- Jeudi 13 janvier
2022
- Table ronde : Les élus locaux face aux décharges sauvages, avec M. Fabien Kees, maire de Dannemois (Essonne), le général Sylvain Noyau, chef de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et la santé publique (OCLAESP) et M. Philippe Vignon, vice-président de la communauté d'agglomération de Saint-Quentin (Aisne).
- Audition de M. David Lisnard, président de l'Association des maires de France.
- Désignation de rapporteurs.
Jeudi 13 janvier 2022
- Présidence de Madame Françoise Gatel, présidente -
La réunion est ouverte à 8 heures 45.
Table ronde : Les élus locaux face aux décharges sauvages, avec M. Fabien Kees, maire de Dannemois (Essonne), le général Sylvain Noyau, chef de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et la santé publique (OCLAESP) et M. Philippe Vignon, vice-président de la communauté d'agglomération de Saint-Quentin (Aisne).
Mme Françoise Gatel, présidente. - Bonjour à tous. Certains de nos collègues sont ici présents au Sénat, d'autres à distance, puisque nous avons repris ce double dispositif. Je salue nos invités, qui ont eu la gentillesse de porter intérêt à nos travaux, sur un sujet du quotidien. On considère parfois que les sujets du quotidien sont très banals mais nous savons qu'ils relèvent parfois d'enjeux très forts. Souvenons-nous qu'en 2019, alors que nous nous apprêtions à travailler sur la loi « Engagement et proximité », nos pensées étaient tournées vers le maire de Signes, victime d'un accident mortel lié à cette problématique.
Même si, en certains lieux, des progrès sont réalisés, nous savons que les décharges sauvages font partie du quotidien des élus. Elles suscitent aussi l'incompréhension d'un grand nombre de nos concitoyens, qui considèrent que les élus ne font pas leur travail, alors que ceux-ci ont une responsabilité à la fois morale et juridique au titre de leur devoir de police. Ils sont néanmoins assez démunis quant aux moyens pouvant être mis en oeuvre, car des dépôts de déchets sauvages dans des bois peuvent être effectués à tout instant hors de tout regard, même celui d'une caméra.
Le maire a un pouvoir de police général, lié à une responsabilité en matière de salubrité publique et un pouvoir de police spécial au titre du code de l'environnement. Rappelons que l'abstention d'un maire, au regard d'un constat de dépôt sauvage, peut constituer une faute lourde de nature à engager la responsabilité de la commune. Le sujet est donc d'une grande gravité. Il faut se demander comment constater les dépôts, identifier leurs auteurs et les sanctionner. Nous devons aussi nous interroger sur l'efficacité de la sanction. Nous avons travaillé, dans le cadre de la loi « Sécurité globale », sur le continuum de la sanction. Nos collègues Rémy Pointereau et Corinne Féret ont particulièrement travaillé sur ces sujets, qui nécessitent une coopération étroite avec la gendarmerie (ou la police, dans les zones qui relèvent de sa compétence). Nous nous demanderons aussi quel est l'échelon pertinent pour agir : est-ce l'échelon communal, intercommunal, voire syndical (au sens des syndicats de collecte de déchets et ordures ménagères) ?
Monsieur Kees, vous êtes le maire de Dannemois, commune célèbre pour abriter le moulin où vivait Claude François. Je vous remercie de votre présence, particulièrement importante dans la mesure où vous avez été concerné au premier chef par un incident lié aux sujets qui nous réunissent : vous avez été renversé par un gérant d'entreprise, qui tentait de se débarrasser illégalement de gravats.
Monsieur Vignon, vous êtes vice-président de la communauté d'agglomération de Saint-Quentin. En 2017, vous avez créé dans ce cadre une brigade intercommunale de l'environnement, qui agit en étroite liaison avec le parquet. Or, notre délégation a aussi pour vocation de faire connaître de bonnes pratiques afin que d'autres collectivités s'en inspirent.
Enfin, général Noyau, vous êtes chef de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et la santé publique et êtes entouré par deux de vos collaborateurs pour cette table ronde, que je salue également. Le champ de l'OCLAESP englobe des atteintes de toutes natures mais celles dont nous parlons empoisonnent le quotidien et, parfois, l'ambiance dans nos communes. Cette table ronde s'inscrit dans la continuité du travail auquel vous avez déjà participé, à travers plusieurs commissions.
Pour ce qui est de la mission de notre délégation sénatoriale, il s'agit du suivi de dispositions que nous avons prises, qui semblaient importantes, conformément à l'exigence du Sénat de vérifier la façon dont les décisions qu'il prend sont mises en oeuvre et la mesure dans laquelle elles produisent leurs effets.
Je donne la parole, pour commencer, à monsieur le maire de Dannemois.
M. Fabien Kees, maire de Dannemois (Essonne). - Madame la Présidente, mesdames et messieurs, merci pour votre invitation. Je suis effectivement le maire de la commune de Dannemois, dans le sud de l'Essonne, au sein de la communauté de communes des Deux Vallées. J'ai préparé quelques images qui vont illustrer mon propos. Vous voyez par exemple à l'écran un exemple de dépôt sauvage, qui est en cours d'instruction. Ces pratiques constituent un fléau pour notre village, qui compte 900 habitants et a des moyens bien plus faibles que ceux d'autres communes ou communautés de communes. Cela nous rend la tâche particulièrement difficile. Comme vous le voyez, le territoire de notre commune est rural, avec de nombreux milieux boisés et de multiples chemins qui se trouvent à l'abri de tout regard. C'est souvent dans ces endroits que nous découvrons des dépôts sauvages.
Nous constatons essentiellement des dépôts de déchets de travaux venant de professionnels du bâtiment ou de vide-maisons et vide-greniers, lorsque des personnes héritent de biens.
Vous avez rappelé les pouvoirs de police administrative du maire, au titre du code de l'environnement, et de l'article relatif à la tranquillité publique, qui nous donne quelques pouvoirs bien difficiles à appliquer, même si la réforme de 2020 nous confère davantage de pouvoirs d'action.
Les services de l'État ont mis en place des fiches réflexes, qui ont beaucoup aidé certains de mes collègues. Nous avons contribué à ce travail à travers des groupes de pilotage mis en place par la préfecture, sous l'impulsion de la préfète Josiane Chevalier en 2019. Nous continuons d'y travailler mais il s'avère difficile d'en faire un produit efficient pour que les maires et élus locaux puissent lutter efficacement contre ce fléau.
Une de vos collègues avait posé la question des compétences intercommunales. Celles-ci ne peuvent malheureusement être transférées aux EPCI, alors que cela permettrait d'assurer une cohérence territoriale dans la lutte contre les dépôts sauvages.
Nous nous sommes tout de même armés. Dans un premier temps, nous avons acquis des matériels, en particulier des véhicules, comme vous le voyez à l'écran, afin de ramasser au plus vite les premiers dépôts constatés, étant entendu que les dépôts appellent les dépôts : laisser un dépôt là où il se trouve va rapidement induire une augmentation rapide de son volume. Vous voyez sur la diapositive le coût de ces véhicules, qui est élevé. La région Ile-de-France nous a considérablement aidés en subventionnant l'achat de ces véhicules à hauteur de 60 % de leur coût.
Nous avons également acheté et installé des pièges photos, qui sont efficaces dans la lutte contre les dépôts. Vous voyez par exemple à l'image un constat établi par l'un de ces appareils, le 9 avril 2020 à 13 heures 56. Nous voyons une dame qui vient de déposer une télé, un fer à repasser, un aspirateur. Nous avons pu l'identifier grâce à ce piège photo. Il se pose un problème de réglementation mais peut-être la loi pourra-t-elle évoluer. Nous y reviendrons sans doute au cours de notre échange.
Nous organisons des journées de ramassage avec le département de l'Essonne. Nous ramassons chaque année dix tonnes de dépôts sauvages en deux sessions de ramassage. Les bénévoles des communes, les écoles et les associations environnementales sont mis à contribution, car ces actions comportent bien sûr une dimension pédagogique.
Nous proposons aussi des stages réservés aux élus, suite à l'agression que j'ai subie en septembre 2019. J'ai été contacté par l'Association des Maires Ruraux de France. Cela nous a permis d'apprendre à mieux appréhender ces situations et d'avoir les bons comportements afin d'éviter que la situation ne dégénère sur les lieux de l'infraction. Lors des faits me concernant, j'ai employé les mots (amende, services de gendarmerie) qui ont énervé l'auteur des faits, qui m'a renversé par la suite. Cette formation ne regroupe que des élus de notre territoire, durant une journée, afin d'apprendre à appréhender ces situations.
Une signalétique dissuasive est aussi mise en place. Nous avertissons ainsi nos administrés, même si les dépôts sont, en réalité, souvent le fait de personnes habitant hors de notre commune. Nous indiquons néanmoins à chacun que nous ne laisserons rien passer.
Le SIRTOM (Syndicat mixte Intercommunal de Ramassage et de Traitement des Ordures Ménagères) met en place des collectes d'encombrants dans notre commune. Nous sommes limités à un mètre cube par foyer mais c'est mieux que rien. Les déchets verts nous posent aussi de sérieux problèmes, raison pour laquelle nous organisons des ramassages de déchets verts. Cette activité sortant des compétences communales, nous recourons à un prestataire, ce qui évite un certain nombre de dépôts sauvages sur notre territoire.
Nous avons recensé tous les lieux de dépôts sauvages de notre territoire. Ils sont au nombre de sept. C'est à ces endroits que nous installons des pièges photos, de façon tournante, car nous avons quatre installations de ce type. « Souriez, vous êtes filmé » est-il indiqué à Dannemois à l'intention des personnes qui fréquentent ces lieux.
Enfin, nous avons mis en place des procédures simplifiées avec la gendarmerie et le parquet, après avoir constaté que les actions traitées par le parquet mettaient énormément de temps à aboutir. Nous avons voulu, pour davantage d'efficacité, toucher le portefeuille des auteurs. Nous fournissons la photo du piège photo et déposons plainte. L'auteur est immédiatement convoqué. Une amende de classe 4 lui est adressée (135 euros). Chaque commune de la communauté de communes a pris un arrêté nous permettant de facturer, par mandat administratif, la remise en état du lieu souillé à hauteur de 1 500 euros. Lorsque ce montant est dépassé, nous facturons les frais réels d'enlèvement du dépôt. Cela s'avère assez dissuasif vis-à-vis des auteurs, au moins pour notre territoire. Peut-être vont-ils dans une autre commune s'ils souhaitent récidiver ?
Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci beaucoup, monsieur le maire. Nous voyons, à travers cette présentation, que vous avez mis en place un dispositif d'une grande rigueur et d'une grande constance, en vous appuyant à la fois sur l'éducation et sur la systématisation de la réaction. Les supports que vous avez projetés sont particulièrement intéressants.
Monsieur le vice-président de la communauté d'agglomération de Saint-Quentin, vous avez la parole.
M. Philippe Vignon, Vice-président de la communauté d'agglomération de Saint-Quentin. - Madame la Présidente, mesdames et messieurs, la communauté d'agglomération de Saint-Quentin regroupe 39 communes et 85 000 habitants répartis sur 300 kilomètres carrés. Elle compte quatre déchetteries.
En tant que vice-président chargé de la politique de la ville et de la prévention de la délinquance, j'anime le conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance (CISPD). C'est dans ce cadre que nous avons abordé la question des décharges sauvages. La gouvernance du CISPD a été redéfinie fin 2020. Une assemblée plénière se réunit chaque année, fixe les priorités stratégiques et évalue les résultats. Une assemblée restreinte, qui se réunit tous les trimestres, valide et pilote la stratégie locale. À l'échelon le plus proche des populations, se réunissent aussi des comités territoriaux. J'anime tous les mois des comités territoriaux avec tous les maires de la communauté d'agglomération. Je réunis ainsi tous les maires de la communauté d'agglomération une fois par mois, en présence de madame la sous-préfète ou du secrétaire général de la préfecture et du commandant de la compagnie de gendarmerie et en présence du parquet (en la personne du Procureur de la République ou d'un substitut de celui-ci). Nous recensons, commune par commune, les difficultés rencontrées par les différents maires.
Nous traitons, bien sûr, des dépôts sauvages mais aussi de nombreuses autres questions, telles que celle des animaux errants ou celle des sucreries (puisque nous sommes une région productrice de betterave), dont j'ai dû réunir les responsables afin de mieux articuler la collecte. Le problème des dépôts sauvages est devenu extrêmement récurrent et les maires le citent souvent comme la première de leurs préoccupations, avec les excès de vitesse. Nous avions 46 dépôts sauvages en 2019 et leur nombre est passé à 153 en 2020. Certes, l'année 2020 était particulière du fait du confinement et de la fermeture des déchetteries. La hausse est tout de même exponentielle. Après examen, il apparaît que 35 % de ces déchets sont des ordures ménagères, 20 % du mobilier, 11 % des gravats, 11 % des résidus de chantiers, 9 % des végétaux, 6 % de l'amiante, 6 % des résidus mécaniques et 2 % des cadavres d'animaux.
La fermeture des déchetteries a certes eu un impact en 2020 mais nous savons que ces dépôts sont aussi étroitement liés au travail au noir. Le problème peut aussi être lié aux pratiques des intercommunalités en matière de traitement des déchets. J'ai eu une réunion avec le président de l'intercommunalité du Vermandois, voisine de la nôtre, qui paie à la levée, tandis que nous payons au forfait. Nous voyons des habitants de la communauté d'agglomération voisine déposer des ordures sur notre territoire en raison d'un moindre coût. Il faut aussi tenir compte de ce type de phénomène.
Une intercommunalité doit, bien sûr, apporter des réponses aux maires et vous avez souligné que, depuis mai 2017, la communauté d'agglomération de Saint-Quentin s'était dotée d'une brigade d'intervention en matière d'environnement (BIE). C'est très important et je crois que nous devrions tous nous réapproprier les garde-champêtres. Cette fonction a décliné. Je crois qu'il en reste 1 200 dans toute la France. On peut aussi parler de police rurale. Ce terme va certainement remplacer, en ce qui concerne notre territoire, celui de BIE et sera mieux identifiable par les citoyens.
Le garde-champêtre a des pouvoirs importants en matière de police de l'environnement, notamment au titre de l'article 24 du code de procédure pénale, qui lui permet de rechercher et constater les délits portant atteinte aux propriétés privées et publiques situées sur les communes pour lesquelles ils sont assermentés. L'article L. 172-4 du code de l'environnement leur permet également de conduire des enquêtes d'un bout à l'autre, ce qui libère de cette charge la police et la gendarmerie. Contrairement à la police municipale, qui ne peut qu'interpeller l'auteur d'une infraction et le conduire devant l'officier de police judiciaire, le garde-champêtre peut conduire son enquête en totalité, c'est-à-dire constater l'infraction, procéder à des auditions libres de personnes mises en cause, procéder le cas échéant à des visites domiciliaires et terminer la procédure jusqu'à ce que celle-ci arrive au parquet. C'est donc un dispositif précieux.
Notre brigade est constituée de trois garde-champêtres dotés de véhicules sérigraphiés, de pièges photographiques, de cinémomètres et d'éthylotests. Ils sont aussi, depuis peu, armés : notre police municipale est armée et nous avons considéré qu'il n'y avait pas de raison que les garde-champêtres, parfois confrontés à des situations dangereuses face à des concitoyens, ne soient pas également protégés.
Nous avons décidé de travailler selon trois axes. Le premier a consisté à rechercher davantage de fluidité dans la relation entre les élus de l'agglomération et le parquet, souvent jugé lointain de l'élu local. Le maire ne sait pas quelles suites sont données aux affaires. Les classements sans suite ne sont pas notifiés aux élus. Nous avons donc rétabli ce lien. Outre la participation du Procureur de la République ou d'un substitut aux comités territoriaux, nous avons fait en sorte que chaque élu ait accès à une adresse mail dédiée du parquet. C'est un dispositif qui nous est apparu essentiel. Le parquet a également créé une permanence dédiée à l'environnement, certains jours, de sorte que nous ayons un accès direct au parquet, sans intermédiaire. Nous avons mis en place une formation sur les pouvoirs de police du maire. Les élus se sont renouvelés de façon importante et il était nécessaire d'expliquer aux maires l'étendue de leurs pouvoirs de police, afin qu'ils les exercent pleinement sur leur territoire, sans pour autant se mettre en danger. Cette formation est donc importante. Nous avons également instauré un dispositif qui va prendre la forme d'une convention en matière de pratiques de lutte contre les dépôts sauvages.
Le deuxième axe a pris la forme d'un protocole d'identification des auteurs de dépôts sauvages. La principale difficulté, en la matière, réside bien dans l'identification des auteurs. La BIE a des instructions précises. Il faut d'abord prendre en photo les dépôts sauvages et les abords de ceux-ci, sans y toucher dans un premier temps. Puis vient la fouille des déchets : l'auteur sera identifié lorsqu'on va trouver une enveloppe à son adresse ou à celle des producteurs des déchets. D'autres indices peuvent être trouvés, par exemple des moyens de paiement anciens. Nous allons rechercher des traces de pneumatiques et la BIE peut établir des réquisitions de façon à accéder à la vidéo-protection des villages voisins, afin de voir si un véhicule suspect n'a pas circulé à cet endroit. Nous allons interroger les voisins, notamment à la faveur de l'opération « voisins vigilants », qui peut favoriser le recueil d'informations sur un véhicule automobile par exemple. Nous allons utiliser les caméras de chasse, même si elles ne sont pas considérées comme des appareils de vidéo-protection et ne relèvent pas du Code de la sécurité intérieure. Au regard des dispositions de l'article 427 de procédure pénale, les données obtenues par ce moyen peuvent avoir valeur de preuves, puisque la preuve est libre devant les juridictions pénales et le tribunal correctionnel. Ces éléments sont donc parfaitement reçus par les juridictions pénales. Il serait néanmoins utile de tenter de clarifier les choses, peut-être en légiférant sur cette question.
Quant à la réponse aux dépôts sauvages (troisième axe de notre action en la matière), nous avons beaucoup travaillé, là aussi, avec le parquet. Une réponse est possible en amont des poursuites, de façon alternative à celles-ci et il y a les réponses judiciaires de poursuites.
Des choses intéressantes peuvent être mises en place en amont des poursuites. Je pense au rappel à la loi par le maire et aux transactions municipales homologuées par le Procureur de la République. Ces deux actions relèvent du pouvoir de police du maire et replacent celui-ci dans ses fonctions au sein de sa commune. Dès lors qu'il n'y a pas d'enquête de procédure en cours, ce dont il faut s'assurer au niveau du parquet, le maire peut procéder à un rappel à la loi, de façon solennelle, en mairie. Il peut décider d'une transaction municipale qui sera homologuée par le parquet. Indépendamment des maires, un classement sans suite peut aussi être prononcé, sous condition d'indemnisation. Un rappel à la loi peut aussi être effectué par le délégué du Procureur de la République, avec indemnisation.
Les mesures administratives prennent souvent la forme de la composition pénale, dans le cadre de laquelle le travail non rémunéré (TNR), qui n'a rien à voir avec le travail d'intérêt général, me semble présenter un intérêt particulier. Il permet de contraindre le contrevenant, par exemple, à venir ramasser le dépôt sauvage dont il est l'auteur. Initialement limité à 60 heures, le TNR est désormais assorti d'un plafond de 100 heures. Le Procureur de la République de Saint-Quentin est très favorable à cette disposition, à laquelle il recourt régulièrement.
Enfin, lorsqu'il n'y a pas d'autre possibilité, il faut envisager les poursuites devant les tribunaux. L'ordonnancement de la répression est un peu compliqué en matière de dépôts sauvages, puisqu'il diffère selon que l'auteur est un professionnel (auquel cas l'infraction relève du tribunal correctionnel) ou un particulier (auquel cas elle relève du tribunal de police). S'il s'agit d'un particulier, on distingue aussi selon qu'il est venu avec une voiture (auquel cas il s'expose à une contravention de 5ème classe, avec audience au tribunal en présence du parquet) ou à pied (auquel cas il s'expose à une contravention de 4ème classe). Dès lors qu'un véhicule automobile est en cause, il s'avère très efficace de l'immobiliser ou de le confisquer. Une amende peut être rapidement payée et libérer son auteur de toute autre sanction. Or il est possible d'immobiliser le véhicule dès le début de l'enquête, dans le cadre d'une immobilisation judiciaire (ce qui est différent de l'immobilisation administrative) jusqu'au jour de l'audience, où le véhicule peut être confisqué par le tribunal. Cette décision est rarement prise par le tribunal, mais le fait d'avoir immobilisé le véhicule durant six mois, pour une personne travaillant au noir, s'avère extrêmement dissuasif.
Je sais qu'un amendement avait été rejeté dans le cadre du débat sur la loi de sécurité globale, mais je crois qu'il serait utile de clarifier l'utilisation des pièges photographiques ou caméras de chasse. Peut-être faudra-t-il également envisager l'instauration, dans le cadre de l'arsenal répressif, d'une amende forfaitaire délictuelle, afin d'éviter la lourdeur des procédures arrivant devant le tribunal et permettre une sanction plus rapide. Nous avons la chance, à Saint-Quentin, d'avoir un parquet très coopératif et très agissant, ce qui nous facilite évidemment la tâche.
Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci pour votre témoignage. On se rend compte, en effet, de la diversité d'intensité de la relation entre le parquet et les élus, au regard de nombreux pouvoirs de police des maires. Nous avons beaucoup travaillé, récemment, sur les agressions dont les élus sont victimes. C'est cet écosystème collaboratif qui est nécessaire afin que personne ne s'use dans la mise en oeuvre de solutions et que celles-ci soient efficaces.
Général Noyau, votre poste a du sens pour nous tous et nous sommes ravis de vous entendre.
Général Sylvain Noyau, chef de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et la santé publique. - Madame la Présidente, mesdames et messieurs les sénatrices et sénateurs, je vous remercie pour votre invitation. L'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et la santé publique (OCLAESP), office central interministériel de police judiciaire, a une compétence nationale. Parmi les nombreux contentieux que nous traitons, la lutte contre les trafics de déchets figure parmi nos premières priorités, plus particulièrement sous l'angle de la délinquance ou de la criminalité organisée. Nous ne délaissons pas pour autant le sujet des dépôts sauvages, ne serait-ce que pour appuyer les services de police et de gendarmerie dans leurs propres enquêtes. Il s'agit de sujets techniques, sur lesquels notre expertise est régulièrement requise. Je suis accompagné ici par le lieutenant-colonel Maud Cerclé-Fraval, de la Direction générale de la gendarmerie nationale, chargée notamment de tous les sujets liés aux élus, ainsi que par Jean-Luc Pujol, détaché par le ministère de l'Environnement auprès de l'OCLAESP, à mes côtés, en qualité de conseiller technique. Il maîtrise parfaitement les aspects liés aux pollutions pouvant résulter des décharges sauvages et le droit de l'environnement.
Pour la gendarmerie et pour l'OCLAESP, la question des dépôts sauvages de déchets est importante, pour au moins quatre raisons. En premier lieu, la gendarmerie a la responsabilité de la sécurité publique pour 96 % du territoire. Elle est donc directement impactée par ce fléau, en métropole comme en outremer. Ce sont des infractions face auxquelles les élus sont en première ligne. Le décès de monsieur Jean-Mathieu Michel, en août 2019, est malheureusement là pour nous le rappeler. Six élus ont dû déposer plainte en 2021, dans des unités de gendarmerie, après avoir été victimes de violences dans un contexte de dépôt de déchets sauvages. La gendarmerie s'est engagée à vos côtés, face à ce défi comme face à d'autres incivilités. C'est un des thèmes de l'opération #PrésentsPourLesÉlus que le DGGN a annoncée lors du Salon des maires de novembre 2021, avec pour objectifs la proximité, l'accompagnement et la redevabilité.
En troisième lieu, ces dépôts sauvages ont des conséquences évidentes sur l'état de la planète. Le DGGN a fait de la lutte contre ces atteintes à l'environnement l'un des champs prioritaires de son action en demandant un effort particulier à tous les gendarmes sur ce sujet, notamment dans la lutte contre les déchets illégaux, qui peuvent aussi avoir des impacts sur la santé humaine. Tout à l'heure était par exemple évoquée la question du dépôt de déchets d'amiante.
Enfin, derrière ces déchets sauvages peuvent se cacher des faits de délinquance organisée, sur le modèle du réseau qui a été surnommé « la mafia des déchets », jugée en décembre dernier à Draguignan pour avoir déversé des centaines de milliers de tonnes de gravats en pleine nature, dans le Var et dans les Alpes-Maritimes.
Il est difficile d'estimer, au niveau national, ce que représentent exactement ces dépôts de déchets sauvages. L'association Gestes Propres annonce un million de tonnes de déchets abandonnés chaque année en France, ce qui représente l'équivalent de cent tours Eiffel.
Près d'un maire sur deux considère aujourd'hui que ce phénomène est en aggravation. D'après le questionnaire qui a été transmis aux élus pour identifier leurs besoins, il s'agit de leur deuxième sujet prioritaire. Le nombre d'infractions liées aux dépôts de déchets sauvages constatés par la gendarmerie a augmenté de 85 % entre 2017 et 2021. C'est une préoccupation pour 90 % des collectivités territoriales si l'on en croit l'étude réalisée par l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie (ADEME), qui a dénombré près de 36 000 décharges à ciel ouvert sur le territoire.
Comme vous le savez, le sujet a été pris à bras-le-corps par les pouvoirs publics, notamment au travers des différentes dispositions de la loi anti-gaspillage et pour une économie circulaire (AGEC) de février 2020.
Les principales causes de ces dépôts sauvages sont connues et ont été évoquées : elles résident dans l'incivisme des particuliers et des artisans et entreprises, notamment pour éviter le coût de prise en charge de ces déchets en déchetterie. Une autre raison est liée à la production de déchets, qui augmente depuis plusieurs années. Ceux-ci sont moins compostables pour les ménages et demeurent plus visibles. Je pense notamment aux déchets en plastique. Il faut enfin citer, parfois, l'absence de sanctions : si celles-ci sont prévues par la loi et semblent suffisamment sévères, après avoir été renforcées par la loi AGEC, leur application reste rare dans les faits, en raison de l'identification difficile des auteurs. La rédaction des procès-verbaux est, en outre, souvent difficile pour les policiers municipaux du fait de la complexité de la réglementation.
Des solutions ont été identifiées pour lutter contre le phénomène. Un certain nombre d'entre elles ont été évoqués et je n'y reviendrai pas. La loi AGEC en a prévu certaines. Je pense notamment à la sensibilisation de nos concitoyens et des producteurs de déchets. La loi visait initialement pour janvier 2022, objectif qui serait reporté en janvier 2023, la multiplication des points de collecte, avec une reprise gratuite des déchets qui seraient triés. De nouvelles prérogatives ont été données aux maires afin de faciliter l'identification des auteurs. Les sanctions, administratives et pénales, ont aussi été alourdies comme je l'ai indiqué.
Une autre solution réside dans la création de brigades de l'environnement, qui doivent contribuer à la lutte contre les décharges sauvages à travers leur travail de proximité et de pédagogie, de même qu'à travers la recherche des auteurs et leur présentation devant les magistrats, afin d'éviter l'effet « boule de neige » souligné à juste titre.
D'autres solutions résident certainement dans l'amélioration de la traçabilité des déchets (pour retrouver les auteurs) et dans la simplification du corpus législatif. Celui-ci ne compte pas moins de 200 infractions en matière de déchets, ce qui a parfois pour effet de rebuter les enquêteurs, voire les magistrats et de générer des erreurs de procédure.
La gendarmerie se mobilise à trois niveaux. L'effort qui a été demandé par le directeur général à tous les gendarmes dans la lutte contre les atteintes à l'environnement s'est concrétisé par la création, dès 2020, de l'OCLAESP, qui doit jouer un rôle moteur dans la lutte contre toutes les infractions environnementales, notamment celles liées aux déchets. Sept détachements de l'Office ont été créés au sein des territoires en 2020, ce qui nous permet d'agir au plus près du terrain et des acteurs. Deux autres détachements doivent être créés cette année.
Cet engagement renforcé va aussi se traduire par un plan « environnement » dont je vais présenter le projet dans quelques jours au directeur général. Il devrait s'articuler autour d'une trentaine de mesures qui s'imposeront à toutes les unités de gendarmerie. Ce plan rappellera que la lutte contre les infractions liées aux déchets doit partout s'imposer comme la première des priorités en matière environnementale. Il doit aussi, en interne, contribuer à structurer notre dispositif, en systématisant notre approche globale dans la lutte contre ce contentieux, pour gagner en efficacité. Il visera aussi le développement d'outils innovants pour être plus efficace. Je pense notamment à la plateforme de signalement des atteintes à l'environnement, qui vient d'être mise en ligne sur le portail internet de la gendarmerie, sur le modèle de celle déjà proposée par France Nature Environnement ou de l'application « Stop Décharges Sauvages ».
Le deuxième axe d'effort est la mobilisation de la gendarmerie aux côtés des élus, afin que nous apportions ensemble une réponse coordonnée. C'est par exemple le sens du memento de l'environnement, diffusé le mois dernier aux élus, qui doit permettre d'aboutir à des réponses rapides et adaptées, par une connaissance plus précise de la réglementation, des prérogatives des différents acteurs impliqués et des actes à réaliser dans le cadre des investigations. Pour aller plus loin, nous serons à la disposition des élus afin de former et conseiller ceux qui sont en première ligne, c'est-à-dire qui mettent en oeuvre les procédures ou dressent les procès-verbaux. Je pense aux maires et aux élus municipaux. Nous pouvons les former au relevé des infractions et au recueil d'éléments de preuves qui permettront d'impliquer les auteurs. Des formations existent déjà. Le département du Var a par exemple formé l'an dernier 46 policiers municipaux et a prévu d'en former plus de 130 cette année.
Il s'agit aussi d'accompagner les élus dans la gestion des incivilités et de les protéger contre les violences. C'est tout le sens de la formation à la gestion des incivilités, dispensée aux élus qui en expriment le souhait. Plus de 16 000 d'entre eux ont été formés en 2021 par la gendarmerie.
Enfin, la gendarmerie intervient au travers des Opérations Territoire Propre (OTP), dont les premières ont vu le jour en 2020, avant d'être ralenties durant plusieurs mois du fait de la pandémie. Elles ont été réactivées début 2021. Ce sont des manoeuvres coordonnées, généralement au niveau des régions ou des groupements. Elles visent à multiplier, généralement durant une période d'une à deux semaines, avec tous les partenaires concernés sur les territoires, des actions de contrôle renforcé sur les sites de production, de transit et de stockage de déchets, y compris sur les sites illégaux. Nous travaillons également sur les flux, principalement les flux routiers. Leur but est de détecter et sanctionner les entreprises et particuliers qui seraient en infraction, notamment en matière de dépôt de déchets de tous types, et de conduire parallèlement des actions de formation, d'information et de prévention. Les autorités judiciaires administratives, les services partenaires et les élus y sont en principe étroitement associés. Les deux dernières opérations conduites l'ont été fin novembre 2021, en zone de défense ouest et en région PACA. Dans le premier cas, 121 sites ont été contrôlés et 92 infractions à l'environnement ont été relevées. En PACA, 300 contrôles ont été réalisés, ce qui a donné lieu au constat de près de 120 infractions.
Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci beaucoup, Général, pour cette présentation. Je suis frappée par l'augmentation du nombre de délits, alors que parallèlement se développe l'action des collectivités en matière de collecte des déchets. La situation s'est beaucoup dégradée mais, dans le même temps, s'affirme une sensibilisation de nos concitoyens à des comportements plus écologiques ou plus durables, et une tendance à la diminution des emballages. Peut-être pouvons-nous imaginer que cette prise de conscience et l'appropriation de ces nouveaux comportements induiront une diminution de ce type de délinquance.
M. Laurent Burgoa. - J'ai été particulièrement intéressé par la présentation qu'a faite le vice-président de l'Aisne. Nous voyons bien le dynamisme qui anime les élus et le parquet. Nos élus sont cependant confrontés à une difficulté : le dispositif présenté concerne avant tout des terrains communaux. Or, des décharges sauvages se trouvent aussi sur des terrains privés. Comment pouvez-vous inciter les propriétaires privés à agir contre les dépôts sauvages ? À proximité des autoroutes, notamment, se trouvent parfois des terrains qui appartiennent à des délégataires et de nombreux dépôts de déchets sont effectués dans ces zones. C'est le cas notamment dans le département du Gard. Nos maires sont alors, trop souvent, démunis. Comment l'État peut-il agir de ce point de vue ?
Les garde-champêtres ont été cités. Je crois aussi que les chasseurs, à travers leur présence, peuvent éviter divers dépôts sauvages. Un bon partenariat entre eux et les communes peut à mon avis éviter divers dépôts sauvages.
M. Antoine Lefèvre. - Merci à nos intervenants. De nombreux exemples ont été cités et de nombreuses propositions, aussi concrètes que pertinentes, ont été évoquées. Je pense par exemple à la proposition de mise en place d'une amende délictuelle forfaitaire, qui me semble directement applicable. Je voudrais plutôt livrer une réflexion en vue de conforter notre arsenal juridique : il s'agirait de créer une infraction caractérisée en cas de dépôt et de violence contre un élu. Elle pourrait s'insérer dans le code pénal, le code de l'environnement ou le code des collectivités territoriales. Le phénomène a pris de l'ampleur et le justifierait, à mon avis, afin de protéger les élus. Parmi les exemples cités, plusieurs solutions techniques ont été mentionnées. La vidéo-verbalisation et l'utilisation de drones peuvent entrer dans ce cadre. J'en profite pour signaler la présentation du rapport que je présenterai jeudi prochain, avec mes collègues Anne-Catherine Loisier et Jean-Yves Roux sur la question des solutions technologiques au service de la protection des populations.
M. Fabien Kees, maire de Dannemois (Essonne). - Il n'y a pas de difficulté particulière en ce qui concerne les terrains privés : le constat du dépôt sauvage et l'enquête seront faits de la même manière, que le terrain soit privé ou public. Souvent, une réticence s'exprime au moment de déposer plainte. Des élus ou des particuliers craignent d'être, par la suite, ciblés ou victimes de représailles. Néanmoins, la constatation d'une infraction se fait d'elle-même et le parquet peut engager des poursuites sans qu'il y ait une plainte. Les matières, telles que le droit de la presse, où un dépôt de plainte préalable est indispensable, sont très rares. Il faut, en revanche, chiffrer le préjudice, de manière à le réclamer pour dimensionner les mesures alternatives, de même que dans le cadre d'une constitution de partie civile ou encore pour l'émission d'un titre de recettes (même si cette procédure est complexe). Le plus simple est de se porter partie civile, auquel cas le chiffrage du préjudice est indispensable.
La protection des élus existe déjà dans l'arsenal législatif. C'est une circonstance qui aggrave la sanction. Doit-on l'articuler avec la question des dépôts sauvages ? Je pense que les deux poursuites peuvent avoir lieu parallèlement. Les parquets se montrent actuellement très sensibles à ce qu'une réponse soit apportée aux agressions, physiques ou verbales, à l'encontre des élus. Nous constatons une réponse systématique des parquets.
Mme Françoise Gatel, présidente. - Vous avez raison de le souligner. Suite à la loi « Engagement et proximité », deux circulaires ont été adressées par le Garde des Sceaux aux parquets afin que ceux-ci portent une attention particulière aux agressions à l'encontre des élus et aux plaintes qu'ils déposent. Nous voyons donc que les choses changent.
M. Fabien Kees, maire de Dannemois (Essonne). - Les associations de chasse sont parties prenantes, sur notre territoire, dans la lutte contre les dépôts sauvages. Il est essentiel de les associer à notre dispositif, au même titre que les associations de randonnée, qui nous permettent une localisation rapide de dépôts dans des lieux où nous ne sommes pas amenés à nous rendre fréquemment. Les chasseurs ont déjà évité des dépôts sauvages sur notre territoire.
Nous avions l'intention de mettre en place des garde-champêtres sur notre territoire mais cela présente un coût très élevé pour nos petites collectivités. Le fonds dédié à la petite délinquance pourrait peut-être débloquer des fonds pour ce type de dispositif, de même que pour la mise en place de moyens de vidéo-protection ou de police intercommunale. Nous avions déposé un dossier en ce sens, qui a été rejeté par la région.
Mme Françoise Gatel, présidente. - Il existe un fonds dédié à l'équipement des communes en matière de vidéo-protection. Il faut effectivement s'interroger quant à la capacité des communes à disposer d'un garde-champêtre et une police municipale. C'est à la fois une question de couverture géographique et de couverture en termes d'amplitude horaire. Un garde-champêtre a un certain temps de travail. Par ailleurs, lorsque des dépôts sauvages sont effectués dans des bois ou des lieux de cette nature, nous avions constaté, dans le cadre de l'élaboration de la loi « Engagement et proximité », que le garde-champêtre avait, jusqu'à l'adoption de ce texte, un territoire d'intervention limité au territoire communal, ce qui pouvait l'empêcher d'intervenir à quelques mètres près. La loi a permis qu'à la demande de tout ou partie des communes d'une intercommunalité, celle-ci puisse créer des postes de garde-champêtres mutualisés, sous l'autorité du maire. Le pouvoir de police reste celui du maire. J'invite les communes à réfléchir, au sein de leur intercommunalité, à des solutions de cette nature, qui s'avèrent efficaces en termes de couverture du temps de travail des agents concernés de même qu'en termes de capacité de financement.
Général Sylvain Noyau, chef de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et la santé publique. - Nous constatons en effet l'augmentation des dépôts sauvages. M. Vignon soulignait qu'au sein de la communauté d'agglomération de Saint-Quentin, leur nombre était passé en un an de 46 à 153. Comme je l'ai indiqué, la gendarmerie s'engage de manière très forte sur tous ces sujets environnementaux et cette priorité est portée au plus haut niveau, par le directeur général de la gendarmerie nationale. L'évènement dramatique de Signe, en août 2019, a été un révélateur et nous a certainement conduits à nous engager davantage que par le passé aux côtés des élus, ce qui contribue aussi à cette forte augmentation des infractions constatées. Il faut par ailleurs souligner l'augmentation de la gravité des infractions constatées. Jusqu'en 2017, 70 % de celles-ci étaient des infractions de 1ère, 2ème ou 3ème classe. Ces catégories d'infractions ne représentent plus, aujourd'hui, que 5 % des infractions constatées.
Je ne peux que souscrire au principe d'association des chasseurs à la détection et à la lutte contre les dépôts sauvages. Une des solutions réside dans l'approche globale, en associant le plus grand nombre de partenaires. De plus en plus, dans certains départements, des patrouilles sont menées conjointement par la gendarmerie, l'ONF et la police municipale afin de traquer les dépôts sauvages et lutter contre ceux-ci. Si nous pouvons associer tous les usagers des espaces naturels à la lutte contre ce fléau, nous ne pourrons qu'y gagner. Une convention a par exemple été passée par le groupement de gendarmerie de la Meuse avec l'association des communautés de communes et des communautés d'agglomération de la Meuse. Baptisée « Veille Nature », elle vise à resserrer le contact entre les chasseurs, les élus et les usagers des espaces naturels, favoriser le partage d'informations, développer les actions de prévention et diffuser une somme d'actes réflexes.
L'action sur les dépôts sauvages se trouvant sur des terrains privés constitue l'un des objectifs des « Opérations Territoire Propre » que j'évoquais. Celles-ci sont planifiées. En phase préparatoire, la gendarmerie identifie les points durs des zones concernées et travaille en amont. Durant la semaine de l'opération, nous allons contrôler les sites avec tous les services (gendarmeries, élus, services des préfectures) de façon à additionner leurs prérogatives et se montrer plus efficace.
Je suis favorable à la proposition d'amende forfaitaire délictuelle dès lors que ce serait un vecteur de simplification des procédures.
M. Charles Guéné. - Je voudrais évoquer, pour y avoir été confronté sur le terrain en tant qu'élu, le rôle que peuvent jouer les déchetteries. Quel lien établissez-vous entre leur présence, et la qualité de leur accueil, et la lutte contre les dépôts sauvages ?
M. Fabien Kees, maire de Dannemois (Essonne). - C'est une très bonne question. Nous avons plusieurs déchetteries sur notre territoire et elles constituent des alliés précieux pour la lutte contre les dépôts sauvages. Souvent, toutefois, les professionnels du bâtiment facturent l'élimination des déchets à l'ordonnateur des travaux. Il faudrait qu'avant facturation aux particuliers, les professionnels puissent donner la preuve du dépôt des déchets en déchetterie. Les déchetteries auraient, à cet égard, un rôle majeur à jouer. Nous travaillions auparavant au tonnage et travaillons désormais au forfait, ce qui a sensiblement amélioré la situation. Obliger le professionnel à présenter au commanditaire des travaux une preuve de dépôt permettrait d'aller plus loin de façon assez efficace.
Mme Françoise Gatel, présidente. - Je constate un acquiescement à cette suggestion. La situation est tout de même assez scandaleuse lorsqu'un client paie pour une prestation d'enlèvement des gravats et que le professionnel évite, pour un petit profit, de se rendre à la déchetterie. Votre suggestion mérite sans doute d'être travaillée afin de s'assurer que celui qui a commandé un service n'a pas payé pour rien.
Je vous remercie très sincèrement pour votre participation à cette table ronde. Nous avons vu une illustration du continuum de sécurité qui est cher à notre collègue Rémy Pointereau. Une sorte de filet de sécurité et de coopération se tend autour des élus. Général, je vous remercie pour votre présence. Nous sommes toujours attachés à cette coopération efficace entre la gendarmerie et les collectivités. Nous ferons savoir votre existence à tous nos collègues, afin qu'ils n'hésitent pas à vous interpeller au plan territorial. Monsieur le vice-président, monsieur le maire, Général, ce fut un temps extrêmement riche.
Audition de M. David Lisnard, président de l'Association des maires de France.
Mme Françoise Gatel, présidente. - Je salue en notre nom à tous le nouveau président de l'Association des Maires de France, David Lisnard, pour sa première audition devant notre Délégation. J'ai eu le plaisir d'échanger à deux reprises avec lui, une fois au titre de la présidence de la délégation et la semaine dernière avec notre collègue Mathieu Darnaud pour faire un point sur le texte 3DS dont nous aurons l'occasion de reparler. Je vous salue très chaleureusement, cher David. L'Association des Maires de France est un vieux compagnon de route du Sénat, car nous représentons les territoires et sommes très souvent des élus locaux ayant eu des responsabilités en matière d'exécutif. Au sein de Territoires Unis, l'Association des Maires de France joue un rôle majeur et le Sénat est très attentif à ses préoccupations.
Je vous soumets, monsieur le Président, quelques sujets, même s'il y a naturellement ici une grande liberté d'échanges. Nous serions heureux d'entendre le point de vue de l'Association des Maires de France sur le projet de loi 3DS. Il existe une distance plus que sanitaire entre le point de vue de l'Assemblée nationale et celui du Sénat, mais nous travaillons avec ardeur afin de permettre, si cela est possible sans compromission, un rapprochement des points de vue.
Un sujet d'actualité a trait aux agressions d'élus. Constatez-vous que les dispositions qui ont été prises, visant une plus forte implication des parquets, favorisent une prise en compte plus systématique de ces situations et de leur gravité ? Comment appréciez-vous cette évolution ?
Enfin, nous constatons une difficulté de l'engagement citoyen. Nous avions travaillé, à travers le texte « Engagement et proximité », sur une facilitation de l'engagement des élus par des réponses pratiques. Pensez-vous que nous sommes allés assez loin, eu égard notamment à la difficulté d'instauration d'un statut de l'élu, qui n'est pas dans la culture de notre pays ?
Nous avons eu l'occasion d'échanger avec l'AMF sur la parité dans les exécutifs locaux, puisque la loi « Engagement et proximité » obligeait le Parlement d'avancer sur ce sujet. Il en découle plusieurs interrogations, par exemple quant à l'élargissement des scrutins de liste.
Citons enfin un sujet d'actualité forte, à savoir la question des parrainages des candidats à l'élection présidentielle. Je trouve un peu désagréable, pour ma part, que l'on fasse porter aux maires une responsabilité, voire une culpabilisation, qui me semble de mauvais aloi.
M. David Lisnard, président de l'AMF. - Merci madame la Présidente, chère Françoise. Je salue l'ensemble des sénatrices et sénateurs présents dans la salle ou à distance. Je vous remercie d'avoir validé ce format, en visioconférence, qui me semblait plus opportun dans le contexte actuel. Je suis particulièrement mobilisé aujourd'hui, dans ma commune, en raison du taux de suivi de la grève dans l'Éducation Nationale, que je n'avais jamais connu en vingt ans d'exercice d'un mandat municipal, ce qui pose de grandes difficultés pour organiser le service minimum, dans le contexte de crise sanitaire qui entraîne aussi un certain nombre d'absences. Nous sommes dans quelques impasses, dans de nombreuses villes de France, et notre commune n'est pas épargnée.
Je salue, plus largement, l'ensemble du travail réalisé par le Sénat. Il est vrai que nous travaillons la main dans la main et que le Président Larcher, comme les présidents de groupes et comme vous-même, Françoise, y veillez scrupuleusement. Il est heureux, dans le contexte de déconnexion des mandats de maire et de président d'exécutifs locaux, depuis la fin du cumul des mandats, que le Sénat joue son rôle, fort d'élus qui ont l'expérience des responsabilités locales, face à un mouvement global de recentralisation que nous constatons depuis des années.
Nous sommes à la fin d'un cycle électoral et le rôle de l'AMF est de plusieurs ordres. Dans le respect de son indépendance et de sa pluralité, qui est l'un des principes directeurs ayant guidé ma démarche, elle doit d'abord aider les maires à gérer le quotidien et l'immédiateté. Le projet de loi 3DS, les agressions dont sont victimes les élus et le psychodrame récurrent des parrainages s'inscrivent dans ce cadre.
Il s'agit aussi de proposer une vision plus globale de la liberté locale, de la subsidiarité et la décentralisation. Nous avons déjà évoqué ces aspects à titre personnel, mais c'est aussi une position très partagée au sein de l'AMF, de la gauche à la droite en passant par le centre : nous considérons que le principe de subsidiarité, pourtant inscrit dans la Constitution, n'est plus respecté et que la subsidiarité ne consiste pas seulement à obtenir un droit d'expérimentation - lequel démontre d'ailleurs la disparition du droit de décision, d'une façon générale. La subsidiarité suppose d'abord de faire reposer des solutions sur la société. Lorsque celle-ci et le secteur privé ne peuvent apporter des réponses satisfaisantes, cette responsabilité incombe alors au secteur public, au plus près de la réalité, en remontant ainsi, le cas échéant, vers l'échelon le plus large, jusqu'à l'État, dont nous sommes partenaires et qui doit être le garant de l'intérêt général. C'est aussi le « dernier assureur », en cas de crise grave, comme nous le voyons avec la pandémie.
Nous avons évoqué le projet de loi 3DS et je vous remercie pour votre écoute. Je remercie le Sénat pour son travail. Nous sommes dans un contexte un peu particulier et l'AMF espère que les avancées obtenues à la faveur de la préparation de ce texte de loi seront confirmées. Je relève, en tant qu'ancien attaché parlementaire, que le texte qui vous est revenu le 5 janvier, après le vote de l'Assemblée (le 21 juillet), comprenait, d'après ce que j'ai lu, 107 nouvelles dispositions, sur un total d'une cinquantaine de propositions au départ. Le Sénat, en lien avec Territoires Unis, avait élaboré ces 50 dispositions que nous soutenions en immense majorité. Le texte porte sur l'organisation des pouvoirs publics, notamment des pouvoirs publics locaux. Il devrait donc être l'apanage du Sénat, dans l'esprit de nos institutions. On peut s'étonner qu'il revienne en CMP avec 107 dispositions nouvelles, si ce chiffre est exact.
Mme Françoise Gatel, présidente. - Le chiffre est juste, monsieur le Président.
M. David Lisnard, président de l'AMF. - Ce chiffre ne peut manquer de nous interpeller, du point de vue de la possibilité de faire aboutir un tel volume de dispositions et au regard du respect ou l'irrespect du travail parlementaire qu'il manifeste.
Ce texte apporte néanmoins des avancées. J'ai évoqué le sujet il y a 48 heures encore avec Jacqueline Gourault, lors d'une réunion extrêmement positive. J'avais également évoqué le sujet avec madame Wargon (en particulier sous l'angle de la loi SRU) et avec monsieur le Premier ministre fin décembre. Dans un premier temps, au moment de la crise des Gilets Jaunes, le chef de l'État avait annoncé ce texte comme un nouvel acte fort de décentralisation. Ce n'est faire injure à personne que de constater finalement qu'il s'agit plutôt d'un texte d'ajustement, avec, selon les sujets, des améliorations ou des complications. C'est en tout cas un texte qui fait plutôt figure de voiture-balai, en fin de mandat, pour tenter d'améliorer un certain nombre de situations.
L'Association des Maires de France réaffirme le souhait de voir ouverte une grande réflexion, au cours des prochains mois, quel que soit l'exécutif, sur les libertés locales, sur la responsabilité locale, sur la fiscalité locale, en un mot sur la capacité de décider, de rendre des comptes et d'être évalué, voire sanctionné.
L'Association des Maires de France est parfaitement en phase avec les positions du Sénat, d'une façon générale, et avec les vôtres en particulier, pour l'avènement d'un nouvel acte de construction et de fonctionnement de l'intercommunalité qui n'apparaisse pas comme un détricotage, mais au contraire comme un progrès supplémentaire, dans cette construction. Je suis président d'une intercommunalité et très attaché au principe de celle-ci, qui permet, dans de nombreuses circonstances, de pallier un manque de moyens des mairies, pourvu qu'elle soit une véritable intercommunalité et non une supracommunalité. Il faut notamment qu'elle respecte, en vertu du principe de subsidiarité, le pouvoir décisionnel des mairies. En l'espèce, les positions prises par le Sénat me semblent les bonnes. Elles ont malheureusement été annulées par le gouvernement et l'Assemblée nationale. Nous sommes par exemple pour qu'il soit fait confiance, en matière d'eau et d'assainissement, à l'intelligence locale plutôt que de recourir au couperet de l'obligation et du transfert de compétences. Nous sommes également en faveur d'une plus forte reconnaissance de l'intérêt communautaire et pour que les transferts de compétences soient choisis et non subis. Nous sommes pour la souplesse en matière de contractualisation, ce qui plaide pour le conventionnement. Cela peut permettre à certaines communes de faire mieux, au plus près des habitants, que ce que des intercommunalités font parfois moins bien, avec plus d'éloignement. Je connais de nombreux exemples de maires qui, sur des sujets ayant trait à la voirie, à l'entretien ou à l'éclairage public, aimeraient retrouver des marges de manoeuvre et se heurtent à de grandes difficultés juridiques, y compris lorsqu'il existe une bonne volonté de l'intercommunalité.
Le texte, tel qu'il revient aujourd'hui en CMP, ne nous convient donc pas. Nous souhaitons que l'intérêt communautaire métropolitain soit beaucoup mieux reconnu et que des compétences à la carte puissent être reconnues. Nous estimons être arrivés à un niveau suffisant de maturité pour que les injonctions autoritaires sur des blocs de compétences ne soient plus de mise, sans détruire, naturellement, ce qui a été fait.
En ce qui concerne la loi 3DS, nous souhaitons qu'il soit pris acte des progrès obtenus. Nous avons été tendus par le gouvernement du point de vue du délai de réalisation de la conférence des schémas de cohérence territoriale (SCoT) à propos de l'objectif de zéro artificialisation nette (ZAN). Un sujet revient dans toutes les assemblées de maires, avec une préoccupation fort légitime des communes : celles-ci disent avoir pratiqué la sobriété foncière ces dernières années et connaissent souvent un regain démographique, en zone rurale ou en première périphérie des métropoles. Or, bien qu'ayant pratiqué la sobriété foncière, elles se verraient bloquées dans leurs projets de développement du fait de la mise en oeuvre de cet objectif de zéro artificialisation nette, dont nous comprenons naturellement le principe. Les secteurs qui ont le plus urbanisé disposeraient d'un droit d'urbaniser supplémentaire par rapport à ceux qui ne l'ont pas fait, pour dire les choses très simplement. Cela nous paraît extrêmement injuste et déraisonnable. C'est la raison pour laquelle nous sommes convenus avec la ministre, madame Wargon, de partir de l'autre côté. Il faut non seulement sanctuariser du foncier afin qu'il ne soit pas artificialisé (et prendre en compte la problématique des terres agricoles), mais nous devons aussi sanctuariser du foncier afin qu'une commune puisse réaliser ses projets de logements ou de construction d'écoles. Sans introduire de nouvelles dispositions dans la loi, un modus operandi doit être trouvé avec les préfets et sous-préfets d'arrondissement pour faire remonter les projets des communes et des intercommunalités en matière de développement.
L'AMF avait demandé un report d'un an, pour la conférence des SCoT comme pour l'actualisation des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET). Nous sommes convenus de repousser l'échéance du 22 février au 22 octobre 2022, ce qui repoussera d'autant l'élaboration des SRADDET, dont le délai d'élaboration sera tout de même très serré, sachant qu'il a parfois fallu vingt ans pour élaborer des SCoT, avec souvent des enjeux de concurrence entre collectivités. Ce délai paraît en tout cas moins irréaliste que celui proposé initialement.
S'agissant des commissions départementales de préservations des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF), nous pensons que la proposition doit être mieux équilibrée, c'est-à-dire qu'il y ait davantage d'élus. Je reçois de nombreux témoignages d'élus un peu noyés dans ces commissions, alors même que celles-ci vont avoir un rôle important à jouer vis-à-vis de l'objectif de zéro artificialisation nette et en matière d'aménagement et d'urbanisme.
Cela rejoint nos attentes vis-à-vis de la loi Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU). Je salue les travaux conduits au Sénat sur ce sujet. Comme vous le savez, la position des maires, au sein de l'AMF, n'est pas unanime sur ce sujet. J'interviens ici à propos du périmètre de ce texte, sans remettre en cause son principe. Grâce aux travaux que vous avez conduits, à ceux de l'AMF et à l'implication de la sénatrice Dominique Estrosi-Sassone, qui suit ce sujet avec beaucoup d'acuité et de compétence, des assouplissements ont été obtenus. J'ai obtenu oralement des engagements du Premier ministre et des ministres que j'ai rencontrés à ce sujet. Je n'ai aucune raison de douter de leur mise en oeuvre. Il faut cependant aller plus loin et veiller à ce que figurent effectivement dans le texte, si vous parvenez à un accord en CMP, les assouplissements requis pour tenir compte des singularités locales. Je pense par exemple à la prise en compte de la problématique de recul du trait de côte. Les zones d'aléas, de zéro à trente ans, ont été votées. Il faut aller jusqu'à cent ans. On ne peut envisager de s'engager dans la réalisation de logements sociaux pour trente ans. Le temps d'urbanisme est le plus long en matière d'action publique et il serait raisonnable que les députés acceptent, en CMP, si le Sénat le propose, la prise en compte, pour les cas d'exemption liés au recul du trait de côte, de zones d'aléa de zéro à cent ans.
De même, il nous semble important de supprimer l'automaticité des majorations de prélèvement pour les communes doublement carencées et la possibilité, pour l'État, de carencer les communes lorsque celles-ci respectent les engagements définis avec lui. Je parle ici des contrats de mixité sociale, auxquels le Sénat est attaché à juste titre, mais aussi des PLHi. Je suis maire de la commune qui se distingue par le taux le plus élevé de logements sociaux parmi les communes de plus de 20 000 habitants des Alpes-Maritimes. Nous en comptons plus de 17 % aujourd'hui, contre 12 % il y a quinze ans. Nous avons subi des inondations dramatiques, en 2015, qui ont donné lieu à une procédure « de porter à connaissance » de l'État, lequel bloque 70 % du foncier local. Le taux de logements sociaux a néanmoins augmenté, car les rares permis que j'ai délivrés ont visé cette destination. Je n'ai pas pu respecter, néanmoins, les objectifs en valeur absolue. Notre taux de logements sociaux est le plus élevé parmi les communes du littoral. D'autres communes du littoral, qui font des efforts (Nice, Antibes, Grasse), en sont loin. Nice se situe à 12 % et n'est pas carencée, alors que Cannes l'est. C'est une décision arbitraire et scandaleuse, que j'attaque au tribunal. Il nous semble que l'État local partage cette position, puisqu'il avait proposé l'absence de carence. Lorsqu'il existe un contrat, qu'il s'agisse d'un contrat de mixité sociale ou d'un Programme Local de l'Habitat intercommunal (PLHi) ? élaboré avec la participation active des Directions Départementales des Territoires (DDT) et validé par le préfet ? et que les termes du contrat sont scrupuleusement respectés, tant du point de vue qualitatif que quantitatif, nous ne comprenons pas que l'État sanctionne l'autre partie signataire. Cela ne doit plus se produire. C'est un point essentiel.
Il existait des points de divergence avec le Sénat, notamment la disposition « loi SRU inversée». Nous espérons que cette disposition (l'interdiction de Prêt Locatif Aidé d'Intégration (PLAI) dès lors qu'il y a au moins 40 % de logements sociaux) ne reviendra pas en CMP. Nous sommes pour la liberté - et la responsabilité - communale dans les deux sens.
Un point important portait sur l'élargissement de la taxe gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI) à d'autres opérations. Nous sommes totalement hostiles à cette disposition, qui se traduirait à terme par une sorte de transfert de compétences de l'État vers les communes. La taxe GEMAPI ne suffit déjà pas à abonder, dans un certain nombre de localités, les dispositifs de lutte contre les inondations. Permettre d'affecter cette taxe à d'autres opérations que son périmètre actuel, notamment au recul du trait de côte, ne répondrait pas aux besoins financiers existants. Une telle décision amorcerait aussi l'engrenage d'un transfert de compétences majeur de l'État vers les communes, qui n'ont aucunement la possibilité de gérer le recul du trait de côte. Cette question relève de la politique d'aménagement du territoire à plus grande échelle.
S'agissant de la protection des zones de captage d'eau, la rédaction proposée par l'Assemblée nationale nous convient mieux que celle du Sénat.
En ce qui concerne les éoliennes, nous souhaitons que le droit commun puisse s'appliquer, c'est-à-dire que les maires puissent s'opposer, comme le veut le Sénat, à une implantation d'éoliennes et qu'il existe un droit de veto, via l'obligation d'obtention d'un avis conforme des maires au lieu d'une simple consultation, qui n'aurait aucune portée administrative. Les zones de développement de l'éolien (ZDE) instaurées par l'article 90 du Grenelle 2 de l'environnement nous semblaient bien mieux adaptées à l'installation des éoliennes dès lors qu'elles prévoyaient une délibération locale. Aujourd'hui, il existe des situations ubuesques dans lesquelles l'architecte des bâtiments de France (ABF) interdit l'installation de panneaux solaires sur un bâtiment communal, pour des raisons liées aux enjeux paysagers, alors que parallèlement, le maire ne peut s'opposer à l'installation d'une éolienne à quelques mètres de ce bâtiment communal.
Un article que nous n'avions pas vu initialement nous pose problème. Il s'agit de l'article 62, relatif à l'alignement des arbres. Il suscite une totale incompréhension de la part des maires, dans la mesure où ceux-ci seraient privés du pouvoir décisionnel et du pouvoir d'information concernant le coupage d'arbres le long des voies de communication. Cet article répond à une intention louable, puisqu'il doit remplir un vide juridique. Le pouvoir serait cependant donné aux préfets et l'abattage d'arbres, y compris remarquables, le long de voies de circulation, fait souvent l'objet de pressions d'opérateurs de divers réseaux. Il est beaucoup plus facile pour ces derniers d'obtenir gain de cause vis-à-vis d'un préfet que vis-à-vis d'un maire. Ce point nous semble donc poser problème.
En matière de santé, nous déplorons de ne pas être entendus par le gouvernement. Les maires demandent que soient rétablis des Conseils d'administration des hôpitaux (qu'ils présideraient), au lieu des Conseils de surveillance. Quant à la gouvernance des Agences Régionales de Santé (ARS), au-delà des régions, nous souhaitons que les mairies y soient associées.
Il faudra qu'au cours des prochaines années, un grand texte soit pris car nous sommes confrontés à une crise civique majeure, qui se traduit par la violence des expressions, vis-à-vis des élus, sur les réseaux sociaux ou dans la rue. Elle se traduit aussi par l'abstention et par le malaise démocratique que chacun peut constater. Pour y répondre, nous aurons besoin de retrouver une dynamique locale, une liberté locale, une responsabilité locale. Il nous faudra aussi apporter davantage de performance publique et donner davantage de sens à l'action publique.
Cela me conduit au sujet des agressions d'élus. L'AMF a tiré la sonnette d'alarme avant tout le monde sur cette question malheureusement d'une grande acuité. Nous voyons de plus en plus de maires ou d'adjoints au maire agressés, sur les réseaux sociaux mais aussi verbalement et physiquement, jusqu'à l'horreur du décès de notre collègue Jean-Mathieu Michel, en 2019, alors qu'il intervenait sur un acte d'incivilité infractionnelle. Des agressions ont aussi lieu contre les parlementaires. Nous avons vu les images abominables de ce député de Saint-Pierre et Miquelon. Il y a une différence de nature, mais non une différence de gravité, entre les agressions dont sont victimes les maires et les parlementaires. Dans les deux cas, les faits sont extrêmement graves. Ils révèlent une grave détérioration sociale et civique.
Je constate souvent dans mon mandat de maire que lorsque nous sommes menacés, c'est dans le cadre d'une action locale (intervention pour un problème de voisinage, parce qu'une personne a jeté un déchet dans la rue, fermeture d'un établissement bruyant...). Nous sommes alors face à des citoyens qui se comportent en consommateurs égoïstes de l'espace public et ne comprennent pas qu'un passe-droit ne leur soit pas accordé. Dans le cas des parlementaires, ces agressions découlent souvent d'oppositions politiques ou de réactions à des prises de position. La nature des faits est donc différente, même si la gravité est identique dans les deux cas.
Nous avons un peu de mal à évaluer de façon quantitative ces agressions. L'AMF avait lancé, sous l'impulsion de François Baroin, un observatoire de ces phénomènes, afin d'accompagner les élus. Nous recensons davantage de déclarations qu'auparavant, ce qui recoupe les données du ministère de l'Intérieur. Les élus osent-ils, davantage qu'avant, porter plainte ou déposer une main courante ? Je ne crois pas à ce biais statistique, au vu notamment de ce que je constate depuis vingt ans : la violence a réellement augmenté à l'égard des élus. Plusieurs avancées ont été obtenues, notamment la circulaire diffusée par le Garde des Sceaux aux parquetiers, que vous avez évoquée, qui doit garantir un traitement méticuleux de ces plaintes. Ce devrait être le cas lors de toute agression d'un citoyen, élu ou non. Nous voyons là resurgir le problème des moyens des magistrats. Selon les informations qui me reviennent, les parquetiers font des efforts. Des réunions sont organisées. Nous avons également mis en place avec la gendarmerie nationale et, plus récemment, avec la police nationale des formations des élus aux situations de crise. 15 000 maires et adjoints ont été formés, dont 14 000 avec la gendarmerie nationale. Des formateurs du Groupe d'intervention de la Gendarmerie nationale (GIGN) ont parfois été mis à contribution, sur le thème de la gestion des menaces et des situations de crise. Nous allons poursuivre ce travail et notamment le développer en zone police, où il s'avère un peu plus difficile à mettre en oeuvre. Je rencontre le directeur général de la police nationale dans quelques jours.
La loi « Engagement et proximité » comportait aussi des points positifs, comme le fait d'accorder aux maires la protection fonctionnelle. Nous souhaitons que celle-ci soit automatique. Il est très difficile, en Conseil municipal, de faire part d'une décision qui engage une dépense pour la protection fonctionnelle d'un élu. L'automaticité de ce dispositif éviterait des incompréhensions, voire des tensions.
Nous avions obtenu que les associations départementales de maires puissent se constituer partie civile. Je demande que l'AMF puisse également le faire, ce qui nécessiterait une évolution de l'article 2-19 du code de procédure pénale. Il serait heureux que le Sénat soutienne cette proposition. Cela permettrait, grâce au recours à des avocats spécialisés de rayonnement national, de veiller à ce que les procédures puissent prospérer, alors que les classements sans suite sont aujourd'hui trop nombreux. Cela permettrait aussi de médiatiser, lorsqu'il le faut, certaines actions, et alourdirait la sanction à l'encontre de l'auteur des faits, du fait de la possibilité d'une indemnisation supplémentaire. Le gouvernement a annoncé la mobilisation de moyens en faveur de la lutte contre la cybercriminalité. C'est une bonne mesure, car la cyberviolence est aussi très pénalisante, y compris sur le plan réputationnel.
Nous souhaitons que la mission annoncée lors du Congrès des maires et confiée à Hugues Berbain, Procureur général près de la Cour d'appel de Reims, aboutisse. Hugues Berbain avait déjà travaillé sur ces questions et doit constituer un groupe de travail. Je crois que son installation est en cours. J'en saurai davantage dans quelques jours puisque j'ai rendez-vous avec le Garde des Sceaux le 18 janvier.
En revanche, aucune suite n'a été donnée à la mission qui avait été confiée à l'ancienne maire de Reims et magistrate, Adeline Hazan. Elle avait été chargée par l'Inspection générale de la Justice de formuler, d'ici fin avril 2021, des propositions en vue d'améliorer les relations entre les élus locaux et la justice. Nous n'avons aucune information à ce sujet.
Comme vous le voyez, nous ne demandons aucun privilège. Nous sommes des habitants parmi les habitants et sommes parfois victimes de comportements de violence ou d'agressivité. C'est la raison pour laquelle le principe de coupe-file ne me paraît pas la bonne réponse. Ce ne serait qu'un pis-aller. Nous demandons que la singularité de l'agression visant des élus, parce qu'ils sont des élus, soit prise en compte et devienne une circonstance aggravante. Chacun doit comprendre qu'il s'agit d'une atteinte très grave à la République française.
S'agissant des conditions d'exercice des mandats et de la situation des élus, à titre personnel, je n'aime pas l'expression de statut des élus : nous exerçons un mandat, une mission. Il n'en demeure pas moins que de nombreux maires et adjoints au maire ont des difficultés pour exercer leur mandat, ce qui accentue la crise des vocations, faute d'une prise en compte suffisante des contraintes qu'impose l'exercice d'un mandat local, que ce soit vis-à-vis du monde de l'entreprise ou en cas de situation de retraite par exemple. Nous devons cependant trouver un autre terme que celui de statut. Nous sommes des habitants mandatés et non les titulaires d'un statut.
Des difficultés récurrentes se posent en matière de retraite, notamment pour la liquidation de retraite professionnelle des élus locaux, vis-à-vis de caisses telles que la Caisse de Retraite et de Santé au Travail (CARSAT). Un certain nombre de nos collègues sont avocats et les caisses de retraite intiment aux élus locaux souhaitant prendre leur retraite professionnelle de prendre en même temps leur retraite d'élu de l'Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'État et des collectivités publiques (Ircantec), ce qui ne nous paraît pas raisonnable. Cela n'incite pas à la poursuite d'un mandat élu, alors que les compétences de ces élus sont souvent précieuses. J'ai écrit un courrier à madame Gourault, le 21 décembre dernier, après qu'un agriculteur et une avocate m'ont fait part de l'injonction de liquider leurs droits à la retraite qu'ils avaient reçue, ce qui signifierait la cessation de leur mandat. Nous devons trouver des solutions avec le ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales et avec le ministère des Affaires sociales avant la future réforme des retraites, qui nous paraît incontournable.
En ce qui concerne les conditions sociales d'exercice des mandats locaux, outre les retraites, une meilleure prise en considération des heures d'exercice des mandats lorsqu'on est salarié est aussi à rechercher, d'après ce qui m'a été indiqué à plusieurs reprises.
Vous aviez évoqué la problématique des parrainages. J'ai donné hier dans Le Figaro une interview qui reprenait des éléments que j'avais déjà évoqués sur Europe 1 : on ne peut voir les maires pris, tous les cinq ans, dans ces polémiques. La théâtralisation de certains candidats est manifeste, de même que la victimisation de certains d'entre eux. Il y a une part de stratégie électorale dont nous ne sommes pas dupes. J'avais adressé, fin décembre, une note à tous les maires de France, par email, rappelant nos conditions de « parrainage », terme employé par commodité pour désigner ce qui est en réalité un droit de présentation à l'élection. J'y soulignais que celui-ci ne valait pas forcément soutien politique. Les maires de villes relativement importantes ou membres d'un parti estiment souvent que la loi actuelle convient très bien et que les élus doivent assumer leurs engagements. C'est la position majoritaire au sein du bureau de l'AMF.
Des maires de plus petites communes disent, sans partager les convictions de tel ou tel, qu'il leur semblerait anormal que ces candidats ne puissent se présenter. Ils déplorent cependant d'être systématiquement présentés, dans la presse locale, lorsqu'ils y apparaissent, comme le soutien du candidat qu'ils ont aidé à se présenter, car cela suscite l'incompréhension dans leur village. On ne peut agir sous la contrainte. L'anonymat n'était plus la règle depuis longtemps. C'est ce qui avait justifié l'évolution de 2016. Le Conseil Constitutionnel publiait 500 parrainages par candidat, ce qui surexposait les maires ou élus parrainant un candidat ne recevant que 520 ou 530 candidatures. Le Conseil Constitutionnel avait estimé que cela créait une sorte de rupture d'égalité et qu'il fallait supprimer l'anonymat. Nous sommes cependant face à une difficulté. Les trois candidats cités (Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen, Eric Zemmour) obtiendront probablement 500 parrainages et cela me paraît souhaitable. Je ne partage pas leur engagement mais je crois que, s'ils étaient empêchés de se présenter, cela délégitimerait l'élection. Nous n'avons pas besoin de cela dans le contexte actuel. La controverse doit s'exprimer dans le champ électoral et non dans la rue.
L'AMF est exaspérée d'être toujours prise en otage et que les maires soient pointés du doigt. 42 000 élus (dont les parlementaires, les conseillers départementaux et les conseillers régionaux) peuvent accorder leur parrainage. Il faut en trouver 500. Nous serions tout de même tous très embêtés si l'un des trois candidats que j'ai cités n'obtenait pas 500 parrainages. Le gouvernement s'est engagé, à l'occasion de l'examen d'une proposition de loi émanant de La France Insoumise, le 6 mai dernier, à consulter les partis politiques avant la fin de l'année afin de déterminer s'il fallait revoir la règle relative aux parrainages. Cela n'a pas été fait. J'ai repris quelques idées sur ce sujet. Pouvons-nous établir un dispositif mixte avec des parrainages citoyens ? Cela pose le problème du dénombrement des parrainages sur les outils numériques mais je doute qu'il soit insurmontable. Jacques Pélissat, pour qui j'ai une grande admiration, avait formulé en 2012 une proposition de double parrainage par élu, avec une sorte de parrainage de soutien complété par un parrainage dit républicain, ce qui dédramatiserait la démarche. Nous pourrions aussi envisager de rétablir l'anonymat, auquel cas l'aval du Conseil Constitutionnel serait requis.
Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci beaucoup monsieur le président, cher David. Je salue également toute l'équipe de l'AMF.
En ce qui concerne 3DS, je vous ai compris, oserai-je dire. Nos positons sont en phase et le Sénat a un seul souci, celui de l'efficacité de l'action publique. Nous devrions tous le partager.
Vous avez évoqué le rapport de madame Hazan, qui était maire de Reims et magistrate. Elle vient de faire valoir ses droits à la retraite. Madame Hazan a effectivement été chargée d'un rapport sur les relations entre élus et justice. La Délégation sénatoriale l'avait rencontrée et nous l'auditionnerons début février.
Je partage vos vues quant au statut des élus. La langue française est d'une grande richesse et nous sommes tous marris de ne pas trouver un mot plus juste. Nous avons vu que nous ne pouvions pas créer un statut de l'élu. Nous voyons aussi que des idées qui semblent excellentes, pour prévoir un filet de protection et favoriser le retour à l'emploi des élus, peuvent finalement s'avérer pénalisantes. Par exemple, lorsqu'un salarié d'une très petite entreprise souhaite s'engager, si l'on sécurise trop son retour à l'emploi, il ne sera jamais embauché. Il nous faut en tout cas améliorer les conditions d'engagement. Nous avions évoqué, lors de l'élaboration du texte « Engagement et proximité », la possibilité, pour le porteur d'un engagement citoyen au sens large, au service de l'intérêt général (y compris s'il devient maire ou élu), d'une sorte de bonification de sa retraite générale, un peu comme cela se pratique aujourd'hui pour les pères et mères de famille. Je pense que cela doit faire partie de nos pistes de réflexion.
Nous partageons l'agacement que vous avez exprimé, à propos des parrainages, en constatant que l'on agite toujours autour des maires des peurs et des culpabilisations. On ne peut changer au mois de mars la règle que tous les candidats en puissance connaissent depuis longtemps. Certains candidats qui s'en indignent ont d'ailleurs bénéficié du nombre suffisant de parrainages lors de précédentes élections.
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Je voudrais rappeler que le travail réalisé sur la loi SRU, avec notre collègue Valérie Létard, s'est voulu pragmatique. Nous n'avons pas voulu faire de ce texte un totem ni un tabou. Nous nous sommes appuyées sur le rapport d'information que nous avions établi après des rencontres et déplacements sur le terrain, ainsi que sur un rapport de la Cour des Comptes rédigé par Philippe Dallier pour la commission des Finances et surtout la consultation de près de 400 maires, que nous avions effectuée en avril dernier. Cette consultation nous a montré que vingt ans après sa naissance, la loi SRU est jugée utile par une grande majorité de maires. Elle a contribué à la production de logements sociaux. Elle n'a pas atteint ses objectifs, en revanche, en termes de mixité sociale et son application reste particulièrement difficile. C'est la raison pour laquelle nous avons voulu l'assouplir de manière pragmatique, en tirant les leçons de cette expérience et en faisant d'abord confiance aux élus, tant la difficulté à atteindre les objectifs dépend de l'histoire de la commune et de son urbanisme, indépendamment des couleurs politiques.
Nous avons articulé nos travaux autour de trois axes, à commencer par la confiance dans l'échelon local, autour du couple maire-préfet, via le contrat de mixité sociale. On ne veut pas que ce qui est décidé au niveau local soit remis en question au niveau national. Ce fut le cas dans notre département, dont le préfet a été désavoué par la commission nationale SRU. Nous avions supprimé l'avis de celle-ci mais il a été rétabli à l'Assemblée nationale. Nous serons très fermes sur ce point, car ce serait porter atteinte à cette relation de confiance que nous voulons voir se renforcer entre le maire et le préfet, qui constitue la porte d'entrée de l'action de l'État.
En matière de sanctions, le compte n'y est pas. Nous voulons que se noue une relation de dialogue partenarial, plutôt que la sanction et la mise sous tutelle. C'est donc une opposition au principe de quantum des sanctions financières « planchers » automatiques à l'encontre des maires, qui nous semble, de surcroît, poser des problèmes de constitutionnalité. Nous ne partageons pas la vision de la ministre du Logement. Nous souhaitons aussi que les sanctions financières constituent un outil pour atteindre les objectifs, à travers la prise en compte des charges induites des communes et du temps de réalisation des opérations. Nous avons vu, au fil des années, que plus les maires faisaient des efforts, plus ils étaient sanctionnés. Ils risquent donc d'être durablement découragés.
Enfin, nous nous sommes efforcés de favoriser la mixité sociale, par des mesures de lutte contre les ghettos, avec un plafond de logements sociaux dans les communes où ils sont déjà nombreux, car il ne faut pas ajouter de la pauvreté à la pauvreté. Nous avons souhaité une protection plus fine des résidences fragiles, en termes d'attribution des logements et rechercher une incitation à la construction des logements les plus sociaux là où il n'y en a pas assez. Peut-être est-ce sur ce dernier point que notre position diverge de celle de l'AMF. Nous estimons que le statu quo n'est guère envisageable au vu de la situation actuelle du point de vue de l'objectif de mixité sociale que poursuivait aussi la loi SRU. Nous avons jusqu'au 27 janvier pour tenter de trouver un accord en CMP.
Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci, Dominique, pour le travail que vous portez sur ce sujet. Il témoigne bien du pragmatisme qui anime le Sénat : nous ne sommes pas dans le symbole ni dans les postures. Nous souhaitons que les choses marchent. Le Sénat confirme, à travers le travail réalisé, son engagement dans le logement de manière pragmatique. La sanction financière et les sanctions pouvant aller jusqu'à la dépossession de l'autorité du maire, ne fonctionnent pas. La philosophie qui a inspiré les travaux que Dominique a conduits est la même que celle qui porte sur l'ensemble du texte : nous visons l'efficacité de l'action publique jusqu'au dernier kilomètre à partir du principe de subsidiarité. Nous pensons que les solutions se trouvent localement dans un cadre défini par la loi. La crise des Gilets Jaunes et la crise sanitaire le démontrent amplement. Osons donc faire confiance plutôt que d'interdire et d'obliger, y compris en matière de logement.
M. Rémy Pointereau. - Monsieur le Président, permettez-moi de réitérer mes félicitations pour votre élection et vous souhaiter pleine réussite dans vos nouvelles fonctions. Je souhaite vous interroger sur un sujet qui me paraît crucial pour nos communes rurales : le dispositif de revitalisation rurale, c'est-à-dire les ZRR.
Nous avons publié en 2019, avec Bernard Delcros et Frédérique Espagnac, un rapport sur l'avenir du dispositif, intitulé « sauvons nos ZRR », puisque celles-ci étaient menacées. Nous proposions une réforme des critères de classement afin de tenir compte de la diversité des territoires ruraux et revitaliser le dispositif, en renforçant son effet levier. Cette réforme aurait eu pour effet de conserver, comme critère principal, la densité démographique (constante du dispositif depuis son origine) et d'y ajouter cinq critères optionnels :
· le déclin démographique ;
· le revenu par habitant ;
· un critère de dévitalisation, mesuré par l'évolution du nombre d'artisans, d'exploitations agricoles et de commerçants ;
· l'âge moyen de la population ;
· le nombre de logements vacants et de bâtiments d'exploitation vacants ou abandonnés (critère que nous avions proposé d'ajouter sur recommandation de l'AMF).
Nous avions prévu de définir trois niveaux de ZRR (1, 2 et 3), un peu sur le modèle des « groupes iso-ressources » (GIR), en fonction de la fragilité des territoires. C'est à mes yeux et à ceux d'un certain nombre de maires ruraux, un sujet prioritaire, car un certain nombre de communes ont été menacées de déclassement. Seules des prorogations ont été prononcées jusqu'à présent, de façon « palliative ». Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, vient de solliciter notre participation à une mission qui durerait un mois. J'ai décliné cette proposition car le moment ne me paraît pas opportun, à quelques semaines de l'élection présidentielle. Il paraît difficile, en outre, de bâtir un projet nouveau en un mois et demi, avec autour de la table des opposants aux ZRR, qui souhaitent que le montant affecté aux ZRR soit reversé dans les DETR, tandis que d'autres souhaitent l'abandon pur et simple de cette opération.
Le Sénat va prochainement décider de lancer une évaluation de cette réforme, avec la commission d'aménagement du territoire et la commission des finances. Comment allez-vous vous saisir de ce sujet ? Nous sommes naturellement à votre disposition si l'AMF décide de travailler sur cet outil, qui doit, à mon avis, se trouver au coeur des prochaines politiques publiques en faveur de la ruralité.
Cela permettrait de supprimer divers zonages non efficients au profit d'une seule opération, au regard de laquelle trois zonages seraient définis.
M. Charles Guéné. - Je souhaitais, monsieur le Président, vous faire part d'une conviction à propos de l'éolien : nous ne devons pas nous contenter de rendre obligatoire l'avis conforme du maire, car l'éolien porte loin. Il faut donner le droit d'opposition à l'intercommunalité, ce qui était le cas auparavant. Le lobby de l'éolien a bien compris que les maires étaient souvent otages de leur population, ce qui ne leur permet pas de s'y opposer. Il faut donner un droit d'opposition à l'intercommunalité pour éviter le saccage de nos territoires. Le soutien de l'AMF, sur ce point, sera indispensable.
Mme Françoise Gatel, présidente. - Le Président Lisnard a évoqué les zones de développement éolien, qui permettaient un travail construit et protégeaient les maires. C'était à mon avis un dispositif beaucoup plus pertinent que ce qui existe aujourd'hui. Il a malheureusement été supprimé.
M. Thierry Cozic. - Je souhaitais évoquer l'accompagnement financier des collectivités, notamment la DTER et la DSIL. Depuis la suppression de la taxe d'habitation, les communes doivent se réinventer pour financer leurs projets d'investissement. Elles dépendent en grande partie, notamment dans les communes rurales, de la DETR et de la DSIL. Une analyse de la consommation des crédits, au niveau national, montre que seuls 60 % de la DETR avaient été versés en 2020. Pour la DSIL, 14,3 % des crédits ont été décaissés. Les communes portent une partie de l'investissement public en France et nous sommes confrontés actuellement à une forte hausse conjoncturelle du prix des matières premières, alors que des appels d'offres sont en cours. Un certain nombre de collectivités doivent ainsi constater des surcoûts lors du dépouillement des appels d'offres, à tel point qu'un certain nombre de projets risquent d'être abandonnés, faute de financements complémentaires.
Comment l'AMF peut-elle se positionner vis-à-vis des collectivités et de l'État ? N'a-t-elle pas l'intention d'évoquer vis-à-vis de l'État la question des critères d'attribution de ces dotations ? Ceux-ci manifestent encore trop souvent un pouvoir discrétionnaire dans les mains des représentants de l'État au sein des départements. Un accompagnement paraît également souhaitable. La plupart des maires de petites communes rurales sont perdus lorsqu'ils souhaitent porter des projets d'investissement, notamment lorsqu'il s'agit de savoir à quelles dotations ils peuvent prétendre. Il existe une plateforme mise en place par l'État, « Aides-Territoire » ( Aides-territoires | Aides publiques pour les collectivités ?? (beta.gouv.fr)), très peu connue des élus locaux. L'État et l'AMF ne pourraient-ils travailler ensemble pour accompagner le déploiement de ce dispositif ?
Mme Sonia de La Provôté. - Ces derniers temps, on a mis en avant le couple maire-préfet. Sur le terrain, il existe en réalité le couple maire-département, maire-région et le bloc communal (commune et intercommunalité). Cette architecture crée de vraies difficultés d'organisation du dialogue avec des CTAP et diverses structures de concertation qui sont souvent de simples chambres d'enregistrement. Il faut introduire de la souplesse et de la codécision dans cette organisation. Le couple maire-préfet constitue un raccourci certes vendeur. Il met en valeur les préfets et l'État mais les interlocuteurs sont en fait beaucoup plus nombreux pour financer le projet, le faire advenir et aménager le territoire. S'y sont ajoutés le rôle des agents et celui de l'ANCT. Comment cette codécision pourrait-elle être mieux organisée à vos yeux ? Ne faut-il pas rechercher une vraie différenciation et une réorganisation de la déconcentration de l'État ? Ce devrait être l'objet de la loi 2DS pour une meilleure organisation territoriale de l'action publique.
Mme Françoise Gatel, présidente. - Comme vous le voyez, cher Président, les questions sont très nombreuses. Elles témoignent de l'intérêt que nos collègues portent à votre vision des enjeux qui nous rassemblent. Je ne sais pas néanmoins si vous aurez le temps de toutes les traiter.
M. David Lisnard, président de l'AMF. - Merci, chère Françoise. Je vous propose que nous fixions une date au cours des prochaines semaines ou des prochains mois afin de prolonger ces échanges, après la loi 3DS. Je serai à votre disposition tant qu'il le faut.
Monsieur Pointereau, vous évoquiez la ruralité et les ZRR. La ruralité est un terme que j'entends ressortir régulièrement, un peu comme de la verroterie préélectorale. C'est à celui qui parlera avec le plus de trémolos dans la voix de la brume sur les champs de la Beauce ou avec l'accent le plus prononcé du Sud-Ouest. De bonnes dispositions sont parfois prises mais on ajoute à chaque fois des flots d'acronymes, de plans, zonages divers et autres dispositifs qui donnent une bonne conscience politico-administrative. En réalité, la ruralité n'est pas prise en considération comme elle le devrait en termes d'aménagement du territoire. Il n'est d'ailleurs plus question de celui-ci. L'aménagement du territoire est à l'organisation territoriale ce que l'éducation est à l'individu, c'est-à-dire ce qui garantit l'égalité des chances. Il n'existe plus d'égalité des chances territoriale. C'est évidemment un thème essentiel.
Il ne s'agit pas seulement de préserver l'identité, de protéger des savoir-faire ni d'entretenir des terroirs, ce qui est déjà très noble et tout à fait nécessaire. La ruralité est porteuse d'avenir, car l'espace est une ressource et une chance, à condition qu'il soit doté de ce qui permet le développement. Le chemin de fer de notre époque est le très haut débit. On ne peut se développer sans école. La proximité n'est pas ringarde. Elle crée la responsabilité. On n'a pas trouvé mieux que la proximité pour être efficace. Ce n'est pas parce qu'un service public est éloigné qu'il est mieux géré. Je suis pour l'optimisation des services publics. Ce n'est pas synonyme de « gros machins ». Toutes les entreprises savent aujourd'hui que nous avons besoin de recréer des îlots de décision proches des consommateurs et des citoyens. Il n'y a que dans l'administration française qu'on voit dans la création de grands machins éloignés le nec plus ultra de la modernité. Toutes vos interrogations se rapportent d'ailleurs à cette préoccupation. La dernière intervention de Sonia de la Provôté me parle particulièrement. On parle de subsidiarité mais peu savent ce qu'elle est en réalité. Vous avez démontré que vous saviez ce que voulait dire ce principe.
Cher premier Vice-président Pointereau, je suis très attaché aux ZRR et la position que vous avez exprimée est celle de l'AMF. Nous l'avions affirmée dès la conception de l'agenda rural. Nous avions dit que celui-ci comportait des choses intéressantes mais qu'il s'agissait surtout d'un habillage cosmétique, voire marketing, de dispositifs qui existaient déjà. Au passage, on fait toujours un peu plus payer les intercommunalités et les communes pour des services qui étaient, auparavant, du ressort exclusif de l'État. Ce sont souvent des transferts non avoués. Nous pensons qu'il faut revitaliser les ZRR, position qui a été réaffirmée lors du Congrès des Maires de France et régulièrement réaffirmée par l'AMF. Une mission est en train d'être confiée à certains de nos collègues maires, dans l'esprit que vous avez indiqué, en vue de revitaliser les ZRR, concentrer les moyens sur les actions les plus efficaces, disposer d'un zonage plus pertinent et moins pléthorique, car cela crée de la bureaucratie et de l'opacité. Nous reviendrons vers vous pour travailler ensemble à cette démarche.
Tu as raison, Charles, d'estimer que l'intercommunalité est évidemment concernée par l'éolien. Là aussi, appliquons la subsidiarité. Rendons d'abord au maire son pouvoir d'urbanisme et parlons ensuite d'intercommunalité. Cela doit se faire dans cet ordre. Il est vrai que des effets d'aubaine peuvent exister. Cela dépend des départements et cela dépend souvent du niveau de délaissement et de pauvreté des secteurs concernés. Dans certains départements ruraux où existent encore une agriculture tonique et une capacité financière des communes, les maires sont beaucoup plus enclins à résister à des projets d'éoliennes disgracieuses. Certains territoires plus pauvres sont plus sensibles aux effets d'aubaine que peut induire l'accueil d'éoliennes, même si c'est une balafre abominable dans le paysage. Il ne s'agit pas d'être contre l'éolien. Celui-ci a une pertinence, à sa juste mesure. C'est un autre débat que je ne vais pas engager ici. Nous avons besoin d'énergies pilotables et décarbonées. L'éolien ne répond pas complètement à ce besoin.
Françoise Gatel a répondu avant moi mais il est vrai que j'ai volontairement cité dans mon intervention les ZDET (zones de développement de l'éolien terrestre), qui permettaient de mener une véritable démarche de concertation et de délibération locale.
Thierry Cozic a évoqué la problématique des dotations (DETR, DSIL, etc.), qui recouvre plusieurs sujets. Nous sommes en phase, là aussi, avec l'objectif que vous avez mis en exergue. Une question porte sur l'effectivité de l'attribution des crédits d'État. Un autre problème réside dans la clarté et l'objectivation de ces dotations. Un troisième sujet a trait à la capacité des collectivités, notamment des mairies, à s'inscrire dans les dispositifs d'aide.
Les chiffres que vous avez évoqués (le faible taux d'exécution, la différence entre les AP et les CP, entre les annonces et les réalisations) traduisent des constats que l'AMF a soulevés. L'AMF a lancé une démarche d'évaluation de l'affectation des crédits au travers de ces différentes dotations et a soulevé le lièvre de la très grande différence entre ce qui était inscrit dans les intentions budgétaires inscrits et la réalité des affectations. Pour certaines dotations, l'écart est de près de 15 %, de mémoire. J'avais rendez-vous hier avec le premier Président de la Cour des Comptes, monsieur Moscovici. Je ne crois pas trahir de secret en disant que nous allons encore renforcer, au cours des prochains mois, le lien qui existe entre la Cour des Comptes et l'AMF afin que celle-ci dispose de vrais indicateurs. L'AMF dispose, comme vous le savez, d'un Comité des finances locales que préside avec maestria mon camarade André Laignel. J'en suis vice-président depuis plusieurs années. L'Observatoire des finances locales a aussi été mis en place. Je pense que nous devons encore progresser dans cette évaluation des politiques publiques et de l'utilisation des dotations de l'État pour disposer de données incontestables, incontestées et rendre nos arguments imparables.
Un autre point porte sur les critères d'attribution. Nous ne pouvons plus faire l'économie d'une remise à plat complète et d'une refonte des indicateurs. Le sujet est complexe. De grands conflits vont éclater entre les collectivités mais j'en assume la responsabilité. Nous ne pouvons plus nous plaindre d'un manque de clarté et d'injustices sans vider l'abcès. Ce sera possible en période de croissance, s'il n'y a pas de perdants : nous ne pourrons, à mon avis, avancer sur cette question qu'à cette condition, ce qui renvoie à la faiblesse criante des comptes publics et des comptes de l'État. Si vous engagez une réforme en annonçant qu'elle fera des perdants, il sera difficile de susciter l'adhésion. Toutes les réformes peuvent être conduites pourvu de ménager des périodes de transition qui permettent de ne pas avoir de perdant. In fine, nous devrons en tout cas objectiver les critères. C'est un peu comme pour la fiscalité locale : nous sommes au bout du rafistolage et ne pouvons plus faire l'économie d'une réforme d'ampleur sur ce sujet également. Nous avons encore des DMTO importants mais, dans quelques mois, la situation risque de voler en éclats. Ce sera très violent. Une augmentation d'un point du taux directeur induit une dégradation budgétaire immédiate comprise entre 28 et 32 milliards d'euros. Les finances locales vont donc connaître une explosion. Ce n'est pas être catastrophiste que de le dire. Nous ne savons pas exactement quand cela va se produire mais cela va venir à mon avis beaucoup plus vite qu'on ne le croit. Nous reparlerons certainement, fin 2022, de dotations, de fiscalité locale, de comptes publics et de taux d'intérêt, a fortiori dans la spirale inflationniste dans laquelle nous nous trouvons.
En outre, les injustices qui découlent de l'application des critères d'attribution sont amplifiées par les mécanismes de compensation de la taxe d'habitation. La suppression ou la nationalisation de celle-ci s'est faite au détriment de certains territoires. Une question en découle, quant à la capacité des intercommunalités (notamment les communautés de communes et communes pauvres ou rurales) d'accéder aux politiques nationales. Je ne cesse d'affirmer qu'il faut cesser le recours systématique aux appels à projets ou aux appels à manifestation d'intérêt. C'est une forme de recentralisation extrêmement perverse et de retour à la tutelle, qui ne rendent éligibles, de facto, que les territoires disposant de l'ingénierie juridico-administrative. Cannes est une ville pauvre mais nous avons de grands services juridiques et financiers. Il y a une intercommunalité, nous avons des moyens. Nous savons bénéficier des effets d'aubaine et répondre aux AMI et appels à projets. Mais il est anormal que l'on ne retrouve pas le sens de la subsidiarité. Je ne parle pas seulement de l'État, car une autre tutelle s'est mise en place, celle des grands ensembles, notamment au travers des SRADDET et autres schémas qui s'imposent à nous. Il y a là aussi une forme de mise sous tutelle des communes, que l'AMF n'accepte plus. Ces dispositifs nous rendent tributaires, parfois, de considérations clientélistes. Je le sais, pour être élu de PACA.
Les initiatives doivent pouvoir partir des communes, des intercommunalités et des crédits de levier doivent ensuite provenir des plus grandes entités. C'est cela, la subsidiarité. 17 000 communes ont moins de 500 habitants en France. Souvent, les délais sont très courts pour répondre aux appels à projets. Le ou la secrétaire de mairie, qui travaille une journée ou une demi-journée dans la commune, vous appelle. L'AMF essaie d'apporter des solutions et un appui logistique mais ce n'est pas notre métier. Nous allons néanmoins le faire de plus en plus. Il y a là un vrai problème.
Je partage totalement la philosophie que vous avez exposée, madame de la Provôté. Nous utilisons tous l'expression de couple maire-préfet. Le fonctionnement de celui-ci dépend des préfets. Dans notre département, je m'entends bien avec le préfet. Force est néanmoins de constater que, dans la réalité des politiques publiques, il n'existe pas de couple maire-préfet. Le préfet prend des mesures, peut décider d'annulations qui ne me conviennent pas. J'apprends des dispositions dans la presse. Cela ne va pas. C'est un couple qui ne fonctionne pas bien : il y a l'amour mais il n'y a pas d'intérêt. Or les deux sont à mon avis nécessaires. Il arrive aussi que les deux soient marrons, lorsque le préfet lui-même apprend une décision par le Journal Officiel ou au travers d'une annonce dans les médias.
Vous posez la question essentielle de la déconcentration. La loi 3DS aurait au moins pu constituer un texte de déconcentration et de réorganisation des services déconcentrés de l'État. À titre personnel, même si cette position me semble assez largement partagée au sein de l'AMF, je suis pour la suppression des services et agences régionaux. Cela partait d'une bonne intention mais le retour d'expérience, en la matière, n'est pas bon. On ne peut avoir un préfet qui vous accompagne dans un projet d'aménagement, travailler sur celui-ci pendant un an, deux ans, puis voir ce projet remis en cause en raison d'un changement à la DREAL et d'une prise de position anonyme qui s'impose à vous. Le nombre de projets qui tombent à l'eau du fait d'avis non conformes (non motivés) de la DREAL est considérable. J'aurais plusieurs volumes d'exemples. Ce sont des situations ubuesques.
On veut, à travers le couple maire-préfet, redonner de la responsabilité et de la simplicité à l'échelon local, ce qui est une intention louable. Dans ce cas, pourquoi ne pas redonner aux préfets départementaux les agents et fonctionnaires environnementaux, sanitaires, etc. et les redistribuer au sein des départements ? Il y aurait eu là un acte de déconcentration qui aurait aussi obligé les préfets à rendre des comptes. La France a perdu, avec ce projet de loi 3DS, une occasion d'améliorer le fonctionnement de l'État dans son organisation déconcentrée.
Je répondrai avec plaisir aux questions que vous me transmettriez par écrit avant notre prochaine rencontre.
Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci beaucoup, monsieur le Président, de votre disponibilité, de la qualité et de la franchise de nos échanges. Je crois que nous partageons très largement le même esprit. J'ai entendu Gérard Larcher évoquer de façon extrêmement sérieuse le sujet des finances locales. Lui souhaiterait qu'à l'image du travail oecuménique que nous avons réalisé sur les 50 propositions, une réflexion soit conduite sur le financement des collectivités locales. En matière d'appels à projets, une unanimité se dessine. Même le gouvernement commence à reconnaître la justesse de ce que vous venez d'indiquer. Nous sommes en faveur d'une contractualisation entre l'État et les territoires à partir d'un projet de territoire porté par les collectivités.
Merci à tous et à très bientôt cher David.
M. David Lisnard, président de l'AMF. - N'oublions pas que l'AMF est la première association de maires ruraux de France.
Désignation de rapporteurs.
Mme Françoise Gatel, présidente. - Je vous propose de désigner des rapporteurs sur le sujet de la revitalisation des centres villes et centres bourgs, dans la continuité de la mission déjà conduite par Rémy Pointereau en 2017-2018. Nous sommes tous convenus que ce sujet était majeur. Le gouvernement a d'ailleurs lancé l'action « Coeurs de Ville » et « Petites Villes de Demain ».
Nous conduirions ce travail conjointement avec la Délégation sénatoriale aux entreprises et la mission de contrôle exercée par la commission de l'aménagement du territoire. Celle-ci va en effet conduire une action avec la commission des affaires économiques sur l'attractivité communale des zones rurales. Étant donné la confiance que nous pouvons faire à notre collègue, premier Vice-président, Rémy Pointereau, nous proposons de le reconduire à la tête de cette mission, en binôme avec Sonia de la Provôté.
Ces désignations sont approuvées à l'unanimité.
Nous avons présenté hier à la conférence des présidents le programme de travail que la Délégation a lancé.
L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée à 11 heures 35.