- Lundi 13 février 2023
- Audition de Mme Cécile Duflot, ancienne ministre de l'égalité des territoires et du logement
- Audition de Mme Sylvia Pinel, ancienne ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité
- Audition de Mme Emmanuelle Cosse, ancienne ministre du logement et de l'habitat durable
- Audition de Mme Barbara Pompili, ancienne ministre de la transition écologique
- Audition de Mme Emmanuelle Wargon, ancienne ministre déléguée chargée du logement
Lundi 13 février 2023
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -
La réunion est ouverte à 14 h 00.
Audition de Mme Cécile Duflot, ancienne ministre de l'égalité des territoires et du logement
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui les travaux de la commission d'enquête sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, avec les auditions consécutives de cinq anciens ministres chargés de la transition écologique et de l'habitat durable ou des politiques du logement.
Dans ce cadre, nous commençons avec Mme Cécile Duflot.
Madame, vous avez été élue députée en 2012, puis nommée membre du gouvernement, en qualité de ministre de l'égalité des territoires et du logement, ministère de plein exercice, fonction que vous avez exercée pendant près de deux ans.
Après 2017, vous avez travaillé pour une entreprise de serveurs, Octopuce, puis vous avez pris, depuis l'été 2018, la direction de l'ONG Oxfam France. Je précise que c'est aujourd'hui en votre qualité d'ancienne ministre que nous vous recevons.
Votre expérience gouvernementale a notamment été marquée par la préparation et le vote de deux lois, auxquelles votre nom reste associé, la loi « Duflot 1 », relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social, et la loi « Duflot 2 », pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, appelée aussi « loi Alur ». C'est donc une période particulièrement importante pour la politique du logement, ce qui concerne évidemment directement notre sujet.
Les objectifs de rénovation énergétique que nous nous étions fixés, notamment la rénovation de 500 000 logements par an, ne sont pas atteints, alors que le bâtiment demeure un secteur particulièrement énergivore et émetteur de gaz à effet de serre. La rénovation énergétique reste également une question sociale, puisque de trop nombreux Français sont en situation de précarité énergétique.
La commission souhaite connaître le bilan que vous tirez de votre passage au Gouvernement. Quels sont, en matière de rénovation énergétique, vos principaux motifs de satisfaction ? Quels sont, au contraire, vos regrets, et les sujets sur lesquels vous auriez souhaité aller plus loin ? Pour ces derniers, quels ont été les obstacles que vous avez rencontrés ? Quels verrous avez-vous identifiés ?
Le fait d'être ministre de plein exercice a-t-il été un atout, ou a-t-il, au contraire, représenté une difficulté pour la coordination avec le ministre chargé de l'écologie et de l'énergie ?
Je veux également vous inviter à nous donner votre analyse des raisons pour lesquelles les objectifs visés ne sont pas atteints. Quels jugements portez-vous sur la politique menée en matière de rénovation énergétique depuis votre départ du Gouvernement ? Cette rénovation bute-t-elle sur des questions de financement, de réglementation, de méthode, d'inconstance ou sur une prise de conscience insuffisante des enjeux ?
Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif d'une quinzaine de minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et sera disponible en différé sur le site internet du Sénat, et qu'elle fera l'objet d'un compte rendu publié.
Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Cécile Duflot prête serment.
Vous avez la parole, madame. Le rapporteur et les membres de la commission d'enquête ici présents auront ensuite des questions à vous poser.
Mme Cécile Duflot, ancienne ministre de l'égalité des territoires et du logement. - Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je dois me livrer à un exercice complexe : il se trouve que j'ai été ministre voilà désormais plus de dix ans et que j'ai arrêté toute activité politique depuis juin 2017. L'audition de ce jour m'a donc amenée à me replonger dans les archives. Si je commets quelques approximations, notamment sur les chiffres, ou si je me trompe dans les dates, je m'en excuse bien volontiers. Ce serait uniquement des défauts de mémoire. Au demeurant, mes archives, y compris personnelles, sont restées et sont à disposition au ministère ; elles sont donc parfaitement consultables.
Je veux commencer par vous raconter une anecdote, qui, je pense, est assez illustrative du sujet sur lequel vous travaillez. J'ai été nommée ministre en 2012, juste après l'élection de François Hollande. Quelques semaines plus tard, Louis Gallois, fraîchement nommé à la tête du programme Investissements d'avenir, demande à me rencontrer. Bien évidemment, j'accède à sa demande, et nous avons un échange sur la fonction de ce programme de relance massive, lancé par Nicolas Sarkozy après la crise de 2008 et dont une partie devait être consacrée à la rénovation thermique des bâtiments. Louis Gallois me dit qu'un budget de 500 millions d'euros avait été prévu pour la rénovation thermique des habitations des plus démunis, mais que 5 millions d'euros seulement avaient été engagés. Il souhaitait donc m'informer qu'il souhaitait réattribuer le reliquat, soit 495 millions d'euros, à... Airbus. Vous imaginez que la toute nouvelle ministre du logement, qui plus est écologiste, a accueilli cette annonce plutôt fraîchement ! Je lui ai expliqué que ça n'allait pas être possible, que je pensais que c'était une erreur, mais que cette sous-consommation massive était un vrai sujet. Après enquête - je résume à gros traits -, celle-ci s'expliquait assez naturellement, puisque les publics visés par ce programme devaient à la fois avoir des revenus inférieurs au plafond de ressources permettant d'accéder à un logement prêt locatif aidé d'intégration (PLAI), soit environ 60 % du Smic - là encore, je parle de mémoire -, et engager des montants de travaux très importants, de l'ordre d'une trentaine de milliers d'euros...
À la suite de cela, j'ai organisé une rencontre avec l'ensemble des intervenants dans ce domaine, dont les régions, qui étaient assez largement mobilisées - je rappelle qu'elles étaient alors beaucoup plus nombreuses qu'aujourd'hui. L'échange s'est avéré assez intéressant : autour de la table, tout le monde - représentants du monde HLM, de l'Association des régions de France, autres élus, responsables de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) - expliquait que tout allait parfaitement bien, que tout était parfaitement en ordre, et chacun de dérouler le grand talent avec lequel il mettait en oeuvre des politiques. J'ai alors rappelé qu'il y avait tout de même vraisemblablement un sujet, puisque cela ne marchait visiblement pas.
Voilà, pour résumer, ce qui a guidé mon action comme ministre pendant ces deux années et ce qui a justifié une première annonce, en janvier 2013 si je ne me trompe pas, de ce que devait être une évolution des manières d'intervenir en matière de rénovation thermique : il fallait non seulement mobiliser de l'argent, mais, surtout, simplifier.
En effet, s'il y a beaucoup de bonnes initiatives, je crois que l'un des principaux handicaps est le morcellement très important des acteurs chargés du dossier. Surtout, certains acteurs privés utilisent de manière très opportuniste des dispositifs qui, en eux-mêmes, peuvent être intéressants - je pense notamment aux crédits d'impôt -, mais qui ont parfois fait l'objet d'utilisations complètement détournées. Les multiples témoignages de démarchages parfois un peu agressifs et de situations abusives - je pense, par exemple, au changement de fenêtres d'une habitation dont le toit n'était pas isolé, ce qui, sur le plan énergétique, est parfaitement absurde - ont conduit le législateur à une grande prudence, notamment lors de l'examen des lois de finances.
Ce morcellement et ces dispositifs, qui, en soi, pouvaient avoir du sens, mais étaient conçus de manière, disons, « désordonnée », ont conduit au résultat que l'on connaît : une capacité très limitée à mettre en oeuvre un programme de rénovation thermique. J'ai donc fini par obtenir une sorte de pacte politique avec le Premier ministre.
Était-ce un atout d'être ministre de plein exercice ? Oui, mais c'était aussi un atout d'avoir du poids politique. J'en avais, pour deux raisons : je représentais quasiment le seul parti partenaire de la coalition politique qui existait alors ; j'ai été secrétaire nationale du parti écologiste pendant six ans, ce qui, je pense, fait partie des meilleurs entraînements au rapport de forces qui puissent exister sur le marché de la politique. D'ailleurs, à en juger par les autres personnes que vous allez auditionner, cette école a formé un panel politique qui couvre l'ensemble du spectre politique français actuel, quasiment sans exclusion. Cette double qualité me donnait la possibilité d'obtenir des arbitrages, tant en termes organisationnels qu'en termes financiers.
L'histoire a montré que la mise en cohérence du dispositif et l'abondement de manière extrêmement significative des fonds de l'Anah ont donné de très bons résultats, mais cela a duré très peu de temps, puisque, dès 2014, les choses se sont gâtées. Je tiens à le dire de manière la plus ferme qui soit, le décalage entre les annonces financières et la réalité des crédits, notamment du fait des gels qui sont souvent opérés par Bercy dès l'été, fait naître des situations de crispation. D'ailleurs, en consultant mes archives, j'ai retrouvé nombre de questions écrites ou orales de parlementaires interrogeant sur la situation de leur territoire. Les dossiers en souffrance s'empilaient dans les tiroirs de l'Anah parce qu'il n'y avait simplement plus de budget. L'année 2014 a été très marquante de ce point de vue.
Pour tout dire, le pacte que j'avais conclu avec le Premier ministre était simple : le montant, très important, serait abondé si le dispositif fonctionnait. Il se trouve que j'ai quitté le gouvernement pour des raisons politiques qui n'ont rien à voir avec le programme de rénovation énergétique, que l'argent a été dépensé beaucoup plus vite que prévu et qu'il n'y a pas eu d'abondement - le Premier ministre avait changé.
Comme l'a très bien dit Valérie Létard, qui a été présidente de l'Anah et qui connaît parfaitement le sujet, en raison de la restriction de ses crédits, doublée de la diminution, après le Brexit, du prix du carbone, qui a aussi fait baisser ses ressources, et malgré un abondement de 50 millions d'euros - si je ne me trompe pas - pris sur les crédits de ce qui devait déjà s'appeler « Action Logement » - et non plus « 1 % Logement » -, le budget de l'Anah n'était pas suffisant pour tenir les engagements qui avaient été pris.
L'autre élément qui avait rendu la chose très facilitatrice était la création d'un guichet unique, accessible via un numéro de téléphone, et l'obligation, pour l'ensemble des acteurs, dont les collectivités locales, de communiquer leurs données et de renvoyer l'ensemble des interlocuteurs, notamment les personnes physiques, vers ce guichet.
Bien sûr, le morcellement et la complexité rendent le montage des dossiers extrêmement périlleux. Selon moi, il n'est pas besoin d'aller chercher plus loin. Nous disposons de professionnels formés et dotés d'une capacité à monter en puissance si nécessaire. Si l'effet de levier permis par la mobilisation de l'argent public est un vrai sujet, celui-ci est extrêmement bien utilisé à deux titres.
Une étude britannique assez ancienne a évalué les économies sur le financement de l'équivalent de l'assurance maladie résultant de l'investissement dans la rénovation thermique, notamment s'agissant des personnes âgées - on sait très bien que la précarité énergétique, au-delà de ses conséquences sociales et de confort, a des incidences significatives sur la santé. Il se trouve que, pour travailler, depuis presque cinq ans, dans une organisation de culture anglo-saxonne, ce genre d'études, dont nous sommes peu familiers en France, sur le bon usage de l'argent public ne me choque pas : au-delà de l'aspect moral et de la satisfaction d'avancer vers davantage de justice sociale, cela me paraît même très intéressant.
En outre, les travaux de rénovation thermique sont aussi un investissement d'argent public très rentable, puisqu'il s'agit d'une activité parfaitement non délocalisable, qui fournit de l'emploi local. J'ignore si des études ont été réalisées sur l'impact d'un euro d'argent public investi dans la rénovation thermique sur la création de richesses et la diminution du chômage - je ne saurais moi-même l'évaluer -, mais je suis sûre qu'elles seraient fort intéressantes à conduire, parce que les résultats en seraient très frappants.
Autre élément très important, me semble-t-il : le recul de l'investissement des collectivités locales. Si la question des logements est importante, un investissement volontariste dans le tertiaire, notamment dans les bâtiments publics, dans le respect du patrimoine et des prérogatives des architectes des Bâtiments de France, est, pour moi, un levier clé, qui a été sous-utilisé.
À ce sujet, j'ai en mémoire des discussions extrêmement vives sur l'opportunité d'investissements de la Caisse des dépôts et consignations pour aider les collectivités locales à conduire une vraie politique d'économies d'énergie un peu plus larges, mais aussi de rénovation de leur patrimoine. Il faut savoir que de nombreuses collectivités locales possèdent des bâtiments construits dans la pire période, les années 70-80, à savoir des bâtiments consommateurs d'énergie, y compris, parfois, avec des systèmes de chauffage eux aussi très énergivores. La conjonction de ces deux phénomènes était, de mon point de vue, un frein important.
Pourquoi le bilan que je tire de mon expérience est-il nuancé ? Parce que ça s'est arrêté, mais aussi parce que ça a marché : pendant une courte période, il y a vraiment eu un effet considérable au sein de l'Anah. Je pense qu'il serait intéressant que vous entendiez les personnes qui étaient présentes à cette époque, parce qu'elles en ont sans doute un souvenir plus précis que le mien. Quoi qu'il en soit, le bilan qui avait été tiré au bout d'un an était très positif, parce que l'appétence était forte - je pense qu'aujourd'hui, dix ans plus tard, elle serait encore beaucoup plus importante. La rénovation thermique, notamment des bâtiments des particuliers, n'est pas possible sans l'effet de levier du financement public, d'abord parce que celui-ci est un outil de motivation, ensuite parce que l'écart entre le taux d'investissement et le taux de rentabilité peut être beaucoup trop important pour un certain nombre de propriétaires personnes physiques - ce n'est pas le cas pour les personnes morales, que ce soit les entreprises ou les collectivités locales.
Je pense qu'il y a deux angles morts. Le premier est celui des propriétaires bailleurs. Le dispositif qui permet de contribuer aux travaux d'économie d'énergie en échange du conventionnement Anah est un bon dispositif, mais il serait beaucoup plus efficace s'il était plus contraignant. Les avancées législatives permettront sans doute qu'il le soit, mais je crains un angle mort. Je fais écho à un débat, qui, à l'époque, était vif, avec les organisations de protection de l'environnement, qui étaient très volontaristes sur l'éviction des passoires thermiques classées G de l'autorisation de location. Ce débat a été résolu, ces logements étant concernés par le décret relatif aux logements décents. Je me permets d'alerter votre commission d'enquête sur le risque que les logements qui ne peuvent plus être loués ne soient massivement rachetés par des gens qui auront les moyens d'investir pour y effectuer des travaux, donc pas forcément à un tarif très intéressant et avec une concentration du patrimoine locatif qui a déjà été très bien identifiée par l'Insee et qui, à mon avis, est un problème qui dépasse celui de la rénovation énergétique.
En matière de logement, une vision globale des enjeux, tenant compte du prix des loyers, du prix du foncier et de la consommation thermique des bâtiments, me paraît absolument nécessaire, puisque disposer d'un logement est un besoin fondamental de l'être humain : on a besoin d'un abri comme on a besoin de boire ou de manger. Je crois que l'intervention de la puissance publique, sur ces sujets, est absolument essentielle.
Je souhaite porter à votre réflexion un élément concernant les embardées diverses et variées et l'absence de constance. Je trouve très intéressant que vous vous demandiez pourquoi les objectifs annoncés ne sont pas atteints. En l'occurrence, les objectifs que j'avais annoncés quand j'étais ministre ne l'ont pas été parce que l'abondement qui avait été « promis » par le Premier ministre si le dispositif fonctionnait n'a pas été mis en oeuvre. Je pense que ces embardées sont aussi de nature à freiner durablement les initiatives. Monter un dossier est très complexe et demande beaucoup d'énergie, ce qui conduit à une perte en ligne considérable et, au fil des années, à un épuisement des acteurs. Je pense que c'est quelque chose de nouveau.
Je suis désormais convaincue qu'il est absolument nécessaire, pour s'attaquer à ce sujet, d'avoir un service public de la rénovation énergétique qui soit un guichet unique, s'agissant notamment des différents financements possibles par les collectivités locales, mais aussi - j'y tiens - qui soit capable de fournir une expertise honnête. En effet, l'absence d'objectivité sur la priorisation des travaux à effectuer dans un logement peut déboucher sur des aberrations et sur une dépense d'argent qui n'aura pas d'effet en matière d'économies d'énergie.
Si la suppression par le législateur de tout un tas de crédits d'impôt était positive, au sens où elle a permis d'éviter des abus, elle était aussi négative, parce que ces crédits pouvaient être parfaitement utiles.
La nécessité d'un diagnostic objectif et d'une priorisation des travaux doit être beaucoup plus partagée. Je vais lancer une pierre dans le jardin des écologistes : les discussions que j'ai eu l'occasion de mener avec certaines associations écologistes ont été difficiles, car elles considéraient qu'il n'y avait point de salut en dehors d'une rénovation globale aboutissant à un bâtiment basse consommation. Pour certaines, gagner quelques pas n'était pas suffisant, et le résultat ne comptait pas. Je l'entends bien sur un plan théorique. Il est vrai que certains travaux présentés comme relevant de la rénovation énergétique sont absurdes - j'ai mentionné, tout à l'heure, l'exemple du remplacement des fenêtres quand le toit n'est pas isolé. C'est la raison pour laquelle il me semble absolument décisif que le diagnostic énergétique préalable soit établi de manière objective, et non par celui qui a intérêt à réaliser les travaux.
Je fais le lien avec la loi Alur : beaucoup ont considéré que les diagnostics préalables aux ventes de logements étaient abusifs. Je pense, au contraire, qu'ils sont très utiles lorsqu'ils sont bien faits. Avant la loi Alur, des personnes qui venaient d'acquérir des biens se rendaient compte, quelques mois plus tard, qu'elles ne pouvaient pas payer le chauffage de leur habitation et se retrouvaient surendettées...
Ces dispositions font partie de mes fiertés. Je le dis de manière très modeste, parce qu'elles ne sont pas sorties de mon cerveau : elles ont été inspirées par les propositions d'un certain nombre de parlementaires, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat.
Ce sont de bonnes avancées, mais il faut désormais faire un pas plus loin. De fait, sans le guichet unique, on ne parviendra pas à massifier les objectifs de rénovation thermique. Il faut également un élément de sécurisation financière. Je sais que les lois de programmation ne sont plus à la mode, sauf sur le sujet militaire, mais je pense que, si l'on veut lancer de grands travaux qui nous permettent à la fois d'assurer la transition énergétique, d'essayer de tenir notre stratégie nationale bas-carbone (SNBC), mais aussi de nous préparer à l'adaptation nécessaire pour tenir compte du changement climatique, il faut absolument une loi de programmation qui sécurise, pour l'ensemble des acteurs, comme pour les particuliers, une trajectoire dans la durée. Je suis absolument résolue sur ce point, parce que l'échec de ce qui a été annoncé par la ministre Cécile Duflot en 2013 est écrit dans une réponse à une question du Sénat, qui dit de manière très claire que les crédits de l'Anah ont été gelés au mois de juin de l'année 2014... Par conséquent, les objectifs qui avaient été affichés et même les dossiers qui existaient dans les tiroirs de l'Anah ne pouvaient être mis en oeuvre.
Cela semble complexe, mais c'est finalement assez simple. Comme toutes les politiques d'ampleur, je pense que la rénovation énergétique nécessite une organisation simplifiée et une visibilité dans la durée, de la même manière que, quand on investit dans un grand programme industriel, on élabore un scénario d'investissements sur plusieurs années. Étonnamment, l'État, qui a vocation à être pérenne, n'est pas capable de le faire. Je pense que c'est une faute, une erreur, et que ce n'est pas tellement le fait des ministres qui se sont succédé aux responsabilités.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Vous pensez que la volonté politique y était ?
Mme Cécile Duflot. - Tout le monde est d'accord sur la rénovation thermique des bâtiments ! Contrairement à l'encadrement des loyers, par exemple, cette politique ne fait pas débat.
Pourquoi ne parvient-on pas à mettre en oeuvre une politique qui met tout le monde d'accord ? Pour répondre à cette question, la création de votre commission d'enquête est intéressante. Pour ma part, j'estime que c'est parce que l'on ne tient pas sur l'argent dans la durée. Pour n'avoir travaillé que dans le secteur privé avant de devenir ministre, j'ai été très surprise de la vision court-termiste avec laquelle est piloté le budget d'un grand pays comme la France. Je dois le dire, mes discussions budgétaires avec les différents ministres du budget ont parfois été désespérantes, la « norme de dépenses » étant la chose la plus stupide que j'ai connue de toute ma vie. N'importe quel investisseur signe dans la seconde si vous lui prouvez qu'investir un euro peut rapporter 1,3 euro à l'échéance de cinq ans ! N'importe quel investisseur, sauf l'État...
Je le dis, les règles budgétaires telles qu'elles sont mises en oeuvre aujourd'hui dans la loi de finances me semblent, dans un certain nombre de cas, complètement absurdes et contre-productives, et le bilan que je tire de cette politique est finalement assez rageant - vous me permettrez de m'exprimer avec la franchise qui m'est coutumière, et que mon éloignement des cercles parlementaires a encore renforcée.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci pour ces premiers éléments.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci pour vos propos, qui brassent l'ensemble de notre sujet. Tout le monde s'accorde sur la nécessité et les objectifs de cette politique, mais, depuis dix ans, ces objectifs n'ont pas été atteints. Nous piétinons, alors que des actions s'empilent.
En 2012-2013, vous avez été la première à donner l'orientation de 500 000 logements rénovés, avec le projet de Points rénovation info service, sorte de porte d'entrée pour bénéficier d'ingénierie et d'accompagnement. Les premières lignes de cette politique publique étaient là dès 2012. Il y a le sujet financier, mais aussi des ajouts réalisés, créant une sorte d'usine à gaz : on a modifié les dispositifs à de multiples reprises, voulu s'appuyer sur les territoires, puis arrêté ces mesures... Le crédit d'impôt est devenu MaPrimeRénov'... Depuis 2013 jusqu'à aujourd'hui, comment percevez-vous ces changements ?
Vous avez réfléchi à un passeport de la rénovation thermique, initiative intéressante pour connaître les étapes à franchir jusqu'à obtenir un bâtiment basse consommation (BBC). Or ce dispositif a été perdu de vue ; MaPrimeRénov' ne finance qu'un élément, sans cohérence avec le reste... La loi Climat n'a pas repris l'idée de ce « carnet de santé » du bâtiment. Pourquoi ?
Nous avons reçu M. de Rugy et Mme Royal : quels liens doit-il y avoir entre le ministère de l'écologie et celui du logement ? Avez-vous rencontré des difficultés dans vos relations avec le ministre de l'écologie, notamment pour la résorption des passoires thermiques ? Ne pas louer des bâtiments classés G risque de réduire le nombre de logements sur le marché. Les orientations des deux ministères peuvent être contradictoires, avec des enjeux différents.
Mme Cécile Duflot. - Il y a un piège dans lequel sont obligés de tomber les ministres : faire des annonces. Il est quasiment impossible de continuer une politique initiée par d'autres, même si on l'approuve, surtout lorsque la majorité a changé.
Une loi de programmation permettrait d'établir une sorte d'accord général. La loi Alur avait été votée par de nombreux groupes politiques, y compris en dehors de la majorité. Il faut un vrai travail parlementaire sur ces questions, qui touchent tous les élus locaux, de manière transpartisane. Ces derniers le savent bien : la politique du logement ne se résout pas par des coups de menton.
Malgré les divergences sur certains sujets, on peut arriver à des consensus. L'idée d'une garantie universelle des loyers (GUL), abrogée par la loi Évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Élan), m'a été donnée par Jean-Louis Borloo, car la garantie loyers impayés (GLI) et la garantie des risques locatifs (GRL) - devenue « garantie Visale » (Visa pour le logement et l'emploi) - ne fonctionnaient pas. C'était une idée réfléchie de mon prédécesseur ; je pense que l'on y reviendra. Mais on préfère changer de nom le dispositif et faire une grande annonce pour bénéficier d'une dépêche de l'Agence France-Presse (AFP)...
Certes, il peut y avoir des difficultés entre ministres pour savoir qui fera l'annonce, mais, pour ma part, je n'ai pas eu connaissance de problèmes. J'ai devant les yeux le premier bilan, conjoint, des ministres de l'écologie Philippe Martin et de l'environnement Cécile Duflot du 6 mars 2014, qui ne mentionne aucune tension : 27 000 projets ont été enregistrés par l'Anah au second semestre 2013, contre moins de 4 000 auparavant ; le rythme des rénovations a été multiplié par cinq, avec 1,2 milliard d'euros distribués ; un numéro de téléphone unique était dédié. Cela a bien fonctionné en raison d'un double portage politique au sein du Gouvernement.
Les grandes avancées des lois sur le logement ont eu lieu lorsqu'existait un ministre de plein exercice ayant l'oreille du Premier ministre ou un poids politique personnel, et jamais à d'autres moments.
La loi Alur a réglé des dispositions qui étaient en souffrance depuis vingt-cinq ans : ainsi, les droits de vote dans les copropriétés n'avaient jamais été à l'agenda du ministère de la justice, alors compétent sur ce sujet. Grâce à un accord politique avec Christiane Taubira, je m'en suis occupée, et cela s'est bien passé.
Je crois fondamentalement à la politique et à l'utilité des ministres lorsqu'ils ont une certaine autonomie, qu'ils ne sont pas seulement des porte-voix lisant des éléments de langage, et qu'ils ont un cabinet ministériel suffisamment robuste pour dépasser les habitudes de l'administration. Je suis profondément convaincue de l'efficacité de la politique. Il n'y a pas de contradiction à ce qu'il y ait deux ministères.
Depuis que l'énergie est intégrée au ministère de l'écologie, l'espace de travail de celui-ci est suffisamment vaste pour qu'il soit occupé par d'autres sujets. Avoir seulement un troupeau de secrétaires d'État dont les directeurs de cabinet sont membres de son propre cabinet n'est pas très utile. Mais, si les gens travaillent en bonne intelligence, c'est bien plus efficace. Mon expérience l'a montré. Je n'ai pas eu de difficultés à travailler avec Philippe Martin ni avec Delphine Batho, même si nous sommes toutes deux des personnalités assez fortes et autonomes. Lorsque vous passez des accords politiques avec des personnes solides, vos politiques publiques sont plus efficaces.
Tout cela explique la création de MaPrimeRénov'. Quand on réduit une politique, on essaie de la rhabiller : on a prétendument mis fin au guichet unique pour gagner en souplesse...
Dans l'histoire récente, nous avons eu, durant ces six mois, 1,2 milliard d'euros sur la table, un seul numéro de téléphone, un pilotage par l'Anah. Même si cela n'a pas duré longtemps - cela aurait peut-être pu se maintenir si j'étais restée plus longtemps en poste -, cela a marché. Voilà la bonne méthode.
Le passeport est la même chose que le fonds travaux. En matière de politique publique du logement ou de gestion des travaux, il faut prendre en compte le facteur temps : rien ne se fait instantanément. Alors que l'on peut changer les règles du chômage du jour au lendemain, pour rénover une copropriété, entre la première assemblée générale de copropriété et la fin des travaux s'écoule au minimum deux ans. Il faut un management du temps, et savoir gérer la durée. Peut-être pouvez-vous mettre en lumière ce point. Sans durée et sans constance, cette politique publique ne peut pas fonctionner. Lorsqu'elle est l'otage des annonces ou du rhabillage budgétaire, avec un nouveau nom et une microcampagne de publicité, cela ne peut pas marcher.
S'agissant des travaux uniques, j'entends le discours des écologistes sur la vision globale. C'est pour cela que nous avons eu l'idée de passeports, pour savoir par quoi commencer lorsque l'on ne peut pas tout rénover d'un coup - les fenêtres, le jour sous la porte... Il n'y a pas de règles, et il faut s'adapter à chaque bâtiment. Nous avons besoin de durée, de constance et d'expertise. Certains bâtiments doivent être isolés par l'extérieur, mais, pour d'autres, c'est absurde. L'isolation par l'intérieur peut réduire le nombre de mètres carrés, donc la valeur du patrimoine. Il faudrait peut-être pondérer cette valeur entre la qualité énergétique du bâtiment et le nombre de mètres carrés.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Quelle est la place des territoires dans l'accompagnement de ces politiques ?
Mme Cécile Duflot. - Chaque collectivité veut avoir sa politique. À l'époque, de nombreux écologistes étaient présents dans les conseils régionaux, et chacun avait inventé son dispositif. C'est légitime de vouloir le défendre, mais complexe à appréhender, puisque l'on ne peut pas faire une grande campagne nationale pour annoncer un montant de subvention précis pour des ménages en particulier. Il faut de la visibilité. Avoir un guichet unique avec des spécialistes sachant monter des dossiers de subvention multiples est important.
C'est bien qu'il y ait des initiatives locales, car les besoins de rénovation thermique sont évidemment différents entre Nice et Béthune, que ce soit pour l'humidité ou le confort l'été... Des règles univoques sur tout le territoire peuvent poser problème. Un service public de la rénovation pourrait s'appuyer sur des dispositifs existants.
La loi Alur a mis en oeuvre les observatoires des loyers, afin de comparer et piloter les politiques publiques, territoire par territoire, avec une même méthodologie. En 2012, nous n'avions aucune visibilité sur la réalité du prix du logement et des loyers selon les territoires - un problème pour définir une politique du logement ! Disposer d'une méthodologie commune s'appuyant sur les départements, les régions ou les métropoles, associant les associations de collectivités, suffisamment structurées, serait une bonne chose. La mise en cohérence des interventions des collectivités territoriales est très utile ; en Île-de-France, il n'est pas très compréhensible que l'on bénéficie d'aides différentes d'un trottoir d'une rue à un autre, au seul motif que l'on changerait de commune...
M. Franck Montaugé. - Vous avez évoqué votre relation de travail avec Philippe Martin. L'article 22 de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (TECV) de 2015 prévoyait des plateformes territoriales de rénovation énergétique, avec des artisans, sortes de guichets uniques, afin de rationaliser. Que pensez-vous de ces dispositifs mis en oeuvre après votre départ ? Dans votre poste, éventuellement avec le ministère de l'écologie, aviez-vous déjà conceptualisé ce dispositif opérationnel pour répondre aux demandes d'information et aider à mettre en oeuvre la rénovation énergétique ?
Mme Cécile Duflot. - Honnêtement, je ne peux dire ce qu'il en est aujourd'hui, car j'ai choisi de ne plus être investie sur ces sujets - pour un ancien ministre, cela permet de ne pas être aigri ni de se trouver en conflit d'intérêts... C'était la déclinaison opérationnelle des Points rénovation info service que nous avions mis en place avec Philippe Martin : nous avons créé 450 guichets uniques d'information en utilisant l'existant, comme les Points info énergie, et nous voulions passer à l'étape suivante de guichet unique de mise en oeuvre. C'est le bon chemin.
Il faut avoir non pas un modèle unique en préfecture, mais une méthodologie commune et un accès unique, comme le numéro Azur, que nous avions instauré : on pouvait appeler de n'importe où ; en fonction de votre adresse, on savait où vous renvoyer.
Je ne peux répondre précisément sur la mise en oeuvre, mais c'est cela qu'il faut faire, notamment avec les entreprises reconnues garantes de l'environnement (RGE), un pas intéressant pour créer une task force répondant aux défis énergétiques.
M. Franck Montaugé. - Selon la loi TECV, les collectivités territoriales étaient impliquées par les plateformes territoriales de rénovation énergétique (PTRE), qu'elles pouvaient déléguer par une délégation de service public (DSP), tandis que les régions, avec la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Maptam), ont aussi été responsabilisées sur ce sujet. C'était un maquis fort complexe, avec une répartition entre collectivités qui interroge...
Mme Cécile Duflot. - C'est ce que je disais : chacun veut avoir sa propre politique, son dossier de subvention avec le nouveau logo qu'il a lui-même créé, pour que chacun sache que c'est telle région et le président Untel qui a donné tant ; le dossier de subvention précédent n'est plus recevable... Ce n'est pas possible ! On pourrait imaginer de prévoir un dossier avec tous les logos et une lettre avec les photos de tous les présidents de collectivité, car il est légitime de savoir quelle collectivité participe, mais cela doit être simple pour les utilisateurs...
Des progrès sont possibles : des situations ont été débloquées avec les copropriétés à Paris, pour un patrimoine ancien, dense, enclavé et complexe. Des évolutions législatives peuvent être réalisées sur les servitudes de cours communes et les autorisations des copropriétés voisines. Cela a avancé, mais vous risquez de vous heurter au droit constitutionnel de propriété.
Voilà la clef ; certains abandonnent des projets de rénovation énergétique faute de connaître toutes les possibilités de subventions. Le guichet unique est essentiel, d'autant plus que différents acteurs sont mobilisés.
M. Laurent Somon. - Il y a un risque d'éviction des passoires thermiques, remises à la vente et qui concentreraient les investisseurs. Ne s'oppose-t-il pas, avec la suppression de certains dispositifs fiscaux, comme le crédit d'impôt, à l'encadrement des loyers, qui n'incite pas les bailleurs à réaliser des travaux de rénovation thermique s'ils n'ont pas de retour sur investissement ?
J'entends qu'il faille un guichet unique, un diagnostic global, une loi de programmation. Pourquoi n'arrive-t-on pas à faire, sur le logement, une politique globale similaire à celle qui a été réalisée en matière de rénovation urbaine avec l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) ? S'il y a des incidences politiques ou personnelles, souvent, on décide de modifier la loi en raison des échecs des précédentes majorités.
Il en est de même pour les collectivités locales, qui, souvent, accompagnent les politiques étatiques lorsqu'elles sont insuffisantes. Désormais, la compétence logement est transférée aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Il faudrait trouver la trame la plus efficiente entre politique globale de l'État et efficience locale. Ne faudrait-il pas plutôt faire appel aux départements, qui soutiennent déjà les personnes en difficulté ? On pourrait, ainsi, trouver des solutions pour un meilleur logement et un meilleur cadre de vie.
Mme Cécile Duflot. - Votre commission d'enquête fera peut-être avancer les choses ! Le renchérissement du coût de l'énergie modifie les priorités. Je vous renvoie aux chiffres de mars 2014. Nous avons mobilisé 1,2 milliard d'euros, ce qui n'est pas énorme : c'est une politique accessible, qui est possible. C'est ainsi que je voyais les choses. Nous n'avons pas eu le temps de faire voter une loi de programmation, mais nous voulions rationaliser et fluidifier, afin que le demandeur ne remplisse qu'un dossier, et non 36, ensuite transmis à tous les acteurs.
Cela ne heurte pas la question de l'encadrement des loyers, car on peut avoir des loyers élevés et des charges très élevées. Comment financer la rénovation de ces logements ? Plutôt que de les vendre, il faut travailler avec les bailleurs.
Certes, en Île-de-France, la société d'économie mixte (SEM) est en voie de disparition. Mais on peut imaginer un portage financier pour réaliser ces travaux pour le compte de tiers. Par exemple, on pourrait rénover plusieurs logements simultanément. L'ouverture du prêt à taux zéro (PTZ) aux copropriétés en 2013-2014 fonctionne plutôt bien. Il permet d'éviter que chaque copropriétaire ne parte en chasse d'un PTZ.
Pour maintenir un parc accessible, mieux vaut financer ces travaux de rénovation plutôt que d'augmenter le prix des loyers. Depuis les années 1960, la part consacrée au logement dans les dépenses contraintes des ménages a énormément augmenté, notamment pour les plus précaires, mais aussi jusqu'au quatrième décile, à la différence des ménages les plus aisés. Cette part ne doit pas être augmentée.
Au travers de la loi Élan, une majorité différente de celle de François Hollande a restauré cette mesure, notamment pour les petits logements et les studios ayant vu leur loyer augmenter fortement, car les élus y vont vu une utilité.
Il est possible de poursuivre une politique du logement poursuivant ces deux objectifs simultanément. La puissance publique est légitime pour intervenir sur ce point et peut créer des outils.
On a confié à l'établissement public foncier d'Île-de-France (EPFIF) le portage pour gérer les copropriétés dégradées. Dans le sud-est de la France, le scénario noir prévu déjà il y a dix ans va se réaliser : nous aurons une nouvelle génération de copropriétés dégradées, avec des bâtiments des années 1970 et 1980 dont les propriétaires vieillissants ne peuvent assurer l'entretien. Beaucoup ont des ascenseurs nécessitant des coûts importants de rénovation.
Il faudra faire un Anru des copropriétés, de la même manière que pour le logement social. Il faut un outil solide. Ces copropriétaires privés n'ont pas les moyens de cet investissement ; si le risque et le coût sont mutualisés plus largement, c'est beaucoup plus simple.
Il existe de nombreux outils, comme les anciens dispositifs Pact (propagande et action contre les taudis), Arim (associations de restauration immobilière), qui pourraient être diversifiés, remusclés, mobilisés. Il faut avoir une politique globale et tenue dans la durée.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Quelle est la bonne répartition des compétences entre les collectivités ? Le logement ne relève plus de la compétence des départements, alors que le coeur de leur action reste le social. Cette organisation territoriale n'est-elle pas un frein supplémentaire ?
Mme Cécile Duflot. - Je suis très tentée de vous répondre sur l'organisation territoriale de la France, mais tel n'est pas l'objet de votre commission. Il faut faire avec le monde tel qu'il existe... Je suis peut-être la « réalo » de service, mais, si l'on attend d'avoir l'organisation territoriale parfaite avant de rénover, rendez-vous lorsque la température sera montée de 4 degrés... Il faut créer de la fluidité. Il faut à la fois fixer une orientation collective claire et laisser aux territoires la latitude de s'organiser dans un cadre défini.
Nous devons fixer des objectifs et savoir quel est le cadre global, puis laisser s'exprimer les initiatives locales. Dans certains territoires, on sait que telle ville s'oppose à sa métropole, alors qu'ailleurs le département fonctionne bien avec telle intercommunalité... Il faut s'adapter à la réalité des territoires, tout en donnant un cap et des moyens clairs.
Mme Sabine Drexler. - Comment doit être appréhendée l'isolation du patrimoine bâti non protégé comme les fermes, les maisons de bourg ou de village ? Actuellement, seuls les monuments historiques et les bâtiments protégés sont protégés dans les documents d'urbanisme et font l'objet d'un traitement spécifique.
Pour les autres, les calculs et les préconisations des diagnostics de performance énergétique restent identiques - ils valent pour une ferme de quatre cents ans et un bâtiment des années 1970 ! Cela conduit à des isolations inadaptées, avec des dégâts irréversibles : on a posé du polystyrène sur des maisons à pans de bois en Alsace. Ou alors on renonce à rénover, et les bâtiments sont abandonnés avant d'être détruits dans le cadre du zéro artificialisation nette (ZAN).
Mme Cécile Duflot. - Je vais me faire de nombreux ennemis... J'ai énormément de goût pour le patrimoine bâti de la France, du fait de sa diversité et de son histoire, mais je suis aussi une écologiste convaincue de la nécessité de diminuer les émissions et d'isoler les bâtiments.
J'ai vu, dans certains cas, des architectes des Bâtiments de France très rétifs, voire fâchés. Résultat, à la fin, on ne fait plus rien, et on laisse les bâtiments s'écrouler. Ce n'est pas tout noir ou tout blanc, mais gris clair ou gris foncé. Sans aller au BBC pour certains bâtiments, on peut faire beaucoup mieux. Il y a une question de formation et de savoir-faire des architectes - certes, la culture change avec les jeunes générations. En France, on aime beaucoup le geste architectural. Les architectes voulaient faire du neuf et publier dans une revue pour exister, tandis que le travail de rénovation et de réhabilitation était délaissé et très méprisé. Restaurer une ferme du XVIIe siècle en laissant respirer les murs semblait moins intéressant.
Justement, nous devons pouvoir parfois isoler par l'extérieur. Il y a plein d'endroits où les bâtiments sont bardés, et ils ont souvent évolué dans le temps. Il faut faire avec professionnalisme. Le rôle et la responsabilisation des architectes sont intéressants. On pense souvent que l'on pourrait passer directement du diagnostic aux travaux, avec des matériaux existants et en lien avec les entreprises. Mais, dans certains cas, le recours aux architectes peut être très utile.
Les parcs naturels régionaux ont beaucoup travaillé sur des guides de rénovation, de même que les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE). Nous avons une richesse d'informations et les professionnels compétents.
On pourrait organiser de façon plus fluide la mise en oeuvre du financement, et dire que, dans telle région, il est mieux de faire comme ceci pour les bâtiments en brique, et comme cela pour les pans de bois... Mais, actuellement, cela n'existe pas, alors que les compétences techniques existent, sans être mises en oeuvre. De nombreuses solutions sont possibles. Certes, parfois, ce ne sera pas très satisfaisant. Garder certaines formes de fenêtres anciennes, à baïonnette, sera plus compliqué, mais on peut vouloir les garder tout en isolant mieux les combles...
Dans l'histoire de France, il y a eu de nombreux moments où des architectes de l'État ont eu une grande inflexion : cela a abouti aux cités, à des zones d'urbanisation prioritaire, avec plus ou moins de bonheur, mais aussi à de grandes réflexions nationales sur ces sujets.
Il faudrait une grande réflexion sur le patrimoine et la rénovation thermique, avec de vrais spécialistes, des exemples étrangers, et sans crispation des uns ou des autres contre des écologistes qui voudraient rénover avec un bardage uniforme, des fenêtres moches et qui détestent le patrimoine, ou, au contraire, contre les défenseurs du patrimoine qui refusent le moindre panneau solaire en raison d'un demi-huitième de co-visibilité avec l'église Saint-Ambroise, sympathique mais datant du XIXe siècle et dont l'intérêt patrimonial est limité, d'autant que le toit est à moins de 500 mètres, mais dans l'autre sens... On peut trouver des terrains d'entente. Je vais me fâcher avec tout le monde, mais je suis une écologiste attachée au patrimoine architectural, notamment au petit patrimoine non protégé - il ne va rien arriver au grand patrimoine protégé, comme le château de Versailles ou le Sénat... Par exemple, il faut conserver certaines façades de rue à Dieppe, qui reflètent l'histoire, et sur lesquelles il faut travailler intelligemment. On ne pourra pas demander aux propriétaires, voire aux copropriétaires, de tout financer.
Nous n'avons pas non plus des milliers de différences patrimoniales en France : on pourrait créer un guide de bonnes pratiques utiles pour les professionnels, qui pourrait être intégré dans le dispositif RGE. Au-delà des savoir-faire techniques, sur la manière de poser une fenêtre, on pourrait y ajouter des éléments relatifs aux différents patrimoines architecturaux du pays.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Vous-même, vous ne vous êtes pas attelée à régler ce sujet lorsque vous étiez ministre. Mais vous aviez d'autres priorités...
Mme Cécile Duflot. - La supervision des architectes est historiquement confiée au ministère de la culture. Une cotutelle pourrait être vraiment utile. Il faut remettre de l'architecture et de la pensée architecturale dans la politique du logement, et valoriser de jeunes architectes voulant rénover des bâtiments en brique de la fin du XIXe siècle.
Mme Amel Gacquerre. - Oui, il faut une approche globale en matière de logement et poser sur la table tous les dispositifs. Mais il y a, parfois, des effets pervers. Ainsi, l'obligation de ne plus mettre de passoires thermiques sur le marché à partir de 2025 va restreindre le nombre de logements disponibles sur le marché locatif. Compte tenu des conséquences, ne faut-il pas revoir l'échéancier ?
La limite n'est pas seulement économique ou financière : elle se pose en termes de matériaux et de main-d'oeuvre.
Vous avez quitté la sphère politique, mais vous tenez un discours encore très engagé. Demain, si l'on vous redonnait ce ministère, quel budget demanderiez-vous, et quels seraient vos objectifs ?
Mme Cécile Duflot. - Le risque d'éviction est réel, mais je pense qu'il existe aujourd'hui au profit du logement de type Airbnb.
Je rappelle que plus de 80 % des logements dans lesquels nous vivrons en 2050 sont déjà construits. Les logements ont cette particularité de ne pouvoir être délocalisés, même lorsqu'ils subissent l'encadrement des loyers, et de ne pas se construire par génération spontanée. Il faut donc faire avec le patrimoine tel qu'il existe. La question est de savoir ce que l'on en fait.
Je me souviens avoir eu des discussions avec la Fondation Abbé Pierre à ce sujet : tout le monde est résolu au fait qu'il faut rénover ces bâtiments, c'est-à-dire les sortir de la précarité énergétique. Cette solution peut passer par des particuliers, qui achètent moins cher, le coût de la rénovation étant, d'une certaine manière, internalisé.
Sur la question des techniques, ne voyant pas à quoi vous faites référence, je ne peux vous répondre.
Quant au programme général qui serait le mien en tant que néo-ministre du logement, je vous avoue que, étant venue pour rendre des comptes sur ce que j'ai fait il y a dix ans, je ne me suis pas tout à fait préparée à cette question... Quoi qu'il en soit, il est certain qu'il y a des choses que je ferais différemment.
À l'époque, grâce au numéro de téléphone unique, les usagers étaient dirigés vers les bonnes personnes, qui pouvaient leur dire ce à quoi ils avaient droit compte tenu de leur situation financière. Nous avions bien fait, et cela ne nécessitait pas un génie politique particulier ! Il s'agissait juste de se mettre à la place des gens et de constater pourquoi cela ne marchait pas.
J'en viens à la question des moyens : je pense à quelques milliards d'euros. En Allemagne, pour faire baisser le prix du carburant, on a dépensé 100 milliards d'euros l'année dernière. Au reste, l'expérience gouvernementale m'a appris que, dans ce pays, il est plus facile de mobiliser quelques milliards que quelques millions d'euros ! Il y avait 500 millions d'euros dans le programme Investissements d'avenir. On a trouvé des milliards tout à coup... Par ailleurs, c'est de l'argent qui rapporte à l'État : ce n'est pas un don, c'est un investissement, et je ne parle même pas des coûts induits considérables que va provoquer le changement climatique.
Quant à mon engagement, je vous remercie de le saluer, et puis vous assurer qu'il ne faiblira pas.
M. Michel Dagbert. - Merci, madame. J'avais gardé en mémoire la liberté de ton qui est la vôtre.
Je souscris pleinement à ce qu'a dit mon collègue Laurent Somon sur les compétences, notamment au niveau départemental : la part des politiques sociales étant prégnante dans l'activité des départements, il ne me semblait pas absurde que ces derniers puissent conserver cette compétence en matière de logement.
Il existe d'ores et déjà un outil, qui s'appelle la conférence territoriale de l'action publique. Je pense que c'est en son sein que les arbitrages doivent être rendus et que l'on doit faire en sorte que les politiques soient lisibles et accessibles pour le citoyen. À cet égard, il me semble qu'il faut vraiment revenir au numéro unique.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci beaucoup. Vous nous avez dressé un bilan très intéressant et esquissé des pistes de réflexion qui me semblent mériter d'être creusées.
Nous rendrons nos travaux vers la fin juin.
Mme Cécile Duflot. - Merci beaucoup. Je lirai avec intérêt vos travaux, et je vous applaudirai le jour où vous voterez une grande loi de programmation.
Le sujet est absolument essentiel. Je le redis devant vous : s'il faut établir des priorités, il convient de cibler les trois sources d'émissions de gaz à effet de serre que sont le bâtiment, l'agriculture et les transports.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de Mme Sylvia Pinel, ancienne ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons notre séquence d'auditions d'anciens ministres du logement avec Madame Sylvia Pinel.
Madame la ministre, vous avez succédé à Madame Duflot, que nous venons tout juste d'auditionner, en avril 2014. Vous avez occupé ce poste jusqu'en février 2016, date à laquelle vous avez retrouvé votre mandat de députée du Tarn-et-Garonne, avant d'être réélue en 2017. Vous avez exercé votre mandat de député jusqu'en 2022. Je précise que c'est aujourd'hui en votre qualité d'ancienne ministre que nous vous recevons.
Votre expérience gouvernementale a notamment été marquée par la préparation et le vote d'un dispositif auquel votre nom reste associé, le dispositif Pinel relatif à l'investissement locatif.
Ce n'est pas sur ce sujet que nous vous questionnerons aujourd'hui, mais sur celui de la rénovation énergétique des bâtiments.
Votre passage au ministère a notamment été marqué par la préparation et le vote de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015 qui a fixé un certain nombre d'objectifs importants - on peut par exemple citer la cible de 500 000 rénovations de logements par an ou encore la suppression des passoires thermiques avant 2025 - et de leviers pour inciter à la rénovation - je pense notamment à la mise en place du crédit d'impôt transition énergétique (CITE).
Notre commission souhaiterait savoir le bilan que vous tirez de votre passage au Gouvernement. Quels sont, en matière de rénovation énergétique, vos principaux motifs de satisfaction et quels sont au contraire vos regrets, les sujets sur lesquels vous auriez souhaité aller plus loin ? Dans ce cas, quels ont été les obstacles que vous avez rencontrés ? Quels verrous avez-vous identifiés ?
Est-ce qu'être un ministre de plein exercice a été un atout ou a présenté des difficultés pour la coordination avec la ministre chargée de l'écologie et de l'énergie ?
Je voudrais également vous inviter à nous donner votre analyse des raisons pour lesquelles les objectifs visés ne sont pas atteints. Quels jugements portez-vous sur la politique menée en matière de rénovation depuis votre départ du Gouvernement ? La rénovation énergétique bute-t-elle sur des questions de financement, de réglementation, de méthode, d'inconstance ou sur une prise de conscience insuffisante des enjeux ?
Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif d'une quinzaine de minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'elle fera l'objet d'un compte rendu publié.
Je rappelle en outre qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.
Avant de vous céder la parole, je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Sylvia Pinel prête serment.
Mme Sylvia Pinel, ancienne ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité. - Votre commission revêt à mes yeux une importance particulière, car lorsque l'on évoque la question du logement, on l'aborde tantôt sous le prisme de la construction, tantôt sous celui de la rénovation, mais il est rare que l'on examine ensemble ces deux aspects pourtant complémentaires Il ne faut pas en effet opposer ces deux dimensions. Lorsque je suis arrivée au ministère du logement en avril 2014, j'ai ainsi souhaité mener une action globale, avec le plan de relance pour le logement qui a d'abord été présenté en juin, puis complété en août 2014 : l'ambition était de traiter la question de la construction, sans oublier la rénovation. Pour résoudre la crise du logement, il faut agir sur ces deux leviers en même temps. Un ministre doit avoir une vision globale de toute la filière et ne pas opposer les acteurs les uns aux autres.
Je ne m'attarderai pas sur la construction aujourd'hui, mais cet aspect est important pour fluidifier les parcours résidentiels : lorsque l'on procède à la rénovation d'une copropriété dégradée par exemple, il convient d'avoir anticipé la question du relogement.
Le plan de relance avait deux priorités : soutenir la construction - je n'y reviens pas - et développer la rénovation thermique et énergétique. Ce plan a permis de donner une impulsion politique forte.
Un premier axe concernait le parc HLM. Nous avons mobilisé avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC) plusieurs outils : le prêt à l'amélioration de l'habitat, l'éco-prêt logement social (éco-PLS) destiné à la rénovation thermique du parc de logements sociaux, et le prêt « anti-amiante » pour financer les surcoûts liés à la présence d'amiante en cas de rénovation globale. Un dispositif de mutualisation financière des ressources des bailleurs sociaux a permis de débloquer 750 millions en trois ans pour rénover le parc social.
Notre action s'est aussi dirigée vers le parc privé. Nous avons pris des mesures pour mieux informer et accompagner les ménages désireux de faire des travaux d'économies d'énergie dans leurs logements : le crédit d'impôt transition énergétique permettait de financer les travaux, à hauteur de 30 %, sans les conditionner à la mise en oeuvre d'un plan global de rénovation - cela représentait 1 400 euros par bénéficiaire en moyenne.
Nous avons aussi renforcé le programme « Habiter mieux » de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) : les aides ont été augmentées et le champ des bénéficiaires potentiels élargi pour concerner 45 % des propriétaires occupants d'un logement de plus de 15 ans. Le programme « Habiter mieux » avait pour objectif de rénover plus de 50 000 logements par an. Finalement, le nombre de rénovations de logements financés par l'Anah, a été multiplié par 4 par rapport à 2012.
Les ressources de l'Anah ont été augmentées afin de lui permettre de rénover plus de 45 000 logements en 2015. Le fonds d'aide à la rénovation thermique avait été renforcé. De même, 250 millions d'euros ont été mobilisés annuellement dans le cadre du programme « Habiter mieux » à cette fin.
De telles mesures n'ont pas eu d'effets immédiats. Les services de l'Anah n'étaient pas préparés à traiter autant de demandes. Mais cette politique a voulu s'inscrire dans la durée. C'est un point essentiel : pour être efficaces, les dispositifs doivent s'inscrire dans le temps long afin de rassurer les ménages et donner de la prévisibilité aux entreprises. L'octroi du CITE ou de l'éco-prêt à taux zéro (PTZ), dont nous avions d'ailleurs simplifié les modalités, étaient soumis à un critère d'éco-conditionnalité : les travaux devaient être réalisés par des entreprises certifiées RGE (Reconnu garant de l'environnement). Il a donc fallu faire monter en gamme les compétences de notre tissu d'artisans et de PME pour les préparer à faire face au nombre de demandes de rénovations. Or cette montée en compétence de la filière a été lente, en dépit de la présence des financements, et cela a été source de retards.
J'avais aussi souhaité conditionner l'octroi du prêt à taux zéro dans l'ancien à la réalisation de travaux d'amélioration, qui devaient représenter au moins 25 % du coût total de l'opération à financer. Élue locale, je constatais que nos coeurs de ville ou de village abritaient des logements vacants qui nécessitaient des travaux, mais que les primo-accédants préféraient construire un logement neuf, pour bénéficier d'aides qui n'existaient pas dans l'ancien. Ce prêt à taux zéro a initialement été réservé à 6 000 communes, mais cela manquait de clarté et visibilité : pourquoi telle commune et pas telle autre, en effet ? C'est pourquoi j'ai décidé de généraliser le dispositif à tout l'ancien ; celui-ci a facilité la primo-accession dans l'ancien ; ce prêt pouvait être couplé à d'autres aides. L'effet a été positif dans de nombreuses communes et l'artificialisation des sols en périphérie a aussi été réduite.
Pour les copropriétés fragiles, problème qui reste encore d'actualité, nous avons adopté un plan triennal avec l'Anah. La difficulté est que l'enjeu va au-delà parfois de la rénovation énergétique ; il s'agit souvent d'habitats insalubres. Nous avons ainsi mobilisé 60 millions pour accompagner les collectivités territoriales dans le traitement de ces copropriétés, et nous avons créé les opérations de requalification des copropriétés dégradées (ORCoD). La première a eu lieu à Clichy-sous-Bois. Nous souhaitions mener une action globale en mobilisant tous les partenaires.
Pour répondre à votre question sur les obstacles que nous avons rencontrés, je dirai que, si le plan de relance de la construction a fonctionné, c'est parce qu'il a été élaboré en concertation avec tous les acteurs de la filière et avec les collectivités territoriales, dans une logique de partenariat. En termes de méthode, si l'on veut réussir, il est indispensable de parvenir à entraîner toute la chaîne, des propriétaires aux professionnels en passant par les collectivités territoriales, tout en renforçant l'ingénierie. Les copropriétés dégradées restent un problème. Il convient de s'interroger sur le modèle économique. Les opérations de rénovation ont un coût et n'aboutissent pas toujours à une hausse des loyers. Il faut donc définir un modèle financier permettant d'équilibrer ces chantiers. Votre commission pourrait peut-être formuler des propositions à cet égard.
En ce qui concerne l'amélioration de la performance énergétique, il est aussi important de développer l'innovation dans la filière du bâtiment. C'est pourquoi j'ai lancé un plan de transition numérique dans le bâtiment, un plan de recherche sur l'amiante, et un programme d'action pour la qualité de la construction et la transition énergétique, qui comportait notamment un partage de bonnes pratiques et la publication de guides à destination des professionnels, afin de promouvoir l'utilisation de matériaux à faible empreinte carbone. Nous avions aussi lancé un plan bois construction. Nous avons mené également des programmes innovants avec les collectivités territoriales. L'expérimentation concernant la revitalisation des centres-bourgs visait à rénover le bâti ancien en lien avec l'Anah. Le programme « Ville de demain » dans le cadre du programme d'investissements d'avenir (PIA) visait à développer les écoquartiers, et les écocités, en lien avec les métropoles, afin de trouver un modèle de gestion innovante des ressources et des services. Nous avions aussi lancé un appel à projets « Démonstrateurs industriels de la ville durable » afin de promouvoir toutes les innovations urbaines. Cet effort de recherche sur la ville durable et les matériaux biosourcés me semble moins prégnant ces dernières années. C'est dommage.
Le fait d'être un ministère de plein exercice constitue un atout pour peser dans les arbitrages ministériels. Le ministre peut ainsi défendre ses vues plus facilement que s'il était ministre délégué rattaché au ministère de l'environnement, comme c'est le cas aujourd'hui, et avoir un lien direct avec les filières, ce qui permet de porter la parole des professionnels comme des collectivités. N'oublions pas que le ministère du logement est avant tout le ministère du quotidien. On connaît l'importance du logement et de l'énergie dans le budget des ménages.
Enfin, s'agissant des freins que j'identifie, il faut s'interroger sur la méthode - je plaide pour une approche partenariale -, sur le modèle économique, notamment pour les copropriétés dégradées, et sur le reste à charge : il est en effet plus difficile de se loger pour une personne seule ou une famille monoparentale ; or on sait que la décohabitation se développe et que les familles monoparentales se multiplient. L'empilement des aides n'incite pas à procéder à des travaux de rénovation énergétique ; il conviendrait de simplifier. Toutefois, même si on a essayé de recentrer sur les aides sur les personnes plus fragiles, le reste à charge reste trop élevé et cela constitue un frein à la rénovation des logements.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Vous avez été ministre du logement entre avril 2014 et février 2016. Vous avez participé à l'élaboration de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. L'organisation ministérielle et la répartition des compétences entre ministères a-t-elle contribué à réduire l'ambition du texte ? En particulier, comment le travail s'est-il organisé avec la ministre chargée du texte, Mme Ségolène Royal, alors ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie ? Avez-vous eu des divergences de points de vue ?
Cécile Duflot, que nous venons d'auditionner, plaide pour un point d'entrée du dispositif identifiable, avec un numéro d'appel unique, ce qui permet ensuite d'accompagner les personnes intéressées. Ce serait un gage de réussite, dès lors que le financement est à la hauteur.
Plusieurs lois ambitieuses se sont succédé depuis plusieurs années, mais on constate que tous les objectifs n'ont pas été atteints et que l'on cherche encore la bonne méthode. Comment analyser cet échec ? Cécile Duflot appelle de ses voeux une loi de programmation permettant de donner de la visibilité à long terme. Que pensez-vous d'un service public de la rénovation, afin de fluidifier les politiques et d'aider les territoires tout en conservant une cohérence à l'échelle nationale ?
La loi de 2015 avait comme objectif la mise aux normes « Bâtiment basse consommation » (BBC) de tous les logements avant 2050. Nous en sommes loin. Comment expliquer cet échec ? Même lorsque des rénovations sont menées, leur qualité n'est pas toujours optimale. Le rapport de la Cour des comptes montre la faiblesse en matière de rénovation globale. Quels sont les verrous à la réussite des politiques de rénovation globale ? Quel est enfin votre avis sur le dispositif « Ma Prime Rénov' » qui a remplacé le CITE ?
Mme Sylvia Pinel. - Ségolène Royal a dû vous l'indiquer lors de son audition, c'est elle qui a piloté le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. En effet, c'est elle qui était chargée de l'environnement.
Les mesures envisagées ont évidemment donné lieu, comme toujours, à des discussions interministérielles, mais, en la matière, nous nous posions les mêmes questions. Nous avions toutes deux la volonté d'accélérer en trouvant des outils simples, lisibles et donc efficaces, qu'il s'agisse de leurs effets concrets sur la rénovation énergétique ou de leur coût sur les finances publiques : quand on est aux responsabilités, on évalue toujours l'efficacité d'un dispositif en comparant ses avantages et ses coûts.
Selon moi, les freins constatés à l'origine n'étaient pas de nature budgétaire ; tel peut être le cas pour d'autres dispositifs en matière de logement et, aujourd'hui, il en est peut-être autrement.
Pour créer le CITE, il a d'abord fallu gagner l'arbitrage face à Bercy. Vous le savez : par principe, le ministère de l'économie et des finances n'aime pas trop les crédits d'impôt. Ces derniers ont l'avantage de toucher tout le monde : on peut en bénéficier, que l'on soit contribuable ou pas. En contrepartie, les chiffrages sont difficiles à établir, ce qui exige une certaine prudence.
Ségolène Royal et moi-même avons plaidé avec force en faveur de cette mesure, parce qu'elle était visible et claire et parce que son impact était certain : elle permettait de donner tout de suite un volume d'activité à la filière du bâtiment, qui, à cette époque-là, connaissait des difficultés économiques et sociales assez importantes.
Les arbitrages ont permis de créer ce crédit d'impôt tout en simplifiant l'éco-PTZ. Grâce à cet outil, il était possible de réaliser ses travaux sans acquitter d'intérêts : c'était un autre moyen de réduire le reste à charge. Certes, il y a quelques années, les taux d'intérêt étaient relativement bas ; mais, dès qu'ils remontent, l'éco-PTZ démontre toute son utilité.
Bien sûr, il peut être intéressant de fixer des objectifs de rénovation quantitatifs et qualitatifs dans le cadre d'un projet de loi de programmation, avec les objectifs budgétaires correspondants. Mais une nouvelle majorité peut toujours détricoter les lois de programmation antérieures ; rien ne l'empêche de revenir en arrière. En fixant un cadre, une loi de programmation peut donner de la visibilité et de la prévisibilité ; en cela, j'y suis assez favorable. Il n'empêche qu'il faut faire preuve de la plus grande prudence quand on touche aux mécanismes qui fonctionnent et se méfier des coups de balancier législatifs.
MaPrimeRénov' traduit une idée intéressante, mais je constate que ce dispositif n'est pas simple. J'ai été députée jusqu'en 2022 : j'ai vu beaucoup de personnes frapper à la porte de ma permanence pour me faire part de leurs difficultés à cet égard, qu'il s'agisse de la complexité des dossiers ou des délais de versement de la prime. Pour ma part, au cours de mon parcours ministériel, j'ai toujours privilégié les mesures pragmatiques et simples dont le but premier était l'efficacité.
Vous constatez que les rénovations globales sont difficilement menées à bien. Selon moi, le blocage ne vient pas des propriétaires privés. On ne peut pas dire que les particuliers n'ont pas envie de faire ces travaux : aujourd'hui, tout le monde a pris conscience de l'urgence. Le sujet, c'est le reste à charge et la solvabilité.
Dans le secteur du logement, l'accompagnement a été beaucoup recentré. Dans certains secteurs, il a même été très réduit. En résultent in fine des charges supplémentaires pour ménages. L'enjeu est donc bien de trouver de nouveaux moyens d'accompagnement, peut-être en adaptant certains dispositifs, pour atteindre un reste à charge beaucoup plus faible.
Avec l'augmentation actuelle du coût des matières premières, la courbe risque de continuer à chuter assez fortement. J'y insiste, nous devons aller vers une rénovation performante en trouvant des outils permettant de traiter la question du reste à charge. Avec l'éco-PTZ simplifié, le CITE et les aides de l'Anah pour les propriétaires les plus modestes, nous garantissions un échéancier de travaux plus clair et une programmation plus efficiente.
Vous évoquez la cohérence des différentes actions menées à l'échelle nationale. À mon sens, l'empilement des dispositifs rend une simplification nécessaire. Les collectivités territoriales apportent leur concours pour accompagner les ménages dans tel ou tel domaine, notamment la rénovation thermique des logements, et c'est très bien ; mais, de son côté, l'État propose ses propres aides et finalement on s'y perd un peu.
À ce titre, l'idée initiale, c'étaient les plateformes et les guichets uniques, qui ont tout leur intérêt pour accélérer l'effort de rénovation et, ainsi, nous permettre d'atteindre nos objectifs de lutte contre le réchauffement climatique. On sait ce que représente l'isolation des bâtiments dans la réduction des gaz à effet de serre : dès lors, il faut s'efforcer d'identifier et de lever les freins et les verrous constatés dans ce domaine.
En ce sens, il faut effectivement assurer un accompagnement individuel ; mais, pour moi, compte tenu du volume de logements considérés, les copropriétés restent le vrai sujet. Il sera toujours plus simple d'accompagner un propriétaire occupant ou un propriétaire bailleur possédant quelques logements que de trouver les outils adaptés aux copropriétés, d'autant que ces dernières exigent des moyens financiers considérables. Il s'agit d'un travail de grande ampleur.
M. Laurent Somon. - Quel bilan tirez-vous du dispositif d'investissement locatif qui porte votre nom, qu'il s'agisse de la rénovation ou de la construction neuve ? N'a-t-il pas été davantage utilisé pour la seconde que pour la première ?
Mme Sylvia Pinel. - Le dispositif dit « Pinel » était clairement fléché vers le neuf, même s'il pouvait financer des rénovations complètes.
Pour ce qui concerne le logement neuf - j'y insiste -, j'ai déployé d'autres mesures : prêt à taux zéro, soutien au logement social, simplification des normes, mobilisation du foncier public et privé, etc.
Pour ce qui concerne la rénovation, je vous renvoie aux dispositions que je vous ai présentées, qu'il s'agisse du logement social ou du logement privé, et notamment au programme « Habiter mieux », levier direct du ministère du logement. Le CITE et l'éco-PTZ, quant à eux, étaient copilotés par le ministère de l'environnement et par le ministère du logement.
J'ai voulu un plan ambitieux pour la construction neuve et la rénovation, conformément à la volonté du Gouvernement et à ma propre philosophie : ne pas délaisser un secteur par rapport à l'autre. On voyait le nombre de demandes de logement social exploser ; dans les zones détendues, on voyait de plus en plus de personnes qui, faute d'outils adaptés, ne pouvaient pas devenir propriétaires ; en parallèle, un certain nombre de propriétaires occupants modestes ne pouvaient pas rénover leur logement. Je n'ai pas voulu être davantage la ministre de la construction ou la ministre de la rénovation : j'ai voulu être les deux à la fois en actionnant tous les leviers à ma disposition. Certes, les volumes budgétaires n'ont pas forcément été les mêmes sur les deux volets, mais le volontarisme était là.
C'est tout l'intérêt, pour le logement, de disposer d'un ministère de plein exercice. Ce choix permet de défendre une vision politique et volontariste pour l'ensemble du secteur au lieu d'opposer les uns aux autres.
La rénovation et la construction neuve sont bel et bien complémentaires. Pensez par exemple aux matériaux biosourcés ou aux différents moyens d'accroître la sobriété foncière : souvent, les innovations développées pour le logement neuf serviront ensuite à la rénovation énergétique des bâtiments.
M. Laurent Somon. - Certes, mais, comme dit l'adage, « qui trop embrasse mal étreint » : ne vaudrait-il pas mieux raisonner par secteur en fixant des objectifs plus ambitieux pour la réhabilitation et la rénovation que pour la construction neuve ?
Mme Sylvia Pinel. - Je n'oppose pas rénovation et construction.
On entendait déjà cette petite musique quand j'étais membre du Gouvernement : « Il faudrait moins construire ; on pourrait même se passer de la construction. » Je crois au contraire qu'il faut réhabiliter l'acte de construire. On en a besoin aussi.
Les professionnels nous le rappellent souvent : même après une rénovation lourde, une ancienne passoire énergétique reste en deçà des standards actuels de la construction neuve. C'est pourquoi le cas des logements classés F ou G est difficile à traiter : même avec des travaux de grande ampleur, par définition coûteux, ces logements n'atteindront pas les classes A ou B. C'est aussi pour cela que je rappelais l'importance de l'innovation dans ce modèle économique.
Pour que le secteur fonctionne, on a bien sûr besoin de rénovations. Cela étant, j'observe que ces dernières s'apparentent parfois à une restructuration profonde, notamment dans certaines copropriétés dégradées, et que les outils des uns servent aux autres.
Si mon action en faveur de la construction a paru plus visible, c'est parce que, lors de mon entrée au Gouvernement, les chiffres de la construction étaient particulièrement faibles. À cet égard, on retient de moi un certain nombre de dispositifs compte tenu de leurs effets. Ils sont peut-être plus connus et l'on m'a peut-être plus entendue à leur sujet ; mais je n'avais pas pour autant délaissé l'autre champ.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - J'abonde dans votre sens : si la rénovation énergétique doit être une priorité nationale, il faut continuer de construire, car, à l'évidence, notre pays n'a pas suffisamment de logements.
Les certificats d'économie d'énergie (CEE) ont été particulièrement critiqués au motif qu'ils donnaient lieu à des effets d'aubaine et, surtout, à des fraudes et à des captations. Selon vous, ces effets pervers pouvaient-ils être anticipés ?
Mme Sylvia Pinel. - Tout dispositif finit par présenter des biais et par être contourné, comme le dispositif d'investissement locatif évoqué à l'instant. À ce titre, on m'a signalé un certain nombre de détournements que je n'avais évidemment pas envisagés lors de son élaboration.
Pour ce qui concerne les CEE, les fraudes ont été démontrées. On ne peut pas les contester. L'objectif était qu'un grand nombre d'artisans s'approprient cet outil ; c'était une question d'efficacité. Ensuite, compte tenu des fraudes constatées, il a sûrement été nécessaire de l'adapter et de le corriger.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - On a certes besoin de constructions neuves, mais encore faut-il garantir la qualité des constructions ; ce n'est pas toujours le cas aujourd'hui et, dans les années à venir, nous serons confrontés à de nouveaux problèmes de rénovation, d'où la nécessité de redoubler d'exigence.
Pouvez-vous revenir sur la certification RGE mise en place en 2011 ? N'aurait-il pas fallu assortir cette labellisation d'un contrôle a posteriori, choix retenu par d'autres pays ?
Mme Sylvia Pinel. - Le label RGE est monté en puissance à un rythme pour le moins modéré, pour ne pas dire très lentement. Le mouvement s'est intensifié lorsqu'est apparue l'écoconditionnalité ; j'ajoute que nous avions mené un travail très soutenu avec la Confédération de l'artisanat et de petites entreprises du bâtiment (Capeb), ainsi qu'avec la Fédération française du bâtiment (FFB), pour étendre le label à un plus grand nombre d'artisans et de très petites entreprises (TPE).
Outre la simplification de l'éco-PTZ et la mobilisation des sociétés du tiers financement, le recours au tiers certificateur a été envisagé.
Tous les modèles ne se valent pas. Certes, seule une minorité d'artisans ont suivi les formations proposées ; mais les mesures déployées parallèlement à la certification, notamment le programme d'action pour la qualité de la construction et la transition énergétique (Pacte), que j'évoquais, et le plan numérique, nous ont permis de mobiliser la filière. J'avais également engagé un tour de France de la construction et de la rénovation pour présenter les dispositifs existants dans toutes les régions du pays. À mon sens - je le répète -, la question n'était pas purement budgétaire ; nous étions aussi face à un problème de connaissance et d'appropriation des dispositifs de la part de tous les acteurs.
Si, dans une certaine mesure, le label RGE se révèle être un frein, d'autres solutions peuvent être mobilisées, mais il faut faire attention au montant des travaux : le coût de l'intervention d'un tiers certificateur peut être assez dissuasif, d'autant plus si le montant du crédit d'impôt ou de MaPrimeRénov' est assez faible.
Voilà pourquoi nous avons opté pour le label RGE, assorti de l'écoconditionnalité et d'autres plans, en espérant une montée en compétence. D'ailleurs, le travail engagé se poursuit, qu'il s'agisse de l'acte de construire ou de la décarbonation, grâce aux matériaux biosourcés ou plus performants qui viennent irriguer l'ensemble de la filière.
L'artisan qui mène aujourd'hui un chantier de rénovation pourra très bien, demain, assurer une opération de construction. Les process qu'il adopte pour la construction neuve peuvent très bien être employés pour la rénovation : il s'agit là d'une passerelle intéressante. On le voit avec l'apport que représentent le BIM (Building information modeling) et les cahiers de chantier numérique. De même, certains matériaux assez peu développés il y a quelques années ont désormais pris beaucoup d'ampleur. Un certain nombre de réticences et de freins peuvent persister ici ou là ; mais, dans son ensemble, la filière a bien compris les enjeux de sobriété foncière et de décarbonation, qui impliquent des constructions et des rénovations plus performantes.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous vous remercions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de Mme Emmanuelle Cosse, ancienne ministre du logement et de l'habitat durable
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Madame la ministre, vous avez été vice-présidente de la Région Île-de-France en charge du logement de 2010 à 2015, ministre du logement et de l'habitat durable de 2016 à 2017 et vous êtes depuis 2020 présidente de l'Union sociale pour l'habitat (USH). Je précise que c'est aujourd'hui en votre qualité d'ancienne ministre que nous vous recevons.
Votre passage au Gouvernement été marqué par la mise en application de la loi de transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015, l'approfondissement de certaines de ses mesures et le développement d'expérimentations dans le domaine de la rénovation énergétique des bâtiments, notamment les territoires à énergie positive et le label énergie positive et réduction de carbone.
Madame la ministre, je souhaite que vous puissiez nous éclairer sur le bilan que vous tirez de votre expérience notamment dans l'application de la loi transition énergétique pour la croissance verte et le lancement de ces différentes expérimentations. Quels verrous avez-vous identifiés ? Quels sont vos motifs de satisfaction et vos regrets, si vous en avez ? Souhaitiez-vous aller plus loin ? Quels obstacles avez-vous rencontrés dans cette entreprise ?
Est-ce qu'être un ministre de plein exercice a été un atout ou a présenté des difficultés pour la coordination avec la ministre chargée de l'écologie et de l'énergie ?
Les exigences en matière de sobriété énergétique imposés par l'Accord de Paris et inscrits dans la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) exigeaient une rénovation profonde du bâtiment en France. C'était l'objectif de la loi pour la croissance verte qui apparaît aujourd'hui comme celle qui a fixé le cadre et les principaux objectifs des politiques menées en la manière, les lois énergie-climat de 2019 et climat-résilience de 2021 venant l'approfondir mais aussi souvent reporter certains objectifs.
Pourtant, aujourd'hui, le bâtiment demeure un secteur particulièrement énergivore et émetteur de gaz à effet de serre, Or, les objectifs de rénovation énergétique que nous nous étions fixés, notamment la rénovation de 500 000 logements par an, ne sont pas atteints. C'est pourquoi je voudrais également vous inviter à nous partager votre analyse des raisons de cet échec. Quels jugements portez-vous sur la politique qui a été menée en matière de rénovation depuis maintenant un peu plus de cinq ans ? Pensez-vous que celle-ci nécessitait plus de continuité et de constance par rapport aux outils déjà en oeuvre, plutôt qu'une refonte des dispositifs ?
Enfin, avant de vous laisser la parole, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Emmanuelle Cosse prête serment.
Mme Emmanuelle Cosse, ancienne ministre du logement et de l'habitat durable. - Merci pour cette invitation, il est toujours intéressant de répondre de son action au Gouvernement devant le Parlement et je le ferai donc ici comme ancienne ministre - d'autant que vous me dites que je serai entendue un autre jour au titre de mes fonctions actuelles à l'USH.
La politique de rénovation est la part la plus difficile des politiques du logement, parce qu'on s'attaque à l'existant, au stock de logements - donc à des logements habités, ce qui nous fait entrer dans la vie de particuliers, qu'il faut le plus souvent accompagner pour rénover l'habitat. On parle souvent de la construction de logements, mais il est tout aussi important, et plus difficile, d'améliorer le stock de logements, qui sont habités.
Quel bilan est-ce que je tire de mon passage au gouvernement ? Je suis arrivée dans la deuxième partie du quinquennat et je savais que je ne resterais pas en fonction au-delà du mandat présidentiel. Aussi, avec mes équipes, nous sommes-nous concentrées sur l'application des textes de loi, en particulier de la loi de transition énergétique pour la croissance verte et de la loi ALUR, ainsi que sur les priorités du moment, la construction de logements, privés comme sociaux, et l'éradication de l'habitat insalubre. Vous savez que j'ai échoué, sur ce dernier sujet, à prendre l'ordonnance que je voulais, elle a été faite dans le quinquennat suivant. Nous avons travaillé sur la précarité énergétique, mais bien au-delà, sur les publics en difficulté, et nous avions aussi la volonté de moderniser les professions du bâtiment, avec les enjeux de fraude à la TVA, ou encore la mise en place du label « reconnu garant de l'environnement » (RGE). Lorsque j'étais ministre, j'ai aussi eu à mettre en place de nouveaux dispositifs, avec l'encadrement des loyers et le permis de louer, et encore sur des sujets que le Premier ministre avait demandé de traiter en priorité : le logement insalubre et indigne à Marseille, et la revitalisation du bassin minier.
Nos objectifs de rénovation étaient donc inscrits dans une politique du logement plus globale et le Gouvernement s'était effectivement fixé des objectifs chiffrés, sur la construction de logements neufs et sur la rénovation de 500 000 logements par an : je crois que c'est très important de se fixer de tels objectifs, même si l'on ne les atteint pas et qu'on donne matière à critique - je pense qu'il vaut quand même mieux se fixer un tel cap, c'est mobilisateur et cela permet, si l'on n'atteint pas l'objectif, d'examiner pourquoi, en particulier, mais pas seulement, sur le plan budgétaire, et nous en sommes encore là aujourd'hui.
Les questions qu'on se posait alors, sont encore d'actualité : quand on veut massifier, faut-il aider tout le monde, ou seulement les ménages les plus pauvres ? Faut-il se concentrer sur les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre ? Je crois, aussi, qu'il faut tordre le cou à cette idée fausse que la rénovation énergétique pourrait se faire à budget constant : en réalité, nous n'avons pas le modèle économique de la rénovation énergétique. Dans bien des cas, des particuliers ne voient pas l'intérêt de rénover parce qu'ils n'auront pas de retour sur investissement et parce que des passoires thermiques ne se vendent pas moins cher que des logements plus efficaces sur le plan énergétique - cela dépend de l'âge des propriétaires, de la valeur de leur bien, et du marché. Les particuliers qui rénovent leur logement n'y sont pas incités, comme le sont par exemple les automobilistes qui achètent un véhicule peu émetteur de gaz à effet de serre, et le fait de ne pas donner un prix au carbone rend les choses plus difficiles. Cela ne veut pas dire qu'on ne puisse rien faire pour diminuer l'impact de la dépense, nous avons des marges de manoeuvre en jouant sur des emprunts long terme et sur les subventions - et nous savons qu'il y a un coût pour l'État à ne pas soutenir la rénovation énergétique des logements.
Parmi les choses qui n'ont guère changé, je citerai aussi le faible intérêt des banques pour le sujet. Le logement social bénéficie du partenariat de la Caisse des dépôts, qui continue d'innover, mais le secteur bancaire privé ne s'engage pas comme il le fait dans d'autres pays européens, c'est dommage. C'est un frein important pour les ménages, j'ai passé bien des réunions avec le secteur bancaire pour le lever, sans grand résultat je dois bien le dire. Autre frein : le régime de la copropriété n'est guère adapté à notre volonté d'accélérer et de massifier la rénovation énergétique ; nous avons pu travailler sur les copropriétés dégradées, suite aux travaux du sénateur Claude Dilain, cela a été très utile parce qu'on partait de très loin et cela nous a permis d'avoir aujourd'hui des outils adaptés aux copropriétés dégradées - mais il reste que les copropriétés en général sont plus difficiles, par leurs règles, à rénover.
Le renchérissement brutal de l'énergie change probablement la perspective, mais nous n'avions pas de modèle économique en 2015-2016. Nous avons cependant avancé, avec la loi de transition énergétique pour la croissance verte, avec l'idée d'aller vers un crédit d'impôt pour ceux qui paient l'impôt et de renforcer le dispositif « Habiter mieux », qui est devenu MaPrim'Renov, pour aider les ménages qui empruntent pour la rénovation énergétique de leur logement.
Je signale que l'Agence nationale de l'habitat (Anah) est un outil qui nous est envié à l'étranger, on m'a souvent interrogée, comme ministre, sur cette agence nationale qui intervient pour l'habitat. Cependant, l'Anah n'a pas la capacité d'engager des fonds sur plusieurs années, comme le fait par exemple l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), c'est dommage. Les crédits de l'Anah sont fixés et varient chaque année, c'est sur cette base variable et incertaine que le volume de dossiers est réparti par territoires, c'est une limite évidente et cela nourrit une méfiance envers la capacité de l'agence à s'engager durablement, alors que le cofinancement avec les collectivités est nécessaire et, surtout, que la rénovation prend du temps en particulier avec les ménages précaires - il faudrait améliorer ce point, pour éviter les à-coups.
Vous m'interrogez sur le choix que j'ai fait, en mars 2016, de demander à l'Anah de réaliser 70 000 dossiers, au lieu de 50 000 : nous avions débloqué les crédits suffisants, mais l'année s'est terminée... à 41 000 dossiers, ce que j'ai considéré être un échec pour l'État, donc pour mon ministère et mes services. Comment les choses se sont-elles passées ? En mars, nous décidons de passer à 70 000 dossiers, l'Anah se tourne alors vers les services extérieurs de l'État et vers les collectivités territoriales, qui à leur tour doivent instruire, voter leurs cofinancements - tout ceci prend du temps, le système ne peut pas travailler en flux continu, et nous avons aussi subi le fait que des collectivités territoriales avaient changé leur positionnement, au préjudice des ménages. L'accompagnement financier n'a donc pas été suffisant, il est resté un frein, mais aujourd'hui encore l'Anah ne peut pas engager des crédits sur plusieurs années, c'est une limite. Il faut compter aussi avec le fait que le budget du logement est fait avec les quotas carbone, je regardais ce critère tous les mois. En 2017, nous avons envoyé les enveloppes prévisionnelles aux préfets dès le mois de février, nous avons essayé de baisser la part issue des quotas carbone et nous avons pris 50 millions d'euros sur Action logement, tout ceci pour stabiliser le budget de l'Anah.
En 2014-2016, le secteur du bâtiment n'était pas prêt à la massification de la rénovation énergétique des logements. La question était sur l'agenda, j'ai retrouvé une étude de 2013 du Service des données et études statistiques (Sdes) sur le sujet, mais on n'était pas prêt pour le changement d'échelle. Nous avons beaucoup travaillé avec les artisans, avec les PME du secteur du bâtiment, sur la question de la formation, sur la question du geste professionnel, sur la maîtrise des outils numériques, sur le carnet numérique du logement, sur les types de travaux à réaliser, et finalement sur la RGE et sur la garantie - nous avons essayé de travailler sur l'écosystème dans son ensemble pour améliorer la formation et permettre la massification, vous savez bien que c'est encore un enjeu important.
Un ministre du logement qui dirait avoir un bon bilan n'aurait pas compris quelle était sa mission, me semble-t-il, car c'est un domaine où l'on n'a jamais fini - il faut être humble, je dirai que nous avons posé des jalons, mais que nous ne sommes pas allés assez vite, et qu'aujourd'hui encore l'action ne va pas assez vite alors que le marché de l'immobilier est florissant. En réalité, les logements qui sont bien placés sur le marché se vendent très bien même s'ils sont très mauvais énergétiquement, tandis que l'habitat insalubre et indigne reste à un niveau bien trop important dans notre pays. Nous avons fait beaucoup, mais pas assez, je dirai donc que mon bilan est mitigé, et que j'assume d'avoir fixé des objectifs chiffrés.
M. Guillaume Gontard. - Pourriez-vous préciser votre analyse de la situation actuelle ? Vous aviez fixé des objectifs chiffrés que vous n'avez pas atteints, d'autres sont fixés aujourd'hui, qu'en pensez-vous ? Que pensez-vous, également, du maillage territorial qui a été mis en place autour des plateformes territoriales pour la rénovation thermique ? Et de l'idée d'un service public de l'efficacité énergétique - qui ferait le lien entre les politiques locales et une coordination nationale ? Quel bilan feriez-vous du RGE - en particulier par comparaison à d'autres formes de label qui sont utilisées ailleurs, consistant par exemple à se focaliser sur les travaux effectués, plutôt que sur les entreprises ?
Mme Emmanuelle Cosse. - Sur les plateformes territoriales de rénovation thermique et sur ce qui est fait depuis 2017, je commencerai par déplorer l'espèce de maladie des politiques qui consiste à vouloir renommer et réinventer les choses tous les deux ou trois ans et à chaque alternance ; ce que nous avions mis en place méritait certainement d'être approfondi, mais pourquoi tout redéfinir et tout renommer, alors qu'il faut de la continuité dans les politiques du logement en général et la rénovation énergétique en particulier ? Des plateformes ont été installées, mais notre politique n'avait jamais consisté à imposer des dispositifs par le haut, nous avions toujours associé les collectivités territoriales, voyez la loi de transition énergétique : les collectivités territoriales y sont associées à de nombreuses politiques et nous avons voulu nous appuyer sur les politiques locales de l'énergie. D'ailleurs, les dossiers de rénovation ont été plus nombreux quand il y avait des maisons de l'habitat, où l'action était accompagnée - pour nous, l'État fixait des objectifs et la réalisation devait se faire en partenariat avec les collectivités - souvent les agglomérations, mais cela peut aussi être les départements, selon les configurations locales, ce qui est une raison supplémentaire de ne pas s'en tenir aux seules compétences juridiques. Je ne suis donc pas sûre qu'il soit intéressant de tout redéfaire, pour, finalement, contrôler davantage l'action des collectivités : mieux vaut coopérer dans la durée.
Nous nous sommes posé la question d'un service public de l'efficacité énergétique, l'idée étant d'apporter des services utiles à la population. Dans les dispositifs qui ont été mis en place depuis 2017, je crois qu'il y a l'idée d'afficher un tournant avec ce qui se faisait avant, pour dire qu'on fait mieux qu'avant. Mais en réalité, le tournant est dans les obligations nouvelles liées à la loi « Climat et résilience » du 22 août 2021. Les objectifs et les obligations nouvelles que cette loi définit sont intéressants, mais la question posée est celle des moyens pour la mise en oeuvre. Comme ministre, je n'étais pas favorable à l'interdiction de louer les logements de classe énergétivore, parce que les DPE de l'époque n'étaient pas fiables du tout - on pourra discuter pour savoir si ceux d'aujourd'hui le sont, mais il est certain qu'alors, ils ne l'étaient pas - et parce que j'ai toujours craint que les logements interdits de location, se retrouvent sur le marché non déclaré, de la main à la main, à destination des plus précaires. Le débat est ancien, nous l'avions déjà en 2015 ; la loi « Climat et résilience » pose une interdiction, mais son étude d'impact est défaillante sur le point de savoir combien de logements seront concernés. Nous sommes cinq ans plus tard, et le problème est encore devant nous. D'abord, la mise en place du nouveau DPE est un véritable fiasco, il est trop complexe - je vous le dirai plus en détail comme présidente de l'USH, nous manquons toujours d'outils fiables pour évaluer la performance énergétique et la rénovation. Mais il y a aussi le fait que le délai restant, environ 18 mois, est bien court pour faire les travaux nécessaires à passer d'un indice G à E : que va-t-il se passer, concrètement, au 1er janvier 2025, pour les gens qui auront découvert cette année que leur logement est en classe G ? Des objectifs ambitieux créent certes une dynamique, mais il faut aussi du réalisme, on parle d'une révolution qui consiste à sortir de l'indécence des millions de logements. On a besoin d'accompagnement, il faut du temps entre le diagnostic et le terme des travaux de rénovation, c'est aussi pourquoi il faut que les dispositifs d'intervention soient stables et pérennes.
Je n'ai pas de réponse sur la comparaison entre la labellisation des entreprises, comme nous le faisons avec la mention RGE, et la labellisation des types de travaux de rénovation. La mention RGE n'est pas arrivée par hasard, elle résulte du besoin que nous avions de passer par les entreprises, et que les entreprises, qui sont souvent de très petite taille dans le bâtiment, forment leurs salariés, nous avions besoin que les artisans se forment à la rénovation énergétique, nous avions aussi pensé recourir à des plateformes locales pour que les artisans améliorent leur geste et maîtrisent les matériaux de la rénovation, y compris par de la mutualisation. La mention RGE fait débat, moins d'entreprises qu'avant s'y inscriraient, il faut interroger les fédérations professionnelles pour savoir si elles incitent les entreprises à le faire, et sinon pourquoi, en tout cas l'objectif était bien la qualification des professionnels à la maîtrise de la rénovation - c'est un enjeu essentiel, on le voit dans l'augmentation des primes d'assurance en dommages ouvrages, liée au fait que les malfaçons se sont multipliées. Nous allons devoir aussi affronter le fait que, pour massifier la rénovation thermique, il va falloir standardiser certaines pratiques, ce qui est possible pour certains bâtiments mais pas pour d'autres - on le voit dans d'autres pays, où le bâti est plus récent et plus homogène qu'en France -, la massification suppose une répétition du geste, c'est un défi.
M. Philippe Folliot. - L'habitat précaire et indigne concerne tout le territoire national et en particulier nos outre-mer ; pourtant, l'Anah ne consacre que 0,2 % de ses moyens aux outre-mer : pourquoi si peu ? Quelle a été votre action lorsque vous étiez ministre ? Quelle est celle de vos successeurs ? Ne faudrait-il pas mieux associer les outre-mer aux organismes, aux instances de pilotage de la politique du logement ? C'est un élu non ultramarin qui vous interroge...
Mme Emmanuelle Cosse. - La question de l'éradication de l'habitat insalubre reste entière pour tous les territoires, c'est un enjeu dans les outre-mer, où il y a encore des bidonvilles, et c'est un enjeu également dans le tissu faubourien et dans le rural : l'enjeu est énorme. L'Anah intervient peu outre-mer, cela tient à des difficultés administratives, par exemple quand les titres de propriété ne peuvent pas être regroupés, mais cela tient surtout au manque de budget de l'Agence - comme c'est aussi le cas pour son intervention dans les territoires ruraux. En réalité, l'efficacité de l'intervention de l'Anah tient à l'engagement des collectivités territoriales. Il faut signaler aussi le fait que dans les outre-mer, la politique du logement est portée non par le ministère du logement, mais par celui des outre-mer, ce qui peut infléchir la priorité qu'on souhaiterait pour le logement.
J'ai oublié de vous répondre, Madame la présidente, sur l'utilité d'un ministre de plein exercice dédié au logement. Oui, je suis formelle : il est très utile d'avoir un ministère de plein exercice, car on assiste alors au Conseil des ministres chaque semaine. J'ai été en cotutelle avec la ministre de la transition écologique, nous étions ainsi deux ministres de plein exercice, cela change tout pour peser dans les arbitrages. Faudrait-il un seul ministère ? Je ne le sais pas, car cela dépend de l'angle choisi : quand on parle de rénovation énergétique, met-on l'accent sur la réduction des gaz à effet de serre, ou bien aussi sur les conditions d'habitat ? Les deux regards sont légitimes, c'est ce qui produit des désaccords entre ministères - mais je dirai que nos freins étaient plutôt liés au manque d'outils et de pluri-annualité de l'action.
Mme Amel Gacquerre. - Vous évoquez une décentralisation fine, quelle forme pourrait-elle prendre ? Pensez-vous à une contractualisation ? Une décentralisation ? Qui paierait ? Songez-vous à un guichet ? Quelle est votre vision ?
Mme Emmanuelle Cosse. - Lorsqu'on se propose de décentraliser, je crois qu'il faut commencer par se poser la question du pourquoi on décentralise : pour une action publique plus efficace, ou bien pour débarrasser d'un fardeau et d'une politique publique en échec ? A-t-on intérêt à décentraliser complètement la compétence logement ? Je suis plutôt convaincue des avantages de la décentralisation, mais à condition que les collectivités territoriales aient les ressources suffisantes, ou bien elles n'y arriveront pas. Sur ces enjeux de rénovation, où les budgets à mobiliser sont très importants, l'échelon national est nécessaire, l'État ne peut s'exonérer de ses engagements à réduire les gaz à effet de serre. Il me semble donc utile qu'une politique soit débattue et décidée à l'échelle nationale, et qu'elle s'appuie sur les collectivités territoriales, dans un partenariat exigeant, où les collectivités territoriales définissent les objectifs locaux en fonction d'une connaissance fine du bâti local, avec la garantie, par l'État, d'un financement pluriannuel. Car la rénovation énergétique coûte cher, il faut de 60 000 à 80 000 euros pour qu'un logement passe de l'indice G à D, et les coûts augmentent depuis deux ans. Les collectivités locales sont mieux situées pour repérer les logements à rénover, mais elles ne pourront pas agir à hauteur des besoins sans la garantie de l'État, d'autant qu'il n'y a pas une grande confiance actuellement entre les collectivités et l'État sur les financements. Je crois beaucoup aux maisons de l'habitat, les ménages y rencontrent des architectes, des agents de l'Anah, peuvent projeter une rénovation énergétique - ces maisons sont très utiles pour stimuler la rénovation, avec des enjeux locaux importants y compris d'emploi - encore faut-il que l'État souhaite travailler avec collectivités territoriales.
M. Michel Dagbert. - Je suis bien d'accord avec l'idée que la décentralisation est intéressante, les collectivités territoriales sont à la bonne échelle pour définir des objectifs locaux à contractualiser, pour nouer des dialogues avec les entreprises - mais elle exige effectivement des moyens pour réussir. Une remarque, ensuite, sur le renouveau du bassin minier, un dossier que j'ai eu à connaître comme élu de ce bassin, et sur lequel je témoigne que vous avez su engager l'État, tenir un bon rythme dans la négociation et parvenir à une signature effective : dans le bâti minier ancien, la rénovation thermique réduit un espace habitable qui n'est déjà pas grand, ce qui pose des problèmes aux habitants, en plus de celui du coût des opérations, très élevé quand il concerne des logements dont la valeur est faible sur le marché.
Mme Emmanuelle Cosse. - Il faut effectivement définir des projets de rénovation adaptés aux situations particulières, même s'il faut essayer de rénover entièrement plutôt que par petits bouts, définir un parcours de gestes qui aide à rénover effectivement. Les bailleurs importants vont dans ce sens, mais ce qui pose problème, et il n'est pas petit, c'est de rénover les logements dont la valeur est faible et dont les résidents n'ont pas les moyens de payer les travaux. Vous dites aussi à raison que le bâti ancien est petit et qu'il se prête mal aux techniques actuelles de rénovation thermique, c'est le cas du bâti individuel classé dans le bassin minier, dans les cités-jardins, ou encore de l'habitat sidérurgique - il y a comme ça un parc important de logements, qu'il faut sortir du fuel et du charbon, et qui sont trop petits pour supporter l'équipement moderne et les techniques de rénovation.
Je vous remercie de votre témoignage sur le travail que nous avons fait pour le bassin minier ; je note que si l'engagement perdure, c'est parce que nous l'avons construit avec les collectivités, nous avons travaillé en profondeur et il le fallait, parce qu'on parle de rénover 100 000 logements en dix ans, dont la plupart sont occupés, c'est très important et très complexe. La rénovation est compliquée également dans le bâti haussmannien, qu'on ne peut recouvrir de l'extérieur. Les opérations sont plus faciles dans le logement collectif plus récent, où l'on peut regrouper les logements quand ils deviennent trop petits, ou encore les reconfigurer complètement, mais cela dépend de la demande locale de logement.
Je n'ai pas de réponse unique pour régler ces problèmes, mais nous pouvons apprendre de ce que nous avons fait dans le bassin minier, par exemple. Nous sommes partis de diagnostics très précis, les bailleurs se sont engagés, et nous avions aussi une garantie de financement dans la durée - on me l'a reproché ensuite, car j'engageais l'État au-delà du quinquennat. On ne pourra pas avoir partout la même configuration, surtout que l'enjeu porte sur l'habitat insalubre dans son ensemble. Mais en tout état de cause, il faut accompagner, on ne peut laisser les gens seuls face à la rénovation énergétique, ou bien ils n'y arriveront pas - les chiffres parlent d'eux-mêmes : la rénovation dépassent souvent 50 000 euros, pour des logements qui valent moins de 100 000 euros. Dans ces conditions, surtout pour les ménages modestes qui sont encore endettés pour leur logement, la rénovation ne se fera pas sans aide et je ne suis pas sûre qu'on prenne bien la mesure des moyens nécessaires. Il faudrait à tout le moins un outil statistique plus précis, qui renseigne mieux sur le coût des travaux, sur les capacités de financement, pour mieux informer sur les besoins d'accompagnement des particuliers.
M. Michel Dagbert. - Pour être élu du bassin minier depuis 40 ans, je peux témoigner que les logements dont on parle valent souvent bien moins que 100 000 euros. Je sais aussi que quand les collectivités locales ont acquis le bâti minier, l'enjeu ne portait pas seulement sur les maisons mais sur le foncier, et qu'aujourd'hui, dès lors qu'on parle de « zéro artificialisation » des sols, la marge de manoeuvre se situe du côté de la démolition-reconstruction, pour parvenir à un parc de logements aux normes d'aujourd'hui.
Mme Emmanuelle Cosse. - C'est une question complexe. Les collectivités locales ont interrogé les organismes HLM sur la possibilité d'utiliser le démembrement pour faire du portage en vue de rénover, mais il faut savoir qu'on évite aujourd'hui de démolir, parce que les démolitions émettent beaucoup de carbone, surtout pour les bâtiments en béton. L'objectif de réduire les gaz à effet de serre pousse aussi à densifier le tissu urbain, donc à faire de l'habitat plus proche, en particulier quand il a peu de valeur marchande. C'est encore une raison qui milite pour la décentralisation, c'est ce qu'on a fait dans le bassin minier, en se mettant tous autour de la table pendant six mois puis en définissant de concert un programme qui se déroulerait sur quinze ans - parce qu'en réalité, quand on rénove, on parle de la ville et de l'habitat, pas seulement du niveau d'une prime : le logement, c'est du vivant. Donc partout où l'on peut éviter de démolir, pour restructurer, on ne démolit pas, et chaque fois que j'évite une démolition je pense aux émissions de carbone évitées et tout ceci incite, je le répète, à s'intéresser aussi à l'économie du carbone.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci pour votre participation, nous vous entendrons de nouveau en votre qualité de présidente de l'USH.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de Mme Barbara Pompili, ancienne ministre de la transition écologique
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de Mme Barbara Pompili, députée à partir de 2012, devenue ministre de la transition écologique, de juillet 2020 à mai 2022, au sein du gouvernement de M. Jean Castex.
Madame Pompili, l'un des événements marquants de votre ministère fut le vote, en juillet 2021, du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dit Climat et résilience. Ce texte avait vocation à reprendre et à « incarner » les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, qui avait été lancée en octobre 2019. Son titre V, intitulé « Se loger », comporte plusieurs dispositions qui sont aujourd'hui au coeur des débats sur la rénovation énergétique des bâtiments, comme l'interdiction à la location des « passoires énergétiques ».
Vous avez également mis en oeuvre le remplacement du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) par la prime de transition énergétique, mieux connue sous le nom de « MaPrimeRénov' ». L'ensemble des crédits dévolus à MaPrimeRénov' a ainsi atteint 1,85 milliard d'euros en crédits de paiement dans la loi de finances pour 2022.
Enfin, vous avez piloté les politiques du plan France Relance qui touchent à la rénovation énergétique des bâtiments.
Il faut aussi rappeler, comme nous l'avons déjà fait à plusieurs reprises au cours de nos auditions, que les objectifs de rénovation énergétique que nous nous étions fixés - je pense en particulier à la cible de 500 000 logements rénovés par an - ne sont pas atteints.
Sur tous ces sujets, la commission d'enquête souhaite connaître le bilan que vous tirez de votre passage au gouvernement. Quels sont vos motifs de satisfaction ? Quels sont vos regrets, et quels sont les sujets sur lesquels vous auriez aimé aller plus loin ? Quelles sont les difficultés auxquelles vous avez dû faire face ? Le fait d'exercer la tutelle sur le ministère du logement a-t-il été pour vous un atout ? Cette nouveauté dans le découpage ministériel doit-elle être conservée ?
Pensez-vous que les propositions de la Convention citoyenne pour le climat ont été suffisamment reprises dans le projet de loi Climat et résilience ? La loi aurait-elle pu aller plus loin ou, au contraire, certaines mesures vous semblent-elles rétrospectivement inadaptées ?
Les crédits qui ont été consacrés à MaPrimeRénov' vous semblent-ils à la hauteur des enjeux ? À ce sujet, quel regard portez-vous sur le budget pour 2023 ? Plus généralement, MaPrimeRénov' fait l'objet de nombreuses critiques, qui portent notamment sur la nature des travaux financés et sur les difficultés que rencontrent nos concitoyens lorsqu'ils cherchent à accomplir les démarches requises pour bénéficier de la prime. Quelle est votre position face à ces critiques ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'une quinzaine de minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'elle fera l'objet d'un compte rendu publié.
Je dois en outre vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Barbara Pompili prête serment.
Mme Barbara Pompili, ancienne ministre de la transition écologique. - Je suis heureuse de me retrouver devant cette commission d'enquête, qui a le mérite, de surcroît, de réunir des acteurs du projet de loi Climat et résilience, très impliqués sur ces sujets, en premier lieu vous-même, madame la présidente, qui étiez rapporteure du fameux titre V, sur lequel vous avez presque plus de connaissances que je n'en ai moi-même !
J'ai été nommée au début du mois de juillet 2020, en même temps que le logement - évolution intéressante - était intégré dans le périmètre du ministère de la transition écologique.
Cette évolution, je l'appelais de mes voeux et je l'avais proposée à de nombreuses reprises : au-delà des politiques traditionnelles du logement, on voyait bien que, depuis un certain nombre d'années, notamment après la promulgation de la loi de 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV), la connexion était de plus en plus prégnante entre les questions climatiques et les questions de logement, via les thèmes de la rénovation énergétique du logement existant et des règles applicables aux bâtiments neufs. La législation évoluait en ce sens, sachant que ces questions du climat et du logement ne relevaient pas nécessairement, jusqu'alors, d'une culture commune. Il était donc très intéressant de réunir sous un même ministère les compétences relatives au climat et au logement. Cela s'est révélé, en outre, un vrai plaisir de travailler avec la ministre chargée du logement, Emmanuelle Wargon : la coordination entre nous a été parfaite, même si, l'honnêteté m'oblige à le dire, l'évolution des services et des directions ministérielles vers une culture véritablement commune a pu prendre un peu de temps - j'ose croire que notre travail a permis, en la matière, de faire avancer les choses.
Ainsi ai-je pu, dans le cadre d'un ministère aux compétences considérablement étendues, m'appuyer sur une ministre qui gérait seule toutes les autres affaires relatives au logement, accession à la propriété, logement social, etc., et avec laquelle je partageais la compétence relative à la rénovation des bâtiments et aux normes de construction.
Lorsque j'ai pris mes fonctions, la Convention citoyenne pour le climat venait, quelques semaines auparavant, de rendre publiques ses propositions, qui étaient au nombre de 149. J'ai avec moi l'énorme recueil des propositions de la Convention, dont je salue le travail absolument incroyable. L'objectif qui avait été assigné à ces 150 personnes tirées au sort selon des techniques permettant, autant que faire se peut, de couvrir la diversité de la population française était de définir toutes les mesures susceptibles de nous permettre d'atteindre la neutralité carbone en 2050 dans un esprit de justice sociale. Autrement dit, je le répète souvent, on a demandé à ces citoyens de changer le monde, rien de moins, ce qui explique qu'ils aient formulé tant de propositions.
Ce qui a très bien fonctionné, dans la Convention citoyenne, c'est que les personnes ainsi désignées, qui n'étaient pas toutes sensibilisées aux enjeux climatiques, ont réussi à adopter ensemble, par consensus, ces propositions, alors qu'au départ c'était loin d'être gagné...
Sensibilisés à la question climatique, les membres de la Convention l'ont été, et fortement, dès leur première session, qui a eu lieu fin 2019, pendant laquelle ils ont rencontré des scientifiques du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), s'enfermant notamment toute une journée avec Valérie Masson-Delmotte, désormais bien connue. Tous racontent qu'à cette occasion ils ont reçu une « claque », une « baffe », certains allant jusqu'à pleurer - tel fut pour eux le moment inaugural décisif. Après plusieurs week-ends de travail en commun, et en dépit de la crise de la covid, qui a causé quelque retard, ils ont pu rendre leur copie et proposer leurs solutions au Président de la République.
Une semaine avant mon entrée en fonction, le Président de la République a reçu à l'Élysée les membres de la Convention, les a félicités à juste titre et leur a annoncé qu'il retenait 146 propositions sur les 149 qu'ils avaient émises, s'octroyant trois « jokers » considérés comme absolument infaisables, l'un sur la modification du préambule de la Constitution, l'autre sur la taxation des dividendes, le dernier sur la réduction à 110 kilomètres par heure de la vitesse maximale autorisée sur l'autoroute.
Quant au reste des mesures proposées, à l'exclusion de ces trois jokers, les citoyens de la Convention avaient compris qu'elles seraient toutes reprises.
Cette situation de départ - je commençais ma tâche là où se terminait celle de la Convention - était en elle-même problématique : à partir du moment où le Président de la République, quelques mois plus tôt, avait dit qu'il reprendrait sans filtre les mesures préconisées par la Convention citoyenne pour le climat, il avait mis tout le monde dans une situation impossible, inextricable. Les citoyens, d'un côté, se sentaient légitimement les gardiens des mesures proposées et les garants de leur mise en oeuvre ; les parlementaires, de l'autre, tout aussi légitimement, pouvaient se sentir dessaisis de leur rôle démocratique de représentants du peuple.
Dès lors, deux légitimités se trouvaient face à face, alors même que la Convention, à l'origine, avait plutôt vocation à apporter des propositions qui devraient être débattues. Il a donc fallu gérer cette situation en jouant les intermédiaires entre les citoyens de la Convention, d'une part, et, d'autre part, les autres représentants de notre société, les corps intermédiaires, syndicats, associations, élus locaux. Certains, parmi les membres de la Convention, avaient bien compris qu'il n'était pas possible d'appliquer à la lettre toutes les propositions qu'ils avaient formulées ; d'autres, considérant que la promesse du Président de la République faisait foi, surveillaient ligne à ligne les modalités de mise en oeuvre desdites propositions.
Je me réjouis, au passage, qu'Emmanuelle Wargon intervienne à ma suite ; son expertise technique sera certainement plus poussée que la mienne.
Le chapitre « Se loger » occupe une cinquantaine de pages dans le rapport final de la Convention. Nous avons décidé de reprendre, dans le projet de loi Climat et résilience, le découpage opéré par les citoyens en cinq thématiques : « consommer », « produire et travailler », « se déplacer », « se loger », « se nourrir ». Peut-être aurions-nous pu écrire une loi plus agile, mais cette option nous semblait la plus simple à comprendre de l'extérieur : nous avons donc dessiné des parties qui permettaient à chacun de s'y retrouver, et notamment aux citoyens de la Convention de retrouver les mesures législatives correspondant à leurs propositions - c'est ce qui s'est passé, d'ailleurs, dans l'ensemble.
Les dispositions du titre « Se loger » de la loi Climat et résilience s'inscrivent dans la lignée de ce qui avait été voté les années précédentes, la loi fondatrice sur le sujet qui nous occupe étant la loi LTECV de 2015, présentée par Ségolène Royal. C'est cette loi, en effet, qui met en place la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), qui pose des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), qui est à l'origine du lancement des programmations pluriannuelles de l'énergie, qui crée les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), qui jette les bases de notre « socle » de rénovation des logements, notamment en créant le CITE et en intégrant la performance énergétique dans les critères de décence d'un bâtiment. En résumé, cette loi de 2015 pose les fondements qui sont ensuite réaffirmés dans la loi de 2019 relative à l'énergie et au climat, laquelle, intervenant après l'accord de Paris, nous engage sur la trajectoire de la neutralité carbone en 2050.
Voilà quel est le contexte au moment de ma prise de fonction : un continuum, une trajectoire, une dynamique lancée quelques années plus tôt. De ce point de vue, le regard des membres de la Convention citoyenne pour le climat se révèle très pragmatique : ils cherchent à savoir ce qui a marché et ce qui n'a pas marché.
Parmi leurs propositions, on compte un certain nombre de recommandations emblématiques. Je citerai l'interdiction de la location des logements dont la performance énergétique se situe en deçà d'un certain seuil, qui vise à contraindre les propriétaires occupants et bailleurs à rénover de manière globale. L'accent était mis, justement, sur cette notion de « rénovation globale » : en effet, il avait été constaté à maintes reprises, par le Haut Conseil pour le climat (HCC), par la Cour des comptes, par le Défenseur des droits, que les rénovations effectivement réalisées étaient hélas ! très majoritairement des rénovations par gestes simples - une année on pose de nouvelles fenêtres, l'année suivante on isole les toitures, une autre année on change de chaudière, etc. -, ne permettant pas d'accroître la performance globale du logement.
Des propositions sont formulées également sur le diagnostic de performance énergétique (DPE), sur l'obligation de remplacer les chaudières au fioul et à charbon d'ici à 2030 dans les bâtiments neufs et rénovés ou sur le déploiement harmonisé d'un réseau de guichets uniques. Concernant ce dernier point, les citoyens de la Convention ont beaucoup insisté sur la difficulté d'accéder à une information simple et unifiée sur l'ensemble du territoire en matière d'aide à la rénovation énergétique. Chacun s'accordait en effet à relever la complexité des aides accordées et la persistance de « trous dans la raquette », pour les copropriétés par exemple ; en conséquence, de très nombreux propriétaires n'accédaient pas ou accédaient mal aux aides prévues.
J'ajoute que les membres de la Convention ont porté une attention particulière aux plus démunis, comme le prévoyait leur lettre de mission, et ont émis d'intéressantes propositions sur la formation des professionnels du bâtiment, en vue de répondre à la demande de rénovation globale.
Voilà l'état de la situation quand j'arrive à la tête du ministère. Je rencontre les membres de la Convention citoyenne et nous préparons le texte de loi avec eux. Je les informe immédiatement que nous souhaitons les associer à ce processus - certains considéraient que leur travail était fini, d'autres, à juste titre, pensaient qu'une tâche d'aussi longue haleine devait être poursuivie - en les informant de chaque avancée dans la mise en oeuvre de « leur » loi. Assez vite, nous mettons en place un outil de suivi de l'application des mesures proposées par la Convention - cet outil existe toujours, mesure par mesure.
Il a été difficile de faire comprendre à nos concitoyens que toutes les mesures de la Convention ne se traduiraient pas en mesures législatives, tout simplement parce que notre Constitution distingue les mesures qui relèvent du domaine de la loi et celles qui sont d'ordre réglementaire - je pense, par exemple, à l'interdiction des terrasses chauffées, à des mesures comportementales qu'il est difficile d'introduire dans une loi, ou à des dispositions qui doivent être mises en oeuvre au niveau international. Ainsi avons-nous eu de grands débats sur la question du crime d'écocide : il est évident que l'on ne va pas faire une loi pour que Jair Bolsonaro vienne répondre devant un tribunal installé à Poitiers de ses agissements contre la forêt amazonienne... Certains ont très bien compris ce qu'il en était ; d'autres ont monté ce genre d'épisodes en épingle.
Pour en revenir aux mesures du titre « Se loger », nous avons eu des échanges sur ce point avec les acteurs du monde du logement, collectivités, associations ; cela n'a pas été simple. Le « problème » de la Convention citoyenne pour le climat - c'est aussi une leçon à tirer -, c'est que ses membres ont auditionné les personnes ou les institutions qu'ils avaient envie d'entendre. Compte tenu de l'ampleur des domaines explorés, ils n'avaient pas matériellement le temps de rencontrer tous les acteurs concernés. Dès lors, leurs préconisations ne tenaient pas toujours compte des contraintes rencontrées par lesdits acteurs ; d'où des « frottements » : c'est la raison pour laquelle je n'ai pas pu reprendre intégralement les mesures proposées, pas même celles qui étaient d'ordre législatif.
Il importait, évidemment, de se rapprocher des propositions de la Convention, qui étaient en adéquation avec nos objectifs climatiques. Simplement, il fallait les « mettre en musique » pour qu'elles deviennent applicables ; j'ai tâché d'être le plus fidèle possible aux propositions de la Convention tout en restant pragmatique. Nous avons veillé non pas à coller exactement à la lettre du rapport de la Convention, mais à en respecter l'esprit, en rendant la rédaction du texte aussi opérationnelle que possible.
Je me concentrerai sur une mesure que je jugeais absolument essentielle : l'urgence, selon moi, était de trouver une solution permettant à nos concitoyens de ne pas se perdre dans le maquis complexe des aides et d'y avoir accès plus facilement. Ce sujet revenait sans cesse ! Chacun voit de quoi je parle... Je l'ai expérimenté à titre personnel : ayant fait rénover mon logement, je n'ai pas réussi à obtenir toutes les aides auxquelles je pouvais prétendre ; je compte pourtant plutôt parmi les connaisseurs du sujet...
Nous avons missionné M. Olivier Sichel pour nous aider à élaborer cette disposition absolument essentielle et à trouver le meilleur mécanisme. La mission Sichel a rendu ses conclusions alors que le texte était déjà en cours d'examen par le Parlement et avait déjà été voté par l'Assemblée nationale ; le Sénat a pu en tirer la substantifique moelle. Elle a malgré tout été une réussite : elle nous a permis de défricher le terrain au profit de ce qui allait devenir Mon Accompagnateur Rénov', qui a été intégré dans le texte définitif de la loi Climat et résilience.
Il s'agit selon moi de la mesure phare de cette loi, qui contient d'autres mesures indispensables : j'aurais pu évoquer l'interdiction de la location des passoires thermiques, qui nous a aussi demandé beaucoup de travail, mais Mon Accompagnateur Rénov' est à mes yeux le levier essentiel si l'on veut monter en puissance en matière de rénovation globale.
Pourquoi les gens font-ils des rénovations « par gestes » ? Parce qu'ils ne savent pas qu'ils peuvent faire une rénovation globale, qu'ils en ignorent les conditions et les modalités, et parce qu'ils n'ont pas accès au diagnostic.
Il y a eu, dans certaines régions, des services publics de l'efficacité énergétique qui étaient mieux développés. Je pense, par exemple, au service public de l'efficacité énergétique (Spee) de Picardie, qui était plutôt bien organisé et qui, bien qu'il fût concentré sur les copropriétés, a tout de même eu le mérite d'être le précurseur de Mon Accompagnateur Rénov'. Néanmoins, il était peu connu, disposait de peu de moyens et gérait trop peu de dossiers au regard des besoins. C'est d'ailleurs l'un des problèmes auxquels nous sommes confrontés : comment faire en sorte que Mon Accompagnateur Rénov' ne devienne pas un « super-Spee » doté de trop peu de moyens pour faire face à l'ampleur de la tâche, puisque l'on doit rénover 700 000 logements par an ? Le rapport de 2020 du Haut Conseil pour le climat rappelle que, pour atteindre nos objectifs issus de l'accord de Paris, on doit réaliser 700 000 rénovations globales par an à partir de 2030, c'est dans la SNBC ; aujourd'hui on n'en fait pas le dixième !
On ne peut pas se contenter de confier cette tâche à des opérateurs publics, d'où la nécessité de mettre en place un système de conventionnement ; cela a d'ailleurs fait l'objet d'un décret récent. Et, selon moi, Mon Accompagnateur Rénov' est, s'il est correctement mis en place, l'outil qui permettra de faire avancer les choses.
Pour finir, vous m'avez demandé si j'avais des regrets. Oui, du point de vue des moyens. On a consacré beaucoup de moyens à la rénovation, que ce soit sur les bâtiments privés, via MaPrimeRénov', les certificats d'économies d'énergie (C2E) et les autres aides publiques, ou sur les bâtiments publics, dans le cadre de France Relance, avec un budget de l'ordre de 4 milliards d'euros. Néanmoins, sur une politique de cette envergure, on aurait besoin d'une loi de programmation pluriannuelle du financement de la transition et qui ne soit pas cantonnée au logement. Mon regret, c'est qu'on ne l'ait pas encore. Peut-être après la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) ?
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Nous avons entendu plusieurs anciens ministres de l'écologie ou du logement. Quelle était la relation entre le ministère du logement et celui de l'écologie, même si, dans votre cas, le premier était intégré au second ?
Toutes les personnes entendues nous ont dit qu'il fallait que les dispositifs soient simples, lisibles, stables, inscrits dans la durée. Chacun a également affirmé avoir eu la bonne idée, avoir mis en place le bon dispositif, puis avoir constaté à regret que cela n'était pas maintenu ensuite. J'ai l'impression que cela s'applique à votre cas : la loi de 2015 contenait des objectifs clairs, des moyens spécifiques - Agence nationale de l'habitat (Anah), CITE - et l'appui des territoires, puis tout a été recommencé, avec le remplacement du crédit d'impôt par MaPrimeRénov'. Ce changement était-il réellement justifié ?
Par ailleurs, je m'interroge sur les accompagnateurs Rénov'. Les territoires avaient déjà identifié qu'ils devaient offrir une prestation d'ingénierie, d'accompagnement, pour favoriser la basse consommation des bâtiments. Néanmoins, ces accompagnateurs ont été créés dans le secteur privé, par la création d'une nouvelle profession. Pourquoi ne pas s'être appuyé sur l'existant, avec un bon maillage territorial, en le développant, d'autant que, si l'État prend en charge le sujet, les collectivités risquent de se désengager ?
Enfin, comment voyez-vous l'articulation entre les territoires et la politique nationale ? Ne faudrait-il pas un service public de la rénovation énergétique ? Certains pensent que c'est une bonne idée, d'autres, comme François de Rugy, affirment que c'est une très mauvaise idée.
Mme Barbara Pompili. - Sur le lien entre les deux ministères, votre interrogation renvoie plus largement aux problèmes que rencontre le ministère de l'écologie ou de l'environnement, quel qu'en soit l'intitulé. On parle beaucoup de charge mentale en ce moment et cette notion s'applique assez bien à ce que vit ce ministère.
Traditionnellement, les autres ministères laissent la charge mentale de la politique écologique du pays à ce ministère et cela se traduisait assez nettement dans les réunions interministérielles, qui sont souvent des moments assez durs pour les différentes équipes du ministre de l'environnement : chaque fois que le représentant de ce ministère présente les objectifs ou les mesures à prendre pour les atteindre, les autres se liguent contre lui, en excipant de toutes sortes de raisons pour s'y opposer.
Sans doute, cela évolue, je ne prétendrai pas que rien ne s'est passé en la matière. Au cours des dernières années, notamment à partir de la nomination de Jean Castex, mais cela avait commencé avant, le Premier ministre a imposé à tous les autres ministères de s'approprier la politique de transition écologique et de prendre des mesures en leur sein. Toutefois, la culture des services est longue à faire évoluer. Dans un monde idéal, dans lequel tout le monde partagerait la charge mentale, le ministère de l'écologie présenterait les objectifs à atteindre et les autres expliqueraient comment, dans leur domaine de compétences respectif, ils pourraient contribuer à les atteindre. Malheureusement, pour en avoir été témoin, cela ne se passait pas ainsi.
Dans ce contexte, intégrer au sein du ministère de l'environnement le ministère du logement change tout, car cela permet à ce dernier de prendre sa part de charge mentale. Je ne dis pas qu'il ne le faisait pas du tout auparavant, mais cette configuration l'obligeait désormais, institutionnellement, à le faire, ce qui emporte ensuite la collaboration de ses services. C'était intéressant de ce point de vue. C'est aussi pour cette raison que je me suis battue à la fin de mes fonctions pour que Matignon assume directement, à l'avenir, cette charge mentale. Je suis donc ravie que, désormais, la Première ministre soit dotée d'un secrétariat général à la planification écologique, dont la mission est d'instiller cette charge mentale dans l'ensemble du Gouvernement.
J'en viens au remplacement du CITE par MaPrimeRénov'.
D'abord, un crédit d'impôt pose problème en soi, parce qu'il n'est versé que l'année suivant l'année de réalisation des travaux, avec un délai important. C'est un problème, car certains ménages peuvent ne pas disposer de la trésorerie nécessaire et renoncer à leurs travaux. On n'a pas tout résolu avec MaPrimeRénov', j'en suis bien consciente, mais, en théorie, ce dispositif permet de recevoir assez rapidement la prime, une fois les travaux engagés. Nous nous voulions donc être plus « proactifs ». En outre, MaPrimeRénov' procède non pas seulement du CITE, mais de la fusion entre plusieurs aides ; par conséquent, cela représentait également une simplification.
Je comprends ce que vous voulez dire, monsieur le rapporteur, lorsque vous sous-entendez que chaque nouveau gouvernement réinventerait la poudre. Toutefois, je ne suis pas sûre d'être d'accord. Finalement, tout cela est assez récent. Le lancement, par la loi, des grandes politiques de rénovation des bâtiments remonte à 2015. C'est récent, à l'échelle de la vie politique, même si le Spee de Picardie avait été mis en place bien avant. Mais on est toujours un peu en avance, en Picardie... On doit aussi tenir compte - y compris les parlementaires - des retours d'expérience. Les aides mises en place antérieurement étaient trop compliquées, et on ne pouvait pas faire comme si cela n'était pas vrai ! Aussi, mettre en place un guichet unique, MaPrimeRénov', doté d'un site internet unique visait à rendre le dispositif beaucoup plus simple et beaucoup plus accessible.
Je profite d'ailleurs de cette occasion pour suggérer une révision de ce site internet. Je m'y suis rendue pour préparer votre audition et je pense qu'il y a matière à amélioration. Quand on va sur le site de MaPrimeRénov', on ne tombe pas directement sur France Rénov', qui est le réseau. Le parcours n'est donc pas intuitif. En outre, il faut vraiment chercher la mention de Mon Accompagnateur Rénov' pour la trouver, de même d'ailleurs que sur le site de France Rénov'. Il faudrait que l'on propose, d'entrée de jeu, le renvoi vers Mon Accompagnateur Rénov', d'autant que celui-ci est obligatoire pour certains types de travaux.
Vous évoquiez également les réseaux de service public qui existent actuellement, mais, je vous l'ai dit, ils ne sont pas à l'échelle. Ce qui existe est parfois très bien - c'est inégal selon les territoires - et a vocation à perdurer. Simplement, ce n'est pas du tout dimensionné pour rénover 700 000 logements par an. Vous pourrez dire ce que vous voudrez, mais, pour avoir fait les fonds de tiroir du budget et du personnel public de l'État ou des collectivités, je puis vous certifier que nous n'aurons jamais assez de personnel compétent pour passer à l'échelle. Si l'on veut le faire, il faut recourir à Mon Accompagnateur Rénov'.
Dans cette affaire, nous sommes tous dans le même bateau et nous menons tous le même combat, donc nous avons intérêt à nous unir et à unir nos forces. Nous disposons de professionnels compétents, comme les architectes, qui peuvent nous aider. L'enjeu est donc plutôt de les conventionner sérieusement, afin de restaurer la confiance. En effet, je n'ai pas encore employé ce terme, mais nous souffrons aussi d'un déficit de confiance, car beaucoup de nos concitoyens ont été arnaqués par des professionnels non scrupuleux. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons interdit les appels téléphoniques promouvant la rénovation énergétique, même si, malheureusement, nombre de nos concitoyens l'ignorent encore.
Bref, pour passer à l'échelle, les services publics de rénovation énergétique seront insuffisants.
En revanche, vous avez raison sur un point très important : l'association des collectivités. D'ailleurs, il est bien prévu que Mon Accompagnateur Rénov' soit agréé par l'État ou désigné par une collectivité locale. Les collectivités pourront tout à fait organiser leur réseau d'accompagnateurs et je crois que c'est aussi par ce biais que l'on montrera que l'État et les collectivités locales peuvent travailler ensemble pour que le réseau maille le plus finement possible le territoire, afin que tous nos concitoyens y aient tous accès.
Mme Sabine Drexler. - On constate une inadéquation entre les dispositifs d'aide et les principes de rénovation du bâti ayant une valeur historique ou architecturale, mais n'étant pas protégé : vieilles fermes, maisons anciennes, etc. Hormis pour les monuments historiques et les bâtis protégés, tout est possible sur ces bâtiments, y compris de l'isolation par l'extérieur sur des pans de bois.
Par ailleurs, de nombreux propriétaires de ce type de biens renoncent à des rénovations pour des motifs financiers ou techniques, ce qui, conjugué à la contrainte du « zéro artificialisation nette » (ZAN), conduit à l'abandon puis à la démolition de nombreuses maisons traditionnelles. Les études du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) ou des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) montrent pourtant que ce type de bâti est moins énergivore que les constructions de la seconde moitié du XXe siècle et que leur réhabilitation constitue du point de vue écologique l'avenir de la construction, puisque son empreinte environnementale est faible.
Le nouveau DPE - mode de calcul et qualification des diagnostiqueurs - est-il donc adapté à tous les types de bâtis ? A-t-il été tenu compte des programmes de recherche du Cerema lors de l'élaboration de la loi ? Votre ministère a-t-il travaillé avec le ministère de la culture et celui de l'agriculture ?
Mme Barbara Pompili. - Ces questions sont très importantes. Si je puis me permettre de vous donner un conseil, je vous suggère de les poser également à Emmanuelle Wargon, qui s'est occupée de la réforme du DPE de A à Z.
Bien sûr, quand nous avons élaboré la réforme du DPE et la nouvelle réglementation pour les logements neufs, nous avons d'abord réfléchi aux qualifications et au recours aux techniques traditionnelles, qui avaient été oubliées dans le contexte d'énergie bon marché : fabriquer des passoires ne posait pas problème. On a donc oublié que l'habitat traditionnel - antérieur à 1950 - était bien adapté à son environnement puisque, jadis, il ne fallait pas gaspiller l'énergie. Nous avons beaucoup à apprendre de nos anciens...
Nous avons aussi consacré beaucoup d'énergie à l'identification des techniques et des matériaux biosourcés, et nous avons tâché de les considérer à l'aune de leur efficacité énergétique et de leurs émissions de gaz à effet de serre. Cela nous a d'ailleurs valu bien des difficultés avec le secteur du béton, qui considérait que nous accordions trop de place à la filière bois, laquelle est, du point de vue des émissions de gaz à effet de serre, effectivement très différente.
Les programmes de recherche du Cerema ont été étudiés, j'en suis persuadée, mais il faudra en demander confirmation à Emmanuelle Wargon.
Les autres ministères ont été associés à nos travaux, de manière générale et en particulier lors de l'élaboration de la loi Climat et résilience, notamment pour la partie « Se loger ». Les autres ministères étaient sans doute « proactifs », mais ils venaient plutôt nous voir pour, disons, souligner ce qui les embêtait dans le projet de loi. Ils ont tous essayé de jouer le jeu, et je leur rends hommage pour cela, mais ils devaient tout de même lutter contre la culture de leurs services. De fait, je connais peu d'administrations qui aient intégré la transition écologique dans leurs fondamentaux. Cela a été, pour le présenter de manière optimiste, un moyen de les sensibiliser encore plus et de les faire participer.
Vous avez également mentionné le problème des bâtiments historiques non protégés ou qui ne sont pas dans le périmètre d'un bâtiment historique et qui, par exemple, font l'objet d'une isolation atroce par l'extérieur. Il s'agit d'un problème qui peut, selon moi, être résolu par Mon Accompagnateur Rénov'. Beaucoup de bêtises ont été faites parce que les intéressés n'avaient pas connaissance des autres options possibles. Il y a d'autres moyens d'améliorer la performance énergétique de belles maisons avec des pans de bois qu'une isolation par l'extérieur. Mais cela ne peut se faire que s'il y a des gens formés dans cette perspective. Il faut donc mettre la filière en ordre de marche. Des mesures de formation ou de structuration de la filière ont été prises, mais on n'est pas au bout. Mon Accompagnateur Rénov' ne fonctionnera que si, ensuite, les artisans sont en mesure de proposer des prestations adaptées et si la filière peut fournir les matières premières nécessaires.
C'est d'ailleurs l'un des points que la Convention citoyenne pour le climat n'avait pas bien vu. Elle avait pensé à la formation des professionnels, mais non à toute la chaîne de valeur, à la structuration de la filière, un processus qui est très long. Sans doute, nous devons réduire cette durée au maximum, parce que, pendant ce temps, le climat continue de se réchauffer. C'est ce qui explique les échéances prévues, par exemple, pour la sortie des passoires thermiques du marché de la location. En effet, sans échéance, il est compliqué de faire avancer les choses. Je préfère prévoir des échéances bien claires dans la loi, car cela permet à la filière d'avoir une meilleure visibilité.
La filière bénéficie donc dorénavant d'une bonne visibilité sur les échéances. Il serait bon maintenant qu'elle ait une bonne visibilité des aides disponibles.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie, madame Pompili.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de Mme Emmanuelle Wargon, ancienne ministre déléguée chargée du logement
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous achevons nos travaux du jour avec l'audition de Mme Emmanuelle Wargon.
Madame Wargon, en octobre 2018, vous avez été nommée secrétaire d'État auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, puis, entre juillet 2020 et mai 2022, ministre déléguée chargée du logement. Vous êtes désormais présidente de la Commission de régulation de l'énergie (CRE).
Au ministère de l'environnement, vous avez pu suivre la préparation et l'examen de la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, dite Énergie-climat, ainsi que le lancement de la Convention citoyenne pour le climat. Au ministère du logement, l'une de vos missions importantes a consisté à porter le volet « logement » de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience.
Cette loi avait vocation à reprendre et à décliner les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, lancée en octobre 2019. Son titre V, intitulé « Se loger », comporte plusieurs dispositions qui sont aujourd'hui au coeur de la politique publique et des débats sur la rénovation énergétique des bâtiments, comme l'interdiction à la location des « passoires énergétiques » ou la fiabilité du diagnostic de performance énergétique (DPE).
Vous avez également été responsable de la préparation et de la mise en oeuvre du volet « rénovation » du plan de relance.
Enfin, votre passage au Gouvernement a aussi été marqué par le déploiement de MaPrimeRénov' en lieu et place du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE).
Ces dernières années ont donc clairement été une période centrale pour la prise de conscience des enjeux, pour la prise de décision et pour la mise en oeuvre de politiques de rénovation énergétique des bâtiments. Pour autant, les objectifs de rénovation énergétique que la France s'était fixés n'ont pas encore été atteints.
Sur tous ces sujets, la commission d'enquête souhaite connaître le bilan que vous tirez de votre passage au gouvernement. Quels sont vos motifs de satisfaction, vos regrets, et les sujets sur lesquels vous auriez aimé aller plus loin ? Quelles sont les difficultés auxquelles vous avez fait face ?
Dans le déploiement de MaPrimeRénov', les difficultés de mise en oeuvre de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), les risques de fraude et l'insuffisance des rénovations globales ont-ils été anticipés ?
Lors de l'élaboration de la loi Climat et résilience, a-t-on suffisamment écouté et associé les professionnels, notamment pour ce qui a trait à leur capacité, d'une part, à lancer les travaux dans les copropriétés et, d'autre part, à les réaliser, alors que l'on s'aperçoit que le nombre d'entreprises qualifiées RGE - reconnu garant de l'environnement - stagne, voire baisse ?
Enfin, croyez-vous vraiment que le calendrier de sortie des passoires thermiques puisse être respecté sans provoquer de très graves conséquences sur le marché du logement ?
Je vous indique que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat, et qu'elle fera l'objet d'un compte rendu publié. Je rappelle en outre qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Emmanuelle Wargon prête serment.
Mme Emmanuelle Wargon, ancienne ministre déléguée chargée du logement. - Je vous remercie de m'entendre sur ce sujet extrêmement important.
Je souhaite d'abord rappeler quelques chiffres, qui démontrent justement l'importance de ce sujet, car la rénovation énergétique des bâtiments est indispensable si l'on veut respecter la trajectoire climatique que nous nous sommes fixée : tout compris, quel que soit son usage, le bâtiment représente quelque 45 % de la consommation finale d'énergie et est responsable d'un quart des émissions de gaz à effet de serre.
Une politique publique dans ce secteur est donc cruciale. J'ai été nommée secrétaire d'État à l'écologie en octobre 2018 et cette question a rapidement fait partie des sujets dont je me suis emparée, sous l'égide de mon ministre de tutelle de l'époque, François de Rugy. J'ai continué d'y travailler avec Élisabeth Borne puis avec Barbara Pompili, en tant que ministre déléguée au logement. Mon action sur ce sujet s'inscrit donc dans la continuité, puisque je m'en suis chargé pendant les presque quatre ans de mes fonctions ministérielles.
Ensuite, je veux préciser que ce sujet ne se règle pas, en tout cas pas majoritairement, par la loi : on peut fixer tous les objectifs que l'on veut dans les textes successifs, la loi n'est pas autoréalisatrice. Il ne suffit pas de dire, dans la loi, que l'on doit rénover 500 000 logements par an ou qu'il ne doit plus y avoir de passoires thermiques d'ici à dix ans pour que cela se produise. C'est un enjeu de moyens, d'exécution et de systèmes.
J'avais élaboré comme ministre un diagramme retraçant la manière dont nous pilotions ce sujet au ministère. C'était extrêmement visuel, les différentes couleurs des blocs exprimant les types d'actions à mener. Je vais vous les détailler brièvement.
Pour mener une politique publique, il faut d'abord la piloter, c'est-à-dire disposer de données chiffrées et y consacrer une équipe. Ensuite, il faut des aides efficaces, c'est-à-dire accessibles et justes. Puis, il faut que la filière soit en mesure de répondre aux besoins, c'est-à-dire d'avoir les compétences requises et de faire face au volume des demandes. Enfin, il faut de l'accompagnement, puisque les aides seules ne suffisent pas. C'est de cette manière que j'ai travaillé avec mon équipe et avec les administrations, en tâchant de travailler sur l'ensemble des éléments du système. Cela s'apparente un peu à de l'horlogerie : si vous voulez qu'une montre fonctionne, il faut que chaque rouage fonctionne individuellement, mais, une fois assemblé, l'ensemble de la mécanique doit également tourner correctement.
Commençons par le pilotage ; ce n'est pas l'aspect le plus connu, mais il est important. Quand j'ai pris en charge cette politique publique, j'ai constaté qu'aucune équipe n'en était spécifiquement chargée et que personne ne comptait quoi que ce fût.
Dire qu'il n'y avait pas d'équipe chargée de cette politique n'est pas faire injure aux équipes ministérielles en place. D'abord, il y avait beaucoup de directions d'administration centrale concernées et, surtout, c'était un sujet interministériel, concernant le ministère du logement, rattaché à l'époque au ministère des collectivités territoriales, et le ministère de l'écologie. Pour avancer, il fallait un accord entre les deux ministres, c'est pourquoi pendant la première période de mon action, j'ai travaillé en grande proximité avec Julien Denormandie, à l'époque ministre du logement. Les deux administrations principales sur cette question - la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) et la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) - devaient donc se coordonner sur ces politiques publiques. Or elles se coordonnaient difficilement : presque toutes les décisions remontaient aux cabinets et aux ministres.
La création d'une délégation interministérielle, chargée du pilotage de la rénovation énergétique des bâtiments, m'a pris un an. Cela a permis qu'il y ait au moins un petit nombre de personnes dans la République se levant le matin avec comme mission de faire progresser la rénovation énergétique des bâtiments, mais cela a été long et compliqué.
J'en viens à la capacité de produire des données et de les analyser. Quand j'ai pris mes fonctions, on ne disposait pas d'un seul chiffre fiable sur le nombre de passoires thermiques ou sur l'efficacité individuelle de tel ou tel geste de rénovation ou de telle ou telle aide. J'ai donc demandé au commissariat général au développement durable (CGDD) de créer l'Observatoire national de la rénovation énergétique. Cela a pris un certain temps également, mais cela nous a permis de disposer d'une étude établissant une fois pour toutes le nombre de passoires thermiques, chiffre qui fait désormais foi. L'Observatoire a aussi mené des travaux sur l'efficacité des différents « gestes ».
Tout cela était très important, parce que l'on ne peut pas mener une politique publique si l'on n'y consacre pas une équipe et si l'on n'a pas un moyen d'observer la réalité.
J'en arrive aux aides. Il y avait à l'époque beaucoup d'aides, relevant de logiques extrêmement différentes et relevant, en gros, de trois grands types.
Premier type : les aides historiques de l'Anah, extrêmement qualitatives, plutôt tournées vers la rénovation globale, très liées aux collectivités territoriales et représentant un volume extrêmement faible, puisque, de mémoire - je n'ai pas les chiffres exacts -, il y avait de l'ordre de 30 000 aides annuelles ressortissant du programme Habiter mieux sérénité, le programme de rénovation globale, et un peu moins sur les aides plus simples. Ces aides relevaient d'une logique de sur mesure, mais il s'agissait de 30 000 ou 40 000 rénovations par an, soit un volume extrêmement faible.
Deuxième type d'aides : les certificats d'économies d'énergie (C2E), qui se développaient sans le moindre pilotage. Quand je suis arrivée, François de Rugy a lancé, sur sa propre initiative, les rénovations à 1 euro, les combles à 1 euro, etc., essentiellement financés par les C2E et très peu pilotés. Nous avons donc assisté à une explosion du volume de certificats, mais pour des gestes qui n'étaient ni suivis, ni pilotés, ni contrôlés.
Troisième type d'aides : le CITE, un crédit d'impôt versé dix-huit mois après les travaux. Il se trouve que la moitié de cette aide était versée aux foyers situés au-dessus du huitième décile de revenus, aux 20 % les plus riches ; c'était donc une aide anti-redistributive. En outre, cette aide finançait principalement les changements de fenêtres, qui n'est pas le geste de rénovation le plus efficace. Enfin, comme elle était versée au bout d'un an et demi, il était difficile d'en déterminer l'efficacité ; il s'agissait assez largement d'un effet d'aubaine.
Ces trois aides relevaient de trois univers de politiques publiques très différents. La première relevait du ministère du logement et était très liée à l'action locale des collectivités, point très positif. Le C2E constituait l'outil du ministère de l'écologie pour faire de la rénovation énergétique, mais reposait sur une confiance à mon avis excessive envers la capacité des acteurs privés à se réguler ; d'ailleurs, il y a eu énormément de fraudes et d'abus et on a fini par arrêter les aides à 1 euro, considérant qu'elles entraînaient trop d'effets pervers. Quant au crédit d'impôt, il n'était pas piloté par le ministère de l'écologie et n'était même pas piloté du tout.
Parallèlement à cela, nous étions dans une période de recherche d'économies budgétaires. Le Premier ministre de l'époque, Édouard Philippe, souhaitait que l'on restreigne beaucoup le montant global du CITE. Aussi, lorsque nous décidâmes de le transformer en prime - le dispositif MaPrimeRénov' -, le budget y afférent fut divisé par deux. Cela n'était pas mon choix et je m'étais battue pour obtenir de meilleurs arbitrages, mais il n'était pas évident de plaider cette cause, car il était difficile de démontrer que le CITE était performant. Le Premier ministre nous proposa donc de démontrer d'abord que la nouvelle aide était efficace, qu'elle ciblait les bons publics et les bons gestes, à la suite de quoi, on envisagerait l'augmentation de son budget. C'est ce que nous fîmes.
Le ministère du logement, toujours avec Julien Denormandie, et le ministère de l'écologie ont ainsi lancé MaPrimeRénov' en 2020.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Étiez-vous favorable ou défavorable à cette transformation du CITE en MaPrimeRénov' ?
Mme Emmanuelle Wargon. - J'ai très vite été convaincue qu'il fallait faire converger les trois types d'aides que j'ai évoqués. Par conséquent, le passage à une aide versée immédiatement après la fin des travaux, ciblant mieux les travaux et plus redistributive me paraissait préférable. En revanche, je voulais conserver le budget du CITE - 2 milliards d'euros - lors du passage à MaPrimeRénov' et la division par deux de ce budget ne correspondait ni à mon souhait, ni à celui de mes services, ni à celui du ministre du logement.
J'ai passé beaucoup de temps à essayer de rapprocher les aides de l'Anah, cette nouvelle aide directe, qui avait l'avantage d'être versée beaucoup plus rapidement, et les C2E, afin de ne pas maintenir trois politiques publiques juxtaposées, chacune avec son outil, ne répondant pas aux mêmes exigences techniques, ne couvrant pas le même type de travaux, et imposant des conditions différentes aux entreprises. Au lieu de trois mini-politiques de rénovation énergétique des logements, j'en voulais une seule. Nous avons créé MaPrimeRénov' au début de 2020, en veillant à mieux organiser le lien entre cette aide, qui ciblait les gestes, et les C2E. Un ménage pouvait donc bénéficier à la fois de MaPrimeRénov' et de C2E sur la même opération, avec les mêmes critères, pour un changement de chaudière, pour de l'isolation ou pour des opérations plurigestes. C'était juste avant le début de la crise du covid et nous nous demandions si cette aide trouverait son public en période de crise. Ce fut le cas, avec 270 000 dossiers en 2020, 700 000 en 2021 et à peu près autant en 2022. Grâce à l'Observatoire de la rénovation énergétique, nous avons mesuré l'économie moyenne d'énergie entre un logement aidé par le CITE et un logement bénéficiaire de MaPrimeRénov', car il s'agit d'un des critères de performance du dispositif. Celle-ci a été multipliée par deux, passant de 2,5 mégawattheures à 5,3 mégawattheures par an et par logement.
Le plan de relance nous a aidés : la première année, MaPrimeRénov' a reçu 1 milliard d'euros de budget, puis nous avons décidé de cibler une partie des crédits du plan de relance sur ce dispositif. Dans une discussion budgétaire, pour limiter une aide, on joue sur les critères, les montants unitaires et l'éligibilité ; plus nous disposions de moyens, mieux les gestes étaient aidés et plus la mesure touchait des catégories différentes de ménages. MaPrimeRénov' est inversement proportionnelle au revenu, avec quatre catégories de ménages, et les plus modestes sont les plus aidés. Il était très important pour moi d'aider tous les ménages, y compris le quart le plus favorisé, avec des montants plus bas, notamment sur les monogestes, pour favoriser la rénovation globale, afin de pouvoir dire que cette aide était universelle. En effet, les émissions de CO2 concernent tous les ménages. Pour autant, MaPrimeRénov' est beaucoup plus redistributive que les dispositifs précédents : plus de la moitié des montants visent les ménages les plus modestes. Voilà pour la partie concernant les aides. Nous avons passé beaucoup de temps à étudier les fiches C2E pour nous assurer que celles-ci étaient alignées sur les fiches MaPrimeRénov' et que les deux mesures étaient bien coordonnées.
S'agissant de l'accompagnement et des guichets, j'ai trouvé en arrivant une situation très éclatée, qui l'est sans doute encore. Nous avons progressé au cours des quatre dernières années, mais il reste des progrès à faire. Deux univers cohabitaient et ne se parlaient pas du tout : les guichets de l'Anah et ceux de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), auxquels pouvaient s'ajouter les guichets des collectivités territoriales qui n'étaient appuyés par aucune des deux agences. J'avais alors coutume de dire qu'il nous fallait être bilingues Anah et Ademe, et tous mes interlocuteurs comprenaient ce que cela signifiait. L'Anah pratiquait l'aide aux ménages très modestes ainsi que des partenariats sur mesure avec des collectivités ; l'Ademe proposait plutôt des aides plus globales, accompagnées par des guichets, mais de façon complètement séparée de l'Anah. J'ai passé ces quatre années à essayer de rapprocher les deux univers et nous nous sommes demandé quelle était la bonne manière d'organiser le champ et quel était l'opérateur susceptible de le porter au mieux. Nous avons d'abord choisi l'Ademe, parce que celle-ci était un interlocuteur naturel des régions, lesquelles étaient chargées, par la loi, du service public de l'efficacité énergétique de l'habitat. Nous avons soutenu les collectivités à travers un programme C2E dédié, le service d'accompagnement pour la rénovation énergétique (Sare), qui était donc porté par l'Ademe. Néanmoins, la connaissance fine à l'échelle communale et intercommunale était vraiment l'apanage de l'Anah, comme l'était la maîtrise des partenariats sur mesure. Après quelques années, nous avons décidé de lui confier l'ensemble du dispositif, au motif qu'elle était l'agence chargée de l'amélioration de l'habitat. Même si sa compétence initiale concernait plutôt l'habitat indigne et les ménages en difficulté, elle était capable de mener une action universelle. En outre, elle portait le guichet MaPrimeRénov', il était donc logique qu'elle porte également les guichets d'accompagnement. Nous avons réalisé un travail de précision, avec le transfert progressif des équipes. La responsabilité intégrale a été confiée à l'Anah et nous avons mis en cohérence les aides et les guichets. À tout cela, nous avons ajouté France Rénov', c'est-à-dire la labellisation de tous les guichets d'appui à la rénovation énergétique, afin que ceux-ci portent la même politique publique nationale au service des politiques locales.
J'avais été très frappée par une visite en Haute-Saône, fin 2019. J'étais allée voir un guichet Anah qui fonctionnait très bien, puis un chantier, un ancien moulin dont la rénovation globale était financée par la région. Ce projet avait bénéficié de l'aide de l'Anah, et ses promoteurs avaient donc dû monter un dossier comportant un certain nombre de diagnostics. Ils avaient ensuite été candidats à une aide de la région appuyée sur l'Ademe, pour laquelle il avait fallu tout refaire, parce que les diagnostics et les experts différaient. Les deux systèmes étaient complètement disjoints, parce que l'entente n'était pas parfaite entre les services du département et ceux de la région. Nous avons donc tenté de mettre en place de la coordination avec le Service d'accompagnement pour la rénovation énergétique (Sare), qui donnait des moyens supplémentaires à l'échelle régionale, et de faire monter l'Anah comme interlocuteur de proximité des collectivités. Cela concernait surtout les communes et les intercommunalités, ainsi que certains départements, l'investissement de ces derniers étant très variable ; s'y ajoutaient les régions, qui exercent la compétence concernée. Ce maillage n'est pas terminé et dans beaucoup d'endroits, la répartition des compétences, et donc des publics, n'est pas très claire. France Rénov' a été bâti sur l'idée que chacun devait avoir accès à un guichet physique, quels que soient sa situation et ses revenus. Mon Accompagnateur Rénov' a suivi, toujours parce que le besoin d'accompagnement était important. Rappelons que le point de départ de ce processus était un crédit d'impôt dans lequel le concept même d'accompagnement n'existait pas. Nous considérions, quant à nous, qu'il fallait adosser les aides à un accompagnement, ce que permet maintenant la montée en puissance de Mon Accompagnateur Rénov'.
Je retrace ici un cheminement qui a été poussé, entre autres, par les lois successives et qui a rencontré la Convention citoyenne pour le climat. Celle-ci a permis de lui faire passer une étape supplémentaire. J'ai évoqué le pilotage, les données, les aides et l'accompagnement. Une politique publique classique balance entre incitation et contrainte, toute la question étant de trouver la bonne mesure. S'agissant des passoires thermiques locatives, j'étais convaincue que l'on ne réussirait pas sans contrainte. En effet, si un propriétaire occupant est directement concerné par l'état d'isolation de son logement, et donc potentiellement motivé pour lancer des travaux, un propriétaire bailleur ne subit pas les inconvénients de la passoire thermique qu'est son bien. Il me semblait donc qu'ouvrir les aides aux propriétaires bailleurs - une des avancées de MaPrimeRénov' - ne suffirait pas et qu'il faudrait en passer par la contrainte. Lors de la Convention citoyenne pour le climat, nous nous sommes demandé s'il fallait faire peser les obligations de rénovation des passoires thermiques sur tout le monde, y compris sur les propriétaires occupants, ou seulement sur les propriétaires bailleurs. J'ai considéré qu'une obligation avait plus de sens pour ces derniers, pour lesquels le simple fait d'être éligibles à une aide n'était pas assez motivant pour engager des travaux, alors même que les factures d'énergies très élevées ou la difficulté à chauffer le bien qu'ils mettaient en location ne les pénalisaient pas directement. Ainsi est née l'obligation de rénovation des passoires thermiques pour la mise en location progressive. Elle a été imposée dans la loi Énergie-climat, puis renforcée dans la loi Climat et résilience. Je défendais l'idée de limiter cette obligation aux biens classés F et G, pour cibler les passoires thermiques, lesquelles me semblaient devoir être traitées en priorité par rapport aux biens classés E. Barbara Pompili vous a sans doute dit qu'elle avait un avis différent, auquel je n'étais pas pour autant hostile. Avons-nous imposé cette obligation trop rapidement ? Les délais étaient-ils tenables ? Nous sortions alors de la crise du covid, avant le début de la guerre en Ukraine et le prix des matériaux n'avait pas encore explosé. Pour mener à bien ce genre de politique, il faut donner un signal clair, et il est déjà arrivé que le Parlement et le Gouvernement décalent de quelques mois des dates d'application, quand celles qui étaient prévues initialement se révèlent impossibles à respecter. Le cas échéant, nous pourrions donc desserrer un peu ces délais. À mon sens, le signal est là et le fait que beaucoup de passoires thermiques soient en vente n'est pas une mauvaise nouvelle. La mauvaise nouvelle serait qu'un bien classé G soit vendu au même prix qu'un bien classé B. Dans ce dernier cas, l'acheteur n'aura pas de travaux à faire, quand, dans le premier, il devra se lancer dans un chantier important pour isoler son acquisition. Le signal doit donc être dans le marché et les biens mal isolés doivent coûter proportionnellement moins cher, car ils nécessitent un investissement complémentaire, que la banque doit également financer. C'est donc une bonne nouvelle si le rythme se maintient et si l'on parvient à faire exécuter les travaux.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Et si le DPE est fiable !
Mme Emmanuelle Wargon. - En effet. La fiabilisation du DPE a été un gros sujet, et c'est sans doute toujours le cas. Cela me donne l'occasion d'aborder la question de la montée en compétence de la filière.
Pour piloter une politique de rénovation énergétique, il faut une équipe qui s'en occupe et des données. Celles-ci découlent des DPE, lesquels doivent donc être fiables et opposables. Or, dans la période précédente, ils étaient indicatifs et donc très peu remplis. Un quart d'entre eux étaient vierges, et les autres reposaient souvent sur la consommation constatée. Ainsi, si un bien était occupé un quart de l'année, son DPE était très bas, car il n'était jamais chauffé. Nous avons donc travaillé à la fiabilisation de cet indicateur. Vous le savez, nous avons rencontré un problème : au moment du lancement du nouveau DPE, il est apparu que cette fiabilisation n'était pas satisfaisante et que quelques curseurs ne fonctionnaient pas et donnaient des résultats bizarres. Nous avons donc été obligés de suspendre le processus, de reprendre la concertation et de créer un « nouveau nouveau DPE ». Pour ce que j'en comprends - mais je suis plus loin du sujet -, la fiabilisation n'est toujours pas parfaite, il faut donc poursuivre dans cette voie.
Cela nous amène aux compétences des diagnostiqueurs et des entreprises qui réalisent les travaux. Il s'agit, à mon sens, d'un des enjeux les plus importants pour mener à bien cette politique. Je ne sais pas pourquoi l'on a autant de mal à fiabiliser le DPE, mais c'est une question qu'il faut traiter le plus vite possible avec les professionnels. Je ne sais pas si c'est la méthode qui pose encore problème ou si la capacité de la filière à former suffisamment de personnes est en cause. Il en va de même s'agissant de la qualification RGE. Il me semble normal d'exiger une qualification pour les professionnels réalisant des travaux subventionnés par l'État ou par les collectivités. Nous devons nous assurer que les entreprises qui interviennent sont qualifiées et compétentes. Ce principe m'apparaît comme un garde-fou, car les aides publiques produisent un effet de levier très important. Nous avons travaillé pour essayer de trouver le point d'équilibre entre exigence et pragmatisme en matière de qualifications, par exemple en ouvrant la possibilité d'une qualification sur le tas, sur chantier. Un artisan non qualifié peut ainsi se lancer dans un premier chantier, qui sera audité pour recevoir le bénéfice des aides, puis en réaliser encore un ou deux selon le même procédé, avant de recevoir éventuellement sa qualification.
Force est de constater que le problème n'est pas réglé, puisque le nombre d'artisans qualifiés stagne à plus ou moins 10 % ou 15 % de son niveau potentiel. Il faut sans doute revenir sur le sujet ; il n'est pas possible de se satisfaire d'un écart aussi important entre le volume de travaux à effectuer, le nombre d'artisans potentiellement disponibles et le nombre d'artisans qualifiés. Les professionnels, à travers la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) et la Fédération française du bâtiment (FFB), ont toujours soutenu le principe, tout en considérant que ces qualifications étaient lourdes et compliquées. Il faudrait également travailler avec les organismes qualificateurs, comme Qualibat. J'ai essayé de trouver une sortie par le haut, en mettant en place une qualification suffisamment exigeante et permettant d'obtenir suffisamment d'artisans qualifiés, mais nous n'avons pas encore trouvé le bon point d'équilibre. Il est nécessaire de progresser, à la fois pour que le DPE soit fiable et pour que le nombre nécessaire de personnes capables d'assurer les travaux dans de bonnes conditions soit atteint. Cela reste compliqué.
Un autre sujet qui pose problème concerne les copropriétés. Nous avons travaillé pour lancer MaPrimeRénov' Copropriétés et pour simplifier les aides. Le droit de la copropriété est très protecteur des copropriétaires, les quorums de décision en assemblée générale sont élevés, les délais sont importants, et nous n'avons pas encore atteint le point d'équilibre.
Ensuite, nous devons passer progressivement de la rénovation par gestes à la rénovation globale. J'entendais Barbara Pompili dire que cette politique était jeune. Elle a raison, cet effort a été lancé il y a moins d'une dizaine d'années et l'on partait de très loin : il y a encore cinq ans, nous comptions 30 000 rénovations globales, et tout le reste relevait du coup de pouce appuyé sur les C2E ou sur le crédit d'impôt. Il y a maintenant plus de rénovations globales, autour de 100 000, mais ce n'est pas encore assez. Il s'agit essentiellement d'une question de moyens : pour que ça marche, il faut que les aides à la rénovation globale soient plus élevées et plus intéressantes que la somme des aides par geste. Je ne suis pas pour autant favorable à abandonner ces dernières, parce que j'ai vu beaucoup de Français réaliser des gestes de rénovation thermique, à l'occasion de visites de terrain chez des gens qui ont accepté de m'accueillir et qui avaient bénéficié, ou pas, de MaPrimeRénov'. Or ceux-ci ne sont pas toujours prêts à tout faire d'un coup ; j'ai vu beaucoup de ménages qui ont commencé par changer de chaudière quand celle-ci a lâché, sans pour autant être disposés à engager sur le champ 50 000 euros de travaux. Pour autant, une fois qu'ils ont commencé, ils sont dans un parcours de rénovation qui les amène à passer au geste d'après.
Bien sûr, le processus optimal serait de tout faire d'un coup, mais, dès lors que l'on développe l'accompagnement, on peut trouver des solutions pour réaliser un premier geste tout en commençant à préparer le suivant et en s'engageant dans un parcours de rénovation. En la matière, le mieux est l'ennemi du bien. Il ne me semble pas que mettre un terme à la rénovation par gestes entraînerait la mise en oeuvre de 700 000 rénovations globales. Il est sûrement souhaitable que la rénovation globale devienne progressivement le mode de rénovation le plus usuel, que les Français, comme les professionnels, se familiarisent avec ce processus et que l'on rende petit à petit moins attractives les aides consacrées aux gestes par rapport à celles qui ciblent la rénovation globale. Il s'agit toutefois vraiment d'une question de moyens : il faut ajouter 1 milliard d'euros aux aides à la rénovation globale. Nous avons fusionné MaPrimeRénov' avec l'aide précédente de l'Anah - Habiter mieux Sérénité -, qui est devenue MaPrimeRénov' Sérénité. Cette aide est contingentée et ne s'impute pas sur le même budget : MaPrimeRénov' relève du budget du ministère de l'écologie alors que MaPrimeRénov' Sérénité est toujours appuyée sur un budget du ministère du logement. Si l'on destine trois fois plus d'argent à MaPrimeRénov' Sérénité, on réalisera trois fois plus de rénovations ; si l'on rend les aides de MaPrimeRénov Copropriétés beaucoup plus attractives, on facilitera la prise de décisions positives en assemblée générale de copropriété. Il s'agit donc de consacrer plus de moyens à la rénovation globale et une petite partie de ceux-ci à la rénovation par gestes, qu'il ne faut pas tuer.
Je termine par un mot sur les ratés de MaPrimeRénov'. Comme ministre, je disposais d'un tableau de bord et, avec l'Anah, nous examinions chaque semaine les dossiers en souffrance, pour lesquels nous avions mis en place un plan de résorption. Il est vrai que, dès lors que le canal est exclusivement numérique, certains cas sont problématiques. Le nombre de dossiers en souffrance a culminé à 3 000 par an, quand 700 000 opérations étaient réalisées. Certains d'entre eux ont été difficiles à gérer, parce qu'ils avaient été mal engagés et que personne ne parvenait à rectifier l'erreur initiale. C'était trop lent à mon goût, mais quand je suis partie, il devait en rester 1 200. Bien sûr, l'objectif est de limiter ce nombre et de réduire le temps de résorption, mais il aurait fallu conserver le sens des proportions entre le nombre de dossiers en souffrance et le nombre d'opérations menées à bien. MaPrimeRénov', c'est environ 700 000 chantiers par an avec un taux de satisfaction autour de 80 %. Les dossiers qui rencontrent des problèmes sont les plus visibles, il y a toujours des histoires de grosses difficultés, quelqu'un qui a été baladé de service en service sans jamais obtenir de réponse, mais en termes de volume, de telles circonstances représentent entre 0,3 et 0,5 % des dossiers. À mon départ, ce chiffre était en résorption.
Pour la suite, l'important, à mon sens, est de favoriser la montée en compétence de la filière, de consacrer plus d'argent à la rénovation globale et de stabiliser le dispositif. Revenir à un crédit d'impôt équivaudrait à un retour en arrière : MaPrimeRénov' a trouvé son public, elle est reconnue ; la famille France Rénov', Mon Accompagnateur Rénov', MaPrimeRénov' est connue des Français. On peut améliorer le dispositif pour continuer à travailler ouvrage par ouvrage et faire en sorte que cette politique produise ses effets.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - S'agissant de MaPrimeRénov', le rapport de la Cour des comptes semble indiquer que les 700 000 chantiers évoqués concernent plutôt des gestes uniques et que le nombre de rénovations globales vers des logements à basse consommation est très faible. Nous allons recevoir la Cour des comptes et regarder cela de plus près. Certes, on dépasse les objectifs chiffrés, mais la qualité des réalisations peut ainsi poser question. Comment mieux accompagner ce processus pour favoriser les rénovations globales ? Pour autant, je suis d'accord avec vous : il faut garder une porte d'entrée par geste, tout en privilégiant l'accompagnement, de manière à encourager les gens à poursuivre. Mme Barbara Pompili a, comme d'autres, indiqué qu'il fallait pour cela de la visibilité et du temps et a donc plaidé pour une loi de programmation, laquelle garantirait une visibilité à long terme. Partagez-vous cette idée ?
Vous avez dit qu'il faudrait ajouter 1 milliard d'euros pour la rénovation globale ; à combien estimez-vous le budget annuel idéal par rapport à la capacité de la filière à réaliser les travaux ?
Mme Emmanuelle Wargon. - Le chiffre de la Cour des comptes indiquant que très peu de logements - 5 000 - changeaient de classe en termes de DPE après avoir bénéficié de MaPrimeRénov' a été beaucoup commenté. Pourtant, il s'agit d'un effet de loupe, car il n'est pas obligatoire de faire un DPE avant et après les travaux, sauf pour obtenir un bonus quand le logement a changé de classe. Or très peu de bénéficiaires ont demandé à en bénéficier, parce que la procédure est contraignante. Cependant, si d'aventure un gouvernement décidait de soumettre l'obtention de MaPrimeRénov' à une mesure du DPE avant et après, il bloquerait probablement la totalité du système. En parallèle aux enjeux de fiabilisation du DPE, se posent en effet des problèmes de capacité. Il serait difficile de réaliser un DPE avant et après pour 700 000 dossiers par an ou à chaque changement de chaudière. S'il est donc factuellement vrai que très peu de logements ayant bénéficié de MaPrimeRénov' ont changé de classe de DPE, on ne peut pas en déduire que les travaux financés par ce dispositif ne servent à rien, car on ne mesure pas systématiquement cet indicateur. Le nombre de logements qui ont fait l'objet d'une rénovation globale significative comprend tous ceux qui ont bénéficié de MaPrimeRénov' Sérénité et de MaPrimeRénov' Copropriétés, pour laquelle des gains d'efficacité énergétique sont requis, ainsi qu'une partie de ceux qui ont obtenu MaPrimeRénov', soit quelque chose comme 100 000 logements par an. Cette question souligne combien il est important de disposer d'un Observatoire. Il faut continuer à travailler avec les services pour produire des chiffres permettant d'établir un diagnostic.
Concernant la possibilité d'une loi de programmation, en effet, cela me semble indispensable pour donner aux Français et à la filière de la visibilité quant à ces politiques publiques. Les coups d'accordéon que nous avons subis ont bien illustré une de nos difficultés : le passage du CITE à MaPrimeRénov' s'est accompagné d'une division par deux du budget. Il est alors évidemment difficile de conserver de la visibilité, mais nous sommes parvenus à remonter le budget à 2 milliards d'euros grâce au plan de relance, puis nous nous sommes efforcés de faire de cette somme la base budgétaire du dispositif. Néanmoins, vous connaissez la construction d'un budget et vous savez combien une base budgétaire est fragile. Une loi de programmation serait donc très utile.
En 2016-2017, dans ce champ, il y avait 2 milliards d'euros de CITE, à peu près 500 millions d'euros d'aides relevant de l'Anah et quelques 600 millions d'euros de C2E. Quand j'ai quitté le gouvernement, on comptait 2 milliards d'euros pour MaPrimeRénov', autour de 750 millions d'euros pour les aides de l'Anah, et plus de 3 milliards d'euros de C2E. Ceux-ci sont donc devenus l'un des grands outils de financement de la rénovation énergétique ; ce ne sont pas des outils très faciles à manier et ils exigent de la pérennité, sur les fiches comme sur les aides apportées. On a besoin des deux mesures : la prime budgétaire et le C2E. Une loi de programmation qui donnerait de la visibilité et trouverait la fongibilité entre le « par geste » d'un côté et la rénovation globale de l'autre, imputés sur deux budgets différents, serait donc très utile.
Quel est le volume possible ? Au début du processus, l'Anah avait un objectif de 30 000 rénovations sur mesure et se félicitait d'en réaliser 32 000, soit 8 % de plus. Je n'étais pas d'accord, car le chiffre absolu ne me semblait pas énorme et qu'il fallait selon moi passer à une autre échelle. Ces discussions n'étaient pas faciles : l'Anah faisait de la haute couture, et on lui demandait de faire du prêt-à-porter, pour ouvrir le dispositif. J'ai avancé le chiffre de 1 milliard d'euros, parce que l'on est aujourd'hui à 700 millions d'euros d'aides du type de MaPrimeRénov' Sérénité et que l'on devrait progressivement doubler ce chiffre, selon les capacités à faire et à instruire des services, mais aussi de l'écosystème. Dans le domaine du pilotage et de l'accompagnement, on a évoqué la filière elle-même, mais on trouve aussi la structure de l'État, avec l'Anah et les services déconcentrés qui instruisent encore ces aides. Si l'on veut monter en puissance, il faut aussi recruter dans ces services pour accompagner ces politiques publiques. Si l'on se donne comme objectif de consacrer 1 milliard d'euros supplémentaires à la rénovation globale par le biais d'une loi de programmation comprenant des marches, alors ce budget ne sera pas très éloigné de celui de la rénovation par gestes. On pourra donc transvaser progressivement : plus de rénovation globale et moins de gestes.
Reste le sujet des compétences et des artisans. Malheureusement, les à-coups de la construction neuve ont libéré des compétences disponibles pour la rénovation dans la période intermédiaire. Pour autant, le neuf reste bien un objectif de la politique du logement. Il y a donc un très important problème de filière devant nous.
M. Laurent Somon. - Mme Pompili indiquait qu'elle s'était elle-même un peu perdue sur le site de MaPrimeRénov' et qu'elle n'avait pas obtenu toutes les informations indispensables, s'agissant notamment de Mon Accompagnateur Rénov'. Celui-ci n'apparaît pas immédiatement, alors qu'il s'agit du maillon essentiel pour que les gens s'impliquent et s'engagent dans une rénovation thermique. En entendant cela, je me suis fait la réflexion suivante : plus ça va, plus les politiques se compliquent et plus il est nécessaire d'accompagner les citoyens, mais plus on accompagne, plus on dématérialise. Or cela me semble antinomique.
S'agissant de l'organisation de la sphère d'État, vous êtes parvenue à fusionner plusieurs opérateurs. Le même problème se pose au niveau des collectivités locales : sont impliquées dans le logement les régions, quelques départements, même si ceux-ci ne disposent plus de cette compétence, et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Ne faudrait-il pas trouver le bon échelon ? L'accompagnement de proximité des cas particuliers étant extrêmement important, les départements ne devraient-ils pas piloter ces politiques ?
Enfin, même si les difficultés ne représentent que 3 000 cas sur 700 000, elles débouchent sur des situations très douloureuses, notamment sur des logements qui deviennent indignes et pour lesquels les montants nécessaires sont alors encore plus élevés et les montages financiers encore plus compliqués. Sur ce dernier point, les collectivités locales, comme le département, peuvent mettre en place des régies d'avance, ainsi que nous venons de le faire dans la Somme. En effet, obtenir la subvention ne garantit pas un versement rapide, au risque de mettre en difficulté les particuliers comme les entreprises ; des collectivités s'engagent donc localement pour monter des régies d'avance et récupérer ensuite les fonds de l'Anah. Pour cela, encore faudrait-il leur faire confiance et ne pas prendre prétexte des possibilités de fraude.
Mme Emmanuelle Wargon. - Plus c'est compliqué, plus il faut accompagner, plus on dématérialise, je suis en partie d'accord. Pour le versement de l'aide, nous avons choisi de centraliser et donc de dématérialiser. On ne pouvait pas monter un système pour passer en dix-huit mois de rien à 700 000 chantiers sans une plateforme centralisée. En revanche, l'accompagnement téléphonique est sans doute perfectible, ainsi que la capacité à traiter les dossiers compliqués en dehors du circuit de masse. Ce dernier point a été le sujet de certains de mes échanges avec l'Anah : comment fait-on pour traiter à la main les situations compliquées ? Cela représente entre 1 000 et 3 000 dossiers par an, soit autant de ménages en difficulté. L'idée était que l'aide soit versée nationalement, mais que l'accompagnement soit local et non dématérialisé. Les Accompagnateurs Rénov' et les guichets France Rénov' doivent se trouver partout sur le terrain, y compris par le biais de permanences itinérantes dans les villes petites ou moyennes dans lesquelles on ne peut ouvrir un guichet toute la semaine.
Cela me conduit à votre question concernant les collectivités. Je ne suis pas du tout convaincue que la région soit l'échelon le plus pertinent. Quand je suis arrivée au gouvernement, la loi de 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) avait été votée et avait confié à la région le service public de l'efficacité énergétique et de l'habitat. Nous avons envisagé de revenir sur ce point, mais nous avons considéré que le combat serait compliqué, théorique, que cela risquait de rouvrir le débat sur les compétences décentralisées, et nous y avions renoncé. Il nous fallait donc faire avec. Si nous avions pu choisir, la région n'aurait pas été l'interlocuteur pertinent, comparée au département ou à l'intercommunalité. Certains départements ne se sont pas saisis du dossier et ce sont alors les intercommunalités qui l'ont pris en charge, d'autres mènent une politique efficace. Il faudrait assumer que la région conçoit tous les grands schémas à son échelle, mais qu'elle est trop éloignée des guichets et de la réalité de terrain. Elle est au mieux un relais de subventions abondées par l'État. Ce n'est toutefois pas ainsi que la loi est écrite, il me semble donc que l'on pourrait encore progresser sur ce point.
Concernant votre dernier point, pour les gestes simples et pour les ménages classiques, recevoir l'aide, en théorie, quinze jours après réception de la facture et la réalisation des travaux, ne pose pas problème, notamment parce que nous avons travaillé avec les banques pour que celles-ci développent l'éco-prêt à taux zéro. Pour les rénovations globales et pour les ménages modestes, il est évidemment impossible de sortir 30 000 euros de travaux, quel que soit le montage ; un tiers doit avancer le financement. Je croyais beaucoup dans les sociétés de tiers financement, qui sont encore très insuffisamment développées, et nous avions cherché des moyens de les généraliser. Des collectivités peuvent aussi opérer directement des régies d'avance. Pour revenir à la région, la région Île-de-France vient d'ordonner à sa société de tiers financement de sortir entièrement du financement de la rénovation énergétique des logements pour ne se concentrer que sur le tertiaire. Ces décisions relèvent des collectivités locales, mais, s'agissant d'Île-de-France Énergies, une telle évolution me semble presque criminelle, au vu des besoins. L'outil de tiers financement et d'avance est très utile. Nous avons, quant à nous, essayé de concevoir un outil bancaire dans ce domaine, le prêt avance rénovation (PAR), complémentaire de ces sociétés. C'est alors la banque qui prête, pour une durée longue, qui se résout au moment de la vente du bien ou de la succession.
M. Laurent Somon. - Qui sera habilité pour être Mon Accompagnateur Rénov' ? Nous rencontrons en effet des difficultés à mobiliser les entreprises, notamment pour de grosses réhabilitations concernant des ménages très précaires.
Mme Emmanuelle Wargon. - Nous avons débattu pour savoir jusqu'où aller dans les habilitations pour Mon Accompagnateur Rénov'. Celles-ci visaient évidemment tous les agents des points d'accueil de collectivités locales ainsi que les architectes, mais fallait-il labelliser certains professionnels privés ? Je n'y étais pas hostile, pour des questions de volume. Nous avons probablement besoin de plus de force pour accompagner plus de ménages, il était donc peut-être utile de labelliser certains acteurs du privé. J'imaginais le faire en deux temps : d'abord les acteurs publics et parapublics ou associatifs, ensuite des acteurs privés. Je ne sais pas comment les choses ont évolué depuis lors.
Concernant l'accompagnement des ménages très précaires, notre idée était de développer un accompagnement social en même temps qu'un accompagnement technique, mais nous n'avons pas eu le temps de mettre cela en place. Dans Mon Accompagnateur Rénov', il faudrait imaginer que certains accompagnateurs disposent d'une compétence sociale en plus d'une compétence professionnelle, qui leur permettrait d'aller chercher des sociétés de tiers financement ou d'autres solutions, de mobiliser des aides, voire de demander un soutien particulier à la collectivité référente. De très belles expériences ont été réalisées en la matière au Secours catholique, à travers le Réseau éco habitat (REH), notamment en Picardie, comprenant un accompagnement à la fois technique et social ainsi qu'une avance totale de frais. Notre idée était donc de développer des Accompagnateurs Rénov' spécifiques, financés par des aides complémentaires.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Que pensez-vous des propos d'Esther Duflo lors de sa leçon au Collège de France, qui remettait en question l'efficacité des politiques publiques de rénovation des bâtiments, plaidant plutôt pour l'individualisation des frais de chauffage, qui serait beaucoup plus efficace, beaucoup moins coûteuse et beaucoup plus durable ?
Mme Emmanuelle Wargon. - Je n'ai pas écouté cette leçon, je ne peux donc que répondre à ce que vous indiquez. À mon sens, les deux dimensions ne s'opposent pas, la question centrale étant la rentabilité de l'euro public investi dans ces politiques de transition énergétique. Où est-il le plus utile de mettre un euro en aide ou en accompagnement, tous sujets confondus, au regard de l'impact attendu sur la réduction des émissions de CO2, mais aussi de critères sociaux ? La rénovation énergétique des logements représente, certes, un sujet écologique, mais aussi de qualité de vie dans le logement et de lutte contre la précarité. L'individualisation des frais de chauffage ne concerne pas les logements individuels, par définition. Dans le collectif, il s'agit d'un vieux sujet que l'on a plus ou moins réussi à aborder et qu'il faudrait relancer, c'est vrai. Tant que l'on paie une quote-part au tantième de la taille d'un appartement, on est peu mobilisé pour piloter soi-même son chauffage. Pour autant, est-ce que cela suffit ? Est-il, dès lors, inutile d'investir de l'argent public dans la rénovation ? S'il en était ainsi, nous assisterions à des rénovations massives de logements individuels ; ce n'était pas le cas avant que nous lancions des politiques publiques. L'efficacité de l'euro investi est vraiment la question centrale, c'est la raison pour laquelle j'ai commencé mon propos par aborder les données et le pilotage et c'est pourquoi je vous ai indiqué que l'économie d'énergie moyenne avait été doublée entre le CITE et MaPrimeRénov'. On se rendra peut-être compte que, si l'on veut accélérer la trajectoire CO2, il faut consacrer proportionnellement plus de fonds à la transformation des transports qu'au bâtiment, ou l'inverse. Ce sont des questions fondamentales que nous devons absolument nous poser, mais je n'ai pas le sentiment que la seule individualisation des frais de chauffage suffise.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Ségolène Royal faisait également un totem de cette mesure, qu'elle considérait comme très importante.
Mme Emmanuelle Wargon. - Il me semble que Ségolène Royal prétendait également qu'en maintenant le CITE, on aurait tout réglé ! C'est tout de même elle qui avait proposé d'inscrire des chiffres dans la loi, indiquant qu'il n'y aurait ainsi plus de problème dans dix ans. Ce n'est toutefois pas parce que c'est inscrit dans la loi que le problème est réglé, nous n'avons pas tout à fait la même conception de la mise en oeuvre des politiques publiques !
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous vous remercions de votre participation.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 25.