Lundi 7 mars 2022
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 11 h 15.
Audition de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance
M. Laurent Lafon, président. - Nous reprenons les travaux de notre commission d'enquête en recevant M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance, dont l'audition, initialement prévue le 24 février, a dû être reportée en raison des événements dramatiques en Ukraine. Je profite de l'occasion pour exprimer notre solidarité au peuple ukrainien.
Je rappelle que notre commission d'enquête a été constituée à la demande du groupe socialiste, écologiste et républicain et a pour rapporteur David Assouline.
Monsieur le ministre, nous sommes heureux de conclure avec vous les travaux de notre commission d'enquête, qui aura organisé quarante-huit auditions en trois mois - un travail intense -, après avoir entendu votre collègue Roselyne Bachelot le 23 février.
Nous avons souhaité vous entendre, car les médias constituent non seulement un objet culturel, mais également un authentique sujet économique, avec un fort impact sur nombre de secteurs où la France dispose de très réels atouts - je pense notamment à la production et à l'animation -, mais subit aussi des menaces liées au développement des grandes plateformes. Les mouvements de concentration que nous étudions ressemblent à une course au gigantisme, souvent présentée comme la seule solution pour lutter contre les géants de l'internet - même si la démonstration pose un certain nombre de questions.
Il me faut bien entendu évoquer la fusion TF1-M6, pour laquelle nous avons entendu les parties prenantes, mais également l'expansion du groupe Vivendi, qui devient un acteur dominant des médias. À chaque fois, les règles de la concurrence se doublent d'un régime spécifique, issu d'une loi de 1986 que tout le monde s'accorde à trouver datée, sans qu'une unanimité se dégage sur la direction à prendre pour la modifier.
Comme vous le voyez, monsieur le ministre, le champ est large et en appelle autant à vos fonctions ministérielles qu'à votre conscience de citoyen.
Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêt ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Bruno Le Maire prête serment.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance. - Je suis heureux de témoigner devant votre commission d'enquête, qui traite d'un sujet aussi sensible que délicat. Je n'ai aucun conflit d'intérêts à déclarer.
À mon tour, j'assure le peuple ukrainien et l'Ukraine de ma solidarité en ces moments tragiques.
Le sujet de la concentration économique apparaît complexe, en ce qu'il se trouve à la croisée des chemins entre la défense des intérêts industriels et celle des intérêts du consommateur.
D'un point de vue économique, il convient de favoriser la concentration, afin de peser face aux géants américains et chinois, notamment dans les secteurs du transport ferroviaire et de l'aéronautique. Le droit de la concurrence, cependant, protège le citoyen et lui assure un prix le moins élevé possible. Il s'agit d'un enjeu décisif. Ainsi, dans une Europe qui compte de nombreux acteurs du numérique, le prix de l'abonnement à internet s'établit à un niveau plus bas qu'aux États-Unis.
L'équilibre apparaît difficile à trouver, notamment dans le secteur des médias, où le consommateur est également citoyen, avec des intérêts à la fois économiques et politiques, et dont il convient de protéger l'indépendance de l'information. Le pluralisme de l'information constitue donc un enjeu culturel, politique et économique majeur pour nos démocraties.
Dans ce cadre, l'État a la responsabilité du maintien de l'ordre public économique ; il joue un rôle d'arbitre entre la liberté du consommateur et celle du producteur. Le droit de la concurrence sert à assurer le maintien de cet ordre, en évitant les concentrations excessives, les monopoles et les ententes au détriment des consommateurs et des citoyens. L'Autorité de la concurrence, indépendante, juge et sanctionne ces comportements, dès lors que le marché pertinent est celui de la France. En 2020, elle a ainsi infligé pour 1,8 milliard d'euros d'amende et a traité près de 195 dossiers depuis le début du quinquennat.
Le ministère de l'économie, des finances et de la relance, pour sa part, adapte les règles applicables aux évolutions de l'économie, en particulier au bouleversement qu'a représenté l'émergence du digital. Il doit assurer l'équilibre entre la concurrence et les enjeux industriels et d'emploi. En conséquence, je puis m'opposer pour ces motifs à une décision de l'Autorité de la concurrence.
Au cours de ces cinq dernières années, nous avons adapté les règles à l'émergence des géants du numérique, de façon qu'elles s'appliquent à tous, y compris en l'absence d'une présence physique de l'entreprise sur le territoire national. Nous avons réglé en partie la question fiscale, mais beaucoup reste à faire sur le sujet concurrentiel et sur celui de la juste rémunération des auteurs.
En matière de fiscalité, il convenait de soumettre à une juste taxation des entreprises qui, comme Google, comptent des dizaines de millions de clients en France. Ce fut un long combat, durant quatre ans, que de définir une base fiscale opérante. Nous avons fait émerger une solution au niveau de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont il convient désormais de s'assurer de la mise en oeuvre effective. En attendant, nous avons choisi de maintenir notre dispositif de taxation nationale.
Les pratiques anticoncurrentielles des géants du numérique posent un problème économique autant que politique. Ceux-ci se comportent comme des États privés, dont ils disposent des prérogatives sans être soumis à une quelconque obligation. Ils n'ont de comptes à rendre qu'à leurs actionnaires. Certains souhaitaient même créer leur propre monnaie digitale ! Le Digital Markets Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA) apparaissent, à cet égard, indispensables.
La juste rémunération des auteurs constitue une condition essentielle de la liberté de la presse. L'information de qualité a un coût pour les organes de presse ; elle ne peut être livrée gratuitement par les géants du numérique. Nous avons soutenu la directive européenne sur les droits voisins, qui doivent être rigoureusement respectés. L'Autorité de la concurrence a ainsi infligé récemment une amende de 500 millions d'euros à Google. Des accords doivent être signés entre éditeurs et plateformes. Nous sommes prêts à aller plus loin en matière législative et réglementaire, si cela s'avérait nécessaire.
Ma mission porte également sur le respect de l'équilibre entre la concurrence, l'intérêt industriel du pays et le maintien de l'emploi. Tout projet de concentration fait l'objet d'une enquête de l'Autorité de la concurrence. Il m'est possible de passer outre son avis pour des motifs d'intérêt général liés aux intérêts vitaux de la Nation, hors maintien de la concurrence. Ainsi, j'ai posé des conditions au projet de rachat de William Saurin par Cofigeo, autorisé par l'Autorité de la concurrence, afin de préserver l'emploi.
Il me semble important d'interroger régulièrement le marché pertinent, qui peut évoluer. Nous l'avions évoqué devant la Commission européenne lors du dossier Alstom-Siemens. S'agissant de la publicité télévisée et en ligne, il s'agit d'un sujet majeur, sur lequel je ne puis me prononcer. L'Autorité de la concurrence devra y apporter une réponse, qui aura des conséquences sur le projet de fusion entre TF1 et M6.
Les médias forment un marché aux enjeux spécifiques. La concentration n'y apparaît pas excessive : il existe près de 1 200 radios publiques et privées, alors qu'elles n'étaient qu'une poignée avant 1980. Les médias obéissent à une régulation propre, destinée à protéger la liberté d'information du citoyen. La loi de 1986 garantit ainsi le pluralisme de la presse - un seul opérateur ne peut, par exemple, disposer de plus de sept autorisations de services nationaux de télévision -, sous le contrôle de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Le numérique présente pour les médias un risque autant qu'une opportunité, raison pour laquelle un équilibre doit être trouvé.
M. David Assouline, rapporteur. - Je m'associe à la solidarité exprimée envers le peuple ukrainien. Je suis particulièrement frappé par le rôle joué par les médias en ces moments terribles. Pour agresser, il faut pouvoir bâillonner un peuple : tel est le cas en Russie, où toute personne soupçonnée de divulgation d'une information nuisible au régime risque quinze ans de prison. Nous avons un devoir de vigilance dans nos démocraties s'agissant de la liberté d'information.
Je vous remercie de votre intervention très complète sur les enjeux économiques afférents aux concentrations.
Nous avons entendu deux types de témoignages sur le sujet : ceux des patrons de médias, qui considèrent les concentrations inévitables pour faire face aux plateformes, et ceux de personnes qui nous ont alertés sur le risque qu'elles font peser sur la diversité.
Vous avez sûrement une appréciation sur le marché pertinent de la publicité. Est-il global ou existe-t-il une spécificité des médias ? Que pensez-vous de l'argument selon lequel il serait plus difficile de réguler les plateformes si le marché pertinent était global ? Il semblerait d'ailleurs que certaines défendent cette option...
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je préfère prendre position sur la base d'éléments techniques établis. Tel est l'objet de l'enquête menée par l'Autorité de la concurrence, qui a déjà envoyé un millier de questionnaires.
Le marché de la publicité des médias représente 12 milliards d'euros, équitablement répartis entre la presse écrite, la télévision et la publicité en ligne. Si le marché de la publicité télévisée est jugé distinct de celui de la publicité en ligne, TF1 et M6 représenteront 70 % du marché, ce qui limiterait leur projet de concentration. En revanche, si le marché de la publicité est jugé global, aucune difficulté de concurrence ne se poserait. Tels sont les termes du débat, qui sera tranché en fonction de différents éléments techniques, notamment le fait que la publicité en ligne peut être ciblée. Le sujet nécessite une analyse fine. Je me prononcerai donc à l'issue de l'enquête.
M. David Assouline, rapporteur. - Quel est votre point de vue sur les concentrations ? Vous semble-t-il impératif de les accélérer pour assurer la survie de nos médias ? Un autre modèle que celui des plateformes est-il envisageable ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - J'ai toujours défendu le modèle économique européen par rapport à celui qui est prôné par les États-Unis. Je ne crois pas aux concentrations à tout prix ; elles ne semblent pas toujours pertinentes.
Le modèle européen est fondé sur un équilibre entre les intérêts économiques et le pluralisme de l'information, entre la puissance industrielle et la préservation de l'indépendance, entre la maîtrise du marché et la liberté des consommateurs. D'aucuns s'en moquent : les Américains créent, les Chinois copient, les Européens régulent... Nous devons créer de la valeur comme les Américains savent le faire, mais ces derniers ont aussi à apprendre de notre modèle en matière de protection du consommateur.
Il faut cependant relativiser : Netflix pèse 25 milliards de dollars, tandis que, fusionnés, TF1 et M6 ne représenteraient que 3,5 milliards d'euros, soit une capacité d'investissement et de production bien inférieure, quelle que soit la décision de l'Autorité de la concurrence.
M. David Assouline, rapporteur. - Vous dites qu'une véritable concurrence avec les plateformes n'est pas à l'ordre du jour ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - En termes de production, non.
M. David Assouline, rapporteur. - Beaucoup nous l'ont effectivement dit...
En matière de concentration, la difficulté principale réside dans le fait que, en France, les propriétaires de groupes de médias, comme TF1 ou Canal+, sont également souvent de grands industriels. Nous réfléchissons donc aux moyens de garantir l'indépendance des rédactions en cas de conflit avec les intérêts du groupe.
Comment assurer l'étanchéité des activités médias au sein d'un groupe ? Quid d'un renforcement des règles de prévention des conflits d'intérêts et des obligations de transparence visant l'actionnariat dans les médias ?
Le code Association française des entreprises privées (AFEP)-Mouvement des entreprises de France (Medef) vise à améliorer le fonctionnement, la gestion et la transparence des grandes entreprises pour mieux répondre aux attentes des investisseurs et du public. Il s'adresse aux sociétés cotées. Même s'il relève de la soft law, son respect est assuré par l'Autorité des marchés financiers (AMF). Il intègre depuis 2018 des principes ayant trait à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Que penseriez-vous de principes spécifiques applicables aux entreprises de médias ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je suis favorable à ces pistes de réflexion.
Les médias sont une activité industrielle, qui, à ce titre, doit être rentable, mais l'est rarement. Ainsi, la rédaction de Ouest-France est établie à côté de l'usine qui produit le journal.
Je ne vois nulle difficulté dans le fait qu'un industriel possède un média, dans la mesure où il existe des garde-fous pour protéger l'indépendance des journalistes, essentielle à la démocratie.
Je suis favorable à un renforcement de la prévention des conflits d'intérêts, au-delà même des seuls médias, ainsi qu'à une plus grande transparence, afin d'éviter tout soupçon. Je rejoins également les objectifs du code AFEP-Medef.
M. Laurent Lafon, président. - Avec Roselyne Bachelot, vous avez missionné l'Inspection générale des finances (IGF) et l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) sur le sujet de la concentration des médias, dont le rapport est attendu fin mars.
Quelles sont les orientations de cette mission et quelles pourraient en être les conséquences ? Une évolution du cadre législatif, notamment de la loi de 1986, est-elle envisagée ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Il est encore trop tôt pour le savoir, car la phase d'auditions vient seulement de se terminer. Les conclusions seront connues à la fin de ce mois.
Les enjeux de cette mission diffèrent toutefois de ceux de votre commission d'enquête, puisqu'ils ne portent que sur les règles de concurrence au regard de l'émergence des géants du numérique.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Je vous remercie pour la clarté de vos propos.
Le sujet qui nous intéresse comporte un triple enjeu, culturel, démocratique et économique.
Roselyne Bachelot a évoqué l'exception culturelle française et le volet démocratique, tandis que vous avez fait le lien entre ce dernier et le volet économique, à propos duquel il me semble plus juste de parler, comme Roch-Olivier Maistre, de « convergence » plutôt que de « concentration » des médias.
Nous vivons en démocratie, sans aucun doute, et je regrette les propos contraires de certains « défenseurs de la liberté ».
Cependant, le paysage médiatique a évolué en raison d'une accentuation de la concurrence internationale et nécessite une adaptation. La responsabilité de l'État, dans ce cadre, est importante. Tout a d'ailleurs été prévu par notre Constitution, qui donne d'utiles prérogatives au Président de la République et à vous-même.
Nous sommes nombreux à travailler sur la concentration des médias, notamment sur le projet de fusion entre TF1 et M6, sur lequel le Président de la République ne peut s'exprimer. Comment concevez-vous votre rapport avec lui, qui nomme le président de l'Autorité de la concurrence, tandis que vous avez le pouvoir de vous opposer à l'avis de cette dernière ? La décision sera-t-elle prise avant l'élection présidentielle ? En cas de changement de président, les conclusions de la mission des inspections pourraient-elles conduire à une décision différente ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je vous rejoins : la liberté d'information, d'opinion et de critique est garantie en France.
S'agissant de la fusion entre TF1 et M6, nous devons respecter les procédures définies par le droit. La première étape était celle du projet envisagé par les deux chaînes et le groupe Bertelsmann, légitime dès lors que le droit de la concurrence est réputé respecté.
Vient ensuite la deuxième étape, celle de l'enquête, en cours, de l'Autorité de la concurrence.
La troisième étape sera celle de l'avis, qui sera rendu public à l'automne.
Enfin, une quatrième étape peut intervenir : celle de mon droit d'évocation sous vingt-cinq jours, pour tenir compte d'intérêts industriels et d'emploi majeurs. J'en prendrais, le cas échéant, la responsabilité, tout en en informant le Président de la République et le Premier ministre.
M. Michel Laugier. - Je vous remercie à mon tour pour vos explications.
La fusion annoncée entre TF1 et M6 doit permettre de concurrencer les plateformes dans la conquête du marché publicitaire.
Effectivement, Google a été sanctionné à hauteur de 500 millions d'euros, mais son chiffre d'affaires s'élève à 76 milliards de dollars... Nous avons l'impression qu'il suffit de payer pour se dédouaner de ses obligations.
La régulation des plateformes ne devrait-elle pas relever du niveau européen ?
Ne faudrait-il pas moduler les aides à la presse en fonction de la santé financière du groupe et de l'indépendance ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Non, Google ne paie pas 500 millions d'euros d'amende en France pour se dédouaner : il les paie parce que nul n'est au-dessus des lois. Nous sommes d'ailleurs prêts à durcir la législation sur les droits voisins si aucun accord n'était trouvé entre les éditeurs et les plateformes. Le « tout gratuit » conduirait, en effet, à la ruine de la presse et des journalistes.
L'information de qualité a un coût, qui doit être payé, y compris par les diffuseurs en ligne.
L'État verse 22 millions d'euros par an au titre des aides au pluralisme selon des critères de diffusion - moins de 150 000 exemplaires par an - et de recettes - la publicité doit en représenter moins de 25 % - à des titres souvent peu amènes avec le Gouvernement, afin de les préserver de la faillite. Ces aides sont légitimes dans une démocratie et ne nécessitent pas d'être réformées.
M. Vincent Capo-Canellas. - Quelles sont vos propositions pour adapter nos règles à l'émergence du digital ?
Ne voyez-vous pas un paradoxe dans le fait que la décision sur la fusion entre TF1 et M6 interviendra avant une éventuelle modification de la législation ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - L'évolution du paysage audiovisuel et numérique ne se limite pas à cette fusion et il nous faut légiférer pour le temps long.
Le combat contre les géants du numérique fut le plus important de mon ministère. Nous avons obtenu leur taxation au niveau européen, malgré les sanctions prises par Donald Trump, établi le DMA, qui évitera qu'un opérateur utilise les données qu'il récupère, et le DSA et, enfin, fait voter la directive sur les droits voisins.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Vous avez été très clair, comme à votre habitude.
Vous semblez favorable à la concentration pour consolider certains secteurs, mais votre pouvoir d'évocation vous permet de vous opposer à des projets pour des motifs d'intérêt général autres que le maintien de la concurrence. La concurrence internationale des plateformes justifierait-elle son usage ?
La concentration est-elle le seul moyen de lutter contre cette concurrence écrasante ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Les consolidations s'avèrent parfois utiles, mais pas dans tous les secteurs. Aussi, il convient de faire preuve de discernement.
Je n'ai utilisé mon pouvoir d'évocation qu'une unique fois en cinq ans, alors que l'Autorité de la concurrence a rendu 195 décisions dans le même temps. Il s'agit donc d'un ultime recours.
M. David Assouline, rapporteur. - Nous avons entendu l'ancienne présidente de l'Autorité de la concurrence, dont les compétences étaient unanimement saluées. Savez-vous pourquoi elle n'a pas été reconduite ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - J'ai lu quelques remarques très inappropriées de certains de vos interlocuteurs sur le sujet...
Isabelle de Silva est une femme remarquable, mais le choix de la présidence de l'Autorité de la concurrence relève du Gouvernement, sans esprit partisan. Son remplaçant est réputé pour son indépendance ; il a d'ailleurs émis des critiques sur le plan de relance. Il s'agit d'un spécialiste des questions économiques et financières, enjeux essentiels des années à venir.
M. David Assouline, rapporteur. - La France a été le premier pays européen à transposer la directive sur les droits voisins, mais son application suscite quelque déception.
Toutefois, Google a reconnu récemment l'existence de ces droits, ce qui représente une étape importante.
L'Arcom pourrait-elle disposer d'un pouvoir d'injonction et de sanction en cas d'échec des négociations entre plateformes et éditeurs ?
La presse souffre : ne pourrait-elle pas bénéficier, en partie au moins, du produit de l'amende infligée à Google ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Hélas, les finances de l'État ne se portent guère mieux et 500 millions d'euros représentent bien peu au regard de la flambée des prix de l'énergie...
Ainsi, le coût du gel du prix du gaz, estimé à 1,2 milliard d'euros à l'automne, devrait atteindre 10 milliards d'euros en année pleine, pour protéger les seuls particuliers, soit 30 % des consommateurs. Le plafonnement à 4 % de la hausse du prix de l'électricité entraînera, quant à lui, une perte de 8 milliards d'euros de recettes fiscales. S'ajoutent également 4 milliards d'euros pour l'indemnité inflation et 1 milliard d'euros pour le chèque énergie, soit un total de 20 milliards d'euros, qui ne tient pas compte des augmentations à venir. Nous ne pouvons donc dilapider cette amende.
L'État ne profite pas de la crise énergétique, bien au contraire !
M. David Assouline, rapporteur. - Certes, mais Google a été condamné pour non-respect des règles au détriment de la presse...
M. Bruno Le Maire, ministre. - Vous n'êtes pas sans savoir que les recettes fiscales ne peuvent être fléchées, même si j'ai proposé une dérogation pour les dépenses vertes.
M. David Assouline, rapporteur. - Des accords ont été signés entre Google et certains éditeurs, mais nous ne pouvons avoir connaissance des montants en jeu du fait de l'opacité imposée par Google au nom du secret des affaires. Comment garantir la transparence ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Votre question est légitime, d'autant que certains éditeurs n'ont pas conclu d'accord. L'Autorité de la concurrence doit y répondre.
M. Laurent Lafon, président. - Nous vous remercions, monsieur le ministre.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 30.