- Mercredi 10 mars 2021
- Audition de M. Robert Ophèle, président de l'Autorité des marchés financiers
- Solidarité et renouvellement urbains - Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes
- Projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales - Demande de saisine et désignation d'un rapporteur pour avis
- Désignation d'un rapporteur
Mercredi 10 mars 2021
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Audition de M. Robert Ophèle, président de l'Autorité des marchés financiers
M. Claude Raynal, président. - Nous avons le plaisir de recevoir ce matin M. Robert Ophèle, Président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), afin de nous apporter un éclairage sur les enjeux liés au bon fonctionnement des marchés, à la protection des épargnants et à la compétitivité de la place de Paris. Dans un contexte marqué par le Brexit, vous nous parlerez aussi des évolutions de la réglementation européenne et du projet d'union des marchés de capitaux - sujet qui évolue, disons-le, doucement.
Naturellement, cette audition sera aussi l'occasion de revenir sur les effets multiples de la crise sanitaire, qui constitue un défi majeur dans un secteur où la continuité des missions revêt une importance cruciale pour permettre le bon fonctionnement de l'activité économique. Au plus fort des turbulences, cela vous a d'ailleurs conduit à interdire temporairement les ventes à découvert et à geler pour la première fois les souscriptions et les rachats de certains fonds afin de préserver l'intérêt des épargnants.
Sans plus tarder, je vous cède donc la parole pour un bref propos liminaire.
M. Robert Ophèle. - L'année 2020 aura été en effet une année de grande tension pour l'AMF comme pour l'ensemble de nos concitoyens. La crise sanitaire a profondément affecté le tissu économique et, ce faisant, les marchés financiers, mobilisant les équipes de l'AMF pour réagir dans l'urgence à de nombreuses situations inédites appelant souvent une intense concertation internationale - j'ai participé à une centaine de réunions internationales l'an passé - et conduisant l'AMF à mobiliser pour la première fois certains de ses pouvoirs : celui concernant les ventes à découvert avec l'interdiction de constitution de nouvelles positions courtes nettes du 17 mars au 18 mai et celui concernant la suspension de fonds lorsque la suspension des souscriptions et rachats a été imposée à certains fonds H2O fin août.
Ces situations inédites, et dans certains cas de crise, ont mis en évidence la nécessité de revisiter en profondeur plusieurs sujets qui, selon les cas, relèvent des autorités françaises ou européennes. J'en ai identifié cinq que j'évoquerai brièvement avant d'y revenir plus en détail en fonction de vos questions. Ce que nous avons vécu depuis mars 2020 doit en particulier nous conduire à premièrement, mieux accompagner la montée en puissance des actionnaires individuels ; deuxièmement, assurer un meilleur fonctionnement des mécanismes de marché dans un cadre transparent et avec une gouvernance adaptée ; troisièmement, mieux structurer le développement de la finance durable ; quatrièmement, adapter le cadre réglementaire et de supervision de la gestion d'actifs afin de mieux maîtriser les risques associés ; enfin, développer la souveraineté financière de l'Union européenne après la sortie du Royaume-Uni tout en confortant la place de la France dans cette dynamique.
La montée en puissance des actionnaires individuels en 2020 est un phénomène observé dans de nombreux pays, y compris en France. Dans notre cas, la privatisation de La Française des Jeux fin 2019 avait constitué une étape décisive dans ce retour des particuliers vers la bourse, mais 2020 a vu un afflux de nouveaux investisseurs plus jeunes et plus actifs et on a ainsi enregistré environ 60 millions de transactions boursières de particuliers en 2020 contre 25 millions les années précédentes. L'AMF publie désormais un tableau de bord trimestriel des investisseurs particuliers actifs en bourse pour suivre ce phénomène.
Il faut se réjouir de cette évolution qui permet de créer un lien plus direct entre nos concitoyens et le développement de nos entreprises mais il faut s'assurer que cette évolution s'inscrit bien dans une perspective de long terme, ne se traduit pas par des prises de risques excessives et contribue au bon fonctionnement du marché. J'ai en tête bien entendu ce qu'on a observé aux États-Unis dans l'affaire Gamestop. Dans cette perspective il faut savoir refuser les instruments à fort effet de levier et ne pas céder la magie du « zéro commission ». Il faut également renforcer la qualité des conseils donnés aux clients lorsqu'on se place dans ce contexte. Les progrès qui restent à accomplir seront illustrés par la publication en fin de semaine de la synthèse de nos contrôles courts, dits « spot », sur le thème de l'adéquation des instruments financiers recommandés à la situation particulière des clients : connaissance du client, évaluation de ses connaissances, de sa situation financière et de ses capacités à subir des pertes, de ses objectifs d'investissement et de son appétence pour le risque. Il faut également conforter la confiance dans le bon fonctionnement des mécanismes de marché.
La question de l'encadrement du libre jeu des offres et des demandes sur le marché financier est ainsi devenue une question particulièrement sensible. Entre des offres amicales interdites pour de légitimes raisons de souveraineté, la tentation de rendre impossible les offres hostiles ou de limiter les capacités d'action des fonds dits activistes, et les restrictions apportées parfois aux ventes à découvert et aux distributions de dividendes, certains se sont interrogés sur l'ampleur des limitations apportées au fonctionnement des marchés. Défendre l'intégrité du marché est au coeur des priorités de l'AMF. Cela se traduit en particulier par l'accent mis sur une exigence de transparence, qui permet de prévenir les abus de marché, et sur le développement du dialogue actionnarial qui peut permettre d'éviter les conflits inutiles. L'AMF a d'ailleurs fait des propositions en ce sens et a adapté sa doctrine - cela fera l'objet d'une communication dans les tous prochains jours. Il importe cependant d'être conscient des menaces qui s'accumulent sur l'action de l'AMF en matière d'abus de marché. J'ai notamment en tête le possible arrêt, suite aux décisions de la CJUE, de la conservation des données de connexion si précieuses dans les cas de délits d'initiés. J'ai également en tête la contestation désormais presque systématique des actes de procédure et des décisions de la Commission des sanctions, qui mobilise de plus en plus significativement les équipes de l'AMF, retarde les enquêtes et allonge les délais pour disposer d'une jurisprudence définitive.
Les contraintes sanitaires ont conduit la plupart des entreprises à organiser leurs assemblées générales de 2020 à huis-clos, ce qui a rendu nécessaire d'améliorer les modalités de la participation à distance des actionnaires à ces moments phares de l'exercice de leurs droits. Si la capacité de suivre à distance le déroulement des assemblées générales semble désormais bien assurée, il n'en n'est pas de même pour la capacité à y participer activement et en temps réel. La question du droit de vote à distance est en particulier à la fois essentielle et complexe d'un point de vue opérationnel car celui-ci doit être exercé dans un cadre sécurisé. Cela conduira à revisiter la problématique dite de la « record date » - date à laquelle on gèle l'actionnariat et les droits de vote associés - qui doit être la plus proche possible de l'assemblée générale mais suffisamment éloignée pour assurer de façon sécurisée la gestion opérationnelle du processus. Un peu comme les listes électorales ! Tout ceci est en cours d'examen avec la place et nous pensons que des progrès décisifs pourront être obtenus dans ce domaine pour les assemblées générales qui se tiendront en 2022.
L'année 2020 a été une année décisive pour progresser en direction d'une finance plus durable, tant au niveau français, européen, qu'international. La contribution de l'AMF à cette évolution, qui sera détaillée dans le rapport annuel de mi-avril, a été très significative. Nous avons posé les premiers éléments de doctrine en matière de commercialisation des produits de gestion collective intégrant des approches financières afin de couper court à la tendance au verdissement de façade des produits financiers. Nous avons contribué à la réflexion européenne, notamment avec des propositions d'encadrement de la fourniture de notations et de données extra-financières. Nous avons posé les jalons d'une certification AMF des connaissances en matière de finance durable. Nous avons analysé le reporting des dix acteurs financiers français mettant en oeuvre les recommandations de la Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD) et établi avec l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) un premier rapport sur le suivi et l'évaluation des engagements pris par les institutions financières françaises en matière de climat. Alors que l'Europe avance rapidement pour soutenir et encadrer ces évolutions, la demande s'est accélérée en faveur de standards mondiaux qui pourraient servir de références communes pour l'information rendue publique par les émetteurs. La proposition faite par l'International Financial Reporting Standards Foundation (Fondation IFRS) d'établir ce référentiel commun a attiré un large soutien et il n'est pas exclu que les États-Unis y adhèrent, contrairement à la posture qu'ils ont retenue pour les normes comptables établies par l'International Accounting Standards Board (IASB). Il reste que cette attraction légitime des standards mondiaux ne doit ni retarder ni affadir les ambitions européennes.
L'année 2020 a également été une année très agitée pour la gestion d'actifs, et en particulier pour les fonds ouverts, avec la matérialisation des risques de liquidité et de valorisation. S'agissant des fonds français sous la responsabilité de l'AMF, nous avons dû être plus particulièrement attentifs aux vastes retraits intervenus sur les fonds monétaires en mars - 45 milliards d'euros de retraits nets sur quelques jours, sur un encours de 300 milliards d'euros, ce qui est très significatif -, et sur les difficultés de valorisation de certains actifs non cotés qui ont conduit à la suspension de certains fonds d'épargne salariale et surtout à la suspension des fonds H2O. Celle-ci a débouché pour la première fois sur une scission de fonds avec une partie ré-ouverte aux entrées-sorties constituée par les actifs liquides et dont la valorisation ne pose pas de problèmes et une partie cantonnant les actifs illiquides à valorisation incertaine qui est mise en liquidation. C'est le dispositif qui avait été finalisé par la loi « Pacte » et qui a ici été mis en oeuvre avec succès.
À l'étranger, on a également constaté des tensions sur les fonds monétaires mais aussi sur les fonds obligataires corporate et les fonds immobiliers - nous n'avons pas connu ces problèmes en France, qui ont été particulièrement marqués au Royaume-Uni. Ces tensions ont déclenché une intense réflexion, tant en Europe qu'au niveau international sur l'adéquation des cadres réglementaires et la possible mobilisation d'outils macro-prudentiels. L'AMF y participe activement car il s'agit là d'un enjeu essentiel pour assurer le financement de nos économies sans mettre en danger la stabilité financière. Il faut d'ailleurs reconnaître qu'il y a en ce domaine des divergences d'analyses significatives entre autorités.
L'Union européenne n'a pas encore vraiment finalisé sa politique visant à développer dans l'Union une industrie financière autonome à même de couvrir les besoins de financement de ses économies et à assurer une intermédiation efficace entre apporteurs et demandeurs de capitaux. Alors que le Royaume-Uni a décidé de quitter l'Union depuis quatre ans et demi, l'Union des marchés de capitaux est encore largement à l'état de projet avec une mosaïque d'approches nationales qui soit fragmentent la zone, soit établissent une compétition malsaine lorsqu'il y a complète liberté de prestation de services. Si on doit considérer que de grands progrès ont été accomplis pour assurer la localisation dans l'Union de nombreuses opérations financières - comme l'illustre la relocalisation dans l'Union de l'essentiel des transactions sur actions européennes - force est de reconnaître que cela n'a pas favorisé la compétitivité de l'industrie financière européenne. Il reste encore beaucoup à faire pour faire émerger un marché financier européen efficace et des acteurs européens de dimension internationale dans le domaine financier.
Je ne peux clôturer cette introduction sans évoquer la faiblesse des moyens dont dispose l'AMF et qui a été un peu cruellement mise en évidence dans cette période de crise, qui a vu un alourdissement très net des échanges internationaux - y compris avec un effort désormais structurel de renforcement de la convergence de la supervision européenne. Malgré les confortements qui nous ont été accordés ces dernières années, nos moyens financiers trop faibles - et nous allons une nouvelle fois clôturer l'exercice en pertes malgré les moindres dépenses liées à la crise sanitaire - se traduisent par des équipes beaucoup moins nombreuses que celles de nos homologues. Cela conduit inexorablement à réduire notre participation aux groupes internationaux et à limiter notre soutien à la présidence française de l'Union européenne qui interviendra en 2022. Notre influence faiblit alors que les enjeux sont considérables et que les décisions les plus structurantes se prennent au niveau européen. J'appelle donc à un sursaut dans ce domaine.
M. Claude Raynal, président. - Votre propos liminaire ne m'a pas rassuré sur la situation du marché européen des capitaux. Alors que les crises poussent habituellement les systèmes européens à s'améliorer, cette fois la fragilité du marché des capitaux semble perdurer. Par ailleurs, quel est l'impact de l'augmentation de la masse monétaire sur l'évolution des marchés financiers et son lien avec la progression du cours des actions ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'aborderai quatre points.
L'AMF estime que les pertes des épargnants liées à des arnaques se sont élevées à un peu plus d'un milliard d'euros entre le deuxième semestre 2017 et le premier semestre 2019. Comment mieux lutter contre ces arnaques, qui risquent de se multiplier en raison de la faiblesse des taux de rémunération et du développement du numérique ?
Aux États-Unis, des fonds spéculatifs ont beaucoup perdu après avoir parié sur l'effondrement de GameStop : un phénomène de même nature est-il susceptible de se dérouler en France, compte tenu de l'augmentation de la proportion des particuliers qui investissent en bourse depuis le début de la crise sanitaire ?
L'affaire H2O a entraîné une grave crise de liquidité et les épargnants ont subi des pertes par l'intermédiaire de leurs contrats d'assurance-vie. Quelles leçons en tirer ?
S'agissant enfin de la finance durable, les fonds « verts » suscitent un fort intérêt des épargnants et sont désormais proposés systématiquement dans les contrats d'assurance-vie. Comment accroître la transparence de ces investissements et la mobilisation des capitaux au profit des investissements favorables de l'environnement, tout en évitant le verdissement d'affichage ?
M. Robert Ophèle. - Plus que la masse monétaire, c'est le niveau des taux d'intérêt, nettement inférieur à l'inflation, qui est décisif. Il y a donc une demande d'actifs plus risqués, alors que l'offre n'augmente pas car les acteurs économiques sont incités à s'endetter plutôt qu'à renforcer leurs fonds propres. Ceci se traduit mécaniquement par la hausse du prix des actifs, d'autant que le niveau bas des taux augmente la valeur actualisée des flux futurs que représente le prix de l'action. En outre, la prime de risque a été particulièrement forte en mars et avril 2020 lorsque les effets de la crise sanitaire ont été pris en compte. Les particuliers entrés massivement dans le marché à ce moment-là ont bénéficié de l'opportunité de cours très attractifs.
À présent, les taux d'intérêt remontent aux États-Unis, ce qui pourrait entraîner une augmentation en Europe également, même si les causes ne sont pas les mêmes.
Dans l'affaire GameStop, le niveau très élevé des ventes à découvert sur le marché a fragilisé à l'extrême la valorisation du titre : 150 % du capital flottant avait été vendu à découvert, ce qui est rendu possible par des pratiques de prêts de titres revendus en chaîne. Le moindre choc sur le marché peut alors entraîner une réaction de rachat afin de couvrir les pertes, alors que le nombre de titres n'est pas suffisant, d'où l'envolée du cours du titre, sans logique économique. Nous ne connaissons pas de choc de cette nature à un tel niveau en Europe : les ventes à découvert n'atteignent pas un tel niveau.
Il faut également faire attention à la magie du « zéro commission ». En fait, le trader qui prend les ordres ne les déverse pas directement sur le marché, mais vend ses flux à un autre trader qui va les traiter. Dans ce système de « payment for order flow », on n'est pas sûr d'obtenir le meilleur prix pour le client d'origine. Ce système est à peu près impossible en Europe, car il y a un principe de meilleure exécution. Nous allons toutefois revoir ce point de plus près.
Enfin, les réseaux sociaux permettent de former des discussions, mais aussi des coalitions. La discussion est libre, mais les échanges qui passent par les plateformes ne doivent pas mener à la diffusion de fausses informations ou à la constitution de coalitions illusoires. On peut en effet multiplier les comptes et créer des mouvements d'opinion à partir de rien. Le Digital Services Act que la Commission européenne prépare jouera un rôle important à cet égard. Nous ne pensons pas que ce risque puisse se matérialiser en Europe aujourd'hui et je fais des propositions pour améliorer la transparence des ventes à découvert.
S'agissant de l'Europe de manière générale, la mise au point d'une décision, d'une directive ou d'une réglementation prend beaucoup de temps. La présidence française du premier semestre 2022 pourra faire aboutir certaines réformes. Le « recovery package », pris en urgence il y a quelques semaines, va faciliter les augmentations de capital au moyen de prospectus allégés, afin de compléter rapidement les fonds propres des entreprises qui en ont besoin. Nous avons fait passer un allégement des contraintes qui pèsent sur la recherche relative au suivi des titres de PME. Des décisions ont été prises sur les marchés de dérivés de matières premières.
On reste toutefois très éloigné de la mise en place d'un marché unique. Dans le domaine de la compensation des opérations, une équivalence temporaire a été donnée aux chambres de compensation du Royaume-Uni. Les chambres des pays tiers sont supervisées par l'Autorité européenne des marchés financiers ; celles situées en Europe sont supervisées par les autorités nationales. Compte tenu du caractère systémique de cette activité, peut-être faudrait-il ramener en Europe les opérations de compensations libellées en euro et qui ont lieu actuellement au Royaume-Uni ? Mais ce mouvement peut-il se faire sous supervision nationale alors qu'il répond à un besoin systémique ?
L'Europe repose essentiellement sur de nombreuses directives avec des transpositions nationales et un passeport européen : les services financiers proposés via le passeport ne sont pas réglementés de façon homogène car tout dépend de la transposition nationale de la directive. Des progrès sont certes enregistrés, mais beaucoup reste à faire.
Selon moi, l'affaire « H2O » ne correspond pas à une question de liquidité mais de valorisation. C'est une société de gestion britannique, qui gère des fonds essentiellement immatriculés en France. En juin 2019, les fonds gérés par H2O s'élevaient à 14 milliards d'euros, dont 10 milliards d'euros de fonds français, auxquels s'ajoutent des fonds irlandais, luxembourgeois et britanniques. Une partie de ces fonds était investie dans des actifs illiquides, à savoir des expositions sur un groupe allemand, qui représentaient initialement une faible partie de l'actif total des fonds.
À l'été 2019, une campagne d'opinion a conduit à s'interroger sur le choix d'investissement dans ces actifs. En réaction, un mouvement de sortie s'opère, à hauteur de 7 milliards d'euros, sans problème de liquidité. Toutefois, ce mouvement a eu pour conséquence d'augmenter proportionnellement les expositions aux actifs illiquides, ce qui a rapidement posé problème. En effet, en mars dernier, la chute brutale des marchés financiers a entraîné une forte perte de valeur des actifs liquides, accroissant d'autant plus la proportion des actifs illiquides dans le total du fonds.
Face à cette situation, des discussions se sont engagées pour faire racheter la partie illiquide, ce que nous avons suivi tant que les négociations semblaient pouvoir aboutir. Mais elles n'ont pas abouti, de sorte que l'AMF a été contrainte d'intervenir. En effet, la valorisation d'une partie significative des fonds n'était pas assurée. L'AMF a indiqué que, tant que la valorisation n'était pas assurée, les entrées et sorties devaient être suspendues. Notre demande initiale portait sur les trois fonds les plus exposés, mais, après échange, il est apparu que quatre autres fonds, moins exposés, présentaient également des risques de sorties massives, ce qui justifiait d'étendre la mesure. Ces sept fonds représentent 10 milliards d'euros, pour lesquels la France représente 40 % des actifs et l'Italie 30 %. L'essentiel en France concerne des unités de compte dans des contrats d'assurance-vie.
En complément de la suspension, le choix a été fait, avec notre accord, de mettre en oeuvre le dispositif dit de « side pocket », pour ne pas mettre en liquidation l'ensemble des fonds. Une scission est opérée entre la partie illiquide, placée en liquidation, qui représente environ 1,7 milliard d'euros, et le reste, liquide, rouvert une fois l'opération de scission réalisée. Ce processus s'est échelonné de la fin du mois d'août à la mi-octobre 2020. Sur la partie rouverte à la mi-octobre, plus de deux milliards d'euros d'actifs sont rapidement sortis. Précisons tout de même que, pour ceux qui sont restés sur ces parties ouvertes, la valorisation a globalement progressé. Dans certains cas, la valorisation a été telle qu'elle couvre même la perte sur la partie bloquée et qui est en cours de liquidation.
J'y vois un cas d'école.
Pour les assureurs, une question s'est rapidement posée : une unité de compte est une unité de valorisation. Il est possible d'entrer et de sortir du contrat d'assurance en fonction de la valorisation de l'unité de compte, mais il revient à l'assureur d'assurer la liquidité du produit. Il y a donc eu un débat pour savoir si, pendant la période de blocage résultant de l'opération de scission, les épargnants pouvaient entrer et sortir. L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a considéré qu'il n'était pas possible d'imposer à l'assureur de faire droit aux demandes de retrait, dans la mesure où la valorisation proposée durant cette période était indicative, puisque les entrées et sorties ont été suspendues faute de définir une valorisation suffisamment fiable. Certains assureurs ont accepté d'y procéder quand même, mais ils n'y étaient pas contraints par le régulateur.
Je pourrai encore en parler longtemps : c'est un roman ! Mais, concrètement, quelle conclusion faut-il en tirer ? Nous avons formulé des propositions pour revisiter la supervision de ces entités en Europe. Coexistent aujourd'hui un superviseur en charge de la société de gestion, trois ou quatre superviseurs pour les fonds en fonction de leur pays d'immatriculation, ainsi que des superviseurs dans les pays de commercialisation : la situation actuelle est trop complexe et ne facilite pas la prise de décision rapide et efficace. Pour répondre à ces difficultés, nous avons proposé que le superviseur de la société de gestion tienne le rôle de chef de file et soit doté de l'ensemble des informations sur la commercialisation et l'immatriculation des fonds.
M. Éric Bocquet. - Je souhaiterais aborder trois points. Nous avons parlé du problème de transparence sur les transactions : je voudrais évoquer la question des crypto-monnaies et, plus particulièrement, du bitcoin. La secrétaire au Trésor des États-Unis, Janet Yellen, a fait récemment part de ses craintes que le bitcoin soit utilisé à des fins illégales. Son cours a augmenté de 200 % en 2020, avec de grosses fluctuations, et il est utilisé comme outil de transaction entre des sociétés anonymes. Comment l'AMF peut-elle superviser un sujet aussi complexe ?
Ensuite, certains économistes évoquent un nouveau risque de bulle financière. Le journal Le Monde titrait à la fin décembre 2020 sur la folle année des marchés financiers. Nous connaissons les politiques volontaristes des banques centrales, avec l'injection massive de liquidités sur les marchés financiers. Partagez-vous ces inquiétudes d'un risque d'une nouvelle bulle financière qui pourrait exploser dans les prochains mois ?
Enfin, je souhaiterais revenir sur la banque Morgan Stanley, qui avait été sanctionnée par la commission des sanctions en décembre 2019 d'une amende de 20 millions d'euros pour manipulation de la dette française. En août dernier, le Gouvernement avait retiré à la banque son statut de spécialiste en valeur du Trésor (SVT) pendant trois mois, décision pour laquelle la banque a interjeté appel. Où en sommes-nous ?
Mme Christine Lavarde. - Les directives sur les marchés d'instruments financiers (MIF) ont considérablement modifié l'organisation des marchés financiers : les bourses ne sont plus en monopole mais sont mises en concurrence. Pour les investisseurs, il en résulte certes une conséquence directe plutôt favorable, avec la diminution des frais de marchés. Mais il y a aussi un inconvénient, puisque la relative atomisation des acteurs nuit à la transparence des marchés financiers. Les règles diffèrent selon les multiples acteurs, parmi lesquels les internalisateurs systématiques, les systèmes privés d'échange de valeurs mobilières et les systèmes multilatéraux de négociation. De fait, la situation est telle que la validité du prix de marché donné à un moment donné par un acteur pour un titre peut être remise en question car il n'y a plus un endroit unique où sont confrontées l'offre et la demande. Même si l'AMF n'intervient pas seule en la matière, que préconiseriez-vous pour améliorer la transparence ?
M. Jérôme Bascher. - Vous venez de décrire le « bazar » de la régulation des marchés financiers. En dépit de toute la régulation mise en place, la complexification des marchés financiers empêche leur lecture, sans que nous soyons certains qu'ils soient correctement régulés. J'en veux pour preuve l'opération entre Veolia et Suez. Même dans notre jardin à la française, la régulation peine à fonctionner : l'AMF a été saisie le matin, avant que le Tribunal de commerce de Nanterre ne se prononce quelques heures plus tard pour dénoncer cette saisine. Nous parlons là de grandes opérations industrielles et financières. Cela devient un méli-mélo : nous n'identifions plus l'autorité compétente. Appelez-vous de vos voeux un « grand soir » de la régulation financière ?
M. Hervé Maurey. - Ma première question concerne les suites du Brexit. Beaucoup d'observateurs pensaient que Paris serait la place financière gagnante de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne en 2018. Finalement, il semblerait que ce soit plutôt Amsterdam qui ait réussi à tirer profit de cette opportunité. Comment l'expliquez-vous, et pourquoi la place financière de Paris n'en a pas davantage bénéficié ?
Ma seconde question concerne la finance verte. Vous avez mis en place avec l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (APCR) un groupe de travail qui a remis un rapport en décembre. Vous y soulignez que beaucoup d'engagements ont été pris par les acteurs financiers en matière de climat - près de 300 -, et pour autant, il est difficile d'en évaluer la mise en oeuvre. Comment peut-on être en capacité d'évaluer la soutenabilité de ces engagements, ainsi que leur capacité à atteindre leurs objectifs, et notamment ceux fixés par les accords de Paris ?
Mme Vanina Paoli-Gagin. - Je souhaiterais savoir si un véritable marché européen des valeurs technologiques et d'innovation verra prochainement le jour. Ces marchés existent en Chine et aux États-Unis, et d'ailleurs les entreprises françaises qui cherchent des liquidités y ont recours. Il ne faudrait pas chercher à multiplier l'élevage de forêts de bonsaïs, comme dirait M. Dufourcq, mais plutôt essayer d'avoir quelques peuplements de séquoias géants en Europe pour rester présents dans un domaine d'avenir.
De plus, je m'interroge sur vos pouvoirs d'enquête et de contrôle sur les plateformes de « crowdfunding » et la vérification du respect des critères qui sont appliqués aux fonds autres que les fonds d'investissement alternatif (FIA). En effet, on observe qu'en pratique beaucoup de plateformes ne respectent pas la réglementation en vigueur.
Mme Sylvie Vermeillet. - Je souhaiterais savoir également quelles sont les conséquences du Brexit sur la place financière de Paris.
Par ailleurs, je m'interroge sur le rôle de l'AMF sur l'épargne des ménages, dont le surplus pourrait s'élever à près de 200 milliards d'euros d'ici à la fin de l'année 2021.
Enfin, comment appréhendez-vous la sortie des dispositifs de soutiens financiers des entreprises mis en oeuvre par l'État ?
M. Claude Nougein. - Certains affirment que la France est championne du monde des dividendes pour les sociétés cotées en bourse. Partagez-vous ce constat et quel regard portez-vous sur celui-ci ?
M. Albéric de Montgolfier. - Ma première question porte sur le bilan de l'application du principe de « non bis in idem », c'est-à-dire de l'aiguillage entre les sanctions pénales et les sanctions administratives.
Par ailleurs, avec le rapporteur général, nous menons actuellement des travaux de contrôle relatifs à la protection des épargnants. Les auditions présentent des constats variables sur les performances de la gestion collective. Certaines personnes auditionnées soulignent que les rendements servis aux épargnants sont réduits en raison de l'importance des frais, et en particulier des rétrocessions de commissions. Serait-il souhaitable de mieux encadrer ces rétrocessions de commissions, voire de les interdire comme c'est le cas dans certains pays étrangers ?
M. Philippe Dallier. - Je regrette que les conséquences du Brexit mènent à la tentation de « Singapour sur la Tamise », avec la volonté de déréguler pour conserver une part de marché dominante. Comment allons-nous pouvoir réagir ? D'une part, vous nous expliquez que chaque État membre dispose de règles particulières en raison des divergences dans les transpositions. D'autre part, vous estimez que le passeport financier européen devrait permettre de mieux contrôler l'application des règles.
Vis-à-vis des britanniques, nous ne pourrons pas tout accepter et il va falloir faire preuve de fermeté. Le calendrier pourrait constituer une difficulté : s'il faut attendre que tous les États membres se mettent d'accord, cela peut prendre un certain temps. Que vont faire les britanniques pendant ce temps ?
M. Robert Ophèle. - Je vais commencer par les questions qui appellent des réponses courtes.
J'aurai l'occasion prochainement de répondre aux questions sur la protection des épargnants et la gestion collective à l'audition à laquelle le rapporteur général et Monsieur de Montgolfier m'ont convié la semaine prochaine.
S'agissant de Morgan Stanley, nous sommes dans un État de droit. Le recours de Morgan Stanley aboutira dans quelques mois, mais la date de décision de la commission des sanctions n'est pas encore connue. Nous avons déposé nos observations en défense. La commission des sanctions ayant suivi l'avis du collège, il n'y a pas lieu de faire un recours incident. Lorsque les sanctions prononcées ne sont pas à la hauteur des recommandations du collège, je fais systématiquement un recours incident pour demander la sanction que le collège souhaitait en premier lieu. Ce n'est pas le cas dans l'affaire présente. Morgan Stanley a désormais repris son activité de spécialiste en valeurs du Trésor, après une suspension de trois mois. Je ne peux dire davantage à ce sujet, car cela ne relève plus de notre compétence, mais nous soutenons la décision de la commission.
Vous avez mis en évidence le sujet de l'éclatement des marchés financiers, s'agissant notamment des plateformes réglementées, des plateformes multilatérales de négociation ou des internalisateurs systématiques. Je préside justement au niveau de l'Autorité européenne des marchés financiers le comité qui traite de cette question et nous soutenons une solution consistant en la mise en place d'une « consolidated tape ». Il s'agit d'un registre qui consolide les cotations dans l'ensemble des plateformes qui traitent une valeur, et qui permet donc d'avoir une vision précise de l'état du marché. Au niveau des plateformes multilatérales de négociation, la situation est différente et plus variable. Par exemple, Euronext Growth, qui est un marché spécialisé dans les cotations de PME, est un marché très encadré. Il présente des contraintes moins fortes que celles du marché réglementé mais qui restent significatives.
Vous avez également évoqué le marché d'Amsterdam, sur lequel je souhaiterai développer. L'obligation de traiter les titres et obligations européens sur des plateformes localisées en Europe a suscité une forte augmentation du poids de la place d'Amsterdam, tout comme celle de Paris d'ailleurs. Cette augmentation s'explique par l'implantation, dans l'Union, de filiales des plateformes existantes jusqu'alors au Royaume-Uni. Amsterdam a été notamment choisie pour des raisons fiscales par deux acteurs importants que sont le Chicago Board of Trade et le London Stock Exchange, avec sa plateforme Turquoise. D'autres ont choisi Paris, comme Aquis Exchange. En conséquence les transactions à Paris ont augmenté, bien que dans une moindre mesure qu'à Amsterdam.
S'agissant de la localisation des plateformes, il est très difficile de faire un bilan exact de la situation, notamment parce qu'il faut distinguer la localisation administrative de la localisation des équipes. De nombreuses banques d'affaires ont leur siège à Dublin ou Francfort mais leurs succursales et leurs équipes à Paris. On peut néanmoins observer que sur certains segments du marché, tous les acteurs les plus importants ont leurs équipes à Paris.
Je n'ai jamais pensé que la place de Paris allait dominer l'Europe. La situation actuelle est plutôt comparable à une mosaïque de places. Une telle situation rend d'autant plus nécessaire une approche de supervision et de réglementation unique. Ainsi, on trouve à Dublin de nombreux sièges ou à Amsterdam de nombreuses opérations de marchés. Amsterdam est attractive car perçue comme une place neutre sur le continent européen, plus que la France, l'Italie, ou l'Allemagne. Le Luxembourg est également très développé en matière de de gestion d'actifs.
Nous ne sommes pas au bout des conséquences du Brexit. La posture que nous tenons actuellement vis-à-vis du Royaume-Uni est très dure. Quasiment aucun régime d'équivalence n'a été accordé, et le principe posé reste celui de la localisation des acteurs dans l'Union. Toutefois, s'il est possible d'imposer aux acteurs européens de se localiser dans l'Union, il est impossible de décréter la localisation dans l'Union d'acteurs qui relèvent de pays tiers. Or, la liquidité des marchés financiers, la qualité et les coûts des plateformes bénéficient de la localisation d'acteurs de pays tiers. Il faudra chercher désormais à être attirant et donc disposer d'une approche de supervision adaptée. C'est à ce niveau que le débat avec le Royaume-Uni est complexe.
Sur le fond, je pense que nous avons une légitimité à décider que les produits fondés sur l'économie européenne, libellés dans nos devises et particulièrement en euro, soient échangés en Europe, et ce quel que soit l'acteur. Ne serait-ce que parce que la BCE assure la liquidité de ces produits.
Les questions relatives aux crypto-monnaies, mais aussi aux arnaques, ont été évoquées. Je ne mets pas les deux dans le même sac.
Il y a eu des arnaques, qui consistent souvent à faire miroiter des investissements qui en réalité n'existent pas, sur des fausses plateformes. L'argent que vous investissez sur de telles plateformes part et on ne le retrouve jamais. L'AMF agit sur ce sujet en listant les sites frauduleux ainsi qu'en les faisant fermer, en s'appuyant sur un juge, car elle ne peut décréter elle-même leur fermeture. Une des clés toutefois pour lutter contre ces arnaques est le relai de nos mises en garde par la presse, afin de prévenir les gens de ne pas se laisser piéger par des offres trop alléchantes.
Les crypto-monnaies ont servi et servent encore à financer des opérations illégales. Mais je rappelle que les monnaies classiques aussi, cela ne leur est pas spécifique. Évidemment, la lutte contre le blanchiment ou le financement du terrorisme est plus simple lorsque l'on travaille sur des monnaies classiques. Pour limiter de tels usages illégaux des crypto-monnaies, un arsenal de réglementation est en train de se développer. En France, nous sommes pionniers, parce que nous imposons aux intermédiaires en crypto-monnaies de s'enregistrer auprès de l'AMF, après vérification par l'ACPR de la qualité de leurs dispositifs d'anti-blanchiment et de lutte contre le financement du terrorisme. Au niveau européen, un projet est mené pour étendre ce dispositif et faire aboutir un cadre harmonisé de règlementation de ces intermédiaires. Ce projet, qui distingue les « stable coins » des autres variétés de crypto-monnaies, pourrait aboutir pendant la présidence française, c'est-à-dire au premier semestre de l'année prochaine. Nous estimons qu'il est nécessaire d'avancer au niveau européen sur ce sujet, et qu'une réglementation limitée au ressort national n'a pas de sens. L'initiative française doit être reprise et répliquée au niveau européen.
L'augmentation significative et récente de la valorisation de certaines crypto-monnaies est difficile à justifier, puisqu'il n y a pas de sous-jacent économique à ces actifs. Si l'on veut essayer de l'expliquer, on peut éventuellement s'intéresser à la rémunération des « mineurs » de bitcoin, qui est en moyenne réduite de moitié tous les quatre ans et semble corrélée à la progression de la valorisation. C'est en tout cas le seul élément que j'ai vu qui ait un tant soit peu une cohérence à mon sens. En tant qu'autorité, la seule chose que l'on peut faire sur ce sujet, c'est alerter sur le risque que représentent ces placements et encadrer les intermédiaires.
Concernant les engagements climat pris par les intermédiaires financiers, je souhaiterai évoquer deux éléments.
D'abord, nous sommes en train d'émettre, en France et en Europe, des réglementations portant sur les informations qui devront être données par les émetteurs et les sociétés sur leurs démarches environnementales ou sociales. Toutes les entreprises doivent être assujetties à ces obligations, et pas seulement les entreprises cotées, sinon on risque un effet désincitatif de l'introduction en bourse. Ainsi, au niveau européen, entrent aujourd'hui en vigueur des dispositions portant sur les informations qui devront être publiées par les intermédiaires financiers sur leurs engagements climat. Elles constituent un texte de premier niveau, qui devra être complété par des décrets d'application d'ici septembre.
Au-delà de la question des déclarations d'information, il y a également un sujet de vérification du respect des engagements publics pris par les entreprises du secteur financier. Nous avons fait l'année dernière avec l'ACPR un premier bilan à ce sujet, avec des recommandations et des voies d'amélioration. Je crois que ce qui est important, plus que le bilan en instantané, c'est la dynamique très positive suscitée par cet effort de vérification des engagements par les autorités.
Pourquoi a-t-on peu de « licornes » - ou, plutôt, de « sequoias » - en Europe ? Cela tient à l'atomisation de notre marché. L'enjeu est de savoir comment collecter au niveau européen et non au seul niveau national des montants significatifs dans un certain nombre de secteurs. Je reste prudent dans ce domaine, car nous subissons la concurrence du private equity et de la cotation boursière. Cette concurrence n'est pas forcément malsaine car, à un moment ou un autre, le private equity rentre dans le cadre boursier.
On a financé de façon massive par la dette un certain nombre de choses en 2020. Il faudra un rééquilibrage, soit par des augmentations de capital sur les marchés boursiers, soit par le biais du private equity. Il faudra mettre à profit la vague d'appétence des particuliers pour ce type de placements. Le recours au marché boursier devrait être significatif cette année.
Il faut attirer le plus grand nombre vers le non coté. L'enjeu est économique, mais également social et politique. Cela ne doit pas être l'apanage des plus riches. Il faut proposer des produits adaptés aux particuliers, avec une certaine diversification, des tickets d'entrée plus faibles et des engagements clairs en termes de liquidité et de durée de placement.
On observe beaucoup d'initiatives dans ce domaine. Bpifrance a par exemple mis en place un fonds de fonds de private equity, qui s'adresse au plus grand nombre et que nous avons soutenu à l'AMF. Dans l'assurance-vie, des fonds non cotés dits « evergreen » proposent des produits dont les caractéristiques, notamment la durée de placement, correspondent aux préférences d'un grand nombre de particuliers. Nous menons également une réflexion au niveau européen pour améliorer le modèle ELTIF, qui est un modèle alternatif de fonds de long terme avec beaucoup de titres non cotés, destiné aux particuliers et de dimension européenne, à l'instar des OPCVM. Les travaux sont en cours, mais nous pensons y parvenir. Il s'agit d'un enjeu très fort pour orienter l'épargne vers le renforcement des fonds propres et non uniquement, directement ou indirectement, vers de la dette.
Sur le crowdfounding, le modèle français, fondé sur la notion de « conseil » et qui circonscrit ce qui peut être acheté ou vendu via du crowdfounding, se distingue du modèle européen, vers lequel on s'oriente avec l'adoption d'un texte au niveau de l'Union, qui est davantage un modèle de réception et de transmission d'ordres où la notion de conseil et de prise en compte des caractéristiques et des souhaits des investisseurs est moins affirmée. Les montants en jeu restent peu significatifs au niveau macro.
Sur les risques de bulle financière, je note que le SPF
120 termine l'année 2020
à - 4,5 % de
dividendes réinvestis par rapport à la fin de l'année
2019. On n'est donc pas dans une exubérance absolue... Je rappelle que
le très bas niveau des taux d'intérêt est le principal fait
générateur de ces valorisations. Derrière cette moyenne,
on observe également de très importantes différences entre
secteurs, ce qui s'explique par l'impact sectoriel différencié de
la pandémie. Je ne perçois donc pas la formation d'une bulle
financière en Europe à ce stade, même si je me garderai
bien de toute prévision, ce qui n'est d'ailleurs pas le rôle de
l'AMF. Il faut rappeler que le marché financier a, par construction, une
grande volatilité dans ses prix, qui n'a fait qu'augmenter avec le temps
et avec l'accroissement de la liquidité disponible.
Sur l'application du principe « non bis in idem » : cela marche très bien. Nous entretenons des relations très fluides avec le parquet national financier, qui ne prend que très peu de dossiers et toujours avec notre accord. Quand il le fait, c'est parce qu'il dispose d'outils parfois mieux adaptés aux poursuites dans certaines affaires. Le Parlement a réglé les choses de façon excellente en cette matière.
Sur l'affaire Suez-Veolia, des comités de suivi ont été mis en place à l'Assemblée nationale et au Sénat. Le droit des offres relève de l'AMF, mais celui-ci s'applique dans un environnement qui ne se limite pas à l'offre et sur lequel d'autres autorités peuvent avoir leur mot à dire. Le point crucial pour l'AMF est celui de la conformité de cette offre. Nous prendrons cette décision dans quelques semaines. Le cas échéant, la Cour d'appel de Paris aura cinq mois pour la confirmer ou l'infirmer. Nous avons accueilli à l'occasion de cette opération une multitude inhabituelle de recours divers et variés. Je ne veux cependant pas tirer de conclusions hâtives alors que le dossier est encore ouvert et très sensible.
M. Claude Raynal, président. - Merci, Monsieur le président, pour vos réponses qui témoignent du souci d'entrer dans le fond de ces sujets complexes avec la pédagogie qui s'impose.
On re-découvre avec vous chaque année - en pire ! - la complexité de la régulation financière, que la crise actuelle nous invite à ré-interroger.
Je souhaite enfin, suite à vos propos, partager une inquiétude. Face à la créativité des acteurs financiers, la réactivité de la supervision européenne paraît parfois un peu en décalage, en retard. Il conviendra de continuer à suivre ce sujet avec attention.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Solidarité et renouvellement urbains - Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes
M. Claude Raynal, président. - Notre commission a demandé à la Cour des comptes, par une lettre du 20 janvier 2020, de lui remettre un rapport sur la mise en oeuvre de l'article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU).
À l'heure où le projet de loi « 4D » - pour différenciation, décentralisation, déconcentration et décomplexification - pourrait contenir des mesures prolongeant la loi SRU, la conclusion de vos travaux est du plus haut intérêt pour le Parlement, et tout particulièrement pour le Sénat, qui assure la représentation des collectivités territoriales. Tout le monde sait que de nombreuses communes n'atteindront pas leurs objectifs en 2025, donc la question est celle des conclusions que l'on en tire, en particulier au niveau législatif : prolonger la loi telle quelle, fixer de nouveaux objectifs, mieux adapter les modalités en fonction des situations locales...
La Cour des comptes est représentée par le président de la cinquième chambre, M. Gérard Terrien, accompagné des magistrats qui ont conduit cette enquête. Nous avons décidé, avec le rapporteur spécial Philippe Dallier, de convier également à cette audition « pour suite à donner », d'une part le directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages, M. François Adam, puisque son administration est destinataire des 9 recommandations faites par la Cour ; d'autre part la fondation Abbé Pierre, représentée par son directeur des études, M. Manuel Domergue, en qualité de « grand témoin » des politiques du logement. La Fondation s'exprime régulièrement au sujet de la loi SRU, par exemple dans son rapport annuel sur l'état du mal-logement.
M. Gérard Terrien, président de la cinquième chambre de la Cour des comptes. - La Cour a été saisie de ce dossier il y a un an, et si le contexte sanitaire a compliqué notre tâche, rendant difficiles des visites sur place, nous avons réalisé une soixantaine d'entretiens avec les administrations, les bailleurs, les associations, la Caisse des dépôts et consignations, et nous nous sommes intéressés à cinq territoires en particulier : les Hauts-de-Seine, le Nord, la Charente-Maritime, les Alpes-Maritimes et le Val-de-Marne. Un travail préalable de la cinquième chambre nous a aidé.
La loi du 31 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) a considérablement évolué, avec la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, pour laquelle l'abbé Pierre était venu au Parlement, la loi du 5 mars 2007, dite loi DALO, instituant le droit au logement opposable, la loi « Duflot » du 18 janvier 2013, la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), la loi Égalité et Citoyenneté du 27 janvier 2017 et la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN). La loi SRU concerne près de 8 000 communes et un peu plus de 2 000 communes entrent dans le champ de l'article 55. Un millier d'entre elles n'atteignent pas le taux requis de logements sociaux et 280 sont dites « carencées » dans le triennal 2017-2019. Le montant des prélèvements nets totaux approche 100 millions d'euros chaque année. Cependant, la répartition territoriale montre une forte concentration du mécanisme sur les régions Île-de-France et Provence-Alpes-Côte d'Azur.
Nous avons constaté que le dispositif était désormais reconnu quant à ses objectifs et son efficacité : si la majorité de nos interlocuteurs souhaitent des adaptations, l'article 55 de la loi SRU n'est pas remis en cause dans son principe. Les services de l'État se sont beaucoup impliqués dans la mise en oeuvre de la loi. Nous constatons aussi un effet indéniable sur la production de logements sociaux : plus de la moitié des logements sociaux construits entre 2014 et 2016 l'ont été dans les communes soumises à la loi SRU. En Île-de-France, le nombre de communes disposant de logements locatifs sociaux était de 593 en l'an 2000 et de 691 en 2019. Cependant, la construction HLM n'a représenté en moyenne dans cette région que 18 % à 40 % de la construction neuve : il n'y a donc pas de rattrapage. Nous constatons également un effet beaucoup plus modéré sur la mixité sociale. En outre les résultats sont inégaux selon les communes : la moitié seulement des communes ont atteint l'objectif fixé. L'objectif pour 2025 ne sera pas atteint pour la moitié des communes, d'où les débats qui conduisent à la préparation de mesures dans la loi « 4 D ».
Dans le fonctionnement même du dispositif, nous avons constaté une recherche d'équilibre entre les principes légaux et la prise en compte des contraintes locales. Nous avons remarqué combien la production de logement a changé depuis vingt ans. Nous constatons encore, et c'est un point de différence avec le rapport de Thierry Repentin, une contradiction entre les compétences confiées aux intercommunalités en matière de logement, et la responsabilité reconnue au maire dans l'application de la loi SRU.
Cette loi a été appliquée de façon uniforme dans toutes les zones urbaines. Les spécificités locales ont été insuffisamment prises en compte, alors qu'il y a de fortes disparités, en particulier dans la pression foncière ou les contraintes limitant la constructibilité, sans parler des questions de peuplement. Les modalités de construction du logement locatif social ont fortement évolué elles aussi : la vente en état futur d'achèvement (VEFA) a pris de l'ampleur, avec des conséquences directes sur le financement, mais aussi sur la mixité des projets et les délais de réalisation.
Les modifications apportées pour plus de souplesse ont rendu l'ensemble parfois bien complexe. On le voit dans le recensement des communes soumises à la loi SRU, dans l'extension de l'inventaire des logements pris en compte. S'agissant des exemptions, l'indicateur de tension de la demande de logement social est fondé sur l'enregistrement national des demandes, lequel est erroné à 20 %, nous l'avons montré dans notre rapport public de 2020 ; de même, la notion de desserte des transports en commun vers le bassin d'emplois est relative et les contraintes de constructibilité sont difficiles à apprécier.
Nous avons aussi noté les difficultés du suivi et du bilan triennal, dès lors qu'on mêle des critères quantitatifs et qualitatifs relatifs à la nature des logements, avec des difficultés de conciliation entre eux et des arbitrages qui ne sont pas uniformes, provoquant des difficultés d'ajustement triennal. Enfin, l'établissement de la liste des communes carencées a constitué un enjeu important, dès lors qu'elle a eu un impact fort pour les communes concernées. Il faut donc que la loi précise la doctrine des exemptions et la gestion des reports d'une période triennale à la suivante.
Du côté du contrôle, nous estimons qu'il faut adapter les outils à la complexité du dispositif et à la diversité des acteurs. La bonne application de l'article 55 de la loi SRU mobilise les services de l'État. Le contentieux a progressé, il s'est complexifié et il faut mieux le suivre à l'échelon national car l'administration centrale ne dispose pas de toutes les informations, afin de mieux appréhender les adaptations éventuelles. Nous pensons qu'il faut aussi un ancrage régional, avec une expertise et un appui technique de niveau régional, alors que cette expertise et cet appui sont départementaux ou nationaux. Il faut améliorer les outils de suivi et le contrôle de la chaîne financière, le mécanisme d'intégration des données et il y a des difficultés avec le calcul des indices de tension. Il faut bien suivre l'utilisation du prélèvement qui est versé aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), en précisant mieux le champ des dépenses déductibles de ces prélèvements. Enfin, si les moyens légaux de coercition existent, comment peuvent-ils être mis en oeuvre concrètement, en particulier lorsqu'ils consistent à faire reprendre par le préfet la compétence du permis de construire, ce qui suppose des moyens techniques dont il ne dispose pas nécessairement ? Il faut être pragmatique, la solution est aussi à rechercher du côté des retours d'expérience et de la diffusion des bonnes pratiques. Il faut aussi une harmonisation nationale, en clarifiant l'articulation entre la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), les services déconcentrés et la commission nationale SRU : l'organigramme est complexe. Il faut également plus d'adaptation à l'échelon local, en promouvant, nous semble-t-il, l'échelon régional, pour un appui technique et de l'expertise.
Nous avons enfin tenté d'anticiper l'échéance de 2025, sachant qu'environ 600 communes n'atteindront pas leurs objectifs légaux, ce qui implique d'adapter les règles. Les services déconcentrés de l'État sont pragmatiques, ils recherchent les solutions adaptées, en privilégiant le qualitatif ou le quantitatif selon les cas de figure, avec des problèmes de suivi des plans locaux de l'habitat (PLH). Notre rapport montre que même si l'objectif était de 20 %, plus de 100 communes ne l'atteindraient pas. Nous pensons qu'il faut rechercher une adaptation, en affinant la connaissance, par territoire, des situations difficiles, et mieux prendre en compte l'objectif de mixité sociale. La meilleure prise en compte des spécificités locales passe aussi par la contractualisation, avec les contrats de mixité sociale, par une approche intercommunale, mais aussi par un calendrier différencié pour tenir compte de certaines difficultés.
La principale adaptation consisterait donc à mieux prendre en compte les caractéristiques des communes carencées, intercommunalité par intercommunalité, et à avoir une application plus différenciée, sans changer le cap national. L'objectif de mixité sociale devrait conduire à une réflexion au-delà de 2025, qui intègre la démographie et les évolutions potentielles de la répartition territoriale.
Nous avons retenu 9 recommandations, qui s'adressent au ministère du logement : préciser la doctrine en matière de mécanisme d'exemption et de gestion des reports ; assurer le suivi des contentieux au plan national ; développer un rôle d'expertise au plan régional, d'harmonisation et d'appui technique au profit des services déconcentrés ; améliorer les outils de recensement et de suivi des situations locales ; inscrire l'obligation de rendre compte de l'emploi des sommes issues des prélèvements SRU pour les établissements publics de coopération intercommunale et pour les établissements publics fonciers et donner à l'État la possibilité d'agir en cas d'usage non conforme des crédits ; préciser, au niveau national, les conditions d'utilisation des moyens de l'État en cas de carence en assurant une diffusion des éléments de doctrine, ainsi qu'une information sur les expériences, les initiatives positives ; établir, dans la perspective de 2025, une projection précise de l'identité des caractéristiques des communes susceptibles de ne pas remplir leurs objectifs ; intégrer, dans l'enquête annuelle de suivi, des indicateurs pour mieux apprécier l'évolution de la mixité sociale ; enfin prévoir, pour certaines communes, une application différenciée du calendrier d'atteinte du taux de logements sociaux, en valorisant les objectifs de mixité sociale.
M. Philippe Dallier, rapporteur spécial. - Merci pour cette enquête et ce rapport qui tombent à point nommé, avant le texte « 4 D » : c'est ce que nous espérions en vous passant commande, car nous savions que bien des communes n'atteindraient pas leur objectif légal en 2025, et que les meilleurs bâtisseurs pourraient se décourager des efforts qu'ils avaient faits.
Nous vous avons demandé de vérifier si les intentions du législateur ont été respectées, de voir comment l'État a mis en oeuvre le dispositif sur le terrain et comment les élus s'en sont saisis.
La loi, en 2000, avait deux objectifs : la construction et la mixité sociale - le premier a pris le pas sur le second, dont on ne parle plus guère. Depuis vingt ans, les règles ont changé : le législateur a renforcé les objectifs, les pénalités, les pouvoirs du préfet, mais aussi assoupli les exemptions, les possibilités de déroger, voire de gérer les objectifs à l'échelon intercommunal, les contrats de mixité sociale ont été prévus, qui ont cependant pu fixer des objectifs inférieurs à ceux de la loi, donc accepter une application à géométrie variable. Le paradoxe est que si l'on a durci et assoupli la loi pour mieux l'appliquer, les objectifs qu'elle a fixés ne seront, malgré tout, pas atteints.
Le constat d'ensemble, c'est que si l'on a construit plus de logements sociaux, pour atteindre ainsi les objectifs triennaux, la mixité sociale n'a pas été améliorée. Pour comprendre pourquoi, il faut regarder de plus près, à l'échelle des territoires. Si, dans certaines communes, la mixité sociale n'a pas progressé parce qu'on a construit des logements en prêts locatifs sociaux (PLS) plutôt qu'en prêts locatifs d'accession et d'insertion (PLAI), dans d'autres communes, par exemple dans mon département, la simple construction de logements sociaux supplémentaires pose des problèmes au regard de la mixité. C'est ce qu'indique l'indice de ségrégation territoriale : il se dégrade, malgré la mise en oeuvre de l'article 55 de la loi SRU. Une politique de logement qui ne joue que sur le taux de construction peut-elle assurer une meilleure mixité ? Quel bilan faites-vous d'une trop faible utilisation des contrats de mixité sociale ? Nous avons des objectifs quantitatifs, ne faudrait-il pas un deuxième indicateur, par exemple le revenu médian par habitant ?
Nous savons, ensuite, combien l'application de la loi a varié sur le territoire, ce qui conduit à ce que 280 communes soient aujourd'hui carencées. J'ai rencontré Thierry Repentin, président de la commission nationale SRU, et son rapport démontre que sur 2 091 communes visées par l'article 55 de la loi SRU, 1 100 sont déficitaires, contre 767 qui ont atteint l'objectif légal - et que plus de 500 communes sont à plus de dix points de l'objectif, c'est considérable. L'écart ne sera pas rattrapé, ou bien il faudrait construire 600 000 logements sociaux d'ici 2025 dans ces seules communes, ce qui est bien sûr impossible.
Que faire pour continuer à construire des logements dans ces communes, mais avec des objectifs réalistes et atteignables ? Plusieurs hypothèses ont été formulées, sans que l'on sache celle que retiendra le Gouvernement dans son projet de loi « 4 D ». Un simple report à 2031 suffirait-il ? Je ne le crois pas. Thierry Repentin propose soit un objectif glissant, avec un rythme de rattrapage par période triennale, soit une échéance fixe mais plus tardive et déterminée en fonction du taux de logements sociaux déjà atteint. Une proposition différente serait de travailler sur les flux plutôt que seulement sur les stocks ; la Cour des comptes a écarté cette hypothèse, considérant qu'elle ne répondrait pas à l'objectif, mais est-ce si sûr ? Il me semble que cette proposition rapprocherait de l'objectif.
Un autre élément va jouer : la suppression de la taxe d'habitation et les exonérations de taxe foncière dont bénéficient les bailleurs sociaux et qui sont en fait payées par les communes puisque l'État ne les compense quasiment plus. Thierry Repentin a fait remarquer qu'avec les règles actuelles, une commune carencée aurait avantage à construire du logement privé pour percevoir de la recette fiscale qu'elle utilisera ensuite pour payer les sanctions pour manque de construction sociale...
Sur les intercommunalités, la loi a prévu des expérimentations, mais le mécanisme est manifestement complexe ; qu'en pensez-vous ?
Enfin, on peut être surpris que l'État ne suive pas mieux les contentieux, alors qu'il y aurait certainement des leçons à en tirer.
M. François Adam, directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages. - Le rapport de la Cour des comptes a donné lieu à de nombreux échanges. Nous en partageons les conclusions et recommandations, avec quelques réserves cependant sur les recommandations 8 et 9, c'est-à-dire sur le suivi de la mixité sociale et sur le rôle à confier aux intercommunalités. Il faut renforcer les capacités de suivi et d'harmonisation des situations locales, c'est un enjeu bien identifié, même si la Cour des comptes relève la forte implication des services de l'État dans le suivi. Je rappellerai aussi l'importance que la ministre du logement accorde au dispositif SRU et à son application rigoureuse : c'est le sens de l'augmentation du taux de carencement des communes dans le triennal 2017-2019. La ministre souhaite que le projet de loi « 4 D » règle précisément le fonctionnement dans l'après 2025, sur la base des propositions de la commission Repentin.
La seule construction de logements sociaux ne suffit pas à créer de la mixité sociale ; la loi n'avait du reste pas cette perspective au départ, mais celle d'encourager une production plus élevée en volume et mieux répartie sur le territoire - et cet objectif est atteint pour une bonne part. En réalité, la mixité sociale est le résultat et relève de bien d'autres leviers que la seule construction, en particulier des politiques d'attribution, de la localisation fine dans le territoire communal, du niveau des loyers, de la part de l'accession sociale, autant d'éléments qui ne sont pas dans la loi SRU. Faut-il, dans ces conditions, un indicateur de mixité sociale pour mesurer l'efficacité de cette loi ? Je suis réservé, car on mesurerait un résultat sur lequel on manquerait de levier d'action, et si l'outil paraîtrait plus complet, il en serait moins fiable. Attention, pour l'évaluation, à ne pas fixer des objectifs pour lesquels on ne dispose pas de levier direct d'action.
Les disparités territoriales sont fortes, vous l'avez dit, et le Gouvernement prévoit d'inscrire dans le projet de loi « 4 D » un mécanisme inspiré du rapport Repentin, avec un dispositif glissant plutôt qu'un simple report. Le texte est en préparation, l'intention de la ministre est bien de régler précisément l'après-2025.
La question de la fiscalité est délicate. C'est un sujet connu qui prend une acuité plus forte avec la suppression de la taxe d'habitation. Il n'y a pas, pour le moment, de proposition pour faire évoluer ce point qui a été évoqué dans le débat au Sénat sur la production de logement. Le risque d'optimisation financière, rapporté par Thierry Repentin, existe effectivement.
Le rôle des intercommunalités est un sujet très délicat, la réponse ne saurait être définitive car les intercommunalités évoluent rapidement. La loi SRU est parvenue à des résultats très positifs en se fondant sur la responsabilité des communes, cet aspect est central dans la relation entre le préfet et les élus. La loi a autorisé, à titre expérimental, de choisir le cadre intercommunal plutôt que communal, mais avec des conditions précises, le Gouvernement étant resté prudent pour ne pas affaiblir la loi SRU ; aucune intercommunalité ne s'en est saisie à ce jour et il me semble peu probable que le projet de loi « 4 D » aille plus loin dans le sens d'une « intercommunalisation », sauf peut-être via la contractualisation dès lors que l'EPCI est responsable du PLH et qu'il peut être délégataire des aides à la pierre.
Enfin, nous sommes tout à fait d'accord avec la recommandation de renforcer le suivi national des contentieux.
M. Manuel Domergue, directeur des études de la fondation Abbé Pierre. - Merci pour votre invitation. Je constate que nous menons un vrai débat sur la loi SRU, loin des échanges de points de vue caricaturaux qui avaient lieu il y a quelques années encore. Le débat gagne en qualité avec le temps, la loi SRU apparaît de plus en plus comme une bonne loi parce qu'elle est simple, comprise par nos concitoyens, et qu'elle fixe un objectif commun ; elle est intelligente, parce qu'elle a su s'assouplir et laisser des marges de manoeuvre pour l'application ; elle mobilise l'opinion et je rappelle que l'abbé Pierre était venu en personne la défendre au Parlement. Cependant, l'article 55 ne résout pas tous les problèmes de la société française et c'est déjà un très bon résultat que d'avoir conduit à construire des logements sociaux dans des communes qui n'en avaient pas. Car l'objectif en la matière n'est pas seulement la mixité sociale, mais les conditions de logement de ceux qui vont bénéficier des logements construits, qui sont de bonne qualité et bien gérés, mieux répartis sur l'ensemble du territoire. Parmi les outils développés au gré des adaptations, les objectifs ciblés et qualitatifs, exprimés en logements PLAI et PLS, ont été très utiles face aux contournements de la loi ; ces objectifs qualitatifs ne sont intervenus cependant qu'en 2013 et leur incidence n'a donc pu être mesurée que dans le dernier triennal, après une certaine tolérance envers l'irrespect de la loi au cours de la première période triennale.
En réalité, il n'y a pas assez de nouveaux logements PLAI et l'on doit bien constater que les politiques d'attribution reposent souvent sur un accord implicite pour accueillir en priorité les ménages habitant déjà la commune et pour ne pas accueillir ceux qui sont les plus pauvres. Le sociologue Fabien Desage démontre bien que les arrangements locaux empêchent en réalité l'attribution des nouveaux logements sociaux aux ménages les plus pauvres, ce qui explique qu'en dépit des constructions neuves, l'indice de ségrégation sociale continue de se dégrader. Dans les outils de suivi et de régulation, il faudrait en réalité inclure la production de locaux privés - nous le faisons à travers la base des permis de construire Sitadel, qui établit l'usage du foncier par les communes et qui montre que dans bien des cas, si l'on peine à dégager du foncier pour des logements sociaux, on en trouve pour des locaux privés.
Il y a des cas limites, en particulier en région Provence-Alpes-Côte-d'Azur (PACA). On est certes partis de loin, mais avec le laxisme du préfet, un écosystème local, une contestation explicite de la loi SRU par les élus locaux, par la majorité départementale voire régionale, l'État peine à faire appliquer la loi et se trouve un peu comme un professeur face à tellement de mauvais élèves qu'il hésite à punir toute la classe. Et comme, faute d'ingénierie et de volonté politique, l'État ne reprend pas la compétence urbanisme en cas de carence, comme la loi l'autorise à le faire, il ne va pas au bout de la sanction, y compris avec les communes qui sont carencées depuis vingt ans et qui, dans ce délai, ont vu leur taux de logements sociaux diminuer.
Nous avons, à la fondation Abbé Pierre, beaucoup travaillé avec la commission nationale SRU et nous nous associons au rapport de Thierry Repentin. Nous avons prévenu que l'échéance de 2025 ne serait pas tenue et qu'il fallait anticiper. Un dispositif pérenne avec un objectif glissant va dans le bon sens, à partir du moment où on le dote d'une « clause du dernier pas », car une commune pourrait toujours voir l'horizon reculer sans jamais l'atteindre tout en respectant les objectifs glissants ; comme le recommande la Cour des comptes, il convient en l'espèce d'avoir des objectifs différenciés, justement pour traiter de tels cas.
La définition des objectifs à l'échelle intercommunale ne nous semble pas une bonne idée, car les maires ont beaucoup de compétence en matière de logement, même si, en théorie, les intercommunalités développent les leurs. En réalité, sur la production et l'attribution, ce sont les maires qui ont la main, il est donc sain que le maire soit au centre du mécanisme SRU. Le travail remarquable fait par l'intercommunalité du Grand Poitiers, cependant, ne saurait servir d'exemple pour des communes comme Nice ou Cannes, car la situation n'y est pas du tout la même, du simple fait qu'il n'y a pas de tension sur le logement social à Poitiers, alors qu'elle est très vive sur la Côte d'Azur. Il faut donc faire attention dans les comparaisons.
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques sur les crédits du logement. - Je partage le propos de Philippe Dallier. L'application de la loi SRU pointe rituellement les difficultés en Île-de-France et en PACA. Certes, l'arithmétique ne joue pas en notre faveur, mais il faut voir d'où nous partons, le défaut de stratégie foncière qui a perduré pendant des décennies ; aujourd'hui, je ne connais pas un maire qui refuse de faire du logement social, la situation est bien différente d'il y a quelques années, je l'ai vue changer comme maire-adjointe au logement de Nice, où je rencontrais fréquemment des collègues farouchement opposés au logement social, disposés à payer les pénalités plutôt qu'à construire, et qui me disent aujourd'hui vouloir programmer du logement social pour leurs administrés. Pour certaines communes, le rattrapage est compliqué, d'autant que l'objectif a été relevé, et il faut aussi tenir compte des contraintes géographiques, de la protection de l'environnement, de la loi littoral, des risques sismiques... Il faut bien voir, aussi, que les communes attractives gagnent nécessairement en démographie, donc en logements privés, ce qui augmente encore le nombre de logements sociaux à construire pour se conformer à l'article 55 de la loi SRU - sans compter que la construction de nouveaux logements implique la réalisation d'équipements collectifs et d'infrastructures. L'objectif de 25 % ne sera donc pas atteint dans certaines communes, c'est clair.
La commission des affaires économiques a créé un questionnaire, qui sera mis en ligne sur le site du Sénat, pour permettre aux maires de nous faire remonter leurs difficultés à appliquer la loi, afin d'en tenir compte dans le projet de loi « 4 D ». Enfin, outre le logement social, on devrait aussi s'intéresser aux logements abordables pour les salariés, car les besoins sont importants. Dans la loi ELAN, nous avions intégré les logements à bail réel solidaire (BRS) dans le quota des logements sociaux : ne pourrions-nous pas faire de même pour les logements intermédiaires ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - En dépit de la loi SRU, la mixité sociale n'est pas atteinte partout. Ne faudrait-il pas prendre en compte aussi le parc privé, aux côtés du parc social ? Lorsqu'un locataire achète son logement, celui-ci change de statut et n'est plus comptabilisé dans le parc social. Pourtant, son occupant reste le même et ses revenus n'ont pas changé.
De même, pour atteindre les objectifs de la loi, ne pourrait-on pas, outre la construction, encourager davantage la rénovation ou la reconstruction de bâtiments existants ? On ferait ainsi d'une pierre deux coups avec les objectifs de la transition énergétique.
M. Michel Canevet. - Je partage les conclusions de la Cour des comptes sur la nécessité de prendre en compte de manière plus spécifique la situation des communes: Certaines communes, en raison des regroupements forcés opérés par les préfets à la suite de la loi NOTRe, se sont retrouvées en infraction avec la loi SRU. Dans certains territoires où l'attachement à la propriété individuelle est très fort, il est difficile de construire brutalement un grand nombre de logements sociaux, et de trouver des locataires. On risque de déstabiliser le marché local et d'aboutir à des aberrations.
Je soutiens aussi l'objectif de mixité sociale. Nous ne sommes pas capables de produire assez de logements sociaux publics pour atteindre nos objectifs. Pourquoi ne pas associer davantage le privé ? On pourrait envisager de mobiliser en faveur du logement l'épargne des Français qui a été accumulée pendant la crise.
Enfin, la fondation Abbé Pierre estime que l'on compte 300 000 mal-logés en France, mais combien ne veulent pas changer de logement ?
M. Thierry Cozic. - L'article 55 a eu des effets positifs sur la production de logements sociaux, en dépit de disparités selon les régions. Les maires ont parfois été accusés de ne pas jouer le jeu, notamment par la ministre du logement l'année dernière, pourtant ils ont fait de gros efforts.
La décision visant à faire supporter aux bailleurs sociaux le coût de la baisse des aides personnalisées au logement a pesé sur leur capacité d'investissement. À cela s'ajoute le désengagement financier de l'État : baisse des aides à la pierre, modalités de compensation de l'exonération de taxe foncière pour les logements sociaux, baisse du budget de l'Agence nationale de la rénovation urbaine, suppression de la taxe d'habitation, etc. Cela ne risque-t-il pas de nuire à la réalisation d'objectifs nationaux toujours plus ambitieux ?
M. Claude Raynal, président. - La réponse est dans la question...
M. Didier Rambaud. - Le terme « logement social » fait peur et suscite bien des fantasmes. Nul candidat n'annonce dans son programme électoral qu'il veut réaliser plus de logements sociaux. Ils disent plutôt l'inverse et le premier réflexe d'un nouveau maire, comme à Bordeaux ou Lyon, est souvent d'arrêter les programmes de construction en cours. Il faut aussi reconnaître que la loi SRU ne s'est pas accompagnée d'une hausse de la mixité sociale.
Depuis le vote de la loi SRU, l'intercommunalité s'est développée. Il faut encourager la mise en place d'un nouveau couple entre les intercommunalités et les services déconcentrés de l'État. Je pense que les maires y sont prêts, dès lors qu'ils conservent le pouvoir d'attribution des logements.
Mme Christine Lavarde. - Le rapport met en évidence la décorrélation entre une compétence logement, qui relève des intercommunalités, et un calcul des seuils SRU et des pénalités, réalisé au niveau des communes. C'est nier les héritages et les réalités spatiales : certaines communes abritaient les usines et les ouvriers étaient logés à la périphérie, tandis que la commune centre faisait vivre le territoire par les retombées de son activité économique. On doit raisonner de manière globale à l'échelle du territoire, penser ensemble le développement économique et le logement.
Il ne suffit pas non plus de penser de manière quantitative mais aussi qualitative ; il faut prendre en considération la qualité des logements : un F5 n'est pas un studio, pourtant ils sont pris en compte de manière identique dans le calcul.
M. Sébastien Meurant. - Je m'exprime en tant que praticien du logement. Lorsque j'étais maire, j'ai souhaité faire un parcours résidentiel pour les habitants. Comme les prix du logement ont explosé en Île-de-France, les gens ne peuvent plus se loger. Les jeunes partaient, la population déclinait, et à leur suite, les services et les commerces. Le coût du logement social est lié au coût du foncier, et en région parisienne, il devient plus cher que le logement privé existant. Faut-il développer à tout prix le logement social : l'objectif ne devrait-il pas être que chacun ait un toit ? Les élus locaux sont prudents, car la population ne souhaite pas de nouvelles constructions. Pourtant les besoins augmentent : divorces, décohabitation, etc. Il faut aussi évoquer l'immigration : lorsque l'on accueille 400 000 personnes par an, qui se concentrent de surcroît dans certaines régions, il faut bien les loger ! L'essentiel est de construire. Une bonne loi doit être applicable et non remplie de bonnes intentions. Certaines communes n'ont plus d'espace constructible. Il faut aussi tenir compte des bassins de vie. Or le Val-d'Oise est en marge de tous les plans de développement de l'État. La loi SRU est inapplicable. Le bilan triennal ? Mais quel programme immobilier peut être réalisé en trois ans ? De plus, les permis de construire sont souvent contestés, de manière abusive souvent. Il faudrait aussi traiter cette question.
M. Christian Bilhac. - L'objectif de la loi, assurer la mixité sociale, n'est pas remis en cause, mais l'application de la loi soulève parfois des problèmes. Certaines communes ont choisi de ne pas respecter la loi en construisant des résidences de luxe afin de payer l'amende grâce au bénéfice dégagé. C'est inacceptable. Mais dans l'Hérault ou les Alpes-Maritimes, certaines communes n'ont simplement plus de terrains constructibles : zones inondables, restrictions des zones constructibles en raison des schémas de cohérence territoriale, etc. Inutile de faire l'autruche, certaines communes ne pourront jamais atteindre le quota de la loi SRU. Pourquoi ne pas réfléchir alors à un seuil de logements sociaux plus élevé, 35 % par exemple, dans les nouvelles constructions ?
J'attire aussi l'attention sur la situation des communes rurales : les bailleurs sociaux ne souhaitent pas construire dans ces communes, car les petits programmes coûtent trop cher à réaliser. Ne pourrait-on pas employer le produit des pénalités à financer l'ingénierie dans ces communes ?
Enfin, je rejoins aussi notre rapporteur général : est-il normal qu'un logement social acheté par son locataire sorte du quota ? Bref, je plaide pour davantage de pragmatisme.
Mme Isabelle Briquet. - Je veux aussi mettre l'accent sur la nécessité de prendre en compte l'aspect qualitatif des logements, l'état du parc existant et des loyers pratiqués. C'est important pour définir la part des logements PLAI et PLS dans les nouveaux programmes, notamment dans les zones détendues.
La suppression de la taxe d'habitation et l'exonération de taxe foncière pour le logement social font peser un grand risque sur la construction de logements sociaux.
M. Jean-Marie Mizzon. - Je partage les recommandations de la Cour des comptes. La septième vise à établir une projection précise de l'identité et des caractéristiques des communes susceptibles de ne pas remplir leurs objectifs en 2025. Est-ce pour graduer les pénalités ? Dans certaines communes, toute la surface communale disponible est déjà construite, à l'exception des zones Seveso ou inondables. On ne peut pas atteindre l'objectif de la loi, sauf à surconstruire. Ne mettons pas au pilori des communes qui ne peuvent pas atteindre les objectifs de la loi en raison de leur situation objective.
M. Jean-Michel Arnaud. - Les schémas régionaux d'aménagement et de développement durable du territoire (Sraddet) vont probablement réduire les capacités de production dans les zones détendues et rurales, car ils limitent les zones constructibles dans ces aires. Il conviendrait de trouver une solution pour permettre la construction de logements sociaux. Dans les Hautes-Alpes, 70 % des habitants sont éligibles au logement social, mais il y a pénurie. De plus, les Hautes-Alpes sont classées en grande partie en zone C. De ce fait, on ne trouve pas, dans les zones touristiques, d'opérateur privé désireux d'ouvrir les programmes de logements neufs, destinés à des investisseurs, à du logement social pour loger les populations permanentes. Dans les zones détendues, il faudrait donc imaginer de nouveaux outils et créer de nouveaux zonages pour faciliter la création des programmes mixtes pour loger ceux qui travaillent sur place ou les plus démunis.
M. François Adam. - Vous avez bien décrit les contraintes qui s'accumulent en région PACA dans certains territoires. Vous avez aussi souligné l'inertie de la politique du logement. Si la construction de logement social a été négligée pendant longtemps, il faut du temps pour tenir les objectifs de la loi SRU.
Faut-il fixer des objectifs en matière de logements abordables ? La loi ELAN prévoit que les PLH de certaines agglomérations doivent comporter des objectifs de production de logement intermédiaire. Le ministère du logement est favorable à la production de logement intermédiaire, et la prolongation du dispositif Pinel va en ce sens. L'enjeu est d'éviter tout effet d'éviction par rapport au logement social. Je rappelle aussi que selon les critères du logement social, 70 % de la population française y est éligible.
La loi SRU a permis de construire des logements sociaux de qualité. Les bailleurs sociaux savent construire des programmes de qualité et le logement social n'est plus perçu comme du logement dégradé.
Nous manquons de recul sur l'impact du dispositif de réduction de loyer de solidarité (RLS) sur les bailleurs car il ne date que de 2018. Il nous semble toutefois que la situation des bailleurs reste saine et qu'ils peuvent investir. Leurs engagements pris en 2019 dans le cadre du pacte d'investissement pour le logement social signé avec l'État en témoignent. Il me semble que le référé de la Cour des comptes confirme cette appréciation.
Il est vrai qu'il y a une différence entre un deux-pièces et un cinq-pièces, mais, pour être applicables, les critères doivent rester simples et lisibles. La répartition des logements doit faire l'objet d'une discussion au niveau local entre les partenaires. Il semble toutefois difficile d'intégrer cette dimension dans le dispositif SRU, car ce serait trop complexe.
Vous avez évoqué les zones de redynamisation urbaine, qui ne sont souvent pas soumises aux obligations de la loi SRU en raison de leur population, mais il y a du logement social dans ces zones. Certains bailleurs interviennent en zone rurale et savent réaliser des programmes adaptés. Le Fonds national des aides à la pierre peut contribuer au financement.
L'équilibre entre constructions neuves et rénovation est un vrai sujet. Dans le projet de loi Climat et résilience, le Gouvernement proposera des objectifs ambitieux pour réduire l'artificialisation des sols. Mais la réalisation de logements sociaux peut aussi consister en des opérations d'acquisition-rénovation ou en des acquisitions d'immeubles sans travaux. Les bailleurs savent acheter des immeubles pour les transformer en logement social dans un cadre urbain contraignant. Cette voie devrait sans doute prendre de l'ampleur dans les territoires urbains où le foncier est rare.
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Mais cela coûte plus cher !
M. François Adam. - C'est vrai.
M. Manuel Domergue. - L'idée de moduler les objectifs de la loi SRU en fonction de la taille des logements est souvent avancée, mais c'est très difficile. La loi SRU n'est pas un PLH ! Il serait absurde que la loi détermine le pourcentage de logements en fonction de leur surface, sans compter que les besoins de logements sociaux concernent surtout de petites surfaces.
Nous sommes pour la montée en puissance des intercommunalités pour les politiques de logement et d'attribution. Mais si on appliquait la loi SRU à l'échelle des intercommunalités, on la viderait de son contenu, chacune la respecterait ! Peut-être faut-il raisonner, dans les grandes métropoles, à l'échelle des arrondissements : les communes limitrophes du XVIe arrondissement de Paris se plaignent d'être sanctionnées au titre de la loi SRU, alors que ce dernier n'est pas pénalisé, car il bénéficie de la mutualisation avec les arrondissements où les logements sociaux sont plus nombreux. Si Paris respecte la loi SRU, l'indice de ségrégation est élevé entre arrondissements. Il en va de même à Marseille ou Lyon.
Notre but n'est pas de faire que du logement social : seules 1 035 communes ne respectent pas la loi et il manque simplement 600 000 logements sociaux. De même, si nous sommes attachés à prendre en compte uniquement les logements sociaux, et non d'autres formes de logements comparables, c'est pour éviter que les logements des marchands de sommeil ne soient considérés comme des logements sociaux, même si leurs locataires y seraient éligibles au vu de leurs conditions de ressources. De même, on ne peut pas assimiler les logements Pinel ou PLI (Prêt locatif intermédiaire) à des logements sociaux - les conditions ne sont pas les mêmes au regard des loyers, des ressources, de la gestion, etc. La loi SRU permet déjà d'inclure le parc privé à vocation sociale en cas de conventionnement avec l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (ANAH), sous certaines conditions, ou les logements BRS, mais cela ne concerne que quelques centaines de logements.
De même, un logement social qui a été vendu à son occupant n'appartient plus au parc social, même si son occupant reste le même, car il n'est plus remis en location. Donc ne confondons pas la loi SRU avec un PLH pour ne pas complexifier. Quant à l'argument de la densité, la ville de Paris a réussi à passer de 12 % de logements sociaux en 2001 à 24 % aujourd'hui, tout en améliorant la qualité des logements, grâce, en partie, à des opérations d'acquisition-amélioration.
On ne peut que déplorer l'incohérence de l'État qui veut sanctionner davantage, mais qui, dans le même temps, coupe les vivres aux opérateurs. La Cour estime ainsi dans un référé récent que la RLS est une usine à gaz, avec des effets négatifs sur la production de logements sociaux, même si les bailleurs peuvent être en bonne santé financière. Le Gouvernement risque d'avoir beau jeu de reporter la responsabilité sur les élus locaux ou les bailleurs si les objectifs de la loi ne sont pas atteints, et réciproquement ! Il importe pourtant que tout le monde tire dans le même sens.
M. Gérard Terrien. - Vous avez évoqué l'association du secteur privé au secteur social. Notre rapport montre que la vente en l'état futur d'achèvement (VEFA) est une piste et, d'ailleurs, celle-ci se développe fortement.
La question des 300 000 mal-logés, dont 40 000 sans-abri, relève d'autres politiques publiques, mais je ne pense pas qu'ils ne souhaitent pas être relogés...
L'intercommunalisation semble une piste intéressante, mais il ne faut pas vider la loi SRU de son sens. Notre recommandation no 7 ne vise pas à stigmatiser les communes qui ne respectent pas leurs objectifs, mais à comprendre pourquoi.
La construction et la mixité sociale ne relèvent pas du même temps, ni des mêmes politiques. La mixité relève aussi des questions d'éducation, de sécurité, etc. Quant à la RLS, la Cour vient de rendre un référé sur ce sujet, mais la question est vaste et nous entraînerait trop loin aujourd'hui...
M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie.
La commission autorise la publication de cette enquête, en application de l'article 58-2 de la LOLF, en annexe au rapport d'information du rapporteur spécial.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales - Demande de saisine et désignation d'un rapporteur pour avis
La commission demande à se saisir pour avis du projet de loi n° 404 (2020-2021) de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales et désigne M. Jean-Claude Requier rapporteur pour avis.
M. Jean-Claude Requier. - Comme Michel Canevet est corapporteur spécial avec moi des crédits de l'aide publique au développement, je l'invite volontiers à participer à mes travaux, s'il le souhaite.
Désignation d'un rapporteur
La commission désigne M. Philippe Dallier rapporteur sur la proposition de loi n° 385 (2020-2021) visant à orienter l'épargne des Français vers des fonds souverains régionaux.
La réunion est close à 12 h 35.