Mardi 29 mars 2022
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 18 h 00.
Examen du rapport
M. Laurent Lafon, président. – Nous sommes aujourd’hui réunis pour l’adoption finale du rapport de la commission d’enquête sur la concentration des médias.
Cette commission a été constituée en application du droit de tirage des groupes politiques, prévu par l’article 6 bis du règlement du Sénat. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain en avait formulé la demande lors de la conférence des présidents du 2 novembre dernier. Nous avons tenu notre première réunion le 24 novembre. J’ai eu l’honneur d’en être désigné président, David Assouline, qui est à mes côtés, en étant désigné rapporteur.
Dès la première réunion, nous avons fait le choix de rendre public l’ensemble de nos travaux et de ne pas épuiser le délai légal de six mois, qui nous aurait mené jusqu’au 2 mai. Nous sommes ainsi convenus de conclure pour la fin du mois de mars, afin d’interférer le moins possible avec le calendrier électoral.
Dans cet intervalle de quatre mois, nous avons mené un nombre record de 48 auditions, entendant plus de 80 personnes et siégeant plus de 100 heures. Je mesure bien l’intensité de ce rythme, qui nous a permis, je le crois, d’entendre l’ensemble des parties prenantes. Nos auditions ont suscité un intérêt inédit des médias, avec plus de 500 retours dans la presse. Cela est dû, je pense, à l’importance du sujet, mais également à la nature même de ces auditions, qui ont permis d’entendre des personnalités qui n’ont que rarement l’occasion de venir s’exprimer devant la représentation nationale.
Bien entendu, le sujet était et demeure complexe, et nos conclusions ne peuvent que porter la trace des divergences d’appréciation que nous pouvons avoir. Nous avons donc tenu, avec le rapporteur, à ce que vous puissiez disposer d’un délai suffisant pour prendre connaissance des travaux. Ainsi, vous avez pu consulter le projet de rapport, dans les conditions très strictes s’appliquant aux commissions d’enquête, du mardi 22 mars au lundi 28 mars. Vous disposez chacun d’un exemplaire à votre nom, qui vous a été remis lors de votre examen, et que nous vous restituons pour la durée de la réunion.
Je me dois de vous rappeler les deux éléments suivants.
D’une part, il n’est pas possible de communiquer sur le rapport qui serait adopté à l’issue de notre réunion avant l’expiration d’un délai de 24 heures, correspondant à la possibilité de réunir le Sénat en comité secret, en application de l’article 33 de la Constitution et de l’article 32 de notre règlement. Une conférence étant prévue jeudi à 11 heures, je vous propose de ne pas communiquer avant. Je vous demande en conséquence de laisser les rapports filigranés dans la salle à l’issue de la réunion.
D’autre part, et pour la forme, je vous rappelle également qu’il nous est interdit, en application de l’article 226-13 du code pénal, de communiquer sur des parties non publiques du rapport, et ce dans un délai de 25 ans. Cela concerne également le rapport dans son ensemble si la commission devait décider de ne pas l’adopter.
Je profite de l’occasion pour remercier l’ensemble des membres de la commission d’enquête, qui, dans une période complexe, entre pandémie, ordre du jour changeant et élections en cours, ont participé à nos travaux. Je remercie bien entendu également le rapporteur David Assouline, qui a mené un travail épuisant, avec la détermination que nous lui connaissons.
Notre commission a connu des tensions. Je vous demande de garder à l’esprit que l’objet de notre débat d’aujourd’hui est le document écrit que nous vous présentons, et seulement cela.
M. David Assouline, rapporteur. – Nous voici donc au terme des travaux de cette conmission d’enquête. Je m’associe pleinement aux remerciements du président quant à votre implication et à votre engagement dans les travaux. Nous avons réuni une documentation fournie sur un sujet très complexe. Cette somme de travail est exceptionnelle.
Le premier objectif de cette commission d’enquête, comme j’avais pu le souligner dès notre réunion constitutive, était de porter sur la place publique un débat qui avait jusqu’à présent été passé sous silence. Même si les opinions divergent au sein de notre commission, la concentration des médias suscite des craintes et des interrogations.
Les gouvernements successifs ont trop attendu, et il est grand temps de s’atteler à une grande loi audiovisuelle qui prenne en compte les évolutions technologiques et les faits de concentration. Ces mouvements se sont jusqu’à présent déroulés à « bas bruit », ce qui ne veut pas dire, bien au contraire, qu’ils n’aient pas provoqué de vives réactions. De ce point de vue, les auditions que nous avons menées ont rencontré un écho médiatique considérable, qui témoigne bien de l’attente du grand public.
Je vais maintenant vous présenter les grands axes du rapport dont vous avez pu prendre connaissance la semaine dernière. Il est le résultat d’un travail approfondi que nous avons mené ensemble.
Le premier constat qui s’impose est celui de l’existence d’une préoccupation très largement partagée entre les pays sur la nécessité d’une régulation des concentrations. Depuis la grande loi de 1881, la presse jouit en France d’un statut dual. D’un côté, elle assure la diffusion de l’information, et joue à ce titre un rôle majeur pour la démocratie et le pluralisme. De l’autre, l’entreprise de presse demeure une entité économique de droit commun, et est donc soumise aux impératifs de rentabilité. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et face à l’indignité d’une partie de la presse, la France a mis en place une législation propre aux concentrations par l’ordonnance du 26 août 1944, Iégislation très contraignante qui n’a, au demeurant, été appliquée que très partiellement et n’a pas empêché de très grands groupes de se constituer à partir des années 70.
La loi de 1986, encore en vigueur aujourd’hui malgré plus de cent modifications, met en place un cadre très précis de contrôle des concentrations. Le législateur de l’époque avait une conscience aiguë des risques que pouvait faire peser la création de très grands groupes en situation de quasi-monopole dans le domaine de l’information. C’est encore sous ce régime que nous évoluons.
Nous avons sollicité les services de la division de la législation comparée du Sénat pour une étude de différents pays. Elle figure en annexe du rapport, et s’avère selon moi riche d’enseignements. En effet, elle souligne bien que la France n’est pas, loin s’en faut, un cas isolé, les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et l’Italie ayant tous en commun des législations spécifiques, pas toujours d’ailleurs très différentes de celle de notre pays, et qui visent à encadrer les concentrations dans le domaine des médias. Ces législations ont certes évolué, mais on sent bien que chaque pays cherche actuellement un équilibre complexe à trouver, dont témoignent les décisions récentes qui sont mentionnées dans le projet de rapport sur des opérations de concentration de très grande ampleur.
Je note donc la convergence actuelle des préoccupations entre la France et les autres pays.
À quoi est-elle due ? Pourquoi assistons-nous à ces opérations de rapprochement ?
La vérité est qu’elles ont été accélérées ces dernières années, en France comme dans le monde, par les bouleversements technologiques issus de la révolution numérique. Cette révolution a certes permis de multiplier les sources d’informations et de loisirs, mais elle pose de redoutables problèmes économiques et démocratiques.
Je distingue deux facteurs.
Premier facteur, la place des réseaux sociaux et des moteurs de recherche dans l’accès à l’information. Elle est maintenant devenue dominante, et cette position devrait encore s’aggraver avec les jeunes générations qui sont des utilisateurs plus que réguliers.
Cela soulève deux problèmes. Leur absence totale de responsabilité, d’une part, qui ne les contraint à aucune des règles très précises prévues par la grande loi de 1881 pour les éditeurs. D’autre part, la captation massive des ressources publicitaires, qui menace très directement les autres médias, dont la presse écrite, mais pas uniquement.
Second facteur, l’explosion des plateformes de streaming comme Netflix ou Amazon, qui a bouleversé les modalités d’accès aux divertissements. Ces services sont très appréciés des consommateurs, qui les plébiscitent pour la qualité de leurs programmes comme pour leur facilité d’utilisation. Or les médias français, et à vrai dire européens, se trouvent très démunis non seulement en capacité d’investissements, mais également en matière de maîtrise technologique pour lutter contre ces géants mondiaux. La télévision se retrouve dans une position inconfortable, puisque les téléspectateurs ont de nouveaux modes de consommation.
Nous assistons donc à une véritable révolution, qui interroge les règles actuelles de concentration et pose de façon accrue la question de l’équilibre entre la nécessité d’investissements pour permettre le développement d’entreprises capables d’assurer nos capacités de concurrence face aux grandes plateformes étrangères, et la nécessité d’assurer la diversité, le pluralisme et l’indépendance des médias en France.
Où en est-on de la concentration aujourd’hui en France ?
Les mouvements de concentration dans le secteur des médias sont justifiés, selon certains acteurs, par des impératifs économiques destinés à prendre en compte le bouleversement des usages induit par la révolution numérique.
Deux éléments doivent être distingués : des rapprochements entre entreprises de presse ou médias audiovisuels au sein de grands groupes, en vue d’atteindre une taille critique, les concentrations étant alors diagonales ou verticales ; dans le même temps, une stabilité du nombre de titres de presse écrite et une progression continue du nombre de médias audiovisuels depuis 2005. Paradoxalement, ce mouvement s’accompagne d’une concentration de la détention de ces médias par un petit nombre de groupes. À cette tendance à la convergence entre médias s’ajoute par ailleurs leur acquisition par des capitaines d’industrie étrangers au secteur.
Il convient de ne pas négliger l’impact de logiques actuellement à l’oeuvre qui conduisent au renforcement de ces positions – à l’image de la fusion TF1-M6 – ou à l’émergence de nouveaux acteurs : la montée en puissance du réseau BFM dans le secteur de la télévision locale ou les nombreux rachats de magazines par Reworld Media en sont une illustration.
Nous avons pu le voir à travers de nombreuses auditions, la stratégie menée par Vivendi après le rachat de Prisma Media et le lancement de l’offre publique d’achat (OPA) sur le groupe Lagardère interrogent. La holding de Xavier Niel, NJJ, à la manoeuvre sur le rachat de trois titres de presse en 2020, ou le groupe LVMH, dont les manifestations d’intérêt tendent à témoigner d’un intérêt croissant pour la presse écrite, sont également des cas à souligner.
Le développement de la télévision numérique terrestre (TNT) a entraîné la multiplication de chaînes hertziennes au cours des dernières années, mais le nombre de nouveaux entrants reste cependant limité, après l’acquisition de fréquences ou le rachat de chaînes par Ies opérateurs historiques privés (TFI, Canal+ et M6). Ainsi, 17 des 30 chaînes de la TNT sont détenues par ces acteurs, qui contrôlent, notamment, l’intégralité des chaînes payantes. La TNT n’a finalement permis l’installation que de 3 nouveaux entrants dans le marché des chaînes gratuites.
Le secteur de la radio se caractérise par une très faible concentration : seuls quatre groupes privés disposent de plus d’une station (NRJ Group, M6, Lagardère et NextRadioTV).
La situation de la presse écrite sur la décennie 2010-2019 apparaît plus contrastée. Le nombre de journaux et magazines payants diminue en effet de 5,5 % sur la période, en raison principalement de la chute du nombre de titres de la presse magazine grand public (-2,6%) et de Ia presse locale (- 8,9 %). Dans ce mouvement général de réduction, les dix premiers éditeurs concentrent aujourd’hui 32,9 % de l’offre, en relative stabilité sur dix ans. Seuls huit groupes structurent aujourd’hui le territoire métropolitain.
Le secteur de la presse magazine a, quant à lui, été bouleversé ces dernières années par d’importants changements d’actionnaires (montée en puissance de Czech Media Invest au détriment de Lagardère, rachat de Mondadori par Reworld Media et de Prisma Media par Vivendi). De nouveaux titres – imprimés ou en ligne – sont enfin apparus au cours des dix dernières années, amorcés pour partie par des acteurs hors médias, mais tirant une réelle légitimité de leur positionnement relativement indépendant.
On pourrait néanmoins assister, dans les prochains mois, à une nouvelle phase de concentration horizontale.
La stabilité observée dans le paysage audiovisuel pourrait ainsi être remise en cause par la fusion envisagée des groupes TFI et M6, qui, sans déboucher sur une réduction du nombre de chaînes, est susceptible de bouleverser les équilibres économiques déjà fragiles du secteur. Le chiffre d’affaires du nouvel ensemble devrait atteindre 3,4 milliards d’euros. Le potentiel de synergies devrait, quant à lui, être compris dans une fourchette entre 250 et 350 millions d’euros annuels, à l’issue des trois premières années d’activité suivant la clôture de la transaction. La réalisation de l’opération est soumise à l’approbation de l’Autorité de la concurrence.
Si elle était approuvée, la fusion devrait intervenir d’ici à la fin de l’exercice 2022, afin de pouvoir procéder dans les temps au renouvellement des licences TNT attendu en mai 2023. Je vous rappelle que la fusion permettrait au nouveau groupe de disposer d’une part d’audience de 41,5 % à périmètre inchangé et de 75 % du marché publicitaire.
À l’échelIe des territoires, le rapprochement sous la bannière de plusieurs réseaux (NextRadio TV, La Dépèche du Midi et Territoires TV) de chaînes locales jusque-là indépendantes participe également d’un mouvement de concentration.
Tous ces mouvements de concentration sont, dans une large mesure, menés par des capitaines d’industrie extérieurs au secteur, tantôt mécènes, chantres de la convergence ou apôtres de l’exception culturelle française face aux Gafamn. L’apport des capitaines d’industrie peut permettre de disposer de marges de manoeuvre financières solides face à ces bouleversements. Le cas du rachat de Lagardère par Vivendi ou les difficultés de Combat Media, le groupe de Mathieu Pigasse, sont, à ce titre, assez éloquents quant à la difficulté de certains groupes de médias à perdurer. La rentabilité d’une partie du secteur – en l’espèce celui des médias audiovisuels – justifie également la prise de participation de groupes industriels.
La convergence entre « tuyaux » et contenus justifie également cet intérêt d’acteurs hors médias. Si elle n’est pas toujours officiellement affichée comme un objectif, il est troublant de constater que trois des quatre principaux fournisseurs d’accès à internet (SFR, Bouygues Telecom et Free) disposent aujourd’hui, à des degrés divers, d’une position solidement établie dans le secteur des médias.
L’« assistance à titre en danger » ou la volonté de faire oeuvre utile est également parfois avancée pour présenter le rachat d’un groupe de presse, comme dans le cas des acquisitions de LVMH ou du groupe Crédit Mutuel Alliance Fédérale. Reste que cette ambition quasi philanthropique résiste assez difficilement à l’examen de la nature et du montant des investissements réalisés et peut interroger sur les ambitions assignées à ces achats.
J’en viens maintenant aux risques liés aux concentrations.
Je propose une analyse tout d’abord axée sur l’information, puis sur l’économie.
L’information tout d’abord.
Si ces mouvements semblent d’abord guidés par des logiques économiques, quel peut être le pouvoir du nouvel actionnaire sur les rédactions ? La crédibilité des médias semble menacée, dans un contexte de défiance, 62 % des Français estimant que les journalistes ne sont pas indépendants du pouvoir politique ni des intérêts économiques. Les journalistes sont pris à partie lors de manifestations ...
Plusieurs protections existent cependant pour garantir la liberté des journalistes, leur déontologie et donc la quaIité de l’information : garanties constitutionnelles et conventionnelles de la liberté d’expression, garanties collectives avec les comités sociaux et économiques, les sociétés de rédacteurs ou de journalistes, et, surtout, depuis la loi du 14 novembre 2016, des chartes de déontologie et les comités relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes. Créé en 2019, le conseil de déontologie journaIistique et de médiation (CDJM) a été saisi à 506 reprises et a rendu 62 avis en deux ans.
À titre individuel, les journalistes bénéficient des clauses de cession et de conscience, mais seule la première est largement utilisée, notamment à la suite de concentrations dans la presse locale ou spécialisée. Nous avons pu démontrer un lien direct entre la reprise de certains titres et le départ de nombreux journalistes. Si la plupart d’entre eux évoquent un désaccord avec un changement de ligne éditoriale, certains patrons de presse dénoncent un effet d’aubaine, et mettent en avant également une nécessaire restructuration économique.
Il n’en demeure pas moins que les journalistes sont parfois suspectés d’être trop proches du pouvoir en place, de l’actionnaire, de ses partenaires et annonceurs. Les médias publics dépendent du pouvoir en place pour leur financement et les nominations de leurs dirigeants, tandis que certains soupçonnent une certaine coIoration politique.
Dans le secteur privé, le soupçon d’une dépendance financière et donc éditoriale vis-à-vis de l’actionnaire, de ses partenaires ou des annonceurs a été ilIustré à plusieurs reprises. Si les interventions directes semblent limitées, plusieurs exemples ont été présentés devant notre commission d’enquête : reportages laudateurs pour une activité du groupe, refus de réaliser une enquête sur un client ou sur un homme politique ...
La profusion de titres en presse écrite garantit un pluralisme externe. En ce qui concerne les télévisions, le pluralisme dit interne est contrôlé par le CSA, désormais Arcom. La chaîne CNews, très régulièrement évoquée devant notre commission d’enquête, a fait l’objet de cinq mises en demeure relevant surtout du champ politique et d’une condamnation, depuis la montée au capital de Vivendi.
La précarisation du métier de journaliste, par la baisse du nombre de journalistes professionnels, le recours à des experts ou à des personnes travaillant sous des statuts précaires – intermittence, autoentrepreneur, agence de presse – renforcent la dépendance de ceux-ci envers leurs financeurs. L’impact des concentrations a pu être particulièrement visible dans certains groupes : Reworld lors du rachat de Mondadori, Canal+ avec iTélé et Europe 1... avec des grèves et le départ de nombreux journalistes.
Le directeur de la rédaction, censé être le paratonnerre des rédactions, nommé par I’actionnaire, est parfois soupçonné d’être son cheval de Troie et d’intervenir sous couvert de «ligne éditoriale » pour accepter ou refuser un sujet. Pour garantir une plus grande indépendance de l’équipe éditoriale, certains médias ont instauré un mécanisme d’agrément du directeur de la rédaction, tandis que plusieurs journalistes entendus par la commission ont réclamé un statut juridique des rédactions, qui semble cependant compliqué à mettre en oeuvre. J’y suis, à titre personnel, favorable.
Des pressions, directes ou indirectes, ou le refus de certains sujets peuvent aboutir à une forme d’autocensure des journalistes. Plusieurs cas de « procédures-bâillons » ont été cités devant notre commission.
Nombreux sont les journalistes à ne plus vouloir prendre de risques. Conséquence, certaines formes de journalisme, comme l’investigation, tendent à disparaître – hormis dans certains médias indépendants s’en étant fait une spécialité -, de même que l’information économique et politique sensible, pour éviter toute contestation ultérieure.
Paradoxalement, l’information, qui n’a jamais été aussi disponible sur de multiples canaux, tend à s’uniformiser, recyclée d’agences de presse générales ou internes aux groupes.
Le modèle de débats avec des « experts » extérieurs ou des chroniqueurs, parfois à la recherche du « clash », prend parfois le pas sur des reportages de terrain réalisés par des journaIistes professionnels. Cette autocensure et cet appauvrissement du contenu contribuent à une atmosphère de méfiance allant au-delà de la réalité du travail quotidien des journalistes et fragilisent l’information.
Par ailleurs, les concentrations font également peser un risque économique sur la chaîne de valeur.
Notre commission s’est ainsi trouvée au coeur d’une actualité brûIante avec le projet de fusion entre TF1 et M6 et les conséquences du rapprochement entre les groupes Vivendi et Lagardère, en particulier dans le domaine de I’édition. S’il ne nous appartient pas de nous prononcer sur ces opérations, notre commission a joué le rôle de forum, en autorisant les parties prenantes à s’exprimer publiquement, ce qui, je crois, a été très positif.
En ce qui concerne le projet de fusion entre les deux chaînes, il est actuellement aux mains de l’Autorité de la concurrence et de l’Arcom, qui mènent un travail approfondi qui ne débouchera qu’à l’automne prochain. Notre commission a permis, me semble-t-il, à l’ensemble des parties prenantes de s’exprimer publiquement. Nous avons entendu les arguments des uns et des autres, et pu bénéficier de l’expertise de l’ancienne présidente de l’Autorité de la concurrence et de son remplaçant par intérim. Il y a eu un vrai débat autour du marché publicitaire pertinent et de l’intégration ou non de la publicité numérique.
Comment nous positionner sur ce sujet ? Le devons-nous ?
La conséquence la plus immédiate de la fusion, si elle se réalisait, serait la création d’un géant à l’échelle nationale, qui serait seulement concurrencé par le secteur pubIic. Cela suscite des craintes légitimes de la publicité, mais également de la production ou du secteur de l’information. Je crois qu’il faudra être attentif, le cas échéant, aux conséquences, tout en gardant à l’esprit que, même fusionné, le nouveau groupe n’est en tout état de cause pas en capacité – et n’a d’ailleurs par réellement la volonté- de concurrencer les plateformes de streaming.
Autre secteur, celui de l’édition. Nous avons consacré au rapprochement entre les groupes Lagardère et Vivendi, donc Hachette et Editis, une table ronde qui, là encore, a permis à chacun de s’exprimer et de développer ses craintes. J’ai été très sensible aux inquiétudes convergentes des auteurs, des libraires et des éditeurs, en particulier sur la distribution. Là encore, l’affaire est en cours d’examen, cette fois-ci par les autorités européennes. Je formule le souhait que Bruxelles entendra les inquiétudes fortes exprimées devant notre commission d’enquête et en tiendra compte.
J’en viens maintenant aux propositions.
J’ai souhaité les construire de manière consensuelle, sans reprendre des dispositions auxquelles je suis attaché, mais qui n’auraient pas favorisé le consensus. Après tout, nous retrouverons notre liberté de parole à l’issue de nos travaux ! Il nous appartient de tracer les contours d’un équilibre entre règles économiques et spécificité du secteur des médias, une problématique qui est en fait le coeur de nos travaux depuis le début.
Je propose en premier lieu d’aller plus loin que la loi du 14 novembre 2016 pour mieux garantir I’indépendance et l’éthique dans les médias. Cette loi a constitué un grand progrès à l’époque, mais le bilan qu’en trace le rapport souligne ses limites. Nous l’avons tous senti, notamment lors de la table ronde consacrée aux comités d’éthique. Elles ont d’ailleurs été relevées par de nombreuses personnes auditionnées par la commission d’enquête.
On pourrait donc envisager un triptyque autour de trois pôles dans les grands groupes de médias, ou qui en possèdent. Tout d’abord, la nomination d’un administrateur indépendant spécifiquement chargé des questions d’éthique et d’indépendance dans les groupes qui possèdent des médias. Sa nomination serait validée par l’Arcom et il disposerait d’un pouvoir d’évocation devant le conseil d’administration (propositions 1 à 3).
Il travaillerait en lien étroit avec des comités dits d’éthique régénérés, rendus plus visibles et dotés de moyens leur permettant d’exercer leurs missions. Leur présence serait par ailleurs obligatoire dans tous les groupes de médias, et pas uniquement l’audiovisuel (propositions 4 à 9).
Enfin, dernier acteur de ce triptyque, l’Arcom, qui devrait travailler en lien étroit avec ces comités et l’administrateur indépendant (propositions 10 et 11).
Afin de renforcer encore la prévention des conflits d’intérêts, il pourrait (proposition 12) être suggéré à I’AFEP et au Medef de réviser le code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées pour prévoir une attention particulière aux médias intégrés au groupe. Lors de son audition, le ministre Bruno Le Maire a jugé cette piste particulièrement prometteuse.
Les propositions 13 à 17 visent à offrir un meilleur cadre de travail aux journalistes. Ainsi, la rédaction aurait le pouvoir de refuser à une majorité quaIifiée des deux tiers un directeur de rédaction, et devrait être informée des motivations d’un départ. II ne s’agit en aucun cas de contester les pouvoirs du propriétaire du média, mais plutôt d’envisager des relations plus sereines et confiantes dans les rédactions.
Les propositions 18 à 20 ont pour ambition de prendre en compte le statut et l’importance particulière de l’information dans les médias audiovisuels. Il serait ainsi prévu un montant minimal d’investissement dans l’information, qui serait bien entendu différencié en fonction de la nature de l’antenne, avec une attention spécifique pour les chaînes d’information.
Les propositions 21 à 24 cherchent à renforcer l’autorité du régulateur, l’Arcom, en l’engageant à traiter plus rapidement les dossiers et en étendant les obligations d’information. Sur le modèle britannique et américain, le régulateur serait également chargé d’un rapport tous les quatre ans sur un état des lieux des concentrations, qui lui permettrait de proposer en continu des évolutions au législateur.
Les propositions 25 et 26 ont pour objet de mieux faire respecter les droits voisins des agences de presse et des éditeurs, afin de préserver leur équilibre économique. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de négociations qui traînent en longueur, ni de l’opacité des accords.
La proposition 27 reprend une idée du rapport dit « Leleux-Gattolin » de 2015, adopté, je le rappelle, à l’unanimité, sur une contribution forfaitaire universelle destinée à financer l’audiovisuel public.
Les propositions 28 et 29 s’intéressent à la réforme des aides à la presse. Il serait ainsi tenu compte de la situation financière du groupe pour l’octroi de ces aides, et une bonification pour les propriétaires de médias qui respecteraient certains critères, comme l’agrément du directeur de la rédaction ou bien l’adhésion au CDJM.
Enfin, les propositions 30 à 33 tracent quelques perspectives de réforme de la loi de 1986. Il faut être honnête, il s’agit d’une tâche herculéenne, et nous attendons avec impatience le travail plus technique auquel se livrent actuellement les inspections des finances et des affaires culturelIes. Nos interlocuteurs, après avoir presque rituellement dénoncé son caractère obsolète, s’en sont tenus à des propos très peu précis, et pour partie contradictoires.
La loi de 1986 est en effet un tout, qui ne s’intéresse pas uniquement aux concentrations, mais structure tout le paysage français de l’audiovisuel. De plus, toute modification que nous pourrions envisager ne pourrait avoir de caractère rétroactif, et bénéficierait donc en premier lieu aux positions d’ores et déjà acquises. Dès lors, je vous propose de prendre date en prévoyant un débat au Parlement en 2022 sur la base de notre rapport, mais également du travail des inspections. Par ailleurs, il me paraît possible d’envisager rapidement, dans le cadre d’une réforme a minima, d’y intégrer l’ensemble de la presse écrite et non plus seulement la presse quotidienne d’information politique et générale, et de soumettre au contrôle de l’Arcom tout changement capitalistique des chaînes non hertziennes, qui prennent une place de plus en plus importante.
Enfin, et comme «point de fuite », je propose une approche assez radicale, déjà en partie pratiquée en Angleterre, qui consiste à prendre en compte les médias non plus en silo, mais dans la globalité de leur influence, avec le concept de « part d’attention ». Il s’agit simplement, quel que soit le support, de mesurer – cela peut se faire par sondage – la part qu’occupe chaque groupe, à travers ses divers médias, dans l’accès à l’information de nos concitoyens. Une telle analyse a ainsi permis de mesurer que le groupe News Corp de Rupert Murdoch pesait plus de 10 % de l’accès à l’information aux États-Unis, devant Facebook. S’il s’agit encore d’un travail universitaire, il est actuellement largement cité dans le monde et s’avère prometteur dans le cadre d’une législation tournée vers l’avenir, qui engloberait tous les aspects des médias.
J’espère sincèrement que nous pourrons dans quelques instants prouver une nouvelle fois la capacité du Sénat à faire émerger des consensus en tombant d’accord pour l’adoption de ce rapport.
M. Jean-Raymond Hugonet. – La concentration des médias en France est un sujet très ancien qui a déjà donné lieu à débat. La dernière réflexion d’ensemble notable dans ce domaine date de 2005. Il s’agissait du rapport d’Alain Lancelot, produit à la demande du Premier ministre de l’époque, Jean-Pierre Raffarin. Reconnu de grande qualité, ce travail, fort de 22 propositions, n’a pourtant jamais été suivi d’une véritable réforme, alors même qu’il concluait à l’inadaptation de notre cadre réglementaire. Je rappelle qu’en 2005, Internet n’en était qu’à ses balbutiements et que tous les archaïsmes de la loi de 1986 n’ont fait que s’accentuer, comme l’a très bien noté l’Autorité de la concurrence dans son rapport du 21 février 2019 sur la réforme de l’audiovisuel. Au mieux a-t-on pu constater quelques réformes paramétriques, au fil de l’eau, dont la dernière en date fut celle du 25 octobre 2021, lorsque nous avons introduit, ici, au Sénat, de nouveaux plafonds de concentration applicables à la radio et aux télévisions locales lors de l’examen du projet de loi sur la régulation et l’accès aux oeuvres.
Avec le projet de fusion entre TF1 et M6 et l’offre publique d’achat amicale de Vivendi sur Lagardère, l’actualité récente replace le sujet de la concentration dans le secteur des médias sous le feu des projecteurs. Ainsi, la ministre de la culture, Roselyne Bachelot, et le ministre de l’économie, des finances et de la relance, Bruno Le Maire, ont confié à leurs deux inspections une mission chargée de dresser un état des lieux des phénomènes de concentration, de mener une analyse approfondie de notre cadre juridique sectoriel et de formuler des propositions en vue de sa modernisation.
Parallèlement, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat a fait valoir son droit de tirage en faveur d’une commission d’enquête et en a confié la fonction de rapporteur à notre collègue David Assouline. L’initiative d’un travail parlementaire sur ce sujet était pertinente, même si l’on peut s’interroger sur le recours à l’outil de la commission d’enquête. Quels étaient en effet les faits graves sur lesquels il s’agissait d’enquêter ? Après quatre mois de travaux, on les cherche encore ... Et force est de constater que les auditions menées n’ont pas permis de révéler des faits qui n’étaient pas déjà largement connus et étayés. Mais là n’est sans doute pas l’essentiel.
La question importante est de savoir si nos travaux ont permis de démontrer l’existence de concentrations excessives dans le secteur des médias. Comme ont pu en attester de nombreuses personnalités auditionnées, et notamment Roselyne Bachelot, ministre de la culture, ainsi que Roch-Olivier Maistre, président de I’Arcom, il est clairement établi que le paysage médiatique est beaucoup moins concentré aujourd’hui qu’il ne l’était, par exemple, voilà 40 ans.
Par ailleurs, les mouvements de concentration à l’oeuvre ces derniers temps ne sont pas propres à la France. Sur le plan international, et notamment aux États-Unis, des opérations, d’une tout autre envergure que celles qui nous préoccupent ont été ou sont en train d’être conduites.
Dans une première approche, donc, rien ne permet de conclure à une concentration excessive dans le secteur des médias en France, notamment au regard de la situation des autres pays européens.
On aurait aimé que le rapport rappelle davantage cet acquis de nos travaux, plutôt que d’évoquer « une réalité protéiforme en évolution continue ». La réalité est un peu différente. Il n’y a pas aujourd’hui de concentration excessive en France dans les médias. Nous devons le rappeler autant que nécessaire.
Un deuxième constat important de nos travaux concerne la convergence des médias, qui est aujourd’hui à l’oeuvre. Que ce soit pour la télévision, la radio ou la presse, l’avenir sera numérique ou ne sera pas. Le véritable sujet consiste donc aujourd’hui non pas à imaginer de nouvelles contraintes à imposer aux entreprises françaises, mais, au contraire, à alléger le poids des contraintes existantes pour permettre à nos médias de se battre à armes égales avec leurs concurrentes américaines.
Malheureusement, cette urgence n’apparaît pas dans les conclusions des travaux de la commission d’enquête. Sur la trentaine de propositions, aucune ne vise à assouplir une réglementation ou à favoriser le développement des acteurs nationaux. Toutes ou presque visent à renforcer les contraintes, les contrôles et les interdictions ...
Pourtant, nous avons tous entendu que les acteurs français voient arriver un grand péril. Pour répondre à la concurrence disproportionnée des Gafam, à l’affaissement de la durée d’écoute par individu (D.E.I) de la télévision et à l’évolution drastique des attentes des consommateurs, la convergence des médias est inéluctable, car elle est porteuse de promesses pour le dynamisme économique du secteur.
Bien évidemment, les règles qui encadrent la concentration plurimédias doivent maintenant tenir compte de cette réalité incontournable. Au lieu de cela, le rapport constitue trop souvent un réquisitoire à charge contre les grands groupes privés de médias français, notamment Vivendi.
Le parti pris du rapport est de dénoncer les rapprochements entre entreprises, en particulier lorsqu’il s’agit de secteurs complémentaires (concentrations verticales et « diagonales »), alors même que cette convergence des médias constitue en réalité une formidable opportunité pour permettre à des groupes français d’émerger en maîtrisant l’ensemble de la chaîne de valeur.
À cet égard, la réflexion sur le fonctionnement réel d’une entreprise reste très limitée. Aucun développement significatif n’a été fait pour étudier les notions de coûts fixes, qui sont importants dans les médias, et d’économies d’échelle, que permet l’émergence de grands groupes.
En réalité, la stratégie des entreprises n’est pas vraiment prise en compte ; seuls les risques sont mentionnés, comme le multiplication des plans sociaux, sans pour autant que soit évoquée l’évolution des techniques et des méthodes de travail, qui nécessitent impérativement la recherche de gains de productivité.
À défaut de recourir à des arguments économiques et financiers rigoureux, le rapport vise, en réalité, à contester la légitimité pour des grands groupes (Bouygues, Bolloré, SFR-Altice...) à se diversifier dans des médias, en insistant sur cette spécificité française. Outre le fait que le groupe Agnelli en Italie constitue également un groupe diversifié, le rapport ne prend pas l’exacte mesure des transformations en cours, qui ont amené, par exemple, Amazon, un supermarché en ligne, à créer une plateforme SVOD, ou Apple, fabricant d’ordinateurs, à créer des plateformes de contenus en ligne.
Faute d’avoir pu démontrer l’existence d’un risque de concentration excessive, le rapport laisse donc planer un doute et s’emploie à établir un lien entre la concentration, qui est essentiellement un problème économique, et le pluralisme, qui, lui, est un enjeu démocratique. C’est le sens de la troisième partie, intitulée «Quels sont les risques des concentrations ? ».
Je ne comprends pas bien le raisonnement consistant, faute d’avoir pu établir l’existence de concentrations excessives, à s’interroger longuement sur les risques de ces concentrations, qui n’existent pas ... Ou plutôt, on ne comprend que trop bien l’objectif, qui vise, une fois de plus, à s’en prendre à certaines entreprises et à certains de leurs actionnaires, dans le prolongement des auditions auxquelles nous avons assisté.
Je regrette à cet égard plusieurs développements du rapport, sans aucun lien avec le sujet, qui donnent de l’importance à des affaires qui ont pu émailler l’actualité, avec pour unique intérêt de porter atteinte à des chefs d’entreprise qui jouent un rôle essentiel pour sauver nos médias. Ces pages ne sont ni particulièrement utiles ni véritablement dignes, mais nous en laissons la responsabilité au rapporteur.
Nous sommes tous ici attachés au pluralisme et à nos valeurs républicaines.
Il existe un lien direct entre l’existence d’un réel droit à l’information et le bon fonctionnement d’une démocratie. La protection du pluralisme, et en particulier le pluralisme de l’information, est d’ailleurs un impératif constitutionnel.
Si le lien entre concentration et pluralisme existe incontestablement, il est nettement moins univoque qu’on le dit parfois. L’exemple de Bertelsmann est venu nous rappeler qu’au-delà d’une certaine audience un grand groupe de médias était obligé de respecter une stricte neutralité pour ne pas heurter ses différents publics. La concentration des médias n’est donc pas, par définition, une menace pour la démocratie. En tout cas pas en Allemagne.
Quelle est aujourd’hui la situation du pluralisme en France ?
Le président de l’Arcom, Roch-Olivier Maistre, a rappelé au Sénat que jamais il n’y a eu pour le citoyen autant de choix pour s’informer. Le pluralisme est une réalité et nous pouvons tous nous en féliciter.
Le rapport accorde beaucoup d’importance à un petit nombre d’affaires qui montreraient que les actionnaires interviendraient dans la vie des rédactions. Outre que ces exemples sont très peu nombreux et ont été contestés par les intéressés lors des auditions, on remarquera que ces « affaires » sont anciennes et qu’aucun fait nouveau n’a été mis en lumière par la commission d’enquête alors que c’était précisément son objet.
Le rapport met certes en évidence une crise de la profession de journaliste, mais cette crise n’a aucun rapport avec l’actionnariat des médias, comme cela a pu être affirmé sans aucune preuve. Cette crise trouve ses raisons dans la mauvaise santé des groupes de médias, la recherche de gains de productivité, le développement de la précarité. Elle s’explique aussi par la faible place accordée à l’investigation dans la formation des journalistes français et la concurrence de nouveaux sites plus agiles et percutants.
Au lieu de s’interroger sur la façon de redonner du lustre à la belle profession de journaliste, afin de renforcer leur légitimité et, par là même, leur poids face aux actionnaires, le rapport préfère faire le procès de ces derniers, rêvant d’un monde où les médias privés n’auraient pas d’actionnaires, mais au mieux des mécènes, qui accepteraient d’investir en s’interdisant le moindre droit de regard sur le fonctionnement de leurs entreprises.
Le cas des chaînes d’information résume à lui seul tous les termes du malentendu et de notre désaccord.
Oui, le modèle des chaînes d’information a évolué, mais ce n’est pas du fait d’un projet politique des actionnaires ; c’est d’abord le fait d’une réponse à une équation économique rendue impossible par l’arrivée en clair de LCI et la création de la chaîne FranceInfo. Le rapport aurait pu mettre en évidence l’erreur qui a été faite de doubler ainsi le nombre de chaînes d’information, interroger les responsables et chercher des solutions. Il aurait pu ainsi recommander qu’une des conditions posées à l’acceptation de la fusion entre TF1 et M6 soit l’abandon de la chaîne LCI afin de rétablir un modèle économique pour les chaînes d’information.
Je rappelle que seule BFM est rentable et que CNews et LCI sont en déficit depuis des années. Une telle recommandation concernant LCI aurait été intéressante, à la fois pour limiter le poids du nouveau groupe et permettre d’accroître les moyens de BFM et CNews afin de leur permettre d’investir plus dans l’information.
Au lieu de cela, le rapport s’échine à faire le procès de la chaîne CNews en voulant absolument lui accoler l’étiquette de « chaîne d’opinion ».
Nous n’allons pas refaire les débats qui ont occupé une place déraisonnable dans nos travaux. Je ne vais pas soutenir que cette chaîne a toujours été exemplaire, mais on ne peut nier non plus que cette « chaîne de débats » a trouvé son public et que son modèle ne pose plus aujourd’hui de difficulté particulière. Le débat est une dimension essentielle de l’information et de notre vie publique.
Nous ne pouvons pour notre part, au sein du groupe Les Républicains, accepter de voter un rapport qui condamnerait les débats pluralistes sur les sujets qui intéressent les Français et qui sont trop souvent occultés par les autres médias, notamment publics.
Ce rapport traduit par ailleurs une volonté de donner le plus d’indépendance possible aux journalistes, sans considération pour les actionnaires.
Au moins, l’audition du 14 janvier 2022 d’Ernmanuel Vire, secrétaire général du Syndicat national des journalistes-CGT, retranscrite en page 145 du présent rapport, est venue apporter un éclairage intéressant sur la réalité de la situation. Je le cite : « Je ne crois aucunement à la neutralité du journaliste : c’est une fable. Chaque publication a une ligne éditoriale représentée par le directeur de la rédaction. Seul l’audiovisuel public doit faire preuve de neutralité. Si la neutralité du journaliste n’existe pas, ses pratiques professionnelles doivent être conformes à notre déontologie : publier une idée politiquement orientée suppose que celle-ci soit vraie et vérifiée.»
Le problème n’est donc pas la grille de lecture qu’utilisent les journalistes pour décrire les convulsions du monde : la question est celle de la rigueur avec laquelle ils le font !
C’est pour cela que nous demeurons très circonspects sur la volonté du rapporteur de renforcer les comités d’éthique, créés par la loi « Bloche » du 14 novembre 2016. Le rapport considère que leurs pouvoirs sont « trop faibles », sans pour autant expliquer en quoi leurs compétences sont aujourd’hui insuffisantes pour exercer leurs missions.
À ce stade, il convient de rappeler que le Sénat s’était opposé à la création de ces comités en 2016. Le rapporteur de la commission à l’époque, Catherine Morin-Desailly, avait ainsi fait adopter une question préalable, le 29 septembre 2016, au motif, en particulier, que « de nombreuses dispositions, rétablies à l’identique par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, font montre d’une défiance généralisée vis-à-vis des directions des entreprises de médias sur les questions de déontologie, instaurent un mécanisme de contrôle étendu et tatillon et, surtout, renforcent les prérogatives d’une institution – le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) – dont le rôle et l’étendue des pouvoirs ne font plus consensus. Le texte, tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale, ouvre la voie à la mise en place d’un mécanisme de contrôle ex ante de l’information et des rédactions par le CSA, qui constitue une atteinte à la liberté de communication.»
Les comités d’éthique créés par la loi Bloche ne servent pas à grand-chose.
Quel serait le sens pour le Sénat, qui a refusé leur création en 2016, d’accorder aujourd’hui à l’Arcom un pouvoir de quasi-tutelle sur les médias privés, alors que telle n’est ni sa fonction ni sa vocation ? J’ai été sensible à l’idée de créer des administrateurs indépendants dans les instances de gouvernance des médias, mais je suis plus sceptique quant au projet de faire dépendre de tels administrateurs de l’Arcom, qui n’a pas encore démontré son indépendance, en particulier en matière de nomination des dirigeants de l’audiovisuel public.
Je conclurai d’ailleurs en m’interrogeant sur l’étrange mansuétude dont fait preuve le rapport à l’endroit du service public. Entre autres sujets, les nominations des dirigeants de l’audiovisuel public par l’Arcom, peu transparentes et sujettes à débat, ne font pas l’objet du même traitement que celui qui est réservé aux dirigeants des grands groupes de médias. Les modalités de nomination des dirigeants de l’audiovisuel public adoptées en 2013 n’ont malheureusement pas permis de lever tous les soupçons en la matière. Il est regrettable que le rapport passe aujourd’hui cette question sous silence...
La nomination de Delphine Ernotte à la tête de France Télévisions, en 2015, a ainsi fait l’objet de plaintes de la CFDT-Médias et de la CGC-Audiovisuel, qui soupçonnaient notamment le président du CSA, Olivier Schrameck, d’avoir fait pression sur d’autres membres de l’instance pour écarter certaines candidatures au profit de Delphine Ernotte. On peut regretter, au passage, que ces deux syndicats n’aient pas été auditionnés, de même que les autres acteurs du dossier – je pense en particulier à Pascal Josèphe, première victime de ces arrangements de couloirs.
Le rapport accorde beaucoup de place à l’influence supposée des actionnaires privés sur les rédactions ; mais pourquoi ce silence concernant les rédactions des médias publics ? Le journal Le Monde s’est pourtant fait l’écho d’interrogations portant sur la neutralité de certaines nominations à France Télévisions. Dans un article en date du 13 mars 2021, il était expliqué qu’ « à près d’un an de l’élection présidentielle des salariés craignent que l’arrivée de Cyril Graziani à la tête du service ne sème le doute sur son indépendance », celui-ci étant en particulier « réputé être l’un des rares journalistes avec lesquels Emmanuel Macron échange volontiers ». « Il se vante lui-même de commenter The Voice avec le Président de la République, le samedi soir, par texto, assure un autre [salarié]. »
Cet article du Monde est venu accréditer l’idée que le renouvellement du mandat de Delphine Ernotte s’était opéré avec le soutien de la majorité en échange de « garanties » sur le traitement de l’information à un an de l’élection présidentielle.
De tels soupçons sont évidemment de nature à nuire à la crédibilité du service public. Ils ont été rapportés par des journalistes aussi indépendants que ceux qui sont abondamment cités par le rapport lorsqu’ils mettent en cause en cause Vincent Bolloré. Pourtant, le rapport n’en fait pas état, laissant planer une impression dérangeante de « deux poids, deux mesures ».
Le rapport de notre collègue David Assouline est le rapport de David Assouline. Nous ne partageons ni sa philosophie ni certaines de ses conclusions. Nous regrettons également la façon dont ont été menées de nombreuses auditions. Les commissions d’enquête du Sénat ne sont pas des tribunaux révolutionnaires et l’objectif de nos travaux n’a jamais été de planter des têtes au bout d’une pique !
M. Pierre Laurent. – On en est loin !
M. Jean-Raymond Hugonet. – Cela étant dit, un travail important a été réalisé et je rends hommage à l’action du président de la commission, notre collègue Laurent Lafon, qui a fait son possible pour revenir à de plus justes recommandations.
Puisqu’il me faut conclure, au nom de mes collègues du groupe Les Républicains, je suis obligé de constater que, malgré les efforts qui ont été faits, le compte n’y est pas.
Si nous pouvons, à la rigueur, nous retrouver sur l’analyse de la situation, et ce bien que nous déplorions l’absence de vision stratégique, il n’est en revanche pas possible de valider la mise en cause d’un grand groupe français et de sa chaîne d’information ; il n’est pas compréhensible que le secteur public soit exonéré à ce point de toute critique précise ; il n’est pas envisageable de donner notre accord à une mise sous tutelle de l’Arcom des médias privés, laquelle porterait un coup fatal à la liberté de communication.
Sur ces trois points au moins, sauf à ce que des modifications substantielles soient apportées, notre opposition de principe nous obligera à voter contre ce projet de rapport.
M. Max Brisson. – Ce rapport me laisse, c’est le moins que l’on puisse dire, circonspect, quant aux objectifs recherchés et quant aux résultats enregistrés, sans parler du recours à une commission d’enquête, celle-ci n’ayant rien découvert que ce que l’on savait déjà.
Ce rapport est d’abord caractérisé par un déséquilibre, pour ne pas dire un « deux poids, deux mesures », qui affecte tant le constat que les propositions qui en découlent. Ce déséquilibre conduit à un traitement bienveillant de l’audiovisuel public, qui n’est jamais interrogé ni sur son indépendance réelle face à l’exécutif, ni sur la manière dont il garantit la neutralité qui sied à son statut, ni sur la façon dont il organise le pluralisme interne. Au contraire, le rapport s’évertue à prouver son indépendance en relayant à l’envi l’idée d’une absence de toute tentative d’influence, affirmée par ses dirigeants sans autre forme de contestation.
À l’opposé, le déséquilibre débouche sur un réquisitoire contre un groupe, et contre une chaîne de ce groupe, qui s’apparente à de l’acharnement. Onze pages sont consacrées à CNews, pour seulement 2 % d’audience, et l’analyse sémantique des propos de son principal dirigeant, reposant sur une transcription de ses affirmations orales, doit pour le moins être discutée au moment où l’on nous demande d’approuver ce projet de rapport.
Mais est-ce vraiment là l’essentiel ? N’est-ce pas davantage dans ce qui manque que se situe le déséquilibre ? Le principal manque, le voici : ce rapport n’étaye pas la thèse selon laquelle la concentration excessive dans le secteur des médias en France serait une réalité. La réalité qui finit par se dessiner est en fait tout autre : le paysage médiatique est aujourd’hui moins concentré qu’il ne le fut dans le passé. À partir d’une évidence non posée et non étayée, le rapport se veut pourtant démonstratif ; mais démontre-t-il vraiment que la concentration des médias, qu’il peine à prouver, menace l’indépendance des rédactions et par là même la crédibilité de l’information ?
Les cas d’intervention, présentés comme rares, mais largement développés, permettent-ils vraiment de conclure à un problème systémique qu’il faudrait résoudre au plus vite ? Tout en affirmant qu’il est délicat de trancher sur des influences directes, le rapport évoque un « faisceau de présomptions » – en fait, trois cas présentés au conditionnel qui suffisent au rapporteur à déduire « une forme de pression ». De même, la défiance croissante et inquiétante à l’égard des journalistes n’a-t-elle d’autres facteurs que ceux qui seraient éventuellement corrélés à la concentration des médias ? N’eût-il pas été plus judicieux d’analyser comment la multitude de nouveaux vecteurs de diffusion audiovisuels, internet, YouTube, bouscule les principes et les règles inhérents à la finitude des supports par ondes ?
Affirmer sans l’avoir véritablement démontré que la concentration porte intrinsèquement en elle le risque d’une information partielle et de qualité dégradée, n’est-ce pas faire peu de cas d’autres facteurs, comme la fragilisation économique de la presse écrite, les difficultés qu’elle rencontre dans la recherche d’un nouveau modèle économique à l’ère numérique, la réduction du nombre de titres de la presse traditionnelle ou la multiplication des nouveaux supports, qui fait voler en éclats le cadre contraint de la diffusion audiovisuelle ? Nous aurions apprécié que soient davantage analysées les raisons qui motivent les groupes industriels à entrer dans le capital de sociétés de presse.
Votre rapport est prisonnier de votre volonté de démontrer qu’il faut davantage de régulation et de contrôle. Le constat dressé est parfois exact, si nous faisons abstraction des déséquilibres que j’ai mentionnés. Il est bien dommage, néanmoins, que vous n’ayez pas exploré les voies par lesquelles la puissance publique pourrait utilement orienter les dynamiques de convergence vers l’émergence d’une offre de médias français susceptible de faire contrepoids aux plateformes tout en garantissant le pluralisme indispensable à notre démocratie.
Les mouvements actuels de convergence, terme plus approprié que celui de « concentration », en matière de télévision, de radio, d’internet, d’édition et de presse écrite, ne méritent-ils pas que l’on repense nos dispositifs de lutte contre la concentration ? Devant ces évolutions, faut-il renforcer les contraintes ou les assouplir ? La question est posée, mais ce rapport l’ignore.
Or on peut s’interroger, face au poids des Gafam et devant la perte d’audience de la télévision et la convergence des médias, sur les règles qui régissent actuellement la régulation. Car ces rapprochements, et les économies d’échelle afférentes, sont nécessaires pour assurer la pérennité de certains médias. La stratégie des entreprises méritait une autre analyse qu’un réquisitoire à charge.
Ce rapport est fondé sur une analyse datée, qui pousse à durcir la loi Bloche de 2016 sur laquelle, déjà, le Sénat avait voté la question préalable sur l’initiative de notre collègue Catherine Morin-Desailly. Jean-Raymond Hugonet va nous proposer, au nom des commissaires du groupe Les Républicains, plusieurs amendements pour tenter de réduire les déséquilibres constatés sans pour autant les faire disparaître. Ces amendements visent également à amoindrir les effets de la loi de 2016, qui ne nous semble pas en phase avec les mutations du secteur. S’ils sont acceptés, nous pourrons approuver ce projet de rapport, donc le laisser publier. Il restera le rapport de David Assouline, car nous ne l’aurions ni conçu ni rédigé ainsi. Dans le cas contraire, nous serions dans l’obligation de voter contre.
Mme Monique de Marco. – Je viens d’entendre deux réquisitoires à charge contre ce rapport, ce qui me dérange quelque peu... Je n’imaginais pas un tel rejet du travail que nous avons fourni ensemble pendant quatre mois, que j’ai trouvé très intéressant. Ce rapport, selon moi, reflète les auditions qui ont eu lieu.
Je suis rassurée néanmoins de constater qu’il est encore possible de discuter. Cela me dérangerait que ce document, qui me paraît une bonne base de travail, soit purement et simplement rejeté. Je ne peux laisser dire qu’il s’agit du rapport de David Assouline : il y a un peu de nous tous dans ce rapport.
J’estime, pour ma part, que nous aurions même pu aller plus loin et faire des propositions plus constructives. Voilà un sujet pour un autre rapport, une autre commission d’enquête ou mission d’information : comment lutter contre les Gafam ?
En tout état de cause, je suis étonnée et même choquée de ce rejet du travail mené. Les propositions du rapport me semblent même insuffisamment engagées eu égard à ce que nous avons entendu. Il faut aller plus loin pour combattre les dangers qui ont été signalés, et réfléchir à l’échelon européen, sur les problèmes de l’édition par exemple.
Votre position, chers collègues du groupe LR, est selon moi purement idéologique ; je le déplore. Je ne souhaite pas que ce rapport passe à la trappe, mais qu’il soit publié. J’écouterai avec attention vos propositions de modification – je suis ravie de cette porte ouverte. En l’état, je suis plutôt favorable à la publication de ce rapport, bien qu’il ne soit pas parfait. Son contenu pourrait utilement être approfondi dans le cadre d’une proposition de loi qu’en tant que groupe majoritaire vous auriez tout loisir de soumettre au Sénat.
M. Pierre Laurent. – Ce rapport mérite publication ; il faut chercher jusqu’au bout la voie qui permettra cette publication. Il contient de nombreuses propositions et de nombreux constats qui méritent d’être mis entre les mains de nos concitoyens, et il serait dommage de ne pas donner publicité au travail accompli, qui suscitera le débat, certes, comme il a suscité le débat entre nous au fil des auditions.
Je suis très étonné par ce que je viens d’entendre, à savoir qu’il n’y aurait pas de problème de concentration : j’ai le sentiment d’une régression. L’exigence de régulation des concentrations, c’est la norme dans notre législation. Ce principe n’a jamais été mis en cause, pendant les auditions, aussi frontalement que ce soir – « circulez, il n’y a rien à voir ! » nous est-il opposé en substance. Or les auditions ont montré qu’aux problèmes présents s’ajouteraient bientôt d’autres difficultés – je ne citerai que la fusion entre TF1 et M6, qui mérite à l’évidence qu’on s’y penche politiquement. Affirmer que le paysage des concentrations est meilleur aujourd’hui que voilà trente ou quarante ans, ce n’est pas raisonnable ! Il suffit pour s’en convaincre d’observer le rôle de la publicité dans l’économie des médias et le niveau de concentration que l’on est en train d’atteindre en matière de maîtrise de ce marché.
Ce qui m’inquiète encore plus, c’est qu’en définitive deux éléments posent problème, si j’ai bien compris la conclusion de Jean-Raymond Hugonet. Le premier, c’est, pour parler clair, la défense de Bolloré, à tel point que vous allez même jusqu’à suggérer qu’il faudrait fermer LCI pour protéger les chaînes d’information continue.
M. David Assouline, rapporteur. – Incroyable !
M. Pierre Laurent. – Les bras m’en tombent... Je serais curieux de savoir ce qu’en penserait le grand public !
Si une chose fait bien consensus, lorsqu’il est question d’indépendance des rédactions et de protection de la démocratie, c’est qu’il y a matière à s’interroger du côté des méthodes de Bolloré. Songez à ce qui s’est passé chez iTélé ou chez Europe 1 – la moitié de la rédaction a dégagé en quelques semaines... –, par exemple. Ce n’étaient pourtant pas des nids de gauchistes... Je le répète : « Circulez, il n’y a rien à voir », ce n’est pas une position raisonnable. Je plaide pour que nous allions au bout de cette discussion.
Deuxième grande objection : le manque de charge contre le service public, au moment même où le Président de la République, de son côté, propose rien moins que la suppression de la redevance, c’est-à-dire de la principale ressource du service public. Peut-être les grands esprits se rencontrent-ils, mais, à tout le moins, il y a alerte...
La discussion que nous avons à l’issue des auditions montre qu’il y a là un sérieux sujet de débat public, très au-delà de l’objet restreint de notre commission. À cet égard, la non-publicité du rapport me paraîtrait un acte politique déraisonnable.
Les propositions de modification dont nous allons débattre n’iront probablement pas dans le sens que je souhaite. Notre travail aurait mérité des propositions plus audacieuses, sur la révision de la loi de 1986 et la question des seuils notamment. Mais, au point où nous en sommes, il nous faut nous accorder afin de publier un rapport, en dépit de tout ce que j’entends ce soir.
M. Michel Laugier. – Nous nous retrouvons après quatre mois de travail, 48 auditions, 100 heures de réunion ; à la clé, 354 pages de rapport. Je veux commencer par remercier tous ceux qui se sont investis dans ce travail. Un projet de rapport nous est soumis. Je me trouve plutôt en phase avec la première partie du propos de Jean-Raymond Hugonet, mais pas avec la deuxième.
À titre personnel, en effet, je trouve le rapport plutôt acceptable. Nos auditions n’ont pas été un long fleuve tranquille ; en définitive, ce rapport est là et bien là. Je n’en partage pas toutes les lignes, mais, dans sa globalité, je m’y retrouve. Certains passages, c’est vrai, n’apportent pas grand-chose...
CNews, c’est un sujet important – l’audition, d’ailleurs, a été très suivie. Dans le rapport, on retrouve toutes les questions et toutes les réponses, nombreuses, qui ont été apportées par les différentes parties. Si nous nous sommes particulièrement intéressés à CNews, c’est qu’il s’agit de la chaîne qui a été la plus sanctionnée par l’autorité de régulation : il était normal que nous nous y penchions.
La priorité est aujourd’hui que l’autorité de régulation, à savoir l’Arcom, puisse faire son travail, c’est-à-dire fasse respecter les cahiers des charges – cela est valable pour toutes les chaînes hertziennes, et pas seulement pour CNews.
Quant aux propositions, certaines sont très pertinentes – je pense à l’aide à la presse. Il faut que nous nous intéressions beaucoup plus au monde du numérique, aux grandes plateformes, aux Gafam : le véritable danger vient de là, nous l’avons bien vu à propos du marché de la publicité. Un chiffre m’a marqué : Google a engrangé en 2021 un bénéfice annuel net de 76 milliards de dollars, soit l’équivalent du chiffre d’affaires du groupe LVMH, propriété de Bernard Arnault, figure marquante de l’économie française – groupe qui réalise, lui, 12 milliards d’euros de bénéfice. Le danger, donc, vient du numérique plus que des médias traditionnels : il va falloir que nous légiférions rapidement.
J’espère qu’à l’issue de cette réunion nous serons passés d’un projet de rapport à un rapport.
Mme Sylvie Robert. – Merci à notre rapporteur, à notre président, à tous ceux qui ont travaillé à la rédaction de ce rapport. Max Brisson n’a rien appris ? J’ai beaucoup appris, moi, au fil de ces 85 auditions, sur l’organisation du système des médias en France.
J’ai très mal vécu les tensions qui sont nées lors de certaines auditions ; elles n’étaient pas à la hauteur de l’enjeu. L’avancée de nos travaux a eu néanmoins le mérite d’enrichir nos débats ; au fur et à mesure, nos questions se sont faites toujours plus précises : appréhendant cette matière dans sa grande complexité, nous avons collectivement progressé.
Ce sujet, celui des médias et de leur influence sur la fabrication de l’opinion dans une société démocratique, est central dans le débat public. Le cas douloureux de la Russie et de l’Ukraine nous apprend aussi beaucoup sur ces questions.
Il fallait trouver une ligne de crête pour sortir des schémas binaires : d’un côté, vive les concentrations contre les plateformes ! De l’autre, attention aux menaces que les concentrations font peser sur le pluralisme et l’indépendance...
La notion de marché pertinent s’est avérée essentielle pour traiter la question des plateformes. Personne autour de cette table n’a un point de vue arrêté sur ce qui est en train de se passer sur le terrain des concentrations, qu’elles soient horizontales, diagonales ou verticales. C’est ce phénomène que nous avons essayé de déceler, de comprendre et d’analyser.
Compte tenu de tout ce que nous avons entendu lors des auditions, j’aurais été plus loin que les préconisations du rapport. Il y a dans le document qui nous est soumis un souci constant, marqué par l’usage du conditionnel et de tournures prudentes, de ne pas prétendre asséner une vérité : s’y exprime une volonté de compromis. Quand j’entends Jean-Raymond Hugonet dire qu’il n’y a pas de problème – « circulez, il n’y a rien à voir ! » –, je me dis que nous n’avons pas vécu dans la même réalité pendant quatre mois.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Je confirme !
Mme Sylvie Robert. – Je trouve cela triste pour vous : nous n’avons pas compris les mêmes choses – à mon tour d’y voir, de votre part, une forme d’idéologie.
Jean-Raymond Hugonet a dit aussi que ce rapport était le rapport de David Assouline. Ce n’est pas juste : nous étions présents nous aussi lors des auditions, nous avons posé des questions, des réponses ont été faites, la réflexion a progressé, nous avons pris nos responsabilités. Et notre rapporteur tente un compromis – regardez les tournures de phrase ! Le constat est objectivé, ce sont des faits et des hypothèses qui nous sont soumis.
C’est la fabrication de l’information et sa qualité, donc l’indépendance des journalistes et les conditions dans lesquelles ils travaillent, qui sont en jeu. À cet égard, la responsabilité des législateurs que nous sommes est d’aller un peu plus loin que l’existant ; tel est l’objet des 33 recommandations du rapport. À titre personnel, j’aurais été beaucoup plus loin, mais je peux comprendre qu’un compromis soit nécessaire.
Je trouverais vraiment dommage que toutes ces heures que nous avons consacrées à ce sujet éminemment politique ne débouchent sur rien. Un échec du Sénat serait forcément interprété dans un sens bien particulier... Je n’ai pas de problème avec les industriels ; la question n’est pas là. Il s’agit de verser au débat public la question de l’impact des concentrations sur le pluralisme et sur la qualité de l’information.
Je serais très triste que le Sénat décide de ne pas prendre ses responsabilités en ne publiant pas cette mine d’informations qu’attendent beaucoup de nos concitoyens.
M. Pierre-Jean Verzelen. – C’est la première commission d’enquête à laquelle je participe ; c’est donc en toute humilité que je m’exprime ce soir. Moi aussi, comme ma collègue, j’ai appris beaucoup de choses. Mais je n’ai toujours pas compris quel était exactement le périmètre sur lequel nous devions travailler : s’agissait-il d’étudier le rapprochement entre TF1 et M6, d’enquêter sur les groupes qui accumulent des acquisitions dans tous les domaines, d’analyser le fonctionnement des chaînes d’information ?
Pour ce qui est du déroulement des auditions, il m’est arrivé à moi aussi d’être gêné par la tournure des événements. Sans dresser un constat d’échec, j’estime que nous aurions pu nous réunir et échanger davantage. Que des oppositions se fassent jour, c’est tout à fait naturel ; c’est inhérent à ce sujet.
Je pense, pour ma part, que les médias souffrent d’un excès de normes, qu’il est inutile d’en rajouter et que les phénomènes de concentration dans les médias ne posent pas de difficultés particulières quant à la diffusion démocratique de l’information.
Dans le document qui nous est présenté, certaines choses me dérangent. Il est toujours possible de ne pas publier le rapport ; reste que si j’étais rapporteur je rêverais que mon rapport ne soit pas publié : ainsi une publicité inespérée lui serait offerte. La non-publication, c’est presque un fait de gloire...
M. David Assouline, rapporteur. – Cela fait un certain nombre d’années que je suis sénateur et que je travaille sur ces questions ; j’ai l’habitude de la controverse. J’ai des opinions, je me bats pour les défendre. Mais j’ai été très affecté par les interventions de Max Brisson et de Jean-Raymond Hugonet, pour qui j’ai une immense estime.
À chaque fois qu’il m’est arrivé d’être chargé d’un rapport, j’ai tâché de mettre mes convictions et mes passions au service du Sénat dans sa pluralité. J’ai écrit des rapports avec des collègues dits de droite sur des sujets controversés comme celui de l’audiovisuel public ; nous avons toujours réussi à avancer d’un même pas, car nous partageons le même socle de valeurs s’agissant de la liberté d’expression.
En l’espèce, on peut regretter la vivacité d’une audition en particulier ; dans ce cas précis, j’ai considéré que la désinvolture des réponses était le symptôme d’un manque de respect à l’égard du Sénat. Si nous n’avions pas fait preuve d’autant d’exigence, on nous aurait reproché de dérouler le tapis rouge à certains plus qu’à d’autres. C’est d’ailleurs ce qui justifie qu’une commission d’enquête ait été créée : une simple mission d’information n’aurait jamais permis d’auditionner tous ces grands propriétaires de médias. Je note d’ailleurs qu’ainsi une tribune leur a été donnée et que l’intérêt du public s’en est trouvé fortement accru. Et certaines des minutes de ces auditions resteront pour l’histoire !
Je remercie le président Lafon. Je connais bien le secteur des médias ; à l’inverse de ce qu’a dit Jean-Raymond Hugonet, j’ai toujours défendu la force de nos entreprises françaises, notamment face aux Gafam. J’en ai fait un cheval de bataille depuis de nombreuses années, y compris à propos de Canal+ : tout ce qui permettait à nos groupes d’être plus puissants pour affronter la concurrence, je l’ai défendu.
Je vous ai laissé me dépeindre en révolutionnaire – vous l’avez fait, y compris publiquement, alors que les travaux de la commission d’enquête étaient en cours. Je me suis astreint, moi, à ne jamais commenter de tels propos, par respect pour mon mandat de rapporteur de cette commission, qui m’oblige. Or ce rapport n’est pas le brûlot dont on parle. Le rédigeant, j’ai toujours veillé à me demander ce que penserait Jean-Raymond Hugonet et ce que penserait Max Brisson : en d’autres termes, j’ai voulu le rapport acceptable et utile. Je peux vous dire qu’à cet égard notre président a été un aiguillon ; il faut dire que je ne vois pas aussi bien que lui dans la pensée de MM. Hugonet et Brisson... Tout ce qui selon lui pouvait provoquer un clivage entre nous, je l’ai supprimé – des dizaines de pages. J’ai l’impression, mes chers collègues, que vous avez rédigé vos interventions, à rebours, en préjugeant de ce que le rapport allait contenir.
Voici ma position : je suis pour des entreprises fortes ; les concentrations sont inévitables, mais elles donnent beaucoup de pouvoir à quelques-uns ; il faut donc réguler. C’est là le principe même de la loi de 1986, qui fait consensus à gauche comme à droite. Auparavant, au temps de l’ORTF, il n’y avait pas de problème. C’est de la libéralisation que sont nés le problème des concentrations et la nécessité de la régulation. C’est M. Léotard qui est à l’origine de la loi de 1986 – pas exactement un grand collectiviste. Quant au rapport Lancelot, il a été écrit sur demande de M. Raffarin... Le principe est toujours le suivant : il faut des règles, comme partout ailleurs – tous les pays régulent !
Pour ce qui est de l’ajustement de ces règles, nous n’avons pas les mêmes idées. Mais tel n’était pas l’objet de ce rapport, dans lequel, précisément, je me suis gardé de mettre les idées qui sont les miennes en matière de révision de la loi de 1986. Je précise d’ailleurs que je n’ai pas la solution : il faudrait un travail parlementaire spécifique. Nous avons connu un changement complet de paradigme avec l’émergence de médias globaux. Le problème n’est plus de réguler par secteur, mais de construire une nouvelle échelle pertinente de régulation et d’inventer à cette fin de nouveaux mécanismes.
Je pensais que nous étions tous d’accord, dans ce pays, pour dire que l’existence même de concentrations économiques impliquait automatiquement d’édicter des règles. La libre concurrence est bien régie par des règles visant à ce que les gros n’écrasent pas les petits – c’est pourquoi il existe une autorité de la concurrence.
Au sujet de ces concentrations, il y a des règles démocratiques à mettre en place. Les pistes que je propose ne sont pas révolutionnaires. Par exemple, je ne propose aucune mesure anticoncentration économique, qui, comme elle ne serait pas rétroactive, empêcherait de nouveaux acteurs d’entrer dans ce marché et consacrerait les monopoles en place. Il n’y a pas de clivage sur ce point.
Comment peut-on préserver l’indépendance des rédactions ? Je suis pour leur accorder un statut juridique particulier, à l’instar de la quasi-totalité du milieu de la presse. Mais comme je sais que ce point fait débat entre nous, je ne le propose pas.
Je vous le dis tout de suite : vous n’êtes pas d’accord avec le fait de donner un droit de veto des deux tiers à la rédaction lors de la nomination d’un nouveau directeur de rédaction. Si cela vous choque, j’enlève cette recommandation même si, de mon point de vue, il ne restera pas grand-chose pour assurer l’autonomie des rédactions.
Rentrons dans le concret. Certaines choses dites par deux collègues ont été dures. J’ai consacré beaucoup de temps à ce rapport, et je considère que de nombreux procès d’intention sont faits. Si ce rapport était publié, les sénateurs pourraient en être fiers. Ce rapport fera référence, ne serait-ce que pour les données qu’il rassemble. Aux côtés de nos administrateurs ou de ceux de la commission des finances, nous avons beaucoup travaillé pour mettre à votre disposition un rapport très élaboré.
M. Laurent Lafon, président. – Lors des auditions, à certains moments, il y a eu des tensions entre nous, et j’ai parfois été en désaccord avec le rapporteur. Les conditions de lecture des rapports des commissions d’enquête sont très particulières, et ne nous laissent pas toujours le calme et le recul nécessaire pour les évaluer.
Ce rapport n’est pas celui de David Assouline – s’il l’avait écrit selon ses convictions, je ne vous demanderais pas de l’examiner. À ma demande – et je l’en remercie – le rapporteur a fait en sorte que ce rapport soit acceptable par le plus grand nombre, quelles que soient nos différences. Il a fait l’effort de rechercher une expression commune, qui, même si elle ne satisfera pas tout le monde, doit nous permettre de nous y retrouver.
Selon l’organisation des commissions d’enquête, lorsque le rapporteur est issu de l’opposition, le président est issu de la majorité. Sur un certain nombre de points, je ne partage pas les opinions du rapporteur. Je lui ai demandé d’opérer un certain nombre de modifications dans son texte, qui ont déjà été acceptées à 90 %.
Je ne voudrais pas que nous restions sur les impressions des auditions : nous avons à voter le rapport dans son expression écrite, et non ce qui s’est dit lors des différentes auditions. J’attire votre attention sur ce point : nous votons bien le rapport.
Nous allons examiner les propositions de modification dans l’ordre du rapport.
La première proposition de modification, déposée par le rapporteur au sujet de la page 132 du rapport, a pour but de tenir compte de l’annonce faite la semaine dernière concernant un accord entre France Télévisions, TF1 et M6, en cas de fusion de ces deux dernières, pour permettre à France Télévisions de sortir de Salto.
M. Max Brisson. – Je ne comprends plus. Ce rapport a bien été écrit par David Assouline, et non par David Assouline et Laurent Lafon. En est-il de même pour cette modification ?
Monsieur le président, vous avez dit avoir largement contribué à ce rapport. Ce rapport a-t-il été fait à plusieurs mains ?
M. Laurent Lafon, président. – Je n’ai présenté cette modification que pour gagner du temps dans nos débats.
J’ai demandé un certain nombre de modifications à David Assouline, qui les a très largement acceptées. Je voulais juste préciser que M. Assouline a rédigé ce rapport au nom de la commission d’enquête.
M. David Assouline, rapporteur. – Que les choses soient claires. J’ai mes idées, mais le rapport que j’ai rédigé doit être validé collectivement. Ce rapport, je l’ai écrit au nom de la commission, pour qu’il puisse satisfaire tous ses membres.
L’organisation d’une commission d’enquête permet une collaboration entre le président et le rapporteur. J’ai cherché à prendre en compte l’ensemble des opinions des membres de cette commission, afin que notre travail de ce soir ne soit pas trop long : en discutant avec le président, qui connaît mieux la diversité des opinions dans la commission, j’ai anticipé de nombreuses modifications. Il n’y a pas de procès à faire sur ce point.
Cette proposition de modification n’a pas beaucoup d’importance ; elle a pour fonction de nous éviter d’être déconnectés de la réalité. Nous avons appris la semaine dernière que France Télévisions céderait ses parts de Salto en cas de fusion de TF1 et de M6. Pour que le rapport ne se trompe pas factuellement, il intègre simplement cette information.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. – Devons-nous obligatoirement voter le rapport aujourd’hui ?
M. Laurent Lafon, président. – Tout à fait.
La proposition de modification n° 1 est adoptée.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Dans la droite ligne de mon propos liminaire, cette proposition de modification n°2 vise à combattre l’étrange mansuétude qui règne au sujet de la nomination des dirigeants de l’audiovisuel public par l’Arcom.
Mme Monique de Marco. – Je ne vois pas lors de quelle audition ce point a été abordé.
M. David Assouline, rapporteur. – Plusieurs pages du rapport concernent l’audiovisuel public. Elles constituent un peu un réquisitoire, car l’ensemble des personnalités auditionnées évoquant des interventions politiques à l’encontre du service public sont mentionnées dans le rapport, ainsi que les témoignages de ceux qui ont dit que leurs investigations sur le service public étaient censurées. Jean-Raymond Hugonet propose de renforcer encore notre attention au service public et à ses problèmes.
Je propose une autre rédaction pour faire preuve de ma bonne volonté : nous maintenons le début de la proposition de modification, citant le début de l’article 47-4 de la loi du 30 septembre 1986, mais nous modifions ainsi son deuxième paragraphe : ces dispositions n’ont pas permis de lever « tous les doutes quant aux conditions de ces nominations. Ainsi, la nomination de Delphine Ernotte à la tête de France Télévisions en 2015 avait fait l’objet de plaintes de la CFDT-Médias et de la CGC-Audiovisuel, ce qui, quel que soit le bien fondé des questions posées, avait rendu plus difficile la prise de fonction de Delphine Ernotte en 2015. Les conditions de nomination des dirigeants publics par l’Arcom ont pu souffrir d’un manque de transparence. Les conditions d’appel à candidatures, l’ensemble des candidatures collectées et les auditions des finalistes doivent mieux permettre le choix éclairé et indépendant par les membres de l’Arcom. »
Cette rédaction dit les choses un peu différemment.
La commission d’enquête a permis d’établir certains faits, mais ce fait-là n’a jamais été évoqué alors que, si vous l’aviez souhaité, nous aurions auditionné les membres de l’Arcom. Malgré cela, comme je veux que l’on aboutisse, je suis pour garder cette idée, et mentionner le fait concret que des plaintes ont été déposées. Cela vous convient-il ?
M. Jean-Raymond Hugonet. – Cette nouvelle proposition amoindrit les choses, mais elle est acceptable.
La proposition de modification n°2, ainsi rectifiée, est adoptée.
M. David Assouline, rapporteur. – Cela ne me gêne pas, mais la proposition de modification n° 3 charge encore plus la barque. Vous vous souvenez qu’on nous a parfois reproché de ne pas prendre position sur des éléments évidents, faute de faits suffisamment caractérisés. J’ai élagué du rapport les parties qui n’étaient pas appuyées sur assez d’éléments.
Vous faites ici presque nommément référence à un proche du Président. M. Hugonet, dans son intervention, a même précisé que cette personne échangerait des SMS avec le Président de la République au sujet d’émissions de télévision. Franchement, cela n’est pas de notre niveau. Je propose de ne pas rentrer dans de tels détails alors que ces faits ne sont pas avérés.
Je vous propose donc la rédaction suivante, au deuxième paragraphe : « En particulier, le journal Le Monde s’est fait l’écho le 13 mars 2021 d’interrogations des personnels de France Télévisions concernant la neutralité de certaines nominations dans l’entreprise France Télévisions. Les conditions de nomination des dirigeants de l’audiovisuel public doivent permettre de s’assurer qu’ils n’entretiennent pas une trop grande proximité avec la majorité en place. »
C’est pour moi évident, et je n’ai pas de problème à le redire. En revanche, comme les auditions de la commission d’enquête n’ont pas fourni de précisions à ce sujet, je ne voudrais pas que nous tenions des propos accusatoires à l’encontre d’une personne précise, identifiable.
M. Max Brisson. – Tout à l’heure, chacun s’est exprimé et a marqué ses divergences. Si à chaque proposition le rapporteur fait un nouveau plaidoyer, s’il doit à chaque fois avoir raison sur tout, les choses vont vite s’arrêter ! Il faut davantage de modestie et d’humilité !
De nombreuses pages du rapport ne sont pas au niveau, et rien ne mérite de tels commentaires. Je demande que la proposition de modification n° 3 soit acceptée telle quelle.
M. Pierre Laurent. – Depuis longtemps, des pressions politiques s’exercent sur le service public. Cela ne date pas d’aujourd’hui !
Il vaudrait mieux garder « afin de renforcer l’impartialité de l’information sur le service public », car le critère d’une « trop grande proximité avec la majorité en place » est très difficilement objectivable.
Le vrai principe, quelles que soient les éventuelles proximités entre dirigeants, est celui de garantir l’impartialité de l’information sur le service public.
Je fais cette remarque en passant : les deux formulations me vont.
M. Vincent Capo-Canellas. – Nous devons faire en sorte que notre travail aboutisse à l’adoption d’un rapport.
Les mots « réputé proche du chef de l’État » me semblent peu utiles dans un rapport du Sénat. Les enlever ne changerait rien au texte, et la rédaction me semblerait plus sénatoriale. Comme les phrases autour de ces mots concernent la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale, ils pourraient ressembler à une attaque politique, d’autant plus en cette période de campagne présidentielle. Je ne vois pas ce que ces mots apportent : ils donnent au rapport un sens politique qui n’est pas celui souhaité par notre commission.
M. Max Brisson. – Les propos de Vincent Capo-Canellas m’ont convaincu de voter le texte dans la version du rapporteur.
M. Jean-Raymond Hugonet. – J’accepte également la modification du rapporteur.
M. Laurent Lafon, président. – Les troisième et quatrième paragraphes de la proposition de rédaction deviendraient ainsi : « En particulier, le journal Le Monde s’est fait l’écho le 13 mars 2021 d’interrogations des personnels de France Télévisions concernant la neutralité de certaines nominations dans l’entreprise. Les conditions des nominations des dirigeants de l’audiovisuel public doivent permettre de s’assurer qu’ils n’entretiennent pas une trop grande proximité avec la majorité en place. Ils justifient également de renforcer l’impartialité de l’information sur le service public conformément aux pratiques en vigueur dans plusieurs pays européens. »
La proposition de modification n° 3, ainsi rectifiée, est adoptée.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Par rapport aux deux précédentes, cette proposition de modification n° 4 représente un point de rupture, je le dis sans ambages.
Le sujet a miné de manière sous-jacente bon nombre d’auditions au long de ces quatre mois. Nous proposons tout d’abord de modifier le titre 3 présent à la page175 du rapport : au lieu de « “Biais idéologique” de l’actionnaire : des médias d’opinion ? », je propose « Existe-t-il un biais idéologique de l’actionnaire ? ».
Par ailleurs, après la première phrase du premier paragraphe suivant ce titre (« Pour certains, l’information telle que rapportée dans les médias serait viciée par l’influence trop grande qu’exerceraient sur les médias les orientations idéologiques de tel ou tel actionnaire »), nous proposons d’ajouter la phrase suivante, pour établir un pendant et équilibrer le propos : « Pour d’autres, la liberté d’expression doit pouvoir exister pleinement dans le respect des limites qui lui sont imposées par la loi ».
Troisièmement, à la page 189, nous proposons de modifier le titre 6 (« Vers une télévision d’opinion ? ») par le titre suivant : « Vers une télévision de débats voire d’opinion ? »
Nous proposons de remplacer la dernière phrase du paragraphe suivant ce titre par la suivante : « Alain Weill, lors de son audition du 10 février, a noté une évolution vers une chaîne de débats voire d’opinion. » Nous proposons également de faire suivre la citation d’Alain Weill du paragraphe suivant : « La commission d’enquête reconnaît pleinement l’utilité pour la vitalité du débat démocratique de l’organisation de débats, présentant les différents points de vue dans le respect du pluralisme des opinions, conformément aux conventions passées avec le régulateur. Ces émissions participent incontestablement de l’information éclairée du citoyen, en le confrontant à la diversité des analyses, matérialisée par les différents chroniqueurs. Elles n’ont cependant pas vocation à se substituer à un travail journalistique indépendant et à un traitement professionnel de l’information. »
Enfin, nous proposons de modifier ainsi le début du premier paragraphe de la page 191 : « La commission d’enquête n’a pas tranché sur le fait de savoir si CNews était une chaîne de débats ou d’opinion, mais la conviction personnelle du rapporteur... »
M. David Assouline, rapporteur. – Je m’interroge au sujet des deux premières modifications, qui sont liées. Elles laissent entendre que ce qui est le cas pour certains ne le serait pas pour d’autres. Je tiens à la liberté d’expression, et je souscris totalement à cette phrase. Mais elle n’exclut pas celle qui précède, et je veux que les deux formulations coexistent.
M. Vincent Capo-Canellas. – Tout à fait, c’est pour tout le monde que la liberté d’expression doit exister !
M. David Assouline, rapporteur. – Si l’on veut prendre en compte la proposition de Jean-Raymond Hugonet, il suffit d’enlever « pour certains » et « pour d’autres », et de garder in extenso les deux formulations. Nous laisserions ainsi : « L’information telle que rapportée dans les médias serait viciée par l’influence trop grande qu’exerceraient sur les médias les orientations idéologiques de tel ou tel actionnaire. La liberté d’expression doit pouvoir exister pleinement dans le respect des limites qui lui sont imposées par la loi. La commission a donc tenu à établir un diagnostic précis et lucide, qui n’élude pas les préoccupations exprimées devant elle. »
M. Jean-Raymond Hugonet. – Cette formulation me va bien. On ne stigmatise ni les uns ni les autres, et l’on considère l’ensemble des points de vue.
Mme Monique de Marco. – Cela me semble mieux rédigé.
M. David Assouline, rapporteur. – Concernant la modification du titre, je ne sais que répondre : l’interrogation « des médias d’opinion ? » n’engage personne, et correspond à la question que nous nous posions à ce moment.
Seulement trois pages du rapport concernent CNews. Vous savez très bien quel est mon point de vue : si j’avais écrit le rapport en mon nom, j’aurais titré « une chaîne d’opinion », car c’est ma conviction – je pense d’ailleurs que la commission a établi ce fait. Je pense également que la majorité des Français, y compris ceux qui défendent cette chaîne, estiment qu’il s’agit d’une chaîne d’opinion. J’ai mis un point d’interrogation, car j’ai bien compris que nous ne partagions pas cette idée.
Je ne vois pas bien ce que cette proposition modifie. Je ne vois pas bien à quoi cela sert d’enlever la notion de « médias d’opinion », que j’interroge à cet endroit sans donner de réponse. Je ne demande pas d’endosser une idée : si cette interrogation doit sauter, on peut se demander à quoi sert le reste du rapport...
Mme Monique de Marco. – Je trouve la première formulation plus ouverte, alors que la proposition de M. Hugonet me semble plus réductrice. Mais je ne suis pas professeur de français...
M. Jean-Raymond Hugonet. – Que les choses soient claires : nous n’avons ni la même perception ni la même philosophie. Cette diversité n’est pas un mal, au contraire, mais il arrive un moment où il ne faut pas retourner les choses. Je le dis sereinement, sans aucune agressivité – ce n’est pas mon style, sauf quand on m’y pousse – : sur les 358 pages de ce rapport, il n’y a pas une page sur laquelle nous n’aurions rien à redire. Jamais, ô grand jamais, nous ne sommes venus voir le président de la commission pour lui dire que nous ne voterions pas ce rapport. Sur 358 pages, nous n’avons déposé que quelques malheureuses propositions de modification. Nous pouvons toujours discuter, mais ce point est fondamental.
Même si ce que pense vraiment le rapporteur a été élagué, et même s’il s’est réfréné à la demande du président Lafon pour atteindre un consensus, souffrez que des gens comprennent les enjeux qu’il y a derrière, et que l’on n’efface pas d’un revers de manche ce qui s’est passé pendant les quatre mois des auditions ou ce qui va se passer dans les prochaines semaines !
Par mesure de conciliation, cette formulation me semble plus sereine, car elle évite de parler du sujet qui fâche. Nous ne demandons pas au rapporteur de se trahir en acceptant cette formule.
Personne n’est là pour faire échouer cette commission d’enquête, et nous avons tous envie que notre travail aboutisse. Cette proposition soutenue par mes collègues n’arrache pas un bras à qui que ce soit, et ne tord pas la réalité ! Elle nous va bien, car elle nous semble moins sujette à caution.
M. David Assouline, rapporteur. – Je propose de prendre en compte ce souci sans pour autant effacer le sujet que j’interroge.
Nous pouvons trouver une formulation commune : « Existe-t-il un biais idéologique de l’actionnaire ? Des médias d’opinion ? »
Cette double interrogation ne comporte aucune affirmation. Je suis vraiment dans la conciliation.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Nous ne sommes pas au marché Saint-Pierre, mais dans une négociation serrée. Pour moi, cette proposition du rapporteur n’est pas acceptable.
Mme Laurence Harribey. – Il faut regarder la progression logique de la pensée. Je dis sincèrement au rapporteur que commencer avec un premier titre « Existe-t-il un biais idéologique de l’actionnaire ? » et continuer au titre 6 avec « Vers une télévision de débats voire d’opinion ? » permet une progression plus explicite que dans la première rédaction. Il y a une plus grande progression logique, et cela renforce l’idée du rapporteur.
M. Laurent Lafon, président. – Je crois donc que nous sommes d’accord sur ce point.
M. Michel Laugier. – J’aimerais connaître l’avis du rapporteur sur le point suivant.
M. David Assouline, rapporteur. – Je vais dire les choses clairement, pour que l’on mesure bien l’enjeu. Nous pouvons travailler pour trouver des formules qui rapprochent, et je n’ai aucun veto. Mais il est hors de question que l’on me fasse dire ce que je n’ai pas dit, en me faisant manger mon chapeau, alors que je n’ai provoqué personne dans le rapport !
Selon votre troisième demande de modification, nous devrions préciser que la commission d’enquête n’a pas tranché concernant le fait de savoir si CNews est une chaîne de débats ou d’opinion. Mais si je ne mets pas cette formulation, c’est que la commission n’a pas tranché ! Si vous voulez en plus que je l’écrive, pour dire ensuite que ce que pense le rapporteur n’a pas été tranché, je ne suis pas d’accord !
Je suis très clair : je veux aboutir. N’allez pas chercher des modifications là où vous avez déjà obtenu satisfaction ! À aucun moment du rapport je n’ai dit ce que je pense, à savoir que CNews est une chaîne d’opinion. Vous me traquez, vous me cherchez des noises, et vous ne voulez pas que notre travail aboutisse !
Je n’ai pas de problème avec la modification du titre 3, qui, comme l’a dit Laurence Harribey, obéit à une progression logique. Mais ne chargez pas trop la barque ! Il serait bête que ce rapport soit rejeté à cause de cette phrase, et nous ne serions pas crédibles. Mais je demande du respect pour ce que j’ai tenté de faire.
M. Laurent Lafon, président. – Le reste ne semble pas poser pas de problème !
M. Jean-Raymond Hugonet. – C’est pour cela que j’ai dit que nous étions là au point de rupture. C’est la ligne rouge. Pour nous, il est indispensable d’ajouter cette phrase à la fin. Je ne pense pas que notre demande soit démesurée. Je ne vois pas en quoi le rapporteur serait amené à devoir manger son chapeau.
M. Pierre Laurent. – Il y a peut-être un problème pour le rapporteur, mais il y a surtout un problème pour les membres de la commission que nous sommes, puisque vous nous forcez à endosser un constat que nous n’avons pas à faire. De toute façon, débat et opinion ne sont pas contradictoires. Bolloré n’a pas inventé le débat. Je ne vois pas l’intérêt de cette dernière phrase. C’est tellement évident pour tout le monde qu’il s’agit d’une chaîne d’opinion.
Mme Laurence Harribey. – Je m’associe totalement à ce que vient de dire Pierre Laurent. La formulation entraîne l’ensemble de la commission. Or je ne me sens pas concernée.
M. Max Brisson. – Pierre Laurent vient de dire qu’il s’agissait d’une évidence. Effectivement, la lecture des pages précédentes du rapport le laisse entendre, mais nous ne souhaitons pas nous laisser embarquer par l’approche du rapporteur. Le débat n’a pas eu lieu, donc la commission d’enquête n’a pas tranché.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Ce sujet a été au centre du débat pendant toutes les auditions ou presque. Je vous rappelle les auditions de Maxime Saada ou de Vincent Bolloré. Pour nous, c’est simple : la commission d’enquête n’a pas tranché. Je ne vois pas où est le point de bloquage.
M. David Assouline, rapporteur. – Il y a trois pages – pas 354 – sur CNews : lisez-les ! On y trouve plus d’arguments contre que d’arguments pour la thèse qu’il s’agirait d’une chaîne d’opinion.
J’ai fait en sorte qu’à chaque question suggérant que CNews serait une chaîne d’opinion réponde un contre-argumentaire sous la forme de longues citations de Vincent Bolloré, de Maxime Saada ou du directeur de la rédaction, de telle sorte que, dans le rapport, vous trouvez plus de propos « contre » que de propos « pour » cette thèse : comptez les mots !
Quant à moi, je me suis interdit d’orienter dans un sens ou dans un autre l’interprétation de ces arguments et contre-arguments ; je ne pouvais pas faire davantage. Vous m’avez repeint, dans cette affaire, en Fouquier-Tinville, nonobstant l’ensemble de mon travail parlementaire. J’ai été vice-président du Sénat, et je n’ai pas la réputation d’ignorer l’importance de la diversité des opinions. On ne me fera pas passer pour ce que je ne suis pas ! Vos critiques sont injustifiées : il n’y a rien dans le rapport qui puisse laisser penser que la commission a avancé de façon masquée que CNews était une chaîne d’opinion.
Si la commission décide d’écrire qu’elle « n’a pas tranché », c’est pour tenter de m’isoler. Je ne donne pas mon opinion et je ne demande pas à la commission de trancher ; vous souhaitez, vous, suggérer qu’elle a tranché contre ce que je pense. Voici ce que signifie la phrase que vous proposez d’ajouter : la commission a tranché qu’elle n’était pas d’accord avec moi !
M. Max Brisson. – Non !
M. David Assouline, rapporteur. – En d’autres termes, j’aurais demandé à la commission de trancher, ce qui est faux.
Mme Else Joseph. – Nous ne disons pas que la commission n’a pas tranché, nous disons qu’elle n’a pas débattu !
M. David Assouline, rapporteur. – Si j’ai souhaité que la commission ne tranche pas, c’est par souci de consensus. En écrivant noir sur blanc qu’elle n’a pas tranché, vous explicitez, au fond, qu’elle a bel et bien tranché et que je suis seul à penser que CNews est une chaîne d’opinion ! Or, en l’espèce, je ne dis même pas ce que je pense, et vous embarquez dans votre formulation d’autres membres de la commission qui, eux, pensent comme moi.
Mme Laurence Harribey. – Oui !
M. David Assouline, rapporteur. – Cette phrase est donc source de discorde. Je suis pour tout ce qui permettra que ce rapport soit publié sans que quiconque ait à manger son chapeau. Vous avez fixé votre ligne rouge ; compte tenu des efforts que j’ai déjà réalisés, c’est vous qui provoquez la rupture en me mettant à l’index : je n’ai pas dit que la question était tranchée ! Faites comme voulez, mais, ainsi amendé, ce rapport ne sera plus mon rapport – c’est ma ligne « rouge vif ».
M. Laurent Lafon, président. – Nous savions depuis le début que cette question serait l’une des plus délicates à traiter et qu’elle donnerait lieu à des discussions, à des tensions, à des désaccords. À la lecture du rapport, c’est évidemment un des premiers points que j’ai étudiés.
Or force est de reconnaître qu’aucune des personnalités qui sont mises en avant dans le passage qui traite de cette question – Roch-Olivier Maistre, Alain Weill, Patrick Eveno – ne se prononce en faveur de l’idée que CNews serait une chaîne d’opinion. Vous le savez tous, pour avoir assisté aux auditions, le rapporteur aurait pu choisir de faire figurer dans le texte d’autres points de vue beaucoup plus tranchés sur la chaîne. Il a veillé, en cette affaire, à garantir une forme de neutralité afin qu’aucun de nous ne puisse se sentir « agressé ». Relisez ces trois pages : elles commencent par un point d’interrogation et nulle part vous n’y trouvez une réponse, dans un sens ou dans un autre. La question reste une question, afin que chacun puisse s’y retrouver !
Voilà pourquoi je suis gêné par la dernière partie de la proposition de rédaction de Jean-Raymond Hugonet. Il n’est pas besoin d’insister : quiconque lira ces trois pages comprendra que la commission ne s’est pas prononcée sur la notion de chaîne d’opinion. Je suis réservé, en outre, sur la place à laquelle, dans le rapport, Jean-Raymond Hugonet positionne cette modification.
De toute façon, je ne suis pas certain qu’il faille avancer dans cette direction. La commission n’a pas « tranché », proposez-vous d’écrire ; mais c’est plutôt le fait qu’elle n’ait pas « débattu » qui semble ici en cause.
M. Max Brisson. – La question n’a pas été tranchée, par définition, puisque nous n’en avons pas débattu.
M. Pierre Laurent. – Une telle formulation laisserait entendre qu’aucun de nous n’a d’opinion sur cette question. Or nous sommes quelques-uns ici à en avoir une, comme, d’ailleurs plusieurs millions de Français... Simplement, nous faisons le choix de ne pas l’écrire dans le rapport.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Je ne rejoins pas du tout ce que vient de dire M. le président de la commission : l’audition d’Alain Weill, par exemple, s’inscrivait dans un continuum ; chacun sait très bien ce qu’on voulait lui faire dire.
On touche là à la grande faiblesse de cette commission d’enquête. Eût-elle été scandée par des points d’étape, nous aurions pu identifier ce sujet comme le sujet difficile. Or jamais, au grand jamais, nous n’en avons parlé. C’était la responsabilité du rapporteur ! Si nos travaux avaient été organisés différemment, nous aurions pu nous expliquer sur ce sujet, qui a été au cœur des débats pendant la quasi-intégralité des auditions.
M. David Assouline, rapporteur. – C’est un mensonge : toutes les auditions n’ont pas porté sur CNews !
M. Jean-Raymond Hugonet. – Cette ligne, nous ne pouvons pas la franchir. S’il s’avère qu’elle est pour vous trop importante, c’est que, précisément, ce que nous redoutions se produit.
M. Vincent Capo-Canellas. – Je voudrais que le rapporteur nous précise le sens qu’il donne à la phrase de la page 191 sur laquelle nous nous accrochons, selon laquelle « la conviction personnelle du rapporteur est que ces condamnations témoignent d’un problème, qui dépasse le simple et légitime débat démocratique. »
Cette phrase peut être interprétée de différentes manières. Peut-être suffirait-il d’écrire ce que vous proposez, sans l’opposer à ce que pense le rapporteur : « La commission d’enquête n’a pas tranché sur le fait de savoir si CNews était une chaîne de débats ou d’opinion. »
M. David Assouline, rapporteur. – Qu’on ne dise pas qu’on n’a pas tranché !
Mme Laurence Harribey. – Je voudrais poursuivre ce raisonnement. La conviction personnelle du rapporteur ne nous concerne pas. Je propose d’enlever ces deux lignes, et d’enlever « à ce titre » dans la phrase suivante. La commission n’a pas tranché sur ce point, car nous ne l’avons même pas débattu !
M. Max Brisson. – On ne demande pas de censurer les convictions personnelles du rapporteur : il a le droit de s’exprimer !
Mme Laurence Harribey. – Tel que c’est formulé, la conviction du rapporteur ne porte pas sur CNews, mais sur le débat démocratique que suppose une chaîne d’opinion. Vous n’écoutez pas mes propositions.
Je propose de garder la formulation suivante : « Il est utile de rappeler que même la reconnaissance hypothétique en France de médias d’opinion ne permettrait pas de s’affranchir des principes du droit, qui figurent au reste également dans la loi de 1881. »
Indépendamment du fait que CNews soit ou non une chaîne d’opinion, nous rappelons qu’on ne peut pas s’affranchir des principes du droit, et le débat reste ouvert.
À force de ne prendre qu’un morceau de phrase sans voir le continuum de l’argumentation, cela pose problème. Il faut apprendre à lire !
M. Max Brisson. – Merci bien ! Vous poursuivez en insinuant des choses que nous rejetons. Ne tournez pas en rond, vous ne nous enfermerez pas ! Toutes ces pages concernent CNews !
M. David Assouline, rapporteur. – Pourquoi dites-vous cela ? Je demande à ce que nos débats soient éclairés, contrairement à ceux qui se tiennent sur ces chaînes ! Il faut étayer vos arguments ! Que l’on me dise où ces choses sont écrites !
Prenez au moins le temps de lire le rapport. Il y a trois pages où ceux qui disent que CNews n’est pas une chaîne d’opinion sont davantage cités que ceux qui pensent le contraire. Il n’y a aucune insinuation ! Ces pages ne visent pas à aboutir à l’idée que CNews est une chaîne d’opinion !
Dans le débat politique, on essaie de donner des arguments, et il faut arrêter avec les phrases à l’emporte-pièce !
Si vous me disiez que ces trois pages sont à charge, qu’elles permettent au lecteur de conclure que CNews est une chaîne d’opinion, je serais peut-être d’accord pour les modifier et rééquilibrer leur propos. Mais vous ne parlez que d’insinuations !
J’ai fait exprès de ne pas retenir les témoignages à charge que nous avons recueillis lors de nos auditions, mais de citer Alain Weill et Roch-Olivier Maistre, c’est-à-dire de gens favorables aux chaînes d’opinion. Et vous voulez me faire dire ce que je n’ai pas dit !
Je ne comprends pas pourquoi vous focalisez votre attention sur ce point. Je comprends votre idée, mais je l’ai déjà prise en compte lors de la rédaction du rapport : vous souhaitez que le rapport ne laisse pas entendre que CNews est une chaîne d’opinion. Vous pensiez que, comme il s’agit de mon cheval de bataille, j’aurais écrit cela. Mais prenez en compte le fait que, volontairement, je n’ai pas fait ce que vous craigniez, en élaguant tout cela.
Je vous demande de revenir non sur le procès d’intention que vous me faites, mais sur ce qui est écrit : citez-moi les phrases où, dans ces trois pages, il y aurait des insinuations poussant le lecteur à conclure que CNews est une chaîne d’opinion.
M. Pierre Laurent. – Je tente une ultime conciliation. Je pense que, pour toutes les raisons qui ont été données, il n’est pas correct d’inclure la phrase proposée par M. Hugonet à cet endroit.
En revanche, à la page 175, où nous avons modifié le titre 3, je propose que nous écrivions à la suite du passage que nous avons rajouté : « La commission n’a pas cherché à trancher pour savoir si CNews est ou non une chaîne d’opinion, et a tenu à établir un diagnostic précis et lucide qui n’élude pas les préoccupations exprimées devant elle. »
Nous définissons ainsi ce que nous avons fait pour clarifier les choses, et nous gardons la phrase sur la conviction personnelle du rapporteur telle qu’elle existe dans le projet de rapport.
M. Laurent Lafon, président. – Cette proposition est intéressante, mais elle est peut-être mal positionnée, puisque le rapport ne commence à parler de CNews que page 180.
M. David Assouline, rapporteur. – Je ne veux pas que les mots « n’a pas tranché » apparaissent. J’ai besoin de quelques minutes pour proposer une phrase qui puisse satisfaire tout le monde.
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 18 h 00.
Examen du projet de rapport
M. Laurent Lafon, président. – Nous sommes aujourd’hui réunis pour l’adoption finale du rapport de la commission d’enquête sur la concentration des médias.
Cette commission a été constituée en application du droit de tirage des groupes politiques, prévu par l’article 6 bis du règlement du Sénat. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain en avait formulé la demande lors de la conférence des présidents du 2 novembre dernier. Nous avons tenu notre première réunion le 24 novembre. J’ai eu l’honneur d’en être désigné président, David Assouline, qui est à mes côtés, en étant désigné rapporteur.
Dès la première réunion, nous avons fait le choix de rendre public l’ensemble de nos travaux et de ne pas épuiser le délai légal de six mois, qui nous aurait mené jusqu’au 2 mai. Nous sommes ainsi convenus de conclure pour la fin du mois de mars, afin d’interférer le moins possible avec le calendrier électoral.
Dans cet intervalle de quatre mois, nous avons mené un nombre record de 48 auditions, entendant plus de 80 personnes et siégeant plus de 100 heures. Je mesure bien l’intensité de ce rythme, qui nous a permis, je le crois, d’entendre l’ensemble des parties prenantes. Nos auditions ont suscité un intérêt inédit des médias, avec plus de 500 retours dans la presse. Cela est dû, je pense, à l’importance du sujet, mais également à la nature même de ces auditions, qui ont permis d’entendre des personnalités qui n’ont que rarement l’occasion de venir s’exprimer devant la représentation nationale.
Bien entendu, le sujet était et demeure complexe, et nos conclusions ne peuvent que porter la trace des divergences d’appréciation que nous pouvons avoir. Nous avons donc tenu, avec le rapporteur, à ce que vous puissiez disposer d’un délai suffisant pour prendre connaissance des travaux. Ainsi, vous avez pu consulter le projet de rapport, dans les conditions très strictes s’appliquant aux commissions d’enquête, du mardi 22 mars au lundi 28 mars. Vous disposez chacun d’un exemplaire à votre nom, qui vous a été remis lors de votre examen, et que nous vous restituons pour la durée de la réunion.
Je me dois de vous rappeler les deux éléments suivants.
D’une part, il n’est pas possible de communiquer sur le rapport qui serait adopté à l’issue de notre réunion avant l’expiration d’un délai de 24 heures, correspondant à la possibilité de réunir le Sénat en comité secret, en application de l’article 33 de la Constitution et de l’article 32 de notre règlement. Une conférence étant prévue jeudi à 11 heures, je vous propose de ne pas communiquer avant. Je vous demande en conséquence de laisser les rapports filigranés dans la salle à l’issue de la réunion.
D’autre part, et pour la forme, je vous rappelle également qu’il nous est interdit, en application de l’article 226-13 du code pénal, de communiquer sur des parties non publiques du rapport, et ce dans un délai de 25 ans. Cela concerne également le rapport dans son ensemble si la commission devait décider de ne pas l’adopter.
Je profite de l’occasion pour remercier l’ensemble des membres de la commission d’enquête, qui, dans une période complexe, entre pandémie, ordre du jour changeant et élections en cours, ont participé à nos travaux. Je remercie bien entendu également le rapporteur David Assouline, qui a mené un travail épuisant, avec la détermination que nous lui connaissons.
Notre commission a connu des tensions. Je vous demande de garder à l’esprit que l’objet de notre débat d’aujourd’hui est le document écrit que nous vous présentons, et seulement cela.
M. David Assouline, rapporteur. – Nous voici donc au terme des travaux de cette commission d’enquête. Je m’associe pleinement aux remerciements du président quant à votre implication et à votre engagement dans les travaux. Nous avons réuni une documentation fournie sur un sujet très complexe. Cette somme de travail est exceptionnelle.
Le premier objectif de cette commission d’enquête, comme j’avais pu le souligner dès notre réunion constitutive, était de porter sur la place publique un débat qui avait jusqu’à présent été passé sous silence. Même si les opinions divergent au sein de notre commission, la concentration des médias suscite des craintes et des interrogations.
Les gouvernements successifs ont trop attendu, et il est grand temps de s’atteler à une grande loi audiovisuelle qui prenne en compte les évolutions technologiques et les faits de concentration. Ces mouvements se sont jusqu’à présent déroulés à « bas bruit », ce qui ne veut pas dire, bien au contraire, qu’ils n’aient pas provoqué de vives réactions. De ce point de vue, les auditions que nous avons menées ont rencontré un écho médiatique considérable, qui témoigne bien de l’attente du grand public.
Je vais maintenant vous présenter les grands axes du rapport dont vous avez pu prendre connaissance la semaine dernière. Il est le résultat d’un travail approfondi que nous avons mené ensemble.
Le premier constat qui s’impose est celui de l’existence d’une préoccupation très largement partagée entre les pays sur la nécessité d’une régulation des concentrations. Depuis la grande loi de 1881, la presse jouit en France d’un statut dual. D’un côté, elle assure la diffusion de l’information, et joue à ce titre un rôle majeur pour la démocratie et le pluralisme. De l’autre, l’entreprise de presse demeure une entité économique de droit commun, et est donc soumise aux impératifs de rentabilité. Aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, et face à l’indignité d’une partie de la presse, la France a mis en place une législation propre aux concentrations par l’ordonnance du 26 août 1944, législation très contraignante qui n’a, au demeurant, été appliquée que très partiellement et n’a pas empêché de très grands groupes de se constituer à partir des années 70.
La loi de 1986, encore en vigueur aujourd’hui malgré plus de cent modifications, met en place un cadre très précis de contrôle des concentrations. Le législateur de l’époque avait une conscience aiguë des risques que pouvait faire peser la création de très grands groupes en situation de quasi-monopole dans le domaine de l’information. C’est encore sous ce régime que nous évoluons.
Nous avons sollicité les services de la division de législation comparée du Sénat pour une étude de différents pays. Elle figure en annexe du rapport, et s’avère selon moi riche d’enseignements. En effet, elle souligne bien que la France n’est pas, loin s’en faut, un cas isolé, les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et l’Italie ayant tous en commun des législations spécifiques, pas toujours d’ailleurs très différentes de celle de notre pays, et qui visent à encadrer les concentrations dans le domaine des médias. Ces législations ont certes évolué, mais on sent bien que chaque pays cherche actuellement un équilibre complexe à trouver, dont témoignent les décisions récentes qui sont mentionnées dans le projet de rapport sur des opérations de concentration de très grande ampleur.
Je note donc la convergence actuelle des préoccupations entre la France et les autres pays.
À quoi est-elle due ? Pourquoi assistons-nous à ces opérations de rapprochement ?
La vérité est qu’elles ont été accélérées ces dernières années, en France comme dans le monde, par les bouleversements technologiques issus de la révolution numérique. Cette révolution a certes permis de multiplier les sources d’informations et de loisirs, mais elle pose de redoutables problèmes économiques et démocratiques.
Je distingue deux facteurs.
Premier facteur, la place des réseaux sociaux et des moteurs de recherche dans l’accès à l’information. Elle est maintenant devenue dominante, et cette position devrait encore s’aggraver avec les jeunes générations qui sont des utilisateurs plus que réguliers.
Cela soulève deux problèmes. Leur absence totale de responsabilité, d’une part, qui ne les contraint à aucune des règles très précises prévues par la grande loi de 1881 pour les éditeurs. D’autre part, la captation massive des ressources publicitaires, qui menace très directement les autres médias, dont la presse écrite, mais pas uniquement.
Second facteur, l’explosion des plateformes de streaming comme Netflix ou Amazon, qui a bouleversé les modalités d’accès aux divertissements. Ces services sont très appréciés des consommateurs, qui les plébiscitent pour la qualité de leurs programmes comme pour leur facilité d’utilisation. Or les médias français, et à vrai dire européens, se trouvent très démunis non seulement en capacité d’investissements, mais également en matière de maîtrise technologique pour lutter contre ces géants mondiaux. La télévision se retrouve dans une position inconfortable, puisque les téléspectateurs ont de nouveaux modes de consommation.
Nous assistons donc à une véritable révolution, qui interroge les règles actuelles de concentration et pose de façon accrue la question de l’équilibre entre la nécessité d’investissements pour permettre le développement d’entreprises capables d’assurer nos capacités de concurrence face aux grandes plateformes étrangères, et la nécessité d’assurer la diversité, le pluralisme et l’indépendance des médias en France.
Où en est-on de la concentration aujourd’hui en France ?
Les mouvements de concentration dans le secteur des médias sont justifiés, selon certains acteurs, par des impératifs économiques destinés à prendre en compte le bouleversement des usages induit par la révolution numérique.
Deux éléments doivent être distingués : des rapprochements entre entreprises de presse ou médias audiovisuels au sein de grands groupes, en vue d’atteindre une taille critique, les concentrations étant alors diagonales ou verticales ; dans le même temps, une stabilité du nombre de titres de presse écrite et une progression continue du nombre de médias audiovisuels depuis 2005. Paradoxalement, ce mouvement s’accompagne d’une concentration de la détention de ces médias par un petit nombre de groupes. À cette tendance à la convergence entre médias s’ajoute par ailleurs leur acquisition par des capitaines d’industrie étrangers au secteur.
Il convient de ne pas négliger l’impact de logiques actuellement à l’œuvre qui conduisent au renforcement de ces positions – à l’image de la fusion TF1-M6 – ou à l’émergence de nouveaux acteurs : la montée en puissance du réseau BFM dans le secteur de la télévision locale ou les nombreux rachats de magazines par Reworld Media en sont une illustration.
Nous avons pu le voir à travers de nombreuses auditions, la stratégie menée par Vivendi après le rachat de Prisma Media et le lancement de l’offre publique d’achat (OPA) sur le groupe Lagardère interrogent. La holding de Xavier Niel, NJJ, à la manœuvre sur le rachat de trois titres de presse en 2020, ou le groupe LVMH, dont les manifestations d’intérêt tendent à témoigner d’un intérêt croissant pour la presse écrite, sont également des cas à souligner.
Le développement de la télévision numérique terrestre (TNT) a entraîné la multiplication de chaînes hertziennes au cours des dernières années, mais le nombre de nouveaux entrants reste cependant limité, après l’acquisition de fréquences ou le rachat de chaînes par les opérateurs historiques privés (TFI, Canal+ et M6). Ainsi, 17 des 30 chaînes de la TNT sont détenues par ces acteurs, qui contrôlent, notamment, l’intégralité des chaînes payantes. La TNT n’a finalement permis l’installation que de 3 nouveaux entrants dans le marché des chaînes gratuites.
Le secteur de la radio se caractérise par une très faible concentration : seuls quatre groupes privés disposent de plus d’une station (NRJ Group, M6, Lagardère et NextRadioTV).
La situation de la presse écrite sur la décennie 2010-2019 apparaît plus contrastée. Le nombre de journaux et magazines payants diminue en effet de 5,5 % sur la période, en raison principalement de la chute du nombre de titres de la presse magazine grand public (-2,6 %) et de la presse locale (- 8,9 %). Dans ce mouvement général de réduction, les dix premiers éditeurs concentrent aujourd’hui 32,9 % de l’offre, en relative stabilité sur dix ans. Seuls huit groupes structurent aujourd’hui le territoire métropolitain.
Le secteur de la presse magazine a, quant à lui, été bouleversé ces dernières années par d’importants changements d’actionnaires (montée en puissance de Czech Media Invest au détriment de Lagardère, rachat de Mondadori par Reworld Media et de Prisma Media par Vivendi). De nouveaux titres – imprimés ou en ligne – sont enfin apparus au cours des dix dernières années, amorcés pour partie par des acteurs hors médias, mais tirant une réelle légitimité de leur positionnement relativement indépendant.
On pourrait néanmoins assister, dans les prochains mois, à une nouvelle phase de concentration horizontale.
La stabilité observée dans le paysage audiovisuel pourrait ainsi être remise en cause par la fusion envisagée des groupes TFI et M6, qui, sans déboucher sur une réduction du nombre de chaînes, est susceptible de bouleverser les équilibres économiques déjà fragiles du secteur. Le chiffre d’affaires du nouvel ensemble devrait atteindre 3,4 milliards d’euros. Le potentiel de synergies devrait, quant à lui, être compris dans une fourchette entre 250 et 350 millions d’euros annuels, à l’issue des trois premières années d’activité suivant la clôture de la transaction. La réalisation de l’opération est soumise à l’approbation de l’Autorité de la concurrence.
Si elle était approuvée, la fusion devrait intervenir d’ici à la fin de l’exercice 2022, afin de pouvoir procéder dans les temps au renouvellement des licences TNT attendu en mai 2023. Je vous rappelle que la fusion permettrait au nouveau groupe de disposer d’une part d’audience de 41,5 % à périmètre inchangé et de 75 % du marché publicitaire.
À l’échelle des territoires, le rapprochement sous la bannière de plusieurs réseaux (NextRadio TV, La Dépêche du Midi et Territoires TV) de chaînes locales jusque-là indépendantes participe également d’un mouvement de concentration.
Tous ces mouvements de concentration sont, dans une large mesure, menés par des capitaines d’industrie extérieurs au secteur. L’apport des capitaines d’industrie peut permettre de disposer de marges de manœuvre financières solides face à ces bouleversements. Le cas du rachat de Lagardère par Vivendi ou les difficultés de Combat Media, le groupe de Matthieu Pigasse, sont, à ce titre, assez éloquents quant à la difficulté de certains groupes de médias à perdurer. La rentabilité d’une partie du secteur – en l’espèce celui des médias audiovisuels – justifie également la prise de participation de groupes industriels.
La convergence entre « tuyaux » et contenus justifie également cet intérêt d’acteurs hors médias. Si elle n’est pas toujours officiellement affichée comme un objectif, il est troublant de constater que trois des quatre principaux fournisseurs d’accès à internet (SFR, Bouygues Telecom et Free) disposent aujourd’hui, à des degrés divers, d’une position solidement établie dans le secteur des médias.
L’« assistance à titre en danger » ou la volonté de faire œuvre utile est également parfois avancée pour présenter le rachat d’un groupe de presse, comme dans le cas des acquisitions de LVMH ou du groupe Crédit Mutuel Alliance Fédérale. Reste que cette ambition résiste assez difficilement à l’examen de la nature et du montant des investissements réalisés et peut interroger sur les ambitions assignées à ces achats.
J’en viens maintenant aux risques liés aux concentrations.
Je propose une analyse tout d’abord axée sur l’information, puis sur l’économie.
L’information tout d’abord.
Si ces mouvements semblent d’abord guidés par des logiques économiques, quel peut être le pouvoir du nouvel actionnaire sur les rédactions ? La crédibilité des médias semble menacée, dans un contexte de défiance, 62 % des Français estimant que les journalistes ne sont pas indépendants du pouvoir politique ni des intérêts économiques. Les journalistes sont pris à partie lors de manifestations ...
Plusieurs protections existent cependant pour garantir la liberté des journalistes, leur déontologie et donc la qualité de l’information : garanties constitutionnelles et conventionnelles de la liberté d’expression, garanties collectives avec les comités sociaux et économiques, les sociétés de rédacteurs ou de journalistes, et, surtout, depuis la loi du 14 novembre 2016, des chartes de déontologie et les comités relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes. Créé en 2019, le conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) a été saisi à 506 reprises et a rendu 62 avis en deux ans.
À titre individuel, les journalistes bénéficient des clauses de cession et de conscience, mais seule la première est largement utilisée, notamment à la suite de concentrations dans la presse locale ou spécialisée. Nous avons pu démontrer un lien direct entre la reprise de certains titres et le départ de nombreux journalistes. Si la plupart d’entre eux évoquent un désaccord avec un changement de ligne éditoriale, certains patrons de presse dénoncent un effet d’aubaine, et mettent en avant également une nécessaire restructuration économique.
Il n’en demeure pas moins que des rédactions et journalistes sont parfois suspectés d’être trop proches du pouvoir en place, de l’actionnaire, de ses partenaires et annonceurs. Les médias publics dépendent du pouvoir en place pour leur financement et les nominations de leurs dirigeants, tandis que certains soupçonnent une certaine coloration politique.
Dans le secteur privé, le soupçon d’une dépendance financière et donc éditoriale vis-à-vis de l’actionnaire, de ses partenaires ou des annonceurs a été illustré à plusieurs reprises. Si les interventions directes semblent limitées, plusieurs exemples ont été présentés devant notre commission d’enquête : reportages laudateurs pour une activité du groupe, refus de réaliser une enquête sur un client ou sur un homme politique ...
La profusion de titres en presse écrite garantit un pluralisme externe. En ce qui concerne les télévisions, le pluralisme dit interne est contrôlé par le CSA, désormais Arcom. La chaîne CNews, très régulièrement évoquée devant notre commission d’enquête, a fait l’objet de cinq mises en demeure relevant surtout du champ politique et d’une condamnation, depuis la montée au capital de Vivendi.
La précarisation du métier de journaliste, par la baisse du nombre de journalistes professionnels, le recours à des experts ou à des personnes travaillant sous des statuts précaires – intermittence, autoentrepreneur, agence de presse – renforcent la dépendance de ceux-ci envers leurs financeurs. L’impact des concentrations a pu être particulièrement visible dans certains groupes : Reworld lors du rachat de Mondadori, Canal+ avec iTélé et Europe 1... avec des grèves et le départ de nombreux journalistes.
Le directeur de la rédaction, censé être le paratonnerre des rédactions, nommé par l’actionnaire, est parfois soupçonné d’être son cheval de Troie et d’intervenir sous couvert de «ligne éditoriale » pour accepter ou refuser un sujet. Pour garantir une plus grande indépendance de l’équipe éditoriale, certains médias ont instauré un mécanisme d’agrément du directeur de la rédaction, tandis que plusieurs journalistes entendus par la commission ont réclamé un statut juridique des rédactions, qui semble cependant compliqué à mettre en œuvre. J’y suis, à titre personnel, favorable.
Des pressions, directes ou indirectes, ou le refus de certains sujets peuvent aboutir à une forme d’autocensure des journalistes. Plusieurs cas de « procédures-bâillons » ont été cités devant notre commission.
Nombreux sont les journalistes à ne plus vouloir prendre de risques. Conséquence, certaines formes de journalisme, comme l’investigation, tendent à disparaître – hormis dans certains médias indépendants s’en étant fait une spécialité -, de même que l’information économique et politique sensible, pour éviter toute contestation ultérieure.
Paradoxalement, l’information, qui n’a jamais été aussi disponible sur de multiples canaux, tend à s’uniformiser, recyclée d’agences de presse générales ou internes aux groupes.
Le modèle de débats avec des « experts » extérieurs ou des chroniqueurs, parfois à la recherche du « clash », prend parfois le pas sur des reportages de terrain réalisés par des journalistes professionnels. Cette autocensure et cet appauvrissement du contenu contribuent à une atmosphère de méfiance allant au-delà de la réalité du travail quotidien des journalistes et fragilisent l’information.
Par ailleurs, les concentrations font également peser un risque économique sur la chaîne de valeur.
Notre commission s’est ainsi trouvée au cœur d’une actualité brûlante avec le projet de fusion entre TF1 et M6 et les conséquences du rapprochement entre les groupes Vivendi et Lagardère, en particulier dans le domaine de l’édition. S’il ne nous appartient pas de nous prononcer sur ces opérations, notre commission a joué le rôle de forum, en autorisant les parties prenantes à s’exprimer publiquement, ce qui, je crois, a été très positif.
En ce qui concerne le projet de fusion entre les deux chaînes, il est actuellement aux mains de l’Autorité de la concurrence et de l’Arcom, qui mènent un travail approfondi qui ne débouchera qu’à l’automne prochain. Notre commission a permis, me semble-t-il, à l’ensemble des parties prenantes de s’exprimer publiquement. Nous avons entendu les arguments des uns et des autres, et pu bénéficier de l’expertise de l’ancienne présidente de l’Autorité de la concurrence et de son remplaçant par intérim. Il y a eu un vrai débat autour du marché publicitaire pertinent et de l’intégration ou non de la publicité numérique.
Comment nous positionner sur ce sujet ? Le devons-nous ?
La conséquence la plus immédiate de la fusion, si elle se réalisait, serait la création d’un géant à l’échelle nationale, qui serait seulement concurrencé par le secteur public. Cela suscite des craintes légitimes de la publicité, mais également de la production ou du secteur de l’information. Je crois qu’il faudra être attentif, le cas échéant, aux conséquences, tout en gardant à l’esprit que, même fusionné, le nouveau groupe n’est en tout état de cause pas en capacité – et n’a d’ailleurs pas réellement la volonté – de concurrencer les plateformes de streaming.
Autre secteur, celui de l’édition. Nous avons consacré au rapprochement entre les groupes Lagardère et Vivendi, donc Hachette et Editis, une table ronde qui, là encore, a permis à chacun de s’exprimer et de développer ses craintes. J’ai été très sensible aux inquiétudes convergentes des auteurs, des libraires et des éditeurs, en particulier sur la distribution. Là encore, l’affaire est en cours d’examen, cette fois-ci par les autorités européennes. Je formule le souhait que Bruxelles entendra les inquiétudes fortes exprimées devant notre commission d’enquête et en tiendra compte.
J’en viens maintenant aux propositions.
J’ai souhaité les construire de manière consensuelle, sans reprendre certaines dispositions auxquelles je suis attaché, mais qui n’auraient pas favorisé le consensus. Après tout, nous retrouverons notre liberté de parole à l’issue de nos travaux ! Il nous appartient de tracer les contours d’un équilibre entre règles économiques et spécificité du secteur des médias, une problématique qui est en fait le cœur de nos travaux depuis le début.
Je propose en premier lieu d’aller plus loin que la loi du 14 novembre 2016 pour mieux garantir l’indépendance et l’éthique dans les médias. Cette loi a constitué un grand progrès à l’époque, mais le bilan qu’en trace le rapport souligne ses limites. Nous l’avons tous senti, notamment lors de la table ronde consacrée aux comités d’éthique. Elles ont d’ailleurs été relevées par de nombreuses personnes auditionnées par la commission d’enquête.
On pourrait donc envisager un triptyque autour de trois pôles dans les grands groupes de médias, ou qui en possèdent. Tout d’abord, la nomination d’un administrateur indépendant spécifiquement chargé des questions d’éthique et d’indépendance dans les groupes qui possèdent des médias. Sa nomination serait validée par l’Arcom et il disposerait d’un pouvoir d’évocation devant le conseil d’administration (propositions 1 à 3).
Il travaillerait en lien étroit avec des comités dits d’éthique régénérés, rendus plus visibles et dotés de moyens leur permettant d’exercer leurs missions. Leur présence serait par ailleurs obligatoire dans tous les groupes de médias, et pas uniquement l’audiovisuel (propositions 4 à 9).
Enfin, dernier acteur de ce triptyque, l’Arcom, qui devrait travailler en lien étroit avec ces comités et l’administrateur indépendant (propositions 10 et 11).
Afin de renforcer encore la prévention des conflits d’intérêts, il pourrait (proposition 12) être suggéré à I’AFEP et au Medef de réviser le code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées pour prévoir une attention particulière aux médias intégrés au groupe. Lors de son audition, le ministre Bruno Le Maire a jugé cette piste particulièrement prometteuse.
Les propositions 13 à 17 visent à offrir un meilleur cadre de travail aux journalistes. Ainsi, la rédaction aurait le pouvoir de refuser à une majorité qualifiée des deux tiers un directeur de rédaction, et devrait être informée des motivations d’un départ. II ne s’agit en aucun cas de contester les pouvoirs du propriétaire du média, mais plutôt d’envisager des relations plus sereines et confiantes dans les rédactions.
Les propositions 18 à 20 ont pour ambition de prendre en compte le statut et l’importance particulière de l’information dans les médias audiovisuels. Il serait ainsi prévu un montant minimal d’investissement dans l’information, qui serait bien entendu différencié en fonction de la nature de l’antenne, avec une attention spécifique pour les chaînes d’information.
Les propositions 21 à 24 cherchent à renforcer l’autorité du régulateur, l’Arcom, en l’engageant à traiter plus rapidement les dossiers et en étendant les obligations d’information. Sur le modèle britannique et américain, le régulateur serait également chargé d’un rapport tous les quatre ans sur un état des lieux des concentrations, qui lui permettrait de proposer en continu des évolutions au législateur.
Les propositions 25 et 26 ont pour objet de mieux faire respecter les droits voisins des agences de presse et des éditeurs, afin de préserver leur équilibre économique. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de négociations qui traînent en longueur, ni de l’opacité des accords.
La proposition 27 reprend une idée du rapport dit « Leleux-Gattolin » de 2015, adopté, je le rappelle, à l’unanimité, sur une contribution forfaitaire universelle destinée à financer l’audiovisuel public.
Les propositions 28 et 29 s’intéressent à la réforme des aides à la presse. Il serait ainsi tenu compte de la situation financière du groupe pour l’octroi de ces aides, et une bonification pour les propriétaires de médias qui respecteraient certains critères, comme l’agrément du directeur de la rédaction ou bien l’adhésion au CDJM.
Enfin, les propositions 30 à 33 tracent quelques perspectives de réforme de la loi de 1986. Il faut être honnête, il s’agit d’une tâche herculéenne, et nous attendons avec impatience le travail plus technique auquel se livrent actuellement les inspections des finances et des affaires culturelles. Nos interlocuteurs, après avoir presque rituellement dénoncé son caractère obsolète, s’en sont tenus à des propos très peu précis, et pour partie contradictoires.
La loi de 1986 est en effet un tout, qui ne s’intéresse pas uniquement aux concentrations, mais structure tout le paysage français de l’audiovisuel. De plus, toute modification que nous pourrions envisager ne pourrait avoir de caractère rétroactif, et bénéficierait donc en premier lieu aux positions d’ores et déjà acquises. Dès lors, je vous propose de prendre date en prévoyant un débat au Parlement en 2022 sur la base de notre rapport, mais également du travail des inspections. Par ailleurs, il me paraît possible d’envisager rapidement, dans le cadre d’une réforme a minima, d’y intégrer l’ensemble de la presse écrite et non plus seulement la presse quotidienne d’information politique et générale, et de soumettre au contrôle de l’Arcom tout changement capitalistique des chaînes non hertziennes, qui prennent une place de plus en plus importante.
Enfin, et comme « point de fuite », je propose une approche assez radicale, déjà en partie pratiquée en Angleterre, qui consiste à prendre en compte les médias non plus en silo, mais dans la globalité de leur influence, avec le concept de « part d’attention ». Il s’agit simplement, quel que soit le support, de mesurer – cela peut se faire par sondage – la part qu’occupe chaque groupe, à travers ses divers médias, dans l’accès à l’information de nos concitoyens. Une telle analyse a ainsi permis de mesurer que le groupe News Corp de Rupert Murdoch pesait plus de 10 % de l’accès à l’information aux États-Unis, devant Facebook. S’il s’agit encore d’un travail universitaire, il est actuellement largement cité dans le monde et s’avère prometteur dans le cadre d’une législation tournée vers l’avenir, qui engloberait tous les aspects des médias.
J’espère sincèrement que nous pourrons dans quelques instants prouver une nouvelle fois la capacité du Sénat à faire émerger des consensus en tombant d’accord pour l’adoption de ce rapport.
M. Jean-Raymond Hugonet. – La concentration des médias en France est un sujet très ancien qui a déjà donné lieu à débat. La dernière réflexion d’ensemble notable dans ce domaine date de 2005. Il s’agissait du rapport d’Alain Lancelot, produit à la demande du Premier ministre de l’époque, Jean-Pierre Raffarin. Reconnu de grande qualité, ce travail, fort de 22 propositions, n’a pourtant jamais été suivi d’une véritable réforme, alors même qu’il concluait à l’inadaptation de notre cadre réglementaire. Je rappelle qu’en 2005, Internet n’en était qu’à ses balbutiements et que tous les archaïsmes de la loi de 1986 n’ont fait que s’accentuer, comme l’a très bien noté l’Autorité de la concurrence dans son rapport du 21 février 2019 sur la réforme de l’audiovisuel. Au mieux a-t-on pu constater quelques réformes paramétriques, au fil de l’eau, dont la dernière en date fut celle du 25 octobre 2021, lorsque nous avons introduit, ici, au Sénat, de nouveaux plafonds de concentration applicables à la radio et aux télévisions locales lors de l’examen du projet de loi sur la régulation et l’accès aux œuvres.
Avec le projet de fusion entre TF1 et M6 et l’offre publique d’achat amicale de Vivendi sur Lagardère, l’actualité récente replace le sujet de la concentration dans le secteur des médias sous le feu des projecteurs. Ainsi, la ministre de la culture, Roselyne Bachelot, et le ministre de l’économie, des finances et de la relance, Bruno Le Maire, ont confié à leurs deux inspections une mission chargée de dresser un état des lieux des phénomènes de concentration, de mener une analyse approfondie de notre cadre juridique sectoriel et de formuler des propositions en vue de sa modernisation.
Parallèlement, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat a fait valoir son droit de tirage en faveur d’une commission d’enquête et en a confié la fonction de rapporteur à notre collègue David Assouline. L’initiative d’un travail parlementaire sur ce sujet était pertinente, même si l’on peut s’interroger sur le recours à l’outil de la commission d’enquête. Quels étaient en effet les faits graves sur lesquels il s’agissait d’enquêter ? Après quatre mois de travaux, on les cherche encore ... Et force est de constater que les auditions menées n’ont pas permis de révéler des faits qui n’étaient pas déjà largement connus et étayés. Mais là n’est sans doute pas l’essentiel.
La question importante est de savoir si nos travaux ont permis de démontrer l’existence de concentrations excessives dans le secteur des médias. Comme ont pu en attester de nombreuses personnalités auditionnées, et notamment Roselyne Bachelot, ministre de la culture, ainsi que Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom, il est clairement établi que le paysage médiatique est beaucoup moins concentré aujourd’hui qu’il ne l’était, par exemple, voilà 40 ans.
Par ailleurs, les mouvements de concentration à l’œuvre ces derniers temps ne sont pas propres à la France. Sur le plan international, et notamment aux États-Unis, des opérations, d’une tout autre envergure que celles qui nous préoccupent ont été ou sont en train d’être conduites.
Dans une première approche, donc, rien ne permet de conclure à une concentration excessive dans le secteur des médias en France, notamment au regard de la situation des autres pays européens.
On aurait aimé que le rapport rappelle davantage cet acquis de nos travaux, plutôt que d’évoquer « une réalité protéiforme en évolution continue ». La réalité est un peu différente. Il n’y a pas aujourd’hui de concentration excessive en France dans les médias. Nous devons le rappeler autant que nécessaire.
Un deuxième constat important de nos travaux concerne la convergence des médias, qui est aujourd’hui à l’œuvre. Que ce soit pour la télévision, la radio ou la presse, l’avenir sera numérique ou ne sera pas. Le véritable sujet consiste donc aujourd’hui non pas à imaginer de nouvelles contraintes à imposer aux entreprises françaises, mais, au contraire, à alléger le poids des contraintes existantes pour permettre à nos médias de se battre à armes égales avec leurs concurrentes américaines.
Malheureusement, cette urgence n’apparaît pas dans les conclusions des travaux de la commission d’enquête. Sur la trentaine de propositions, aucune ne vise à assouplir une réglementation ou à favoriser le développement des acteurs nationaux. Toutes ou presque visent à renforcer les contraintes, les contrôles et les interdictions ...
Pourtant, nous avons tous entendu que les acteurs français voient arriver un grand péril. Pour répondre à la concurrence disproportionnée des Gafam, à l’affaissement de la durée d’écoute par individu (D.E.I) de la télévision et à l’évolution drastique des attentes des consommateurs, la convergence des médias est inéluctable, car elle est porteuse de promesses pour le dynamisme économique du secteur.
Bien évidemment, les règles qui encadrent la concentration plurimédias doivent maintenant tenir compte de cette réalité incontournable. Au lieu de cela, le rapport constitue trop souvent un réquisitoire à charge contre les grands groupes privés de médias français, notamment Vivendi.
Le parti pris du rapport est de dénoncer les rapprochements entre entreprises, en particulier lorsqu’il s’agit de secteurs complémentaires (concentrations verticales et « diagonales »), alors même que cette convergence des médias constitue en réalité une formidable opportunité pour permettre à des groupes français d’émerger en maîtrisant l’ensemble de la chaîne de valeur.
À cet égard, la réflexion sur le fonctionnement réel d’une entreprise reste très limitée. Aucun développement significatif n’a été fait pour étudier les notions de coûts fixes, qui sont importants dans les médias, et d’économies d’échelle, que permet l’émergence de grands groupes.
En réalité, la stratégie des entreprises n’est pas vraiment prise en compte ; seuls les risques sont mentionnés, comme la multiplication des plans sociaux, sans pour autant que soit évoquée l’évolution des techniques et des méthodes de travail, qui nécessitent impérativement la recherche de gains de productivité.
À défaut de recourir à des arguments économiques et financiers rigoureux, le rapport vise, en réalité, à contester la légitimité pour des grands groupes (Bouygues, Bolloré, SFR-Altice...) à se diversifier dans des médias, en insistant sur cette spécificité française. Outre le fait que le groupe Agnelli en Italie constitue également un groupe diversifié, le rapport ne prend pas l’exacte mesure des transformations en cours, qui ont amené, par exemple, Amazon, un supermarché en ligne, à créer une plateforme SVOD, ou Apple, fabricant d’ordinateurs, à créer des plateformes de contenus en ligne.
Faute d’avoir pu démontrer l’existence d’un risque de concentration excessive, le rapport laisse donc planer un doute et s’emploie à établir un lien entre la concentration, qui est essentiellement un problème économique, et le pluralisme, qui, lui, est un enjeu démocratique. C’est le sens de la troisième partie, intitulée « Quels sont les risques des concentrations ? ».
Je ne comprends pas bien le raisonnement consistant, faute d’avoir pu établir l’existence de concentrations excessives, à s’interroger longuement sur les risques de ces concentrations, qui n’existent pas ... Ou plutôt, on ne comprend que trop bien l’objectif, qui vise, une fois de plus, à s’en prendre à certaines entreprises et à certains de leurs actionnaires, dans le prolongement des auditions auxquelles nous avons assisté.
Je regrette à cet égard plusieurs développements du rapport, sans aucun lien avec le sujet, qui donnent de l’importance à des affaires qui ont pu émailler l’actualité, avec pour unique intérêt de porter atteinte à des chefs d’entreprise qui jouent un rôle essentiel pour sauver nos médias. Ces pages ne sont ni particulièrement utiles ni véritablement dignes, mais nous en laissons la responsabilité au rapporteur.
Nous sommes tous ici attachés au pluralisme et à nos valeurs républicaines.
Il existe un lien direct entre l’existence d’un réel droit à l’information et le bon fonctionnement d’une démocratie. La protection du pluralisme, et en particulier le pluralisme de l’information, est d’ailleurs un impératif constitutionnel.
Si le lien entre concentration et pluralisme existe incontestablement, il est nettement moins univoque qu’on le dit parfois. L’exemple de Bertelsmann est venu nous rappeler qu’au-delà d’une certaine audience un grand groupe de médias était obligé de respecter une stricte neutralité pour ne pas heurter ses différents publics. La concentration des médias n’est donc pas, par définition, une menace pour la démocratie. En tout cas pas en Allemagne.
Quelle est aujourd’hui la situation du pluralisme en France ?
Le président de l’Arcom, Roch-Olivier Maistre, a rappelé au Sénat que jamais il n’y a eu pour le citoyen autant de choix pour s’informer. Le pluralisme est une réalité et nous pouvons tous nous en féliciter.
Le rapport accorde beaucoup d’importance à un petit nombre d’affaires qui montreraient que les actionnaires interviendraient dans la vie des rédactions. Outre que ces exemples sont très peu nombreux et ont été contestés par les intéressés lors des auditions, on remarquera que ces « affaires » sont anciennes et qu’aucun fait nouveau n’a été mis en lumière par la commission d’enquête alors que c’était précisément son objet.
Le rapport met certes en évidence une crise de la profession de journaliste, mais cette crise n’a aucun rapport avec l’actionnariat des médias, comme cela a pu être affirmé sans aucune preuve. Cette crise trouve ses raisons dans la mauvaise santé des groupes de médias, la recherche de gains de productivité, le développement de la précarité. Elle s’explique aussi par la faible place accordée à l’investigation dans la formation des journalistes français et la concurrence de nouveaux sites plus agiles et percutants.
Au lieu de s’interroger sur la façon de redonner du lustre à la belle profession de journaliste, afin de renforcer leur légitimité et, par là même, leur poids face aux actionnaires, le rapport préfère faire le procès de ces derniers, rêvant d’un monde où les médias privés n’auraient pas d’actionnaires, mais au mieux des mécènes, qui accepteraient d’investir en s’interdisant le moindre droit de regard sur le fonctionnement de leurs entreprises.
Le cas des chaînes d’information résume à lui seul tous les termes du malentendu et de notre désaccord.
Oui, le modèle des chaînes d’information a évolué, mais ce n’est pas du fait d’un projet politique des actionnaires ; c’est d’abord le fait d’une réponse à une équation économique rendue impossible par l’arrivée en clair de LCI et la création de la chaîne FranceInfo. Le rapport aurait pu mettre en évidence l’erreur qui a été faite de doubler ainsi le nombre de chaînes d’information, interroger les responsables et chercher des solutions. Il aurait pu ainsi recommander qu’une des conditions posées à l’acceptation de la fusion entre TF1 et M6 soit l’abandon de la chaîne LCI afin de rétablir un modèle économique pour les chaînes d’information.
Je rappelle que seule BFM est rentable et que CNews et LCI sont en déficit depuis des années. Une telle recommandation concernant LCI aurait été intéressante, à la fois pour limiter le poids du nouveau groupe et accroître les moyens de BFM et CNews afin de leur permettre d’investir plus dans l’information.
Au lieu de cela, le rapport s’échine à faire le procès de la chaîne CNews en voulant absolument lui accoler l’étiquette de « chaîne d’opinion ».
Nous n’allons pas refaire les débats qui ont occupé une place déraisonnable dans nos travaux. Je ne vais pas soutenir que cette chaîne a toujours été exemplaire, mais on ne peut nier non plus que cette « chaîne de débats » a trouvé son public et que son modèle ne pose plus aujourd’hui de difficulté particulière. Le débat est une dimension essentielle de l’information et de notre vie publique.
Nous ne pouvons pour notre part, au sein du groupe Les Républicains, accepter de voter un rapport qui condamnerait les débats pluralistes sur les sujets qui intéressent les Français et qui sont trop souvent occultés par les autres médias, notamment publics.
Ce rapport traduit par ailleurs une volonté de donner le plus d’indépendance possible aux journalistes, sans considération pour les actionnaires.
Au moins, l’audition du 14 janvier 2022 d’Emmanuel Vire, secrétaire général du Syndicat national des journalistes-CGT, retranscrite en page 145 du présent rapport, est venue apporter un éclairage intéressant sur la réalité de la situation. Je le cite : « Je ne crois aucunement à la neutralité du journaliste : c’est une fable. Chaque publication a une ligne éditoriale représentée par le directeur de la rédaction. Seul l’audiovisuel public doit faire preuve de neutralité. Si la neutralité du journaliste n’existe pas, ses pratiques professionnelles doivent être conformes à notre déontologie : publier une idée politiquement orientée suppose que celle-ci soit vraie et vérifiée. »
Le problème n’est donc pas la grille de lecture qu’utilisent les journalistes pour décrire les convulsions du monde : la question est celle de la rigueur avec laquelle ils le font !
C’est pour cela que nous demeurons très circonspects sur la volonté du rapporteur de renforcer les comités d’éthique, créés par la loi « Bloche » du 14 novembre 2016. Le rapport considère que leurs pouvoirs sont « trop faibles », sans pour autant expliquer en quoi leurs compétences sont aujourd’hui insuffisantes pour exercer leurs missions.
À ce stade, il convient de rappeler que le Sénat s’était opposé à la création de ces comités en 2016. Le rapporteur de la commission à l’époque, Catherine Morin-Desailly, avait ainsi fait adopter une question préalable, le 29 septembre 2016, au motif, en particulier, que « de nombreuses dispositions, rétablies à l’identique par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, font montre d’une défiance généralisée vis-à-vis des directions des entreprises de médias sur les questions de déontologie, instaurent un mécanisme de contrôle étendu et tatillon et, surtout, renforcent les prérogatives d’une institution – le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) – dont le rôle et l’étendue des pouvoirs ne font plus consensus. Le texte, tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale, ouvre la voie à la mise en place d’un mécanisme de contrôle ex ante de l’information et des rédactions par le CSA, qui constitue une atteinte à la liberté de communication.»
Les comités d’éthique créés par la loi Bloche ne servent pas à grand-chose.
Quel serait le sens pour le Sénat, qui a refusé leur création en 2016, d’accorder aujourd’hui à l’Arcom un pouvoir de quasi-tutelle sur les médias privés, alors que telle n’est ni sa fonction ni sa vocation ? J’ai été sensible à l’idée de créer des administrateurs indépendants dans les instances de gouvernance des médias, mais je suis plus sceptique quant au projet de faire dépendre de tels administrateurs de l’Arcom, qui n’a pas encore démontré son indépendance, en particulier en matière de nomination des dirigeants de l’audiovisuel public.
Je conclurai d’ailleurs en m’interrogeant sur l’étrange mansuétude dont fait preuve le rapport à l’endroit du service public. Entre autres sujets, les nominations des dirigeants de l’audiovisuel public par l’Arcom, peu transparentes et sujettes à débat, ne font pas l’objet du même traitement que celui qui est réservé aux dirigeants des grands groupes de médias. Les modalités de nomination des dirigeants de l’audiovisuel public adoptées en 2013 n’ont malheureusement pas permis de lever tous les soupçons en la matière. Il est regrettable que le rapport passe aujourd’hui cette question sous silence...
La nomination de Delphine Ernotte à la tête de France Télévisions, en 2015, a ainsi fait l’objet de plaintes de la CFDT-Médias et de la CGC-Audiovisuel, qui soupçonnaient notamment le président du CSA, Olivier Schrameck, d’avoir fait pression sur d’autres membres de l’instance pour écarter certaines candidatures au profit de Delphine Ernotte. On peut regretter, au passage, que ces deux syndicats n’aient pas été auditionnés, de même que les autres acteurs du dossier – je pense en particulier à Pascal Josèphe, première victime de ces arrangements de couloirs.
Le rapport accorde beaucoup de place à l’influence supposée des actionnaires privés sur les rédactions ; mais pourquoi ce silence concernant les rédactions des médias publics ? Le journal Le Monde s’est pourtant fait l’écho d’interrogations portant sur la neutralité de certaines nominations à France Télévisions. Dans un article en date du 13 mars 2021, il était expliqué qu’ « à près d’un an de l’élection présidentielle des salariés craignent que l’arrivée de Cyril Graziani à la tête du service ne sème le doute sur son indépendance », celui-ci étant en particulier « réputé être l’un des rares journalistes avec lesquels Emmanuel Macron échange volontiers ». « Il se vante lui-même de commenter The Voice avec le Président de la République, le samedi soir, par texto, assure un autre [salarié]. »
Cet article du Monde est venu accréditer l’idée que le renouvellement du mandat de Delphine Ernotte s’était opéré avec le soutien de la majorité en échange de « garanties » sur le traitement de l’information à un an de l’élection présidentielle.
De tels soupçons sont évidemment de nature à nuire à la crédibilité du service public. Ils ont été rapportés par des journalistes aussi indépendants que ceux qui sont abondamment cités par le rapport lorsqu’ils mettent en cause Vincent Bolloré. Pourtant, le rapport n’en fait pas état, laissant planer une impression dérangeante de « deux poids, deux mesures ».
Le rapport de notre collègue David Assouline est le rapport de David Assouline. Nous ne partageons ni sa philosophie ni certaines de ses conclusions. Nous regrettons également la façon dont ont été menées de nombreuses auditions. Les commissions d’enquête du Sénat ne sont pas des tribunaux révolutionnaires et l’objectif de nos travaux n’a jamais été de planter des têtes au bout d’une pique !
M. Pierre Laurent. – On en est loin !
M. Jean-Raymond Hugonet. – Cela étant dit, un travail important a été réalisé et je rends hommage à l’action du président de la commission, notre collègue Laurent Lafon, qui a fait son possible pour revenir à de plus justes recommandations.
Puisqu’il me faut conclure, au nom de mes collègues du groupe Les Républicains, je suis obligé de constater que, malgré les efforts qui ont été faits, le compte n’y est pas.
Si nous pouvons, à la rigueur, nous retrouver sur l’analyse de la situation, et ce bien que nous déplorions l’absence de vision stratégique, il n’est en revanche pas possible de valider la mise en cause d’un grand groupe français et de sa chaîne d’information ; il n’est pas compréhensible que le secteur public soit exonéré à ce point de toute critique précise ; il n’est pas envisageable de donner notre accord à une mise sous tutelle de l’Arcom des médias privés, laquelle porterait un coup fatal à la liberté de communication.
Sur ces trois points au moins, sauf à ce que des modifications substantielles soient apportées, notre opposition de principe nous obligera à voter contre ce projet de rapport.
M. Max Brisson. – Ce rapport me laisse, c’est le moins que l’on puisse dire, circonspect, quant aux objectifs recherchés et quant aux résultats enregistrés, sans parler du recours à une commission d’enquête, celle-ci n’ayant rien découvert que ce que l’on savait déjà.
Ce rapport est d’abord caractérisé par un déséquilibre, pour ne pas dire un « deux poids, deux mesures », qui affecte tant le constat que les propositions qui en découlent. Ce déséquilibre conduit à un traitement bienveillant de l’audiovisuel public, qui n’est jamais interrogé ni sur son indépendance réelle face à l’exécutif, ni sur la manière dont il garantit la neutralité qui sied à son statut, ni sur la façon dont il organise le pluralisme interne. Au contraire, le rapport s’évertue à prouver son indépendance en relayant à l’envi l’idée d’une absence de toute tentative d’influence, affirmée par ses dirigeants sans autre forme de contestation.
À l’opposé, le déséquilibre débouche sur un réquisitoire contre un groupe, et contre une chaîne de ce groupe, qui s’apparente à de l’acharnement. Onze pages sont consacrées à CNews, pour seulement 2 % d’audience, et l’analyse sémantique des propos de son principal dirigeant, reposant sur une transcription de ses affirmations orales, doit pour le moins être discutée au moment où l’on nous demande d’approuver ce projet de rapport.
Mais est-ce vraiment là l’essentiel ? N’est-ce pas davantage dans ce qui manque que se situe le déséquilibre ? Le principal manque, le voici : ce rapport n’étaye pas la thèse selon laquelle la concentration excessive dans le secteur des médias en France serait une réalité. La réalité qui finit par se dessiner est en fait tout autre : le paysage médiatique est aujourd’hui moins concentré qu’il ne le fut dans le passé. À partir d’une évidence non posée et non étayée, le rapport se veut pourtant démonstratif ; mais démontre-t-il vraiment que la concentration des médias, qu’il peine à prouver, menace l’indépendance des rédactions et par là même la crédibilité de l’information ?
Les cas d’intervention, présentés comme rares, mais largement développés, permettent-ils vraiment de conclure à un problème systémique qu’il faudrait résoudre au plus vite ? Tout en affirmant qu’il est délicat de trancher sur des influences directes, le rapport évoque un « faisceau de présomptions » – en fait, trois cas présentés au conditionnel qui suffisent au rapporteur à déduire « une forme de pression ». De même, la défiance croissante et inquiétante à l’égard des journalistes n’a-t-elle d’autres facteurs que ceux qui seraient éventuellement corrélés à la concentration des médias ? N’eût-il pas été plus judicieux d’analyser comment la multitude de nouveaux vecteurs de diffusion audiovisuels, internet, YouTube, bouscule les principes et les règles inhérents à la finitude des supports par ondes ?
Affirmer sans l’avoir véritablement démontré que la concentration porte intrinsèquement en elle le risque d’une information partielle et de qualité dégradée, n’est-ce pas faire peu de cas d’autres facteurs, comme la fragilisation économique de la presse écrite, les difficultés qu’elle rencontre dans la recherche d’un nouveau modèle économique à l’ère numérique, la réduction du nombre de titres de la presse traditionnelle ou la multiplication des nouveaux supports, qui fait voler en éclats le cadre contraint de la diffusion audiovisuelle ? Nous aurions apprécié que soient davantage analysées les raisons qui motivent les groupes industriels à entrer dans le capital de sociétés de presse.
Votre rapport est prisonnier de votre volonté de démontrer qu’il faut davantage de régulation et de contrôle. Le constat dressé est parfois exact, si nous faisons abstraction des déséquilibres que j’ai mentionnés. Il est bien dommage, néanmoins, que vous n’ayez pas exploré les voies par lesquelles la puissance publique pourrait utilement orienter les dynamiques de convergence vers l’émergence d’une offre de médias français susceptible de faire contrepoids aux plateformes tout en garantissant le pluralisme indispensable à notre démocratie.
Les mouvements actuels de convergence, terme plus approprié que celui de « concentration », en matière de télévision, de radio, d’internet, d’édition et de presse écrite, ne méritent-ils pas que l’on repense nos dispositifs de lutte contre la concentration ? Devant ces évolutions, faut-il renforcer les contraintes ou les assouplir ? La question est posée, mais ce rapport l’ignore.
Or on peut s’interroger, face au poids des Gafam et devant la perte d’audience de la télévision et la convergence des médias, sur les règles qui régissent actuellement la régulation. Car ces rapprochements, et les économies d’échelle afférentes, sont nécessaires pour assurer la pérennité de certains médias. La stratégie des entreprises méritait une autre analyse qu’un réquisitoire à charge.
Ce rapport est fondé sur une analyse datée, qui pousse à durcir la loi Bloche de 2016 sur laquelle, déjà, le Sénat avait voté la question préalable sur l’initiative de notre collègue Catherine Morin-Desailly. Jean-Raymond Hugonet va nous proposer, au nom des commissaires du groupe Les Républicains, plusieurs amendements pour tenter de réduire les déséquilibres constatés sans pour autant les faire disparaître. Ces amendements visent également à amoindrir les effets de la loi de 2016, qui ne nous semble pas en phase avec les mutations du secteur. S’ils sont acceptés, nous pourrons approuver ce projet de rapport, donc le laisser publier. Il restera le rapport de David Assouline, car nous ne l’aurions ni conçu ni rédigé ainsi. Dans le cas contraire, nous serions dans l’obligation de voter contre.
Mme Monique de Marco. – Je viens d’entendre deux réquisitoires à charge contre ce rapport, ce qui me dérange quelque peu... Je n’imaginais pas un tel rejet du travail que nous avons fourni ensemble pendant quatre mois, que j’ai trouvé très intéressant. Ce rapport, selon moi, reflète les auditions qui ont eu lieu.
Je suis rassurée néanmoins de constater qu’il est encore possible de discuter. Cela me dérangerait que ce document, qui me paraît une bonne base de travail, soit purement et simplement rejeté. Je ne peux laisser dire qu’il ne s’agit que du rapport de David Assouline : il y a un peu de nous tous dans ce rapport. C’est choquant de vouloir mettre sur une pique la tête de David Assouline !
J’estime, pour ma part, que nous aurions même pu aller plus loin et faire des propositions plus constructives. Voilà un sujet pour un autre rapport, une autre commission d’enquête ou mission d’information : comment lutter contre les Gafam ?
En tout état de cause, je suis étonnée et même choquée de ce rejet du travail mené. Les propositions du rapport me semblent même insuffisamment engagées eu égard à ce que nous avons entendu. Il faut aller plus loin pour combattre les dangers qui ont été signalés, et réfléchir à l’échelon européen, sur les problèmes de l’édition par exemple.
Votre position, chers collègues du groupe LR, est selon moi purement idéologique ; je le déplore. Je ne souhaite pas que ce rapport passe à la trappe, mais qu’il soit publié. J’écouterai avec attention vos propositions de modification – je suis ravie de cette porte ouverte. En l’état, je suis plutôt favorable à la publication de ce rapport, bien qu’il ne soit pas parfait. Son contenu pourrait utilement être approfondi dans le cadre d’une proposition de loi qu’en tant que groupe majoritaire vous auriez tout loisir de soumettre au Sénat.
M. Pierre Laurent. – Ce rapport mérite publication ; il faut chercher jusqu’au bout la voie qui permettra cette publication. Il contient de nombreuses propositions et de nombreux constats qui méritent d’être mis entre les mains de nos concitoyens, et il serait dommage de ne pas donner publicité au travail accompli, qui suscitera le débat, certes, comme il a suscité le débat entre nous au fil des auditions.
Je suis très étonné par ce que je viens d’entendre, à savoir qu’il n’y aurait pas de problème de concentration : j’ai le sentiment d’une régression. L’exigence de régulation des concentrations, c’est la norme dans notre législation. Ce principe n’a jamais été mis en cause, pendant les auditions, aussi frontalement que ce soir – « circulez, il n’y a rien à voir ! » nous est-il opposé en substance. Or les auditions ont montré qu’aux problèmes présents s’ajouteraient bientôt d’autres difficultés – je ne citerai que la fusion entre TF1 et M6, qui mérite à l’évidence qu’on s’y penche politiquement. Affirmer que le paysage des concentrations est meilleur aujourd’hui que voilà trente ou quarante ans, ce n’est pas raisonnable ! Il suffit pour s’en convaincre d’observer le rôle de la publicité dans l’économie des médias et le niveau de concentration que l’on est en train d’atteindre en matière de maîtrise de ce marché.
Ce qui m’inquiète encore plus, c’est qu’en définitive deux éléments posent problème, si j’ai bien compris la conclusion de Jean-Raymond Hugonet. Le premier, c’est, pour parler clair, la défense de Bolloré, à tel point que vous allez même jusqu’à suggérer qu’il faudrait fermer LCI pour protéger les chaînes d’information continue.
M. David Assouline, rapporteur. – Incroyable !
M. Pierre Laurent. – Les bras m’en tombent... Je serais curieux de savoir ce qu’en penserait le grand public !
Si une chose fait bien consensus, lorsqu’il est question d’indépendance des rédactions et de protection de la démocratie, c’est qu’il y a matière à s’interroger du côté des méthodes de Bolloré. Songez à ce qui s’est passé chez iTélé ou chez Europe 1 – la moitié de la rédaction a dégagé en quelques semaines... –, par exemple. Ce n’étaient pourtant pas des nids de gauchistes... Je le répète : « Circulez, il n’y a rien à voir », ce n’est pas une position raisonnable. Je plaide pour que nous allions au bout de cette discussion.
Deuxième grande objection : le manque de charge contre le service public, au moment même où le Président de la République, de son côté, propose rien moins que la suppression de la redevance, c’est-à-dire de la principale ressource du service public. Peut-être les grands esprits se rencontrent-ils, mais, à tout le moins, il y a alerte...
La discussion que nous avons à l’issue des auditions montre qu’il y a là un sérieux sujet de débat public, très au-delà de l’objet restreint de notre commission. À cet égard, la non-publicité du rapport me paraîtrait un acte politique déraisonnable.
Les propositions de modification dont nous allons débattre n’iront probablement pas dans le sens que je souhaite. Notre travail aurait mérité des propositions plus audacieuses, sur la révision de la loi de 1986 et la question des seuils notamment. Mais, au point où nous en sommes, il nous faut nous accorder afin de publier un rapport, en dépit de tout ce que j’entends ce soir.
M. Michel Laugier. – Nous nous retrouvons après quatre mois de travail, 48 auditions, 100 heures de réunion ; à la clé, 354 pages de rapport. Je veux commencer par remercier tous ceux qui se sont investis dans ce travail. Un projet de rapport nous est soumis. Je me trouve plutôt en phase avec la première partie du propos de Jean-Raymond Hugonet, mais pas avec la deuxième.
À titre personnel, en effet, je trouve le rapport plutôt acceptable. Nos auditions n’ont pas été un long fleuve tranquille ; en définitive, ce rapport est là et bien là. Je n’en partage pas toutes les lignes, mais, dans sa globalité, je m’y retrouve. Certains passages, c’est vrai, n’apportent pas grand-chose...
CNews, c’est un sujet important – l’audition, d’ailleurs, a été très suivie. Dans le rapport, on retrouve toutes les questions et toutes les réponses, nombreuses, qui ont été apportées par les différentes parties. Si nous nous sommes particulièrement intéressés à CNews, c’est qu’il s’agit de la chaîne qui a été la plus sanctionnée par l’autorité de régulation : il était normal que nous nous y penchions.
La priorité est aujourd’hui que l’autorité de régulation, à savoir l’Arcom, puisse faire son travail, c’est-à-dire fasse respecter les cahiers des charges – cela est valable pour toutes les chaînes hertziennes, et pas seulement pour CNews.
Quant aux propositions, certaines sont très pertinentes – je pense à l’aide à la presse. Il faut que nous nous intéressions beaucoup plus au monde du numérique, aux grandes plateformes, aux Gafam : le véritable danger vient de là, nous l’avons bien vu à propos du marché de la publicité. Un chiffre m’a marqué : Google a engrangé en 2021 un bénéfice annuel net de 76 milliards de dollars, soit l’équivalent du chiffre d’affaires du groupe LVMH, propriété de Bernard Arnault, figure marquante de l’économie française – groupe qui réalise, lui, 12 milliards d’euros de bénéfice. Le danger, donc, vient du numérique plus que des médias traditionnels : il va falloir que nous légiférions rapidement.
J’espère qu’à l’issue de cette réunion nous serons passés d’un projet de rapport à un rapport.
Mme Sylvie Robert. – Merci à notre rapporteur, à notre président, à tous ceux qui ont travaillé à la rédaction de ce rapport. Max Brisson n’a rien appris ? J’ai beaucoup appris, moi, au fil de ces 48 auditions, sur l’organisation du système des médias en France.
J’ai très mal vécu les tensions qui sont nées lors de certaines auditions ; elles n’étaient pas à la hauteur de l’enjeu. L’avancée de nos travaux a eu néanmoins le mérite d’enrichir nos débats ; au fur et à mesure, nos questions se sont faites toujours plus précises : appréhendant cette matière dans sa grande complexité, nous avons collectivement progressé.
Ce sujet, celui des médias et de leur influence sur la fabrication de l’opinion dans une société démocratique, est central dans le débat public. Le cas douloureux de la Russie et de l’Ukraine nous apprend aussi beaucoup sur ces questions.
Il fallait trouver une ligne de crête pour sortir des schémas binaires : d’un côté, vive les concentrations contre les plateformes ! De l’autre, attention aux menaces que les concentrations font peser sur le pluralisme et l’indépendance...
La notion de marché pertinent s’est avérée essentielle pour traiter la question des plateformes. Personne autour de cette table n’a un point de vue arrêté sur ce qui est en train de se passer sur le terrain des concentrations, qu’elles soient horizontales, diagonales ou verticales. C’est ce phénomène que nous avons essayé de déceler, de comprendre et d’analyser.
Compte tenu de tout ce que nous avons entendu lors des auditions, j’aurais été plus loin que les préconisations du rapport. Il y a dans le document qui nous est soumis un souci constant, marqué par l’usage du conditionnel et de tournures prudentes, de ne pas prétendre asséner une vérité : s’y exprime une volonté de compromis. Quand j’entends Jean-Raymond Hugonet dire qu’il n’y a pas de problème – « circulez, il n’y a rien à voir ! » –, je me dis que nous n’avons pas vécu dans la même réalité pendant quatre mois.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Je confirme !
Mme Sylvie Robert. – Je trouve cela triste pour vous : nous n’avons pas compris les mêmes choses – à mon tour d’y voir, de votre part, une forme d’idéologie.
Jean-Raymond Hugonet a dit aussi que ce rapport était le rapport de David Assouline. Ce n’est pas juste : nous étions présents nous aussi lors des auditions, nous avons posé des questions, des réponses ont été faites, la réflexion a progressé, nous avons pris nos responsabilités. Et notre rapporteur tente un compromis – regardez les tournures de phrase ! Le constat est objectivé, ce sont des faits et des hypothèses qui nous sont soumis.
C’est la fabrication de l’information et sa qualité, donc l’indépendance des journalistes et les conditions dans lesquelles ils travaillent, qui sont en jeu. À cet égard, la responsabilité des législateurs que nous sommes est d’aller un peu plus loin que l’existant ; tel est l’objet des 33 recommandations du rapport. À titre personnel, j’aurais été beaucoup plus loin, mais je peux comprendre qu’un compromis soit nécessaire.
Je trouverais vraiment dommage que toutes ces heures que nous avons consacrées à ce sujet éminemment politique ne débouchent sur rien. Un échec du Sénat serait forcément interprété dans un sens bien particulier... Je n’ai pas de problème avec les industriels ; la question n’est pas là. Il s’agit de verser au débat public la question de l’impact des concentrations sur le pluralisme et sur la qualité de l’information.
Je serais très triste que le Sénat décide de ne pas prendre ses responsabilités en ne publiant pas cette mine d’informations qu’attendent beaucoup de nos concitoyens.
M. Pierre-Jean Verzelen. – C’est la première commission d’enquête à laquelle je participe ; c’est donc en toute humilité que je m’exprime ce soir. Moi aussi, comme ma collègue, j’ai appris beaucoup de choses. Mais je n’ai toujours pas compris quel était exactement le périmètre sur lequel nous devions travailler : s’agissait-il d’étudier le rapprochement entre TF1 et M6, d’enquêter sur les groupes qui accumulent des acquisitions dans tous les domaines, d’analyser le fonctionnement des chaînes d’information ?
Pour ce qui est du déroulement des auditions, il m’est arrivé à moi aussi d’être gêné par la tournure des événements. Sans dresser un constat d’échec, j’estime que nous aurions pu nous réunir et échanger davantage. Que des oppositions se fassent jour, c’est tout à fait naturel ; c’est inhérent à ce sujet.
Je pense, pour ma part, que les médias souffrent d’un excès de normes, qu’il est inutile d’en rajouter et que les phénomènes de concentration dans les médias ne posent pas de difficultés particulières quant à la diffusion démocratique de l’information.
Dans le document qui nous est présenté, certaines choses me dérangent. Il est toujours possible de ne pas publier le rapport ; reste que si j’étais rapporteur je rêverais que mon rapport ne soit pas publié : ainsi une publicité inespérée lui serait offerte. La non-publication, c’est presque un fait de gloire...
M. David Assouline, rapporteur. – Cela fait un certain nombre d’années que je suis sénateur et que je travaille sur ces questions ; j’ai l’habitude de la controverse. J’ai des opinions, je me bats pour les défendre. J’ai une immense estime de la fonction de parlementaire. Mais j’ai été très affecté par les interventions irrespectueuses de Max Brisson et de Jean-Raymond Hugonet.
À chaque fois qu’il m’est arrivé d’être chargé d’un rapport, j’ai tâché de mettre mes convictions et mes passions au service du Sénat dans sa pluralité. J’ai écrit des rapports avec des collègues dits de droite sur des sujets controversés comme celui de l’audiovisuel public ; nous avons toujours réussi à avancer d’un même pas, car nous partageons le même socle de valeurs s’agissant de la liberté d’expression.
En l’espèce, on peut regretter la vivacité d’une audition en particulier ; dans ce cas précis, j’ai considéré que la désinvolture des réponses de l’actionnaire était le symptôme d’un manque de respect à l’égard du Sénat. Si nous n’avions pas fait preuve d’autant d’exigence, on nous aurait reproché de dérouler un tapis rouge à certains plus qu’à d’autres. C’est d’ailleurs ce qui justifie qu’une commission d’enquête ait été créée : une simple mission d’information n’aurait jamais permis d’auditionner tous ces grands propriétaires de médias. Je note d’ailleurs qu’ainsi une occasion pour s’expliquer leur a été donnée et que l’intérêt du public s’en est trouvé fortement accru. Et certaines des minutes de ces auditions resteront pour l’histoire !
Je remercie le président Lafon. Je connais bien le secteur des médias ; à l’inverse de ce qu’a dit Jean-Raymond Hugonet, j’ai toujours défendu la force de nos entreprises françaises, notamment face aux Gafam. J’en ai fait un cheval de bataille depuis de nombreuses années, y compris à propos de Canal+ et le cinéma : tout ce qui permettait à nos groupes d’être plus puissants pour affronter la concurrence, je l’ai défendu.
Je vous ai laissé me dépeindre en coupeur de tête – vous l’avez fait, y compris publiquement, ce qui est interdit, alors que les travaux de la commission d’enquête étaient en cours. Je me suis astreint, moi, à ne jamais commenter de tels propos, par respect pour mon mandat de rapporteur de cette commission, qui m’oblige. Or ce rapport n’est pas le brûlot dont on parle. Le rédigeant, j’ai toujours veillé à me demander ce que penserait Jean-Raymond Hugonet et ce que penserait Max Brisson : en d’autres termes, j’ai voulu le rapport acceptable et utile. Je peux vous dire qu’à cet égard notre président a été un aiguillon ; il faut dire que je ne vois pas aussi bien que lui dans la pensée de MM. Hugonet et Brisson... Tout ce qui selon lui pouvait provoquer un clivage inutile entre nous, je l’ai supprimé. J’ai l’impression, mes chers collègues, que vous avez rédigé vos interventions, à rebours, en préjugeant de ce que le rapport allait contenir.
Voici ma position : je suis pour des entreprises fortes ; les concentrations sont inévitables, mais elles donnent beaucoup de pouvoir à quelques-uns ; il faut donc réguler. C’est là le principe même de la loi de 1986, qui fait consensus à gauche comme à droite. Auparavant, au temps de l’ORTF, il n’y avait pas de problème. C’est de la libéralisation que sont nés le problème des concentrations et la nécessité de la régulation. C’est M. Léotard qui est à l’origine de la loi de 1986 – pas exactement un grand collectiviste. Quant au rapport Lancelot, il a été écrit sur demande de M. Raffarin... Le principe est toujours le suivant : il faut des règles, comme partout ailleurs – tous les pays régulent !
Pour ce qui est de l’ajustement de ces règles, nous n’avons pas les mêmes idées. Mais tel n’était pas l’objet de ce rapport, dans lequel, précisément, je me suis gardé de mettre les idées qui sont les miennes en matière de révision de la loi de 1986. Je précise d’ailleurs que je n’ai pas la solution : il faudrait un travail parlementaire spécifique. Nous avons connu un changement complet de paradigme avec l’émergence de médias globaux. Le problème n’est plus de réguler par secteur, mais de construire une nouvelle échelle pertinente de régulation et d’inventer à cette fin de nouveaux mécanismes.
Je pensais que nous étions tous d’accord, dans ce pays, pour dire que l’existence même de concentrations économiques impliquait automatiquement d’édicter des règles. La libre concurrence est bien régie par des règles visant à ce que les gros n’écrasent pas les petits – c’est pourquoi il existe une Autorité de la concurrence.
Au sujet de ces concentrations, il y a des règles démocratiques à mettre en place. Les pistes que je propose ne sont pas inacceptables pour vous. Par exemple, je ne propose aucune mesure anticoncentration économique, qui, d’autant que comme elle ne serait pas rétroactive, empêcherait de nouveaux acteurs d’entrer dans ce marché et consacrerait les monopoles en place. Il n’y a donc pas là de clivage sur ce point.
Comment peut-on préserver l’indépendance des rédactions ? Je suis pour leur accorder un statut juridique particulier, à l’instar de la quasi-totalité des militants dans le milieu de la presse. Mais comme je sais que ce point fait débat entre nous, je ne le propose pas.
Je vous le dis tout de suite : vous n’êtes pas d’accord avec le fait de donner un droit de veto des deux tiers à la rédaction lors de la nomination d’un nouveau directeur de rédaction. Si cela est une ligne rouge, j’enlève cette recommandation même si, de mon point de vue, il ne resterait alors pas grand-chose de fort pour assurer l’autonomie des rédactions.
Rentrons dans le concret. Certaines choses dites par deux collègues ont été dures. J’ai consacré beaucoup de temps à ce rapport, et je considère que de nombreux procès d’intention sont faits. Si ce rapport était publié, les sénateurs pourraient en être fiers. Ce rapport fera référence, ne serait-ce que pour les données qu’il rassemble. Nous avons beaucoup travaillé pour mettre à votre disposition un rapport très élaboré.
M. Laurent Lafon, président. – Lors des auditions, à certains moments, il y a eu des tensions entre nous, et j’ai parfois été en désaccord avec le rapporteur. Les conditions de lecture des rapports des commissions d’enquête sont très particulières, et ne nous laissent pas toujours le calme et le recul nécessaire pour les évaluer.
Ce rapport n’est pas celui de David Assouline, mais celui écrit par David Assouline – s’il l’avait écrit selon ses convictions, je ne vous demanderais pas de l’examiner. À ma demande – et je l’en remercie – le rapporteur a fait en sorte que ce rapport soit acceptable par le plus grand nombre, quelles que soient nos différences. Il a fait l’effort de rechercher une expression commune, qui, même si elle ne satisfera pas tout le monde, doit nous permettre de nous y retrouver.
Selon l’organisation des commissions d’enquête, lorsque le rapporteur est issu de l’opposition, le président est issu de la majorité. Sur un certain nombre de points, je ne partage pas les opinions du rapporteur. Je lui ai demandé d’opérer un certain nombre de modifications dans son texte, qui ont déjà été acceptées à 90 %.
Je ne voudrais pas que nous restions sur les impressions des auditions : nous avons à voter le rapport dans son expression écrite, et non ce qui s’est dit lors des différentes auditions. J’attire votre attention sur ce point : nous votons bien le rapport.
Nous allons examiner les propositions de modification dans l’ordre du rapport.
La première proposition de modification, déposée par le rapporteur au sujet de la page 132 du rapport, a pour but de tenir compte de l’annonce faite la semaine dernière concernant un accord entre France Télévisions, TF1 et M6, en cas de fusion de ces deux dernières, pour permettre à France Télévisions de sortir de Salto.
M. Max Brisson. – Je ne comprends plus. Ce rapport a bien été écrit par David Assouline, et non par David Assouline et Laurent Lafon. En est-il de même pour cette modification ?
Monsieur le président, vous avez dit avoir largement contribué à ce rapport. Ce rapport a-t-il été fait à plusieurs mains ?
M. Laurent Lafon, président. – Je n’ai présenté cette modification que pour gagner du temps dans nos débats.
J’ai demandé un certain nombre de modifications à David Assouline, qui les a très largement acceptées. Je voulais juste préciser que M. Assouline a rédigé ce rapport au nom de la commission d’enquête.
M. David Assouline, rapporteur. – Que les choses soient claires. J’ai mes idées, mais le rapport que j’ai rédigé doit être validé collectivement. Ce rapport, je l’ai écrit au nom de la commission, pour qu’il puisse satisfaire tous ses membres.
L’organisation d’une commission d’enquête permet une collaboration entre le président et le rapporteur. J’ai cherché à prendre en compte l’ensemble des opinions des membres de cette commission, afin que notre travail de ce soir ne soit pas trop long : en discutant avec le président, qui connaît mieux la diversité des opinions dans la commission, j’ai anticipé de nombreuses modifications. Il n’y a pas de procès à faire sur ce point.
Cette proposition de modification n’a pas beaucoup d’importance ; elle a pour fonction de nous éviter d’être déconnectés de la réalité. Nous avons appris la semaine dernière que France Télévisions céderait ses parts de Salto en cas de fusion de TF1 et de M6. Pour que le rapport ne se trompe pas factuellement, il intègre simplement cette information.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. – Devons-nous obligatoirement voter le rapport aujourd’hui ?
M. Laurent Lafon, président. – Tout à fait.
La proposition de modification n° 1 est adoptée.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Dans la droite ligne de mon propos liminaire, cette proposition de modification n° 2 vise à combattre l’étrange mansuétude qui règne au sujet de la nomination des dirigeants de l’audiovisuel public par l’Arcom.
Mme Monique de Marco. – Je ne vois pas lors de quelle audition ce point a été abordé.
M. David Assouline, rapporteur. – Plusieurs pages du rapport concernent l’audiovisuel public. Elles disent déjà beaucoup, car l’ensemble des personnalités auditionnées évoquant des interventions politiques à l’encontre du service public sont mentionnées dans le rapport, ainsi que les témoignages de ceux qui ont dit que leurs investigations sur le service public étaient censurées. Jean-Raymond Hugonet propose de renforcer encore notre attention au service public et à ses problèmes.
Je propose une autre rédaction pour faire preuve de ma bonne volonté : nous maintenons le début de la proposition de modification, citant le début de l’article 47-4 de la loi du 30 septembre 1986, mais nous modifions ainsi son deuxième paragraphe : ces dispositions n’ont pas permis de lever « tous les doutes quant aux conditions de ces nominations. Ainsi, la nomination de Delphine Ernotte à la tête de France Télévisions en 2015 avait fait l’objet de plaintes de la CFDT-Médias et de la CGC-Audiovisuel, ce qui, quel que soit le bien fondé des questions posées, avait rendu plus difficile la prise de fonction de Delphine Ernotte en 2015. Les conditions de nomination des dirigeants publics par l’Arcom ont pu souffrir d’un manque de transparence. Les conditions d’appel à candidatures, l’ensemble des candidatures collectées et les auditions des finalistes doivent mieux permettre le choix éclairé et indépendant par les membres de l’Arcom. »
Cette rédaction dit les choses un peu différemment.
La commission d’enquête a permis d’établir certains faits, mais ce fait-là n’a jamais été évoqué alors que, si vous l’aviez souhaité, nous aurions auditionné les membres de l’Arcom. Malgré cela, comme je veux que l’on aboutisse, je suis pour garder cette idée, et mentionner le fait concret que des plaintes ont été déposées. Cela vous convient-il ?
M. Jean-Raymond Hugonet. – Cette nouvelle proposition amoindrit les choses, mais elle est acceptable.
La proposition de modification n° 2, ainsi rectifiée, est adoptée.
M. David Assouline, rapporteur. – Cela ne me gêne pas, mais la proposition de modification n° 3 charge encore plus la barque. Vous vous souvenez qu’on nous a parfois reproché de ne pas prendre position sur des éléments évidents, faute de faits suffisamment caractérisés. J’ai élagué du rapport les parties qui n’étaient pas appuyées sur assez d’éléments.
Vous faites ici presque nommément référence à un proche du Président. M. Hugonet, dans son intervention, a même précisé que cette personne échangerait des SMS avec le Président de la République au sujet d’émissions de télévision. Franchement, cela n’est pas de notre niveau. Je propose de ne pas rentrer dans de tels détails alors que ces faits ne sont pas avérés.
Je vous propose donc la rédaction suivante, au deuxième paragraphe : « En particulier, le journal Le Monde s’est fait l’écho le 13 mars 2021 d’interrogations des personnels de France Télévisions concernant la neutralité de certaines nominations dans l’entreprise France Télévisions. Les conditions de nomination des dirigeants de l’audiovisuel public doivent permettre de s’assurer qu’ils n’entretiennent pas une trop grande "proximité" avec la majorité en place. »
C’est pour moi évident, et je n’ai pas de problème à le redire. En revanche, comme les auditions de la commission d’enquête n’ont pas fourni de précisions à ce sujet, je ne voudrais pas que nous tenions des propos accusatoires à l’encontre d’une personne précise, identifiable.
M. Max Brisson. – Tout à l’heure, chacun s’est exprimé et a marqué ses divergences. Si à chaque proposition le rapporteur fait un nouveau plaidoyer, s’il doit à chaque fois avoir raison sur tout, les choses vont vite s’arrêter ! Il faut davantage de modestie et d’humilité !
De nombreuses pages du rapport ne sont pas au niveau, et rien ne mérite de tels commentaires. Je demande que la proposition de modification n° 3 soit acceptée telle quelle.
M. Pierre Laurent. – Depuis longtemps, des pressions politiques s’exercent sur le service public. Cela ne date pas d’aujourd’hui !
Il vaudrait mieux garder « afin de renforcer l’impartialité de l’information sur le service public », car le critère d’une « trop grande proximité avec la majorité en place » est très difficilement objectivable.
Le vrai principe, quelles que soient les éventuelles proximités entre dirigeants, est celui de garantir l’impartialité de l’information sur le service public.
Je fais cette remarque en passant : les deux formulations me vont.
M. Vincent Capo-Canellas. – Nous devons faire en sorte que notre travail aboutisse à l’adoption d’un rapport.
Les mots « réputé proche du chef de l’État » me semblent peu utiles dans un rapport du Sénat. Les enlever ne changerait rien au texte, et la rédaction me semblerait plus sénatoriale. Comme les phrases autour de ces mots concernent la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale, ils pourraient ressembler à une attaque politique, d’autant plus en cette période de campagne présidentielle. Je ne vois pas ce que ces mots apportent : ils donnent au rapport un sens politique qui n’est pas celui souhaité par notre commission.
M. Max Brisson. – Les propos de Vincent Capo-Canellas m’ont convaincu de voter le texte dans la version du rapporteur.
M. Jean-Raymond Hugonet. – J’accepte également la modification du rapporteur.
M. Laurent Lafon, président. – Les troisième et quatrième paragraphes de la proposition de rédaction deviendraient ainsi : « En particulier, le journal Le Monde s’est fait l’écho le 13 mars 2021 d’interrogations des personnels de France Télévisions concernant la neutralité de certaines nominations dans l’entreprise. Les conditions des nominations des dirigeants de l’audiovisuel public doivent permettre de s’assurer qu’ils n’entretiennent pas une trop grande proximité avec la majorité en place. Ils justifient également de renforcer l’impartialité de l’information sur le service public conformément aux pratiques en vigueur dans plusieurs pays européens. »
La proposition de modification n° 3, ainsi rectifiée, est adoptée.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Par rapport aux deux précédentes, cette proposition de modification n° 4 représente un point de rupture, je le dis sans ambages.
Le sujet a miné de manière sous-jacente bon nombre d’auditions au long de ces quatre mois. Nous proposons tout d’abord de modifier le titre 3 présent à la page175 du rapport : au lieu de « “Biais idéologique” de l’actionnaire : des médias d’opinion ? », je propose « Existe-t-il un biais idéologique de l’actionnaire ? ».
Par ailleurs, après la première phrase du premier paragraphe suivant ce titre (« Pour certains, l’information telle que rapportée dans les médias serait viciée par l’influence trop grande qu’exerceraient sur les médias les orientations idéologiques de tel ou tel actionnaire »), nous proposons d’ajouter la phrase suivante, pour établir un pendant et équilibrer le propos : « Pour d’autres, la liberté d’expression doit pouvoir exister pleinement dans le respect des limites qui lui sont imposées par la loi ».
Troisièmement, à la page 189, nous proposons de modifier le titre 6 (« Vers une télévision d’opinion ? ») par le titre suivant : « Vers une télévision de débats voire d’opinion ? »
Nous proposons de remplacer la dernière phrase du paragraphe suivant ce titre par la suivante : « Alain Weill, lors de son audition du 10 février, a noté une évolution vers une chaîne de débats voire d’opinion. » Nous proposons également de faire suivre la citation d’Alain Weill du paragraphe suivant : « La commission d’enquête reconnaît pleinement l’utilité pour la vitalité du débat démocratique de l’organisation de débats, présentant les différents points de vue dans le respect du pluralisme des opinions, conformément aux conventions passées avec le régulateur. Ces émissions participent incontestablement de l’information éclairée du citoyen, en le confrontant à la diversité des analyses, matérialisée par les différents chroniqueurs. Elles n’ont cependant pas vocation à se substituer à un travail journalistique indépendant et à un traitement professionnel de l’information. »
Enfin, nous proposons de modifier ainsi le début du premier paragraphe de la page 191 : « La commission d’enquête n’a pas tranché sur le fait de savoir si CNews était une chaîne de débats ou d’opinion, mais la conviction personnelle du rapporteur... »
M. David Assouline, rapporteur. – Je m’interroge au sujet des deux premières modifications, qui sont liées. Elles laissent entendre que ce qui est le cas pour certains ne le serait pas pour d’autres. Je tiens à la liberté d’expression, et je souscris totalement à cette phrase. Mais elle n’exclut pas celle qui précède, et je veux que les deux formulations coexistent.
M. Vincent Capo-Canellas. – Tout à fait, c’est pour tout le monde que la liberté d’expression doit exister !
M. David Assouline, rapporteur. – Si l’on veut prendre en compte la proposition de Jean-Raymond Hugonet, il suffit d’enlever « pour certains » et « pour d’autres », et de garder in extenso les deux formulations. Nous laisserions ainsi : « L’information telle que rapportée dans les médias serait viciée par l’influence trop grande qu’exerceraient sur les médias les orientations idéologiques de tel ou tel actionnaire. La liberté d’expression doit pouvoir exister pleinement dans le respect des limites qui lui sont imposées par la loi. La commission a donc tenu à établir un diagnostic précis et lucide, qui n’élude pas les préoccupations exprimées devant elle. »
M. Jean-Raymond Hugonet. – Cette formulation me va bien. On ne stigmatise ni les uns ni les autres, et l’on considère l’ensemble des points de vue.
Mme Monique de Marco. – Cela me semble mieux rédigé.
M. David Assouline, rapporteur. – Concernant la modification du titre, je ne sais que répondre : l’interrogation « des médias d’opinion ? » n’engage personne, et correspond à la question que nous nous posions à ce moment.
Seulement trois pages du rapport concernent CNews. Vous savez très bien quel est mon point de vue : si j’avais écrit le rapport en mon nom, j’aurais titré « une chaîne d’opinion », car c’est ma conviction – je pense d’ailleurs que la commission a établi ce fait. Je pense également que la majorité des Français, y compris ceux qui défendent cette chaîne, estiment qu’il s’agit d’une chaîne d’opinion. J’ai mis un point d’interrogation, car j’ai bien compris que nous ne partagions pas cette idée.
Je ne vois pas bien ce que cette proposition modifie. Je ne vois pas bien à quoi cela sert d’enlever la notion de « médias d’opinion », que j’interroge à cet endroit sans donner de réponse. Je ne demande pas d’endosser une idée : si cette interrogation doit sauter, on pourrait se demander à quoi sert le reste du rapport...
Mme Monique de Marco. – Je trouve la première formulation plus ouverte, alors que la proposition de M. Hugonet me semble plus réductrice. Mais je ne suis pas professeur de français...
M. Jean-Raymond Hugonet. – Que les choses soient claires : nous n’avons ni la même perception ni la même philosophie. Cette diversité n’est pas un mal, au contraire, mais il arrive un moment où il ne faut pas retourner les choses. Je le dis sereinement, sans aucune agressivité – ce n’est pas mon style, sauf quand on m’y pousse – : sur les 358 pages de ce rapport, il n’y a pas une page sur laquelle nous n’aurions rien à redire. Jamais, ô grand jamais, nous ne sommes venus voir le président de la commission pour lui dire que nous ne voterions pas ce rapport. Sur 358 pages, nous n’avons déposé que quelques malheureuses propositions de modification. Nous pouvons toujours discuter, mais ce point est fondamental.
Même si ce que pense vraiment le rapporteur a été élagué, et même s’il s’est réfréné à la demande du président Lafon pour atteindre un consensus, souffrez que des gens comprennent les enjeux qu’il y a derrière, et que l’on n’efface pas d’un revers de manche ce qui s’est passé pendant les quatre mois des auditions ou ce qui va se passer dans les prochaines semaines !
Par mesure de conciliation, cette formulation me semble plus sereine, car elle évite de parler du sujet qui fâche. Nous ne demandons pas au rapporteur de se trahir en acceptant cette formule.
Personne n’est là pour faire échouer cette commission d’enquête, et nous avons tous envie que notre travail aboutisse. Cette proposition soutenue par mes collègues n’arrache pas un bras à qui que ce soit, et ne tord pas la réalité ! Elle nous va bien, car elle nous semble moins sujette à caution.
M. David Assouline, rapporteur. – Je propose de prendre en compte ce souci sans pour autant effacer le sujet que j’interroge.
Nous pouvons trouver une formulation commune : « Existe-t-il un biais idéologique de l’actionnaire ? Des médias d’opinion ? »
Cette double interrogation ne comporte aucune affirmation. Je suis vraiment dans la conciliation.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Nous ne sommes pas au marché Saint-Pierre, mais dans une négociation serrée. Pour moi, cette proposition du rapporteur n’est pas acceptable.
Mme Laurence Harribey. – Il faut regarder la progression logique de la pensée. Je dis sincèrement au rapporteur que commencer avec un premier titre « Existe-t-il un biais idéologique de l’actionnaire ? » et continuer au titre 6 avec « Vers une télévision de débats voire d’opinion ? » permet une progression plus explicite que dans la première rédaction. Il y a une plus grande progression logique, et cela renforce l’idée du rapporteur.
M. Laurent Lafon, président. – Je crois donc que nous sommes d’accord sur ce point.
M. Michel Laugier. – J’aimerais connaître l’avis du rapporteur sur le point suivant.
M. David Assouline, rapporteur. – Je vais dire les choses clairement, pour que l’on mesure bien l’enjeu. Nous pouvons travailler pour trouver des formules qui rapprochent, et je n’ai aucun veto. Mais il est hors de question que l’on me fasse dire ce que je n’ai pas dit, en me faisant manger mon chapeau, alors que je n’ai provoqué personne dans le rapport !
Selon votre troisième demande de modification, nous devrions préciser que la commission d’enquête n’a pas tranché concernant le fait de savoir si CNews est une chaîne de débats ou d’opinion. Mais si je ne mets pas cette formulation, c’est bien que la commission n’a pas tranché ! Si vous voulez en plus que je l’écrive, je ne suis pas d’accord !
Je suis très clair : je veux aboutir. N’allez pas chercher des modifications là où vous avez déjà obtenu satisfaction ! À aucun moment du rapport je n’ai dit ce que je pense là-dessus à savoir que CNews est une chaîne d’opinion.
Je n’ai pas de problème avec la modification du titre 3, qui, comme l’a dit Laurence Harribey, obéit à une progression logique. Mais ne chargez pas trop la barque ! Il serait bête que ce rapport soit rejeté à cause de cette phrase, et nous ne serions pas crédibles. Mais je demande du respect pour ce que j’ai tenté de faire.
M. Laurent Lafon, président. – Le reste ne semble pas poser de problème !
M. Jean-Raymond Hugonet. – C’est pour cela que j’ai dit que nous étions là au point de rupture. C’est la ligne rouge. Pour nous, il est indispensable d’ajouter cette phrase à la fin. Je ne pense pas que notre demande soit démesurée. Je ne vois pas en quoi le rapporteur serait amené à devoir manger son chapeau.
M. Pierre Laurent. – Il y a peut-être un problème pour le rapporteur, mais il y a surtout un problème pour les membres de la commission que nous sommes, puisque vous nous forcez à endosser un constat que nous n’avons pas à faire. De toute façon, débat et opinion ne sont pas contradictoires. Bolloré n’a pas inventé le débat. Je ne vois pas l’intérêt de cette dernière phrase. C’est tellement évident pour tout le monde qu’il s’agit d’une chaîne d’opinion.
Mme Laurence Harribey. – Je m’associe totalement à ce que vient de dire Pierre Laurent. La formulation entraîne l’ensemble de la commission. Or je ne me sens pas concernée.
M. Max Brisson. – Pierre Laurent vient de dire qu’il s’agissait d’une évidence. Effectivement, la lecture des pages précédentes du rapport le laisse entendre, mais nous ne souhaitons pas nous laisser embarquer par l’approche du rapporteur. Le débat n’a pas eu lieu, donc la commission d’enquête n’a pas tranché.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Ce sujet a été au centre du débat pendant toutes les auditions ou presque. Je vous rappelle les auditions de Maxime Saada ou de Vincent Bolloré. Pour nous, c’est simple : la commission d’enquête n’a pas tranché. Je ne vois pas où est le point de blocage.
M. David Assouline, rapporteur. – Il y a trois pages – pas 354 – sur CNews : lisez-les ! On y trouve plus de témoignages contre que de pour la thèse qu’il s’agirait d’une chaîne d’opinion.
J’ai fait en sorte qu’à chaque question suggérant que CNews serait une chaîne d’opinion réponde un témoignage sous la forme de longues citations de Vincent Bolloré, de Maxime Saada ou du directeur de la rédaction, de telle sorte que, dans le rapport, vous trouvez peut-être plus de propos « contre » que de propos « pour » cette thèse : comptez les mots !
Quant à moi, je me suis interdit d’orienter dans un sens ou dans un autre l’interprétation de ces arguments et contre-arguments ; je ne pouvais pas faire davantage, les faits sont les faits. Vous m’avez repeint, dans cette affaire, en Fouquier-Tinville, nonobstant l’ensemble de mon travail parlementaire. J’ai été vice-président du Sénat, et je n’ai pas la réputation d’ignorer l’importance de la diversité des opinions. On ne me fera pas passer pour ce que je ne suis pas ! Vos critiques sont injustifiées : il n’y a rien dans le rapport qui puisse laisser penser que la commission a avancé de façon masquée que CNews était une chaîne d’opinion.
Si la commission décide d’écrire qu’elle « n’a pas tranché », c’est pour tenter de m’isoler. Je ne donne pas mon opinion et je ne demande pas à la commission de trancher ; vous souhaitez, vous, suggérer qu’elle a tranché contre ce que je pense. Voici ce que signifie la phrase que vous proposez d’ajouter : la commission a tranché qu’elle n’était pas d’accord avec moi !
M. Max Brisson. – Non !
M. David Assouline, rapporteur. – En d’autres termes, j’aurais demandé à la commission de trancher, ce qui est faux.
Mme Else Joseph. – Nous ne disons pas que la commission n’a pas tranché, nous disons qu’elle n’a pas débattu !
M. David Assouline, rapporteur. – Si j’ai souhaité que la commission ne tranche pas, c’est par souci de consensus. En écrivant noir sur blanc qu’elle n’a pas tranché, vous explicitez, au fond, qu’elle a bel et bien tranché et que je suis seul à penser que CNews est une chaîne d’opinion ! Or, en l’espèce, je ne dis même pas ce que je pense, et vous embarquez dans votre formulation d’autres membres de la commission qui, eux, pensent comme moi.
Mme Laurence Harribey. – Oui !
M. David Assouline, rapporteur. – Cette phrase est donc source de discorde. Je suis pour tout ce qui permettra que ce rapport soit publié sans que quiconque ait à manger son chapeau. Vous avez fixé votre ligne rouge ; compte tenu des efforts que j’ai déjà réalisés, c’est vous qui provoquez la rupture en me mettant à l’index : je n’ai pas dit que la question était tranchée ! Faites comme voulez, mais, ainsi amendé, ce rapport ne sera plus mon rapport – c’est ma ligne « rouge vif ».
M. Laurent Lafon, président. – Nous savions depuis le début que cette question serait l’une des plus délicates à traiter et qu’elle donnerait lieu à des discussions, à des tensions, à des désaccords. À la lecture du rapport, c’est évidemment un des premiers points que j’ai étudiés.
Or force est de reconnaître qu’aucune des personnalités qui sont mises en avant dans le passage qui traite de cette question – Roch-Olivier Maistre, Alain Weill, Patrick Eveno – ne se prononce en faveur de l’idée que CNews serait une chaîne d’opinion. Vous le savez tous, pour avoir assisté aux auditions, le rapporteur aurait pu choisir de faire figurer dans le texte d’autres points de vue beaucoup plus tranchés sur la chaîne. Il a veillé, en cette affaire, à garantir une forme de neutralité afin qu’aucun de nous ne puisse se sentir « agressé ». Relisez ces trois pages : elles commencent par un point d’interrogation et nulle part vous n’y trouvez une réponse, dans un sens ou dans un autre. La question reste une question, afin que chacun puisse s’y retrouver !
Voilà pourquoi je suis gêné par la dernière partie de la proposition de rédaction de Jean-Raymond Hugonet. Il n’est pas besoin d’insister : quiconque lira ces trois pages comprendra que la commission ne s’est pas prononcée sur la notion de chaîne d’opinion. Je suis réservé, en outre, sur la place à laquelle, dans le rapport, Jean-Raymond Hugonet positionne cette modification.
De toute façon, je ne suis pas certain qu’il faille avancer dans cette direction. La commission n’a pas « tranché », proposez-vous d’écrire ; mais c’est plutôt le fait qu’elle n’ait pas « débattu » qui semble ici en cause.
M. Max Brisson. – La question n’a pas été tranchée, par définition, puisque nous n’en avons pas débattu.
M. Pierre Laurent. – Une telle formulation laisserait entendre qu’aucun de nous n’a d’opinion sur cette question. Or nous sommes quelques-uns ici à en avoir une, comme, d’ailleurs plusieurs millions de Français... Simplement, nous faisons le choix de ne pas l’écrire dans le rapport.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Je ne rejoins pas du tout ce que vient de dire M. le président de la commission : l’audition d’Alain Weill, par exemple, s’inscrivait dans un continuum ; chacun sait très bien ce qu’on voulait lui faire dire.
On touche là à la grande faiblesse de cette commission d’enquête. Eût-elle été scandée par des points d’étape, nous aurions pu identifier ce sujet comme le sujet difficile. Or jamais, au grand jamais, nous n’en avons parlé. C’était la responsabilité du rapporteur ! Si nos travaux avaient été organisés différemment, nous aurions pu nous expliquer sur ce sujet, qui a été au cœur des débats pendant la quasi-intégralité des auditions.
M. David Assouline, rapporteur. – C’est un mensonge : toutes les auditions n’ont pas porté sur CNews !
M. Jean-Raymond Hugonet. – Cette ligne, nous ne pouvons pas la franchir. S’il s’avère qu’elle est pour vous trop importante, c’est que, précisément, ce que nous redoutions se produit.
M. Vincent Capo-Canellas. – Je voudrais que le rapporteur nous précise le sens qu’il donne à la phrase de la page 191 sur laquelle nous nous accrochons, selon laquelle « la conviction personnelle du rapporteur est que ces condamnations témoignent d’un problème, qui dépasse le simple et légitime débat démocratique. »
Cette phrase peut être interprétée de différentes manières. Peut-être suffirait-il d’écrire ce que vous proposez, sans l’opposer à ce que pense le rapporteur : « La commission d’enquête n’a pas tranché sur le fait de savoir si CNews était une chaîne de débats ou d’opinion. »
M. David Assouline, rapporteur. – Qu’on ne dise pas qu’on n’a pas tranché !
Mme Laurence Harribey. – Je voudrais poursuivre ce raisonnement. La conviction personnelle du rapporteur ne nous concerne pas. Je propose d’enlever ces deux lignes, et d’enlever « à ce titre » dans la phrase suivante. La commission n’a pas tranché sur ce point, car nous ne l’avons même pas débattu !
M. Max Brisson. – On ne demande pas de censurer les convictions personnelles du rapporteur : il a le droit de s’exprimer !
Mme Laurence Harribey. – Tel que c’est formulé, la conviction du rapporteur ne porte pas sur CNews, mais sur le débat démocratique que suppose une chaîne d’opinion. Vous n’écoutez pas mes propositions.
Je propose de garder la formulation suivante : « Il est utile de rappeler que même la reconnaissance hypothétique en France de médias d’opinion ne permettrait pas de s’affranchir des principes du droit, qui figurent au reste également dans la loi de 1881. »
Indépendamment du fait que CNews soit ou non une chaîne d’opinion, nous rappelons qu’on ne peut pas s’affranchir des principes du droit, et le débat reste ouvert.
À force de ne prendre qu’un morceau de phrase sans voir le continuum de l’argumentation, cela pose problème. Il faut apprendre à lire !
M. Max Brisson. – Merci bien ! Vous poursuivez en insinuant des choses que nous rejetons. Ne tournez pas en rond, vous ne nous enfermerez pas ! Toutes ces pages concernent CNews !
M. David Assouline, rapporteur. – Pourquoi dites-vous cela ? Je demande à ce que nos débats soient éclairés, pas par « des vérités alternatives », contrairement à ceux qui se tiennent sur ces chaînes ! Il faut étayer vos arguments ! Que l’on me dise où ces choses sont écrites !
Prenez au moins le temps de lire le rapport. Il y a trois pages où ceux qui disent que CNews n’est pas une chaîne d’opinion sont davantage cités que ceux qui pensent le contraire. Il n’y a aucune insinuation ! Chacun pourra se faire son opinion.
Dans le débat politique, on essaie de donner des arguments, et il faut arrêter avec les phrases à l’emporte-pièce !
Si vous me disiez que ces trois pages sont à charge, qu’elles permettent au lecteur de conclure que CNews est une chaîne d’opinion, je serais peut-être d’accord pour les modifier et rééquilibrer leur propos. Mais vous ne parlez que d’insinuations !
J’ai fait exprès de ne pas retenir tous les témoignages à charge que nous avons recueillis lors de nos auditions, mais de citer aussi Alain Weill qui est favorable aux chaînes d’opinion ou Roch-Olivier Maistre. Et vous voulez me faire dire ce que je n’ai pas dit !
Je ne comprends pas pourquoi vous focalisez votre attention sur ce point. Je comprends votre idée, mais je l’ai déjà prise en compte lors de la rédaction du rapport : vous souhaitez que le rapport ne dise pas que CNews est une chaîne d’opinion. Vous pensiez que, comme il s’agit de mon cheval de bataille, j’aurais écrit cela. Mais prenez en compte ce fait que, volontairement, je n’ai pas fait ce que vous craigniez, en élaguant tout cela.
Je vous demande de revenir non sur le procès d’intention que vous me faites, mais sur ce qui est écrit : citez-moi les phrases où, dans ces trois pages, il y aurait des insinuations de ma part disant au lecteur que CNews est une chaîne d’opinion.
M. Pierre Laurent. – Je tente une ultime conciliation. Je pense que, pour toutes les raisons qui ont été données, il n’est pas correct d’inclure la phrase proposée par M. Hugonet à cet endroit.
En revanche, à la page 175, où nous avons modifié le titre 3, je propose que nous écrivions à la suite du passage que nous avons rajouté : « La commission n’a pas cherché à trancher pour savoir si CNews est ou non une chaîne d’opinion, et a tenu à établir un diagnostic précis et lucide qui n’élude pas les préoccupations exprimées devant elle. »
Nous définissons ainsi ce que nous avons fait pour clarifier les choses, et nous gardons la phrase sur la conviction personnelle du rapporteur telle qu’elle existe dans le projet de rapport.
M. Laurent Lafon, président. – Cette proposition est intéressante, mais elle est peut-être mal positionnée, puisque le rapport ne commence à parler de CNews que page 180.
M. David Assouline, rapporteur. – Je ne veux pas que les mots « n’a pas tranché » apparaissent. J’ai besoin de quelques minutes pour proposer une phrase qui puisse satisfaire tout le monde.
La réunion, suspendue à 21 h 05, est reprise à 21 h 25.
M. Laurent Lafon, président. – Nous en étions à la proposition de modification n° 4. Plusieurs propositions ont été faites. Celle de Pierre Laurent visait à ramener la phrase sur la commission d’enquête en tête de chapitre et de mentionner qu’elle n’avait « pas débattu » du fait de savoir si CNews était une chaîne de débats ou d’opinion.
Mme Laurence Harribey propose de supprimer la phrase sur la « conviction personnelle du rapporteur », le reste inchangé.
M. Vincent Capo-Canellas va dans le même sens que Pierre Laurent sur le fait que la commission d’enquête n’avait pas « débattu » sur ce sujet.
M. Vincent Capo-Canellas. – Il serait maladroit et inélégant d’opposer la position de la commission d’enquête à la conviction personnelle du rapporteur. Mentionnons juste la phrase demandée, et enlevons celle relative à la « conviction personnelle » du rapporteur.
M. David Assouline, rapporteur. – C’est une ligne rouge.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Je retiens de la proposition de Pierre Laurent la notion de débat, mais l’emplacement n’est pas le bon. Il faut placer cette phrase après un développement page 91. Nous n’avons pas à censurer les convictions personnelles du rapporteur. Par contre, nous pouvons introduire dans la proposition de modification que « la commission d’enquête n’a pas débattu, et n’a donc pas tranché... » en enchaînant sur la conviction personnelle du rapporteur. Est-ce clair ?
M. Pierre Laurent. – Se limiter à la modification sur le débat ne change rien...
M. David Assouline, rapporteur. – Soyons francs. Je ne peux accepter cela. Il semble que la situation soit similaire pour vous. Sortons le nez du guidon. Est-ce que c’est sur cette proposition de modification que ce rapport sera mis à la poubelle ? Je trouverais cela dérisoire et le subirais. En aucun cas, je ne vous demande de dire que la commission pense que c’est une chaîne d’opinion. La réponse à la question n’a été évoquée à aucun moment dans ce rapport... Je n’évoque pas de nombreux autres points pour éviter que votre opinion soit battue ou la mienne affirmée, à plusieurs endroits. S’il y avait eu trois pages à charge laissant penser que CNews est une chaîne d’opinion et que vous souhaitiez le rectifier, je serais d’accord avec vous. Vous êtes dans les « vérités alternatives » ! J’ai pris le temps de relire ces trois pages. À aucun moment, il n’est dit que c’est une chaîne d’opinion. Ces trois pages évoquent la question, donnent la parole à des personnalités au-dessus de tout soupçon sur ce sujet et aux actionnaires qui pourraient être attaqués et qui disent en quoi pour eux ce n’est pas une chaîne d’opinion : plusieurs opinions sont présentées, c’est la liberté d’expression, etc.
M. Jean-Raymond Hugonet. – De quoi parle-t-on ?
M. David Assouline, rapporteur. – J’ai accepté le reste de la proposition de modification de Jean-Raymond Hugonet sur « la vitalité du débat démocratique de l’organisation de débats », même si je suis totalement en désaccord, car cela ne correspond pas à ce qui se passe réellement sur CNews. Mais comme c’est écrit de façon un peu évanescente, je me dis que si cela fait plaisir à M. Hugonet, il n’y a pas de problème. J’accepte six lignes décrivant la vision de M. Hugonet sur CNews qui n’est pas la mienne. Est-ce là-dessus que nous pouvons décider de ne pas publier le rapport ?
M. Jean-Raymond Hugonet. – Je n’irai pas chercher des adjectifs désobligeants. Si ma proposition est évanescente, cela veut dire qu’elle ne servirait à rien. Vous pouvez le penser, certes.
M. David Assouline, rapporteur. – Je n’ai pas dit cela ; j’accepte votre modification...
M. Jean-Raymond Hugonet. – Oui, en disant que cela allait me faire plaisir, comme un sucre d’orge. Je préfère dire clairement que nous sommes d’avis différents. Ce n’est pas une honte. Si vous n’êtes pas d’accord, ce n’est pas grave. Même si Pierre Laurent pense qu’ajouter uniquement la notion de débat n’apporte rien, restons-en à l’énoncé originel de ma proposition et constatons notre désaccord !
M. Laurent Lafon, président. – Nous allons voter sur la totalité de la proposition de modification, tout en reprenant une à une ses différentes parties.
M. David Assouline, rapporteur. – J’ai accepté le 1. et le 3., les six lignes...
M. Vincent Capo-Canellas. – Le rapporteur prévoyait de reformuler la proposition ; mettons tout sur la table avant de décider.
M. Laurent Lafon, président. – Il n’a a priori pas prévu une nouvelle reformulation.
Mme Laurence Harribey. – Cela vaudrait la peine d’essayer.
M. David Assouline, rapporteur. – On veut me mettre dans une seringue. J’aurais pu venir avec un projet de rapport initial avec tout ce que je pense et ici je vous aurais concédé cinquante propositions de retrait en échange d’une certaine bienveillance de votre part sur vos propres amendements d’aujourd’hui.
J’ai choisi une autre solution. Je suis venu avec la version la plus acceptable que je pouvais proposer. J’ai enlevé tout ce qui pouvait poser problème. J’accepte les trois quarts de la formulation que vous proposez. J’en refuse deux lignes. Rationnellement, il n’est pas imaginable qu’à cause de ces deux lignes, vous puissiez dire que ce rapport n’est pas acceptable. Que puis-je faire comme autre proposition ? Dans cinq minutes, il y aura autre chose...
Je m’interroge sur votre réelle volonté d’aboutir. Ce n’est pas possible que vous refusiez la publication du rapport pour ces deux lignes...
M. Laurent Lafon, président. – Il serait bon de clarifier les positions.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. – Je ne suis pas une professionnelle des commissions d’enquête...
M. David Assouline, rapporteur. – Moi non plus...
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. – Vous avez tous réalisé un énorme travail. Je remercie le président qui a mené ces débats de manière exemplaire. Même si je ne suis pas d’accord avec de nombreuses interprétations du rapporteur, il a écrit ce rapport de 350 pages, de grande qualité.
Il est un peu dommage de se battre : si cela n’a pas été débattu, cela n’a pas été tranché ; c’est une évidence ! On ne va pas refuser la publication de ce rapport pour un problème sur une phrase. Vous avez raison de rajouter le mot « débattu ». Nous ne demandons pas grand-chose : c’est la réalité, c’est un fait !
M. David Assouline, rapporteur. – Voici une dernière tentative : en bas de la page 180, b), mentionner : « Est-elle une chaîne d’opinion ? Les avis des membres de la commission divergent ». C’est factuel. Je suis allé au bout de ce que je pouvais proposer.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Je vous sais gré de faire cet effort, mais ma réponse sera la même que pour la proposition de Pierre Laurent : ce n’est pas placé au bon endroit. Notre proposition ne peut arriver qu’en clôture de la présentation. C’est aussi la raison pour laquelle le rapporteur exprime sa conviction à cet endroit.
M. David Assouline, rapporteur. – Ma conviction personnelle a peu d’importance.
M. Laurent Lafon, président. – C’était la proposition de Laurence Harribey...
M. Vincent Capo-Canellas. – C’était aussi la mienne initialement.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Ce serait remplacé par « la commission d’enquête n’a pas tranché (...) » ?
M. David Assouline, rapporteur. – Vous voulez fromage et dessert ! Je suis opposé à cette formulation.
M. Jean-Raymond Hugonet. – N’allons pas plus loin, car nous sommes pour...
M. David Assouline, rapporteur. – Vous n’avez pas compris ce que j’ai proposé...
M. Jean-Raymond Hugonet. – Je veux bien être gentil, mais arrêtons là...
M. David Assouline, rapporteur. – C’est l’inverse !
M. Jean-Raymond Hugonet. – Il y a 358 pages de rapport. Nous ne présentons que quelques amendements, et nous savons très bien pourquoi vous les refusez. C’est terminé.
M. David Assouline, rapporteur. – N’inversez pas la charge de la preuve !
M. Jean-Raymond Hugonet. – Notre proposition est simple, et elle restera ainsi.
M. David Assouline, rapporteur. – Vous êtes venus ici juste pour parler de CNews, comme en service commandé. (Protestations)
C’est comme sur les coûts fixes dont nous n’aurions jamais parlé dans le rapport, qui sont mentionnés aux pages 52 et 87 et les économies d’échelle aux pages 80 et 219... Je veux bien continuer à me battre contre des moulins à vent, mais dans le rapport il n’y a pas mention de CNews qui serait une chaîne d’opinion. L’interrogation a bien été posée, mais nous pouvons signaler que les avis divergent : ainsi vos avis, comme le mien, seraient pris en compte. La commission n’a donc pas tranché puisque les avis divergent...
M. Laurent Lafon, président. – Il faut passer au vote. Nous étions d’accord pour modifier le 1. de la proposition de modification n° 4, afin que le titre 3 devienne « Existe-t-il un biais idéologique de l’actionnaire ? Des médias d’opinion ? »
Il en est ainsi décidé.
M. Laurent Lafon, président. – Nous supprimons « pour certains » dans la première phase du premier paragraphe du 3. page 175, et nous reprenons la proposition de modification n° 4 en supprimant dans le 2. « pour d’autres ».
Il en est ainsi décidé.
M. Laurent Lafon, président. – Dans le 3., il y a consensus pour modifier le titre 6 page 189, remplacer la dernière phrase du premier paragraphe et faire suivre la citation d’Alain Weill d’un paragraphe.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Il faut voter sur la totalité de la proposition de modification...
M. David Assouline, rapporteur. – Nous ne sommes pas en train de voter une résolution ni une loi, mais un rapport. Si je ne veux pas qu’une proposition de modification soit soumise au vote, je peux refuser qu’elle soit présentée. On ne me peut pas m’imposer d’écrire quelque chose que je ne veux pas écrire.
Jusqu’à présent, comme nous voulions arriver à un compromis, vous proposiez des modifications que j’ai acceptées ou que j’ai souhaité amender. Penser que si c’est voté, cela s’impose à moi, cela n’existe pas dans la procédure.
M. Laurent Lafon, président. – Rien n’empêche de faire une autre proposition d’amendement. Ajoute-t-on « n’a pas débattu » ?
M. Jean-Raymond Hugonet. – Il est 21 h 46. Nous pouvons prendre un peu de temps pour réfléchir sur cette phrase... Si nous avions eu des points d’étape durant ces derniers mois, nous n’en serions pas là. Personne ne portera le mistigri dans cette affaire.
Mme Sylvie Robert. – Vous auriez pu demander ces points d’étape...
M. Jean-Raymond Hugonet. – J’ai demandé à plusieurs reprises qu’on débatte du projet de rapport. Je n’ai eu que des réponses fuyantes, pour nous mettre au dernier moment devant le fait accompli.
M. David Assouline, rapporteur. – J’avais plus d’intérêt que tout le monde de vouloir faire aboutir ce rapport. Je vous ai appelé plusieurs fois la semaine dernière.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Deux fois, mais on ne peut pas faire cela au dernier moment.
M. Laurent Lafon, président. – Que souhaitez-vous ? Voter la phrase telle qu’elle est ou une autre proposition ?
M. Max Brisson. – Nous voulons aboutir. Si cette proposition de modification est adoptée, nous serons sur le chemin de la publication du rapport. Nous verrons les autres propositions ensuite. Pour tenir compte des débats précédents, je propose de préciser que « la commission d’enquête n’a pas débattu et donc n’a pas tranché... »
À titre personnel, je propose d’enlever la corrélation avec la conviction personnelle du rapporteur, en supprimant le « mais ». La phrase suivante évoquerait la conviction personnelle du rapporteur.
Mme Monique de Marco. – La phrase en résultant serait donc « La commission d’enquête n’a pas débattu, et n’a donc pas tranché, sur le fait de savoir si CNews était une chaîne de débats ou d’opinion. »
M. Vincent Capo-Canellas. – C’est une avancée notable, qui rejoint ce que j’avais proposé.
M. David Assouline, rapporteur. – Je demande une suspension de la réunion.
La réunion, suspendue à 21 h 50, est reprise à 21 h 55.
M. David Assouline, rapporteur. – Je vous propose la formulation suivante : « La commission d’enquête n’a pas débattu, et donc n’a pas tranché, sur le fait de savoir si CNews était une chaîne de débats ou d’opinion. Les avis de ses membres divergent. »
M. Jean-Raymond Hugonet. – On enchaînerait ensuite directement sur « La conviction personnelle du rapporteur... »
Il en est ainsi décidé.
La proposition de modification n° 4, ainsi rectifiée, est adoptée.
M. Laurent Lafon, président. – La proposition de modification n° 5 du rapporteur actualise le rapport.
M. Max Brisson. – Donc même vote.
La proposition de modification n° 5 est adoptée.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Ma proposition de modification n° 6 modifie le titre A du V ainsi : « Renforcer l’indépendance et l’éthique dans les médias en respectant la liberté de communication ».
M. Laurent Lafon, président. – Vous enlevez donc la référence à la loi Bloche.
Mme Monique de Marco. – Pour quelle raison ?
M. Jean-Raymond Hugonet. – Le Sénat avait voté une question préalable sur cette proposition de loi.
La proposition de modification n° 6 est adoptée.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Ma proposition de modification n° 7 vise à supprimer la proposition n° 2. L’Arcom n’a pas toujours démontré son indépendance vis-à-vis du Gouvernement, en particulier lors de certaines nominations dans l’audiovisuel public. La confirmation de la nomination de l’administrateur indépendant par l’Arcom serait donc de nature à créer un doute concernant le respect de l’indépendance des médias privés vis-à-vis de l’exécutif. Au nom de la liberté de communication, il convient d’éviter tout risque de mise sous tutelle des médias privés. Si la création d’un administrateur indépendant peut être utile, il n’est pas souhaitable de soumettre sa nomination à un accord de l’Arcom.
M. David Assouline, rapporteur. – Nommer un administrateur indépendant n’est pas une proposition de gauche. Nous essayons de faire adopter le rapport. Vous pouvez penser ce que vous voulez de l’Arcom, mais je ne l’ai pas créée, ni un gouvernement de gauche... Si l’on pense qu’un administrateur indépendant serait une solution intéressante, pour combler les trous dans la raquette, il serait logique que l’autorité régulatrice, l’Arcom, approuve cette nomination : son avis lui donnerait une légitimité. Ce n’est pas l’Arcom qui nomme.
Voulez-vous qu’on écrive que l’Arcom est une autorité dépendante et soumise ? (M. Hugonet proteste) Lorsque le Gouvernement est de droite, vous n’êtes pas du même avis... Vous appelez l’Arcom à remplir son rôle, comme toutes les institutions, dont le Parlement. Ce n’est pas une question de droite ou de gauche...
Mme Sylvie Robert. – Je ne comprends pas le problème...
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. – Le problème, c’est l’Arcom.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Je soutiens le principe d’un administrateur indépendant, mais en ligne directe avec ce que nous avons dit en 2016. Nous ne voulons pas donner plus de pouvoir à l’Arcom.
M. Vincent Capo-Canellas. – En droit privé, peut-on avoir un administrateur indépendant dont la nomination serait approuvée par une autorité administrative indépendante ? Cela m’étonnerait...
M. David Assouline, rapporteur. – Pour faire un pas, et sans tomber dans la mise sous tutelle, pourrait-on envisager un avis consultatif, qui devra être motivé ? Cela donnerait du poids à la nomination de l’administrateur. La loi Bloche a mis en place de nombreuses instances, mais sans leur donner suffisamment d’autorité. Des présidents de sociétés de journalistes et de comités d’éthique se plaignent de ne pas avoir de réel statut... Un avis de l’Arcom leur donnerait une plus grande légitimité.
M. Max Brisson. – Monsieur le questeur Capo-Canellas a tranché la question....
M. Laurent Lafon, président. – Il l’a seulement posée.
M. David Assouline, rapporteur. – Pour éviter tout risque juridique par une telle injonction, je propose donc un avis consultatif. Chacun fait un pas vers l’autre !
M. Jean-Raymond Hugonet. – Nous avons fait aussi des pas, mais pas dans le même sens : nous étions d’accord pour la proposition n° 1, ce qui n’est déjà pas notre tendance... Il n’est pas possible de soumettre la nomination à l’Arcom.
M. David Assouline, rapporteur. – Je vous propose d’enlever « afin de garantir son indépendance » et de proposer un avis consultatif de l’Arcom.
M. Jean-Raymond Hugonet. – C’est très aimable, mais nous ne voulons pas entendre parler de l’Arcom. Nous nous étions déjà opposés à cette extension des pouvoirs du CSA en 2016 lors du vote de la loi Bloche.
M. David Assouline, rapporteur. – Cela n’a rien à voir avec la loi Bloche.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Nous avons refusé la loi Bloche.
M. David Assouline, rapporteur. – Voulez-vous que je vous rappelle comment étaient nommés les membres du CSA et son président avant 2012 ?
M. Laurent Lafon, président. – Pouvons-nous donc reformuler à partir de la proposition du rapporteur ?
M. Jean-Raymond Hugonet. – Non : j’ai soumis une proposition de modification, à savoir la suppression de la proposition n° 2.
M. David Assouline, rapporteur. – C’est trop, arrêtons là !
M. Laurent Lafon, président. – Est-ce un point dur ?
M. Jean-Raymond Hugonet. – Oui. Plus on va arriver au bout du tube de dentifrice, moins il va en rester... Nous avons déjà retiré des propositions de suppression, en accord avec le président. Celles qui restent aujourd’hui sont très importantes.
M. Laurent Lafon, président. – Pour vous, c’est donc tout ou rien ?
M. David Assouline, rapporteur. – Arrêtons là. Rapporteur, je me suis usé à essayer de faire des compromis. Vous voulez donc que j’aille jusqu’au bout du dentifrice ? Vous exagérez. Lorsque vous avez signalé tout à l’heure une ligne rouge, j’ai pris en compte votre proposition sur CNews, que vous considérez être le centre du rapport.
Je ne pensais pas que vous alliez remettre une ligne rouge à chaque proposition de modification, d’autant que j’accepte d’enlever la nomination par l’Arcom pour la remplacer par un avis consultatif...
M. Max Brisson. – Nous avons accepté le principe d’un administrateur indépendant...
M. David Assouline, rapporteur. – ... mais non lié à l’Arcom. Cela n’a rien à voir avec notre sujet. Il faut des régulateurs ayant un peu d’autorité dans un groupe de médias pour que cela se passe bien. Cela ne se fait pas tout seul. L’avis serait seulement consultatif. Que voulez-vous réellement ?
Mme Monique de Marco. – On ne peut pas ignorer que l’Arcom existe, malgré la question préalable votée lors de la loi Bloche ! Son avis consultatif donnerait une légitimité. On ne peut pas ne pas en parler.
M. Pierre Laurent. – Nous pourrions reprendre, sur plusieurs années, les débats sur l’Arcom pour se rappeler quel groupe politique a dit quoi... Je serais curieux de vous entendre dans l’hémicycle défendre vos positions contre l’Arcom. Je connais les positions de générations de sénateurs Les Républicains (LR) sur le sujet. Vous arguez de ces précédentes positions LR pour défendre n’importe quoi sur l’Arcom. Sur tout sujet, votre groupe a proposé systématiquement une autorité de régulation. On ne peut pas s’opposer à l’une d’entre elles simplement parce qu’à une reprise elle n’a pas rendu une position allant politiquement dans votre sens. Soyons cohérents, sinon il faut vous opposer aux autorités de régulation ! Ce n’est pas mon groupe qui a choisi cette autorité de régulation indépendante. Ayons un débat sérieux. On peut être contre les propositions de David Assouline, mais de là à avoir des positionnements sur l’Arcom à géométrie variable...
M. David Assouline, rapporteur. – Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom, était un grand collaborateur de Jacques Chirac, rédacteur de la loi de 1986 sous François Léotard. Il n’a aucun passé marqué autre part que dans votre camp politique. Il est reconnu par tous comme étant une personne connaissant le droit et relativement impartiale. Si vous le critiquez, critiquez aussi la nomination du président de l’Autorité de la concurrence et remettez en cause la décision qu’il va prendre sur la fusion entre TF1 et M6 car il n’a pas été nommé par votre camp politique ! Certes, je caricature...
L’avis de l’Arcom est souvent demandé, sur de nombreux points. Il est parfois décisif, parfois non. Elle fait travailler des centaines de fonctionnaires, dont certains sont ni de droite, ni de gauche... Pourquoi serait-ce un point dur ? Vous pouvez dire que vous ne le sentez pas... Vous avez des chevaux de bataille que je ne vous connaissais pas...
M. Laurent Lafon, président. – Pour répondre à M. Capo-Canellas, la nomination d’un administrateur dépend du comité des nominations rattaché au conseil d’administration. Un avis consultatif serait la seule solution qui tienne.
M. Vincent Capo-Canellas. – La nomination reste donc la prérogative du comité des nominations....
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. – Heureusement !
M. David Assouline, rapporteur. – Je vous remercie, monsieur le questeur, d’avoir soulevé ce sujet, qui nous permet d’être plus précis juridiquement.
M. Max Brisson. – Que deviendrait alors la proposition ?
M. Laurent Lafon, président. – Au lieu de supprimer la proposition n° 2, elle la modifierait ainsi : « La nomination de cet administrateur serait soumise à un avis consultatif de l’Arcom, dans le respect des prérogatives du conseil d’administration. »
Il en est ainsi décidé.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Monsieur Laurent m’accusait de ne pas être sérieux. Cela ne me gêne pas, après tout, je suis un saltimbanque... Si on me cherche, on me trouve...
M. Pierre Laurent. – La nouvelle position de la droite est-elle désormais : ne plus entendre parler de l’Arcom ?
M. Jean-Raymond Hugonet. – Je ne suis pas inscrit à un parti politique mais apparenté à un groupe, et j’en suis fier !
Nous avons eu, auparavant, une heure durant, un échange déjà houleux avec David Assouline sur les nouveaux membres de l’Arcom. Le président de l’Arcom voulait un nombre minimum de personnes. Nous avons imposé le nombre de neuf pour respecter les prérogatives du Président de la République et surtout, ne pas dépouiller les parlementaires.
M. David Assouline, rapporteur. – Nous étions donc d’accord.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Nous le sommes devenus...
M. David Assouline, rapporteur. – J’avais proposé que l’on ne descende pas en dessous d’un certain seuil pour que le Parlement soit respecté.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Nous sommes farouchement opposés à une montée en puissance des prérogatives de l’Arcom par rapport à des médias privés. La proposition que vous avez faite est convenable ; nous pouvons l’accepter.
M. Laurent Lafon, président. – Je vous remercie.
La proposition de modification n° 7, ainsi rectifiée, est adoptée.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Ma proposition de modification n° 8 supprime la proposition n° 4. L’Arcom n’a pas toujours démontré son indépendance vis-à-vis du Gouvernement, en particulier lors de certaines nominations dans l’audiovisuel public. La confirmation de la nomination de l’administrateur indépendant par l’Arcom serait donc de nature à créer un doute concernant le respect de l’indépendance des médias privés vis-à-vis de l’exécutif. Au nom de la liberté de communication, il convient d’éviter tout risque de mise sous tutelle des médias privés. La validation de la nomination des membres du comité d’éthique par l’Arcom pourrait être de nature à mettre les médias privés sous tutelle du pouvoir exécutif. Cela nous pose problème de conforter les membres des comités d’éthique alors qu’en 2016 nous avions voté contre.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. – C’est un Politburo....
Mme Monique de Marco. – Comment renforcer ces comités ?
M. David Assouline, rapporteur. – Est-ce une ligne de conduite que vous tiendrez jusqu’au bout que de toujours respecter ce que le Sénat a voté précédemment ?
M. Jean-Raymond Hugonet. – Sur l’Arcom, j’ai retiré certaines propositions de modification... Celles qui restent émanent de cette ligne directrice.
M. David Assouline, rapporteur. – Faites-vous de cette ligne une position de principe ? Je ne me remets pas en mémoire tout ce que j’ai voté. Si votre proposition est de ne pas entrer en contradiction avec tout ce que le Sénat a voté...
M. Jean-Raymond Hugonet. – Ce n’est pas cela.
M. David Assouline, rapporteur. – N’était-ce pas un argument ?
M. Max Brisson. – La ficelle est grosse...
M. David Assouline, rapporteur. – Oui ou non, cela est-il un argument ?
M. Max Brisson. – Est-ce un interrogatoire ?
M. David Assouline, rapporteur. – À partir du moment où vous avez voté contre les comités d’éthique, vous ne prévoyez pas de les rendre plus opérants. Cette attitude va-t-elle jusqu’au bout ?
M. Max Brisson. – Nous réservons notre réponse...
M. Jean-Raymond Hugonet. – À l’époque, en 2016 – ce n’est pas il y a un siècle ! – nous avions cette position. Nous souhaitons être logiques avec cette position récente. Je dirais même qu’actuellement, nous irions encore plus loin contre la loi Bloche...
M. David Assouline, rapporteur. – Ce n’était pas du tout votre état d’esprit sur la loi Bloche... Vous refaites l’histoire !
M. Vincent Capo-Canellas. – Nous avons adopté un avis consultatif pour la nomination de l’administrateur. Pourquoi ne pas faire de même ici ?
M. Jean-Raymond Hugonet. – Non. À partir du moment où n’étions pas favorables aux comités d’éthique, nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette solution.
M. Laurent Lafon, président. – Il serait plus logique de proposer un avis consultatif.
Mme Monique de Marco. – Garde-t-on quand même l’introduction du chapitre avant la proposition 4 ?
M. Laurent Lafon, président. – L’introduction sera conservée.
La proposition de modification n° 8 est adoptée.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Il n’apparaît pas souhaitable ni conforme au principe constitutionnel du droit de propriété de créer un droit de veto des rédactions lors de la nomination d’un nouveau directeur de la rédaction.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. – Ce serait hallucinant !
M. Laurent Lafon, président. – Je ne suis pas d’accord sur ce point.
M. David Assouline, rapporteur. – Arrêtons cette farce. C’est l’une des seules propositions importantes que je fais. Je ne propose pas de statut juridique ni d’indépendance des rédactions. Tous les syndicats d’auteurs, de producteurs, Acrimed, etc. y sont favorables ! Le Monde fonctionne avec un droit de veto de 60 % plus une voix. Mais j’ai considéré qu’il fallait faire un pas vers les sceptiques, et ne pas proposer un veto de 60 % de la rédaction, seulement des deux tiers. Si les deux tiers des membres de la rédaction refusent un nouveau directeur, comment l’actionnaire peut-il l’imposer ? C’est impossible : ce directeur ne pourrait pas travailler.
J’ai maintenu deux propositions fondamentales, car sinon, on dira que ce rapport propose peu. L’autre, la proposition n° 27, concerne le financement du service public. À partir du moment où le législateur ne peut pas agir pour limiter la formation de grands groupes privés, car la loi ne serait pas rétroactive, il faut que le service public existe. Quand un projet de fusion concerne 40 % d’audimat et 75 % du marché publicitaire, il faut assurer le financement du service public. Le Sénat a voté en ce sens, et pas sous ma majorité ! Vous pouvez appeler MM. Leleux ou Gattolin, ou la présidente de la commission de la culture de l’époque, Catherine Morin-Desailly. C’est la tradition du Sénat que de dire qu’il faut assurer le financement du service public. Certes, on continuera à débattre sur telle ou telle émission. Je tiens à ces deux propositions, 4 et 27.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Je comprends mais il y a une mission de contrôle prévue sur la réforme de la contribution à l’audiovisuel public (CAP). Pourquoi ce rapport préempte-t-il le sujet alors que cela n’a rien à voir, et que le Président de la République a fait une déclaration sur la CAP ? Je ne comprends pas bien le lien entre les deux propositions. Une proposition sur la CAP n’a rien à faire à cette place. En 2015, vous pouvez voir ce qui est sorti du Sénat. La contribution forfaitaire universelle a du plomb dans l’aile : elle est reprise dans peu de programmes...
M. David Assouline, rapporteur. – Elle est instaurée dans toutes les démocraties depuis 2015. Cela nous fragilise : à chaque fois, Bercy veut avoir la tutelle. Il faut une indépendance par rapport au Gouvernement. Nous avions une redevance permettant, bon an mal an, d’assurer un financement pérenne à l’audiovisuel public.
Mme Monique de Marco. – Chaque chose en son temps, nous en sommes à la proposition n° 4...
M. Jean-Raymond Hugonet. – C’est en balance : le rapporteur est d’accord pour supprimer la proposition n° 4 si nous enlevons notre proposition qui supprime la proposition n° 27.
M. David Assouline, rapporteur. – C’est pour un équilibre politique des propositions. Si l’on supprime tout, modification par modification, ce sera considéré comme normal. Or c’est un paquet de 33 propositions.
Politiquement, deux propositions sont particulièrement efficaces sur ce sujet : préserver un audiovisuel public fort et donner un droit de veto aux rédactions à deux tiers pour la nomination du directeur de la rédaction. Pour préserver cet équilibre, faites qu’une des deux propositions reste !
M. Laurent Lafon, président. – La contribution forfaitaire universelle ne me semble plus totalement d’actualité... Peut-on rédiger différemment la proposition n° 27 ? Il faut maintenir une ressource autonome et pérenne pour l’audiovisuel public.
M. David Assouline, rapporteur. – Je ne pensais pas que cela ferait débat, car je me suis fondé sur les travaux du rapport Leleux-Gattolin, soutenu par l’UDI... À l’époque, j’avais fait une proposition différente. Je n’ai pas de problème à changer les mots. Mais nous ne voulons pas que ce financement passe sous les fourches caudines de Bercy chaque année. Vous n’avez pas intérêt non plus à cela ! C’est une façon de marquer une certaine indépendance par rapport au Gouvernement.
M. Laurent Lafon, président. – Je partage la préoccupation de M. Hugonet. Nous pourrions faire référence à la mission de contrôle.
M. David Assouline, rapporteur. – Tout à fait.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Je demande une courte suspension de la réunion pour en débattre.
La réunion, suspendue à 22 h 35, est reprise à 22 h 40.
M. Laurent Lafon, président. – Revenons à la proposition de modification n° 9 qui vise à supprimer la proposition n° 15.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Même si cela nous coûte, car il nous semble fondamental de supprimer la proposition 27, dans un souci constructif, nous préférons supprimer la proposition n° 15 et modifier la proposition de modification n° 1.
M. Laurent Lafon, président. – Cela aboutirait à rédiger ainsi la proposition n° 27 du rapport : « Instaurer une ressource fiscale autonome et pérenne assurant le financement de l’audiovisuel public. La mission de contrôle fera des propositions en ce sens. »
M. Pierre Laurent. – Ce n’est pas parce que le Président de la République a dit qu’il voulait supprimer la redevance qu’elle n’existe plus ! Elle existe encore...
Mme Laurence Harribey. – « Fera » est une injonction. Mieux vaut « pourra faire » des propositions.
M. Jean-Raymond Hugonet. – « En ce sens » nous pose problème. Mieux vaudrait reformuler la proposition de modification n° 11 pour rectifier la proposition n° 27.
M. Laurent Lafon, président. – Je vous propose : « Assurer une ressource fiscale autonome et pérenne pour le financement de l’audiovisuel public. La mission commune de contrôle sur le financement de l’audiovisuel public menée au Sénat par la commission des finances et la commission de la culture, de l’éducation et de la communication pourra faire des propositions. »
Il en est ainsi décidé.
La proposition de modification n° 9 est adoptée.
La proposition de modification n° 11, ainsi rectifiée, est adoptée.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Ma proposition de modification n° 10 est pour nous une ligne rouge. La proposition n° 20 du rapport crée une véritable menace sur les chaînes d’information qui pourrait s’apparenter à de la censure. Il n’y a pas lieu de conditionner le renouvellement d’une autorisation d’émettre à une trop grande docilité vis-à-vis du Gouvernement et de sa majorité. Ce lien n’est pas acceptable.
M. Pierre Charon. – Très bien !
M. David Assouline, rapporteur. – Si nous relisons toutes les propositions à l’aune de CNews, il y aura un problème. Cette proposition n’évoque pas CNews ni les chaînes d’information. Si vous voulez supprimer LCI comme le propose Monsieur Hugonet, il faudra bien que l’Arcom ne renouvelle pas son autorisation.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Sauf si TF1 décide de le faire. C’est ce que je demandais et pas autre chose !
M. David Assouline, rapporteur. – Vous vouliez que LCI se fasse hara-kiri !
M. Jean-Raymond Hugonet. – Aucunement.
M. David Assouline, rapporteur. – La proposition n° 20 n’a rien à voir avec CNews. Par exemple, la chaîne Numéro 23 avait eu une autorisation d’émettre sur le créneau de la diversité, or elle a fait autre chose. C’était un scandale. Lors du renouvellement de fréquence, l’Arcom a décidé de ne plus l’autoriser.
Actuellement, on peut autoriser une chaîne à diffuser des documentaires. Si demain elle décide de diffuser du porno, quels sont les moyens pour l’empêcher de continuer ? L’Arcom est assez démunie lorsque la convention n’est pas respectée. L’Arcom émet des mises en demeure, mais elle manque de moyens pour les faire respecter, et la chaîne peut ne pas en tenir compte. Tout cela serait encadré : procédure contradictoire, recours au tribunal possible... On ne va pas rayer une chaîne de la carte facilement ! Êtes-vous pour ou contre l’Arcom ? Il faut une régulation avec des moyens suffisants, notamment en cas de non-respect global d’une convention. Si vous ne faisiez pas des procès d’intention, nous serions d’accord... Parfois, des injonctions ne sont pas respectées. Il faut que l’Arcom puisse agir si cela dégénère.
M. Pierre Laurent. – Les mises en demeure et les sanctions sont juste des rappels à la loi et à la convention.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Cela ne sert donc à rien !
M. Pierre Laurent. – Ce sont des mises en demeure...
Si une chaîne est l’objet de multiples mises en demeure, il faut le prendre en compte. La proposition du rapport donne les moyens à l’Arcom d’avoir une action un peu plus forte, notamment pour ses mises en demeure, au moment du renouvellement des autorisations d’émettre.
En supposant même que l’Arcom devienne une officine gouvernementale, les mises en demeure de l’Arcom ne sont pas des jugements de valeur sur les chaînes, mais toujours des rappels à la loi. On renforcerait ainsi la force de la loi et de l’Arcom.
M. David Assouline, rapporteur. – Monsieur Hugonet vous ne pourriez jamais assumer cette proposition. On pourrait déplacer cette proposition pour la mettre dans le chapitre E, « Renforcer l’autorité du régulateur » ?
M. Laurent Lafon, président. – Tout à fait.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Nous sommes totalement défavorables à cette mesure. Cette proposition est inacceptable et prétentieuse. Elle n’a rien à faire là. Vous n’allez pas nous convaincre.
M. David Assouline, rapporteur. – Ne faudrait-il plus aucune régulation par l’Arcom ?
M. Jean-Raymond Hugonet. – Il existe déjà un dispositif. Nous sommes totalement opposés à cette proposition.
Mme Monique de Marco. – Je ne comprends pas votre conviction. Cela va de soi !
Mme Sylvie Robert. – Je ne comprends pas non plus...
M. David Assouline, rapporteur. – Si une chaîne appelle à la violence, à la destruction de biens, que faites-vous ? Cela peut exister. L’Arcom peut être totalement impuissante par rapport à cela. Savez-vous comment se passe une mise en demeure ? La procédure pour y arriver est longue, et nécessite « un temps de dingue », avec une procédure contradictoire. Pendant ce temps, on laisse n’importe quoi se faire ! Si une chaîne est concernée par plusieurs mises en demeure, c’est qu’il y a de nombreux faits.
Vous souhaitez qu’il n’y ait plus de régulation ? Quelle est votre proposition ?
Mme Monique de Marco. – Vous allez donner une mauvaise image...
M. Jean-Raymond Hugonet. – Je vous remercie pour tous vos conseils... Laissons la politique en dehors de cela. Nous le disons de façon claire, nette et précise : incontestablement, cette proposition est une menace et une censure. L’Arcom peut déjà utiliser plusieurs procédures pour régler les problèmes que vous mentionnez. Surtout avec les 350 pages précédentes, il n’est pas besoin d’indiquer cela. C’est un point de rupture. Nous avons déjà accepté de retirer certaines de nos propositions de modification... Nous ne sommes pas d’accord.
M. Laurent Lafon, président. – À titre personnel, je ne partage pas l’idée qu’il y a derrière cette proposition de modification. L’Autorité de régulation doit pouvoir justifier de ses décisions pour l’attribution des autorisations d’émettre, et il me paraît logique de prendre en compte les décisions préalables. Pour lever toute ambiguïté, on pourrait transférer la proposition n° 20 dans le chapitre E.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Lorsque l’Arcom reconduit une attribution de fréquence, elle tient compte du passif. Il n’est pas nécessaire de le préciser. Cette proposition est une menace et peut être vue comme une forme de censure. Je respecte votre avis selon lequel l’Arcom serait indépendante, mais ce n’est pas le mien. Peu importe l’emplacement de cette proposition, nous ne pouvons pas la voter.
M. David Assouline, rapporteur. – Je ne peux m’asseoir sur une évidence.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Pas besoin d’encombrer le rapport avec des propositions qui n’ont rien à faire dedans...
M. David Assouline, rapporteur. – Tout à l’heure, nous écrivions que la commission d’enquête n’avait pas tranché. Votre positionnement est à géométrie variable. Si c’est évident, alors il n’y a pas de ligne rouge ! Cela vous semble superfétatoire ; prenez donc en compte que c’est important pour moi, et qu’il n’y a pas de sujet de clivage.
Nous allons voter. Allez-y, si vous voulez !
M. Laurent Lafon, président. – Je propose de suspendre la réunion.
La réunion, suspendue à 23 h 00, est reprise à 23 h 10.
M. Laurent Lafon, président. – Je mets au vote la proposition de modification n° 10.
La proposition de modification n° 10 est adoptée.
M. Laurent Lafon, président. – Ma proposition de modification n° 12 tient compte de l’audition d’Amazon, qui a dédoublé ses chaînes pour éviter de contribuer au financement de la production cinématographique. Elle vise à prendre en compte, dans les obligations de financement de la création, le chiffre d’affaires des offres dites « couplées », par le biais d’une intégration au périmètre du chiffre d’affaires de l’offre sportive.
La proposition de modification n° 12 est adoptée.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Ma proposition de modification n° 13 insère un nouveau chapitre avant le H, intitulé « Renforcer l’indépendance de l’audiovisuel public », qui comprend la proposition suivante : « Prévoir la nomination d’un administrateur indépendant dans les conseils d’administration des sociétés de l’audiovisuel public, chargé de veiller à l’impartialité de l’information et de rendre compte de cette impartialité devant les commissions chargées des affaires culturelles des deux assemblées ». Cela se passe ainsi à la BBC notamment. Cette proposition constitue le pendant, pour l’audiovisuel public, de la proposition 1 pour les sociétés cotées.
Mme Monique de Marco. – Qui nommerait cet administrateur ?
M. Jean-Raymond Hugonet. – Cette proposition constitue un équilibre avec la proposition n° 1. On ne demande pas l’avis de l’Arcom.
M. Laurent Lafon, président. – Cette proposition se lit en parallèle de la proposition n° 1.
M. David Assouline, rapporteur. – Dans un cas, vous encadrez la proposition par les commissions parlementaires, alors que dans l’autre vous refusiez l’avis de l’Arcom... Ce parallèle n’est pas judicieux mais je ne m’y opposerai pas. Cependant, puis-je accepter que ce rapport porte mon nom avec la suppression de la proposition n° 20 ? Je ne sais pas si je peux assumer que l’Arcom ne tienne pas compte des précédents avis pour le renouvellement des attributions de fréquence...
La proposition de modification n° 13 est adoptée.
M. Laurent Lafon, président. – Je vous propose maintenant de voter pour autoriser la publication du rapport ainsi modifié, de ses annexes, et du compte rendu de notre réunion de ce jour.
À l’unanimité, la commission d’enquête autorise la publication du rapport, de ses annexes, et du compte rendu de la réunion d’examen du projet de rapport.
M. Laurent Lafon, président. – Je dois également vous proposer un titre. En accord avec le rapporteur, je vous propose La concentration des médias à l’heure de la révolution numérique : quels risques, quelles opportunités ?
M. David Assouline, rapporteur. – Nous avions adopté une résolution pour la création de la commission d’enquête. Pourquoi ne pas reprendre le même titre ? Nous autorisons la publication du rapport, nous ne le votons pas ligne à ligne. On m’a obligé à écrire des choses avec lesquelles je ne suis pas d’accord et à taire certaines de mes convictions. Il ne s’agit donc pas de valider tout cela. J’ai évoqué ce sujet avec le Président du Sénat.
Dans la loi constitutionnelle de 2008, nous avons décidé d’inclure le droit de tirage des minorités, pour que celles-ci puissent avoir leur propre musique, indépendamment des majorités parlementaires – vous verrez, cela vous arrivera. Or vous ne m’avez pas laissé ma musique. J’ai assisté une fois au rejet d’un rapport car le rapporteur l’avait écrit seul, sans l’avis de la commission ; mais je n’avais jamais vu d’examen de rapport où il fallait passer sous les fourches caudines de la majorité sénatoriale pour qu’elle soit d’accord avec tout... Vous avez essayé cela. Si, désormais, vous voulez aussi m’imposer ce titre...
M. Laurent Lafon, président. – La phrase initiale était un peu longue ...
M. David Assouline, rapporteur. – Elle peut constituer un sous-titre. Cela me gêne de mentionner les « opportunités » de la concentration des médias.
Pourquoi pas « La concentration des médias en question ? »
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. – « ...à l’heure numérique ».
M. David Assouline, rapporteur. – Ce serait alors À l’heure numérique, la concentration des médias en question ?
M. Jean-Raymond Hugonet. – Il n’y a pas de hasard. C’est étrange de terminer par cette interrogation. Si nous étions venus pour ne pas adopter de rapport, nous n’aurions pas eu cette attitude. Le président met le doigt exactement où il faut. Cette question n’est pas la bonne mais est révélatrice. « Évaluer l’impact des concentrations » est difficilement compréhensible, et renvoie la commission d’enquête vers ce que nous avons vécu. Entre autres griefs, ce rapport est daté, alors que c’est à l’aune du numérique que le problème se pose. Cette proposition du président de la commission d’enquête nous convient.
M. David Assouline, rapporteur. – Je rédige un rapport, je propose un titre. Si cela contrevient à ce que vous pensez, ce serait une provocation... Je mentionne juste « en question ». Acceptez ma proposition ! N’essayez pas d’aller dans d’autres directions. On pourrait demander à des communicants de trouver un titre... Vous pouvez adopter ce titre minimaliste !
Mme Laurence Harribey. – C’est neutre.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Oui, mais cela montre bien tard que le numérique était le véritable sujet...
M. David Assouline, rapporteur. – Vous proposerez alors une commission d’enquête sur ce sujet dans votre niche parlementaire...
M. Jean-Raymond Hugonet. – Aucun problème !
Le titre, ainsi modifié, est adopté.
M. Laurent Lafon, président. – Je vous propose également d’autoriser les groupes qui le souhaitent à publier en annexe une contribution écrite, comme l’usage le permet. Elle serait annexée au rapport, et je vous demande de l’adresser au secrétariat pour demain mercredi 17 heures.
Il en est ainsi décidé.
M. Laurent Lafon, président. – Le rapport sera donc rendu public jeudi à 11 heures. Vous êtes bien évidemment conviés à la conférence de presse.
Il n’est pas possible de communiquer sur le rapport durant 24 heures, soit demain minuit, pour laisser au Sénat la possibilité de se réunir en comité secret. Je vous remercie.
M. David Assouline, rapporteur. – Tous nos échanges de ce soir seront donc publiés ensuite.
La réunion est close à 23 h 30.
Examen du rapport
Le compte rendu sera publié ultérieurement.
La réunion est close à 23 h 30.
La réunion, suspendue à 21 h 05, est reprise à 21 h 25.
M. Laurent Lafon, président. – Nous en étions à la proposition de modification n° 4. Plusieurs propositions ont été faites. Celle de Pierre Laurent visait à ramener la phrase sur la commission d’enquête en tête de chapitre et de mentionner qu’elle n’avait « pas débattu » du fait de savoir si CNews était une chaîne de débats ou d’opinion.
Mme Laurence Harribey propose de supprimer la phrase sur la « conviction personnelle du rapporteur », le reste inchangé.
M. Vincent Capo-Canellas va dans le même sens que Pierre Laurent sur le fait que la commission d’enquête n’avait pas « débattu » sur ce sujet.
M. Vincent Capo-Canellas. – Il serait maladroit et inélégant d’opposer la position de la commission d’enquête à la conviction personnelle du rapporteur. Mentionnons juste la phrase demandée, et enlevons celle relative à la « conviction personnelle » du rapporteur.
M. David Assouline, rapporteur. – C’est une ligne rouge.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Je retiens de la proposition de Pierre Laurent la notion de débat, mais l’emplacement n’est pas le bon. Il faut placer cette phrase après un développement page 91. Nous n’avons pas à censurer les convictions personnelles du rapporteur. Par contre, nous pouvons introduire dans la proposition de modification que « la commission d’enquête n’a pas débattu, et n’a donc pas tranché... » en enchaînant sur la conviction personnelle du rapporteur. Est-ce clair ?
M. Pierre Laurent. – Se limiter à la modification sur le débat ne change rien...
M. David Assouline, rapporteur. – Soyons francs. Je ne peux accepter cela. Il semble que la situation soit similaire pour vous. Sortons le nez du guidon. Est-ce que c’est sur cette proposition de modification que ce rapport sera mis à la poubelle ? Je trouverais cela dérisoire et le subirais. En aucun cas, je ne vous demande de dire que la commission pense que c’est une chaîne d’opinion. La question n’a été évoquée à aucun moment dans ce rapport... Je n’évoque pas de nombreux autres points pour éviter que votre opinion soit battue ou la mienne affirmée, à plusieurs endroits. S’il y avait eu trois pages à charge laissant penser que CNews est une chaîne d’opinion et que vous souhaitiez le rectifier, je serais d’accord avec vous. Je ne suis pas favorable à des vérités alternatives. J’ai pris le temps de relire ces trois pages. À aucun moment, il n’est dit que c’est une chaîne d’opinion. Ces trois pages évoquent la question, donnent la parole à des personnalités au-dessus de tout soupçon sur ce sujet et aux actionnaires qui pourraient être attaqués et qui disent en quoi ce n’est pas une chaîne d’opinion : plusieurs opinions sont présentées, c’est la liberté d’expression, etc.
M. Jean-Raymond Hugonet. – De quoi parle-t-on ?
M. David Assouline, rapporteur. – J’ai accepté le reste de la proposition de modification de Jean-Raymond Hugonet sur « la vitalité du débat démocratique de l’organisation de débats », même si je suis totalement en désaccord, car cela ne correspond pas à ce qui se passe réellement sur CNews. Mais comme c’est écrit de façon un peu évanescente, je me dis que si cela fait plaisir à M. Hugonet, il n’y a pas de problème. J’accepte six lignes décrivant la vision de M. Hugonet sur CNews qui n’est pas la mienne. Est-ce là-dessus que nous pouvons décider de ne pas publier le rapport ?
M. Jean-Raymond Hugonet. – Je n’irai pas chercher des adjectifs désobligeants. Si ma proposition est évanescente, cela veut dire qu’elle ne servirait à rien. Vous pouvez le penser, certes.
M. David Assouline, rapporteur. – Je n’ai pas dit cela ; j’accepte votre modification...
M. Jean-Raymond Hugonet. – Oui, en disant que cela allait me faire plaisir, comme un sucre d’orge. Je préfère dire clairement que nous sommes d’avis différents. Ce n’est pas une honte. Si vous n’êtes pas d’accord, ce n’est pas grave. Même si Pierre Laurent pense qu’ajouter uniquement la notion de débat n’apporte rien, restons-en à l’énoncé originel de ma proposition et constatons notre désaccord !
M. Laurent Lafon, président. – Nous allons voter sur la totalité de la proposition de modification, tout en reprenant une à une ses différentes parties.
M. David Assouline, rapporteur. – J’ai accepté le 1. et le 3., les six lignes...
M. Vincent Capo-Canellas. – Le rapporteur prévoyait de reformuler la proposition ; mettons tout sur la table avant de décider.
M. Laurent Lafon, président. – Il n’a a priori pas prévu une nouvelle reformulation.
Mme Laurence Harribey. – Cela vaudrait la peine d’essayer.
M. David Assouline, rapporteur. – Je suis dans une seringue. J’aurais pu venir avec un projet de rapport initial où je vous aurais concédé cinquante propositions de retrait en échange d’une certaine bienveillance de votre part sur vos propres amendements.
J’ai choisi une autre solution. Je suis venu avec la version la plus acceptable que je pouvais proposer. J’ai enlevé tout ce qui pouvait poser problème. J’accepte les trois quarts de la formulation que vous proposez. J’en refuse deux lignes. Rationnellement, il n’est pas imaginable qu’à cause de ces deux lignes, vous puissiez dire que ce rapport n’est pas acceptable. Que puis-je faire comme autre proposition ? Dans cinq minutes, il y aura autre chose...
Je m’interroge sur votre réelle volonté d’aboutir. Ce n’est pas possible que vous refusiez la publication du rapport pour ces deux lignes...
M. Laurent Lafon, président. – Il serait bon de clarifier les positions.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. – Je ne suis pas une professionnelle des commissions d’enquête...
M. David Assouline, rapporteur. – Moi non plus...
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. – Vous avez tous réalisé un énorme travail. Je remercie le président qui a mené ces débats de manière exemplaire. Même si je ne suis pas d’accord avec de nombreuses interprétations du rapporteur, il a écrit ce rapport de 350 pages, de grande qualité.
Il est un peu dommage de se battre : si cela n’a pas été débattu, cela n’a pas été tranché ; c’est une évidence ! On ne va pas refuser la publication de ce rapport pour un problème sur une phrase. Vous avez raison de rajouter le mot « débattu ». Nous ne demandons pas grand-chose : c’est la réalité, c’est un fait !
M. David Assouline, rapporteur. – Voici une dernière tentative : en bas de la page 180, b), mentionner : « Est-elle une chaîne d’opinion ? Les avis des membres de la commission divergent ». C’est factuel. Je suis allé au bout de ce que je pouvais proposer.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Je vous sais gré de faire cet effort, mais ma réponse sera la même que pour la proposition de Pierre Laurent : ce n’est pas placé au bon endroit. Notre proposition ne peut arriver qu’en clôture de la présentation. C’est aussi la raison pour laquelle le rapporteur exprime sa conviction à cet endroit.
M. David Assouline, rapporteur. – Ma conviction personnelle a peu d’importance.
M. Laurent Lafon, président. – C’était la proposition de Laurence Harribey...
M. Vincent Capo-Canellas. – C’était aussi la mienne initialement.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Ce serait remplacé par « la commission d’enquête n’a pas tranché (...) » ?
M. David Assouline, rapporteur. – Vous voulez fromage et dessert ! Je suis opposé à cette formulation.
M. Jean-Raymond Hugonet. – N’allons pas plus loin, car nous sommes pour...
M. David Assouline, rapporteur. – Vous n’avez pas compris ce que j’ai proposé...
M. Jean-Raymond Hugonet. – Je veux bien être gentil, mais arrêtons là...
M. David Assouline, rapporteur. – C’est l’inverse !
M. Jean-Raymond Hugonet. – Il y a 358 pages de rapport, Nous ne présentons que quelques amendements, et nous savons très bien pourquoi vous les refusez. C’est terminé.
M. David Assouline, rapporteur. – N’inversez pas la charge de la preuve !
M. Jean-Raymond Hugonet. – Notre proposition est simple, et elle restera ainsi.
M. David Assouline, rapporteur. – Vous êtes venus ici juste pour parler de CNews... (Protestations)
C’est comme sur les coûts fixes dont nous n’aurions jamais parlé dans le rapport, qui sont mentionnés aux pages 52 et 87 et les économies d’échelle aux pages 80 et 219... Je veux bien continuer à me battre contre des moulins à vent, mais dans le rapport il n’y a pas mention de CNews qui serait une chaîne d’opinion. L’interrogation a bien été posée, mais nous pouvons signaler que les avis divergent : ainsi vos avis, comme le mien, seraient pris en compte. La commission n’a donc pas tranché puisque les avis divergent...
M. Laurent Lafon, président. – Il faut passer au vote. Nous étions d’accord pour modifier le 1. de la proposition de modification n° 4, afin que le titre 3 devienne « Existe t-il un biais idéologique de l’actionnaire ? Des médias d’opinion ? »
Il en est ainsi décidé.
M. Laurent Lafon, président. – Nous supprimons « pour certains » dans la première phase du premier paragraphe du 3. page 175, et nous reprenons la proposition de modification n° 4 en supprimant dans le 2. « pour d’autres ».
Il en est ainsi décidé.
M. Laurent Lafon, président. – Dans le 3., il y a consensus pour modifier le titre 6 page 189, remplacer la dernière phrase du premier paragraphe et faire suivre la citation d’Alain Weill d’un paragraphe.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Il faut voter sur la totalité de la proposition de modification...
M. David Assouline, rapporteur. – Nous ne sommes pas en train de voter une résolution ni une loi, mais un rapport. Si je ne veux pas qu’une proposition de modification soit soumise au vote, je peux refuser qu’elle soit présentée. On ne me peut pas m’imposer d’écrire quelque chose que je ne veux pas écrire.
Jusqu’à présent, comme nous voulions arriver à un compromis, vous proposiez des modifications que j’ai acceptées ou que j’ai souhaité amender. Penser que si c’est voté, cela s’impose à moi, cela n’existe pas dans la procédure.
M. Laurent Lafon, président. – Rien n’empêche de faire une autre proposition d’amendement. Ajoute-t-on « n’a pas débattu » ?
M. Jean-Raymond Hugonet. – Il est 21h46. Nous pouvons prendre un peu de temps pour réfléchir sur cette phrase... Si nous avions eu des points d’étape durant ces derniers mois, nous n’en serions pas là. Personne ne portera le mistigri dans cette affaire.
Mme Sylvie Robert. – Vous auriez pu demander ces points d’étape...
M. Jean-Raymond Hugonet. – J’ai demandé à plusieurs reprises qu’on débatte du projet de rapport. Je n’ai eu que des réponses fuyantes, pour nous mettre au dernier moment devant le fait accompli.
M. David Assouline, rapporteur. – J’avais plus d’intérêt que tout le monde de vouloir faire aboutir ce rapport. Je vous ai appelé plusieurs fois la semaine dernière.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Deux fois, mais on ne peut pas faire cela au dernier moment.
M. Laurent Lafon, président. – Que souhaitez-vous ? Voter la phrase telle qu’elle est ou une autre proposition ?
M. Max Brisson. – Nous voulons aboutir. Si cette proposition de modification est adoptée, nous serons sur le chemin de la publication du rapport. Nous verrons les autres propositions ensuite. Pour tenir compte des débats précédents, je propose de préciser que « la commission d’enquête n’a pas débattu et donc n’a pas tranché... »
À titre personnel, je propose d’enlever la corrélation avec la conviction personnelle du rapporteur, en supprimant le « mais ». La phrase suivante évoquerait la conviction personnelle du rapporteur.
Mme Monique de Marco. – La phrase en résultant serait donc « La commission d’enquête n’a pas débattu, et n’a donc pas tranché, sur le fait de savoir si CNews était une chaîne de débats ou d’opinion. »
M. Vincent Capo-Canellas. – C’est une avancée notable, qui rejoint ce que j’avais proposé.
M. David Assouline, rapporteur. – Je demande une suspension de la réunion.
La réunion, suspendue à 21 h 50, est reprise à 21 h 55.
M. David Assouline, rapporteur. – Je vous propose la formulation suivante : « La commission d’enquête n’a pas débattu, et donc n’a pas tranché, sur le fait de savoir si CNews était une chaîne de débats ou d’opinion. Les avis de ses membres divergent. »
M. Jean-Raymond Hugonet. – On enchaînerait ensuite directement sur « La conviction personnelle du rapporteur... »
Il en est ainsi décidé.
La proposition de modification n° 4, ainsi rectifiée, est adoptée.
M. Laurent Lafon, président. – La proposition de modification n° 5 du rapporteur actualise le rapport.
M. Max Brisson. – Donc même vote.
La proposition de modification n° 5 est adoptée.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Ma proposition de modification n° 6 modifie le titre A du V ainsi : « Renforcer l’indépendance et l’éthique dans les médias en respectant la liberté de communication »
M. Laurent Lafon, président. – Vous enlevez donc la référence à la loi Bloche.
Mme Monique de Marco. – Pour quelle raison ?
M. Jean-Raymond Hugonet. – Le Sénat avait voté une question préalable sur cette proposition de loi.
La proposition de modification n° 6 est adoptée.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Ma proposition de modification n° 7 vise à supprimer la proposition n° 2. L’Arcom n’a pas toujours démontré son indépendance vis-à-vis du Gouvernement, en particulier lors de certaines nominations dans l’audiovisuel public. La confirmation de la nomination de l’administrateur indépendant par l’Arcom serait donc de nature à créer un doute concernant le respect de l’indépendance des médias privés vis-à-vis de l’exécutif. Au nom de la liberté de communication, il convient d’éviter tout risque de mise sous tutelle des médias privés. Si la création d’un administrateur indépendant peut être utile, il n’est pas souhaitable de soumettre sa nomination à un accord de l’Arcom.
M. David Assouline, rapporteur. – Nommer un administrateur indépendant n’est pas une proposition de gauche. Nous essayons de faire adopter le rapport. Vous pouvez penser ce que vous voulez de l’Arcom, mais je ne l’ai pas créée, ni un gouvernement de gauche... Si l’on pense qu’un administrateur indépendant serait une solution intéressante, pour combler les trous dans la raquette, il serait logique l’autorité régulatrice, l’Arcom, approuve cette nomination : son avis lui donnerait une légitimité. Ce n’est pas l’Arcom qui nomme.
Voulez-vous qu’on écrive que l’Arcom est une autorité dépendante et soumise ? (M. Hugonet proteste) Lorsque le Gouvernement est de droite, vous n’êtes pas du même avis... Vous appelez l’Arcom à remplir son rôle, comme toutes les institutions, dont le Parlement. Ce n’est pas une question de droite ou de gauche...
Mme Sylvie Robert. – Je ne comprends pas le problème...
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. – Le problème, c’est l’Arcom.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Je soutiens le principe d’un administrateur indépendant, mais en ligne directe avec ce que nous avons dit en 2016. Nous ne voulons pas donner plus de pouvoir à l’Arcom.
M. Vincent Capo-Canellas. – En droit privé, peut-on avoir un administrateur indépendant dont la nomination serait approuvée par une autorité administrative indépendante ? Cela m’étonnerait...
M. David Assouline, rapporteur. – Pour faire un pas, et sans tomber dans la mise sous tutelle, pourrait-on envisager un avis consultatif, qui devra être motivé ? Cela donnerait du poids à la nomination de l’administrateur. La loi Bloche a mis en place de nombreuses instances, mais sans leur donner suffisamment d’autorité. Des présidents de sociétés de journalistes et de comités d’éthique se plaignent de ne pas avoir de réel statut... Un avis de l’Arcom leur donnerait une plus grande légitimité.
M. Max Brisson. – Monsieur le questeur Capo-Canellas a tranché la question....
M. Laurent Lafon, président. – Il l’a seulement posée.
M. David Assouline, rapporteur. – Pour éviter tout risque juridique par une telle injonction, je propose donc un avis consultatif. Chacun fait un pas vers l’autre !
M. Jean-Raymond Hugonet. – Nous avons fait aussi des pas, mais pas dans le même sens : nous étions d’accord pour la proposition n° 1, ce qui n’est déjà pas notre tendance... Il n’est pas possible de soumettre la nomination à l’Arcom.
M. David Assouline, rapporteur. – Je vous propose d’enlever « afin de garantir son indépendance » et de proposer un avis consultatif de l’Arcom.
M. Jean-Raymond Hugonet. – C’est très aimable, mais nous ne voulons pas entendre parler de l’Arcom. Nous nous étions déjà opposés à cette extension des pouvoirs du CSA en 2016 lors du vote de la loi Bloche.
M. David Assouline, rapporteur. – Cela n’a rien à voir avec la loi Bloche.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Nous avons refusé la loi Bloche.
M. David Assouline, rapporteur. – Voulez-vous que je vous rappelle comment étaient nommés les membres du CSA et son président avant 2012 ?
M. Laurent Lafon, président. – Pouvons-nous donc reformuler à partir de la proposition du rapporteur ?
M. Jean-Raymond Hugonet. – Non : j’ai soumis une proposition de modification, à savoir la suppression de la proposition n° 2.
M. David Assouline, rapporteur. – C’est trop, arrêtons là !
M. Laurent Lafon, président. – Est-ce un point dur ?
M. Jean-Raymond Hugonet. – Oui. Plus on va arriver au bout du tube de dentifrice, moins il va en rester... Nous avons déjà retiré des propositions de suppression, en accord avec le président. Celles qui restent aujourd’hui sont très importantes.
M. Laurent Lafon, président. – Pour vous, c’est donc tout ou rien ?
M. David Assouline, rapporteur. – Arrêtons là. Rapporteur, je me suis usé à essayer de faire des compromis. Vous voulez donc que j’aille jusqu’au bout du dentifrice ? Vous exagérez. Lorsque vous avez signalé tout à l’heure une ligne rouge, j’ai repris toute votre proposition sur CNews, que vous considérez être le centre du rapport.
Je ne pensais pas que vous alliez remettre une ligne rouge à chaque proposition de modification, d’autant que j’accepte d’enlever la nomination par l’Arcom pour la remplacer par un avis consultatif...
M. Max Brisson. – Nous avons accepté le principe d’un administrateur indépendant...
M. David Assouline, rapporteur. – ... mais non lié à l’Arcom. Cela n’a rien à voir avec notre sujet. Il faut des régulateurs ayant un peu d’autorité dans un groupe de médias pour que cela se passe bien. Cela ne se fait pas tout seul. L’avis serait seulement consultatif. Que voulez-vous réellement ?
Mme Monique de Marco. – On ne peut pas ignorer que l’Arcom existe, malgré la question préalable votée lors de la loi Bloche ! Son avis consultatif donnerait une légitimité. On ne peut pas ne pas en parler.
M. Pierre Laurent. – Nous pourrions reprendre, sur plusieurs années, les débats sur l’Arcom pour se rappeler quel groupe politique a dit quoi... Je serais curieux de vous entendre dans l’hémicycle défendre vos positions contre l’Arcom. Je connais les positions de générations de sénateurs Les Républicains (LR) sur le sujet. Vous arguez de ces précédentes positions LR pour défendre n’importe quoi sur l’Arcom. Sur tout sujet, votre groupe a proposé systématiquement une autorité de régulation. On ne peut pas s’opposer à l’une d’entre elles simplement car à une reprise, elle n’a pas rendu une position allant politiquement dans votre sens. Soyons cohérents, sinon il faut vous opposer aux autorités de régulation ! C’est n’est pas mon groupe qui a choisi cette autorité de régulation indépendante. Ayons un débat sérieux. On peut être contre les propositions de David Assouline, mais de là à avoir des positionnements sur l’Arcom à géométrie variable...
M. David Assouline, rapporteur. – Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom, était un grand collaborateur de Jacques Chirac, rédacteur de la loi de 1986 sous François Léotard. Il n’a aucun passé marqué autre part que dans votre camp politique. Il est reconnu par tous comme étant une personne connaissant le droit et relativement impartiale. Si vous le critiquez, critiquez aussi la nomination du président de l’Autorité de la concurrence et remettez en cause la décision qu’il va prendre sur la fusion entre TF1 et M6 car il n’a pas été nommé par votre camp politique ! Certes, je caricature...
L’avis de l’Arcom est souvent demandé, sur de nombreux points. Il est parfois décisif, parfois non. Elle fait travailler des centaines de fonctionnaires, dont certains sont ni de droite, ni de gauche... Pourquoi serait-ce un point dur ? Vous pouvez dire que vous ne le sentez pas... Vous avez des chevaux de bataille que je ne vous connaissais pas...
M. Laurent Lafon, président. – Pour répondre à M. Capo-Canellas, la nomination d’un administrateur dépend du comité des nominations rattaché au conseil d’administration. Un avis consultatif serait la seule solution qui tienne.
M. Vincent Capo-Canellas. – La nomination reste donc la prérogative du comité des nominations....
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. – Heureusement !
M. David Assouline, rapporteur. – Je vous remercie, monsieur le questeur, d’avoir soulevé ce sujet, qui nous permet d’être plus précis juridiquement.
M. Max Brisson. – Que deviendrait alors la proposition ?
M. Laurent Lafon, président. – Au lieu de supprimer la proposition n°2, elle la modifierait ainsi : « La nomination de cet administrateur serait soumise à un avis consultatif de l’Arcom, dans le respect des prérogatives du conseil d’administration. »
Il en est ainsi décidé.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Monsieur Laurent m’accusait de ne pas être sérieux. Cela ne me gêne pas, après tout, je suis un saltimbanque... Si on me cherche, on me trouve...
M. Pierre Laurent. – La nouvelle position de la droite est-elle désormais : ne plus entendre parler de l’Arcom ?
M. Jean-Raymond Hugonet. – Je ne suis pas inscrit à un parti politique mais apparenté à un groupe, et j’en suis fier !
Nous avons eu, auparavant, une heure durant, un échange déjà houleux avec David Assouline sur les nouveaux membres de l’Arcom. Le président de l’Arcom voulait un nombre minimum de personnes. Nous avons imposé le nombre de neuf pour respecter les prérogatives du Président de la République et surtout, ne pas dépouiller les parlementaires.
M. David Assouline, rapporteur. – Nous étions donc d’accord.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Nous le sommes devenus...
M. David Assouline, rapporteur. – J’avais proposé que l’on ne descende pas en dessous d’un certain seuil pour que le Parlement soit respecté.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Nous sommes farouchement opposés à une montée en puissance des prérogatives de l’Arcom par rapport à des médias privés. La proposition que vous avez faite est convenable ; nous pouvons l’accepter.
M. Laurent Lafon, président. – Je vous remercie.
La proposition de modification n° 7, ainsi rectifiée, est adoptée.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Ma proposition de modification n° 8 supprime la proposition n° 4. L’Arcom n’a pas toujours démontré son indépendance vis-à-vis du Gouvernement, en particulier lors de certaines nominations dans l’audiovisuel public. La confirmation de la nomination de l’administrateur indépendant par l’Arcom serait donc de nature à créer un doute concernant le respect de l’indépendance des médias privés vis-à-vis de l’exécutif. Au nom de la liberté de communication, il convient d’éviter tout risque de mise sous tutelle des médias privés. La validation de la nomination des membres du comité d’éthique par l’Arcom pourrait être de nature à mettre les médias privés sous tutelle du pouvoir exécutif. Cela nous pose problème de conforter les membres des comités d’éthique alors qu’en 2016 nous avions voté contre.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. – C’est un Politburo....
Mme Monique de Marco. – Comment renforcer ces comités ?
M. David Assouline, rapporteur. – Est-ce une ligne de conduite que vous tiendrez jusqu’au bout que de toujours respecter ce que le Sénat a voté précédemment ?
M. Jean-Raymond Hugonet. – Sur l’Arcom, j’ai retiré certaines propositions de modification... Celles qui restent émanent de cette ligne directrice.
M. David Assouline, rapporteur. – Faites-vous de cette ligne une position de principe ? Je ne me remets pas en mémoire tout ce que j’ai voté. Si votre proposition est de ne pas entrer en contradiction avec tout ce que le Sénat a voté...
M. Jean-Raymond Hugonet. – Ce n’est pas cela.
M. David Assouline, rapporteur. – N’était-ce pas un argument ?
M. Max Brisson. – La ficelle est grosse...
M. David Assouline, rapporteur. – Oui ou non, cela est-il un argument ?
M. Max Brisson. – Est-ce un interrogatoire ?
M. David Assouline, rapporteur. – À partir du moment où vous avez voté contre les comités d’éthique, vous ne prévoyez pas de les rendre plus opérants. Cette attitude va-t-elle jusqu’au bout ?
M. Max Brisson. – Nous réservons notre réponse...
M. Jean-Raymond Hugonet. – À l’époque, en 2016 – ce n’est pas il y a un siècle ! – nous avions cette position. Nous souhaitons être logiques avec cette position récente. Je dirais même qu’actuellement, nous irions encore plus loin contre la loi Bloche...
M. David Assouline, rapporteur. – Ce n’était pas du tout votre état d’esprit sur la loi Bloche... Vous refaites l’histoire !
M. Vincent Capo-Canellas. – Nous avons adopté un avis consultatif pour la nomination de l’administrateur. Pourquoi ne pas faire de même ici ?
M. Jean-Raymond Hugonet. – Non. À partir du moment où n’étions pas favorables aux comités d’éthique, nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette solution.
M. Laurent Lafon, président. – Il serait plus logique de proposer un avis consultatif.
Mme Monique de Marco. – Garde-t-on quand même l’introduction du chapitre avant la proposition 4 ?
M. Laurent Lafon, président. – L’introduction sera conservée.
La proposition de modification n° 8 est adoptée.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Il n’apparaît pas souhaitable ni conforme au principe constitutionnel du droit de propriété de créer un droit de veto des rédactions lors de la nomination d’un nouveau directeur de la rédaction.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. – Ce serait hallucinant !
M. Laurent Lafon, président. – Je ne suis pas d’accord sur ce point.
M. David Assouline, rapporteur. – Arrêtons cette farce. C’est l’une des seules propositions importantes que je fais. Je ne propose pas de statut juridique ni d’indépendance des rédactions. Tous les syndicats d’auteurs, de producteurs, Acrimed, etc. y sont favorables ! Le Monde fonctionne avec un droit de veto de 50 % plus une voix. Mais j’ai considéré qu’il fallait faire un pas vers les sceptiques, et ne pas proposer un veto de 50 % de la rédaction, seulement des deux tiers. Si les deux tiers des membres de la rédaction refusent un nouveau directeur, comment l’actionnaire peut-il l’imposer ? C’est impossible : ce directeur ne pourrait pas travailler.
J’ai maintenu deux propositions fondamentales, car sinon, on dira que ce rapport ne propose rien d’important. L’autre, la proposition n° 27, concerne le financement du service public. À partir du moment où le législateur ne peut pas agir pour limiter la formation de grands groupes privés, car la loi ne serait pas rétroactive, il faut que le service public existe. Quand un projet de fusion concerne 40 % d’audimat et 75 % du marché publicitaire, il faut assurer le financement du service public. Le Sénat a voté en ce sens, et pas sous ma majorité ! Vous pouvez appeler MM. Leleux ou Gattolin, ou la présidente de la commission de la culture de l’époque, Catherine Morin-Desailly. C’est la tradition du Sénat que de dire qu’il faut assurer le financement du service public. Certes, on continuera à débattre sur telle ou telle émission. Je tiens à ces deux propositions, 4 et 27. En contrepartie de cette assurance de financement, je ne prévois aucune restriction des concentrations économiques dans le privé.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Je comprends mais il y a une mission de contrôle prévue sur la réforme de la contribution à l’audiovisuel public (CAP). Pourquoi ce rapport préempte-t-il le sujet alors que cela n’a rien à voir, et que le Président de la République a fait une déclaration sur la CAP ? Je ne comprends pas bien le lien entre les deux propositions. Une proposition sur la CAP n’a rien à faire à cette place. En 2015, vous pouvez voir ce qui est sorti du Sénat. La contribution forfaitaire universelle a du plomb dans l’aile : elle est reprise dans peu de programmes...
M. David Assouline, rapporteur. – Elle est instaurée dans toutes les démocraties depuis 2015. Cela nous fragilise : à chaque fois, Bercy veut avoir la tutelle. Il faut une indépendance par rapport au Gouvernement. Nous avions une redevance permettant, bon an mal an, d’assurer un financement pérenne à l’audiovisuel public.
Mme Monique de Marco. – Chaque chose en son temps, nous en sommes à la proposition n° 4...
M. Jean-Raymond Hugonet. – C’est en balance : le rapporteur est d’accord pour supprimer la proposition n° 4 si nous enlevons notre proposition qui supprime la proposition n° 27.
M. David Assouline, rapporteur. – C’est pour un équilibre politique des propositions. Si l’on supprime tout, modification par modification, ce sera considéré comme normal. Or c’est un paquet de 33 propositions.
Politiquement, deux propositions sont particulièrement efficaces sur ce sujet : préserver un audiovisuel public fort et donner un droit de veto aux rédactions à deux tiers pour la nomination du directeur de la rédaction. Pour préserver cet équilibre, faites qu’une des deux propositions reste !
M. Laurent Lafon, président. – La contribution forfaitaire universelle ne me semble plus totalement d’actualité... Peut-on rédiger différemment la proposition n° 27 ? Il faut maintenir une ressource autonome et pérenne pour l’audiovisuel public.
M. David Assouline, rapporteur. – Je ne pensais pas que cela ferait débat, car je me suis fondé sur les travaux du rapport Leleux-Gattolin, soutenu par l’UDI... À l’époque, j’avais fait une proposition différente. Je n’ai pas de problème à changer les mots. Mais nous ne voulons pas que ce financement passe sous les fourches caudines de Bercy chaque année. Vous n’avez pas intérêt non plus à cela ! C’est une façon de marquer une certaine indépendance par rapport au Gouvernement.
M. Laurent Lafon, président. – Je partage la préoccupation de M. Hugonet. Nous pourrions faire référence à la mission de contrôle.
M. David Assouline, rapporteur. – Tout à fait.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Je demande une courte suspension de la réunion pour en débattre.
La réunion, suspendue à 22 h 35, est reprise à 22 h 40.
M. Laurent Lafon, président. – Revenons à la proposition de modification n° 9 qui vise à supprimer la proposition n° 15.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Même si cela nous coûte, car il nous semble fondamental de supprimer la proposition 27, dans un souci constructif, nous préférons supprimer la proposition n° 15 et modifier la proposition de modification n° 1.
M. Laurent Lafon, président. – Cela aboutirait à rédiger ainsi la proposition n° 27 du rapport : « Instaurer une ressource fiscale autonome et pérenne assurant le financement de l’audiovisuel public. La mission de contrôle fera des propositions en ce sens. »
M. Pierre Laurent. – Ce n’est pas parce que le Président de la République a dit qu’il voulait supprimer la redevance qu’elle n’existe plus ! Elle existe encore...
Mme Laurence Harribey. – « Fera » est une injonction. Mieux vaut « pourra faire » des propositions.
M. Jean-Raymond Hugonet. – « En ce sens » nous pose problème. Mieux vaudrait reformuler la proposition de modification n° 11 pour rectifier la proposition n° 27.
M. Laurent Lafon, président. – Je vous propose : « Assurer une ressource fiscale autonome et pérenne pour le financement de l’audiovisuel public. La mission commune de contrôle sur le financement de l’audiovisuel public menée au Sénat par la commission des finances et la commission de la culture, de l’éducation et de la communication pourra faire des propositions. »
Il en est ainsi décidé.
La proposition de modification n° 9 est adoptée.
La proposition de modification n° 11, ainsi rectifiée, est adoptée.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Ma proposition de modification n° 10 est pour nous une ligne rouge. La proposition n° 20 du rapport crée une véritable menace sur les chaînes d’information qui pourrait s’apparenter à de la censure. Il n’y a pas lieu de conditionner le renouvellement d’une autorisation d’émettre à une trop grande docilité vis-à-vis du Gouvernement et de sa majorité. Ce lien n’est pas acceptable.
M. Pierre Charon. – Très bien !
M. David Assouline, rapporteur. – Si nous relisons toutes les propositions à l’aune de CNews, il y aura un problème. Cette proposition n’évoque pas CNews ni les chaînes d’information. Si vous voulez supprimer LCI, il faudra bien que l’Arcom ne renouvelle pas son autorisation.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Sauf si TF1 décide de ne pas le faire. C’est ce que je demandais et pas autre chose !
M. David Assouline, rapporteur. – Vous vouliez que LCI se fasse hara-kiri !
M. Jean-Raymond Hugonet. – Aucunement.
M. David Assouline, rapporteur. – La proposition n° 20 n’a rien à voir avec CNews. Par exemple, la chaîne Numéro 23 avait eu une autorisation d’émettre sur le créneau de la diversité, or elle a fait l’inverse. C’était un scandale. Lors du renouvellement de fréquence, l’Arcom a décidé de ne plus l’autoriser.
Actuellement, on peut autoriser une chaîne à diffuser des documentaires. Si demain elle décide de diffuser du porno, quels sont les moyens pour l’empêcher de continuer ? L’Arcom est assez démunie lorsque la convention n’est pas respectée. L’Arcom émet des mises en demeure, mais elle manque de moyens pour les faire respecter, et la chaîne peut ne pas en tenir compte. Tout cela serait encadré : procédure contradictoire, recours au tribunal possible... On ne va pas rayer une chaîne de la carte facilement ! Êtes-vous pour ou contre l’Arcom ? Il faut une régulation avec des moyens suffisants, notamment en cas de non-respect global d’une convention. Si vous ne faisiez pas des procès d’intention, nous serions d’accord... Parfois, des injonctions ne sont pas respectées. Il faut que l’Arcom puisse agir si cela dégénère.
M. Pierre Laurent. – Les mises en demeure et les sanctions sont juste des rappels à la loi et à la convention.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Cela ne sert donc à rien !
M. Pierre Laurent. – Ce sont des mises en demeure...
Si une chaîne est l’objet de multiples mises en demeure, il faut le prendre en compte. La proposition du rapport donne les moyens à l’Arcom d’avoir une action un peu plus forte, notamment pour ses mises en demeure, au moment du renouvellement des autorisations d’émettre.
En supposant même que l’Arcom devienne une officine gouvernementale, les mises en demeure de l’Arcom ne sont pas des jugements de valeur sur les chaînes, mais toujours des rappels à la loi. On renforcerait ainsi la force de la loi et de l’Arcom.
M. David Assouline, rapporteur. – Vous ne pourriez jamais assumer cette proposition. On pourrait déplacer cette proposition pour la mettre dans le chapitre E, « Renforcer l’autorité du régulateur » ?
M. Laurent Lafon, président. – Tout à fait.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Nous sommes totalement défavorables à cette mesure. Cette proposition est inacceptable et prétentieuse. Elle n’a rien à faire là. Vous n’allez pas nous convaincre.
M. David Assouline, rapporteur. – Ne faudrait-il plus aucune régulation de l’Arcom ?
M. Jean-Raymond Hugonet. – Il existe déjà un dispositif. Nous sommes totalement opposés à cette proposition.
Mme Monique de Marco. – Je ne comprends pas votre conviction. Cela va de soi !
Mme Sylvie Robert. – Je ne comprends pas non plus...
M. David Assouline, rapporteur. – Si une chaîne appelle à la violence, à la destruction de biens ou au meurtre d’élus, que faites-vous ? Cela peut exister. L’Arcom peut être totalement impuissante par rapport à cela. Savez-vous comment se passe une mise en demeure ? La procédure pour y arriver est longue, et nécessite « un temps de dingue », avec une procédure contradictoire. Pendant ce temps, on laisse n’importe quoi se faire ! Si une chaîne est concernée par plusieurs mises en demeure, c’est qu’il y a de nombreux faits.
Vous souhaitez qu’il n’y ait plus de régulation ? Mais telle n’est pas votre proposition...
Mme Monique de Marco. – Vous allez donner une mauvaise image...
M. Jean-Raymond Hugonet. – Je vous remercie pour tous vos conseils... Laissons la politique en dehors de cela. Nous le disons de façon claire, nette et précise : incontestablement, cette proposition est une menace et une censure. L’Arcom peut déjà utiliser plusieurs procédures pour régler les problèmes que vous mentionnez. Surtout avec les 350 pages précédentes, il n’est pas besoin d’indiquer cela. C’est un point de rupture. Nous avons déjà accepté de retirer certaines de nos propositions de modification... Nous ne sommes pas d’accord.
M. Laurent Lafon, président. – À titre personnel, je ne partage pas l’idée qu’il y a derrière cette proposition de modification. L’Autorité de régulation doit pouvoir justifier de ses décisions pour l’attribution des autorisations d’émettre, et il me paraît logique de prendre en compte les décisions préalables. Pour lever toute ambiguïté, on pourrait transférer la proposition n° 20 dans le chapitre E.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Lorsque l’Arcom reconduit une attribution de fréquence, elle tient compte du passif. Il n’est pas nécessaire de le préciser. Cette proposition est une menace et peut être vue comme une forme de censure. Je respecte votre avis selon lequel l’Arcom serait indépendante, mais ce n’est pas le mien. Peu importe l’emplacement de cette proposition, nous ne pouvons pas la voter.
M. David Assouline, rapporteur. – Je ne peux m’asseoir sur une évidence.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Pas besoin d’encombrer le rapport avec des propositions qui n’ont rien à faire dedans...
M. David Assouline, rapporteur. – Tout à l’heure, nous écrivions que la commission d’enquête n’avait pas tranché. Votre positionnement est à géométrie variable. Si c’est évident, alors il n’y a pas de ligne rouge ! Cela vous semble superfétatoire ; prenez donc en compte que c’est important pour moi, et qu’il n’y a pas de sujet de clivage.
Nous allons voter. Allez-y, si vous voulez me mettre à genoux !
M. Laurent Lafon, président. – Je propose de suspendre la réunion.
La réunion, suspendue à 23 h 00, est reprise à 23 h 10.
M. Laurent Lafon, président. – Je mets au vote la proposition de modification n° 10.
La proposition de modification n° 10 est adoptée.
M. Laurent Lafon, président. – Ma proposition de modification n° 12 tient compte de l’audition d’Amazon, qui a dédoublé ses chaînes pour éviter de contribuer au financement de la production cinématographique. Elle vise à prendre en compte, dans les obligations de financement de la création, le chiffre d’affaires des offres dites « couplées », par le biais d’une intégration au périmètre du chiffre d’affaires de l’offre sportive.
La proposition de modification n° 12 est adoptée.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Ma proposition de modification n° 13 insère un nouveau chapitre avant le H, intitulé « Renforcer l’indépendance de l’audiovisuel public », qui comprend la proposition suivante : « Prévoir la nomination d’un administrateur indépendant dans les conseils d’administration des sociétés de l’audiovisuel public, chargé de veiller à l’impartialité de l’information et de rendre compte de cette impartialité devant les commissions chargées des affaires culturelles des deux assemblées. Cela se passe ainsi à la BBC notamment. Cette proposition constitue le pendant, pour l’audiovisuel public, de la proposition 1 pour les sociétés cotées.
Mme Monique de Marco. – Qui nommerait cet administrateur ?
M. Jean-Raymond Hugonet. – Cette proposition constitue un équilibre avec la proposition n° 1.On ne demande pas l’avis de l’Arcom.
M. Laurent Lafon, président. – Cette proposition se lit en parallèle de la proposition n° 1.
M. David Assouline, rapporteur. – Dans un cas, vous encadrez la proposition par les commissions parlementaires, alors que dans l’autre vous refusiez l’avis de l’Arcom... Ce parallèle n’est pas judicieux mais je ne m’y opposerai pas. Cependant, puis-je accepter que ce rapport porte mon nom avec la suppression de la proposition n° 20 ? Je ne sais pas si je peux assumer que l’Arcom ne tienne pas compte des précédents avis pour le renouvellement des attributions de fréquence...
La proposition de modification n° 13 est adoptée.
M. Laurent Lafon, président. – Je vous propose maintenant de voter pour autoriser la publication du rapport ainsi modifié, de ses annexes, et du compte rendu de notre réunion de ce jour.
À l’unanimité, la commission d’enquête autorise la publication du rapport, de ses annexes, et du compte rendu de la réunion d’examen du projet de rapport.
M. Laurent Lafon, président. – Je dois également vous proposer un titre. En accord avec le rapporteur, je vous propose La concentration des médias à l’heure de la révolution numérique : quels risques, quelles opportunités ?
M. David Assouline, rapporteur. – Nous avions adopté une résolution pour la création de la commission d’enquête. Pourquoi ne pas reprendre le même titre ? Nous autorisons la publication du rapport, nous ne le votons pas ligne à ligne. On m’a obligé à écrire des choses avec lesquelles je ne suis pas d’accord et à taire certaines de mes convictions. Il ne s’agit donc pas de valider tout cela. J’ai évoqué ce sujet avec le Président du Sénat.
Dans la loi constitutionnelle de 2008, nous avons décidé d’inclure le droit de tirage des minorités, pour que celles-ci puissent avoir leur propose musique, indépendamment des majorités parlementaires – vous verrez, cela vous arrivera. Or vous ne m’avez pas laissé ma musique. J’ai assisté une fois au rejet d’un rapport car le rapporteur l’avait écrit seul, sans l’avis de la commission ; mais je n’avais jamais vu d’examen de rapport où il fallait passer sous les fourches caudines de la majorité sénatoriale pour qu’elle soit d’accord avec tout... Vous avez créé ce précédent. Si, désormais, vous voulez aussi m’imposer ce titre...
M. Laurent Lafon, président. – La phrase initiale était un peu longue...
M. David Assouline, rapporteur. – Elle peut constituer un sous-titre. Cela me gêne de mentionner les « opportunités » de la concentration des médias. Je ne veux mentionner ni les opportunités, ni les dangers.
Pourquoi pas « La concentration des médias en question ? »
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. – « ...à l’heure numérique ».
M. David Assouline, rapporteur. – Ce serait alors À l’heure numérique, la concentration des médias en question ?
M. Jean-Raymond Hugonet. – Il n’y a pas de hasard. C’est étrange de terminer par cette interrogation. Si nous étions venus pour ne pas adopter de rapport, nous n’aurions pas eu cette attitude. Le président met le doigt exactement où il faut. Cette question n’est pas la bonne mais est révélatrice. « Évaluer l’impact des concentrations » est difficilement compréhensible, et renvoie la commission d’enquête vers ce que nous avons vécu. Entre autres griefs, ce rapport est daté, alors que c’est à l’aune du numérique que le problème se pose. Cette proposition du président de la commission d’enquête nous convient.
M. David Assouline, rapporteur. – Je rédige un rapport, je propose un titre. Si cela contrevient à ce que vous pensez, ce serait une provocation... Je mentionne juste « en question ». Acceptez ma proposition ! N’essayez pas d’aller dans d’autres directions. On pourrait demander à des communicants de trouver un titre... Vous pouvez adopter ce titre minimaliste !
Mme Laurence Harribey. – C’est neutre.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Oui, mais cela montre bien tard que le numérique était le véritable sujet...
M. David Assouline, rapporteur. – Vous proposerez alors une commission d’enquête sur ce sujet dans votre niche parlementaire...
M. Jean-Raymond Hugonet. – Aucun problème !
Le titre, ainsi modifié, est adopté.
M. Laurent Lafon, président. – Je vous propose également d’autoriser les groupes qui le souhaitent à publier en annexe une contribution écrite, comme l’usage le permet. Elle serait annexée au rapport, et je vous demande de l’adresser au secrétariat pour demain mercredi 17 heures.
Il en est ainsi décidé.
M. Laurent Lafon, président. – Le rapport sera donc rendu public jeudi à 11 heures. Vous êtes bien évidemment conviés à la conférence de presse.
Il n’est pas possible de communiquer sur le rapport durant 24 heures, soit demain minuit, pour laisser au Sénat la possibilité de se réunir en comité secret. Je vous remercie.
M. David Assouline, rapporteur. – Tous nos échanges de ce soir seront donc publiés ensuite.
La réunion est close à 23 h 30.