducation nationale. En matière de transition énergétique, si la puissance publique n'est pas motrice, il sera difficile aux équipes techniques de s'engager. Ces questions de concertation participent aussi à la transformation des comportements et des usages. Si les élus que vous êtes ne sont pas à nos côtés pour fixer des exigences à la hauteur des enjeux et aller vers les projets les plus ambitieux possible, il nous sera difficile de réaliser les transformations auxquelles nous travaillons.
Mme Anne-Cécile Jacquot. - L'intérêt est aussi celui des enfants. Demandez à n'importe quel enseignant l'impact de la transformation d'une cour d'école sur les élèves dont il a la responsabilité : il confirmera que l'ambiance n'y est absolument pas la même ! Il ne s'y passe plus la même chose et il y a beaucoup moins de conflits. La transformation des lieux entraînera une transformation des habitudes. Nous le constatons quotidiennement.
Mme Jocelyne Guidez. - J'ai été maire d'une commune de 5 000 habitants. J'ai fait construire une cantine scolaire en structure bois et en isolation paille d'une superficie de 340 mètres carrés. Je n'ai pas besoin de chauffer le bâtiment. Nous avons inséré des hublots pour que les enfants puissent apercevoir la paille, ce qui constitue une expérience formidable sur le plan pédagogique. Je puis témoigner que ce type de projet s'inscrit cependant dans le temps long. Cela n'est pas toujours évident à appréhender : le bruit occasionné par les travaux est une difficulté parmi d'autres.
M. Bernard Fialaire, président. - En guise de conclusion, permettez-moi de remercier chacun d'entre vous d'avoir pris le temps de répondre à nos questions et de nous avoir fait part de vos réflexions..
Cette réunion a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 20.
Jeudi 06 avril 2023
- Présidence de M. Jean-Marie Mizzon, président -
La réunion est ouverte à 15 heures.
Accompagnement des collectivités territoriales - Audition
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Mes chers collègues, Mesdames, Messieurs, nous poursuivons cet après-midi nos travaux avec une table ronde déterminante, qui porte sur l'accompagnement des élus dans leurs projets de rénovation ou de construction du bâti scolaire. Notre objectif aujourd'hui est de comprendre, dans ses dimensions très concrètes, le parcours des élus mettant en place un projet de rénovation de leur bâti scolaire, pour respecter les échéances prescrites par le décret tertiaire et optimiser leurs dépenses en énergie. Certaines collectivités ne disposent pas de services techniques suffisamment étoffés pour les aider dans les démarches diverses et complexes qu'implique la réalisation d'un tel projet : leur accompagnement pour franchir les étapes techniques, juridiques et financières de ces projets est donc particulièrement important.
Nous accueillons ainsi au Sénat :
- la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), représentée par M. Guillaume Perrin, coordinateur national du programme ACTÉE (Action des collectivités territoriales pour l'efficacité énergétique), et M. Mathias Quarteron, chef de projet « Bâti scolaire » ;
- l'ADEME, représentée par Mme Joëlle Colosio, directrice exécutive adjointe des territoires et M. Christophe Lestage, coordinateur Conseil en énergie partagé du Service des politiques territoriales ;
- la Fédération des agences locales de l'énergie et du climat (FLAME), représentée par Mme Maryse Combres, présidente, M. Rémi Chabrillat, président de l'Aduhme (ALEC du Puy-de-Dôme), et M. Franck Sentier, délégué général ;
- le CEREMA - climat et territoires de demain, représenté par M. Pascal Bertaud, directeur général, et M. Laurent Arnaud, directeur Bâtiment durable ;
- la Fédération Nationale des Conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), représentée par M. Renaud Barrès, directeur du CAUE des Pyrénées-Atlantiques, et Mme Eleonore Chambras Lafuente, chargée de mission ;
- le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), représenté par M. Julien Hans, directeur énergie environnement du Centre scientifique et technique du bâtiment de Grenoble ;
- et l'Institut français pour la performance énergétique du bâtiment (IFBEB), représenté par M. Christophe Rodriguez, directeur général, et Mme Nathalie Lederman, responsable projet CUBE.S et CUBE.Écoles.
Notre attention a été attirée par le programme CUBE.S compte tenu de l'intérêt que présente la sensibilisation des utilisateurs aux économies d'énergie. De même, l'enjeu pédagogique que constitue la formation des jeunes aux questions environnementales est pour nous important. L'existence d'un championnat d'économies d'énergie ne pouvait, comme vous l'imaginez, que nous intéresser. Je précise également que nous allons rencontrer en visioconférence le CAUE de La Réunion et que nous aurons l'occasion, lors de prochains déplacements, de retrouver sur le terrain certaines des structures que vous représentez (je pense notamment aux agences locales de l'énergie et du climat (ALEC).
Je rappelle à votre attention, mesdames, messieurs, que cette audition fait l'objet d'un enregistrement vidéo, qui sera disponible sur le site du Sénat, et qu'elle donnera lieu à un compte rendu écrit, annexé à notre rapport.
Mme Havet, notre rapporteure, est empêchée de participer à cette réunion par un cas de force majeure. Voici les questions qu'elle souhaite vous poser par mon intermédiaire pour lancer nos débats : comment chacune des structures que vous représentez conseille-t-elle les élus et accompagne-t-elle leurs projets ? Comment ces structures travaillent-elles ensemble dans ce qui ressemble à première vue à un "maquis" de guichets différents ? Nous nous intéressons plus particulièrement aux élus qui disposent de peu d'ingénierie dans les services de leur collectivité : comment réunissent-ils les expertises techniques nécessaires à l'élaboration de leur stratégie ? Comment sont-ils conseillés dans les choix juridiques qu'impose tout marché public ?
De plus, le rapport Demarcq de 2020 sur la rénovation thermique des bâtiments scolaires notait la profusion de documents mis en ligne par divers « centres de ressources et plateformes » pour conseiller les élus en amont de leur décision. Ce rapport faisait également état de l'impossibilité de dresser un inventaire de ces guides. Qu'en pensez-vous ? Quelle source d'information conseillez-vous aux élus pour conduire leurs projets ?
Le même rapport appelait aussi à une étroite coordination entre le dispositif des conseillers en énergie partagés (CEP), animé par l'ADEME, et le programme ACTÉE (Action des collectivités territoriales pour l'efficacité énergétique), porté par la FNCCR (Fédération nationale des collectivité concédantes et régies). Ce souhait est-il satisfait ou cette recommandation est-elle toujours d'actualité ? J'ajoute que l'utilité des économes de flux ne semble plus à démontrer mais des élus auditionnés la semaine dernière ont témoigné de la difficulté d'en recruter. Qu'en pensez-vous ? Je vous donne la parole.
M. Christophe Lestage, coordinateur Conseil en énergie partagé du service des politiques territoriales de l'ADEME. - Je suis ingénieur en charge de l'animation du dispositif Conseillers en énergie (CEP), qui est le plus ancien réseau de conseillers en énergie partagée ou économe de flux. Il est né d'une initiative territoriale en Bretagne visant à accompagner les petites communes qui ne pouvaient pas se permettre de recruter des conseillers énergétiques à temps plein. Tous nos axes d'intervention visent à s'adapter au tissu rural de petites communes. Nous avons innové en mutualisant des postes au sein d'un territoire donné, constitué d'une vingtaine de communes, ce qui a été très bien accueilli. D'autres régions ont mis en place des initiatives similaires avec des appellations différentes. Dans le prolongement d'une évaluation nationale, ces initiatives ont été étendues au territoire national, donnant ainsi naissance au CEP il y a une dizaine d'années.
Un CEP est avant tout un thermicien dont le poste est mutualisé pour intervenir dans une vingtaine de petites communes, généralement d'une taille moyenne de 1 000 à 1 500 habitants. Tout d'abord, ils réalisent un bilan-diagnostic pour évaluer l'état de l'ensemble du patrimoine - en particulier des bâtiments communaux, qui sont au nombre d'environ 15 par commune - et les flux en termes de consommation d'énergie, ce qui permet de détecter les erreurs de facturation et de formaliser des préconisations hiérarchisées. Ensuite, ils accompagnent les élus qui prennent l'initiative de réaliser un projet de rénovation : ceux-ci bénéficient alors d'une aide pour la rédaction de cahiers des charges, le choix de la maîtrise d'oeuvre et la recherche des aides mobilisables. Ce n'est pas de l'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO) mais c'est tout de même un accompagnement de projet. Enfin, ils assurent le suivi des travaux en cours et évaluent leur impact sur la réduction de la consommation d'énergie et des émissions de gaz à effet de serre. Au-delà de cet accompagnement que je qualifierai de bilatéral, une animation est également amorcée au niveau du territoire - qui peut être un bassin d'emploi, un département ou une communauté de communes - avec des actions groupées comme des achats en commun, la mise en réseau des acteurs, l'information, la sensibilisation et le retour d'expérience.
Les résultats montrent que les communes accompagnées par un CEP ont de meilleurs résultats en termes de consommation d'énergie que celles qui ne le sont pas. Vous trouverez également dans nos rapports des chiffres portant sur la satisfaction des élus et les économies générées par un CEP. Aujourd'hui, on recense 364 et donc près de 400 CEP soit, en moyenne deux par structure - comme les syndicats d'énergie, les Agence Locale de l'Énergie et du Climat (ALEC), les EPCI, les territoires de projet, les Pays ou les CAUE. S'agissant de leur répartition géographique, on trouve des CEP dans presque tous les départements avec une proportion importante en Bretagne, qui est une région pionnière.
L'ADEME offre quatre vecteurs de pilotage de ce dispositif : tout d'abord, une aide au financement de la création de postes pendant les trois premières années, avec un objectif de pérennisation ; ensuite un parcours de formation dédié pour les conseillers, avec différents modules et une animation régionalisée pour favoriser l'échange entre les conseillers.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Pouvez-vous nous apporter quelques précisions d'ordre financier ?
M. Christophe Lestage. - Le coût annuel d'un conseiller en énergie partagée (CEP) est de 100 000 euros, en incluant les salaires, les charges, le secrétariat et les déplacements. L'ADEME finance le tiers de ce coût soit 100 000 euros pour ces trois années. Avec un budget de trois millions d'euros, nous pouvons ainsi soutenir la création de 30 nouveaux postes de conseillers par an.
J'en viens au parcours de formation des CEP, qui comprend six modules dédiés et, comme outillage, ils disposent d'un espace collaboratif donnant accès à un forum permettant aux conseillers d'échanger entre eux ainsi qu'à un agenda et un répertoire partagés. L'ADEME organise également, pour les conseillers, des rencontres nationales annuelles ainsi que des animations régionalisées. Sur les 364 CEP, une dizaine d'entre eux ont des profils atypiques dans le tertiaire, la santé, l'université ; 12 conseillers sont localisés dans les outre-mer. L'un d'entre eux a, par exemple, généré des éco-gestes, fabriqué des affiches, rédigé un guide sur les brasseurs d'air et conçu des vidéos sur la rénovation énergétique, la climatisation, la production solaire, la végétalisation et autres.
L'ADEME a également lancé une initiative dénommée CARTE c'est-à-dire "Collectif des Acteurs de la Rénovation Thermique", qui répond à votre question sur la synergie entre les différents réseaux et acteurs impliqués dans la rénovation énergétique des bâtiments : cette collaboration engage l'ADEME, le réseau CEP-économes de flux ainsi que les secteurs de la santé et de l'enseignement supérieur. Il est possible que d'autres réseaux rejoignent cette initiative à l'avenir : il en va ainsi de l'Immobilier de l'État, des lycées et des collèges ou des casernes de pompiers, pour travailler ensemble sur des enjeux communs liés à la rénovation énergétique. Les conseillers relevant de ces réseaux ont des appellations différentes, mais sont issus des mêmes écoles de formation.
D'ores et déjà des actions concrètes ont été entreprises : pour la première fois en 2022, une rencontre nationale commune des conseillers en énergie territoriaux a réuni conjointement les CEP et les conseillers du programme Action des collectivités territoriales pour l'efficacité Énergétique (ACTÉE) Avant cela, il n'y avait que des rencontres nationales pour les CEP. En automne 2023, nous organiserons une rencontre nationale à quatre réseaux, avec ceux de la Santé et de l'Enseignement supérieur. Nous avons également vocation à mutualiser nos outils en créant une plateforme commune. Dès à présent, l'espace collaboratif des CEP invite les membres des autres réseaux à se joindre à nous : au-delà des 400 CEP, on recense déjà 800 contacts dans cet espace collaboratif CEP, dont 200 économes de flux ACTÉE et 60 du réseau Santé. Demain, nous partagerons des catalogues et trouverons des synergies en matière de formation. Cependant, sur le volet emploi, nous n'avons malheureusement pas pu avancer.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Vous indiquez entre présents partout en France, mais y a-t-il des territoires un peu en retrait par rapport à cette dynamique ?
M. Christophe Lestage. - Certaines régions sont mieux dotées que d'autres, comme la Bretagne qui est en tête. Au niveau plus fin, le déficit est surtout localisé - sans parler de diagonale du vide - dans une dizaine de départements comme le Cantal, la Haute-Vienne, ou encore la Saône-et-Loire, l'Oise et les départements de Corse, mais nous allons combler ces manques. Au total, 8 000 communes - soit le quart des communes de moins de 10 000 habitants - sont aujourd'hui accompagnées par un CEP. Pour réussir à couvrir l'ensemble du territoire, nos seules limites sont le budget et l'emploi.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Vous avez donc besoin de ressources.
M. Gilbert Favreau. - Depuis quelle date ce dispositif est-il en place ?
M. Christophe Lestage. - Le dispositif CEP a été étendu à l'échelle nationale en 2012, il y a donc 10 ans.
M. Gilbert Favreau. - J'ai présidé un département pendant six ans et je n'ai jamais entendu parler de ce dispositif ; il semble donc nécessaire d'améliorer la communication à son sujet.
Par ailleurs, quelle responsabilité est engagée en cas de problème, par exemple si des incidents surviennent lors de la mise en place d'un système de chauffage : celle de l'employeur ou celle de l'ADEME ?
M. Christophe Lestage. - L'ADEME finance les rémunérations mais ne recrute pas les conseillers. Par conséquent, la responsabilité est assumée par l'employeur (collectivité, CAUE...).
M. Gilbert Favreau. - Dernier point : quel est le taux de pérennisation des postes de CEP qui ont été ouverts ?
M. Christophe Lestage. - Je n'ai pas le chiffre précis, mais je dirai que la pérennisation concerne aujourd'hui la grande majorité des emplois, en particulier parce que nous sommes plus sélectifs dans les dossiers que nous finançons. Je n'ai pour ma part pas connaissance de difficultés particulières. Je précise qu'un CEP qui quitte une structure reçoit de nombreuses offres d'emplois.
Mme Maryse Combres, présidente de la Fédération des agences locales de l'énergie et du climat (FLAME). - Le réseau FLAME fédère une quarantaine d'agences locales de l'énergie et du climat (ALEC). Ce réseau permet d'échanger en permanence des expériences entre chacune des agences sur de nombreux territoires, y compris entre les différents conseillers en énergie partagés ou assimilés. Fort de 25 ans d'expérience mutualisée, le réseau FLAME mutualise l'action des agences et couvre ainsi 23 millions d'habitants. Plus de 600 salariés sont au service de 14 métropoles, 50 communautés d'agglomération et 200 communautés de communes. La quasi-totalité des ALEC sont porteuses, entre autres, du guichet France Rénov, qui est dédié aux particuliers, aux copropriétés et aux entreprises. Les agences locales de l'énergie et du climat sont reconnues dans le code de l'énergie à l'article L. 211-5-1 pour accompagner les collectivités locales dans leur politique énergie-climat dans une démarche neutre et indépendante. Elles mettent leur expertise au service de l'intérêt général et possèdent une vision territoriale très étendue qui leur permet de conjuguer de façon pertinente tous les enjeux de sobriété, d'efficacité énergétique et de développement d'énergies renouvelables, le tout au bénéfice des collectivités locales. Ce sont des agences d'ingénierie territoriale mutualisées qui permettent, comme l'a souligné le représentant de l'ADEME, d'optimiser au maximum les effectifs de CEP. Nos agences sont portées par plusieurs niveaux de collectivités : ce sont des outils de proximité qui sont vraiment au service des élus locaux et favorisent l'émergence de projets en réunissant autour de la table tous les acteurs concernés par la rénovation thermique des bâtiments, qui est bien évidemment un élément clé de la transition énergétique que nous appelons de nos voeux. Les ALEC ont accompagné plus de 1 000 rénovations de bâtiments scolaires, ce qui leur permet d'avoir un retour d'expérience très concret et précis en la matière.
En ce qui concerne les difficultés rencontrées lors de l'accompagnement des collectivités, je précise tout d'abord que les bâtiments scolaires ont une haute valeur symbolique pour l'image des collectivités. Plus ils sont grands, plus ces bâtiments sont consommateurs d'énergie et ils relèvent en général du décret dit « tertiaire ». De plus, par expérience, ils sont souvent sous forte dépendance aux énergies fossiles ; du fait de grandes surfaces vitrées, certaines classes deviennent des étuves : ces éléments coûtent cher à rénover. En général, nous avons constaté l'insuffisance de la ventilation et donc de la qualité de l'air.
En ce moment, nous devons intégrer aux projets de rénovation des bâtiments celle des cours d'école, avec une montée des souhaits de végétalisation : pour les collectivités cela nécessite non seulement des compétences spécifiques, mais aussi des moyens financiers supplémentaires.
On a également constaté qu'une fois les rénovations achevées, il y a souvent trop peu de régulation du chauffage, ce qui minimise les économies d'énergie. Pour prolonger les rénovations du bâti par la programmation du chauffage et de la ventilation, on fait souvent appel à un CEP pour améliorer l'efficacité énergétique. De trop nombreuses rénovations n'atteignent les performances souhaitables qu'après au moins deux années en raison de dysfonctionnements d'équipements ou de mauvais réglages.
Les projets de rénovation globale conduisant à un gain énergétique important, de l'ordre de 40 à 60 %, sont trop rares. Les petits travaux ponctuels entravent parfois les opérations de grande ampleur. Jusqu'à présent, c'est souvent la fin de vie des équipements ou la dégradation du bâti qui a impulsé le souhait des élus d'engager des rénovations, et un peu moins une volonté manifeste de réduire la consommation d'énergie, mais cette problématique est désormais au coeur des préoccupations. Notre rôle est de faire comprendre aux élus que la rénovation globale détermine le dimensionnement des équipements et permet d'envisager le recours accru aux énergies renouvelables, avec par exemple l'installation de panneaux photovoltaïques sur les toits des bâtiments.
Le problème de la surchauffe dans les classes a également suscité des projets de rénovation ; malheureusement les communes se contentent, de temps en temps, d'installer des « packs » sans pour autant enclencher des opérations globales. Les freins au passage à l'acte efficace renvoient parfois à des considérations politiques ou organisationnelles. Ainsi, la rénovation de l'école, dans les petites communes, est le grand projet d'un mandat. Ce projet peut accaparer une grande partie du budget local. Entrent également en ligne de compte le maintien ou non de certaines classes dans les territoires ruraux, ainsi que la contrainte des périodes de vacances, car deux mois ne suffisent pas à mener à bien une rénovation globale. Il est, de plus, nécessaire de sensibiliser le corps enseignant ainsi que tous les utilisateurs des bâtiments scolaires à la sobriété énergétique - les CEP s'y emploient - et certaines de nos agences ont réussi à faire baisser de 30 à 50 % la consommation d'énergie dans des établissements scolaires grâce à des comportements plus vertueux. Ces derniers étant tout aussi nécessaires que la rénovation immobilière, les ALEC ont élaboré divers guides d'accompagnement destinés aux élus et aux usagers.
M. Rémi Chabrillat, président de l'Aduhme (ALEC du Puy-de-Dôme). - En plein accord avec les interventions précédentes sur le conseil en énergie et les bâtiments scolaires, je vais me focaliser sur deux sujets : celui des CEP dans mon département et une expérience de rénovation de bâtiments scolaires actuellement en cours, en abordant les questions de financement et de complémentarité des acteurs.
Récemment retraité de l'ADEME, j'ai exercé plusieurs mandats locaux en apportant mes compétences en matière d'énergie. Je préside également une structure appelée « Aduhme » qui apporte du conseil en énergie partagée depuis 2002. Dans le Puy-de-Dôme, nous rassemblons aujourd'hui 12 conseillers pour les 464 communes du département, avec des montages dans lesquels interviennent essentiellement les établissements public de coopération intercommunale (EPCI). Nous essayons de monter en puissance pour assurer un service optimal. Nos conseillers en énergie partagée ont une lourdes tâche, mais les résultats sont là : ils effectuent le diagnostic du patrimoine, divers bilans, le suivi des consommations, l'établissement de programmes d'action à court et long terme ainsi que l'accompagnement des projets de rénovation. Toutes ces missions nécessitent beaucoup de temps. De plus, nous articulons nos missions de conseil en énergie partagée avec le montage de propositions d'actions collectives en aval sur des sujets, identifiés par le CEP, qui sont réplicables et peuvent générer des économies d'échelle. Par exemple, nous avons conduit dans les années passées un programme appelé « Cocon 63 », qui visait à rénover des milliers de bâtiments communaux en isolant leurs combles : plus de 100 000 m2 toitures ont ainsi été isolées, permettant des économies d'énergie significatives. Nous avons également mis en place le programme « Solaire Dôme 63 », qui vise à installer des panneaux solaires sur toutes les toitures des bâtiments publics des communes ou EPCI et débouche aujourd'hui sur la possibilité de réaliser 400 installations photovoltaïques. En collaboration avec le conseil départemental, nous avons également un programme en cours pour remplacer dans le patrimoine des collectivités les chaudières fioul et propane par des dispositifs à énergies renouvelables comme la géothermie. Enfin, nous animons avec le Conseil départemental un groupement d'achat d'électricité et de gaz qui concerne une centaine de communes parmi les plus importantes ainsi que des bailleurs et le CHU. Le cas des petites communes est, en parallèle, géré par le syndicat départemental d'énergie.
Je voulais également souligner la notion de complémentarité et de travail en commun. À la différence de nombreuses autres agences locales de l'énergie et du climat, l'Aduhme n'a pas de mission de conseil pour les particuliers, car cela était historiquement assuré par l'Agence départementale d'information sur le logement (ADIL). Nous travaillons également en complémentarité avec le syndicat Territoire d'énergie Puy-de-Dôme (TE63), avec lequel nous avons récemment signé des conventions pour travailler sur la chaleur renouvelable : concrètement, nos conseillers en énergie identifient les besoins des collectivités en matière d'installations de chaleur renouvelable, et le syndicat départemental, à travers sa convention avec l'ADEME, mobilise des financements et recrute du personnel pour assurer une mission de maîtrise d'ouvrage déléguée au bénéfice des communes qui ne disposeraient pas des moyens nécessaires pour monter elles-mêmes ces projets.
Monsieur le président, vous avez évoqué en introduction le « maquis » des structures : nous cherchons à créer un « jardin » ordonné, avec différents acteurs pour apporter un service coordonné et efficace aux collectivités. Il y a tellement de travail que des batailles de structures sont inconcevables.
Concernant le programme de rénovation ACTÉE lancé par l'ADEME, et spécifiquement sur le volet rénovation des écoles, un certain nombre d'ALEC, la plupart du temps en partenariat avec d'autres structures comme les syndicats d'énergie, ont posé leur candidature. Dans le Puy-de-Dôme, le département a lancé un appel à projets auprès des communes pour sélectionner 20 écoles à accompagner dans leur rénovation énergétique : ce n'est qu'un début ! Pour cela, un club de porteurs de projet a été mis en place, rassemblant des élus et des techniciens du conseil départemental ou de l'Aduhme. L'Aduhme a accompagné les communes dans le choix des bureaux d'études, la réalisation des études de diagnostics. Nous en sommes à la phase de propositions de plan de rénovation, avec des mises en commun régulières. En parallèle, nous avons mis en place un suivi des performances de 5 écoles déjà rénovées pour optimiser le retour d'expérience et orienter au mieux les choix futurs.
Enfin, en ce qui concerne les financements, la multiplicité des aides - comme la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), le Fonds vert, les fonds de concours locaux divers et variés ... - rend leur accès compliqué, d'autant que certains soutiens sont pérennes et d'autres pas, ce qui affecte la visibilité des financements mobilisables par une commune pour son projet de rénovation énergétique. À cette difficulté s'ajoutent les délais de décision pour l'attribution des aides. Tout cela ne facilite pas l'engagement des communes. J'ajoute que la mobilisation des certificats d'économies d'énergie peut également s'avérer complexe. Je suggèrerai, dans l'idéal, une aide simple et forfaitaire, à l'image de certaines aides de l'ADEME pour les petites et moyennes installations dans le cadre du Fonds chaleur. Par exemple, on pourrait allouer un forfait par mètre carré destiné aux travaux visant à atteindre l'objectif de 40 % d'économies d'énergie en 2030 fixé par le décret tertiaire, assorti d'un bonus si le projet anticipe les étapes suivantes (50 % ou 60 % d'économies d'énergie). Il est vraiment important d'améliorer la visibilité des aides et peut-être de mettre en place des clubs de financeurs, à l'instar de ce que j'ai personnellement observé et vécu en Auvergne, à travers un mécanisme conjoint de financement des projets d'énergies renouvelables entre la région, les quatre départements, l'ADEME et le Fonds européen de développement régional (Feder).
Je termine en soulignant que l'ingénierie territoriale locale est indispensable et mériterait d'être mieux financée pour assurer sa pérennité. C'est un sujet important, car la couverture du territoire est insatisfaisante. Or c'est le seul moyen de stimuler l'engagement des communes dans des projets d'énergie renouvelable.
M. Pascal Bertaud, directeur général du CEREMA. - Le CEREMA, en tant qu'expert national, intervient dans le domaine de la rénovation énergétique, tout d'abord dans le cadre des challenges CUBE, qui s'inscrivent dans le cadre du programme CEE (Certificats d'Économies d'Énergies) et se déclinent en deux volets. D'une part, CUBE.S, en collaboration avec l'Institut français pour la performance énergétique du bâtiment (IFBEB), est destiné aux lycées et collèges. D'autre part, CUBE.Écoles, mené en collaboration avec l'IFBEB et ACTÉE, concerne les écoles publiques.
Ces championnats d'économie d'énergie ont un impact significatif : ils permettent de réaliser des économies d'énergie de 10 à 20 % à moindre coût, avec un effet immédiat et une mobilisation des acteurs pour des travaux plus structurants.
Le CEREMA intervient également dans le cadre du programme national d'accompagnement de la mise en oeuvre du dispositif Éco-énergie tertiaire, en particulier dans la formation et l'animation nationale des référents. Le CEREMA est également impliqué dans le programme air énergie en partenariat avec l'IFPEB pour améliorer la qualité de l'air intérieur tout en préservant la consommation d'énergie : l'expérimentation réussie que nous menons dans 10 établissements scolaires invite à amplifier ce programme.
En outre, le CEREMA propose aux collectivités une offre de services "Agir pour l'école de demain", qui porte en premier lieu sur les bâtiments et comporte une stratégie patrimoniale, des diagnostics, une priorisation des sites et l'optimisation de l'exploitation des bâtiments. Cette action concerne également l'aménagement des cours d'école - qui est pour nous essentiel, en particulier pour favoriser la végétalisation - avec une action sur les espaces publics et l'accessibilité des abords. Cette offre de services repose sur l'expertise transversale du CEREMA, ainsi que sur son expérience confirmée auprès des établissements scolaires. Elle est largement diffusée et couvre l'essentiel de la métropole, grâce à la présence du CEREMA dans 23 villes en France, avec une logique assez fédératrice ; elle s'est également étendue aux outre-mer depuis deux ans.
Nous intervenons donc directement auprès des collectivités. Cet axe de notre action va s'accentuer dans les prochaines semaines puisque grâce à la loi du 21 février 2022, dite « 3DS » (relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale), les statuts du CEREMA ont été modifiés. Nous devrions avoir une nouvelle gouvernance dès le 16 mai 2023, avec des relations en quasi régie avec les collectivités adhérentes, ce qui permettra de progresser beaucoup plus rapidement. Je signale que cette loi est un grand succès puisque nous avons actuellement 634 adhérents - 80 % des régions, 70 % des départements et environ 250 à 300 intercommunalités et collectivités.
Concernant le « maquis des offres » que vous évoquiez en introduction, les domaines dans lesquels nous intervenons sont particulièrement complexes et nécessitent des compétences spécifiques. De ce fait, lorsque nous travaillons avec d'autres établissements publics comme le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), nous constatons des redondances assez limitées. Cependant, pour une collectivité, cela peut être difficile à gérer, car elle a de nombreux interlocuteurs potentiels. Il serait donc très souhaitable, au niveau départemental, de mettre en place des délégations de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) qui fassent office de point d'entrée unique - une sorte d' « interprète » - permettant aux techniciens et ingénieurs de savoir à qui s'adresser pour chaque sujet : cela améliorerait considérablement le fonctionnement du dispositif.
Par ailleurs, les différents organismes que nous représentons aujourd'hui sont capables de monter des projets en commun, comme c'est le cas pour les programmes CUBE. Au CEREMA, nous nous efforçons systématiquement de bâtir des produits globalisants et « clef en main » pour les collectivités. Nous sommes également conscients de l'importance majeure, pour les collectivités, de la documentation et de la diffusion de l'information, tout particulièrement sur l'énergie dans les bâtiments scolaires. Il serait donc intéressant de mettre en place un centre de ressources, en collaboration avec les différents acteurs impliqués - c'est-à-dire, pour l'essentiel, ceux qui participent à présente table ronde et sont très désireux de travailler ensemble.
Enfin, s'agissant de l'accès à l'expertise pour les communes, je soulignerai deux points. Tout d'abord, la dimension des communes est un facteur important : il est vrai que le CEREMA a plutôt tendance à encourager l'intercommunalité. Le programme « Ponts » illustre l'intérêt de cette dimension. Nous l'avons mis en place pour expertiser les ouvrages des collectivités. Nous avons réussi à en contacter 12 000 sur les 18 000 à 20 000 dont nous pensions qu'elles géraient des ponts, sachant que 28 000 communes au total sont éligibles à ce programme. Bien que ce soit un bon début, cela nous a pris six mois de travail, avec les associations de maires, les services de l'État, les préfets, etc. pour obtenir de ces 12 000 communes un simple accord par courriel nous autorisant à ausculter gratuitement leurs ponts. Il faut donc avoir conscience que si nous voulons monter des programmes de rénovation avec une certaine ampleur à l'échelle communale, cela peut être très compliqué, surtout pour les toutes petites communes. La massification passe sans doute à un moment par des regroupements de communes : nous encourageons une telle évolution, même si elle ne doit pas nécessairement se traduire par un recours à l'intercommunalité - nous sommes conscients des fréquents problèmes entre la ville centre et les communes.
Deuxièmement, pour faciliter notre appui aux communes, nous avons mis en place un dispositif qui, à travers le changement de statut du CEREMA, repose sur une idée simple : dès lors que l'adhésion d'une commune est enregistré, le CEREMA peut la conseiller dans des conditions à la fois financières et surtout administratives extrêmement fluides. Vis-à-vis de la commune, nous sommes désormais dans une situation comparable à son agence d'urbanisme.
En conclusion, tous les organismes présents aujourd'hui à cette réunion convergent sur la nécessité d'avancer et de simplifier les choses à l'attention des collectivités, mais j'attire votre attention sur la complexité de ces sujets.
M. Guillaume Perrin, coordinateur national du programme ACTÉE. - Au-delà de leur poids dans la facture énergétique des collectivités, les bâtiments scolaires sont emblématiques : ils sont au coeur de la vie d'une collectivité et donc potentiellement au centre d'un certain nombre de projets politiques portés par les élus. Dans mon intervention je me réfèrerai fréquemment à deux thématiques : l'approche partenariale et l'approche holistique.
Sur le premier point, le rapport Demarcq de 2020 nous inspire en ce qu'il appelle à la cohérence et aux projets coopératifs partagés dans une approche globale de la rénovation des écoles.
La dimension holistique permet quant à elle de considérer la rénovation énergétique comme une étape vers une rénovation globale, intégrant tous les éléments et externalités qui en résultent.
Je vais rebondir sur l'image du jardin utilisée par certains intervenants : réussir un potager suppose de diversifier ses composantes afin d'induire des influences mutuelles bénéfiques entre les différentes plantes.
L'école est un élément patrimonial de la collectivité : l'approche du bâti scolaire doit s'inscrire dans un cadre politique plus large. C'est le sens de notre partenariat avec différents élus, notamment l'Association des Maires de France (AMF).
L'approche holistique impose également de considérer la rénovation énergétique des écoles comme une étape vers une rénovation globale, non seulement énergétique, mais aussi en tenant compte de tous les éléments d'externalité qui en résultent comme l'amélioration de la qualité de l'air, de l'acoustique, de la luminosité, etc. Quand on change un double vitrage, on agit certes sur la facture énergétique, mais aussi sur ces divers sujets, avec un impact direct sur la concentration du public scolaire et le confort d'usage global dans les écoles.
Sur cette base conceptuelle, le programme ACTÉE, mis en place il y a quatre ans, a connu une montée en charge conséquente, passant de 12 millions d'euros à 110 millions d'euros puis 220 millions d'euros aujourd'hui. Nous nous sommes appuyés sur trois grands éléments. D'abord, une construction partenariale, permettant la mise en place d'une dynamique de réseau. Nous avons, en particulier, développé des postes complémentaires aux CEP - qui ont notamment été présentés par l'ADEME : il s'agit des économes de flux ACTÉE, qui complètent le maillage territorial des CEP. Les économes de flux apportent une expertise complémentaire sur le plan du financement, élément essentiel pour favoriser le passage à l'action. D'où l'importance de ce conseil local en flux financiers, qui connait également le mécanisme des certificats d'économie d'énergie, les différentes aides mobilisables sur le terrain, les outils juridiques et financiers, y compris le contrat de performance énergétique (CPE) qui permet d'alimenter la réflexion des élus.
Le deuxième élément de notre stratégie se situe dans notre approche de centre de ressources. Nous avons produit des outils améliorant la connaissance du patrimoine, comme le schéma directeur immobilier énergie, avec un cahier des charges type, que nous subventionnons pour donner aux les collectivités une vision globale de leur patrimoine, et le « Kit contrat performance énergétique » qui, sans constituer une solution unique et absolue, permet de travailler sur des regroupements mutualisés d'un certain nombre de bâtiments pour obtenir des contrats dans l'esprit des réflexions qui ont inspiré la loi relative au tiers-financement.
En troisième lieu, j'insiste sur le fait qu'il existe un certain nombre de dispositifs de financement, mais ceux-ci forment un maquis, non pas qu'ils se recoupent, mais il s'agit de mécanismes diversifiés. Nous aidons les collectivités à s'y retrouver, en particulier grâce aux économes de flux ACTÉE.
J'ajouterai pour conclure que nous conduisons une réflexion avec la Banque des territoires pour essayer de bonifier nos aides au bâti scolaire dans une approche globale de stratégie immobilière.
Mme Éléonore Chambras Lafuente, chargée de mission de la Fédération Nationale des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE). - Merci de nous donner l'opportunité de présenter aujourd'hui le rôle des Conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) en matière de bâti scolaire. Les CAUE ont été créés par la loi sur l'architecture du 3 janvier 1977.
Leurs missions concernent la qualité du cadre de vie, l'information, la sensibilisation, la formation et le conseil sur les questions d'architecture, d'urbanisme, d'environnement et de paysage. Ces missions sont exercées gratuitement et financées par une partie de la taxe d'aménagement. Les publics visés sont larges : cela va des élus et des collectivités aux particuliers, en passant par les professionnels et le public scolaire. Le réseau des 92 CAUE est impliqué de longue date, à l'échelle départementale, sur le sujet du bâti scolaire. C'est en effet une problématique transversale qui concerne à la fois les territoires urbains et ruraux, avec cependant d'importantes différences selon les territoires où le besoin en bâti scolaire diffère selon des dynamiques démographiques différentes. Plus précisément, les actions des CAUE portent d'abord sur le bâti existant, avec l'accompagnement à la rénovation et à la réhabilitation, y compris des cours d'école, la question de l'intégration des usages ou encore la préservation de la qualité architecturale à travers la rénovation. Les CAE interviennent également sur les projets futurs en encourageant des pratiques vertueuses d'architecture bioclimatique, de sobriété énergétique ou de mutualisation.
Les actions des CAUE en matière de bâti scolaire recouvrent les missions définies par la loi de 1977 : nos structures fournissent, en premier lieu, de l'information et des ressources et des exemples de bonnes pratiques susceptibles d'inspirer d'autres projets. Renaud Barrès pourra, dans un instant, témoigner de nos actions visant à intégrer les résultats des études de genre dans l'aménagement des cours d'école. Autre exemple : le CAUE du Calvados propose un cahier sur l'école de demain pour prendre en compte la qualité de vie et l'adaptabilité du bâti.
Le deuxième volet de notre action est celui de la sensibilisation des décisionnaires, des professionnels et surtout des usagers du bâti scolaire, qu'il s'agisse des élèves ou du personnel enseignant. Il est important de favoriser la prise de conscience des enjeux : par exemple, pour les élèves, la cour et l'intérieur des écoles sont les premiers espaces publics qu'ils vont fréquenter. Il est donc particulièrement important de favoriser, auprès de ces citoyens en devenir, l'acceptation d'éventuels nouveaux aménagements. Divers moyens peuvent, à ce titre, être mobilisés par les CAUE, comme des ateliers avec les élèves, des expositions ou encore des visites permettant de dialoguer avec les maîtres d'oeuvre ou maîtres d'ouvrage.
Le troisième volet est consacré à la formation pour renforcer les compétences des acteurs et la diffusion du savoir. Par exemple, le CAUE de Paris propose une formation aux agents de la ville ainsi qu'aux enseignants sur les cours d'école « Oasis ». Enfin, nous offrons du conseil et de l'accompagnement en amont des projets : il s'agit de faciliter la définition des besoins en y intégrant les divers usages du bâti, y compris hors temps scolaire. De plus, nous proposons de rassembler les différentes parties prenantes le plus en amont possible et de faire participer les acteurs à une démarche de co-construction, en créant une culture commune autour du projet, ce qui est un facteur clé de succès.
M. Renaud Barrès, directeur du CAUE des Pyrénées-Atlantiques. - La question des écoles est, dans une certaine mesure, liée au bâti : beaucoup d'acteurs ici présents l'ont ici rappelé. Avant de me concentrer sur les cours d'école, je rappellerai que l'intérêt, pour les communes, de faire appel au CAUE est de bénéficier d'un regard professionnel, en particulier dans le domaine de l'architecture et du patrimoine. Lorsque j'étais directeur du CAUE de l'Aude, le CAUE d'Occitanie avait réalisé une étude financée par le FEDER qui montrait comment la rénovation du bâti ancien devait s'adapter en fonction des territoires et des climats. Par exemple, si à Toulouse on isole de l'intérieur une construction en briques, on double le nombre de jours d'inconfort d'été alors que le confort d'été devient extrêmement important : les écoles étaient fermées l'été il y a encore quelques années, mais ce n'est plus le cas.
J'en viens aux cours d'école, qui constituent une préoccupation grandissante, en particulier depuis le confinement. La cour d'école est un impensé à la fois pédagogique et programmatique. En effet, il n'y a pas de projet pédagogique pour la cour d'école ; or c'est un lieu où l'on peut apprendre des choses. De plus, lorsqu'on programme une construction, la cour d'école reste trop souvent un parent pauvre pour lequel on n'a guère d'exigences. Dans les Pyrénées-Atlantiques, le département a demandé notre aide sur la problématique du genre dans l'espace public, qui est aussi un sujet très important dans les cours d'école. Celles-ci favorisent les jeux de garçons, qui occupent l'espace central et relèguent les filles en périphérie. La cour d'école est le lieu le plus précoce de la survalorisation des garçons par rapport aux filles. C'est là que se manifeste un vrai problème d'égalité des sexes. Nous avons aidé le département à analyser ce qui se passe dans certains collèges. Nous avons conduit des concertations avec les élèves, les encadrants et les personnels d'entretien qui ont permis de réfléchir aux attentes concernant les cours d'école.
Le principal sujet que nous traitons est toutefois celui des cours d'écoles existantes. Les CAUE sont souvent sollicités par les petites communes ayant un déficit d'ingénierie en interne. La manière dont les trois quarts des cours d'école sont aménagées ressemble encore davantage à un parking de supermarché qu'à un lieu de pédagogie où l'on peut apprendre la vie et s'épanouir. Pourtant, des études scientifiques ont montré qu'une cour d'école très végétalisée permet aux enfants de se sentir mieux et d'être plus concentrés en classe. Il faut également signaler les problèmes de santé publique puisqu'une étude a montré que l'asphalte dégage des composés organiques volatils dangereux au-delà d'une température de 30 degrés. On constate également que les cours d'école sont conçues par et pour les adultes, avec une obsession de la surveillance, de la sécurité et de l'entretien, sans que l'épanouissement des enfants soit suffisamment pris en compte. Une cour d'école participe également aux économies d'énergie car l'asphalte en surchauffe provoque des îlots de chaleur urbains qui se répercutent à l'intérieur des bâtiments : végétaliser apporte en revanche de la fraîcheur externe et interne. Tous ces facteurs sont intimement liés et nécessitent la collaboration de tous les partenaires : les CAUE, comme celui du Puy-de-Dôme, ont souvent vocation à jouer un rôle d'ensemblier.
Nous souhaitons que les cours d'école, aujourd'hui délaissées, deviennent un lieu central pour sensibiliser les enfants et la communauté éducative à la transition énergétique et écologique. Certaines communes ont pris conscience de cette nécessité, surtout après la pandémie de Covid, et ont transformé leurs cours d'école en mini-parcs qu'il est loisible de fréquenter en dehors des temps scolaires.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - La cour d'école est un sujet important, même si l'objet principal de notre mission d'information concerne les bâtiments scolaires.
M. Julien Hans, directeur énergie environnement du Centre scientifique et technique du bâtiment de Grenoble (CSTB). - Notre organisme se présente comme une petite armée de la rénovation énergétique, composée de 120 ingénieurs chercheurs spécialisés dans l'énergie et l'environnement sur 250 personnes au total. Nous sommes donc relativement peu nombreux pour conduire de la recherche-développement et, par souci d'efficacité, nous nous concentrons sur l'impact de nos travaux sur le terrain.
Vous avez posé la question du recrutement dans le secteur de la rénovation : nous pensons que le coeur du sujet est de donner envie de rénover et d'inspirer confiance dans le processus opérationnel. Pour encourager des viviers de recrutement dans la rénovation, nous pensons qu'il faut des outils. Nous nous sommes donc positionnés pour diffuser les meilleurs outils possibles pour rendre les intervenants plus efficaces, à défaut d'être plus nombreux pour le moment.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Pouvez-vous préciser quels sont ces outils ?
M. Julien Hans. - Il s'agit d'outils de méthode et de diagnostic : j'y reviendrai dans ma présentation. L'objectif est d'améliorer la rapidité du travail.
(Un document numérique est projeté)
Je vais d'abord rappeler la feuille de route de décarbonation : nous n'avons pas encore parlé des émissions de gaz à effet de serre (GES). La rénovation du bâti scolaire doit bien entendu viser le confort, la sécurité et le respect des normes, mais je souligne que 150 millions de tonnes de CO2 sont émises par la construction, dont 100 millions pour le parc existant et tout de même 50 millions de tonnes pour fabriquer les matériaux nécessaires à la construction neuve (30 millions de tonnes) et à la rénovation (20 millions de tonnes). Le choix de ces produits doit nécessairement tenir compte de ces données.
Le premier travail pour nous est de cibler nos démarches de rénovation. Je vais vous présenter notre approche globale grâce à la Base de données nationale des bâtiments (BDNB), qui est un outil partenarial et simple : cette base regroupe toutes les données disponibles croisées spatialement, enrichies et traitées par de l'intelligence artificielle. Par des simulations, on peut calculer les réductions d'émissions de carbone en fonction de telle ou telle stratégie de rénovation. Le gisement total d'économies de carbone est proche de 50 millions de tonnes de CO2 dans le parc existant ; de manière contre-intuitive, ce sont les logements occupés par leurs propriétaires qui représentent le plus gros potentiel de décarbonation dans le parc résidentiel.
Du point de vue opérationnel, une autre information importante est que 20 % du parc résidentiel existant représente 50 % des gisements de baisse de CO2. L'on dispose des adresses de ces bâtiments grâce à la BDNB. On sait donc où agir en priorité, ce qui pourrait dispenser d'intervenir dès à présent dans la rénovation de patrimoines compliqués qui suscitent des interrogations sur la technique d'isolation la moins mal adaptée.
S'agissant plus spécifiquement du bâti scolaire, nous travaillons avec l'ADEME qui gère la plateforme OPERAT de recueil et de suivi des consommations d'énergie du secteur tertiaire, pour intégrer cette dernière dans notre dispositif. Cette opération en cours, à vitesse accélérée, va nous permettre de récupérer les données des bâtiments concernées par le décret tertiaire.
Nous pourrons alors répliquer à l'égard du bâti scolaire l'analyse que je vous ai présentée sur l'immobilier résidentiel : j'ai procédé à un test ponctuel à partir de la base OPERAT pour vous montrer qu'on dispose de données précises sur ce parc scolaire : on voit comment les bâtiments se chauffent et combien ils consomment. Comme le montre le document qui s'affiche à l'écran, on identifie les zones thermiques par niveau géographique et par niveau d'enseignement - primaire, secondaire ou supérieur. On peut aussi et surtout « zoomer » sur les bâtiments qui consomment le plus et aider la collectivité à identifier très précisément les épaves thermiques pour lesquelles les travaux sont prioritaires. Nous venons de réaliser une approche identique pour le parc national des piscines, dans le cadre du plan de résilience et d'économies d'énergie lancé après la guerre en Ukraine. Cette démarche de ciblage est fondamentale car nous manquons d'acteurs pour rénover tous les bâtiments. Il est donc logique de se concentrer sur les passoires thermiques.
Le deuxième sujet que je souhaite aborder est l'accompagnement des projets dans une approche globale. C'est pour nous une nouveauté par rapport à nos activités habituelles de recherche-développement mais nous avons constaté sur le terrain, et en particulier dans le Var, que cette approche était pertinente : nous avons réalisé un diagnostic multicritères, des simulations de constructions et des scénarios de rénovation. Nous avons travaillé en collaboration avec les acteurs de terrain, les occupants des bâtiments scolaires et les maîtres d'ouvrage, afin de définir les critères déterminants pour leur projet de rénovation, comme la qualité de vie et l'économie de ressources. La remise en conformité est ainsi une nécessité pour les collèges du Var. Nous avons donc réussi à les accompagner avec des outils relativement simples, qu'il serait opportun de mettre à la disposition de tous les acteurs de terrain. En principe, la mission du CSTB n'est pas de se rendre physiquement sur place, mais il serait dommage que les intervenants n'utilisent pas les ressources que nous pouvons leur fournir pour améliorer leur efficacité.
J'en viens au thème du « maquis » des aides et des dispositifs. J'irai dans le même sens que le représentant du CEREMA : une cartographie adéquate permet de surmonter aisément les difficultés. Grâce à la BDNB, en saisissant une adresse, je peux vous proposer un outil d'audit spécifique pour le bien immobilier concerné, qu'il s'agisse d'une maison individuelle ou d'une école primaire. C'est du « sur mesure » ; les risques d'erreurs sont limités, surtout si l'ensemble des acteurs ici représentés peuvent enrichir la base en faisant remonter les mesures de performance qu'ils recueilleront sur le terrain.
Après le ciblage et l'accompagnement, je souhaite enfin aborder le thème fondamental de la sécurisation des performances. Nous avons un grave problème dans la construction en général où les pathologies sont nombreuses : la recherche-développement représente seulement 0,5 % du chiffre d'affaires de ce secteur et les pathologies 10 à 15 % - les performances énergétiques étant moyennement représentées dans ce pourcentage. Il faut une culture du résultat : les données de l'observatoire des contrats de performance énergétique (CPE) - c'est-à-dire des conventions qui visent très clairement à sécuriser les résultats - montrent que sur les 380 CPE réalisés depuis 2017, 120, soit une très forte proportion, concernent des bâtiments scolaires ou universitaires. Il est fondamental de s'inscrire dans cette démarche : je souligne ici que nos collègues allemands et anglais s'interrogent sur les injections massives de financements dans la rénovation qui ne produisent pas de résultats tangibles. Il faut donc à la fois poursuivre les travaux mais aussi généraliser la pratique des contrats de performance énergétique. En ce moment, nous développons avec le CEREMA une méthode portant sur la maison individuelle, qu'il faudra déployer à grande échelle : on fait expertiser le logement après des travaux de rénovation et en 24 heures on fait établir un bilan de l'efficacité des travaux. Je n'insisterai jamais assez sur l'importance que revêt la garantie de performance, sans quoi il y aura des déconvenues quant à l'argent investi dans la rénovation énergétique.
M. Christophe Rodriguez, directeur général de l'Institut français pour la performance énergétique du bâtiment (IFBEB). - Merci de nous avoir conviés aujourd'hui pour vous parler d'un jeu : les concours CUBE relèvent en effet d'une démarche ludique pour encourager la logique de sobriété énergétique. Nous organisons des concours d'économie d'énergie depuis de nombreuses années et nous sommes très heureux d'avoir noué des partenariats - dont un avec le CEREMA il y a plus de trois ans - pour imaginer une déclinaison de ces concours dans les collèges et les lycées. Nous sommes également très heureux aujourd'hui d'avoir le soutien de la FNCCR pour porter cette action dans les écoles.
Le principe des concours CUBE est assez simple : on se donne une année pour activer le maximum d'actions d'économies d'énergie rapides, avec des temps de retour extrêmement courts.
L'intérêt de ce concours est de situer la mesure de la consommation réelle d'énergie au coeur des préoccupations des parties prenantes : c'est le « muscle » du concours et la raison de son efficacité. Dès lors que l'évolution de cette consommation est rendue visible par le personnel technique, les enseignants et les élèves déploient beaucoup d'idées et d'initiatives pour améliorer la performance énergétique, notamment grâce aux leviers d'économie dont nous les informons. On peut citer aussi l'exemple des diagnostics participatifs animés par le CEREMA, qui suivent la même logique. On constate que le meilleur plan de sobriété n'est pas forcément celui qu'on imagine de loin et en théorie. En réalité, les utilisateurs du bâtiment sont très volontaristes : ce sont également des citoyens qui, quand ils rentrent chez eux, ont envie de faire avancer les choses.
Quels sont les bénéfices de ces concours de sobriété ? Tout d'abord, cette démarche est un succès puisque, depuis que ce challenge existe, on a obtenu en moyenne entre 10 et 15 % d'économies d'énergie. J'adresse ici un clin d'oeil au collège Val-de-Rance, en Bretagne, qui a obtenu l'année dernière 31 % de réduction de GES. CUBE.S rassemble aujourd'hui plus de 923 bâtiments de collèges ou lycées, 100 écoles et plus de 65 collectivités. On sait que les économies sont au rendez- vous.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Pour être certain de bien résumer vos propos, s'agirait-il d'une forme de convention citoyenne dont vous auriez eu l'idée avant l'heure et qui rassemble des usagers ?
M. Christophe Rodriguez. - Tout à fait. Le principe est le suivant : une collectivité s'inscrit au concours, avec un certain nombre de sites - écoles, collèges et lycée - qui s'engagent dans une démarche collective afin d'activer tous les leviers possibles de sobriété énergétique, comme le réglage de la température, l'optimisation technique et les éco-gestes. Nous les accompagnons, en partenariat avec le CEREMA, pour leur permettre de mieux comprendre les enjeux énergétiques. Dans une démarche ludique, on rend visibles les classements qui sont calculés et publiés tous les mois.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - C'est finalement une démarche de bon sens...
M. Pascal Bertaud. - Permettez-moi d'intervenir pour vous donner un exemple. Pour faire des économies d'énergie dans la salle où nous nous trouvons, il faudrait tout simplement ouvrir les fenêtres ou peut-être placer des occultants laissant passer la lumière, ce qui permettrait d'éteindre les spots. C'est ce type de débat que nous suscitons dans les écoles ; les élèves ont des idées semblables à celles que je viens d'énoncer.
(Les stores ont été tirés de manière à faciliter la consultation, sur écran, des documents numériques projetés pendant la réunion ainsi que les interventions des participants en téléconférence)
Le programme CUBE présente l'avantage de faire travailler les gens ensemble. Je peux témoigner que la créativité des élèves est incroyable. Certains d'entre eux suggèrent par exemple de ne laisser fonctionner que deux rangées de lumière au lieu de trois. Ajoutées à une modification du réglage des chaudières, ces initiatives procurent un gain de 10 à 25 % d'économie d'énergie.
M. Christophe Rodriguez. - Effectivement, les bénéfices de cette réappropriation des sujets énergétiques sont considérables. Le concours CUBE apporte un nouveau cadre de collaboration entre des parties prenantes qui ne se sentaient pas nécessairement impliquées dans le sujet des économies d'énergie : au terme de la démarche CUBE, les personnes ont envie d'aller plus loin.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - On dispose alors d'une boîte à idées collective recueillie sur le terrain.
M. Christophe Rodriguez. - Exactement, et le postulat du concours CUBE est que les meilleures idées viennent de ceux qui sont dans le bâtiment toute la journée. Quant à nous, nous intervenons pour mesurer les résultats de leurs initiatives...
Un autre bénéfice de cette démarche est que les élèves sensibilisent leurs familles à la sobriété énergétique. Nous avons mené une étude sur ce point.
Mme Nathalie Lederman, responsable Projet CUBE.S et CUBE.Écoles à l'Institut français pour la performance énergétique du bâtiment (IFBEB). - Je rappelle que plus de 300 000 élèves ont participé aux concours CUBE. Nous avons conduit une étude avec Harris Interactive, à laquelle ont participé des sociologues et des psycho-sociologues : les résultats démontrent que 91 % des élèves ayant participé aux programmes CUBE dans le cadre scolaire transmettent leurs nouveaux savoirs chez eux. Ils sensibilisent leurs parents à la transition écologique, aux économies d'énergie et aux GES. Les parents ont affirmé que, dans 87 % des cas, ces transferts avaient eu un impact sur leur comportement à la maison, grâce au « kit ambassadeur » et aux guides que nous fournissons sur les économies d'énergie et les rénovations. En demandant aux familles un accès à leurs factures d'énergie, nous avons constaté une réduction de 11 % de leur consommation d'énergie, avant même la mise en place du plan gouvernemental de sobriété ! Ces résultats sont absolument incroyables. La publication complète de l'étude, présentée ici en avant-première, est imminente.
M. Christophe Rodriguez. - Cette étude confirme notre intuition : CUBE est à la fois un programme comprenant une dimension un peu technique, une source d'économies (d'énergie ou de budget) et un programme pédagogique permettant aux citoyens de demain de s'approprier le sujet de la transition environnementale. Cette étude confirme que ce programme fonctionne et produit des effets bénéfiques collatéraux dans les familles.
Mme Nathalie Lederman. - Il faut faire connaître ce programme à davantage d'établissements et de collectivités. Nous bénéficions de financement du programme ACTÉE et des Certificats d'économie d'énergie (CEE). Au départ, la collectivité devait inscrire six établissements et payer des droits d'inscription d'un montant de 1 000 euros par collège - ce montant a désormais doublé. Les CEE nous apportaient 10 000 euros pour financer le programme CUBE. Les collèges ont, par exemple, beaucoup à y gagner car 10 % d'économies d'énergie représentent pour eux en moyenne un avantage de 5 600 euros, en se basant sur les prix de l'énergie d'il y a deux ans. Payer 2 000 euros avec le nouveau programme CUBE ne représente donc pas un montant considérable. En sollicitant les collectivités pour leur présenter le programme CUBE, j'avais l'impression de leur faire un cadeau : c'est un placement à la rentabilité très rapide ! Certaines collectivités m'ont toutefois objecté des procédures administratives qui prennent un certain temps.
M. Christophe Rodriguez. - Nous faisons face à de très grandes difficultés pour récupérer les données de consommation, alors que celles-ci constituent le coeur du réacteur du programme CUBE. Je fais souvent observer que la magie du concours CUBE est de permettre aux gens de retrouver leurs factures d'énergie ! Ce faisant, ils prennent conscience de leur consommation et s'engagent dans l'aventure de la sobriété et de la rénovation.
Mme Nathalie Lederman. - Souvent, les chefs d'établissements ne connaissent pas le montant des factures d'énergie de leur collège ou lycée. Il en va de même des enseignants. Certains départements ont eu la très bonne idée de proposer aux établissements qui réalisent des économies d'énergie de leur reverser une partie des gains - par exemple à hauteur de 10 % - sous forme de dotation, par exemple pour financer des voyages éducatifs. Nous suscitons donc de nouvelles candidatures ainsi qu'un renforcement des liens entre des services patrimoniaux et éducatifs, qui prennent l'habitude de travailler ensemble. Cette intelligence collective débouche sur des économies ; nous constatons parallèlement un renforcement de l'éco-citoyenneté des élèves, ce qui me parait fondamental.
L'éducation nationale se félicite également de la valeur pédagogique des projets que nous stimulons et du lien ainsi créé avec le ministère en charge de la transition écologique. Les élèves se sentent très impliqués dans cette aventure de sobriété ; des élèves décrocheurs s'intègrent plus facilement sur ces sujets transverses, qui peuvent sembler hors des disciplines classiques, mais qui les y ramènent indirectement.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Pouvez-vous nous donner quelques exemples concrets ?
Mme Nathalie Lederman. - Chaque année, nous distribuons une quinzaine de prix pour récompenser les économies d'énergie et les diminutions de GES. Nous récompensons également le meilleur événement en la matière. Nous constatons la créativité des élèves qui inventent, autour de la sobriété, des jeux, des événements festifs, des décors et des procédés éco-citoyens, comme par exemple des vélos permettant de recharger des téléphones mobiles !
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Je me demande jusqu'à quel point cette méthodologie est généralisable : pourrait-on, par exemple, sensibiliser les électeurs à de telles initiatives ?
Mme Nathalie Lederman. - Nous allons justement lancer CUBE-Villes auprès des agents municipaux. Cette démarche fonctionne également très bien dans les entreprises. Ces projets ne doivent pas suivre une trajectoire trop hiérarchique : il faut que les agents municipaux s'emparent directement du sujet dans leurs bâtiments pour qu'ensuite de bonnes pratiques puissent être diffusées.
M. Guillaume Perrin. - Je crois également beaucoup à la théorie de la goutte d'eau et de la pédagogie par l'exemple : c'est ce qui nous a séduits dans l'approche des concours CUBE qui sont actuellement élargis à l'ensemble des collectivités. Je citerai également les concours « Familles à énergie positive » lancés par une ONG pour promouvoir le concept de logement citoyen. On pourra ainsi convertir les gouttes d'eau en une vaste mer au niveau des collectivités.
M. Julien Hans. - Je signale que le CSTB de Grenoble n'a obtenu que la médaille de bronze au concours CUBE, il y a cinq ans. Les équipes techniques se sont aperçues que nous n'avions pas de régulateur et de programmateurs équipant nos 1 000 m² de bâtiments chauffés à l'électricité. Or quand on coupe le chauffage le soir et le week-end, on réalise d'importantes économies d'énergie. Si une telle prise de conscience a été utile au CSTB, elle le sera a fortiori à beaucoup d'autres personnes : nous sommes convaincus par l'efficacité de cette démarche.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Je ne sais pas si les contraintes de temps nous le permettrons, mais cela m'aurait intéressé d'aller voir cette expérience sur le terrain.
M. Pascal Bertaud. - Le CEREMA travaille dans le même sens à la fabrication d'un programme CUBE spécifique portant sur les quelque 100 000 bâtiments de l'État.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Vous avez tout à l'heure évoqué les incitations financières qui récompensent des établissements vertueux en consommation d'énergie : pouvez-vous donner quelques exemples chiffrés ?
Mme Nathalie Lederman. - Ce sont les départements qui ont, en la matière le pouvoir de décision et ce sont les départements de l'Yonne et des Côtes d'Armor, si ma mémoire est bonne, qui avaient proposé un système de participation des établissements scolaires aux économies d'énergie. Lorsque les collèges payent directement leurs factures d'énergie, c'est avec les fonds qui leur sont attribués par les départements sous forme d'une dotation.
M. Christophe Rodriguez. - La véritable récompense du concours CUBE, c'est la fierté et le plaisir d'y participer.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Pouvez-vous préciser la distinction entre les économes de flux et les conseillers en énergie partagée, auxquels vous vous êtes régulièrement référés ?
M. Guillaume Perrin. - J'ai mentionné l'idée d'un développement des économes de flux ACTÉE en faisant observer que les CEP ne couvrent pas la totalité du territoire. De plus, la figure de l'économe de flux peut s'avérer, selon les cas et les spécificités territoriales, complémentaire - dans une démarche partenariale - lorsque l'orientation privilégiée des CEP est de nature technique. On peut alors compléter le maillage territorial par une approche économique destinée à faciliter le bouclage financier et, ainsi, le passage à l'acte. Lorsque des collectivités nous demandent des effectifs supplémentaires d'économes de flux, nous vérifions si des CEP sont déjà présents sur le territoire.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Quelle sont, de manière concrète, les différences entre ces deux professions ? En quoi consiste précisément l'activité d'un économe de flux ? Vous parlez des économes de flux ACTÉE. Quid des économes de flux en général ?
M. Guillaume Perrin. - Un économe de flux, en général, commence par faire l'état des lieux du bâti d'une collectivité pour repérer les bâtiments déperditifs.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Il effectue donc un constat ?
M. Guillaume Perrin. - Il effectue une première analyse, ou plus exactement une analyse de premier niveau, qui lui permet de pressentir des gisements d'économies d'énergie par exemple sur le double vitrage, l'éclairage, l'approche d'usage ou la régulation du bâti. Il dispense alors ses premiers conseils, ce qui amène par exemple à mettre en place une régulation en retravaillant le métronome qui va calquer les différents éléments d'éclairage de jour et de nuit. Il va ensuite poursuivre sa démarche auprès des collectivités en faisant savoir s'il juge opportun de lancer de véritables audits énergétiques dont il analysera les résultats avec le bureau d'études...
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Nous parlons toujours, dans cette phase, de l'économe de flux ?
M. Guillaume Perrin. - Dans cette partie amont, le CEP peut également intervenir ; les deux professions se rejoignent dans leur action au niveau des territoires.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Ces tâches peuvent donc relever de l'une ou l'autre des deux professions ?
M. Guillaume Perrin. - Absolument : c'est juste la question du maillage territorial qui va le déterminer.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Il s'agit donc de la même fonction de diagnostic qui, selon les territoires, est exercée soit par un économe de flux soit par un conseiller en énergie partagée ?
M. Guillaume Perrin. - En effet, lorsque les deux ne sont pas présents sur le territoire. En revanche, lorsqu'un CEP rattaché au réseau historique de l'ADEME est en activité, l'économe de flux va se concentrer sur le plan de financement des travaux.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - La phase amont relève donc en principe de l'ADEME ?
M. Guillaume Perrin. - Notamment.
M. Rémi Chabrillat. - J'ajoute que les CEP ont été créés surtout pour soutenir les collectivités qui n'avaient suffisamment de moyens en ingénierie. En schématisant, on pourrait dire que l'économe de flux est un conseiller en énergie et en consommations diverses au sein d'une collectivité. Le CEP est, quant à lui, partagé entre plusieurs collectivités, comme son nom l'indique.
S'agissant des programmes CUBE, j'insiste sur le fait qu'il s'agit essentiellement d'actions qui font progresser la sobriété - en éteignant par exemple la lumière plus souvent - mais qui n'épuisent pas tout ce qu'on peut faire en matière de rénovation avec des investissements plus lourds. Les deux démarches sont parfaitement complémentaires.
Mme Maryse Combres. - Ces dispositifs, qui émanent d'organes nationaux, ont vraiment besoin de relais locaux et de proximité pour être mis en oeuvre efficacement. Par ailleurs, l'action du CEP, lorsqu'il est rattaché à une agence locale de l'énergie et du climat (ALEC), ne se limite pas à l'analyse des flux ou à la rénovation. Il apporte une vision beaucoup plus globale du territoire dans le champ de l'énergie et du climat, c'est-à-dire pas seulement sur la rénovation.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Partagez-vous l'enthousiasme que vos collègues sur les programmes CUBE ?
Mme Maryse Combres. - J'estime que tous les dispositifs qui vont dans le même sens sont très bénéfiques, mais qu'il faut créer des partenariats et des relais de proximité pour pouvoir les proposer et les porter au plan local.
M. Christophe Lestage. - S'agissant de la différence entre les CEP et les économes de flux, il s'agit en réalité de cousins très proches. En essayant de rédiger une étude sur leurs missions respectives, j'ai constaté qu'il y a plus de variations au sein de chacun des deux réseaux qu'entre les deux réseaux. Derrière l'appellation, le logo et la charte spécifiques à ces deux professions, on trouve sur le terrain tellement de nuances que finalement j'ai renoncé à ce travail. Je pense que c'est quasiment le même métier. Les CEP et les économes de flux sont d'ailleurs issus des mêmes écoles et passent parfois d'une profession à l'autre.
M. Guillaume Perrin. - C'est l'ingénierie et les circonstances locales qui vont déterminer, au final, les activités des CEP et des économes de flux. Nous proposons un cofinancement par l'ADEME ou ACTÉE et, ensuite, c'est au niveau local que l'appropriation des tâches va se faire ; celles-ci varient selon qu'elles s'exercent sur territoire rural ou urbain. Par exemple, en territoire urbanisé, le besoin d'ingénierie est majoré et l'économe de flux intervient alors plus en amont et moins sur la maîtrise d'ouvrage. Il en va différemment dans la ruralité, comme en Bretagne, où le réseau des ALEC est plus développé : d'autres types d'acteurs vont alors se mettre en place avec une forme spécifique d'ingénierie. Nous fournissons donc des personnels qui sont, en quelque sorte, le carburant de l'action et il revient aux acteurs locaux de s'approprier ces outils nationaux.
M. Julien Hans. - Le réseau de terrain est composé de praticiens qui présentent des traits de ressemblance et des spécificités. L'important est avant tout que l'on progresse dans la compréhension de la nature du parc immobilier pour ensuite se lancer dans des travaux efficaces. Or je mesure quotidiennement la diversité des actions : je pense notamment à la préférence pour tel ou tel matériau, sans que l'on comprenne bien pourquoi. J'estime donc nécessaire de fédérer les intervenants autour d'outils de diagnostics et de méthodes permettant de garantir l'efficacité des travaux partout sur le territoire. À défaut, la nature ayant horreur du vide, on voit se développer une multitude de petites initiatives. Il en va de même pour les diagnostiqueurs : à travers la diversité des méthodes, on repère souvent un manque et, en définitive, si l'on avait concentré les financements pour propager un outil efficace, on aurait fait des économies substantielles...
Nous attirons ainsi votre attention sur la nécessité d'outiller les acteurs de terrain avec des méthodes permettant de conduire les bonnes analyses. Je renouvelle mon alerte sur l'insuffisance de formation des intervenants sur les moyens permettant de limiter les gaz à effet de serre. En effet, on continue trop souvent à préconiser des actions dont l'efficacité est aujourd'hui remise en cause. Par exemple, nous sommes intervenus dans une école d'architecture où un enseignant préconisait jusqu'ici de construire léger pour atteindre un objectif bas-carbone ; or ce n'est pas exactement ce qu'il faut faire. Il est donc nécessaire de diffuser en amont des outils consolidés.
M. Pascal Bertaud. - Je suis d'accord mais je souhaite préciser que, s'agissant du CEREMA, établissement le personnel est constitué pour moitié d'ingénieurs, répartis un peu partout en France, notre problème quotidien est de parvenir à standardiser les méthodes sans pour autant freiner la créativité locale. Toutefois, sur ces sujets énergétiques, je confirme que l'enjeu majeur est celui de la standardisation et de la formation, en particulier dans le monde des diagnostiqueurs, des entreprises et des artisans. L'ampleur des financements alloués à l'efficacité énergétique nous inspire une certaine inquiétude alors que l'on peut objectivement se poser des questions sur un certain nombre d'entreprises.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - La Fédération du bâtiment nous a indiqué qu'il n'y avait pas de problème de qualification particulier.
M. Renaud Barrès. - En accompagnant une commune pour la rénovation d'une école, nous avons constaté que l'idée initialement retenue était d'isoler les bâtiments par l'extérieur avec du polystyrène ; or les études thermiques ont montré que l'utilisation de ce matériau allait dégager beaucoup de CO2, le polystyrène étant issu du pétrole. La standardisation a des limites car chaque projet relève d'une solution spécifique ; il faut également tenir compte des conditions climatiques différentes par exemple entre Pau et Lille. Je souligne donc l'importance de l'ingénierie locale.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Quelles sont vos suggestions pour faire en sorte que les porteurs de projets et les collectivités se retournent vers vous plus spontanément que ça n'est le cas aujourd'hui ? Certes le CEREMA et l'ADEME sont bien connus, mais n'est-ce pas surtout au titre des études routières réalisées par le CEREMA et des subventions allouées par l'ADEME ? À votre avis, quelles propositions devrions nous relayer dans notre rapport pour que ces deux mondes communiquent plus facilement et plus directement ?
M. Julien Hans. - Il est primordial, pour le CSTB, de faire connaitre les outils auxquels il participe et d'en généraliser l'utilisation. Avec la BDNB, vous tenez le fil d'Ariane : elle permet d'élaborer une stratégie immobilière en donnant accès aux 35,7 millions de logements du parc résidentiel existant. Les particuliers, en saisissant leur adresse, peuvent également accéder à l'information.
Avec un tel site public, on peut impliquer d'abord les particuliers (et nous avons construit la plateforme Go-rénove dans cet esprit), ensuite les collectivités. Celles-ci ont commencé à analyser leur parc territorial, en particulier leurs bâtiments scolaires. Nous pourrons également impliquer les bailleurs sociaux. Toutes les connaissances relatives à une typologie de bâtiments doivent être regroupées et accessibles. Les réponses pourront être trouvées en saisissant une adresse : c'est aussi simple que ça.
Je pense que les aides financières devraient relever de la même méthode de traitement : aujourd'hui les soutiens sont répertoriés par geste ou type de travaux, mais on pourrait également diffuser l'information dans la base de données à l'adresse du bâtiment concerné, conformément à l'audit réalisé. On pourrait même éventuellement désigner l'occupant, qui obtiendrait toutes les informations à partir de la seule saisine de son adresse.
Mme Nathalie Lederman. - Je souhaiterais que les sénateurs puissent nous aider à améliorer la visibilité de nos événements. Nous apprécierions vraiment qu'ils assistent à ces manifestations, ce qui leur donnerait de la visibilité en attirant, par exemple, la presse locale : dans son sillage, l'information sur les programmes CUBE se diffusera.
M. Rémi Chabrillat. - À mon tour je souligne la nécessité de l'ingénierie territoriale et de la pérennisation de sa présence de terrain.
Mme Maryse Combres. - Permettez-moi de prolonger les propos de Rémi Chabrillat en soulevant la question des financements que l'on doit attribuer aux collectivités pour qu'elles puissent se doter de façon pérenne d'une ingénierie territoriale experte, neutre et indépendante. Lorsqu'elle est opérationnelle, cette ingénierie génère des économies : elle ne coûte donc rien aux collectivités, si ce n'est le soutien de départ. Je suis également conseillère régionale de Gironde : nous travaillons beaucoup, avec les ALEC, sur la base du programme européen VIOLET qui permet de conjuguer la rénovation énergétique avec la préservation du patrimoine ancien. Tout cela est rendu possible par une ingénierie de proximité : nous avons tout particulièrement besoin au minimum de pérenniser les ALEC.
M. Pascal Bertaud. - Comme je l'ai indiqué à la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales sur d'autres sujets que les bâtiments scolaires, il y a 35 ans ou 40 ans, chaque département pouvaient compter sur l'aide des directions départementales de l'équipement ou de l'agriculture (DDE et DDA). Ce dispositif fonctionnait - certes avec des défauts - jusqu'au jour où il a été supprimé et, pour l'instant, on n'a pas encore trouvé par quoi le remplacer. Il ne serait pas très compliqué, à mon avis, de recréer un dispositif similaire - sans doute pas dans les mêmes formes ni à la même échelle. En créant dans chaque département des petites cellules d'une dizaine de personnes, par exemple rattachées à l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), dont c'est la vocation, on pourrait, conformément au principe de proximité auquel j'adhère pleinement, disposer de personnes susceptibles d'orienter les collectivités vers le bon interlocuteur. Cela nécessiterait entre 500 et 1 000 ETP au total, ce qui ne me parait pas excessif au regard des enjeux de transition écologique et d'adaptation au changement climatique.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Au chapitre de la nostalgie, j'ai également connu ces entités qui fonctionnaient plutôt bien. Je n'ai jamais tellement cru, pour ma part, aux vertus qu'on prête à l'ANCT. J'observe cependant qu'elle est représentée sur les territoires par les préfets qui sont débordés. Dans le même temps, les effectifs des Direction départementale des territoires (DDT) ont fondu. La Cour des comptes souligne que l'administration déconcentrée a été « déshabillée » dans tous les territoires de France : c'est vraiment dommage ! Sachez que les maires en souffrent, comme ils en témoignent dans les assemblées générales auxquelles j'assiste : ils n'arrivent plus à trouver le bon interlocuteur, alors qu'autrefois on savait comment contacter la DDT ou la DDA. Progressivement, ces interlocuteurs ont disparu avec la révision générale des politiques publiques (RGPP) et la modernisation de l'action publique (MAP) ; les préfectures n'ont pas les ressources suffisantes pour aider les communes à agir.
M. Guillaume Perrin. - Cette aide peut être pour partie externalisée par les réseaux que nous représentons. En revanche, nous nous heurtons, en matière de continuité du service, à la durée limitée des financements qui nous sont alloués. Ainsi, notre programme ACTÉE est doté de 220 millions d'euros : le niveau de cette somme est satisfaisant, mais les allocations prennent fin en 2026 ! Très concrètement, cela rend moins attractives nos offres d'embauche de CEP ou d'économe de flux pour des candidats qui peuvent postuler à des CDI dans des bureaux d'études urbains mieux rémunérés qu'un CDD en zone rurale. La question la durabilité de l'action publique est donc posée à travers celle de la durée du financement dans un contexte de transition ainsi que de crise énergétique qui nécessitent une vision de long terme et de franchir un mur d'investissements.
Je reprends également l'idée du Centre de ressources : vous avez compris que nous soutenons cette initiative. Je signale que la Cellule Bâti scolaire du ministère de l'éducation nationale produit des guides d'une très grande qualité mais qui sont mal connus, faute de « vitrine » suffisante dans les territoires. En y ajoutant les multiples initiatives et outils que nous vous avons présentés, il y a matière à innover en termes de portail et je suggère que vous puissiez encourager cette démarche d'ensemblier et apporter le coup de pouce nécessaire pour élargir encore le cercle des acteurs.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Certains représentants des associations d'élus que nous avons entendus n'ont pas le même point de vue sur la qualité des guides que vous évoquez. Pour certaines collectivités, ils sont arrivés un peu tard, bien après qu'elles avaient enclenché leurs démarches en matière de bâti scolaire.
M. Pascal Bertaud. - Je viens ce matin même de montrer l'un de ces guides à la présidente du CEREMA, qui est également maire de Montceau-les-Mines : elle s'est demandé si son emploi du temps lui permettrait de lire les 250 pages de ce document... Pour cette raison, le CEREMA a activement travaillé à la réalisation de petits guides au format beaucoup plus accessible, destinés aux élus.
M. Julien Hans. - L'expérience nous montre que tous ces guides sur la rénovation ont un contenu remarquable, mais que l'on risque d'avoir oublié les premières pages en arrivant à la fin de l'ouvrage ! Avec les outils numériques, on peut cibler les recherches, circuler dans les contenus et effectuer des simulations sans avoir besoin de tout aborder et comprendre. Par exemple, s'agissant des éco-quartiers, on dispose d'outils pour comptabiliser les émissions de carbone de façon extrêmement simple et accessible à des non spécialistes.
M. Rémi Chabrillat. - Encore faut-il qu'il y ait des personnes en nombre suffisant sur les territoires pour prendre en main ces outils. J'insiste également sur la nécessité de la formation, avec des mises à niveau régulières.
M. Christophe Lestage. - Je partage l'avis des autres intervenants sur les efforts à consentir pour renforcer l'ingénierie. Les effectifs sont encore insuffisants pour couvrir l'ensemble du territoire. La coordination de nos réseaux est bien réelle même si elle n'est pas particulièrement visible. La question de l'emploi doit également être abordée : même si d'un coup de baguette magique on trouvait des financements supplémentaires, on serait sans doute bien en peine de trouver un vivier de candidats adapté. Il faut donc faire connaître ces métiers ; l'urgence est également d'adapter les emplois pour les ouvrir à des profils éloignés de celui de thermicien. Nous sommes tous, en effet, en concurrence pour recruter ces derniers.
S'agissant des centres de ressources, il faut absolument en nourrir les contenus sur la base de l'identification des bonnes pratiques à diffuser et en rendant aisément accessible l'information, en recourant à divers supports - brochures, vidéos et témoignages
En ce qui concerne les travaux, les directions régionales de l'ADEME et les CEP m'indiquent que le secteur du bâtiment est en surchauffe : il aura donc des difficultés à faire face à une multiplication des projets de rénovation. La question est de savoir si les matériaux ou les effectifs pourront être mobilisés en quantité suffisante et si les travaux pourront être facturés à des prix acceptables dans un contexte concurrentiel qui semble assez internationalisé.
Par ailleurs, il faut être attentif au maillon qui concerne le portage des travaux : c'est une source d'inquiétude pour les petites communes. Je n'ai pas de réponse immédiate à fournir sur cette question, mais on peut citer les expériences conduites dans le Haut-Rhin avec l'aide de la Société publique locale d'efficacité énergétique (SPL OSER).
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Nous retrouvons dans vos propos l'éternelle question du financement, qui est essentielle : le Fond Vert est déjà épuisé ; je crois savoir que dans mon département il en va de même de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), alors qu'on est encore loin de la fin de l'année. Les communes voient par ailleurs leurs dotations de fonctionnement baisser en valeur corrigée de l'inflation. Dans le même temps, les revenus de la population subissent les hausses de prix mais essayons de rester optimistes ! Je vous remercie vivement de votre participation et je vous rencontrerai avec plaisir sur le terrain.
Cette réunion a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17h 25.