Mardi 15 novembre 2022

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Projet de loi de finances pour 2023 -Mission « Administration générale et territoriale de l'État » - Examen du rapport pour avis

M. François-Noël Buffet, président. - Dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2023, nous examinons les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

Mme Cécile Cukierman, rapporteure pour avis. - J'ai souhaité m'intéresser cette année à la situation préoccupante du réseau préfectoral et, en premier lieu, à celle de l'échelon de proximité que représentent les sous-préfectures.

Le Gouvernement nous annonce, dans le projet de loi de finances pour 2023, un « réarmement » de l'État territorial dans la continuité des « Missions prioritaires des préfectures 2022-2025 » (MPP 22-25) et du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), qui prévoyait déjà un renforcement des services déconcentrés.

Je salue la prise de conscience salutaire du Gouvernement, qui semble désormais comprendre que l'État ne peut pas continuer à diminuer sa présence dans les territoires, au risque d'amplifier le sentiment d'abandon de nos concitoyens comme des élus locaux. Toutefois, ces annonces interviennent après plus de dix ans de coupes budgétaires drastiques, qui ont conduit à la suppression cumulée de 14 % de l'effectif initial de l'administration territoriale de l'État entre 2012 et 2020 ainsi que des réformes incessantes qui ont mis à mal les services de l'État. Je rappelle que les secrétariats généraux communs départementaux (SGC-D) ont été créés au 1er janvier 2021, dans le but de mutualiser les fonctions support des préfectures et des directions départementales interministérielles (DDI) et de créer des économies. Nous n'avons pas encore eu le temps de dresser le bilan de cette réforme que le Gouvernement déploie déjà un nouveau plan d'action pour les préfectures à l'horizon de 2025.

L'annonce de la création de 210 équivalents temps plein (ETP) sur les trois prochaines années, soit 48 ETP pour 2023, et de l'ouverture de six sous-préfectures - dont cinq sont en réalité des « déjumelages » de sous-préfectures fermées au gré des réformes administratives successives - m'apparaît dérisoire au regard des besoins et de l'atrophie qu'a subie l'administration territoriale de l'État depuis plus de dix ans.

J'ai pu me rendre compte, à l'occasion de mes déplacements dans les sous-préfectures, des conséquences dramatiques qu'avaient pu avoir ces réformes sur le fonctionnement de l'administration infra-départementale de l'État. J'ai volontairement choisi de me rendre dans deux sous-préfectures diamétralement opposées : celle de Largentière, en Ardèche, deuxième plus petite sous-préfecture de France, en milieu rural, et celle de Saint-Denis, implantée dans l'un des départements les plus urbanisés et les plus pauvres de la République.

Faute de moyens, la sous-préfecture de Largentière n'accueille plus de public ; cette mission est désormais dévolue à la maison France Services (MSF) installée au sein du bureau de poste de la commune. Le sous-préfet a recentré les missions de l'État autour du soutien aux élus locaux et de l'instruction des dossiers concernant la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL). Malgré cette rationalisation, la sous-préfecture, qui compte douze agents, dont la moitié est en poste depuis plus de vingt ans, connaît de fortes tensions en termes de gestion des ressources humaines et peine à recruter du fait de son isolement géographique.

À l'inverse, la sous-préfecture de Saint-Denis est majoritairement tournée vers l'accueil du public, notamment celui des étrangers, mais n'a pas les moyens de remplir cette mission dans des conditions satisfaisantes. Plus de 20 000 personnes sont accueillies chaque année dans des locaux vétustes et inadaptés, aménagés au sous-sol de la sous-préfecture. Un agent de sécurité est posté à l'entrée pour gérer les flux en constante augmentation et des personnes réalisant un service civique ainsi que des vacataires ont été recrutés pour vérifier la complétude des dossiers à l'arrivée et fluidifier le trafic. Malgré les nombreuses mesures mises en oeuvre pour améliorer l'accueil du public, la sous-préfecture demeure sous-dimensionnée pour faire face à la demande. Le déménagement de celle-ci dans de nouveaux locaux, prévu pour la fin du premier trimestre de l'année 2023, devrait permettre de renforcer les effectifs du bureau des étrangers et d'améliorer les conditions d'accueil. L'exemple de Saint-Denis montre à quel point la question de la stratégie immobilière de l'État, en même temps que celle des moyens humains et financiers, doit devenir une priorité.

Je tire de ces déplacements deux convictions. D'une part, je constate que le bon fonctionnement de l'administration territoriale de l'État, dont les moyens ont été réduits comme peau de chagrin, dépend uniquement de la bonne volonté de ses agents, notamment de l'action plus ou moins volontariste des sous-préfets. Ce n'est pas acceptable ! D'autre part, les sous-préfectures doivent conserver une certaine taille critique pour ne pas être entravées dans leur action et pouvoir ainsi incarner l'État sur leur territoire. Il est absolument nécessaire de tenir compte de la réalité du terrain et de s'adapter aux problématiques spécifiques de chaque arrondissement, mais chaque sous-préfet, pour être à même de remplir sa mission, doit pouvoir s'appuyer sur une équipe de taille suffisante, formée et disposant d'une connaissance fine des enjeux locaux. La présence d'agents de catégorie A, voire de catégorie A+, est indispensable pour permettre aux sous-préfets de déléguer une partie de leurs responsabilités. Ces réflexions de bon sens semblent avoir été négligées par les gouvernements successifs.

La notion de « réarmement » me paraît d'ailleurs réductrice, car il apparaît désormais urgent, au-delà de l'enjeu des moyens, de définir une véritable doctrine de l'État territorial. Le renforcement de la présence de l'État dans les territoires passe également par la clarification de l'action de l'État, devenue de plus en plus illisible pour les citoyens comme pour les élus locaux au fur et à mesure des réformes administratives et de la multiplication des services et des agences qui ne sont pas directement placés sous l'autorité du préfet de département. Or le Gouvernement, tant dans les MPP 22-25 que dans le projet de loi de finances pour 2023, ignore complètement cet enjeu.

Je ne peux dès lors que déplorer le manque d'ambition dans les moyens alloués au renforcement de l'administration de proximité de l'État. Dans ces conditions, il me semble que le « réarmement » de l'État territorial relève plus de la communication que d'une réelle conviction du Gouvernement. Enfin, je note un sentiment d'abandon des territoires de plus en plus exacerbé, bien visible au travers des échanges que nous avons avec les élus locaux. La présence d'un État déconcentré accompagnateur, et non pas seulement censeur, apparaît d'autant plus nécessaire pour sécuriser l'action des collectivités territoriales.

Je ne m'attarderai pas sur les crédits des deux autres programmes compris dans le périmètre de la mission, dont l'évolution me paraît justifiée. Concernant le programme « Vie politique », les crédits diminuent de plus de 75 %, puisque les élections sénatoriales et territoriales de 2023 seront bien moins coûteuses à organiser que l'élection présidentielle, les élections législatives et territoriales de l'année passée.

Concernant le programme « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur » auquel sont rattachées les fonctions support, la gestion des affaires juridiques et contentieuses du ministère et les cultes, les crédits sont en forte hausse pour financer, d'une part, la stratégie immobilière du ministère et, d'autre part, renforcer les moyens du Fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR).

Compte tenu de la faiblesse des engagements financiers du Gouvernement pour l'administration territoriale de l'État, je vous propose de donner un avis défavorable aux crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

M. François Bonhomme. - On peut s'interroger sur la stratégie immobilière de l'État au regard de sa volonté nouvelle de renforcer les sous-préfectures après des années de rationalisation sans discernement. Derrière la question du maintien des implantations physiques se pose celle de la dématérialisation des démarches administratives et de la multiplication, en parallèle, des maisons France Services. Quel type de services et quel type d'accompagnement sont-ils proposés au public ? Les remontées que j'ai du terrain sont plutôt positives mais la mise en oeuvre du réseau France Services a-t-elle été évaluée au niveau national ? Donne-t-il satisfaction aux usagers ? Nous ne pourrons pas faire l'économie d'une vision globale sur cette question prégnante du numérique car, comme le disait Shakespeare : « Ce qui ne peut être évité, il faut l'embrasser ».

Mme Muriel Jourda. - Vous indiquez qu'en Ardèche, la sous-préfecture n'est plus qu'un service dédié aux élus locaux, tandis que la maison France Services, financée par les collectivités territoriales, assure toutes les autres missions. Dans ce cadre, la maison France Services donne-t-elle satisfaction aux usagers et a-t-on pu évaluer cette efficacité de service ?

M. Éric Kerrouche. - Tout le monde s'accorde à dire que l'État territorial se trouve actuellement dans une phase de recul, comme en témoignent le dernier rapport de la Cour des comptes sur les effectifs de l'administration territoriale de l'État et le rapport d'information qu'Agnès Canayer et moi-même avons présenté devant la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

La Cour des comptes juge les suppressions au sein des préfectures irréalistes et considère que les schémas d'emplois postérieurs à 2018 mettent à mal le renforcement des missions prioritaires des préfectures, d'autant plus que celles-ci ne sont pas définies. Elle constate que l'administration territoriale de l'État a perdu 14 % de ses effectifs en une décennie, et que les baisses subies par les services déconcentrés sont souvent disproportionnées par rapport aux à celles supportées par les services centraux. Notre rapport d'information montre que la chute des effectifs au sein des DDI est significative, pour ne pas dire étonnante, de l'ordre de 36 % en dix ans. Cette baisse drastique et continue a conduit à recourir aux personnels contractuels précaires pour des courtes durées. La rapporteure spéciale, Isabelle Briquet, ne dit pas autre chose dans son rapport, mettant en exergue la perte de compétences et donc la perte d'expertise de l'État qui découle de cette stratégie d'économies de moyens.

Étonnamment, le Gouvernement lui-même partage ce constat, indiquant dans le projet annuel de performance de la mission qu'en 2023, l'évolution des moyens dédiés au fonctionnement de l'administration territoriale de l'État « traduit le renforcement de la capacité d'action de l'État sur le terrain [...], mettant ainsi fin à plus de vingt ans de réduction systématique des effectifs départementaux. » Au vu de ce constat, il aurait été logique que le Gouvernement mobilise les moyens nécessaires au renforcement de l'action de l'État dans les territoires, mais il n'en est rien. La hausse présentée dans le projet de loi de finances pour 2023 est en trompe-l'oeil, car elle est liée en réalité à l'augmentation du point d'indice et ne permet pas de répondre aux besoins. La répartition entre les effectifs est floue et ne précise aucun critère de détermination des redéploiements. Cette situation est d'autant plus préoccupante que la Cour des comptes a souligné le vieillissement des agents territoriaux de l'État, ce qui imposerait logiquement un recrutement échelonné au fil du temps.

Si les objectifs du Gouvernement ne sont pas en soi critiquables - la mission de la politique territoriale est bien d'assurer le service de proximité -, force est de constater que les délais pour l'obtention des titres d'identité vont croissant et qu'il en est de même pour les demandes de titres de séjour. Par conséquent, il est nécessaire de faire un choix : soit les missions des préfectures sont de même niveau, et dans ce cas, il faut donner à l'administration les moyens de ses ambitions ; soit il faut en sélectionner et donc renforcer certains postes. Or le Gouvernement ne choisit pas.

Pour conclure, s'agissant du programme 232 « Vie politique », on peut souligner les efforts réalisés dans le cadre de la distribution de la propagande électorale. En ce qui concerne le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur », il est positif qu'un investissement soit réalisé en matière d'immobilier et de numérique. Néanmoins, notre rapport d'information montre une incomplétude au sein des applicatifs utilisés localement. D'importants efforts sont encore à fournir. De même, si la poursuite de l'aspect numérique est nécessaire, il reste à évaluer son déploiement dans le temps, car le numérique représente à la fois un besoin et une limite de l'État territorial. Ainsi, en ne nous limitant qu'à cet aspect, nous connaîtrons les mêmes problèmes que précédemment.

M. Mathieu Darnaud. - Sur la question des moyens, j'observe moi aussi un affaiblissement constant de l'État territorial. Par exemple, le département de l'Ardèche devait bénéficier du redéploiement des effectifs des DDI ; or, les 50 agents annoncés pour étoffer le personnel de la sous-préfecture de Tournon-sur-Rhône ne sont jamais arrivés.

Nous manquons de recul pour juger de l'efficience des maisons France Services. Le dispositif est méconnu des usagers et, plus encore, des élus locaux. Il est nécessaire de mener un travail de pédagogie pour expliquer le fonctionnement et les services offerts par ces maisons.

Nous vivons une période particulièrement complexe et anxiogène ; les citoyens demandent une présence forte de l'État territorial. À ce titre, je soutiens les préconisations du rapport d'information réalisé par Agnès Canayer et Éric Kerrouche. Celles-ci renvoient à une critique déjà formulée lors de l'examen de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS) au sujet du volet déconcentration, alors que le Gouvernement aspirait à redéployer des moyens dans les territoires, afin de permettre notamment aux préfets et aux sous-préfets d'être les coordonnateurs de l'action publique. Un an après, le constat est inquiétant. Récemment encore, sur la question des filets de sécurité, les élus se trouvaient dans l'incapacité de faire appliquer un dispositif trop complexe et dévoyé. Le manque de moyens constitue une part importante des dysfonctionnements observés, et nous ne pouvons que craindre le déploiement des prochains dispositifs liés au sujet de l'énergie.

Nous vivons un véritable paradoxe : d'un côté, il y a ce besoin constamment réaffirmé d'un État territorial renforcé et, de l'autre, la réalité d'un État absolument sourd, figé dans une incapacité chronique. Personne ne va s'opposer aux intentions exprimées par le Gouvernement ; mais, à ce stade, ce ne sont que des intentions. Les conséquences de cette stratégie de communication pourraient être mortifères si elle ne se soldait pas par des actions concrètes car elle créé de l'espérance pour les élus sur le terrain désabusés par la situation alarmante.

M. Hussein Bourgi. - Cela fait plusieurs années que l'action de l'État n'est pas satisfaisante, et ce rapport en est une illustration supplémentaire.

Tout d'abord, je suis régulièrement interpellé au sujet de la délivrance des cartes nationales d'identité et des passeports. Le problème, endémique, est apparu dès lors que nous avons voulu centraliser et externaliser le traitement de ces titres. Des familles sont aujourd'hui obligées d'annuler des réservations, car les délais d'attente - de l'ordre parfois de six mois - sont anormalement longs, ce qui n'est pas acceptable.

Le service dédié aux étrangers n'est pas satisfaisant non plus. Pour ne plus voir de longues files d'attente devant les préfectures et les consulats, le Gouvernement a mis en place un système de prise de rendez-vous sur internet. En parallèle, s'est développé un marché noir par le biais d'entreprises sous-traitantes avec lesquelles il a fallu rompre les contrats.

L'acheminement des plis électoraux a également posé un certain nombre de problèmes lors des dernières élections régionales et départementales. Il fonctionnait très bien lorsqu'il était effectué par les agents de la préfecture, car nous avions du personnel pour superviser les opérations dans les halls de parcs d'exposition ou les hangars.

Enfin, le service dédié aux relations avec les élus locaux et les collectivités territoriales s'est, au fil des ans, éloigné de sa mission de conseil et d'accompagnement à la prise de décisions. Privilégiant une position d'observateur, il formule des remontrances a posteriori, retoque des décisions, pointe du doigt des délibérations, et de nombreux maires de petites communes s'en plaignent.

Corollaire de tous ces dysfonctionnements, les personnels des préfectures expriment un mal-être profond, avec notamment un turn-over important dans les services. C'est notamment le cas de la préfecture de l'Hérault que je connais bien. Le Gouvernement doit se remettre en cause et s'interroger sur les moyens alloués aux préfectures ; il y va de la crédibilité de l'État auprès de la population.

M. François-Noël Buffet, président. - Concernant la question de l'accueil des étrangers, j'ai dressé le même constat dans le rapport que j'ai fait au nom de la commission sur les services de l'État et l'immigration, publié en mai dernier.

M. Philippe Bas. - Personne ne peut être récitent à l'idée que des sous-préfets actifs puissent rejoindre nos territoires et soutenir nos communes et nos intercommunalités. Mais quelques sous-préfectures de plus ne résoudront pas le problème majeur : du fait de l'érosion des moyens dédiés aux préfectures, les services régionaux de l'État - services techniques dépendant directement des ministères - ont pris le pas sur les préfets de département pour l'instruction des dossiers. Les sous-préfets peuvent aider les maires pour des dossiers d'importance moyenne ou faible, mais les projets de grande envergure des départements devraient pouvoir être traités par les préfets de département et non par des services régionaux éloignés du terrain.

Si l'on veut progresser sur le chemin des libertés locales et d'une meilleure décentralisation, il s'agit de renforcer l'État départemental ; or, ce renforcement n'est toujours pas à l'ordre du jour. Le Sénat doit insister sur ce point. Même lorsque des décisions sont instruites au niveau régional, il serait bon qu'elles soient prises par les préfets de département, c'est-à-dire par des hauts fonctionnaires généralistes à même de juger des intérêts de nos territoires au-delà de la dimension purement technique des sujets. Cela correspondrait à l'esprit des 50 propositions formulées par le président du Sénat sur les libertés locales, rendues publiques au mois de juillet 2020 et qui, sur ce plan comme sur beaucoup d'autres, n'ont pas été suivies d'effets. Il est temps de rappeler l'urgence d'une réforme de l'administration territoriale de l'État.

Mme Agnès Canayer. - Nous sommes tous favorables à une réforme de l'État territorial. Néanmoins, je note l'absence d'évaluation des différentes réformes qui se sont succédé. Ajouter encore des niveaux d'organisation sans une réflexion préalable ni une évaluation de l'ensemble des politiques publiques locales ne me semble pas pertinent.

M. Thani Mohamed Soilihi. - J'entends les remarques de mes collègues. Ces constats sont à mettre en perspective avec la réduction des effectifs ; celle-ci est évaluée à 14 % entre 2012 et 2020 par la Cour des comptes. Aujourd'hui, j'observe un changement de ton du Gouvernement et des annonces importantes. Je ne partage donc pas l'avis de la rapporteure sur les crédits de cette mission.

M. Alain Marc. - Un symbole de la déliquescence de l'État : lorsqu'on appelle la sous-préfecture de Millau ou de Villefranche-de-Rouergue au-delà d'une certaine heure, c'est la préfecture qui reçoit l'appel ; et si l'on appelle plus tard encore, ce n'est pas la préfecture de l'Aveyron, mais celle du Tarn-et-Garonne qui vous répond.

Je souhaite évoquer un autre aspect, celui des différentes administrations de l'État dans les départements. La fluidité des relations entre les maires et certaines administrations de l'État dépend beaucoup de celle entre les parlementaires et les préfets ou les sous-préfets. Il n'est pas normal que, dans certains domaines comme celui l'urbanisme, nous soyons obligés de demander aux préfets et aux sous-préfets d'intervenir.

J'ajouterai qu'il est encore trop tôt pour évaluer le dispositif France Services.

Mme Françoise Gatel. - Au-delà de la décentralisation, le véritable enjeu aujourd'hui est celui de la déconcentration, et plus particulièrement le phénomène de « l'agencification » de l'État. Comme nous avons pu le constater lors de la crise sanitaire, il est important pour les maires d'avoir un interlocuteur unique, qui soit le préfet ou le sous-préfet. Le déploiement de ces agences plus ou moins autonomes a complexifié le traitement des dossiers, ralenti le processus de décision et parfois même entraîné des contradictions dans la parole de l'État. Je ne suis pas sûre que cette « agencification » coûte moins d'argent ; en tout cas, elle n'apporte pas davantage d'efficacité.

Mme Cécile Cukierman, rapporteure pour avis. - Concernant les MFS, le programme de labellisation s'étend jusqu'à la fin 2022. Une évaluation n'est donc pas encore possible, mais nous ne pouvons qu'encourager sa prochaine réalisation. On peut penser qu'il y aura de très bonnes expériences et d'autres moins heureuses, liées à l'implantation, à la façon dont les différents acteurs se sont saisis du dispositif, à la qualité de l'accueil et de l'accompagnement. Sur le fond, demeure la véritable question, à savoir : doit-on poursuivre dans cette logique ? Qui finance le dispositif ? Et, par là même, qui affirme son autorité dans les territoires ?

Se pose également la question de la formation des personnels. À une époque comme la nôtre où les irritabilités sont nombreuses, l'accueil demande à être fortement maîtrisé pour éviter les dérapages.

Sur la coordination des politiques de l'État et la présence territoriale, je partage les différents points de vue exprimés. Le rôle des préfets et des sous-préfets de département est essentiel, ils doivent être les représentants de l'action de l'État dans les territoires et avoir la capacité de coordonner. Nous avons tous en tête les préoccupations actuelles de nos concitoyens, concernant la santé, les filets de sécurité ou encore l'école, avec la question des fermetures de classe ; ces trois sujets ne dépendent pas du préfet de département, mais, respectivement, des agences régionales de santé (ARS), de la direction générale des finances publiques (DGFiP) et du ministère de l'éducation nationale. Quand on souhaite « réarmer » l'État territorial, encore faut-il avoir une armée en état de marche, avec des généraux qui ont confiance en celle-ci.

Concernant les élections, plus de la moitié des départements ont « réinternalisé » la gestion des plis pour les élections. Si nous devions organiser des élections législatives d'ici à quarante jours, il n'est pas certain que l'on puisse se satisfaire du déroulement de l'acheminement, de la distribution et de la propagande électorale. Il importe de rester vigilant.

M. Mathieu Darnaud. - Aujourd'hui, toutes les politiques essentielles de l'État, et singulièrement celles qui vont peser sur l'avenir de notre territoire - je pense notamment à la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, avec le « zéro artificialisation nette » -, sont mises dans les mains de l'État déconcentré. Nous avons pu observer les premiers dysfonctionnements, avec notamment des écarts entre ceux qui ont pu se saisir des dossiers. Nous devons dénoncer cette situation et redire également la qualité des femmes et des hommes qui, en dépit des difficultés, assurent le fonctionnement de l'État dans les territoires.

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

La réunion, suspendue à 10 h 15, est reprise à 14 heures.

Proposition de loi visant à permettre aux différentes associations d'élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, un édile victime d'agression - Examen des amendements au texte de la commission

M. François-Noël Buffet, président. - Nous examinons les amendements de séance sur la proposition de loi visant à permettre aux différentes associations d'élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, un édile victime d'agression.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR

Article 1er

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'amendement de réécriture du Gouvernement que nous attendions nous est parvenu jeudi dernier au soir. Nathalie Delattre a rencontré le garde des sceaux pour lui exposer la ligne qu'elle entendait suivre. Après un dialogue en visioconférence avec le ministère de l'intérieur et le ministère de la justice hier matin - je tiens à remercier le ministère de Mme Cayeux, qui rejoignait plutôt la philosophie sous-tendue par la proposition de loi -, je vous propose, par l'amendement n°  19, une rédaction de compromis qui, je le précise d'emblée, a reçu l'assentiment de l'auteur de la proposition de loi.

Au départ, nous souhaitions mentionner l'Association des maires de France (AMF), l'Assemblée des départements de France (ADF) et Régions de France et leur permettre ainsi qu'aux assemblées parlementaires - le Sénat et l'Assemblée nationale - de se porter partie civile. Nous avions également élargi les motifs de constitution de partie civile via des amendements de Patrick Kanner.

Pour les élus municipaux, départementaux, régionaux, territoriaux et de l'Assemblée de Corse, cet amendement prévoit que toute association nationale reconnue d'utilité publique ou régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans dont les statuts se proposent d'assurer la défense des intérêts de ces élus et toute association qui lui est affiliée se porte partie civile, tout en mentionnant nominativement l'AMF, l'ADF et Régions de France. Outre le Sénat et l'Assemblée nationale, après discussion, le Parlement européen pourra aussi se porter partie civile. Nous avons vérifié auprès du ministère de la justice que le périmètre est bien circonscrit : le Parlement européen pourra agir pour défendre les intérêts des parlementaires français ou, éventuellement, des parlementaires étrangers victimes d'agressions sur le sol français.

La réécriture que je vous propose me semble être un bon compromis.

M. Loïc Hervé. - Je remercie le rapporteur de cette nouvelle rédaction. Si cet amendement recueille l'assentiment de la commission des lois, plusieurs amendements deviendront sans objet. Pour ma part, il me paraissait utile d'ouvrir la constitution de partie civile aux grandes associations dites « de strates », qui s'étaient émues d'être privées de cette possibilité alors qu'elles comptent des milliers d'adhérents.

M. François Bonhomme. - Les intercommunalités sont-elles intégrées ?

M. François-Noël Buffet, président. - Oui, au travers des mandats municipaux.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Toutes les associations dont les statuts ont pour objet d'assurer la défense des intérêts des élus, reconnues d'utilité publique ou régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans ont la possibilité de se porter partie civile. Elles ne le feront pas parce qu'elles n'en auront pas les moyens, je le dis clairement, mais elles peuvent le faire.

L'amendement n° 19 est adopté.

Article 2

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'amendement n°  20 supprime par coordination le dispositif prévu, car il a été intégré à l'article 1er.

L'amendement de suppression n° 20 est adopté.

Intitulé de la proposition de loi

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'amendement n°  21 vise à corriger l'intitulé par coordination avec le nouveau périmètre retenu. Aussi, je vous propose la rédaction suivante : « Proposition de loi visant à permettre aux assemblées d'élus et aux différentes associations d'élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, une personne investie d'un mandat électif public victime d'agression. »

L'amendement n° 21 est adopté.

EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION

Article 1er

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Retrait ou avis défavorable aux amendements nos  4, 17 , ainsi qu'aux amendements identiques nos  5 rectifié bis, 7 rectifié, 8, 9, 10, 11, 12 rectifié, 14, 15, 16 et 18, issus d'une demande de l'Association des maires ruraux de France, car ils sont satisfaits. L'amendement n°  6 est également satisfait.

M. Loïc Hervé. - Je retirerai l'amendement n°  17.

La commission demande le retrait des amendements nos  4, 17 , des amendements identiques nos  5 rectifié bis, 7 rectifié, 8, 9, 10, 11, 12 rectifié, 14, 15, 16, 18 et 6, et, à défaut, y sera défavorable.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'amendement n°  13 vise à inclure l'outrage sexiste dans le champ des infractions. Retrait ou, à défaut, mon avis sera défavorable, car nous ne souhaitons pas dresser de liste et les outrages sont compris dans les articles du code pénal visés. Restons-en au terme générique.

La commission demande le retrait de l'amendement n°  13 et, à défaut, y sera défavorable.

Après l'article 1er

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Les amendements nos  3 , 2 et 1 sont contraires à la position de la commission. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable aux amendements nos  3 , 2 et 1.

M. François-Noël Buffet, président. - Ce texte sera examiné en séance publique aux alentours de 18 h 45.

Le sort des amendements du rapporteur examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Sort de l'amendement

Article 1er

Mme DI FOLCO, rapporteur

19

Adopté

Article 2

Mme DI FOLCO, rapporteur

20

Adopté

Article 3

Mme DI FOLCO, rapporteur

21

Adopté

La commission donne les avis suivants sur les autres amendements de séance :

Auteur

Avis de la commission

Article 1er

M. KANNER

4

Demande de retrait

M. Loïc HERVÉ

17 rect.

Demande de retrait

M. DELCROS

5 rect. bis

Demande de retrait

Mme NOËL

7 rect. bis

Demande de retrait

M. GUIOL

8

Demande de retrait

M. Jean-Marc BOYER

9

Demande de retrait

M. MIZZON

10

Demande de retrait

M. LONGEOT

11

Demande de retrait

M. MENONVILLE

12 rect.

Demande de retrait

M. BENARROCHE

14

Demande de retrait

M. RAVIER

15

Demande de retrait

Mme CUKIERMAN

16

Demande de retrait

Mme HAVET

18

Demande de retrait

Mme Nathalie GOULET

6

Demande de retrait

M. BENARROCHE

13

Défavorable

Article additionnel après l'article 1er

M. GOLD

3 rect.

Défavorable

M. GOLD

2 rect.

Défavorable

M. GOLD

1 rect.

Défavorable

Proposition de loi visant à compléter les dispositions relatives aux modalités d'incarcération ou de libération à la suite d'une décision de cour d'assises - Examen des amendements au texte de la commission

M. François-Noël Buffet, président. - Je constate qu'aucun amendement de séance n'a été déposé sur la proposition de loi visant à compléter les dispositions relatives aux modalités d'incarcération ou de libération à la suite d'une décision de cour d'assises.

La réunion est close à 14 h 15.

Mercredi 16 novembre 2022

- Présidence de M. François-Noël Buffet -

La réunion est ouverte à 10 heures.

Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Conseil et contrôle de l'État » - Programmes « Conseil d'État et autres juridictions administratives » et « Cour des comptes et autres juridictions financières » - Examen du rapport pour avis

M. François-Noël Buffet, président. - Nous examinons pour avis deux programmes de la mission « Conseil et contrôle de l'État », dont le responsable est le Premier ministre : le programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » et le programme 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières ».

M. Guy Benarroche, rapporteur pour avis. - S'agissant du programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives », la hausse des crédits de paiement représente 43,9 millions d'euros, ce qui porte l'enveloppe globale à 525 millions d'euros.

Ces crédits supplémentaires sont consacrés à hauteur de 65 % à des dépenses de titre 2 pour renforcer les moyens humains de certains tribunaux administratifs ou cours administratives d'appel. Sont ainsi prévus en 2023, outre la création d'un emploi de membre du Conseil d'État, celle de 25 emplois de magistrats et de 15 emplois d'agents de greffe.

Ce renforcement du schéma d'emplois est identique à celui de 2022, année au cours de laquelle des postes supplémentaires de magistrats ont été attribués notamment à la cour administrative d'appel de Toulouse, nouvellement créée, et aux juridictions de la région parisienne qui sont particulièrement soumises à la pression du contentieux des étrangers. Entre le 1er janvier 2021 et le 31 juillet 2022 les tribunaux administratifs de Paris, Montreuil et Cergy-Pontoise ont ainsi enregistré à eux seuls 9 840 requêtes en référé pour obtenir un rendez-vous en préfecture pour le renouvellement d'un titre de séjour, soit presque 70 % de ce contentieux que l'on peut qualifier de nouveau.

Les crédits hors titre 2, qui représentent 23 % des crédits du programme, sont également en augmentation de 15 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2022, principalement en raison des dépenses immobilières et des investissements informatiques.

Si l'année 2020 a été atypique en raison de la pandémie de la covid-19 avec une baisse de 9 % des requêtes devant les tribunaux et de 15 % devant les cours, les juridictions administratives ont été confrontées en 2021 à une forte reprise de l'augmentation des affaires nouvelles : leur niveau dans les tribunaux administratifs a dépassé de près de 4,5 % celui déjà exceptionnellement élevé de l'année 2019. Au premier semestre 2022, les tribunaux administratifs ont déjà été confrontés à une augmentation de près de 2 % des requêtes.

Dans ce contexte, les affaires en instance de plus de 2 ans ont progressé dans les deux niveaux de juridictions : + 17 % dans les tribunaux et + 46 % dans les cours en 2021. Le taux de couverture - soit le ratio des affaires traitées par rapport aux affaires enregistrées - était inférieur à 100 % dans les tribunaux, ce qui a entraîné un accroissement du stock des dossiers en première instance de 5 %.

Il semble donc justifié que le programme 165 bénéficie, comme le prévoit la programmation pluriannuelle, de la création de 202 emplois échelonnée entre 2023 et 2027, comprenant chaque année 25 postes de magistrats et 15 postes d'agents de greffe affectés aux tribunaux administratifs et cours administratives d'appel.

Ce renforcement des effectifs contribuera à rendre le pilotage des moyens humains alloués aux juridictions plus souple, en évitant notamment que les juridictions « bonnes élèves » subissent des baisses d'effectifs pour mieux doter des juridictions en difficulté et en permettant d'anticiper certains changements, comme l'ouverture d'un centre de rétention administrative. Cette situation concrète m'a été décrite par la présidente du tribunal administratif de Lyon, que j'ai rencontrée lors d'un déplacement le 15 septembre dernier.

Ce renforcement du schéma d'emplois ne peut masquer toutefois les difficultés de gestion qui s'annoncent en raison des obligations renforcées de mobilité que l'entrée en vigueur de la réforme de la haute fonction publique impose désormais aux magistrats administratifs. Les chefs de juridiction vont être confrontés à la nécessité de remplacer un certain nombre de fonctionnaires à tout moment de l'année et de former les nouveaux entrants venant d'autres corps, ce qui risque d'entraîner une perte de productivité pour les juridictions concernées. Par ailleurs, le nouveau cadre statutaire pose la question du retour dans leur corps d'origine des magistrats ayant effectué cette mobilité. Ceux-ci pourraient être tentés de rester dans leur administration d'accueil compte tenu des contraintes croissantes de la fonction de magistrat administratif et du décalage de leur grille indiciaire avec celle des administrateurs de l'État.

Selon les représentants des syndicats que j'ai auditionnés, les premiers effets de la réforme se sont d'ailleurs fait ressentir dès cette année, certains magistrats ayant anticipé l'entrée en vigueur de l'obligation de mobilité. En septembre 2022, il manquait ainsi une trentaine de magistrats en juridictions. Exceptionnellement, de nouveaux magistrats ont été recrutés par détachement en cours d'année, pour une prise de poste au 1er septembre 2022 ; ils ont eu une formation en alternance de quatre mois, au lieu d'une formation initiale de six mois, et ont participé aux formations de jugement dès leur arrivée en juridiction, ce qui ne semble pas garantir une véritable collégialité.

Les conséquences des mobilités sur l'activité des juridictions, en particulier les petites, risquent d'être significatives, surtout si le mouvement de mutation au sein des juridictions administratives reste à un rythme annuel. Ces départs seront très difficiles à anticiper et ne pourront faire l'objet que d'un préavis bref (deux mois en moyenne, exceptionnellement trois mois) pour ne pas être bloquant. Cet aléa s'ajoutera aux départs à la retraite qui semblent également difficiles à planifier et en hausse s'agissant des magistrats des tribunaux et des cours.

La Commission du contentieux du stationnement payant (CCSP) offre à cet égard un exemple parlant des difficultés qui peuvent être rencontrées du fait des départs et des détachements. Dans la loi de finances initiale pour 2022, trois emplois de magistrats avaient été créés pour porter son effectif de 12 à 15 magistrats, mais des départs imprévus et des difficultés de recrutement ont fait obstacle à la réalisation de cet objectif. La juridiction fonctionne actuellement avec 12 magistrats administratifs, dont certains, venus en détachement en cours d'année, ont dû être formés pendant un trimestre. Cette situation fragilise la CCSP confrontée à une hausse importante du nombre des requêtes qui a dépassé 157 000 en 2021 et risque d'atteindre 160 000 requêtes en 2022, voire 200 000 requêtes, selon certaines projections.

Mes travaux m'ont également conduit à porter une attention particulière sur les ordonnances qui sont désormais un mode répandu de règlement des contentieux. Les avocats rencontrés à Lyon ont attiré mon attention sur cette question, en particulier en matière de droit des étrangers. Par ailleurs, la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) que j'ai également visitée a été confrontée à une grève des avocats d'octobre 2021 à mai 2022 en protestation contre un recours accru selon eux à ces ordonnances, qui serviraient de « variable d'ajustement » pour gérer le stock de dossiers.

Depuis quelques années, les juridictions se sont organisées pour utiliser plus efficacement les possibilités offertes par l'article R. 222-1 du code de justice administrative et recourir aux ordonnances dites de « tri » ou, pour les cours administratives d'appel, celles rejetant les requêtes « manifestement dépourvues de fondement ». Les juridictions administratives ont créé des services d'aide à la décision qui fonctionnent grâce à des agents de greffe, des assistants de justice et des vacataires « aide à la décision ». Parfois, ce sont les greffes centraux qui assument directement la préparation des ordonnances.

En 2021, les ordonnances au titre de l'article R. 222-1 du code de justice administrative ont constitué en moyenne 20 % des sorties devant les tribunaux administratifs et 38 % devant les cours administratives d'appel. C'est tout à fait significatif. En volume, cela représente plus de 47 000 ordonnances devant les tribunaux et près de 13 000 devant les cours.

La CNDA bénéficie également de la possibilité de régler une procédure par ordonnance en application de l'article R. 532-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle dispose d'un service dédié chargé de rendre l'ensemble des décisions prises par ordonnances. Son fonctionnement m'a été expliqué lors d'une visite à Montreuil en octobre dernier : une ordonnance n'est prise qu'après transmission des pièces du dossier au requérant ou son avocat via Télérecours et après examen de la requête par un rapporteur et un président. En revanche, en l'état du fonctionnement de la CNDA, l'orientation d'un dossier vers le service des ordonnances ne fait l'objet d'aucune information à l'avocat.

En 2021, la part des décisions de la CNDA prises par ordonnance a légèrement baissé, représentant 31 % du nombre total de décisions contre 33 % en 2019 et 2020. Toutefois, en raison de l'augmentation des sorties, leur nombre en valeur absolue a augmenté, passant de 13 847 en 2020 à 20 967, ce qui a semble-t-il provoqué la réaction des avocats, de même que quelques dossiers selon eux « mal orientés ».

Cette question du fonctionnement des services qui préparent les ordonnances est un sujet particulièrement sensible compte tenu des volumes de dossiers traités et des conséquences d'une telle orientation pour le justiciable.

Le Conseil d'État ne semble exercer sur les ordonnances qu'un contrôle juridictionnel en cas de pourvoi - il vérifie alors qu'il n'y a pas eu usage abusif de la faculté ouverte par l'article R. 222-1 du code de justice administrative - ce qui ne paraît pas satisfaisant compte tenu du fait que certains justiciables peuvent y renoncer en raison de la nécessité de prendre un avocat aux conseils.

Il semblerait nécessaire que, dans chaque juridiction, une attention particulière soit portée à l'organisation et au fonctionnement des services chargés de rendre les ordonnances qui reposent souvent sur des assistants de justice et des vacataires à la décision. Ces personnels sont en effet fréquemment renouvelés compte tenu de leur statut et un temps important doit être consacré à leur formation. Une supervision dédiée par un magistrat expérimenté, assisté d'un agent de greffe titulaire de catégorie A, semblerait préférable à un rattachement direct au chef de juridiction nécessairement pris par d'autres tâches, ce qui supposerait une valorisation des fonctions d'encadrement et de formation des magistrats.

S'agissant des juridictions administratives, je souhaiterais aborder un dernier point concernant les agents de greffe. Ces derniers exercent des métiers qui ont connu des mutations profondes ces dernières années, avec la numérisation des procédures, les contentieux de masse et la multiplication des procédures d'urgence. Les agents de greffe des juridictions administratives sont des fonctionnaires du ministère de l'intérieur soumis à la double gestion de leur ministère d'origine et du Conseil d'État, ce qui alourdit les tâches des gestionnaires des ressources humaines. Leurs métiers sont mal connus et de nombreux postes ne sont pas pourvus par mobilité. Il y a un recours accru de ce fait aux agents contractuels ou vacataires de longue durée, ce qui crée une charge de travail supplémentaire pour les agents titulaires qui doivent les former pour quelques mois de service. Par ailleurs, la coexistence, au sein des greffes, d'agents titulaires qui appartiennent à des corps de fonctionnaires du ministère de l'intérieur et d'agents contractuels qui relèvent du seul Conseil d'État n'est pas aisée.

Un groupe de travail sur l'avenir des greffes, placé sous l'égide du président de la mission d'inspection des juridictions administratives, vient de rendre son rapport en septembre 2022. Il y présente de nombreuses propositions pour renforcer l'identité des métiers de greffe et les rendre plus attractifs, notamment en construisant des parcours professionnels valorisants et en mettant en place une véritable formation initiale. L'année 2023 devrait donc être l'occasion de se saisir de ces préconisations et de proposer des mesures concrètes pour repenser le statut des agents de greffe des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel indispensables pour permettre à la chaine juridictionnelle de fonctionner de bout en bout.

Le second volet de mon rapport porte sur les juridictions financières.

Les moyens du programme 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières » sont en augmentation avec des crédits de paiement en hausse de 9,2 %, contre 2,5 % l'année dernière, ce qui représente 20,8 millions d'euros, pour 247,4 millions d'euros de crédits de paiement au total.

Ces crédits supplémentaires concernent très majoritairement des dépenses de personnel qui connaissent une augmentation de 18,6 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2022.

Cette augmentation est tout d'abord liée à l'intégration de deux nouvelles institutions au sein du programme 164. La Commission d'évaluation de l'aide publique au développement, a été créée par la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, pour conduire des évaluations portant sur l'efficience, l'efficacité et l'impact des stratégies, des projets et des programmes d'aide publique au développement financés ou cofinancés par la France. Elle devrait voir le jour au cours du premier trimestre de l'année 2023 et un recrutement de 5 ETP de catégorie A+ destinés au secrétariat permanent de cette commission au sein de la Cour des comptes sont prévus. Le Haut Conseil des finances publiques ne fait plus l'objet d'un programme 340 spécifique au sein de la mission « Conseil et contrôle de l'Etat ». Ses crédits, qui s'élèvent à 1,3 million d'euros, sont désormais intégrés au sein d'une nouvelle action 28 « Gouvernance des finances publiques » du programme 164, en application de la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques.

Les autres évolutions des crédits de titre 2 s'expliquent principalement par la majoration de 3,5 % du point d'indice de la fonction publique intervenu au 1er juillet 2022 et la mesure de revalorisation indemnitaire des conseillers de chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC) ainsi que des auditeurs et conseillers référendaires en service extraordinaire de la Cour des comptes décidée pour maintenir l'attractivité de ces corps par rapport au nouveau corps des administrateurs de l'État. Une revalorisation indiciaire est également attendue en 2023 compte tenu de la refonte de la grille indiciaire des administrateurs de l'État.

Les crédits de paiement, hors titre 2, sont en légère hausse de 2 millions d'euros pour un montant total de 28,1 millions d'euros. Cette augmentation s'explique par le financement des coûts de fonctionnement de la Commission d'évaluation de l'aide publique au développement et par l'augmentation des coûts énergétiques en raison de la crise internationale.

Vous le savez, le périmètre des compétences des juridictions financières s'est étendu de manière importante au cours des dernières années et le nombre des organismes soumis à leur contrôle s'est multiplié. Ce phénomène est accentué pour les CRTC qui participent aux travaux des formations inter-juridictions (FIJ), dans le cadre de l'évaluation des politiques publiques. En 2023, viendront également s'ajouter les nouvelles missions d'évaluation des politiques publiques territoriales, sur demande des régions, des départements ou des métropoles, et d'avis sur les conséquences d'un projet d'investissement exceptionnel. Ce « droit de tirage » à la main des collectivités territoriales, auquel les CRTC seront tenues de faire droit, pourrait avoir des effets importants sur leurs travaux, notamment pour les chambres ayant un vaste ressort. Sont actuellement en discussion des évaluations de politique publique en matière d'économie d'énergie pour la région Occitanie, sur le matériel de transport ferroviaire pour la région Auvergne-Rhône-Alpes et sur les transports scolaires dans les Hauts-de-France. Je rappelle que, de son côté, la CRC de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur doit présider et piloter une formation inter-juridictions pour rendre un avis sur le plan « Marseille en grand ».

Compte tenu de l'objectif fixé dans le plan « JF 2025 », selon lequel l'évaluation de politique publique devrait devenir le deuxième métier des juridictions financières et 20 % de leurs travaux y être consacrés, cette tendance ne fera que s'accentuer dans les années à venir.

Parallèlement, la suppression des fonctions juridictionnelles exercées par les chambres - qui représenteraient 8 % à 10 % de leur - ne devrait pas permettre de dégager des gains suffisants en temps ou en personnel pour compenser cette montée en charge de l'évaluation. Au contraire, la phase d'instruction continuera de reposer sur les CRTC, la chambre du contentieux de la Cour devant en effet être « nourrie » par des déférés des CRTC. Par ailleurs, le régime de responsabilité étant désormais répressif et ne visant que les fautes de gestion les plus graves, il devra reposer sur des contrôles plus minutieux et demandera des compétences plus techniques et plus fines.

Or, dans le cadre du PLF 2023, aucun moyen humain supplémentaire n'a été alloué aux CRTC, les seuls ETP créés concernant la Cour des comptes. Dans ces conditions, il existe une inquiétude quant à la manière dont les chambres pourront continuer à assumer leur rôle en matière de contrôle de régularité et de lutte contre les atteintes à la probité au niveau local.

Enfin, le projet de loi de finances pour 2023 fait évoluer les indicateurs de performance du programme pour les adapter à la réforme de la responsabilité des gestionnaires publics et aux orientations du plan « JF 2025 ». Il supprime toute mention du contrôle des comptes sous prétexte de suppression du contrôle juridictionnel des comptables publics. Par ailleurs, pour mesurer l'objectif « Sanctionner les irrégularités et la mauvaise gestion », il ne prévoit qu'un indicateur relatif aux délais de jugement de la chambre du contentieux, alors que le premier objectif serait logiquement d'alimenter cette nouvelle chambre en dossiers.

Au-delà de ces évolutions, le PLF 2023 prévoit également une réduction drastique des délais des travaux d'examen de la gestion qui servent d'indicateurs à l'objectif « Contribuer à l'amélioration de la gestion publique et des politiques publiques ». Les cibles sont réduites à huit mois à horizon 2025 comme le préconise le plan « JF 2025 », ce qui impose à la Cour des comptes de réduire de cinq mois le temps de ses travaux en trois ans et aux CRTC de huit mois sur la même période.

On peut s'interroger sur la priorité donnée à la production des rapports dans des délais de plus en plus restreints, alors que la légitimité des juridictions financières repose plutôt sur la qualité des travaux rendus, qui suppose la collégialité et la contradiction. Nous en avons une preuve évidente avec l'avis de la CRC PACA sur les relations financières entre la métropole Aix-Marseille-Provence et ses communes membres, publié en octobre 2022, qui représente un travail considérable. Dans certains cas, il peut être même préférable d'attendre quelques mois que les contrôlés répondent pour obtenir un rapport de qualité.

Par ailleurs, le pilotage par les délais peut avoir un effet démotivant sur les personnels à l'heure où les juridictions financières sont confrontées à un important turn over tant pour les magistrats que les vérificateurs. Il ne faudrait pas que la réalisation des indicateurs incite à se désintéresser du fond pour concentrer les efforts sur l'amélioration de la productivité.

C'est la raison pour laquelle je vous propose un amendement prévoyant des indicateurs en matière de contrôle des comptes et de la gestion, ainsi que relatifs aux nouvelles missions résultant du plan « JF 2025 » (évaluation des politiques publiques territoriales par les CRTC et déférés à la chambre du contentieux), pour ne pas limiter le pilotage au respect de délais. Cet amendement est inspiré des travaux du Syndicat des juridictions financières (SJF).

Je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes 165 et 164 sous réserve de l'adoption de cet amendement.

Je souhaiterais saluer, en conclusion, l'implication et l'engagement de l'ensemble des personnels des juridictions administratives et financières, dont le dévouement quotidien permet d'assurer le bon fonctionnement de ces juridictions.

Je vous remercie de votre attention.

M. Alain Richard. - Je voudrais rendre hommage au travail très approfondi du rapporteur, qui s'est plongé dans la vie des juridictions et dont je partage la totalité des observations.

Je souligne une particularité concernant les tribunaux administratifs. À la création du Syndicat de la juridiction administrative (SJA), l'une de ses premières demandes était d'en finir avec la gestion par le ministère de l'intérieur. Le rattachement au ministère de la justice paraissait alors une voie pertinente permettant de garantir l'indépendance des magistrats. Or la gestion par le ministère de la justice n'a pas très bonne réputation... C'est la raison pour laquelle le Conseil d'État s'en est finalement chargé et joue, en quelque sorte, le rôle d'un ministère. Nous savons que le vice-président du Conseil d'État est, en réalité, le vrai chef de ces juridictions.

Dans les juridictions administratives et financières, il existe d'ailleurs un sens de l'indépendance et de la mission qui est partagé par tous. Ce service public fonctionne uniquement grâce à l'engagement très fort de magistrats et greffiers qui font nettement plus que la charge de travail qui devrait leur incomber.

Mme Nathalie Goulet. - Je remercie le rapporteur pour la qualité de ses travaux.

Je me félicite de la création de la Commission d'évaluation de l'aide publique au développement que vous avez évoquée, ce qui pourra peut-être éviter à l'avenir de recourir aux cabinets de conseil, pour faire le lien avec un sujet dont nous avons récemment débattu au Sénat !

Je souhaiterais savoir quand est prévue son installation. Je me souviens avoir eu, avec la commission des affaires étrangères et de la défense, les pires difficultés pour évaluer l'aide au développement. Il nous faudra être attentif à ce sujet compte tenu de son importance et des attentes que la France suscite dans le monde à cet égard, pour une politique qu'elle met désormais en oeuvre avec d'autres pays. Il serait d'ailleurs intéressant que le Parlement mène une mission de contrôle sur cette politique.

M. André Reichardt. - Je remercie le rapporteur pour ces travaux particulièrement fouillés. Pour ma part, je ne peux que me féliciter de la nouvelle mission d'évaluation des politiques publiques des chambres régionales et territoriales des comptes.

Toutefois, si les CRTC n'interviennent qu'à l'initiative de la collectivité intéressée, cela ne risque-t-il pas de restreindre fortement le champ de ce contrôle ?

Lorsque j'étais moi-même rapporteur pour avis du budget des juridictions financières, une réorganisation des chambres régionales était en cours, dans l'objectif notamment de remédier au déséquilibre entre elles de la charge de travail. Cette réforme est-elle aujourd'hui aboutie ? L'ajout aujourd'hui de nouvelles compétences à moyens constants ne va-t-il pas poser de nouveaux problèmes ?

M. Jean-Yves Leconte. - Le volume du contentieux en droit des étrangers devant les tribunaux administratifs est aujourd'hui très problématique, dans la mesure où les référés sont utilisés en masse pour contraindre l'administration à fixer des rendez-vous aux demandeurs. Nous avons des administrations qui préfèrent s'en remettre à une décision de justice plutôt que d'analyser une situation particulière correctement du début jusqu'à la fin. Je considère que c'est un problème. Je le constate par exemple sur la délivrance de visa et sur les circulaires diffusées dans ce domaine. Or le tribunal administratif n'est pas là pour pallier les insuffisances de l'administration, surtout quand le problème est systémique.

M. Guy Benarroche, rapporteur pour avis. - Je remercie mes collègues pour leurs observations.

Madame Goulet, la Commission d'évaluation de l'aide publique au développement sera installée au premier semestre 2023, elle comptera deux collèges - l'un de parlementaires et l'autre d'experts indépendants - dont la composition est fixée par l'article 12 de la loi du 4 août 2021. Son secrétariat, assuré par la Cour des comptes, comptera 5 ETP.

Monsieur Reichardt, les CRTC pourront également s'auto-saisir en vue d'évaluer une politique publique locale, qui ne se fera donc pas à la seule demande des collectivités. C'est le cadre du nouvel article L. 211-15 du code des juridictions financières créé par la loi 3DS.

Monsieur Leconte, je suis pleinement d'accord avec vous, ce n'est pas la mission des tribunaux administratifs de faire de la prise de rendez-vous pour pallier aux défaillances de l'administration ou de prendre des décisions à la place de celle-ci. C'est malheureusement la tendance actuelle, comme les magistrats administratifs que j'ai rencontrés me l'ont dit.

M. François-Noël Buffet, président. - Nous passons maintenant à l'examen de l'amendement.

M. Guy Benarroche, rapporteur pour avis. - Je vous propose par cet amendement d'ajuster les indicateurs du programme 164 pour mieux rendre compte des nouvelles missions des juridictions financières sans passer sous silence le contrôle de la régularité des comptes et de la gestion, et sans se limiter à des questions de délai.

Je vous propose tout d'abord de substituer à l'indicateur « Nombre d'auditions au Parlement » celui du « Nombre de rapports établis par les chambres régionales et territoriales des comptes sur le fondement des articles L.235-1 et L.235-2 du code des juridictions financières », qui permettrait de mieux retracer les nouvelles missions d'évaluation des CRTC.

Sur le contrôle des comptes et de la gestion, je vous propose :

- d'ajouter un indicateur sur le nombre de contrôles menés dans des collectivités territoriales et des EPCI de moins de 50 000 habitants ;

- d'ajouter un autre indicateur pour prendre en compte le travail d'analyse de la fiabilité des comptes ;

- et, enfin, de remplacer un indicateur de délai sur la sanction des irrégularités, par un indicateur sur le nombre de déférés transmis par la Cour des comptes et les CRTC.

Nous aurions, au final, neuf indicateurs pour ce programme, soit un nombre identique à celui du projet de loi de finances pour 2022.

M. François-Noël Buffet, président. - En l'absence d'autres observations, nous suivons l'avis favorable du rapporteur et adoptons son amendement.

L'amendement est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » et 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières » de la mission « Conseil et contrôle de l'État ».

Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Justice » - Programmes « Justice judiciaire » et « Accès au droit et à la justice » - Examen du rapport pour avis

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Le rapport pour avis que je vous présente, au nom également de ma co-rapporteur Dominique Vérien qui n'a pu être présente aujourd'hui, porte sur les crédits dévolus, dans le projet de loi de finances pour 2023, à quatre programmes de la mission « Justice » : le programme 166 « Justice judiciaire » ; le programme 101 « Accès au droit et à la justice » ; le programme 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et le programme 335 « Conseil supérieur de la magistrature ».

Ce projet de budget intervient alors que des concertations sont en cours sur la mise en oeuvre, vous le savez chers collègues, du rapport du comité des États généraux de la justice, qui s'inscrivaient dans un contexte de crise de l'institution judiciaire.

L'effort de rattrapage devrait donc se poursuivre en 2023 avec des crédits de paiement en hausse de 8 % par rapport à 2022, hors charges de pensions. C'est la troisième année que ces crédits augmentent, et l'on peut s'en féliciter.

Il faut toutefois noter le décrochage de plus en plus marqué de la part alloué aux juridictions judiciaires qui ne représente plus que 36 % du total (contre presque 40 % en 2018), au profit notamment de l'administration pénitentiaire qui en représente désormais 43 % (contre 40 % en 2018).

Il convient également d'être attentif au taux d'exécution du budget qui cache des disparités. S'il semble à première vue relativement correct - 98,39 %, en 2021 - en matière d'investissement, ce taux chute à 68 % avec près de 311 millions d'euros non consommés dont 80 millions pour les juridictions ou 112 millions pour l'informatique.

Après ces quelques éléments d'introduction, je vous propose de structurer mon propos autour de quatre axes.

Tout d'abord il faut relever la hausse conséquente des crédits alloués aux juridictions judiciaires, qui concerne tous les postes de dépense. 300 millions d'euros supplémentaires leur seraient alloués en 2023, soit une hausse de 9 % hors charges de pension. Les dépenses de fonctionnement augmenteraient de 5,5 %, et l'investissement dans l'immobilier, dont les juridictions ont cruellement besoin, de 12,5 %. La programmation retenue cible les situations les plus critiques parmi lesquelles le tribunal judiciaire de Bobigny ou celui de Mamoudzou.

Il s'agit surtout de financer la hausse des dépenses de personnel selon une trajectoire bien plus ambitieuse qu'en 2022. Il est ainsi proposé de créer 1 220 postes nets en 2023 contre seulement 40 en 2022. Il s'agit de 546 postes de titulaires dont 200 de magistrat, 191 de greffier et 155 de directeur de greffe. Comme en 2021 et 2022, le ministère poursuit également sa politique de recrutement de contractuels et propose de créer 674 postes nouveaux à cet effet, dont 300 de juristes assistants et 100 destinés à assurer des fonctions techniques de proximité.

Cette dynamique devrait se poursuivre dans les cinq prochaines années puisqu'est annoncé la création de 1 500 postes de magistrat, 1 500 de greffier et 2 000 de juriste assistant. Il faudrait pour cela former 500 auditeurs de justice et 1 000 greffiers par an, ce qui implique d'importants aménagements à l'École nationale de la magistrature et à l'École nationale des greffes. Ce sont donc des objectifs particulièrement ambitieux.

Pour renforcer l'attractivité des fonctions de magistrat, le PLF propose une revalorisation indemnitaire des magistrats judiciaires de 1 000 euros bruts en moyenne par mois. Si nous saluons ce geste, nous relevons que les primes seront attribuées proportionnellement à l'ancienneté, ce qui tendrait à nuancer cet apport pour les magistrats en début de carrière. Pour les fonctionnaires de greffe, le ministère de la justice fait valoir un effort de 165 euros bruts mensuels en moyenne pour les greffiers et 250 pour les directeurs de greffe.

Cette augmentation massive des effectifs doit impérativement s'accompagner d'une politique solide en matière de ressources humaines. Les besoins des juridictions doivent tout d'abord être mieux évalués. Les effectifs théoriques retracés dans la circulaire annuelle de localisation des emplois restent aujourd'hui fondés sur une évaluation imparfaite des besoins. De surcroît, les vacances de postes de magistrats, qui étaient devenues résiduelles en 2021, atteignent 3,52 % en 2022, ce qui n'est pas bon signe. La situation reste encore plus préoccupante dans les greffes, où l'on observait encore un taux de vacance de 7 %.

Le garde des Sceaux a indiqué dans nos échanges que les travaux sur l'évaluation de la charge de travail des magistrats, que nous appelons de nos voeux depuis le rapport d'information « Cinq ans pour sauver la Justice ! » d'avril 2017, devraient aboutir en fin d'année, ce qui est heureux.

Il importe également de moderniser les méthodes de travail des magistrats en créant des équipes pour lui permettre de se concentrer sur son office, de revaloriser le rôle des greffiers et de donner un avenir aux contractuels. Encore faut-il que les missions de chacun soient clarifiées au sein de cette « équipe », tant il devient difficile de s'y retrouver entre les assistants de justice, les juristes assistants, les contractuels de catégorie A « justice de proximité », les assistants spécialisés...

Le rapport rendu au garde des Sceaux en septembre dernier par Dominique Lottin sur « La structuration des équipes juridictionnelles pluridisciplinaires » pourrait permettre d'engager enfin ce changement sur des bases plus concrètes. Toutefois, ce sujet n'est pas consensuel car la coexistence de ces différents statuts crée des tensions importantes au sein des juridictions.

Deuxième axe de mon propos : les délais et les stocks d'affaires dans les juridictions, qui demeurent toujours bien trop importants.

En matière civile, le délai de traitement des affaires est passé de 11,4 mois en 2019 à 13,7 mois en 2021 devant les tribunaux judiciaires. Conséquence de ces délais, le stock d'affaires des tribunaux judiciaires a vieilli, passant de 13 à 18 mois en dix ans, même si le garde des Sceaux nous a indiqué avoir commencé à le faire diminuer entre 2021 et 2022, de 13 %. En matière pénale, la situation est particulièrement inquiétante puisqu'il faut désormais presque 50 mois en moyenne (49,4) en 2021 pour juger un crime en première instance.

Troisième axe, le numérique. Le ministère poursuit ses efforts dans ce domaine, mais le chemin est encore long... Près de 82 % des crédits d'investissement prévus au titre du premier plan de transformation numérique (PTN) du ministère auront été dépensés, soit près de 431,7 millions d'euros entre 2018 et 2022. L'effort sera poursuivi par un nouveau plan de transformation numérique (PTN 2) sur 2023-2027 ; doté de195 millions d'euros en 2023.

Le problème ne réside plus vraiment dans les moyens car les crédits sont là et les projets sont financés... Lors de nos auditions, les services du ministère ont indiqué avoir revu leurs méthodes et leurs priorités pour assurer une gestion de projet plus efficace. Malgré ces efforts, on constate toujours des dysfonctionnements structurels sur le terrain.

Le projet PORTALIS (qui concerne le civil) a connu d'importantes difficultés de gestion. Priorité est donnée désormais aux applicatifs métiers. Pour autant, le projet est toujours en phase d'expérimentation dans les conseils de prud'hommes et n'est toujours pas déployé dans les cabinets des juges aux affaires familiales alors que cela était annoncé pour 2022.

Le projet PPN (procédure pénale numérique) a semble-t-il mieux pris en compte les processus métiers. Il est jugé opérationnel par le ministère dans les 160 juridictions où ce projet est testé sur les classements sans suite. Il faut espérer que cette procédure fera réellement gagner du temps aux greffiers...

Enfin, dernier axe : le budget de l'accès au droit.

Il augmente de 26 millions d'euros pour financer l'augmentation de la rétribution des avocats à l'aide juridictionnelle consentie en 2021 et 2022 dans le cadre du rattrapage prévu sur la base du rapport « Perben » - même si la profession la juge inférieure à leurs attentes. En effet, l'unité de valeur est à 36 euros aujourd'hui, à comparer aux 40 euros préconisés par le rapport Perben et aux 42,2 euros souhaités désormais par le Conseil national des barreaux compte tenu de l'inflation.

Il augmente également de 2,4 et 2,7 millions d'euros pour les structures de proximité et l'aide aux victimes.

Quelques mots enfin sur les deux articles rattachés qui concernent la justice judiciaire.

Tout d'abord, l'article 44 du projet de loi, qui propose de prolonger de deux nouvelles années l'expérimentation de la tentative de médiation préalable obligatoire dans certaines affaires familiales votée en 2016. Nous n'y sommes pas opposées mais il sera grand temps de faire ensuite un réel bilan de ce dispositif avant une éventuelle généralisation, cette mesure ayant été votée il y a plus de six ans ;

Ensuite l'article 44 bis du projet de loi, qui a pour but de faciliter le recouvrement de l'aide juridictionnelle (AJ) versée par l'État à des personnes finalement non éligibles. Il s'agit du corollaire logique du dispositif qui permet dans certains contentieux de verser l'AJ à l'avocat sans vérifier a priori l'éligibilité du demandeur. La modification proposée vise à conférer aux bureaux d'aide juridictionnelle compétence pour constater l'inéligibilité du demandeur a posteriori et recouvrer les sommes versées.

Au bénéfice de ces observations, nous vous proposons d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes examinés dans cet avis.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Les crédits des programmes concernés au sein de la mission « Justice » augmentent de manière sensible ; il est donc difficile de ne pas y être favorable. Mais je suis frappée de voir que deux points aveugles subsistent dans cette programmation budgétaire et que le garde des Sceaux n'y a pas apporté de réponse satisfaisante. En premier lieu, l'impact de l'inflation n'est pas abordé : l'augmentation des crédits de la mission, de l'ordre de 8 %, est moins impressionnante dans un contexte où l'inflation s'élève à 6,1 %. La question de l'exécution est aussi passée sous silence. Le garde des Sceaux a indiqué, lors de son audition, que le taux d'exécution était excellent mais j'ai compris que la réalité était plus contrastée. Il est aisé de présenter des budgets chatoyants mais, au final, seule l'exécution compte.

Mon groupe regrette que la méthodologie des États généraux de la justice, qui consistait à clarifier le rôle de la justice avant d'y allouer des moyens supplémentaires, n'ait pas été suivie. Néanmoins, l'effort budgétaire est conséquent et soutenu depuis plusieurs années. Malgré cette augmentation des ressources, la justice reste insuffisamment dotée. Les créations d'emplois, qu'il s'agisse de postes de magistrats ou de greffiers, ne sont pas suffisantes. L'augmentation de la rémunération des magistrats ne résout pas la question de l'attractivité de la fonction qui est liée aux conditions de travail.

Je partage également la position du rapporteur sur la question de l'allongement des délais de jugement. L'extension du recours au juge unique a entraîné un accroissement considérable du recours en appel qui concerne désormais 25 % des jugements contre 16 % en 2008. Il est intéressant de constater que de plus en plus de justiciables considèrent qu'ils n'ont pas été « bien » jugés en première instance. Le délai de jugement des crimes a augmenté de deux mois. Les cours criminelles départementales ont été généralisées avant d'être évaluées, ce qui est un problème. Nous ne sommes donc pas au bout du chemin.

Deux points me semblent mériter notre attention. Sur la question des violences intrafamiliales, sexuelles et sexistes, les crédits alloués au bracelet anti-rapprochement sont en augmentation. Le fonctionnement de ce dispositif est chaotique. Cette augmentation est-elle liée à l'accroissement du recours au bracelet anti-rapprochement ou au changement de prestataire ? Par ailleurs, le projet de loi de finances ne mentionne pas la création d'une juridiction spécialisée dans ce domaine. Le garde des Sceaux m'a indiqué que la création de cette juridiction ne représentait pas un enjeu budgétaire majeur. Je suis satisfaite d'apprendre que cette mesure sera peu coûteuse à mettre en oeuvre, mais je trouve cet argument peu pertinent, d'autant que la commission des lois a déclaré que mon amendement sur le sujet irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution.

Je salue l'augmentation des crédits consacrés à l'aide juridictionnelle, mais j'observe qu'elle n'est toujours pas suffisante pour opérer le rattrapage nécessaire.

J'ajouterai qu'il ne faut pas passer sous silence les difficultés rencontrées dans le cadre de la transformation numérique du ministère.

Malgré ces regrets et ces motifs d'inquiétude, notre groupe donnera un avis favorable aux crédits des programmes concernés. Il déposera des amendements sur l'aide juridictionnelle, le numérique et l'aide aux victimes de violences intrafamiliales et la création d'une juridiction spécialisée.

M. Dany Wattebled. - Pour avoir une justice de qualité, il convient de disposer de gens bien formés. Mes questions portent donc sur le recrutement des juristes assistants. Quel est leur cursus ? Quel est le ratio du nombre de candidats par rapport au nombre de postes à pourvoir ?

M. Alain Marc. - J'ai assisté hier à la réunion de la commission des finances en ma qualité de rapporteur pour avis sur les crédits de l'administration pénitentiaire. La question du retard de paiement de l'aide juridictionnelle y a été abordée. Certains cabinets d'avocat sont en péril financier car ces aides mettent parfois deux ans à être réglées. Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit-il une solution à ce problème ?

Mme Muriel Jourda. - L'allongement des délais de jugement est une source d'inquiétude : plus la justice est lente et inefficace et plus nous glisserons vers la justice privée.

Il me semble que nous sommes en face d'un paradoxe qui m'interroge sur la crédibilité de la parole ministérielle : le garde des Sceaux nous a indiqué que le stock des affaires à traiter avait diminué de 13 % mais, dans le même temps, les délais de jugement ont continué à s'allonger, comment cela est-il possible ?

M. Philippe Bas. - Il est difficile de ne pas soutenir le budget de la justice qui, depuis plusieurs années, est en augmentation. Mais il faut rapporter aux performances de ce service public les moyens mis en oeuvre. Les performances, quoi qu'en dise le garde des Sceaux, ne s'améliorent pas. Est-ce lié au fait qu'on a considéré qu'il fallait combler les vacances de postes en créant les emplois budgétaires, sans jamais s'interroger sur les emplois nécessaires compte tenu de l'augmentation régulière du contentieux ? Nous comptons en moyenne 2,2 millions de décisions en matière civile et 800 000 en matière pénale. Un travail de remise à plat des moyens nécessaires au bon fonctionnement de la justice s'impose.

Il est également permis de s'interroger sur la capacité du ministère de la justice à consommer ses crédits d'investissement. Près d'un tiers de ces crédits ne sont pas consommés. Cela représente donc un budget colossal et entraîne du retard dans les travaux et les constructions que le législateur a pourtant jugés nécessaires. Pour rappel, il n'y a que 60 000 places de prison pour 72 000 détenus. Le ministère de la justice est incapable de gérer ces crédits de manière dynamique et de réaliser ses projets. Peut-on faire des propositions pour que la justice soit auditée de manière plus approfondie sur le bon emploi de ses moyens ?

Mme Nathalie Goulet. - Pourriez-vous m'apporter des précisions sur les programmes de lutte contre la radicalisation, notamment l'expérimentation du quartier de prise en charge de la radicalisation (QPR) au centre pénitentiaire de Rennes ? Nous organisons d'ores et déjà le rapatriement de femmes et d'enfants, avez-vous identifié un maintien ou une augmentation des crédits consacrés au suivi des personnes radicalisées ?

Mme Brigitte Lherbier. - Je suis satisfaite de voir le budget de la justice augmenter. Nous le réclamons depuis des années.

L'augmentation du nombre de magistrats est évidemment essentielle, tout comme la question de leur formation. Les étudiants doivent être encouragés dans cette voie dès la première année de leurs études supérieures.

J'aurais par ailleurs souhaité que le garde des Sceaux s'attarde sur l'idée de créer une juridiction spécialisée en matière de lutte contre les violences intrafamiliales. Un petit bémol : à Lille, 270 ordonnances de placement n'ont pas exécutées par manque de place, alors que les enfants sont en grand danger. Il faut examiner la chaîne judiciaire du début à la fin.

Concernant l'aide juridictionnelle, un avocat me disait : pourquoi ne pas encourager la résolution à l'amiable des litiges avant de se lancer dans des procédures contentieuses ? C'est tout l'enjeu de la médiation qui devrait être intégrée à l'aide juridictionnelle. Cela permettrait de résoudre les litiges plus rapidement.

Mme Marie Mercier. - Pour répondre à notre collègue Nathalie Goulet, la question des moyens consacrés au programme de prévention de la radicalisation avait été posée lors de notre déplacement à Rennes. La somme de 60 000 euros avait été annoncée mais nous avions eu du mal à comprendre à quoi ces fonds correspondaient exactement et s'ils étaient pérennes.

Mme Esther Benbassa. - Je réagis aux propos de Nathalie Goulet et Marie Mercier. À Rennes, on ne parvient pas à transférer des personnes détenues pour radicalisation. Je pense au cas d'Inès Madani, qui a tenté de faire exploser des bonbonnes de gaz près de Notre-Dame. Elle a dû être transférée en centre pénitentiaire d'Orléans-Saran où il n'y a pas de quartier spécialisé. À la prison de Rennes, je n'ai vu que deux détenues lorsque je m'y suis rendue en mai dernier. Nous rapatrions en ce moment des personnes radicalisées. Il faudrait rendre ces structures plus visibles et faire preuve de plus de réactivité car les résultats de ce programme ne sont pas satisfaisants.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Marie-Pierre de La Gontrie, nous sommes dans une période particulière post-États généraux de la justice, qui prônaient une vision de l'institution à 360°. Pour le moment, le budget est entre deux eaux parce qu'il est difficile de faire de la planification budgétaire tant qu'on ne connaît pas les réformes qui seront engagées. Le projet de loi de finances se contente d'essayer de rattraper les conséquences de plusieurs années de décrochage budgétaire.

Dany Wattebled, vous pointez une difficulté essentielle : l'embauche de contractuels qui appartiennent à des statuts très variés peut poser des difficultés en juridiction. À titre d'exemple, en audition, l'association des juristes assistants de magistrats nous a ainsi indiqué qu'il était très difficile, pour ces personnels, de trouver leur place parmi les professionnels qui travaillent avec les magistrats, alors qu'aucune doctrine sur une véritable « équipe du magistrat » n'existe encore. Pour répondre à votre question, les juristes assistants sont titulaires d'un master ou d'un doctorat avec deux ans d'expérience professionnelle dans le domaine juridique.

Aujourd'hui, ce qui importe, c'est de structurer les équipes autour du juge. Il est donc nécessaire de procéder à une réorganisation structurelle au-delà de la hausse ponctuelle des moyens humains. Les embauches doivent être pérennes. Le recours systématique aux agents contractuels n'est pas la solution, même si les postes sont pérennisés. On constate que certains des agents contractuels ont été recrutés sur des postes de communicants ou pour servir de relais avec les élus locaux. Or, ces postes ne sont pas au coeur de l'action de la justice judiciaire, ce qui peut interroger.

Je ne peux malheureusement pas répondre de manière précise à la question d'Alain Marc sur l'évolution des délais de paiement de l'aide juridictionnelle. Ces délais ont toutefois vocation à s'améliorer avec la mise en place du nouveau système d'information de l'aide juridictionnelle (SIAJ).

Muriel Jourda, vous parlez du paradoxe entre l'allongement des délais de jugement et la diminution des stocks. Vous avez raison : les deux vont de pair. L'allongement des délais de jugement a pour corollaire le vieillissement du stock d'affaires à traiter. Je vous ai donné l'exemple du civil, où le stock a « vieilli » en dix ans, en passant de 13 à 18 mois. Ce que le garde des Sceaux nous a indiqué, c'est que grâce notamment au recrutement de contractuels ces dernières années, ce stock avait commencé à diminuer entre 2021 et 2022, de 13 %. Les dossiers qui restent en stock sont d'ailleurs souvent les plus complexes. Cette situation est d'autant plus préoccupante que la procédure pénale a tendance à se complexifier d'année en année.

Philippe Bas, il est effectivement nécessaire d'améliorer l'évaluation des besoins de l'institution. Le garde des Sceaux nous a indiqué que le travail sur l'évaluation de la charge de travail des magistrats devrait être achevé avant la fin de l'année. Les magistrats que nous avons entendus sont associés à ce travail et plutôt satisfaits de cette démarche qu'ils appelaient de leurs voeux depuis longtemps. Nous attendons toutefois d'en voir le résultat. En ce qui concerne les greffiers, l'évaluation se fait par le biais d'Outilgreffe, une application qui ne permet qu'une appréciation quantitative et non pas qualitative. Si cet outil a le mérite d'exister, il faudrait aussi pouvoir le faire évoluer.

Comme vous, nous déplorons chaque année la sous-consommation des crédits d'investissement. Cette situation est liée à la structure même de l'ingénierie du ministère de la justice qui est mauvais gestionnaire de patrimoine et mauvais conducteur de travaux. C'est aussi le cas pour les investissements en informatique, par exemple. Les effectifs des fonctions support sont progressivement renforcés pour disposer de réelles compétences en matière de gestion de projets immobiliers ou informatiques. On nous explique aussi souvent que les projets de construction d'établissements pénitentiaires sont freinés par la résistance des élus locaux mais il s'agit plutôt, à mon sens, d'une incapacité du ministère à prendre en main ces sujets.

Sur la question de la prise en charge des personnes radicalisées dans les établissements pénitentiaires, je laisserai Alain Marc vous répondre car ce sujet relève du budget de l'administration pénitentiaire.

Concernant la formation des étudiants, je partage l'avis de Brigitte Lherbier : il convient de multiplier les liens entre l'institution judiciaire et la formation initiale et continue. Il me semble également indispensable de favoriser l'apprentissage en milieu judiciaire qui en est aujourd'hui complètement absent.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature » de la mission « Justice ».

Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Justice » - Programme « Administration pénitentiaire » - Examen du rapport pour avis

M. Alain Marc, rapporteur pour avis. - Monsieur le président, mes chers collègues, nous poursuivons l'examen des crédits de la mission « Justice » en abordant le programme 107 consacré à l'administration pénitentiaire. En 2023, les crédits dépassent 4,9 milliards d'euros, ce qui correspond à plus de 50 % des crédits de la mission.

Pour la troisième année consécutive, ces crédits s'inscrivent en forte hausse, avec une augmentation de 7 % par rapport à la loi de finances pour 2022, hors crédits affectés au compte d'affectation spéciale Pensions. Je rappelle pour mémoire que la hausse avait atteint 9 % en 2022 et en 2021.

Ces moyens supplémentaires sont bienvenus car les besoins sont immenses, qu'il s'agisse de répondre au manque de personnel ou de procéder aux investissements immobiliers nécessaires à la remise à niveau de notre parc pénitentiaire. J'ai cependant eu le sentiment, au cours de mes auditions, que ces moyens supplémentaires n'avaient pas encore d'effets positifs vraiment perceptibles sur le terrain. Ce décalage peut s'expliquer, à mon avis, par deux éléments : d'abord, une part importante des moyens est affectée à la poursuite du programme « 15 000 » de construction de nouvelles places de prison, ce qui réduit d'autant les moyens pouvant être consacrés aux établissements existants ; ensuite, le retour de la surpopulation carcérale - un pic de 72 350 détenus a été atteint cette année - entraîne, mécaniquement, une surcharge de travail pour le personnel pénitentiaire ainsi qu'une dégradation des conditions de détention.

Comme je vous l'indiquais, le programme « 15 000 » absorbe une part importante des moyens alloués à l'administration pénitentiaire : 417 millions d'euros sont prévus pour les investissements immobiliers ; et sur les 809 créations d'emplois annoncées en 2023, la majorité - 489 exactement - servira à doter en personnel les nouveaux établissements.

Si l'on fait le point sur l'état d'avancement du programme, force est de constater que peu d'ouvertures ont eu lieu au cours de l'année écoulée. Je vous rappelle que le programme était divisé en deux phases : 7 000 places étaient censées être livrées au cours de la période 2017-2022 et les 8 000 places suivantes devaient être achevées entre 2022 et 2027. Il convient par ailleurs de préciser que ces 15 000 nouvelles places ne découlent pas toutes de décisions prises lors du quinquennat précédent ou du quinquennat actuel : certaines créations de places livrées ces dernières années avaient été prévues alors que Michèle Alliot-Marie ou Jean-Jacques Urvoas étaient ministres de la justice. La première phase a pris beaucoup de retard, puisqu'en cette fin d'année 2022, seules 2 081 places ont été livrées. Vous vous souvenez que le garde des sceaux a justifié ce retard, lors de son audition, en évoquant différents facteurs : la difficulté de trouver les terrains, la crise de la covid-19, les contraintes liées à la réglementation environnementale et certains recours en justice qui se sont éternisés.

Dans l'année qui vient, plusieurs ouvertures d'établissements sont cependant attendues, pour un total de 3 700 places : ouverture des centres de détention de Koné, en Nouvelle-Calédonie, et de Fleury-Mérogis ; ouverture des centres pénitentiaires de Troyes et de Caen ; achèvement de la première phase des travaux à Bordeaux-Gradignan, ce qui permettra à cet établissement de disposer de 250 places supplémentaires, particulièrement utiles quand on sait que le taux d'occupation y dépasse actuellement les 200 % ; enfin, ouverture de neuf structures d'accompagnement vers la sortie (SAS), qui visent à préparer la remise en liberté des détenus qui arrivent en fin de peine.

J'ai auditionné le directeur général de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ), qui m'a indiqué que l'échéancier des projets après 2023 était compatible avec un achèvement du programme à la date prévue de 2027. À la lumière du retard pris pour la première phase du programme, et compte tenu des aléas inhérents à des chantiers de cette ampleur, de la pénurie de certains matériaux et des difficultés de recrutement dans le secteur du BTP, je ne serais cependant pas surpris si les derniers établissements étaient livrés après cette échéance. J'ajoute que le retour de l'inflation, notamment concernant les prix de l'énergie, entraînera nécessairement des surcoûts dont l'ampleur reste difficile à évaluer mais qui pourraient conduire à étaler dans le temps certains projets.

Je l'ai également interrogé sur d'éventuels projets immobiliers pour Mayotte, où nous nous sommes rendus l'an dernier dans le cadre d'une mission d'information avec François-Noël Buffet, Stéphane Le Rudulier et Thani Mohamed Soilhili. Les réponses du directeur général furent imprécises et laconiques ; il a invoqué des difficultés à trouver et acquérir des terrains, laissant entendre que rien n'a été prévu pour l'instant.

Les crédits inscrits dans le projet de loi de finances permettront aussi de financer des actions de rénovation et de sécurisation du parc pénitentiaire existant, ainsi que des mesures de revalorisation indiciaire et indemnitaire pour les différentes catégories du personnel.

Concernant la sécurité des établissements, je signale que l'administration pénitentiaire déploie, depuis quelques années, un nouveau système de brouillage des communications téléphoniques, qui semble plus performant que le précédent au vu des témoignages recueillis. Elle équipe également certains établissements, jugés plus à risques, de dispositifs « anti-drones », qui permettent de détecter puis de prendre le contrôle des appareils. Les drones sont désormais utilisés pour tenter d'introduire en détention des produits stupéfiants ou des téléphones portables notamment.

En ce qui concerne la rémunération des personnels, une enveloppe de 32,4 millions d'euros est prévue pour revaloriser l'ensemble des corps de l'administration pénitentiaire. Elle s'ajoute aux effets de la hausse du point d'indice qui entraîne une dépense de 58,6 millions d'euros en année pleine. Elle permettra notamment de financer des mesures indiciaires ou indemnitaires en faveur des directeurs des services pénitentiaires (DSP) et des directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation (DPIP) afin de rapprocher leur rémunération du niveau de celle des administrateurs de l'État. Les surveillants pénitentiaires bénéficieront en outre de l'extension en année pleine de la mesure, décidée en 2022, de fusion des grades de surveillant et de brigadier. Le passage des agents pénitentiaires de la catégorie C à la catégorie B a aussi été évoqué récemment, ce qui signifie que ces agents devraient être titulaires du baccalauréat pour candidater. Cette mesure appelle à la prudence au regard des difficultés actuelles de recrutement du personnel pénitentiaire : 1 000 postes ouverts par concours ne signifient pas 1 000 postes disponibles dans les centres pénitentiaires.

Si l'effort budgétaire en faveur de l'administration pénitentiaire est significatif, il se déroule dans un contexte d'augmentation de la population carcérale, qui a pour effet de dégrader les conditions de travail du personnel ainsi que les conditions de détention.

Vous connaissez les chiffres de la population carcérale : après la forte baisse observée en 2020, en raison de la crise sanitaire, la population carcérale est repartie à la hausse et elle se rapproche désormais de ses plus hauts niveaux historiques : le 1er octobre dernier, on dénombrait 72 350 détenus, soit 3 000 de plus qu'il y a un an. En conséquence, le taux d'occupation se rapproche des 120 % et il dépasse même 140 % dans les maisons d'arrêt. Il reste un peu inférieur à 100 % dans les établissements pour peine. À ce jour, la mise en oeuvre du programme 15 000 n'a donc pas été assez rapide pour remédier au problème lancinant de la surpopulation carcérale. À court terme, l'administration pénitentiaire anticipe une stabilisation mais pas une franche amélioration, puisqu'elle table sur un taux d'occupation qui serait encore de 134 % dans les maisons d'arrêt en 2025.

Ce contexte a conduit le Gouvernement à faire voter à l'Assemblée nationale un amendement portant article additionnel, rattaché aux crédits de la mission, pour reporter du 31 décembre 2022 au 31 décembre 2027 la date d'application du principe de l'encellulement individuel. Affirmé dès 1875, ce principe est désormais inscrit dans le nouveau code pénitentiaire, qui prévoit cependant la possibilité d'y déroger « lorsque la distribution intérieure des locaux ou le nombre de personnes détenues présentes ne permet pas son application ». Je crois que le principe de réalité doit nous conduire à accepter ce nouveau report, sauf à affirmer dans la loi un principe qui serait immédiatement démenti dans les faits.

La surpopulation carcérale dégrade les conditions de travail du personnel puisque les schémas d'emplois des établissements sont fixés sur la base de leur capacité théorique, et non en fonction du nombre de détenus réellement accueillis. Le nombre d'heures supplémentaires se maintient à un niveau élevé, soit 5,4 millions d'heures supplémentaires en 2021, en dépit des créations d'emplois de ces dernières années. Pour les surveillants pénitentiaires, les difficultés de recrutement restent fortes : lors du dernier concours, 30 % des emplois offerts n'ont pas été pourvus, alors que les besoins sont immenses, pour faire face à l'ouverture des nouveaux établissements mais aussi au départ en retraite des générations nombreuses recrutées à l'époque du plan Chalandon lancé en 1987.

L'effort d'amélioration des conditions de travail et de revalorisation des rémunérations doit donc impérativement être poursuivi. Je suggère également d'explorer d'autres leviers pour renforcer l'attractivité des métiers, par exemple en construisant, là où l'administration pénitentiaire dispose d'emprises foncières, des logements à un prix accessible. Il s'agit d'une recommandation formulée par la commission depuis quatre ans, qui ne coûterait rien à l'administration pénitentiaire et qui est d'ailleurs soutenue par les organismes d'habitations à loyer modéré, à condition que les terrains leur soient fournis. 17 lieux auraient été répertoriés par l'administration pénitentiaire, qui pourraient permettre la création de logements à destination des surveillants pénitentiaires, qui verraient ainsi leurs conditions de travail s'améliorer fortement, mais aussi des policiers ou des autres personnels de sécurité. Le coût du logement est en effet une véritable difficulté pour les nombreux surveillants qui débutent leur carrière en région parisienne, au regard d'un salaire de départ de 1 600 à 1 800 euros mensuels. Deux projets de ce type sont en cours à Fleury-Mérogis et à Savigny-sur-Orge, mais ils ont pris du retard.

La surpopulation carcérale pèse enfin sur les perspectives de réinsertion des détenus. Dans un établissement surpeuplé, l'accès au travail et à la formation, aux activités culturelles et sportives, aux soins en cas de problème de santé, les rendez-vous avec le conseiller pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP), deviennent plus compliqués et tendent à s'espacer. Actuellement, seulement 30 % des détenus travaillent en établissement pénitentiaire, bien loin de la cible de 50 % fixée dans le programme annuel de performance, et 9 % bénéficient d'une formation générale ou professionnelle. Dans le prolongement de la réforme votée dans le cadre de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire, le projet de loi de finances prévoit d'augmenter les moyens alloués au travail en détention. Une enveloppe de 2,8 millions d'euros est notamment destinée à améliorer le statut du détenu travailleur.

En dépit de ces difficultés qu'il me paraissait important de vous rappeler, je vous proposerai, pour terminer, d'émettre, comme l'an dernier, un avis favorable à l'adoption des crédits de l'administration pénitentiaire, compte tenu de l'effort important réalisé tant sur les recrutements que sur l'immobilier et sur la sécurisation des établissements. De même, je vous proposerai d'émettre un avis favorable à l'adoption de l'article rattaché relatif à l'encellulement individuel, pour les raisons que j'ai évoquées tout à l'heure. La remise à niveau et la modernisation des moyens de notre administration pénitentiaire constituent un chantier au long cours dont ce projet de budget marque seulement une étape.

M. Jean-Pierre Sueur. - Je salue le travail du rapporteur. La question des prisons est récurrente dans ses présupposés et ses résultats. En trente ans, 36 000 places de prison ont été construites. Or, le taux de surpopulation carcérale est resté le même. Le programme visant à créer 15 000 places supplémentaires verra sans doute le jour en 2027. Mais dans dix ans, la commission des lois constatera peut-être que le taux de surpopulation est resté le même... Il est donc nécessaire de s'interroger sur ce phénomène et sur le présupposé selon lequel on accroîtrait la sécurité publique en enfermant davantage de personnes.

On compte aujourd'hui environ 72 000 détenus. Dans les maisons d'arrêt, le taux de surpopulation est de 141,5 %, si bien que 2 000 détenus sont dans des cellules de 9 m2 comprenant trois personnes avec un matelas au sol. Vous connaissez tous les constats dressés par l'Observatoire international des prisons à ce sujet, ainsi que les condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l'homme.

C'est pourquoi une évolution est nécessaire afin de donner plus de place aux peines alternatives ainsi qu'aux aménagements de peine. Cette proposition peut paraitre utopique ; elle nous semble au contraire réaliste. Lors de la crise liée à la covid-19, la population carcérale a diminué, sans que la criminalité n'augmente. Cela doit nous inciter à réfléchir. Robert Badinter disait que la condition pénitentiaire était la cause principale de récidive.

Il est donc nécessaire de mieux préparer la formation professionnelle, la réinsertion et la sortie de prison des personnes détenues - quitte à ce qu'elles soient moins nombreuses -, pour davantage d'efficacité.

Le groupe socialiste, écologiste et républicain proposera un amendement pour supprimer la prolongation du moratoire sur l'encellulement individuel. Nous avions tous voté le projet de loi rapporté par notre collègue Jean-René Lecerf en 2008, puis accepté de reporter l'application du principe d'encellulement à plusieurs reprises. Toutefois, ce nouveau report risque d'envoyer le signal qu'il ne s'agit que d'une pure déclaration. Il faut s'attacher à l'objectif de l'encellulement individuel, ce qui suppose de développer les peines alternatives et les aménagements de peine.

Nous proposerons d'autres amendements pour augmenter les crédits en faveur de la formation, la rémunération du travail, et l'accès à la santé des personnes détenues - je n'ai pas besoin de vous rappeler la misère de la psychiatrie en prison.

M. Dany Wattebled. - Je remercie le rapporteur pour son excellent rapport. Il a évoqué des pistes d'amélioration de l'attractivité des métiers de l'administration pénitentiaire, notamment financières. Y en a-t-il d'autres, par exemple s'agissant des conditions de travail ?

Par ailleurs, l'objectif d'un encellulement individuel pour 2027 vous paraît-il réaliste ?

M. François Bonhomme. - J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt le rapport très précis du rapporteur. Je comprends qu'il accepte le nouveau report de l'application du principe d'encellulement. Pour autant, l'horizon s'éloigne toujours un peu plus, donnant l'impression qu'il ne s'agit pas d'une priorité du Gouvernement. Je n'ignore pas les difficultés de mise en oeuvre de ce principe, portant notamment sur la constitution de réserves foncières, la formulation de recours par les justiciables ou encore la réglementation environnementale ; toutefois, elles ne suffisent pas à expliquer le retard pris dans la réalisation de ce programme immobilier - d'autant moins que le Gouvernement avait déjà repoussé l'échéance lors du précédent quinquennat présidentiel, annonçant par la voix du garde des Sceaux Nicole Belloubet que deux mandats seraient nécessaires.

Nous constatons aujourd'hui que le retard pris est considérable, même si le Gouvernement a tenté de l'occulter en jouant sur l'ambiguïté entre l'engagement de la construction des places, d'une part, et leur livraison et réception, de l'autre.

La politique pénale s'en ressent, et les conditions de détention également. Il s'agit donc d'une défaillance majeure ; pour mener à bien ce projet, le ministère de la justice devrait faire preuve d'une volonté plus forte.

Mme Esther Benbassa. - Le rapport est d'une grande qualité, de même que les auditions qui ont été menées et auxquelles j'ai assisté.

S'agissant du recrutement de femmes aux postes de surveillants de prison, la construction de crèches a été mentionnée lors des auditions comme un facteur potentiel pour augmenter l'attractivité des postes, notamment auprès des femmes.

Mme Françoise Gatel. - On compte actuellement 500 postes de directeurs de services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), dont 120 ne sont pas pourvus. Or, les services de prévention de la récidive sont très importants. Ce déficit d'attractivité s'explique notamment par l'écart dans les grilles de salaires avec les directeurs d'établissements pénitentiaires. De plus, un directeur de SPIP touche seulement 100 euros de plus par mois qu'un conseiller d'insertion et de probation ! Dans ces conditions-là, des conseillers d'insertion et de probation, tout aussi passionnés soient-ils, ne sont pas encouragés à prendre les lourdes responsabilités qui incombent aux directeurs.

Mme Laurence Harribey. - Développer les aménagements de peine suppose de renforcer les métiers de l'insertion. Je rappelle que les directeurs appartiennent à la catégorie A, si bien que le manque de candidats s'explique par d'autres facteurs. Nous remettrons bientôt, Marie Mercier et moi, notre rapport sur les SPIP, où nous montrons que notre pays est à la croisée des chemins sur ces sujets. Alors que d'autres pays développent une logique probatoire et d'insertion, la France maintient une logique essentiellement carcérale. Or celle-ci est une voie sans issue !

M. Éric Kerrouche. - Je souscris aux propos de Laurence Harribey et de Jean-Pierre Sueur. Il y a quelques années est paru le livre Prisons de la misère de Loïc Wacquant, qui a montré les limites du modèle carcéral. Nous sommes aujourd'hui confrontés au tonneau des Danaïdes. Notre modèle français sécrète de la délinquance. Il faut sortir du modèle du tout carcéral, en mettant l'accent sur la probation et sur les peines alternatives. Nous devons sortir d'un modèle qui ne fonctionne pas mais que l'on s'obstine malgré tout à défendre.

M. Alain Marc, rapporteur pour avis. - L'objectif de la réunion de ce matin est uniquement d'émettre un avis budgétaire sur les crédits du programme « Administration pénitentiaire ». Vous soulevez des questions intéressantes, qu'il ne m'incombe néanmoins pas de résoudre.

En outre, avant de tout réformer, nous aurions besoin d'une évaluation précise des dispositifs existants. Par exemple, quel est le taux de récidive à l'issue d'un passage dans un SAS ?

Il est possible de développer des peines alternatives pour des faits de petite délinquance, par exemple au moyen des travaux d'intérêt général. Mais aujourd'hui, il n'est pas rare que quinze mois s'écoulent entre la commission des faits et les travaux d'intérêt général ! Il est donc nécessaire de réduire ces délais, afin que les sanctions revêtent une véritable efficacité pédagogique.

Comme le rappelait Esther Benbassa, la question de la présence de crèches sur le lieu de travail a été évoquée lors des auditions. En outre, comme je l'ai dit précédemment, de nombreux syndicats souhaiteraient la création de logements sur les espaces appartenant au ministère de la justice. Alors même que 17 terrains ont déjà été identifiés à cette fin, et en dépit des travaux menés sur le sujet par la commission des lois, les choses n'avancent pas.

S'agissant des rémunérations, la différence est en effet minime entre les directeurs et les conseillers d'insertion et de probation, et joue contre l'attractivité de ces métiers ; il est donc nécessaire de creuser cet écart. En outre, un directeur d'établissement pénitentiaire avec vingt ans d'ancienneté touche seulement 3 000 euros par mois, hors indemnités ! Il s'agit pourtant d'un métier difficile, qui nécessite plusieurs années d'études. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que les candidats soient peu nombreux.

Enfin, il serait nécessaire, dans le cadre de travaux que pourraient mener ultérieurement la commission, de se pencher sur les systèmes qui existent dans les pays étrangers qui ont fait le choix de diminuer la part du carcéral et d'augmenter la part de la probation. En tout état de cause, comme je le disais, ces considérations dépassent le cadre de l'avis budgétaire.

M. François-Noël Buffet, président. - Je pense qu'il convient d'éviter les excès, quels qu'ils soient, et que le système doit être équilibré  L'enjeu essentiel est l'efficacité de la sanction, qui dépend de la rapidité de la réponse et de l'exécution de la peine. La question est donc avant tout une question de moyens. Il est important que, lorsqu'un tribunal condamne quelqu'un à une peine qui n'est pas privative de liberté, celle-ci puisse être exécutée rapidement ; lorsqu'une condamnation à une peine privative de liberté a été prononcée, la personne condamnée doit pouvoir être incarcérée.

Il ne faut pas, par principe, exclure l'incarcération - sinon, aucune politique pénale cohérente n'est possible.

M. Alain Marc, rapporteur pour avis. - Je suis d'accord : un condamné à une courte peine doit l'effectuer, et dans de bonnes conditions ! La situation qui conduit à libérer des multirécidivistes est dommageable. Le problème central réside dans l'application des peines.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Administration pénitentiaire ».

Projet de loi de finances pour 2023 -Mission « Justice » - Programme « Protection judiciaire de la jeunesse » - Examen du rapport pour avis

Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Le programme 182 représente 9,4 % des crédits de la mission « Justice » pour 2023. Il serait doté de 1,10 milliard d'euros en autorisations d'engagement et 1,08 milliard d'euros en crédits de paiement, soit une augmentation de 11,2 % en autorisations d'engagement et de 10,4 % en CP par rapport à la loi de finances pour 2022. L'enjeu n'est donc pas le montant des crédits alloués mais leur allocation.

Dans le prolongement des années précédentes, je souhaite me concentrer sur trois défis majeurs auxquels fait face la PJJ : la redynamisation du milieu ouvert, les difficultés de recrutement et la mise en oeuvre progressive de l'applicatif métier PARCOURS.

Je rappelle que le code de la justice pénale des mineurs est en vigueur depuis maintenant un peu plus d'un an. Nous savons qu'il a entrainé un bouleversement de la manière de travailler des services placés auprès des juridictions, dont l'activité a considérablement augmenté, d'après les premiers retours sur la réforme. Mais cette réforme a aussi, peut-être surtout, un impact sur le milieu ouvert, soumis à la nécessité d'organiser une prise en charge avant l'audience de sanction.

Le code de la justice pénale des mineurs peut être un levier de la redynamisation du secteur ouvert qui est un des axes de travail de la PJJ appuyé sur les assises du placement judiciaire, closes en octobre dernier.

Le récent rapport sur la délinquance des mineurs, dont les rapporteurs pour la commission des lois étaient nos collègues Muriel Jourda et Laurence Harribey, a pointé plusieurs difficultés auxquelles fait face le milieu ouvert aujourd'hui, alors même qu'il est chargé de la très grande majorité des mesures judiciaires. Ces difficultés sont de trois ordres : le manque de coordination avec les autres acteurs en charge de l'insertion des jeunes, le manque de personnels et le manque de bâtiments ou leur état.

Le budget pour 2023 tend à apporter des réponses. Sur les 92 postes qui devraient être créés au cours de l'année, 24 seraient consacrés à la généralisation sur le territoire d'une fonction qui paraît utile, celle de « correspondant du milieu d'insertion ». Ces personnels, qui viennent à l'appui des éducateurs, doivent permettre une meilleure connaissance des dispositifs d'insertion existant, en dehors de la PJJ, que ce soit du côté de l'Éducation nationale ou des missions locales et surtout des échanges plus fluides. À juste titre, la mission d'information sur la délinquance a noté les difficultés que posent pour l'insertion le fonctionnement en silo entre ces différents acteurs et le manque de coordination, qui peut aboutir à faire cesser brusquement des projets pourtant prometteurs.

Les postes créés devraient également contribuer à renforcer les équipes territoriales faisant face à un manque d'éducateurs en créant dans chaque région un groupe d'éducateurs volants.

Les unités éducatives d'accueil de jour devraient elles aussi voir leurs effectifs renforcés dans l'optique, à moyen terme, d'augmenter leur nombre et d'améliorer leur répartition. Ces unités sont en charge de la mise en oeuvre d'un dispositif créé par la loi de programmation 2018-2022 pour la justice, la mesure éducative d'accueil de jour, qui est expérimentée depuis 2019 et sera généralisée en lien avec l'application du CJPM. La mesure éducative d'accueil de jour permet une prise en charge continue des jeunes sur des activités d'insertion sociale, scolaire et professionnelle. Elle constitue de fait un intermédiaire entre le milieu ouvert « classique » et le placement.

46 millions d'euros sont prévus pour la construction de 12 nouvelles unités d'accueil de jour. Ce projet se heurte néanmoins à la hausse des coûts de la construction et à la difficulté pour le service de l'immobilier ministériel d'assurer l'organisation d'un nombre toujours plus important de chantiers.

Dans l'ensemble, si la PJ a obtenu des crédits de construction, les crédits de rénovation des structures existantes ne sont pas à la hauteur des demandes et des besoins. Même si les incertitudes économiques font qu'il est délicat d'évaluer le coût des chantiers et que tous ne peuvent être conduits de front, l'état de délabrement de plusieurs structures justifie que l'attention portée par la PJJ sur les rénovations soit soutenue dans le temps.

L'attention croissante portée au milieu ouvert est bienvenue. Au cours des dernières années, nous avons en effet eu l'occasion de nous inquiéter de la place très importante prise par la création des CEF dans l'augmentation du budget de la PJJ, près d'un quart sur les trois dernières années, alors même que les besoins du milieu ouvert étaient très importants.

J'en viens donc à la question des centres éducatifs fermés dont le développement a constitué un axe majeur de la politique du Gouvernement ces dernières années. Le programme de 20 nouveaux CEF (5 publics et 15 privés) n'aura finalement pas pu être mis en oeuvre, pour partie du fait des résistances locales à l'implantation de ces structures. Il semble aujourd'hui que la PJJ soit amenée à renoncer à 3 ou 4 projets qui ne pourront aboutir. Parallèlement, deux nouveaux projets de CEF ont vu le jour. L'un à Mayotte, nous l'avions évoqué avec le ministre, pour souligner que les circonstances locales plaident, à notre sens, pour que ce soit un CEF public. L'autre a été annoncé en août 2021 à Varenne-le-Grand, en Saône-et-Loire.

Depuis 2019, seuls trois établissements ont été livrés, les CEF d'Épernay, de Saint-Nazaire et, en février 2022, celui de Bergerac. Les travaux du CEF de Charente-Maritime sont toujours en cours, tandis que des études de maîtrise d'oeuvre sont toujours menées pour le CEF de Haute-Saône. Aucun nouveau CEF ne devrait être inauguré en 2023 mais 5 pourraient l'être en 2025.

Les CEF, rappelons-le, sont un mode de placement qui permet d'éviter l'incarcération et qui tend à permettre l'insertion en agissant sur des effectifs réduits avec des moyens importants. Ils ont donc toute leur place dans l'échelle des réponses à apporter à la délinquance des mineurs. Cependant, les conditions de la réussite de tels projets s'avèrent particulièrement difficiles à réunir. Il faut une équipe mobilisée et stable, un emplacement qui fasse sens au regard de l'objectif d'insertion, et une relation efficace avec les partenaires de la PJJ, au premier rang desquels l'Éducation nationale. Ces exemples de réussite existent mais ils font encore figure d'exception. Un rapport de la Cour des comptes est semble-t-il en cours sur cette question, qui apportera un éclairage nécessaire sur ces structures dont nous avons plusieurs fois demandé l'évaluation.

Sous-jacente aux difficultés de la PJJ est la question des personnels. Il s'agit là d'une véritable inquiétude de la part de la direction qui pointe un taux de vacance de postes de 6 % et un niveau de rotation élevé sur plusieurs postes difficiles. Le taux de contractuels dans la PJJ, supérieur à 20 %, et leur renouvellement, est lui aussi élevé. Sur les 1 564 sorties et les 1 656 entrées prévues en 2023, plus de 40 % des flux sont liés à des recrutements d'agents contractuels ou des fins de contrats. Si de nouveaux postes sont créés chaque année, nous avons noté par le passé que tous ne parviennent pas à être pourvus.

Face à ce manque d'attractivité, qui rejoint celui de l'ensemble des métiers du social, le Garde des Sceaux a souligné lors de son audition l'important effort accompli en matière salariale pour les agents titulaires. 18 millions sont ainsi affectés à la revalorisation des grilles des directeurs de service. Les agents contractuels ont également été bénéficiaires de mesures de revalorisation de leurs salaires.

La revalorisation salariale est nécessaire, mais elle n'est apparemment pas suffisante, au moins à court terme. Il faut également redonner du sens aux métiers de la PJJ avec des orientations claires et mobilisatrices et la volonté d'agir pour l'insertion des jeunes. Les moyens déployés à cette fin peuvent aller en ce sens.

Un point sur un sujet qui a pu faire polémique et sur lequel le Garde des Sceaux a souhaité revenir lors de son audition. Le Ministre tient à la mise en oeuvre d'un partenariat avec l'armée pour l'encadrement de certains jeunes. Ce sont des réservistes de l'armée qui assureraient cette mission et la PJJ entend mettre en place son propre corps de réservistes pour les épauler. Ce dispositif, budgété en loi de finances pour 2022, ne verra finalement pas le jour cette année mais plutôt à échéance de juillet 2023.

Un dernier point sur le déploiement de l'applicatif PARCOURS qui constitue notre fil rouge. Il doit permettre progressivement d'assurer le suivi de tous les mineurs confiés à la PJJ et le recensement de tous les actes pris à leur égard.

Outre un suivi plus précis et efficace des jeunes, il fournira une image exacte de leur parcours et de l'efficacité des mesures prises, notamment pour éviter les récidives. Le manque d'indicateurs de qualité sur l'efficacité de l'intervention de la PJJ a été pointé à plusieurs reprises et PARCOURS est présenté comme l'instrument adéquat pour trouver une solution.

Le projet PARCOURS, qui devait faire l'objet d'une première version en 2020, a été déployé dans les services à partir de la fin du premier trimestre 2021. L'appropriation de l'outil s'est avérée particulièrement difficile et le besoin de formation est important. La PJJ a donc relancé un programme de formation des personnels.

De nouveaux développements s'avèrent nécessaires, mobilisant 4 millions d'euros en 2022 et à nouveau en 2023, pour permettre le déploiement du deuxième lot de PARCOURS, destiné aux éducateurs eux-mêmes. La DPJJ espère un déploiement fin 2023 tout en indiquant qu'il s'agit, à nouveau, d'une modification importante de leur manière de travailler qui sera demandée aux éducateurs. Cela ne sera donc pas simple et il s'agit d'une affaire que nous suivrons attentivement.

Pour l'heure, au regard de l'augmentation du budget, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 182.

M. François-Noël Buffet, président. - Les membres de la commission souhaitent-ils formuler des observations ?

M. Mathieu Darnaud. - Je voudrais saluer l'excellent rapport de notre rapporteure. Il est, en tout point, complet et éclairant. Je voudrais réagir à deux sujets qui ont été évoqués.

Le premier concerne l'évaluation. Nous avons déjà évoqué cette thématique à plusieurs reprises au sein de notre commission. Il y a, effectivement, un besoin d'évaluer la politique publique de protection judiciaire de la jeunesse et plus particulièrement l'efficience des centres éducatifs fermés (CEF). J'aimerais avoir des précisions sur les possibilités d'évaluation de ces établissements.

Le deuxième point qui m'interpelle est celui du recrutement des agents dans la mesure où des postes ont été budgétés. Je me demande si nous sommes face à un problème qui est lié à la seule attractivité de la rémunération ou s'il s'agit plutôt de problématiques liées aux compétences ou à la formation des personnels. La rapporteure a notamment pu constater qu'il existait des besoins de compétences spécifiques pour exercer dans les CEF compte tenu du profil des jeunes qui y sont accueillis.

Mme Laurence Harribey. - J'aimerais remercier à mon tour la rapporteure, et ce d'autant plus qu'elle s'est fortement inspirée du récent rapport de la mission d'information, conjointe avec la commission de la culture, qui a traité de la prévention de la délinquance des mineurs et en particulier de leur récidive.

Concernant les centres éducatifs fermés, nous avons souligné lors de cette mission d'information que ces établissements ne doivent pas être considérés comme étant la panacée. Même si les CEF peuvent constituer une réponse partielle, ce n'est, en tout cas, pas la réponse systématique. En outre, ces structures ont un coût de fonctionnement important alors que d'autres modes d'accompagnement des jeunes en situation de délinquance permettent de faire davantage avec les mêmes moyens.

En réponse aux observations de Mathieu Darnaud, je tiens à préciser que dans le cadre de l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur cette année, les membres de la mission d'information ont demandé la mise en place d'un programme d'évaluation des CEF. Ce n'était peut-être d'ailleurs pas le bon véhicule législatif mais notre amendement a été adopté. Cette demande d'évaluation n'a pas été prise en compte dans ce projet de loi de finances 2023 mais cela est logique compte tenu du calendrier législatif et du vote de notre amendement.

Enfin, il apparait que des recrutements sont prévus pour les CEF. Or ces recrutements seraient également utiles pour les autres établissements qui accueillent des jeunes délinquants. Lors de la mission conjointe d'information, nous avons compris qu'il existait un écosystème d'acteurs de l'insertion et de la probation des jeunes nécessitant une coordination entre eux. Par ailleurs, nous avons longuement évoqué une expérience à Marseille où restaurant d'application a été créé. Il s'agissait d'un nouveau mode d'insertion pour des jeunes délinquants. Cela prouve que des dispositifs novateurs peuvent être mis en place.

Enfin, il faudra également être vigilant s'agissant des conséquences de la réforme du code de la justice pénale des mineurs (CJPM) car ce texte a créé une période probatoire qui devrait avoir un impact sur le travail d'accompagnement et d'insertion des mineurs. Cela n'a pas du tout été pris en compte dans le budget que nous examinons cette année.

Cela étant dit, nous souscrivons aux observations de la rapporteure et les membres du groupe socialiste, écologiste et républicain voteront favorablement pour les crédits du de la mission « protection judiciaire de la jeunesse ».

M. Alain Marc. - Je tiens à féliciter la rapporteure pour la qualité de son travail. J'ai également une question qui porte sur les CEF à l'instar de mes collègues Laurence Harribey et Mathieu Darnaud. Je souhaite également souligner l'existence d'une problématique générale tenant à l'absence de l'évaluation des politiques publiques. À cet égard, il me semble intéressant de faire un parallèle avec la question du lieu d'exécution d'une peine d'emprisonnement, évoquée lors de la réunion de la commission des finances qui s'est tenue hier. En effet, une personne condamnée purge habituellement sa peine d'emprisonnement à proximité du lieu de commission des faits. Concernant les mineurs, cette question semble faire débat. Certains indiquent qu'il serait préférable que les CEF soient éloignés des lieux de délinquance dans l'objectif de créer une rupture entre les mineurs et leur milieu de vie habituelle. D'autres intervenants soutiennent l'argument inverse. Au final, je m'interroge sur la philosophie qui devrait prévaloir en la matière. Si des évaluations étaient effectuées, nous saurions peut-être s'il faut installer un CEF à 400 kilomètres du lieu de commission des faits ou bien s'il faut l'installer à proximité du lieu où les mineurs commettent leurs infractions.

Mme Marie Mercier. - Je remercie la rapporteure pour son travail très étayé. Je souhaite réagir à l'intervention de mon collègue Alain Marc en prenant l'exemple du centre pénitentiaire de la commune de Varennes-le-Grand, commune limitrophe de Chalon-sur-Saône. Cet établissement comprend une maison d'arrêt, un quartier mineurs et un centre de semi-liberté. Il s'agit, historiquement, d'une délocalisation de la maison d'arrêt anciennement implantée à Chalon-sur-Saône. Géographiquement, l'établissement pénitentiaire de Varennes-le-Grand est en réalité plus proche du centre de la commune de Saint-Ambreuil que du centre de Varennes-le-Grand. Il est donc possible de faire un parallèle avec les remarques formulées à l'égard des éoliennes: ces dernières sont physiquement installées sur le territoire d'une commune mais il est fréquent d'entendre que dans cette commune les habitants ne s'en plaignent pas, à l'inverse des habitants des communes voisines.

Concernant plus précisément les CEF qui nous intéressent aujourd'hui, Varennes-le-Grand va prochainement accueillir ce type d'établissement. Or il existe une problématique d'acceptabilité, de ces lieux d'accueil, de la part de la population. Les CEF sont ce que certains appellent des « PUMA », c'est-à-dire des « projets utiles mais ailleurs ». En outre, la création d'un CEF à côté d'un centre pénitentiaire qui compte 400 détenus peut interroger, sur le plan symbolique en particulier. Enfin, je tenais à faire cette remarque sur le choix d'implantation géographique de ce CEF car le département de Saône-et-Loire a déjà été marqué par les difficultés rencontrées par le CEF d'Autun qui avait défrayé la chronique en son temps. 

M. François-Noël Buffet, président. - Avant de donner la parole à la rapporteure, je souhaitais revenir sur les propos tenus par le rapporteur de l'avis budgétaire de la mission « Administration pénitentiaire » et en particulier les dispositifs en vigueur à Mayotte. Dans le cadre de la mission d'information menée avec Alain Marc, Stéphane Le Rudulier et Thani Mohamed Soilihi, nous avons rencontré une juge de l'application des peines qui nous a fait part de sa grande inquiétude quant à l'absence de capacité à exécuter les décisions de justice. Cela me semble assez révélateur des difficultés rencontrées par le territoire de Mayotte. Il y aura donc à avoir un regard particulier sur ce territoire cette année.

Mme Maryse Carrère. - En réponse aux interrogations de Mathieu Darnaud, je tiens à préciser qu'il n'existe pas d'indicateurs sur les évaluations menées par la protection judiciaire de la jeunesse, à l'exception du logiciel PARCOURS qui permettra, à l'avenir, l'établissement de données chiffrées. La Cour des comptes travaille actuellement à un rapport sur les CEF, que nous étudierons attentivement dès sa publication. Nous n'avons pas non plus le recul nécessaire pour évaluer les nouveaux établissements créés. Nous savons, en revanche, que la difficulté principale de ces nouvelles structures est liée à la stabilisation des équipes de la PJJ (les éducateurs en particulier) ainsi que celles de ses partenaires, notamment l'Éducation nationale.

Concernant les observations de Laurence Harribey, il est vrai qu'aujourd'hui les CEF coutent très chers. Ils ont semblé être privilégiés les années précédentes dans les choix budgétaires gouvernementaux. Cependant, cette année semble être marquée par un changement de paradigme, une plus forte attention étant apportée aux services de milieu ouvert qui semblent mieux pris en compte. Cela s'explique aussi par l'entrée en vigueur récente du code de la justice pénale des mineurs qui oriente et renforce le rôle de ces services du milieu ouvert. La problématique des CEF est toujours celle du recrutement. La PJJ envisage l'instauration d'une équipe volante d'éducateurs pour ces établissements. On peut noter un renforcement des emplois créés dans le milieu ouvert. Il est encore trop tôt pour avoir du recul sur la mise en oeuvre du CJPM. Nous avons demandé à la PJJ des retours sur les évaluations menées mais sans obtenir de réponses à ce stade.

Enfin, pour répondre à Alain Marc, il est difficile de déterminer le lieu d'implantation des CEF. Il y aura toujours une problématique d'acceptabilité sociale.

M. Alain Marc. - Monsieur le président, Dominique Simonnot, contrôleure générale des lieux de privation de liberté, a mentionné le CEF de l'Aveyron, qui serait le CEF qui poserait le moins de problèmes en France. Je n'ai pas plus d'informations sur ce CEF mais je note que nous ne disposons pas d'évaluations. Nous ne savons pas quels CEF sont efficaces, en particulier dans la lutte contre la récidive des mineurs.

Mme Maryse Carrère. - La question de l'acceptabilité sociale, c'est aussi le problème posé par Marie Mercier et qui est très contraignante pour la PJJ lors de la création d'un tel établissement. La direction de la PJJ nous a expliqué qu'il y a une cartographie visant à répartir de manière relativement équilibrée les CEF sur l'ensemble du territoire. Au final, la problématique de la localisation des CEF semble être une équation impossible. L'objectif du placement des mineurs dans un CEF est de les éloigner de leur milieu de vie habituel où ils commettent leurs délits. Cependant il faut aussi que le CEF soit proche de lieux d'insertion en capacité de les accueillir. C'est pour partie un lieu de restrictions de liberté mais c'est aussi un lieu, pour ces enfants, de réinsertion visant à préparer leur avenir en vue de leur sortie. La localisation d'un CEF pose également la problématique du personnel. En effet, dans les territoires ruraux il peut être plus compliqué de trouver des éducateurs formés que dans des territoires urbains. Enfin, lors de l'audition du ministre de la justice devant notre commission, la question du CEF de Mayotte a été évoquée. Il semble important, symboliquement, de créer un CEF public et non pas un CEF relevant du secteur privé. Cela permettrait à l'État de rappeler qu'il est effectivement présent dans ce territoire ultra-marin.

M. François-Noël Buffet, président. - Je vous remercie Mme la rapporteure. Nous allons donc soumettre au vote de la commission votre avis favorable à l'adoption des crédits du budget de la mission « protection judiciaire de la justice ».

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « protection judiciaire de la jeunesse ».

Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Direction de l'action du Gouvernement » et budget annexe « Publications officielles et information administrative » - Examen du rapport pour avis

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur pour avis. - Nous examinons les crédits de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » et du budget annexe « Publications officielles et informations administratives ». La mission « Direction de l'action du Gouvernement » sera dotée en 2023 de 810 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 798 millions d'euros en crédits de paiement (CP), en augmentation respective de 13,5 % et 8 % par rapport au budget 2022. Elle est composée du programme 129 « Coordination du travail gouvernemental » et du programme 308 « Protection des droits et libertés ». Ce dernier regroupe les budgets de plusieurs autorités administratives indépendantes (AAI). Le programme 359 « Présidence française du Conseil de l'Union européenne en 2022 », qui finançait cet évènement ponctuel, est devenu sans objet et ne figure plus dans la mission.

86 % des crédits de la mission reviennent au programme 129 « Coordination du travail gouvernemental ». Celui-ci est largement marqué par le contexte sécuritaire, ce qui conduit à un renforcement de ses moyens. Le budget du programme 308 « Protection des droits et libertés » augmente aussi, afin d'accompagner les AAI dans leurs nouvelles missions. Plusieurs d'entre elles ont en effet vu leur périmètre s'étendre.

Le programme 129 finance le budget du nouveau secrétariat général à la planification écologique créé par décret du 7 juillet 2022 qui sera doté de 15 emplois équivalents temps plein (ETP). Ce programme accompagne le besoin de croissance de la délégation interministérielle à l'encadrement supérieur de l'État (DIESE), chargée de l'évaluation de l'encadrement de la haute fonction publique, sorte de « vigie » de la haute fonction publique. Il sera doté en 2023 de 5 ETP supplémentaires. J'ai obtenu cette année quelques informations sur le budget du haut-commissariat au plan, doté de 10 ETP, et du nouveau conseil national de la refondation qui dispose, par la loi de finances rectificative pour 2022, de 5 ETP. Les effectifs du Haut Conseil pour le climat seraient renforcés de 5 ETP en 2023 et je m'en félicite. En effet, un amendement déposé à l'Assemblée nationale a été retenu par le Gouvernement dans le projet de loi de finances considéré comme adopté en application de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution. Curieusement, ces emplois ne sont pas inscrits dans le programme 129 « Coordination du travail gouvernemental » mais dans la mission « Écologie, développement et mobilité durables », ce qui impliquera des mises à disposition au profit du Haut Conseil pour le climat. On peut s'interroger sur le rattachement du Haut Conseil pour le climat, instance d'expertise indépendante, au programme 129 au même titre que des structures beaucoup plus opérationnelles, comme le secrétariat général à la planification écologique. On pourrait imaginer qu'il soit déplacé dans le programme 308 renommé « Protection des droits, libertés, et de l'environnement ».

Le secrétariat général des affaires européennes (SGAE) bénéficiera de quatre emplois supplémentaires en 2023 afin de permettre la création d'un bureau d'appui à la mobilisation de fonds européens. L'ensemble des acteurs, collectivités territoriales et administrations, seront accompagnés dans la demande de fonds traditionnels mais aussi dans le cadre du plan de relance européen pour lequel des cibles et jalons doivent impérativement être respectés.

En matière de sécurité, nous avons pu constater que nos hôpitaux et collectivités territoriales sont particulièrement vulnérables face aux cyberattaques. Pendant deux ans, le plan de relance a permis aux administrations, par l'intermédiaire de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), de bénéficier d'un diagnostic des besoins en sécurité informatique et d'un début de financement d'opérations de sécurisation. Beaucoup d'administrations n'ont pas encore évalué ce risque d'être l'objet d'attaques alors que le plan de relance a pris fin.

Le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum) monte en puissance et devrait à terme passer de 40 à 65 ETP. Il détecte les opérations impliquant un État étranger et visant à diffuser massivement en ligne de fausses informations. Vous avez pu constater que nos intérêts ont été mis en cause en Afrique de l'ouest et Viginum était utile pour identifier les sources de cette désinformation. La question reste de savoir ce que l'on peut faire une fois identifié l'État qui est en est à l'origine.

Avec l'adoption de la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement, nous avons besoin de renforcer les moyens du groupement interministériel de contrôle (GIC) en raison des nouvelles techniques de renseignement autorisées. De même, l'Opérateur des systèmes d'information interministériels classifiés (OSIIC), garant des transmissions gouvernementales, obtient des moyens supplémentaires.

S'agissant des AAI, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle (Arcom), la plus dotée du programme 308, a remplacé au 1er janvier 2022 le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi). Elle devra faire face dans les prochains mois à l'entrée en vigueur des règlements européens DMA (Digital Markets Act) et DSA (Digital Service Act) qui instituent un nouveau modèle de régulation. Ces règlements impacteront aussi l'activité de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).

Depuis la loi n° 2022-400 du 21 mars 2022 visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d'alerte, le rôle de cette dernière institution a été renforcé. Elle doit, de plus, faire face à une augmentation de 18 % des réclamations présentées dans la grande majorité par des usagers en grande difficulté face à la dématérialisation croissante des services publics. Le Défenseur des droits a également besoin de moyens pour mieux indemniser, surtout en période d'inflation, ses délégués territoriaux bénévoles qui traitent 80 % des réclamations. En recrutant 20 délégués supplémentaires, l'institution veut également éviter que certains d'entre eux ne soient contraints d'y consacrer l'équivalent d'un temps plein.

La CNIL, outre l'application des règlements DMA et DSA évoqués précédemment, devra s'emparer du sujet de la gestion des données personnelles à l'heure de l'intelligence artificielle et de la vidéosurveillance, notamment à l'occasion des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Elle traite également un nombre croissant de plaintes. Il est intéressant de mettre en regard son budget, qui est légèrement supérieur à 26 millions d'euros pour 2023, avec le total des 18 sanctions prononcées en 2021, soit 214 millions d'euros reversés au budget de l'État.

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté continue à améliorer les délais de publication de ses rapports de contrôle même si, à mon sens, c'est encore trop long pour qu'ils soient pleinement efficaces. Elle va prochainement établir des rapports sur la dignité en détention, afin de rendre plus opérationnel le recours rendu possible par la loi du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention, adoptée à l'initiative du président François-Noël Buffet.

La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) fait face elle aussi au nouveau cadre légal en matière de renseignement avec de nouvelles technologies à intégrer. Les écoutes téléphoniques perdent de leur intérêt car les personnes susceptibles d'être surveillées utilisent désormais des messageries cryptées. Cela oblige les services de renseignement à demander à recourir à des techniques plus intrusives, ce que la CNCTR doit analyser avant de rendre son avis. Après avoir consolidé ses compétences juridiques ces dernières années, la commission doit renforcer ses compétences techniques pour assurer un contrôle efficace, ce qui justifie l'augmentation de ses moyens.

Enfin, la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) dont l'activité ne faiblit pas, a absolument besoin de renforcer la formation des PRADA, personnes responsables de l'accès aux documents administratifs désignées par les administrations. L'autorité bénéficiera en 2023 d'un soutien financier afin de développer un MOOC.

Pour ces raisons, je propose à la commission de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » et du budget annexe « Publications officielles et informations administratives ».

Compte tenu des besoins de croissance du Défenseur des droits, je vous propose par ailleurs un amendement visant à lui transférer 3 ETP parmi ceux actuellement dédiés au conseil national de la refondation.

Mme Agnès Canayer. - J'aimerais vous interroger sur les AAI car une réflexion s'était engagée il y a quelques années sur la question du rapprochement ou de la fusion de certaines d'entre elles. Qu'en est-il actuellement ?

En ce qui concerne le renseignement et la cybersécurité, je suis d'accord pour qu'on renforce les moyens afin de faire face aux nouvelles technologies. C'est le sens des dispositions que nous avions adoptées dans la loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement et qui concernent les communications satellitaires et la technologie 5G. Il y a un manque de prise de conscience des enjeux en matière de cybersécurité.

S'agissant des fonds européens, il est très compliqué de les mobiliser. Avez-vous des éléments sur les contraintes imposées aux acteurs pour pouvoir en bénéficier ?

Mme Laurence Harribey. - Je suis très satisfaite de l'augmentation des moyens en matière de cybercriminalité mais il faut souligner que les compétences techniques sont difficiles à conserver au sein des effectifs. Les auditions ont montré une « fuite des cerveaux » et une difficulté pour les AAI ou structures étatiques à recruter.

Je voulais souligner le manque d'informations au sujet du conseil national de la refondation et du haut-commissariat au plan. Je souscris à la proposition du rapporteur de transférer 3 ETP du conseil national de la refondation vers le Défenseur des droits. Celui-ci rencontre des difficultés pour recruter des délégués territoriaux qui sont des bénévoles dont l'indemnité n'a pas été revalorisée depuis plusieurs années et qui exercent une mission souvent chronophage.

Je souligne enfin l'augmentation des crédits de la MILDECA (mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives), après trois ans de diminution. C'est la preuve que les mutualisations évoquées tout à l'heure ne peuvent pas toujours permettre aux structures de mener leurs missions à bien.

M. François-Noël Buffet, président. - M. le rapporteur, j'ai une question au sujet de votre amendement. Les 3 ETP que vous souhaitez transférer au Défenseur des droits sont-ils une demande de Claire Hédon ou le fruit de votre analyse ?

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur pour avis. - Claire Hédon, Défenseure des droits, avait sollicité pour 2023 un renfort de 5 ETP mais n'en a obtenu que 2 dans le projet de loi de finances. Il est important de lui donner les moyens d'assurer ses nouvelles compétences en matière de protection des lanceurs d'alerte ainsi que l'encadrement des délégués territoriaux.

M. François-Noël Buffet, président. - C'est un sujet important, je partage totalement votre analyse sur les difficultés, dans les territoires, à trouver des personnes prêtes à s'investir dans ces activités bénévoles.

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur pour avis. - Il y a un besoin d'encadrement et de meilleure indemnisation de ces délégués territoriaux. Nous avons voté la loi organique du 15 janvier 2021 qui réforme le Conseil économique, social et environnemental pour en faire le carrefour des consultations publiques et l'institution de référence en matière de participation citoyenne. Je ne vois pas pourquoi, un an plus tard, on crée le conseil national de la refondation.

En effet, se pose la question des compétences en matière informatique et technique. C'était initialement un problème pour l'ANSSI, cela touche maintenant l'ensemble des administrations.

Sur les fonds européens, l'une des difficultés du SGAE concerne le plan de relance européen qui nécessite de remplir certaines conditions strictes sous peine de voir se réduire l'enveloppe destinée à la France. Ce sont 38 milliards d'euros qui sont en jeu.

Pour ce qui est des fusions d'AAI, j'ai évoqué celle du CSA et d'Hadopi. Il avait été envisagé de rapprocher la CNIL et la CADA, ainsi que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté avec le Défenseur des droits. Mais, à chaque fois, on s'est aperçu que la différence de taille entre les AAI fragiliserait une partie des missions en cas de fusion. Je pense qu'aujourd'hui la situation est stabilisée.

L'amendement présenté par le rapporteur est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » et du budget annexe « Publications officielles et information administrative ».

La séance est close à 12 h 35.