Mercredi 24 mars 2021
- Présidence de Mme Sophie Primas -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Audition de Mme Isabelle de Silva, présidente de l'Autorité de la concurrence
Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, je vous propose de commencer la réunion de notre commission. Ce matin, nous avons le plaisir de vous accueillir, madame Isabelle de Silva. Vous êtes depuis 2016 présidente de l'Autorité de la concurrence, autorité administrative indépendante au coeur des enjeux économiques. C'est la troisième fois, Madame la présidente, que nous vous recevons depuis votre désignation, signe de l'attachement que nous portons au rôle fondamental que joue votre institution dans le fonctionnement régulier du marché.
Nous avons la chance de disposer en France d'une Autorité de la concurrence aux pouvoirs étendus, qui inspire souvent par ses méthodes et son cadre d'analyse le droit européen de la concurrence et protège ainsi les consommateurs devant les risques liés aux concentrations, aux ententes et aux abus de position dominante.
Un des enjeux majeurs auquel est aujourd'hui confronté le droit de la concurrence est bien évidemment le numérique. Ce dernier bouleverse le cadre d'analyse de l'intensité concurrentielle sur un marché, puisqu'il se caractérise notamment par des rendements croissants et un rôle important joué par la gratuité et les données personnelles. En outre, je crois comprendre qu'il oblige à repenser certaines notions ou certains outils que vous utilisez dans vos analyses, comme la notion de marché pertinent.
Le numérique est un secteur qui se prête particulièrement à des pratiques anticoncurrentielles, notamment de la part des plateformes dites « structurantes », et d'abord des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). Ces acteurs bénéficient d'« effets de réseau » importants : plus ils comptent d'utilisateurs et plus ils gagnent en efficacité, ce qui incite les consommateurs à ne se tourner que vers ceux-ci. Cela constitue des barrières redoutables à l'entrée sur ces marchés. Se crée donc une forme de cercle vertueux pour elles, susceptible de se transformer en cercle vicieux pour les consommateurs, s'il est fait un abus de cette position dominante et que la concentration du marché rend captifs les entreprises et les consommateurs.
Ma première question concerne donc les moyens d'introduire davantage de concurrence dans un secteur qui semble tout faire pour la fuir : plutôt que le démantèlement parfois explicitement envisagé de ces plateformes, pourrait-il être envisagé de les obliger à partager les données avec de nouveaux entrants, pour les mettre sur un pied d'égalité ?
La Commission européenne a publié en décembre 2020 une proposition de règlement, le Digital Markets Act (DMA). Quels aspects de ce DMA en cours de négociation vous semblent les plus à même de rendre les marchés numériques plus contestables - plus ouverts - et équitables ? Surtout, la Commission et les autorités de la concurrence vous paraissent-elles suffisamment dimensionnées, en termes d'effectifs comme de compétences numériques, pour rendre pleinement effective cette future réglementation ?
Je souhaiterais également vous interroger sur les délais d'examen des cas qui vous sont soumis. Les longs délais d'instruction des opérations de concentration, ou des dossiers d'entente, s'ils sont rendus nécessaires par la complexité des dossiers sur lesquels vous vous penchez, n'en restent pas moins un handicap pour la sécurité juridique des entreprises et le bon fonctionnement des marchés. L'Autorité de la concurrence s'est engagée dans un processus de réduction de ces délais ces dernières années. Pourriez-vous nous indiquer les résultats de cette démarche, et les initiatives que vous comptez mettre en oeuvre pour continuer à les réduire ? Disposez-vous de moyens humains et techniques suffisants pour mener à bien ces efforts ?
Enfin, je ne saurais conclure sans vous interroger sur un sujet que nous avons suivi avec attention ces derniers mois : la concentration du marché des services à l'environnement en France, avec la fusion envisagée des deux majors français, voire internationaux, de l'eau et des déchets, Veolia et Suez. L'Autorité ne sera pas amenée à se prononcer sur cette opération, car il revient à la Commission européenne de l'autoriser, mais, de notre point de vue de parlementaires, c'est bien la concurrence en France que nous souhaitons sauvegarder.
En 2000, le Conseil de la Concurrence d'alors avait rendu un long avis sur le secteur français de l'eau, pointant du doigt une évolution haussière des prix, qu'il expliquait par « la structure trop concentrée du marché et les comportements des opérateurs ». Le Conseil avertissait en conclusion « qu'il appartient au Gouvernement de surveiller avec une attention particulière l'évolution de la concentration dans le secteur de l'eau potable ». Vingt ans après, la concentration s'est poursuivie, soutenant le développement de deux champions - dont l'un pourrait désormais absorber l'autre (du moins en partie).
Le Gouvernement, et plus largement les gouvernements successifs dans les dix dernières années après cet avis, ont-ils donc échoué à suivre les recommandations de l'Autorité de la concurrence ? La poursuite de la privatisation de ces activités a-t-elle été préjudiciable ? L'Autorité est-elle aujourd'hui inquiète pour l'accès des consommateurs français à une eau potable à juste prix ?
Voilà, Madame la présidente, les premières questions. Avant que nos collègues ne vous adressent les leurs, je vous cède la parole pour un propos liminaire.
Mme Isabelle de Silva, présidente de l'Autorité de la concurrence. - Merci beaucoup, Madame la présidente.
Je suis très heureuse de vous retrouver en mode physique pour ce moment d'échange important pour l'Autorité. Je vais d'abord vous dire ce que l'Autorité a fait au cours de la période écoulée, dans les différents domaines d'activité, et me concentrer ensuite sur l'action dans le domaine du numérique, avant de passer en revue les questions plus particulières soulevées par Mme la présidente.
C'est un moment important. Nous avons beaucoup d'auditions sur des points particuliers avec beaucoup d'entre vous, mais celle-ci permet de faire un tour d'horizon de l'action de l'Autorité. Nous sortons d'une année exceptionnelle, par les conditions de travail auxquelles nous avons pu faire face, et par le niveau d'activité très dense que nous avons souhaité maintenir, pour nos missions traditionnelles et pour traiter les conséquences spécifiques de la crise sanitaire. C'est ce que je vais présenter très brièvement, sans chercher une exhaustivité difficile à atteindre, pour susciter le débat et des questions de votre part.
Qu'a fait l'Autorité de la concurrence dans ses différentes missions, en laissant de côté pour le moment le numérique ?
Nous avons mis en place des moyens spécifiques liés à la crise de la covid, en créant une task force qui avait pour but de détecter des abus spécifiquement liés à cet événement extraordinaire, mais aussi pour présenter aux entreprises un guichet pour leur répondre lorsqu'elles se demandaient ce qu'elles pouvaient faire, en lien avec cette crise. Pour vous donner deux exemples de notre action dans ce cadre, nous sommes intervenus en urgence pour mettre un terme à des pratiques qui limitaient l'importation de respirateurs dans les Antilles. Un distributeur exclusif refusait d'en livrer dans leurs hôpitaux ; nous y avons remédié en quelques jours. C'était indispensable compte tenu de la crise sanitaire. Un autre exemple : les entreprises ont vécu une situation très difficile. Le syndicat des opticiens de France nous a saisis pour savoir comment ils pouvaient collectivement s'adresser à leur bailleur pour négocier des reports de paiement du bail des magasins d'optique. C'est un exemple d'une démarche plus tournée vers des réponses concrètes, dans cette période de bouleversements.
Nous avons par ailleurs essayé, en 2020 et 2021, de ne pas nous arrêter, de continuer notre fonctionnement à marche forcée. Nous l'avons fait dans les deux dimensions de notre pratique : tout d'abord, en matière de répression des pratiques anticoncurrentielles, il n'était pas question que la crise sanitaire interrompe cette mission importante et nous avons continué à instruire des dossiers importants, en faisant du télétravail et en nous adaptant. Deux exemples : nous avons rendu en mars 2020 la décision Apple, qui a abouti à la plus grosse sanction jamais prononcée par l'Autorité de la concurrence, contre les pratiques d'Apple qui restreignent la concurrence dans la distribution de ses produits. Ces pratiques conduisent à des conséquences négatives pour les distributeurs d'Apple et, pour les consommateurs, sur le prix des produits Apple. Un autre exemple : en avril 2020, nous avons pris en urgence une décision sur les droits voisins des éditeurs de presse, enjoignant à Google d'entrer en négociation pour appliquer la loi et la directive sur les droits voisins.
Nous avons également essayé de ne pas retarder les délais pour les concentrations économiques. Nous savons qu'elles répondent à une nécessité des entreprises, qui se restructurent et fusionnent. Le Gouvernement avait prévu de nous donner des délais supplémentaires comme à toutes les autorités administratives du fait de la crise sanitaire, mais nous avons mis un point d'honneur à ne pas les utiliser, afin de maintenir des délais rapides pour les entreprises ayant besoin de se restructurer. Je crois que cela a été fortement apprécié par les entreprises.
Nous avons pris l'année dernière une décision dans un autre domaine d'activité qui correspond à une priorité pour l'Autorité, celui de la santé. Nous avons sanctionné trois laboratoires pour des pratiques abusives concernant le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA). Nous avons considéré qu'ils s'étaient mis d'accord pour favoriser le traitement Lucentis, qui est extrêmement cher et constitue l'un des médicaments qui pèsent le plus lourd sur la Sécurité sociale, alors qu'une alternative quarante fois moins chère, l'Avastin, permettait aussi de traiter la DMLA.
Par ailleurs, nous continuons de nous intéresser de très près à la concurrence dans les territoires, notamment les plus fragiles comme l'outre-mer. Nous avons poursuivi sur ces problématiques en 2020, avec notre avis sur la Corse. Pour la première fois, il nous a conduits à mener une séance du collège délocalisée en Corse pendant deux journées entières. Nous y avons rencontré l'ensemble des acteurs économiques de l'île. Nous avons présenté d'assez nombreuses propositions au Gouvernement, qui portent sur des réformes structurelles sur des points particuliers : par exemple, comment traiter le problème des déchets en Corse ? Nous avons réfléchi à des outils nouveaux. Nous verrons ce que le Gouvernement en tirera. Cela a été un exercice intéressant puisque nous avons pu passer en revue des sujets très divers : le traitement des déchets, le prix des produits de grande consommation en Corse, la distribution pétrolière ou encore le transport maritime, qui était un sujet extrêmement important.
Dernier axe fort de notre action : nous voulons fortement développer la politique de conformité en aidant les entreprises avec des outils supplémentaires. Nous avions déjà publié un guide de bonnes pratiques concurrentielles pour les PME, en nous attachant à faire des messages très simples, et à ne pas être dans la subtilité juridique mais dire à un chef d'entreprise ce qu'il doit faire et ne pas faire. Nous allons continuer en ce sens. Nous avons piloté l'an dernier un groupe sur la conformité, avec des responsables juridiques d'entreprise, des avocats, des syndicats professionnels, afin d'examiner quelles sont les bonnes pratiques à diffuser dans les entreprises, mais également comment l'Autorité peut les aider à savoir ce qu'elles doivent faire. Une des réalisations concrètes consiste en une étude que nous avons menée sur les syndicats professionnels. Avec la directive ECN+ (directive (UE) 2019/1 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en oeuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur), ces syndicats vont risquer des sanctions beaucoup plus importantes qu'avant. Le plafond de 3 millions d'euros qui les concernait est supprimé, et désormais la sanction pourra atteindre 10 % du chiffre d'affaires mondial des entreprises membres de ces syndicats. Pour anticiper cette loi nouvelle qui va entrer en vigueur dès que la directive aura été transposée, dans les prochaines semaines, nous avons élaboré une check-list de toutes les pratiques dangereuses. Elle montrera concrètement à des membres de syndicats professionnels, qu'il s'agisse du Medef ou d'un syndicat très spécialisé, comment faire en sorte, quand les entreprises se réunissent, qu'elles n'échangent pas sur les prix ou qu'elles ne fassent pas de recommandations anticoncurrentielles.
Je veux dire un dernier mot sur le développement durable. C'est une priorité nouvelle. Nous avons décidé de cibler prioritairement les pratiques anticoncurrentielles qui mettent en cause le développement durable, par exemple lorsque des entreprises se mettent d'accord pour retarder des changements réglementaires ou ne pas aller vers le mieux-disant environnemental. Cela peut se passer dans le cadre d'un cartel. Nous entamons aussi une réflexion plus juridique et presque philosophique : y a-t-il des cas où la mise en commun des entreprises pourrait favoriser l'environnement et donc devrait être exemptée d'interdiction, de façon à leur permettre de se mettre ensemble sans risquer des amendes pour pratiques anticoncurrentielles ? C'est un point d'axe fort pour 2021. Nous échangeons sur ce sujet avec la Commission pour repenser un travail similaire dans le cadre du Green deal.
J'en viens au numérique, qui reste une priorité pour nous. L'année a été riche et nous a permis d'avancer, avec des décisions innovantes qui posent des pierres supplémentaires dans le débat sur les big techs et leur effet sur la concurrence. Je mentionne encore la décision sur Google et les droits voisins de l'année dernière. Elle me paraît essentielle et exemplaire de ce que nous souhaitons faire, c'est-à-dire intervenir à très brève échéance en cas de risque pour la concurrence. C'était en quatre mois pendant le confinement. Les éditeurs de presse étaient fortement inquiets sur le fait que les pratiques de Google puissent réduire à néant la portée de la directive et de la loi sur les droits voisins. Nous avons alors mobilisé l'outil des mesures conservatoires qui nous permet d'intervenir lorsque des éléments suffisants laissent penser qu'il y a un abus, sans forcément avoir à le démontrer comme dans une décision au fond. Cette décision a été ensuite confirmée par la cour d'appel. De même, nous avons rendu très récemment une décision de mesure conservatoire sur Apple et les mesures qu'elle entend mettre en oeuvre sur ses smartphones. Nous n'avons pas estimé, dans ce cas-là, qu'il y avait matière à prendre des mesures conservatoires. Il nous paraît toutefois important de pouvoir constater, en quelques mois ou quelques semaines, l'existence d'un risque pour la concurrence. Cela nécessite une forte mobilisation des équipes sur des sujets très complexes et techniques mais nous entendons continuer fortement dans cette direction, notamment pour répondre au problème des délais, souligné par la présidente.
Pour le numérique, des sujets conduisent à rénover nos outils d'analyse. L'un des exemples peut être de se fonder sur des dispositions jusque-là peu appliquées mais qui peuvent s'avérer pertinentes pour le domaine numérique. Je pense à l'abus de dépendance économique, qui figure dans notre droit depuis plusieurs années et constitue une particularité française qui n'existe pas dans les autres pays européens. Nous l'avons appliqué dans la décision Apple que je mentionnais tout à l'heure. Nous avons alors considéré que la façon dont Apple traitait les distributeurs, qui n'avaient aucune marge de manoeuvre, devaient parfois supplier pour obtenir des produits et avaient des revenus très restreints, constituait un abus de dépendance économique. C'est un exemple à droit constant. D'autres outils vont être mobilisés dans les prochains mois : je pense notamment au contrôle des concentrations, pour le renforcement duquel nous avons beaucoup milité. Cela n'a pas débouché dans le cadre de la loi française, mais une avancée très importante pour laquelle nous avions oeuvré s'est produite : la nouvelle approche de la Commission européenne concernant l'article 22 du règlement de 2004 - je rappelle que ce règlement régit tout le contrôle des concentrations au niveau européen. Désormais, grâce à cet outil de l'article 22, la Commission acceptera, comme nous l'avions proposé, de contrôler des opérations sous les seuils. Nous pourrons désormais renvoyer à la Commission pour examen certaines opérations non soumises à notification obligatoire mais qui peuvent avoir un enjeu concurrentiel fort. Cela vaudra pour le numérique et pour d'autres domaines sensibles, comme les biotechnologies, ou les domaines avec de forts enjeux d'innovation, comme le domaine médical.
Ensuite, grâce à la directive transposée par la loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne (DDADUE), nous disposerons de nouveaux outils que nous entendons utiliser pleinement. Tout d'abord, la saisine d'office en mesure conservatoire : ce sera très nouveau dans le droit français et cela nous permettra d'investiguer des sujets urgents, quand bien même les entreprises ne nous saisissent pas. L'application ne sera peut-être pas immédiate et large, mais c'est un outil important, y compris sur le plan dissuasif, car des entreprises hésitent encore à nous saisir, notamment contre des acteurs puissants comme les GAFAM. Elles ont peur de la rétorsion, et sont parfois dans une situation d'inégalité. Que l'Autorité puisse intervenir d'office nous paraît utile.
Autre domaine nouveau : l'injonction structurelle figurera expressément dans la loi française. Nous vérifierons si c'est un outil pertinent pour les grandes plateformes - mais cela pourrait s'appliquer dans d'autres cas. Il s'agit d'une mesure de dernier recours : de nombreuses démarches peuvent être engagées avant l'injonction structurelle, qui peut consister à demander de céder une partie d'activité ou une filiale... Cet outil entre dans le champ d'un débat très vivant sur les GAFAM, en France, en Europe et aux États-Unis. Il fait partie de ceux que nous aurons à développer dans les prochains mois.
D'autres éléments de rénovation de l'analyse concurrentielle sont à prendre en considération. Mme la présidente y faisait écho. Qu'est-ce que l'abus de position dominante dans l'ère numérique ? Faut-il changer la façon dont on l'apprécie ou bien créer de nouvelles catégories comme les plateformes structurantes ? Comme je sais que le Sénat, en particulier à travers cette commission, a été actif sur ces sujets, je peux vous indiquer que dans la décision Apple, l'Autorité fait pour la première fois référence à cette notion de plateforme structurante pour l'intégrer, et ce sans attendre l'adoption du DMA. C'est en effet une réalité démontrée sur le plan économique, et nous aurons à travailler sur les conséquences qui peuvent en découler sur le plan juridique. Le DMA soulève de nouveaux sujets et certains pays avancent. La loi allemande pour le droit de la concurrence, sur laquelle nous nous sommes penchés de près, a donné de nouveaux outils à l'autorité de la concurrence allemande, comme le fait de pouvoir imposer des dispositions du type ex ante à des acteurs désignés comme plateformes structurantes. Pour répondre plus précisément à la question de Mme la présidente, nous pensons que le DMA est une approche très intéressante qui ressemble par beaucoup de points à la proposition de loi visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace que vous aviez portée. Nous suivons de très près les négociations. Il me semble que c'est une proposition de très bonne qualité, déjà très aboutie sur le plan juridique. La logique du DMA consiste à avoir une approche complémentaire au droit de la concurrence ou à des régulations spécifiques, afin de dégager des règles générales applicables avant examen particulier à des plateformes. Ces règles s'inspirent des notions d'équité ou de non-discrimination.
Pour ce qui me concerne, je pense que, au-delà de la définition des plateformes et des gatekeepers qui se trouve dans le DMA, le débat principal qui devrait occuper les uns et les autres pour les prochains mois est la liste des obligations qui figurent à ses articles 5 et 6. Ces deux articles contiennent des obligations et des interdictions. Il sera incontournable de définir les obligations juridiques dont on est sûr qu'elles peuvent être appliquées à tous, sans débat possible par l'entreprise et sans entraîner d'effet négatif pour l'innovation et la concurrence. Il faut vraiment peigner chacun de ces items qui recouvrent des sujets très divers, comme l'interopérabilité ou l'accès aux données. Chaque tiret de ces articles 5 et 6 suscite en lui-même un débat, sur lequel nous allons nous concentrer.
Ensuite, des points juridiques doivent être posés pour le DMA. Faut-il prévoir un rôle des autorités nationales de concurrence pour aider la Commission ? Dans le projet actuel, la Commission jouit d'un monopole pour appliquer ce texte. Nous pensons qu'il serait sage que les autorités des États membres puissent venir à son soutien, tout cela étant décidé dans un cadre coordonné comme c'est le cas aujourd'hui dans le réseau européen de la concurrence (REC). Sans mettre à mal l'objectif d'une application unifiée à l'échelle européenne, les autorités des États membres peuvent jouer un rôle. On a pu constater qu'en matière de concurrence, cela fonctionnait relativement bien.
Parmi les points plus spécifiques à creuser, on compte le dispositif de contrôle des concentrations. Il est présent de façon assez discrète dans le DMA puisque celui-ci comporte simplement une obligation, pour les entreprises désignées comme gatekeepers, d'informer la Commission de toutes leurs acquisitions. C'est déjà bien. Nous avions proposé un dispositif similaire au niveau national. Nous pensons que les autorités ont besoin de plus d'informations par rapport aux pratiques de ces gatekeepers, ce qui peut avoir un effet dissuasif sur certaines acquisitions éventuellement prédatrices. L'enjeu sera ensuite de contrôler ces acquisitions lorsqu'elles posent un problème. En la matière, l'article 22 pourra être un outil à mobiliser. Voilà pour les sujets du DMA.
Je passe maintenant en revue les points plus particuliers sur lesquels Mme la présidente a attiré mon attention. Je pense que les sujets de partage des données sont incontournables. Ils sont traités par le DMA mais cela fait partie des points sur lesquels nous travaillons beaucoup. Un service de l'économie numérique a été créé à l'Autorité il y a quelques mois. Parmi les sujets que nous lui avons confiés, on compte notamment toutes les problématiques d'algorithmes, d'utilisation des données ou encore la façon dont les plateformes changent les règles qui s'appliquent à leur écosystème. En collaboration avec le pôle d'expertise et de régulation numérique (PEReN) du ministère de l'économie et des finances, l'une des premières réalisations de ce service a été d'élaborer un outil qui suit en permanence les modifications des règles sur les plateformes. C'est un exemple, mais nous avons beaucoup d'autres projets pour offrir de nouveaux outils au régulateur, et nous travaillerons fortement sur les données.
Sur la réduction des délais, je pense que nous avons bien avancé à l'Autorité, mais nous continuerons dans les prochains mois et prochaines années : cela reste une priorité absolue. L'objectif est que les enquêtes puissent se dérouler sur un temps plus court. C'est un enjeu aussi pour les entreprises, car nous savons qu'être impliqué dans une enquête en cours sans savoir si on est coupable ou innocent pèse sur les entreprises. Nous attendons beaucoup des dispositions de la loi DDADUE qui va nous permettre d'avoir une procédure plus ramassée lorsque c'est justifié. Nous mettons en place des outils internes, et il faut savoir aussi que pour certaines affaires traitées en mesure conservatoire, se prononcer en quelques jours ou quelques semaines constitue un défi pour nous tous, y compris sur un plan culturel - nos équipes aiment avoir des certitudes et creuser le plus possible les sujets. Parfois il faut se prononcer en incertitude mais je pense que c'est nécessaire.
Pour répondre à la question de savoir si nous avons des moyens suffisants : nous souhaiterions bien sûr en avoir plus. Nous avons eu la chance, par rapport à d'autres administrations, de ne pas voir nos moyens rognés ces dernières années. Nous apprécions cette chance car nous savons que ce n'est pas toujours la même situation dans les ministères. Pourtant, je pense qu'il serait sage de renforcer l'Autorité sur les sujets liés aux plateformes. Les cas sont d'une telle complexité que nous avons besoin d'équipes pluridisciplinaires. Nous nous appuyons bien sûr sur les autres régulateurs, et dans l'affaire Apple que je mentionnais, la collaboration avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a été exemplaire : elle nous a en effet rendu un avis très important en quelques jours, ce qui nous a permis de nous prononcer en urgence.
Pour venir à un sujet différent, celui de l'affaire Veolia-Suez, nous continuons de regarder ce sujet de près, car c'est une opération de concentration qui concerne le marché français. Le cas d'espèce sera traité par la Commission européenne, mais, dans le cadre du réseau européen de la concurrence, nous échangeons étroitement avec elle dans son étude du dossier. Lorsque le marché français est concerné, nous regardons de près l'analyse de la Commission. Cette opération semble complexe au vu des instances judiciaires qui se déroulent actuellement, mais comme l'appréciation sera portée par la Commission sur l'effet sur le marché français de l'eau, cela fait partie des points sur lesquels nous avons vocation à échanger avec elle.
Depuis l'avis de 2000 du Conseil de la concurrence, les choses ont changé. Les collectivités ont choisi de reprendre le service de l'eau en régie : c'est une évolution assez forte. Pour autant, même en régie, un opérateur vient aider la collectivité. C'est un autre mode économique qui peut fonctionner de manière satisfaisante, et nous avons vu des collectivités qui obtenaient des bons résultats à travers la régie. Nous partagerons le moment venu nos éléments sur ce point avec la Commission européenne. Par ailleurs, sur la thématique de savoir quel serait le modèle entre champions nationaux et européens, nous restons fermement attachés à l'idée qu'il ne faut pas que la constitution de tels champions se fasse au détriment du consommateur français. Il faut éviter autant que possible les monopoles ou les restrictions de concurrence au niveau des marchés de l'eau, qui sont très locaux. On n'est pas face à des marchés mondiaux lorsqu'une collectivité doit faire appel à un prestataire.
Je voudrais faire une dernière remarque sur ce que la crise sanitaire a changé dans la concurrence, notamment dans le domaine numérique. Quelques signes d'espoir apparaissent par rapport aux inquiétudes qui peuvent se faire jour par rapport au numérique et au pouvoir des plateformes. Deux exemples peuvent être donnés : d'abord, les systèmes de visio-conférence dont nous dépendons pour fonctionner. De nombreux systèmes, comme Zoom, Webex ou autres, ont émergé très rapidement, avec une vraie concurrence entre eux. Nous-mêmes, nous naviguons entre plusieurs systèmes. Quand on peut entrer sur un marché sans barrière, on voit que la concurrence joue et apporte beaucoup de bénéfices, avec de nouveaux acteurs, qui n'étaient pas forcément connus, comme Zoom. Un autre exemple est celui des réseaux sociaux. On a longtemps pensé que de nouveaux acteurs ne pourraient pas apparaître dans ce domaine. Mais finalement, au cours de la période écoulée, on parle beaucoup de certaines plateformes comme TikTok ou Twitch. Je trouve parfois encourageant, du point de vue de l'Autorité de la concurrence, de voir que, malgré les fortes barrières à l'entrée, certains acteurs arrivent à trouver leur place. Notre souhait est qu'il n'y ait pas de barrière au-delà des effets de réseau qui jouent très fortement.
Je m'arrêterai là, en espérant avoir répondu au moins aux premières questions qui avaient été soulevées. Je suis à votre disposition pour toutes celles que vous voudriez me poser.
Mme Sophie Primas, présidente. - Merci beaucoup, Madame la présidente, pour ces propos, comme d'habitude limpides et engagés. Je note au passage qu'on avait beaucoup travaillé sur la proposition de loi visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace, et que l'Allemagne a avancé, alors que nous ne le pouvons pas. Je vais passer la parole à mes collègues. On va commencer par Alain Chatillon, auteur d'un rapport sur le droit de la concurrence européen, avant Laurent Duplomb, qui a avait été rapporteur de la loi DDADUE.
M. Alain Chatillon. - Madame la présidente, je suis très heureux de vous retrouver, même si sur ce fameux rapport Alstom-Siemens, nous n'avons pas bien compris la décision de l'Europe. Vous connaissez mon regret sur ce projet d'un « nouvel Airbus ». Malheureusement, vos réponses nous ont fortement déçus. Sachez que nous serons peut-être amenés à regretter longtemps ce non-rapprochement.
Revenons à la réglementation en cours. Deux cas de figures se présentent : ou bien on part de l'ex ante, c'est-à-dire du démarrage, ou bien de l'ex post. Il semblerait que vous voudriez réfléchir ex ante, c'est-à-dire depuis l'origine. J'espère que ce sera la réalité et que l'Europe se mobilisera fortement, comme savent le faire la Chine ou les États-Unis, lorsqu'il s'agit d'une concurrence que l'on peut qualifier quelquefois de déloyale.
Je vous rappellerai un troisième point sur le plan des réglementations européennes. Nous laissons entrer dans notre pays, et je suppose que Laurent Duplomb en parlera, des produits agricoles alimentaires depuis des décennies et depuis le CETA. Nous imposons à nos agriculteurs des règles qui ne pèsent pas sur les produits que nous importons. Quand l'Europe réfléchira-t-elle véritablement au règlement qui permettra à nos agriculteurs et à nos entreprises de devenir compétitives ? Nous sommes à un moment terrible où la Chine est en train de monter en puissance. Ou bien l'Europe joue le jeu, ou bien ce n'est plus l'Europe. J'aime l'Europe, à condition qu'elle fasse son travail, ce qui n'est pas le cas. Que ce soit la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ou votre autorité, il n'y a pas de contrôle : tout passe, les produits entrent, d'Inde et d'ailleurs. Et pendant ce temps, on vient mettre des bâtons dans les roues de nos agriculteurs ! Alors Madame la présidente, aujourd'hui, mobilisez-vous, et s'il le faut nous viendrons à Bruxelles pour mobiliser vos interlocuteurs.
M. Laurent Duplomb. - Au risque de décevoir mon ami Alain Chatillon, je ne vais pas parler d'agriculture. Je vais en revanche, Madame la présidente, vous dire que je suis heureux de vous entendre dire que la proposition de loi de Mme Sophie Primas sur le cyberespace était bonne. Cela me permet de rappeler que si nous n'avons pas pu vous apporter les éléments nécessaires pour lutter contre ces problématiques informatiques et de gestion des sites numériques, c'est aussi parce que les députés de la majorité en commission mixte paritaire sur la loi DDADUE n'ont pas voulu que nous introduisions ces éléments qui vous auraient sérieusement aidée, et qui vous auraient rapprochée de ce que font aujourd'hui les Allemands. Nos voisins auront encore un temps d'avance, et nous serons malheureusement en retard.
Je voulais, Madame la présidente, vous poser deux questions. Les opérations de concentration, comme les fusions ou les acquisitions, sont notifiées aux autorités compétentes lorsqu'elles dépassent certains seuils de chiffre d'affaires. Il existe de nombreux achats d'entreprises, concurrentes ou non, situés sous ces seuils, et donc hors radar de votre Autorité ou de la Commission européenne. C'est un fait bien établi, non réductible au seul secteur numérique : certains géants rachètent très cher des concurrents afin d'étouffer toute concurrence. Comme ces concurrents réalisent un chiffre d'affaires assez faible, aucune notification aux autorités n'a lieu. Ce procédé anti-concurrentiel ne rencontre aucun frein. Afin de lutter contre cela, la piste d'une évolution des seuils de notification est souvent évoquée, pour prendre en compte d'autres critères que le chiffre d'affaires, comme le montant de la transaction. Ces nouveaux critères présentent néanmoins eux aussi des inconvénients. Pourtant tout le monde admet qu'il est urgent d'agir. Quelles sont vos préconisations pour lutter contre ces acquisitions prédatrices ?
Ma deuxième question concerne la loi DDADUE, dont j'ai été rapporteur. Récemment promulguée, elle consacre le principe d'opportunité des poursuites qui permettra à votre Autorité de sélectionner les dossiers qui lui semblent les plus intéressants ou importants. Pourriez-vous nous indiquer à l'aune de quels critères cette sélection sera faite ?
M. Jean-Claude Tissot. - Dans votre propos liminaire, Madame la présidente, vous avez répondu à la deuxième question que je voulais poser sur Apple et les GAFAM.
J'ai une autre question sur le secteur de l'énergie. Ce sujet nous anime régulièrement au sein de la commission des affaires économiques, à la façon du projet Hercule, qui prévoit la réorganisation du groupe EDF et, potentiellement, de nouveaux liens concurrentiels avec les fournisseurs d'électricité. Ma question est simple : l'Autorité de la concurrence a-t-elle été questionnée de près ou de loin sur ce projet ? Plus globalement, quelle est votre analyse sur le rôle de la concurrence sur le marché de l'électricité, qui semble constituer un monopole naturel ?
J'aurais pu ajouter une question sur l'agriculture, et Monsieur Duplomb, vous nous faites défaut, car j'aurais cru que vous en parleriez. J'ai entendu ce matin à la radio les agissements de Sodial et de Lactalis, qui se sont échangé des parts de marché chacun dans son secteur... Je n'ai pas les éléments qui me permettent d'aller plus loin dans ma démonstration, mais les concitoyens ne risquent-ils pas de payer le kilo de pommes ou le litre de lait plus cher parce que les uns et les autres se sont « entendus » ? Avez-vous un avis à nous apporter sur ce sujet particulier ?
M. Fabien Gay. - Bonjour Madame la présidente de l'Autorité. Hier soir, j'ai visité votre site internet. Il est très bien fait : vous féliciterez vos équipes. Il comporte une rubrique « la concurrence et vous » : je n'ai pas pu m'empêcher, j'ai appuyé. Le premier élément qui apparaît, c'est « les vertus de la concurrence. » Alors là... Je vous lis la première phrase, c'est fabuleux. « Comme dans le sport, la concurrence est un stimulant qui incite les entreprises à se dépasser, favorisant ainsi l'innovation, la diversité de l'offre et des prix attractifs pour les consommateurs, comme pour les entreprises. » C'est beau comme un psaume ! J'hésite entre le chant de la foi du capitalisme ou le chant des louanges de la concurrence libre et non faussée.
Mme Isabelle de Silva. - Si on ne défend pas la concurrence à l'Autorité de la concurrence !
M. Fabien Gay. - Non, non, vraiment, c'est très beau !
Plus sérieusement, je veux parler d'une première chose : la concurrence au service du pouvoir d'achat. Mon collègue vient d'en dire un mot : il y a un sujet sur les questions de l'énergie. Pensez-vous que la libéralisation du secteur de l'énergie depuis quinze ans et la destruction de monopoles publics, avec les entreprises publiques, qui fait que nous avons 42 acteurs alternatifs en France, ont fait baisser les prix et ont profité aux usagers, qui sont devenus des consommateurs et en réalité des vaches à lait ? Les prix du gaz et de l'électricité ont augmenté respectivement de 70 et 40 %.
Deuxième chose : j'ai beaucoup cherché sur votre site, et vous êtes très en pointe sur la question d'EDF et de sa position dominante. Vous prenez souvent le parti des acteurs alternatifs. Je n'ai pas trouvé d'avis sur l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH), et notamment pendant la crise sanitaire. L'ARENH oblige EDF à vendre 25 % de son énergie nucléaire à ses concurrents alternatifs. Sauf que pendant la crise, comme le prix était à 42 euros et que le marché libre était à 21 euros, tous les acteurs alternatifs ont demandé à quitter l'ARENH pendant un an et à aller se servir sur le marché libre. Je n'ai pas trouvé d'avis de votre Autorité pour rappeler qu'un contrat doit se respecter, qu'il vous soit favorable ou défavorable !
Par ailleurs, vous démantelez des ententes et des cartels, vous venez d'en parler, notamment sur l'affaire Veolia-Suez. Je vous trouve un peu en retrait sur cette affaire, parce que là aussi, vous avez été très en pointe et au service des autorités politiques, du démantèlement, des déréglementations et de l'ensemble des lois libérales portées par l'Europe. Il y a trente ans, des entreprises publiques avaient des monopoles publics dans un certain nombre de domaines et on s'aperçoit aujourd'hui que des monopoles privés au service du privé sont en train de se reconstituer, comme dans l'eau, l'assainissement, et dans l'affaire Suez-Veolia.
Dernière chose : vous faites beaucoup de choses pour les consommateurs. Il en manque une, si je peux me permettre : les conséquences pour les salariés des entreprises concernées. La concurrence a entraîné dans de nombreux domaines (les télécoms, la Poste et demain le ferroviaire et l'énergie) la casse de statuts protecteurs pour les usagers et les salariés. Elle a surtout entraîné la sous-traitance à gogo. Je vous donne un exemple : je me suis fait poser la fibre il y a un mois par Orange. J'ai demandé au monsieur s'il était salarié d'Orange. « Pas du tout, je suis un sous-traitant, mais je m'en sors bien, parce que ma société sous-traitante emploie elle-même des sous-traitants », m'a-t-il répondu. Voilà la réalité : aujourd'hui on a cassé l'ensemble des statuts et on a précarisé le monde du travail. Cela va aussi avec la concurrence : je pense donc que cela devrait figurer sur votre site.
Mme Sophie Primas, présidente. - Cela amène sûrement à s'interroger sur le statut, cher Fabien Gay, mais c'est un sujet politique.
M. Fabien Gay. - Vous verrez que cela nous coûtera plus cher à l'arrivée !
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Madame la présidente de l'Autorité, je voudrais vous poser deux questions qui concernent les syndics.
Le 4 mars 2020, vous avez rendu public un avis qui fait état d'un désaccord avec le Gouvernement sur la tarification de l'état daté établi par les syndics lors de la vente d'un bien immobilier en copropriété. Vous reprochez au Gouvernement de recourir à un prix plafond médian permettant mécaniquement à 50 % des syndics d'augmenter leur prix et conduisant les 50 % restants à rattraper le manque à gagner sur d'autres prestations. Pour éviter cela, vous proposez de modifier la loi, et d'ici là de retenir une méthode dite « cost-plus » fondée sur la réalité des coûts. Pourriez-vous nous expliquer plus en détail votre position ?
Par ailleurs, la crise sanitaire, en rendant possible la dématérialisation des assemblées générales, a fait surgir des conflits entre les syndics et les copropriétaires. On a même dit que la pandémie aurait favorisé les abus des syndics. L'association des responsables de copropriétés (ARC) parle d'un « hold-up des assemblées générales de copropriété » et dénonce à cette occasion l'augmentation des tarifs, le vote de contrats de longue durée pour éviter une remise en concurrence, ou la facturation des frais sur des prestations, comme le dépouillement de votes par correspondance, qui n'est pas comprise dans le contrat-type. Avez-vous été saisie de ces éventuels abus à l'encontre des copropriétaires captifs ? Cette méthode « cost-plus » pourrait-elle être une solution ?
J'ai une dernière question concernant les relations entre les franchiseurs et les franchisés. Dans mon département des Alpes-Maritimes, j'ai récemment été saisie par une société à responsabilité limitée (SARL) franchisée, un Carrefour city de Menton, qui fait état de relations commerciales particulièrement déséquilibrées. Elle évoque l'obligation d'acheter sur un catalogue exclusif du seul fournisseur du franchiseur, et cela, sans négociation ni préférence géographique, alors qu'on sait qu'aujourd'hui l'enjeu de l'achat local est particulièrement important pour les commerçants. Le montage juridique semble extrêmement favorable au franchiseur, à tel point que la SARL franchisée me dit qu'elle n'engagera pas de procédure longue et coûteuse. Cela a des conséquences directes, parce qu'une faible rentabilité du magasin en question induit potentiellement des difficultés pour embaucher, ou en tout cas une réduction de la masse salariale. Pensez-vous que la législation actuelle est suffisante et équitable entre les franchiseurs et les franchisés ?
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous avons en effet beaucoup été saisis sur ce sujet.
M. Patrick Chaize. - Je voudrais revenir sur les moyens et votre adaptation au monde du numérique. Vous avez évoqué la création d'une cellule spécifique avec les besoins d'aller plus vite dans ce secteur, avec une certaine agilité. Pouvez-vous nous détailler ces moyens, et si possible nous donner les délais de réponse de votre structure ?
J'ai une autre question qui concerne les opérateurs de télécommunication et de communication électronique, dans un secteur où la concentration s'effectue, avec dernièrement le rachat de Covage par SFR. Quel est votre regard sur ces concentrations ? Ne pensez-vous pas, à terme, que globalement, on n'y échappera pas ? Quelle sera l'attitude de l'Autorité par rapport à ce fléau ?
M. Franck Montaugé. - Merci Madame de Silva pour votre présentation. J'ai deux questions.
Vous avez dans votre propos évoqué votre travail sur le DMA mais vous n'avez pas évoqué le Digital Services Act (DSA), qui concerne la diffusion de contenus illicites, dangereux ou contrefaits. Les contenus contrefaits peuvent-ils avoir un impact sur le commerce, voire la concurrence ? Si c'est le cas, je suppose que vous travaillez dessus : pouvez-vous préciser cela ?
Mon deuxième point reprend certains sujets évoqués. Votre Autorité de la concurrence a-t-elle un regard sur la politique industrielle de l'État, en tant qu'actionnaire et partie prenante ? Si c'est le cas, au-delà du cas d'actualité Suez-Veolia, comment prenez-vous en compte l'enjeu et la nécessité de souveraineté nationale ? La Cour des comptes a produit il y a quelque temps un rapport sur « l'État actionnaire ». L'État joue un rôle important en matière de développement industriel, voire de concurrence. Intervenez-vous à ce propos ? Je n'ai rien trouvé de la sorte. Les cas qu'on a connus sont nombreux. Certains, comme Hercule, sont d'actualité, mais je pourrais évoquer Alstom, Siemens, General Electrics et les Chantiers de l'Atlantique. Sur ces gros sujets industriels à forte résonance nationale et internationale pour nous, intervenez-vous d'une manière ou d'une autre ?
M. Daniel Gremillet. - Madame la présidente, d'abord, vous nous avez fait part du point d'honneur qu'ont mis vos services à ne pas retarder l'examen de dossiers pendant la pandémie. Je tiens à vous en féliciter, car elle a été trop souvent un prétexte. En termes économiques, il était essentiel que notre pays continue d'avancer. J'ai trois questions.
La première : vous avez évoqué les cartels, les ententes, et les retards sur la mise en oeuvre des règles environnementales. Vous savez que le Sénat est très attaché au fait que les produits importés, provenant de l'UE ou d'en dehors de l'UE, respectent les règles qu'on exige au niveau de notre propre pays. Ma question est simple : la concurrence est-elle équitable, y compris au regard des règles environnementales, qui deviennent très stratégiques ?
Le deuxième point concerne la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (loi EGalim). On vient de terminer les négociations commerciales depuis 24 jours. Quel premier bilan en tirez-vous ? Dans le groupe de suivi créé par le Sénat, les conclusions sont brutales, dans le sens où elles n'ont servi ni le consommateur, car les prix ont augmenté, ni les producteurs, puisque nous assistons à une dégradation des prix de la matière. Autre conclusion brutale : nous sommes plutôt dans une situation d'appauvrissement de l'économie des entreprises agroalimentaires et surtout de la dynamique future en termes d'investissements.
Ma dernière question, sur laquelle je serai bref car Fabien Gay et Jean-Claude Tissot ont abordé le sujet, porte sur Hercule. C'est un problème de souveraineté énergétique pour notre pays. On se trouve face à l'exigence de la concurrence européenne et vous êtes notre autorité de concurrence au niveau national : comment vous situez-vous ? Vous situez-vous dans le même moule, la même direction d'exigence de concurrence, voire de remise en cause de cette souveraineté énergétique ? C'est un sujet tellement stratégique pour notre pays qu'il est essentiel de savoir si la concurrence française se situe dans le même moule que la concurrence européenne.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Madame la présidente de l'Autorité, au début de la crise sanitaire, le réseau européen de la concurrence avait annoncé qu'il n'interviendrait pas activement contre les coopérations éventuelles entre les entreprises productrices de masques ou de gels hydroalcooliques, et ceci pour éviter la pénurie. Avez-vous néanmoins constaté, à la suite de cette décision, des ententes illicites ou des abus de position dominante ?
Par ailleurs, au sein de l'Autorité de la concurrence, un réseau interne a été organisé pour mutualiser le travail de surveillance du marché pendant la crise. Les entreprises et les consommateurs ont été invités à contacter l'Autorité de la concurrence s'ils estimaient qu'une ou plusieurs entreprise(s) avaient adopté un comportement anti-concurrentiel. Pouvez-vous nous donner les résultats de votre analyse ? Merci.
M. Pierre Louault. - Je vais parler d'agriculture. L'État français exige toujours des règles de surtransposition qui pénalisent l'agriculture française. Dans le même temps, les grandes surfaces et les acheteurs s'entendent visiblement, ce qui met à mal l'agriculture française et l'industrie de transformation. Comment prenez-vous en compte les contraintes appliquées à l'agriculture française par l'administration via les règles de concurrence ? Des produits français, mis en concurrence avec des produits européens, ne peuvent pas suivre à cause de nos propres règles.
M. Yves Bouloux. - Merci, Madame la présidente de Silva. Lors de votre dernière audition devant cette commission en mars 2018, vous aviez évoqué la « révolution économique fondée sur le numérique. » Selon vous, certaines situations remettaient en cause la capacité de l'outil législatif actuel, de sorte qu'il faudrait envisager de compléter le code de commerce pour rétablir le bon fonctionnement concurrentiel entre entreprises. Au nombre des priorités de l'Autorité pour l'année 2021 figure le numérique. J'aurais souhaité savoir où vous en êtes de vos réflexions sur ce sujet.
Par ailleurs, jugez-vous que les discussions menées par l'Autorité au niveau européen sur la régulation du numérique avancent de manière satisfaisante ?
M. Jean-Pierre Moga. - Madame la présidente de l'Autorité, je souhaite revenir sur l'OPA de Veolia que vous avez évoquée tout à l'heure. Si cette opération aboutit, et si elle offre peut-être un intérêt sur le plan international, elle va mettre ce nouvel acteur en situation de monopole sur le plan national. Les collectivités, lors de leurs appels d'offres n'auront plus le choix. Ne craignez-vous pas donc que nos concitoyens voient flamber le prix de l'eau et de l'assainissement ?
Mme Florence Blatrix Contat. - Merci Madame de Silva, pour la présentation de votre action. J'ai deux questions.
L'une porte sur l'OPA Suez-Veolia qui va de rebondissement en rebondissement. Dans ses dernières propositions, Veolia propose de transférer à une entité, qui pourrait être Meridiam, l'ensemble des activités de Suez France, c'est-à-dire non seulement l'eau, mais aussi la recherche et les déchets. Cette nouvelle offre serait-elle de nature à permettre d'échapper à un contrôle des concentrations ? Si celui-ci devait avoir lieu, j'imagine que ce serait plutôt au niveau européen. Dans ce cas-là, est-ce la concurrence à l'instant t ou la concurrence à long terme qui est évaluée ? On sait bien que si cette future entité est amputée de ses activités à l'international, sa pérennité à long terme est en jeu.
J'ai une autre question sur le DMA. Vous avez indiqué que sa mise en oeuvre serait confiée pour l'essentiel à la Commission, que cette centralisation pourrait être préjudiciable en matière d'efficacité et qu'il serait peut-être souhaitable de traiter des situations conflictuelles au niveau national. Selon quelles procédures pourrait-on traiter ces situations ? Comment voyez-vous l'articulation entre les compétences que le DMA attribue à la Commission européenne et celles qui pourraient être attribuées aux autorités nationales ? Quel serait le risque d'un conflit de compétences ?
M. Daniel Salmon. - Après les nombreuses questions qui ont été posées, il m'en reste une petite, sur la concurrence entre les différentes formes de commerce. Je veux parler de celle qui prévaut entre le e-commerce et le commerce physique : une des concurrences mises en évidence est celle de la fiscalité. Qu'en pensez-vous ? Quelles sont vos recommandations dans ce domaine ? Je ne reviendrai pas sur les vertus de la concurrence loyale et non faussée, vaste sujet qui a été abordé par mon collègue Fabien Gay.
Mme Sylviane Noël. - Les principes constitutionnels de la commande publique, de non-discrimination et de liberté de circulation des personnes, des capitaux et des services énoncés dans les traités de l'Union européenne font régulièrement obstacle à la prise en compte d'un critère géographique dans l'attribution des marchés publics. Le juge européen et le juge administratif français censurent ainsi régulièrement les critères d'attribution qui reposent sur l'origine des produits ou l'implantation géographique des entreprises. Toute modification du droit des marchés publics en ce sens devient inconstitutionnelle et inconventionnelle. En ces temps de crise sanitaire, mais, au-delà, d'enjeux environnementaux importants qui doivent plus que jamais nous pousser à raisonner en termes de circuits courts, quelle serait la position de l'Autorité de la concurrence si les communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) usaient d'outils pour privilégier les entreprises implantées localement dans l'attribution de marchés ?
Mme Martine Berthet. - Madame la présidente, quels contrôles faites-vous, si vous en faites, de l'utilisation du drapeau français comme indication d'une fabrication française ?
Mme Micheline Jacques. - Madame la présidente, certaines négociations commerciales, notamment en matière agricole avec des pays tiers, peuvent être dommageables aux outre-mer, qui sont généralement insuffisamment pris en compte. C'est grâce à une résolution adoptée par le Sénat que les accords sur le sucre avec le Vietnam ont été rectifiés. Quelle attention l'Autorité accorde-t-elle aux outre-mer dans ses relations avec la Commission européenne ? Sont-ils un point de vigilance particulier ?
Mme Sophie Primas, présidente. - Madame la présidente, je crois que vous avez presque le record du nombre de questions : félicitations ! Cela montre bien l'intérêt pour votre action, et peut-être la concurrence entre nos commissaires. Je vous laisse répondre.
Mme Isabelle de Silva. - Je vais commencer par la question de Monsieur le sénateur Chatillon. Quid des projets en matière de fiscalité ? L'Europe prend-elle en compte la fiscalité pour établir l'égalité des conditions de concurrence ? Au-delà de l'application du droit de la concurrence, qui revient à l'Autorité et pour laquelle elle a compétence, il faut prendre en compte l'ensemble des déterminants de la concurrence équitable, qui sont bien au-delà du droit de la concurrence stricto sensu. Cela peut passer par les modalités de taxation ou du commerce international lorsque les règles appliquées sont très différentes, sur le plan environnemental ou de toute autre contrainte, notamment les aides d'État. Il me semble que pour avoir une concurrence équitable, les acteurs doivent jouer selon les mêmes règles.
Je pense que l'enjeu de la fiscalité des géants du numérique est crucial. Je milite à titre personnel pour les différentes initiatives qu'ont pu prendre la France ou l'Europe en la matière, et je me réjouis des annonces récentes de Margrethe Vestager, qui a indiqué qu'elle était prête à avancer sans attendre l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Le débat depuis plusieurs mois était de savoir ce qu'il adviendrait des travaux de l'OCDE lorsque les États-Unis ont décidé de mettre ces réflexions en pause, alors qu'il y avait de fortes espérances d'aboutir au moment du sommet du G7 en France. C'est un sujet essentiel car lorsqu'on compare les revenus qui abondent les budgets de l'État français avec ceux qui sont générés en France, on voit un énorme différentiel par rapport à la taxation qui pèse sur les commerces physiques. Il est donc vraiment important d'agir sur la façon dont la matière taxable est définie et collectée : c'est un premier enjeu complexe mais prioritaire. La Commission européenne a mené une action forte sur ce point lorsqu'elle a décidé de qualifier en aide d'État des fiscalités très favorables accordées par certains États européens. Je pense notamment à l'Irlande, mais cela a pu concerner aussi la Belgique et le Luxembourg. Nous sommes en attente des décisions qui seront prises par les juridictions européennes sur ce point. En tout cas, cet outil, s'il est un pis-aller par rapport à une fiscalité qui serait dès l'origine équitable, me paraît utile. Lorsque des États peuvent offrir des sortes d'arrangement ou des fiscalités tellement favorables que cela crée un appel d'air pour que les entreprises s'y installent et un vrai problème d'équité, je pense que l'on a affaire à l'un des angles morts du marché européen tel que nous l'avons construit. Je crois que la Commission européenne, sous la présidente d'Ursula von der Leyen est très mobilisée sur ces sujets. Margrethe Vestager continue le combat qu'elle mène depuis plusieurs années sur ce point : il y a des avancées.
D'autres avancées importantes doivent être notées, je pense notamment aux réflexions en cours sur la notion de marché pertinent. C'était l'un des débats de l'affaire Siemens-Alstom, dont vous parliez : comment intégrer ou non la concurrence chinoise ? En réponse au débat né autour de cette affaire et qui a été très vif, y compris en ces lieux, la Commission a décidé de remettre sur le métier la notice sur les marchés pertinents afin de l'actualiser pour prendre en compte les enjeux numériques, de guerre commerciale, et de forte iniquité des conditions de concurrence. Ce travail est en cours. Nous y participons activement avec la Commission, et au stade de autorités nationales de concurrence.
Je souhaite mentionner un nouvel outil important : celui élaboré au sein de la Commission européenne pour prendre en compte les aides d'État dans les régions extérieures à l'Europe. Cela a été un point souvent soulevé. En Europe, le contrôle des aides d'État est très fort - des entreprises peuvent se voir reprocher d'avoir reçu des aides d'État indues - alors que des produits peuvent arriver sur le marché européen en ayant perçu des aides d'État sans contrôle. L'UE a répondu sur ce point avec un nouvel outil.
Un problème plus large a été évoqué par certains d'entre vous : l'application des réglementations techniques, et notamment environnementales, aux agriculteurs. C'est un réel enjeu, pris en considération par la Commission européenne dans le cadre de son Green deal. Ne faut-il pas beaucoup mieux valoriser qu'aujourd'hui, dans le commerce international et dans la façon dont ces produits arrivent en Europe, le mieux-disant environnemental ? Cela pourrait se faire en interdisant l'entrée de produits obtenus en polluant des rivières, en Chine ou ailleurs. C'est un premier axe d'action, qui irait dans le sens d'un rétablissement de l'équité : des produits conformes aux règles européennes, peuvent avoir été obtenus en dégradant l'environnement.
À titre personnel, j'y suis très favorable. Avant de m'occuper de concurrence, j'ai beaucoup travaillé sur l'environnement. Je pense qu'il faut beaucoup mieux intégrer dans le commerce international non pas seulement l'équilibre des prix et le bénéfice du consommateur, mais tous ces enjeux globaux : la protection de la planète et l'enjeu d'équité pour l'agriculteur ou le producteur, qui voient arriver des biens produits dans des conditions inacceptables.
Le sujet est bien posé sur la table. Il y a aussi des débats sur l'application d'une taxe carbone à l'entrée des produits dans l'UE. Si certains produits ont été élaborés en dégradant l'environnement et en ayant un effet nocif sur le changement climatique, il faut a minima que ce soit contrebalancé par une compensation financière. D'autres modes peuvent être envisagés, comme interdire l'entrée de certains produits, comme je le disais. En tout cas, le débat est posé en Europe. Je pense qu'il y aura des avancées au cours des prochains mois.
Je passe à la question de M. Duplomb. Je voulais encore me féliciter des discussions très constructives que nous avons pu avoir sur la loi DDADUE, et qui ont vraiment permis d'améliorer le texte. Qu'en est-il de l'avancée dans le domaine numérique ? Faut-il regretter que la proposition de loi sur le cyberespace élaborée par la commission n'ait pas été adoptée ? Je ne pourrai pas me prononcer directement sur cette dernière question. Qu'en est-il du DMA : le planning est-il assez ambitieux ? Les acteurs de cette négociation sont nombreux. Parmi eux figurent les gouvernements, et le Gouvernement français est très mobilisé sur ce point. Des pays poussent très fortement pour que le DMA soit maintenu à un niveau d'ambition important et adopté très vite. La France souhaite fortement que le DMA puisse aboutir lors de la présidence française du début de l'année prochaine. La Commission entend maintenir un rythme de négociation rapide. Pour autant, des obstacles restent à surmonter : le débat au Parlement européen sur la commission compétente, entre la commission du marché intérieur qui a été désignée et la commission des affaires économiques qui entendait être compétente, n'est pas encore résolu. Pour le moment, au vu des positions exprimées par les États membres, on constate beaucoup de soutien pour le texte, même si certains États sont moins enthousiastes que d'autres et que les entreprises agissent aussi pour faire valoir leurs intérêts. En tout cas, la présidence portugaise en a fait une priorité, ce qui fait que les travaux sont bien avancés. Si le rythme, très soutenu, devait se maintenir, le texte pourrait aboutir au début de l'année prochaine. J'ai par ailleurs pu dire que le texte me paraissait un très bon projet de départ.
Vous soulevez un point cher à mon coeur, celui des opérations de concentration sous les seuils et qui passent sous le radar. Nous nous sommes mobilisés sur ce sujet depuis trois ou quatre ans, puisque nous avions mené une large réflexion en associant les entreprises, pour savoir s'il fallait changer le dispositif français de contrôle des concentrations, notamment pour répondre à cette thématique des acquisitions prédatrices. Le législateur français n'a pas eu à valider la proposition que nous avons faite, qui était de créer un contrôle spécifique en France. Mais nous avons atteint un objectif important avec l'article 22 du règlement de 2004, et le fait que la Commission européenne a accepté de changer d'avis. De façon constante, elle refusait d'appliquer ces renvois dans le cadre du règlement de 2004, mais Margrethe Vestager a annoncé à l'automne dernier qu'elle avait entendu ces demandes, qu'elle était prête, et elle a changé d'approche. Il est possible que dans les prochains jours on observe les premières applications de ces procédures de renvoi. La Commission européenne a été très active pour définir des lignes directrices pour cette nouvelle procédure. Nous en attendons beaucoup. Si elle ne devait pas répondre à nos attentes, il faudra de nouveau poser la question d'un dispositif reposant sur la loi nationale, car je suis convaincue qu'un contrôle vigilant sur certaines de ces opérations est nécessaire. Il faut pouvoir contrôler le type d'opérations qui se produisent dans le domaine numérique et ceux de la santé et de l'économie industrielle, avec des opérateurs dominants.
Vous posiez enfin la question de l'opportunité des poursuites et des critères qui lui sont associés. Nous envisageons d'élaborer des lignes directrices pour éclairer les entreprises sur ce point. Les critères seront les priorités thématiques de l'Autorité (développement durable, numérique). Les enjeux, pour la concurrence, de façon générale, sont-ils importants ? Il peut y avoir une petite affaire qui pose une question de principe affectant de nombreuses entreprises : ce serait un motif pour la traiter. Les ressources de l'Autorité constituent une autre dimension : un des objectifs de ce dispositif est de pouvoir rejeter certaines saisines qui demanderaient des efforts d'instruction démesurés par rapport à l'enjeu de concurrence. Pour rassurer les entreprises, nous leur avons dit que nous n'entendons pas faire un usage généralisé et massif : ce serait plutôt un outil de régulation pour pouvoir concentrer nos moyens sur les vrais enjeux et traiter des affaires importantes sans être pollués par des affaires de moindre intérêt au regard de ces critères. Nous pourrons échanger à ce sujet lorsque nous aurons élaboré nos lignes directrices.
J'en viens à la question de M. Tissot sur l'énergie et le projet Hercule. Nous n'avons pas été consultés sur ce projet. Nous avons eu des échanges avec l'entreprise qui nous en avait parlé en amont, ce dont je suis ravie. C'est un projet très intéressant, qui consiste en une tentative de remodeler la structure du groupe pour atteindre des objectifs de maintien de la souveraineté énergétique de la France. Le débat sur le projet Hercule met en jeu le Gouvernement français et la Commission européenne à très haut niveau. À ce stade, je ne peux pas me prononcer plus avant. Pour ce qui est de la concurrence sur les marchés de l'électricité, il s'agit d'un certain type d'ouverture à la concurrence qui n'est pas le plus simple à comprendre pour le consommateur. L'idée était d'introduire de la concurrence sur les services, mais là où l'ouverture à la concurrence a pu décevoir est qu'elle n'a pas tellement été mise en oeuvre au niveau de la production. Dans le domaine du nucléaire, évidemment, l'appétence des alternatifs pour construire de nouvelles centrales a été très faible. Dans le domaine de l'électricité, la concurrence est un peu particulière et peut avoir des effets contre-intuitifs lorsqu'on monte le prix de l'électricité pour donner de l'espace concurrentiel aux concurrents.
Pour répondre par avance à la question de M. Gay sur l'ARENH, nous avons été vigilants pour dire que le prix de l'ARENH ne pouvait pas monter uniquement pour laisser de l'espace économique aux concurrents alternatifs. Je crois que vous n'avez pas trouvé l'avis correspondant sur notre site, mais je peux vous assurer qu'il existe. On a même eu des moments de tension sur ce sujet, puisque nous avions émis un avis négatif à la proposition de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) tendant à monter fortement l'ARENH. Nous avions expliqué dans un avis très structuré et motivé pourquoi cela nous posait problème. Nous avions considéré que la base légale était insuffisante pour fonder une hausse de ce prix et que cela allait avoir des conséquences dommageables par le consommateur. À l'époque, nous n'avions pas été suivis par le Gouvernement, mais nous avions été très vigilants là-dessus car nous estimions que la régulation devait être mise en oeuvre en fonction d'objectifs clairs. En l'occurrence, il nous semblait que le cadre légal ne permettait pas de fonder sur ce motif la hausse très substantielle de l'ARENH.
Je reviens à la question de M. Tissot sur les pratiques abusives dans le secteur du lait. Je souhaite mentionner à cet égard le fait que nous avons été très actifs sur le sujet des centrales d'achat. Nous avons rendu publiques l'année dernière deux décisions très novatrices. Pour la première fois, nous avons appliqué les outils qui nous avaient été donnés par la loi EGalim, et en faveur desquels nous avions milité. Ceux-ci nous permettent d'intervenir en urgence et d'office, en auto-saisine, sur des accords de centrales d'achat. Pour la première fois, nous avons ouvert des instructions de pratiques anti-concurrentielles sur ces deux accords qui nous avaient été notifiés : Carrefour-Tesco d'une part et Auchan-Casino-Metro-Schiever d'autre part. Nous avons mené un large travail pendant plusieurs mois sur ces accords, puisqu'ils avaient une forte envergure et affectaient les producteurs et consommateurs français. Nous avons vraiment voulu nous assurer qu'ils n'allaient pas avoir d'effets négatifs sur les producteurs (en dégradant leur économie ou en les mettant en risque) mais aussi sur les consommateurs. Cela nous a conduits à obtenir des engagements très substantiels de la part de ces distributeurs, qui ont réduit sensiblement le champ des accords, en en excluant des produits lorsqu'ils correspondaient à des secteurs fragiles (fruits et légumes, lait, oeufs). Parce que ces accords portaient sur les marques de distributeur (MDD), nous avons considéré qu'ils pourraient être défavorables pour le consommateur, qui aurait eu moins de choix dans les MDD. Nous savons pourtant que ces derniers sont un facteur important pour le choix d'une enseigne par les consommateurs, particulièrement pour les ménages à plus faible revenu. Nous avons peigné ces accords pour en enlever les produits considérés comme différenciant - qu'on regarde sur les linéaires, pour les comparer. Nous avons fait un travail fin pour n'admettre que ne reste en commun qu'un nombre plus réduit de produits avec cette double préoccupation de protéger l'amont - le producteur - et l'aval - le consommateur.
J'en viens aux questions de M. Gay qui s'interrogeait sur ce que nous faisons pour la concurrence au service du pouvoir d'achat. Je réédite ce qui est indiqué sur notre site : je crois que la concurrence est un moteur pour les entreprises. Je maintiens que notre comparaison avec les règles du sport est pertinente. Imaginons deux équipes qui se mettent d'accord pour fixer le score à 2-0 à la fin du match : il aura peu d'intérêt. Le chef d'entreprise est en permanence confronté au risque, à l'inconnu, et doit se déterminer dans un horizon incertain. C'est une des raisons qui rend sa vie difficile, et cela pèse en ce moment : je pense sincèrement aux chefs d'entreprise qui vivent une période très difficile. Mais c'est aussi ce qui les stimule et ce qui les fait avancer. C'est ce qui permet d'inventer de nouveaux produits et de se battre pour être meilleur que son concurrent. En tant qu'Autorité de la concurrence, nous essayons de faire que chacun respecte les règles du jeu, qu'il n'y ait pas une partie des concurrents qui se mettent d'accord entre eux pour frauder un marché public ou un appel d'offres, parce que sinon cela pénalise tout le monde, y compris le consommateur. Nous avons ainsi annoncé ce matin avoir démantelé un cartel : les industriels qui fabriquent des sandwichs vendus en magasin ou station-service s'étaient mis d'accord pour fausser les appels d'offre de la grande distribution sur les MDD, de sorte que le consommateur paie ses produits alimentaires plus cher. Nous restons très vigilants là-dessus.
Sur l'électricité, je pense que j'ai répondu en commun avec la question précédente.
Vous êtes revenu sur Veolia-Suez, et plus largement sur les conséquences pour les salariés en cas de restructuration. Nous n'avons pas pour mandat de contrôler ces considérations. Lorsque nous sommes saisis d'opérations de concentration, notre mandat, de par la loi, est d'examiner l'effet sur la concurrence. Nous sommes conscients qu'il peut y avoir des conséquences sur les salariés, mais ce n'est pas dans notre mandat de dire si une fusion sera bonne ou mauvaise pour les salariés. Toutes les fusions ne sont d'ailleurs pas associées à des baisses du nombre de salariés. C'est fréquent, mais pas systématique : il existe des fusions de développement. En tout cas, nous ne sommes pas là pour le prendre en compte. Dans le dispositif national, en revanche, un outil peut le faire : la phase 3 du contrôle des concentrations. Lorsque nous interdisons une opération, le ministre de l'économie a la faculté d'intervenir en prenant en considération l'emploi. Ainsi, le ministre de l'économie Bruno Le Maire est intervenu dans un cas de figure pour autoriser une concentration que nous avions proposé d'interdire en se fondant sur les effets sur l'emploi.
Il arrive parfois qu'en faisant respecter les règles de la concurrence, on préserve des emplois. Je pense à un cas de figure dans le domaine de la presse, où nous avions été saisis de concentrations importantes. Nous avions conditionné ces fusions au maintien, par les journaux, de rédactions séparées, parce que nous souhaitions maintenir pour le consommateur le choix de différents journaux.
J'en viens à la question de Mme Estrosi Sassone sur les syndics. La volonté du Gouvernement était de répondre à une situation dans laquelle l'état daté pouvait être facturé relativement cher, alors qu'on en a besoin lorsqu'on vend son bien. Le consommateur est lié et a besoin de l'obtenir. Nous avons compris la volonté du Gouvernement. Nous avons été confrontés, dans cette affaire, aux inconvénients classiques des prix plafonds : tout le monde s'aligne au plafond. Ceux qui étaient moins cher deviennent plus cher, d'autres peuvent y perdre. Quand les prix des masques et des gels hydroalcooliques ont été plafonnés, tout le monde s'est mis au plafond. Je n'ai pas vu beaucoup de personnes en-dessous ! C'est pour cela que nous sommes traditionnellement réservés sur cet outil. À ma connaissance, le Gouvernement réfléchit à la suite, mais partait plutôt sur cette idée plutôt que sur le système que nous avions proposé. Sur ce point, la balle est dans le camp du Gouvernement.
Vous avez aussi souligné que la crise sanitaire a pu générer de nouveaux conflits ou des difficultés avec les syndics. Différentes professions ont en effet monté leurs prix du fait de la crise. Ce n'est pas forcément illégitime : on a vu par exemple des coiffeurs qui appliquaient une sorte de « taxe covid ». Dans certains cas, la crise a généré des coûts supplémentaires pour les entreprises. Je ne peux pas me prononcer sur le fait de savoir si c'était justifié ou non. Le point particulier des conflits éventuels autour de prestations relève plutôt des juridictions de droit commun commercial ou de la DGCCRF, si des problèmes relèvent du droit des consommateurs.
En ce qui concerne les relations franchiseurs-franchisés, vous avez raison, les situations peuvent être délicates, voire dramatiques pour des personnes qui se retrouvent dans des situations financières et personnelles très graves. La presse a pu s'en faire l'écho. Là encore, cela relèverait plutôt d'une réflexion du Gouvernement sur le niveau de protection du statut. Des conflits se traduisent devant les tribunaux et nous sommes actuellement saisis pour avis par des tribunaux judiciaires, sur des problématiques de franchiseurs-franchisés. Nous aurons à nous prononcer sur ce point dans les prochains mois, mais je partage avec vous le sentiment que c'est un sujet compliqué. Ce système peut apporter beaucoup de choses mais place les uns et les autres dans des positions parfois fragiles.
J'en viens à la question de M. Chaize sur l'adaptation au numérique et ce que fait le service de l'économique numérique. Au-delà de ce service, l'ensemble de l'Autorité est tournée vers ce domaine. Nous travaillons actuellement à un avis sur les transformations du secteur financier des paiements face au numérique. L'arrivée des grandes plateformes dans les moyens de paiement rend ce sujet incontournable.
Avec notre nouveau service, nous essayons de développer des compétences que nous n'avions pas encore, comme utiliser la data science. Nous avons donc recruté des personnes compétentes dans ce domaine. Nous échangeons aussi beaucoup avec les régulateurs européens ou internationaux qui avancent sur le sujet : l'autorité de la concurrence britannique et nos collègues américains de la Federal Trade Commission (FTC) et du Department of Justice (DoJ) ont mené des projets assez avancés. L'objectif est de mettre en commun les bonnes expériences et les bons outils. Par exemple, nous avons pour but de mettre en place un outil fondé sur des algorithmes qui détecterait plus facilement les ententes sur les marchés publics. Les chiffres peuvent donner des indices, qui permettent de détecter des offres biaisées. Nous travaillons sur ce type de dispositif pour essayer d'additionner de nouveaux moyens.
Pour ce qui est des délais, nous obtenons de bons résultats. Nous essayons d'écluser les stocks de l'Autorité. Notre but serait, selon la nature des affaires, de traiter des affaires très complexes en deux ans, lorsque les cartels sont très lourds, avec beaucoup de pièces à manipuler, mais de pouvoir réduire les délais à 12 à 18 mois pour une affaire de difficulté moyenne, et encore moins lorsque l'affaire est plus simple.
Sur les télécoms, vous avez raison, on note beaucoup de concentrations, avec de grosses affaires comme le rachat de Covage, qui a été examiné par la Commission européenne. Nous avons examiné une affaire importante qui concernait le rachat par Bouygues d'un opérateur intervenant sur le marché « entreprises ». Cette opération a été soumise à des engagements pour maintenir un certain type de concurrence et d'offre qui bénéficiait à des acteurs de petite taille dans le marché des télécoms. Nous avons vraiment regardé cette opération de près. Plus largement, nous menons actuellement une enquête sur le marché entreprise, qui débouchera d'ici quelque temps.
Pour répondre à la question de M. Montaugé sur le DSA : c'est en effet un texte majeur. Il a vocation à fusionner toutes les règles en matière de commerce électronique et des plateformes, notamment celles concernant proprement les sites de commerce électronique. Il s'attaquera à la contrefaçon, mais concernera aussi d'autres types de règles. Que tout le monde applique les mêmes règles constitue la base de la concurrence. Il ne faut pas qu'on trouve des produits contrefaits, qui sont par définition une atteinte aux règles équitables de la concurrence. Ce texte nous paraît, en l'état, très bien ficelé. Il couvre des sujets de nature très différente, comme les règles sur les contenus, qui conduiront peut-être à des débats plus délicats au niveau européen car il est plus difficile d'avoir un accord sur l'intervention sur les contenus. Pour le coup, le Parlement français a avancé sans attendre le DSA. Sur les règles du commerce électronique, il n'entraîne pas de révolution. Il est en revanche nécessaire que le système soit encore plus efficace, notamment en termes de lutte contre la contrefaçon. On doit s'inscrire dans une évolution vers des obligations de conformité plus poussées vis-à-vis des plateformes, afin de mieux s'assurer qu'elles font le ménage chez elles. C'est tout l'enjeu de savoir si les plateformes de vente en ligne font de la surveillance pour vérifier qu'il n'y a pas de produit contrefait ou pour intervenir lorsqu'on lui signale. Le texte est suivi au niveau interministériel et nous participons aux travaux sur ce point. L'application de ces règles ne relèvera pas de nous, mais plutôt de la DGCCRF.
Nous n'avons pas eu à avoir un regard d'ensemble sur l'État actionnaire. Le droit de la concurrence est assez agnostique sur la nature de l'actionnariat de l'entreprise, puisque le principe est que nous intervenons dès lors qu'un organisme peut être qualifié d'entreprise, qu'il soit public ou privé. Il arrive souvent que nous examinions en concentration des rachats par des entreprises publiques, et elles ne sont pas traitées plus ou moins favorablement du fait qu'elles soient publiques. Nous prenons bien sûr en compte les réglementations particulières ou les enjeux de souveraineté. La façon dont se résolvent ces derniers passe plutôt par l'application d'un double contrôle : nous regardons ce qu'il en est sur la concurrence, et le contrôle des investissements étrangers prend en compte cette dimension. L'État peut en effet s'opposer au rachat d'une entreprise stratégique. Je mentionnais la phase 3, donc la possibilité pour le ministre d'intervenir dans une opération. Le droit français permet au ministre de l'économie d'intervenir après que l'Autorité de la concurrence a examiné une opération en face d'eux, pour des motifs d'intérêt général. Cette possibilité n'a toutefois pas été appliquée en France.
Vous mentionniez Alstom-Siemens et les Chantiers de l'Atlantique : comme il arrive souvent dans ces grandes opérations assez complexes, le débat sur la souveraineté et les champions était au coeur de leur examen. En l'occurrence, la Commission européenne était en première ligne là-dessus.
J'en viens à la question de M. Gremillet, qui portait sur le respect ou non des règles environnementales pour les produits importés. Aujourd'hui, il n'existe pas véritablement d'outil de ce type, au-delà du fait que le produit doit être conforme. Comme je le disais, l'application des règles environnementales dans le pays d'origine où a été élaboré le bien constitue un enjeu nouveau. C'est quelque chose qui reste à construire.
Vous m'interrogiez sur la loi EGalim et le bilan des négociations. Celles-ci se sont déroulées cette année dans un contexte assez particulier. L'année a été difficile aussi pour les distributeurs qui ont été en première ligne pour approvisionner les Français dans un contexte complexe. Il faut reconnaître les difficultés auxquelles ils ont eu à faire face, même si ce n'est pas mon rôle de dire si le résultat final des négociations est le bon. J'ai bien noté les insatisfactions sur les évolutions des prix fournis aux producteurs. Il faudra voir dans un bilan d'ensemble de la loi EGalim qui doit être établi régulièrement si les outils sont suffisants pour ces négociations commerciales. Dans la première période d'application de la loi, on avait l'impression que cela allait dans le bon sens et que les uns et les autres avaient fait des efforts. C'est peut-être un point de vue dissonant, mais je pense que, plus généralement, il y aurait matière à réfléchir sur le poids des règles sur les négociations commerciales. Est-ce le bon outil pour atteindre des objectifs par ailleurs légitimes ? Les contraintes qui s'appliquent aux négociations commerciales en France me paraissent constitutives d'un système redoutablement complexe.
Vous m'aviez également interrogée sur le projet Hercule. Comme je l'ai dit, le Gouvernement n'a pas choisi de nous saisir de ce sujet. Nous verrons ce qui sera décidé dans les tout prochains mois.
J'en viens à la question de Mme Renaud-Garabédian : a-t-on vu des ententes ou des abus de position dominante pendant la période de la covid ? Nous avons reçu beaucoup de signalements, pour le recueil desquels nous avions mis en place une task force interne. Nous avons recueilli une soixantaine d'indices divers en cours d'analyse. Cela ne veut pas dire que des infractions seront nécessairement constatées en fin de compte. Nous avions aussi mis en place un suivi européen des problématiques Covid, et il me semble que d'autres pays ont connu plus d'abus, comme des prix abusifs sur les masques ou le gel hydroalcoolique à la suite d'une grande pénurie. La France a été un des pays qui a choisi de réglementer dans ce contexte. Il est intéressant de comparer. Dans d'autres pays, je pense à l'Italie et au Royaume-Uni, qui ont ouvert des procédures, on vendait des masques ou du gel hydroalcoolique à des prix très élevés pour tirer profit de l'attente du consommateur. Ces pratiques ont souvent pu être résolues par l'application du droit de la protection du consommateur.
J'en viens à la question suivante de M. Louault qui portait sur l'agriculture et les possibilités d'entente des grands distributeurs. Je crois que j'ai répondu sur le point des contraintes appliquées aux produits français. C'est sans doute une réflexion à mener. Il me semble que dans l'application des dispositions environnementales, il faut toujours prendre en compte l'objectif et la proportionnalité de la mesure mais aussi le délai d'application. Souvent, en effet, la rapidité d'application des règles pose problème. Ce point est particulièrement présent dans vos travaux de législateur. Au niveau européen, l'objectif général de protection de l'environnement peut difficilement être discuté. Le vrai sujet est de savoir où il faut mettre les priorités, dans quels délais, et de travailler sur les produits qui arrivent de l'extérieur de l'UE.
La question de M. Bouloux portait sur les évolutions liées au numérique et la nécessité de changer la loi. Je crois que les sujets conceptuels et juridiques liés à l'action des grandes plateformes sont très nombreux. Nous passons beaucoup de temps à échanger avec les universitaires et les autres autorités sur ces points. Pour répondre plus précisément à votre question : je ne sais pas encore s'il faut changer la loi. C'est possible, et nous aurons peut-être à traiter de dossiers tests. Pour vous donner un exemple que j'ai mentionné : l'abus de position dominante est la pierre angulaire du droit de la concurrence et figure dans le traité. On ne peut pas changer si facilement cette notion au niveau européen. Est-ce un outil suffisant lorsqu'on est face à des plateformes structurantes qui n'ont pas forcément une position dominante ? On peut prendre l'exemple d'un marché numérique où on aurait trois acteurs qui auraient chacun 30 % de part de marché. Aucun ne répondra aux critères de la dominance. Pour autant, ne faudrait-il pas leur appliquer des règles particulières ? Ce serait ou bien une nouvelle approche de la dominance, ou bien une autre notion (plateforme structurante ou autre). Cela fait partie pour nous des sujets les plus importants et délicats et sur lesquels nous travaillons de très près.
Sur la question de M. Moga qui portait sur l'affaire Veolia-Suez et le risque de monopole au niveau national, je crois vraiment que, quelle que soit la configuration que choisiront les entreprises en termes de démantèlement de tel ou tel acteur, il me paraît fort peu probable qu'on arrive à un scénario avec un acteur monopolistique sur l'eau et l'assainissement en France. Ce serait contraire avec tout ce que fait la Commission européenne dans son approche des concentrations. Dans tous les scénarios, un nouvel entrant aura sa place dans ces actifs. Et pour répondre à la question de Mme Blatrix Contat sur le fait de savoir si l'offre évoquée dans laquelle Meridiam reprendrait l'eau et l'assainissement pourrait faire échapper l'opération au contrôle des concentrations : non, absolument pas. Envisager des remèdes ou des scénarios ne remet pas en cause l'application du contrôle des concentrations. Cela peut être un élément pris en compte par l'autorité de la concurrence, en l'espèce la Commission, pour approuver l'opération si cela permet de résoudre les sujets concurrentiels. Pour répondre à la deuxième question posée là-dessus, l'appréciation faite par les autorités de concurrence se situe sur les données disponibles à l'instant t mais se projette vers l'avenir. Le contrôle des concentrations essaye d'anticiper l'impact de l'opération à moyen terme. C'est ce qui rend cet exercice souvent difficile : on fait des prévisions fondées sur les données dont on dispose. L'idée est d'avoir une approche dynamique des marchés et de voir ce qui peut se passer sur les mois ou années à venir.
La deuxième question de Mme Blatrix Contat portait sur le DMA. Comment pourrait-on avoir une procédure articulant la Commission et les autorités nationales ? Il me semble que le réseau européen de la concurrence est un modèle qu'on connaît bien et qui fonctionne bien. L'Europe comporte plusieurs réseaux d'autorités : l'Organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE) pour les télécoms, le groupe des régulateurs des services de médias audiovisuels ou encore le réseau des CNIL. Chacun fonctionne selon ses règles. Le réseau de la concurrence est l'un de ceux qui a le mieux fonctionné, en raison de son articulation très souple. Aucune règle a priori ne répartit les compétences entre niveau européen et national : à chaque fois qu'un sujet de frontière se pose, nous discutons pour voir quelle est l'autorité la mieux placée. Imaginons que demain le DMA énonce des règles sur les market places, c'est-à-dire les sites de vente en ligne comme Amazon. Mettons que la part de marché d'Amazon en Allemagne soit de 57 %, qu'elle soit bien inférieure dans d'autres pays, et qu'il y ait un problème prégnant en Allemagne et avec les entreprises allemandes. Il ne me semblerait pas du tout aberrant que l'application du DMA soit déléguée à l'Allemagne pour régler ce cas de figure, tout en en discutant au niveau européen. Des solutions intelligentes permettraient d'aider la Commission face à cette tâche très lourde et de garder cette approche nationale, souvent importante même dans le numérique. Ce n'est pas parce qu'un acteur a une position mondiale qu'il est présent de la même façon dans tous les pays européens. C'est très frappant pour Amazon : quand vous comparez ses parts de marché en Europe, l'entreprise est quasiment absente dans certains pays où elle n'a même pas de site national. En France, il se trouve qu'Amazon a une grosse part de marché. Elle est encore plus importante au Royaume-Uni et en Allemagne, mais les situations ne sont pas partout analogues.
La question de M. Salmon portait sur les différentes formes de concurrence, y compris celle sur la fiscalité. J'ai dit qu'il me semblait indispensable de prendre en compte cet élément de la fiscalité. Nous sommes sans doute un peu en retard là-dessus, mais il faut que les États s'en saisissent pleinement. C'est un sujet délicat en Europe : certains d'entre eux y sont fortement opposés, mais je crois que si on arrivait à avancer là-dessus, on aurait fait un grand pas.
La question de Mme Noël portait sur un sujet complexe : la prise en compte des critères d'origine et de provenance dans les marchés publics. Peut-on favoriser ou prendre en compte la production locale dans leur attribution ? Les choix faits au niveau européen et par la loi française tendent plutôt à ne pas permettre de se différencier selon ces types de considération. À titre personnel, je ne suis pas opposée à ce qu'on prenne davantage en compte cette dimension. Ainsi, dans le cadre des pouvoirs de l'Autorité de la concurrence, lorsque nous nous sommes prononcés sur le rachat de l'aéroport de Lyon par Vinci, nous avons pris en compte dans nos remèdes le fait que l'opération ne pénalise pas les autres PME de la région Rhône-Alpes, très présentes sur les marchés de l'aéroport. Nous sommes sensibles à cette dimension locale. Sur le plan plus juridique, il faut bien affiner la façon dont cela peut se faire pour que les règles soient claires et connues de tous.
Pour répondre à la question de Mme Berthet sur le contrôle de l'application du drapeau français sur les produits, évaluer si le consommateur est trompé par un produit d'apparence française qui a été fabriqué ailleurs rentre plutôt dans les pouvoirs de la DGCCRF.
Madame la sénatrice Jacques, vous m'interrogiez sur l'outre-mer et sur l'attention que nous lui portons. Les sujets ultra-marins sont surreprésentés dans notre activité. Nous considérons que fait partie de notre mission la protection des territoires les plus fragiles par rapport aux enjeux concurrentiels. Les territoires ultra-marins en relèvent par l'isolement, la petitesse et les difficultés géographiques. C'est pourquoi nous avons beaucoup investi dans cet avis sur l'outre-mer, qui abordait beaucoup de sujets assez nouveaux, notamment le fait que l'octroi de mer a pu dériver de son objectif premier. Il a été construit pour protéger les productions locales. Or il frappe désormais des produits sans production locale et il pèse sur le consommateur. On sait que les collectivités en ont fait un outil de financement, mais cela nous pose question car l'octroi de mer a un effet très défavorable pour le consommateur. Nous avons aussi pointé dans notre avis la vente en ligne, qui en outre-mer est aujourd'hui extrêmement compliquée alors qu'elle peut être une façon pour le consommateur d'accéder à des produits qu'il ne trouvera pas sur le territoire et qui sont parfois moins chers. Nous avons pointé toutes les limites, y compris réglementaires, et à l'époque la ministre des outre-mer nous avait indiqué qu'elle allait travailler sérieusement sur tous ces points pour essayer de lever les freins structurels, sachant que nous aurons plus de mal à traiter les freins géographiques.
J'espère avoir pu répondre au moins brièvement à vos intéressantes questions.
Mme Sophie Primas, présidente. - Madame la présidente, je voudrais vraiment vous remercier d'avoir répondu avec autant de précision et de compétence à l'ensemble de ces questions. M. Daniel Gremillet voulait ajouter quelque chose.
M. Daniel Gremillet. - Madame la présidente, je vous ai écouté avec beaucoup d'attention. Je suis désolé, mais l'analyse que vous tirez de 2020 par rapport à l'agroalimentaire, à la nécessité de nourrir les Français pendant la pandémie et d'être attentifs aux prix me paraît partielle. N'oubliez pas que pour que des produits soient dans les rayons, des entreprises ont travaillé aussi pendant cette période. Je souhaite leur rendre hommage, quels que soient leur niveau et leur taille.
Deuxième point, et je pense qu'il sera nécessaire qu'on entende vos services dans le groupe de suivi EGalim : les chiffres bruts font apparaître en 2020, une progression à deux chiffres des MDD au détriment des marques. Cela signifie qu'en 2020, on a appauvri encore un peu plus les territoires par une concentration au niveau des MDD.
Je corrige par rapport à l'analyse que vous avez faite. Merci, Madame la présidente, de m'avoir autorisé à le faire. Ce n'est pas très correct, mais il fallait le dire.
Mme Isabelle de Silva. - Je crois qu'on n'est pas en désaccord. Je sais que les distributeurs sont souvent critiqués...
M. Daniel Gremillet. - Mais ce n'est pas une critique !
Mme Isabelle de Silva. - Je crois que tout le monde en a conscience, mais je voulais rappeler que l'année a pesé sur beaucoup d'acteurs, y compris les producteurs. Les distributeurs ont fait face aussi et ont dû organiser les files d'attente. On a tous des mauvais souvenirs de cette période.
Par acquit de conscience, je veux répondre à la question de la concurrence entre commerce physique et en ligne. Le commerce de détail est un point de préoccupation très fort. Nous avons consacré une étude spécifique au commerce physique et à la concurrence de la vente en ligne : il est très inquiétant de voir la situation du commerce de détail en France, dont les magasins qui se ferment, y compris à Paris et dans des centres urbains favorisés. Nous avons souhaité, dans cette étude, donner des pistes sur ce que peut faire le commerce de détail pour trouver un nouveau modèle. C'est un point d'attention que je voulais indiquer au terme de cette audition.
Mme Sophie Primas, présidente. - Encore une fois, Madame la présidente, merci beaucoup. Votre audition est toujours passionnante et intéressante, même si elle soulève des questions qui restent encore en suspens. Merci des travaux que vous menez avec la Commission européenne et le réseau européen de la concurrence, car il me semble qu'il va falloir qu'on avance très vite sur les sujets de marché pertinent et de plateformes structurantes.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 30.
Projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets - Demande de saisine pour avis et désignation de rapporteurs pour avis
Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, comme vous le savez, le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets sera examiné au fond par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Le passage en séance publique est prévu la première quinzaine du mois de juin.
À la suite de l'arbitrage rendu par le Président du Sénat, notre commission des affaires économiques va se voir déléguer au fond l'examen de 21 articles du texte et se saisira pour avis sur 19 autres articles. Nous aurons donc au total à nous prononcer sur plus de la moitié des articles, soit une partie importante du texte et notamment l'ensemble des sujets relatifs à la publicité, au commerce, au code minier, au logement, à l'urbanisme et en particulier l'objectif de zéro artificialisation nette, à l'agriculture et notamment la question des intrants.
S'agissant des délégations au fond, c'est certes moins que ce que nous espérions à l'origine, mais davantage que la répartition proposée avant l'arbitrage. Il s'agit maintenant de se mettre au travail et de montrer par la qualité de nos contributions que la transition vers une économie plus sobre en carbone est un sujet dont nous maîtrisons toutes les dimensions et sur lequel nous avons un apport politique substantiel.
Dans cette perspective, je vous propose de désigner une équipe de rapporteurs qui ont déjà travaillé sur ces sujets soit à l'occasion de textes précédents (Egalim, ELAN ou Énergie-climat), soit au sein de groupes de travail.
Je vous soumets en conséquence les candidatures des collègues suivants :
- Mme Anne Catherine Loisier sur les sujets concernant la consommation, l'alimentation et l'agriculture, dans le prolongement des travaux menés sur la loi Egalim ;
- Mme Dominique Estrosi Sassone sur les questions de logement, à la suite de son rapport sur la loi ELAN ;
- M. Daniel Gremillet sur les questions d'énergie, dans la continuité de ses travaux sur la loi Énergie-climat ;
- M. Jean-Baptiste Blanc sur le sujet de l'objectif de zéro artificialisation nette, dans le prolongement du groupe de travail du même nom qu'il pilote.
Je vous remercie.
La commission demande à être saisie pour avis sur les articles 1er, 4, 6, 7, 10, 11, 14, 20, 22, 23, 24, 33, 46, 56, 57, 61, 62, 63 et 64 du projet de loi n° 3875 rect. (AN XVe lég.) portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, et à être saisie pour avis avec délégation au fond sur les articles 21, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 59, 60, 65 et 66. Mmes Anne-Catherine Loisier, Dominique Estrosi Sassone, MM. Daniel Gremillet et Jean-Baptiste Blanc sont désignés rapporteurs pour avis.
La réunion est close à 11 h 30.