- Jeudi 4 mars 2021
- Institutions européennes - Suivi des résolutions européennes du Sénat - Rapport d'information
- Marché intérieur, économie, finances, fiscalité - Audition de Mme Mairead McGuinness, commissaire européenne chargée des services financiers, de la stabilité financière et de l'union des marchés des capitaux
Jeudi 4 mars 2021
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 10 h 30.
Institutions européennes - Suivi des résolutions européennes du Sénat - Rapport d'information
M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, je vous présente aujourd'hui le sixième rapport d'information sur le suivi des positions européennes du Sénat - résolutions européennes, avis motivés et avis politiques -, qui vous a été préalablement distribué.
Ce rapport traduit, dans le domaine des affaires européennes, l'attachement de la Haute Assemblée au contrôle des suites données à ses travaux dans le cadre plus général de l'application des lois. Ainsi, le président de la commission des affaires européennes participe de façon régulière désormais au débat sur le bilan annuel de l'application des lois.
Mon rapport présente un bilan de la prise en compte et de la mise en oeuvre des différentes positions européennes adoptées par le Sénat entre le 1er octobre 2019 et le 30 septembre 2020.
Comme Jean Bizet l'année dernière, je voudrais souligner la très grande qualité des informations contenues dans les fiches de suivi - il y en a eu seize cette année - que nous adresse le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) sur les résultats des négociations.
Comme mon prédécesseur également, je souhaiterais que le SGAE, à l'avenir, nous transmette ses fiches de suivi de façon plus régulière, et non plus seulement sur demande et quelques semaines avant l'examen de ce rapport : l'objectif est que la procédure devienne véritablement banalisée et que notre dialogue avec le Gouvernement soit fluide et permanent.
Je vous rappelle également l'audition particulièrement riche et utile de Clément Beaune devant notre commission, le 11 février dernier, qui comportait un débat interactif auquel plusieurs collègues ont participé. Elle a constitué pour notre commission l'occasion d'une discussion centrée sur les enjeux politiques des actions européennes traditionnelles, la politique agricole commune (PAC) et celle de la concurrence en particulier, mais aussi sur des sujets d'avenir tels que le Fonds européen de défense et la lutte contre la cybercriminalité. Je considère que cet exercice constitue un moment important du contrôle parlementaire de l'action gouvernementale en matière européenne.
Entre le 1er octobre 2019 et le 30 septembre 2020, le Sénat a adopté dix-sept résolutions européennes, contre quinze l'année précédente. Je signale que notre commission a été saisie de 852 textes en 2020, soit le même niveau que l'année précédente.
Sur ces dix-sept résolutions, dix sont issues d'une proposition de résolution de notre commission, six d'une initiative d'un ou plusieurs de nos collègues et une du groupe de travail commun à notre commission et à celle des affaires économiques sur la modernisation de la politique européenne de la concurrence. Six résolutions ont donné lieu à un rapport d'information de notre commission, et cinq à un rapport d'une commission permanente.
Deux rapports d'information ont été publiés sous le double timbre de commissions, l'un avec la commission des affaires économiques et l'autre avec la commission des lois. Treize résolutions ont également fait l'objet d'un avis politique adressé à la Commission.
En revanche, aucune résolution n'a été débattue en séance publique, alors que deux l'avaient été l'année dernière. Si cette situation est largement imputable à la crise sanitaire, elle n'en est pas pour autant satisfaisante, et je souhaite que nous puissions prochainement faire évoluer les choses.
Quant aux avis motivés sur le respect du principe de subsidiarité, le Sénat en a adopté trente et un depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Nous en avons adopté un seul, sur la loi européenne sur le climat, au cours de la période couverte par le rapport, et nous n'en avions adopté aucun l'année précédente.
Je note d'ailleurs qu'en 2019, la Commission n'a reçu aucun avis motivé de la part des parlements nationaux, contre trente-sept l'année précédente, après une diminution de 28,8 % entre 2017 et 2018. Je m'interroge sur les raisons de ce moindre intérêt pour le contrôle parlementaire de subsidiarité.
Pour ce qui concerne les avis politiques, notre commission en a adressé quinze à la Commission entre le 1er octobre 2019 et le 30 septembre 2020, contre dix-neuf l'année dernière. Tous ont reçu une réponse de la part de la Commission. Son délai de réponse, censé ne pas dépasser trois mois, s'est très sensiblement amélioré sur la période couverte par le rapport : le taux de réponse dans le délai imparti s'établit à 80 %, contre 47,4 % l'année dernière. Sur les trois réponses adressées après le délai de trois mois, le retard était très limité, parfois seulement quelques jours. Je me félicite naturellement de cette réelle amélioration et j'espère qu'elle pourra perdurer.
Je partage l'appréciation portée par Jean Bizet l'année dernière d'une qualité globalement satisfaisante des réponses apportées par la Commission dans le cadre du dialogue politique. Souhaitons que les efforts entrepris soient étendus à l'ensemble de ses réponses et poursuivis par la nouvelle Commission, afin de réduire au maximum le caractère encore un peu trop formel de cet exercice. De toute façon, nous ne manquerons pas de poursuivre le dialogue politique si nous considérons que les réponses obtenues sont incomplètes ou excessivement générales, comme nous l'avons déjà fait dans le passé.
Enfin, selon des chiffres de la Commission elle-même, en transmettant douze avis politiques sur l'année 2019, notre commission figure parmi les dix les plus actives parmi toutes les assemblées parlementaires de l'Union européenne, qui en compte trente-neuf.
J'en viens maintenant au fond. Je serai bref, me permettant de vous renvoyer au rapport sur le suivi de chacune des résolutions qui y sont analysées.
Sur l'année parlementaire écoulée, dans 83 % des cas, les positions exprimées par le Sénat dans ses résolutions européennes ont été prises en compte au cours des négociations et influent donc directement sur le contenu des directives et règlements finalement adoptés.
D'une façon quelque peu schématique, il est possible de classer les résolutions européennes du Sénat en trois catégories quant aux suites qu'elles ont reçues.
Dans près de 30 % des cas - ce qui est un taux honorable, mais dix-sept points en dessous de celui de l'année dernière -, nos résolutions ont été prises totalement ou très largement en compte.
Je peux citer la volonté de garantir, au sein de la PAC, le système d'autorisation préalable de plantation viticole jusqu'en 2050 : la France a obtenu que le système d'autorisation préalable de plantation viticole soit certes prolongé, mais sans doute seulement jusqu'au 31 décembre 2045.
Je peux également mentionner le mandat de négociation du nouveau partenariat entre l'Union européenne et le Royaume-Uni : l'accord conclu en décembre 2020 avec ce pays prévoit notamment une période de cinq ans et demi pendant laquelle la continuité des accès aux eaux britanniques est garantie, avec une diminution progressive des quotas européens de 25 %.
Je dois aussi citer l'amélioration de la lutte contre la fraude aux financements européens dans le cadre des politiques de voisinage : des règles ont été définies sur la coopération entre l'Office européen de lutte anti-fraude (OLAF) et le nouveau Parquet européen.
S'agissant de l'évaluation des technologies de santé, les États membres restent libres de faire leurs évaluations nationales, sans se voir imposer l'évaluation européenne.
Concernant la lutte contre la cybercriminalité, un accord a été trouvé sur le retrait des contenus terroristes en ligne, et le renforcement du mandat d'Europol est en cours de négociations.
Dans 53 % des cas, les positions du Sénat ont été partiellement suivies.
Je peux ainsi mentionner les enfants privés de tout lien avec leur parent européen à la suite d'un enlèvement commis par leur parent japonais. Le 31 janvier 2020, lors de la deuxième réunion du comité mixte institué par l'accord de partenariat stratégique entre l'Union européenne et le Japon, l'Union a invité le Japon à améliorer son cadre juridique et l'application effective de celui-ci afin de garantir le respect des décisions judiciaires et de ses engagements internationaux, en particulier la convention de La Haye, auxquelles le pays est partie.
L'Union a également insisté sur la nécessité de garantir l'intérêt supérieur de l'enfant et de respecter les droits de visite accordés aux parents. En revanche, n'ont pas été satisfaites nos demandes sur l'établissement d'une liste européenne de pays ne se conformant pas aux obligations qui leur incombent en vertu de la convention de La Haye ou sur l'amélioration de l'accès des ressortissants européens et japonais à une information claire, transparente et objective en matière de droit de la famille.
Pour ce qui est du cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027 de l'Union européenne et le plan de relance européen, le Gouvernement fait valoir que la PAC sera finalement renforcée sur cette période, avec une enveloppe en augmentation de 1,5 % en valeur par rapport à la période 2014-2020.
Le montant des aides consacrées au développement rural est en hausse, à 11,4 milliards d'euros, mais celui des aides directes diminue. Les autorités françaises disent également s'être attachées à défendre les montants initialement proposés par la Commission pour le Fonds européen de défense et le programme spatial, mais les négociations n'ont pas permis d'atteindre les objectifs initiaux. Par ailleurs, la suppression des rabais, qui figurait parmi les objectifs tant des autorités françaises que du Sénat, n'a pas abouti au cours des négociations.
Quant au Fonds européen de défense, un accord a été trouvé sur sa création, avec un montant de 8 milliards d'euros pour la période 2021-2027, mais, je le disais à l'instant, la France visait 10, voire 13 milliards d'euros.
Toutefois, selon l'expression de Clément Beaune au cours de son audition, « il faut le prendre comme une étape essentielle » et « il faudra faire vivre ce fonds pour montrer son utilité ».
Nous avons également obtenu le maintien du ratio entre les crédits alloués à la recherche - un tiers du budget total - et ceux alloués au développement capacitaire à hauteur de deux tiers.
S'agissant de la lutte contre la fraude sociale transfrontalière et l'amélioration de la coopération européenne en matière de lutte contre la fraude aux prestations sociales, les négociations sur la révision des règlements de coordination de sécurité sociale ont été nombreuses et se sont concentrées sur plusieurs sujets, dont la question de la notification préalable du détachement auprès de l'organisme de sécurité sociale de l'État d'envoi.
Les cas de dérogation doivent rester limités, mais c'est précisément sur ce point que la négociation achoppe, les États membres d'Europe centrale souhaitant que les dérogations s'appliquent à l'ensemble des voyages d'affaires et pour une durée allant jusqu'à trente jours.
La France a obtenu satisfaction sur la numérisation des procédures, même si des défis techniques demeurent. Notre pays promeut également la mise en place d'un numéro de sécurité sociale européen, mais les négociations n'ont pas porté sur ce sujet.
Concernant le programme de travail de la Commission européenne pour 2020, les négociations sur le Pacte vert sont en cours, et les autorités françaises disent porter certaines positions sénatoriales, par exemple sur l'énergie, telles que les rénovations dans le secteur du bâtiment à des fins d'efficacité énergétique ou la rénovation de bâtiments publics.
De même, les récentes propositions de la Commission sur le Digital Services Act (DSA) et le Digital Market Act (DMA) sont globalement alignées sur les priorités françaises pour ce qui concerne le renforcement de la responsabilité des plateformes dans la diffusion de contenus et produits illégaux ou encore la régulation ex ante, même si nous souhaitons que la réglementation appréhende l'ensemble de la fonction de modération, sans se limiter aux seuls contenus illicites.
Nous avons également obtenu gain de cause sur la nouvelle méthodologie de l'élargissement et sur la politique de voisinage, de même que sur la nouvelle stratégie de l'union de la sécurité. En revanche, notre demande de création d'un « carton vert », c'est-à-dire d'un droit d'initiative pour les parlements nationaux, reste vaine.
Pour ce qui est de la modernisation de la politique européenne de la concurrence, notre résolution était intervenue très en amont, alors que plusieurs propositions de nature législative restent attendues pour les prochains mois. Toutefois, Clément Beaune a indiqué que le Gouvernement soutenait notre demande de révision de la définition du marché pertinent, qui date de 1997.
Par ailleurs, le projet de règlement DMA prend partiellement en compte plusieurs positions du Sénat, par exemple sur la nécessité de disposer d'analyses sectorielles systématiques de l'état de la concurrence, sur le nécessaire renforcement de la flexibilité dans l'application du droit européen de la concurrence grâce à des mesures conservatoires, et sur l'intégration de nouveaux concepts d'analyse adaptés au numérique afin d'assurer un suivi préventif des comportements des acteurs.
En revanche, à ce stade, nous n'avons pas obtenu satisfaction sur l'indispensable enrichissement de la notion-clef de bien-être du consommateur ni sur la nécessité d'une évaluation a posteriori et transparente des décisions prises en matière de concurrence.
Concernant la mobilité des professionnels de santé au sein de l'Union européenne, les avancées sont réduites, en dépit de l'appui des autorités françaises. Ainsi, pour les professions de santé, qui devraient absolument maîtriser la langue du pays d'accueil, le contrôle de la maîtrise de la langue française n'intervient encore que s'il est nécessaire et reste à distinguer de la reconnaissance des qualifications professionnelles.
S'agissant de la préservation de la souveraineté de l'Union européenne dans le domaine énergétique, le champ d'application du règlement dit « de blocage » de 1996 a été élargi pour y ajouter le régime de sanctions américain à l'encontre de l'Iran de manière à lutter contre l'extraterritorialité des sanctions américaines.
Enfin, dans trois cas seulement, notre résolution européenne n'a, jusqu'à présent, reçu aucune suite effective : la préservation de la pérennité des compagnies aériennes immatriculées dans l'Union européenne tout en garantissant les droits des passagers aériens, le renforcement des mesures exceptionnelles de la PAC pour faire face aux conséquences de la pandémie de covid-19 et l'affirmation de la primauté effective des objectifs de la PAC sur les règles européennes de concurrence, et, enfin, l'adaptation du régime de protection dont bénéficie le loup en application de la convention de Berne et de la législation européenne.
Vous le voyez, globalement, le bilan est très largement positif. J'y vois un encouragement à poursuivre l'action de notre commission, et je vous remercie d'y participer activement.
M. Ludovic Haye. - Vous avez indiqué que les remarques du Sénat avaient été prises en compte, ce qui est toujours intéressant.
Même si nous n'avons pas pu tout retenir - les sujets sont nombreux -, les chiffres relatifs à la PAC et à la cybersécurité me semblent très éloquents. Ce sont de belles avancées. Merci à vous et à l'ensemble des sénateurs pour ce travail.
M. Daniel Gremillet. - Après l'accord sur le Brexit et le départ de nos amis britanniques, il serait bon de s'imprégner du travail réalisé par les différents parlements. Cela rapprocherait l'Europe de nos concitoyens et ferait sens.
Comment porter l'espoir que l'on peut avoir dans la construction européenne ? Je me félicite du travail que nous faisons ensemble, mais il y a sûrement un message politique européen à mieux faire passer, en particulier sur les sujets agricoles. L'Europe est une chance, notamment face aux tensions qui peuvent exister en matière de souveraineté alimentaire.
M. Jean-François Rapin, président. - Je suis totalement d'accord. Même si l'on peut se satisfaire des bilans précédents, on doit certainement donner un coup de collier à notre action européenne. Sur le Brexit, nous avons décidé, avec Christian Cambon, de vous proposer une résolution commune rapidement.
Notre commission est considérée par le Gouvernement comme une instance sérieuse. J'ai des échanges très réguliers avec le ministre et je me félicite qu'il vienne échanger avec nous régulièrement.
On doit agir en commun avec l'exécutif, tout en conservant notre autonomie parlementaire. Le Brexit a été un moment particulier. Plus rien ne sera comme avant, je l'ai dit hier.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Je souhaitais intervenir au nom de mon groupe pour féliciter et remercier le président pour ce rapport, toujours attendu et nécessaire, qui permet de savoir où nous en sommes secteur par secteur et d'évaluer la manière dont nous progressons.
Daniel Gremillet a évoqué l'agriculture. Je travaille quant à moi davantage sur le numérique, mais on a besoin de ces points d'étape pour donner du sens à notre action en faveur de l'Europe.
Je voulais également vous remercier, Monsieur le Président, ainsi que le Président Cambon, pour l'organisation du débat d'hier, sur l'accord-cadre entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, qui nous a permis de fixer des perspectives de travail, que vous avez à nouveau énoncées ce matin. L'heure est venue pour les parlements de peser davantage dans la définition de ce que devrait être l'Europe de demain.
Nous avons beaucoup de défis à relever, et j'ai été très sensible à ce qu'a dit Michel Barnier à propos de l'abandon de certaines politiques au cours de ces vingt dernières années, notamment en matière de politique industrielle ou d'ultralibéralisation de l'Europe.
Nos chantiers seront nombreux dans les mois à venir. Merci encore une fois d'en tenir compte et de faire en sorte que nous puissions travailler de manière organisée sur ces sujets.
Mme Marta de Cidrac. - Merci pour ce rapport très prometteur. Il est gratifiant pour la commission des affaires européennes de savoir qu'elle tient une place importante au sein de notre maison et plus largement. Cela motive notre démarche.
Je voudrais revenir sur les propos de Daniel Gremillet, auxquels je souscris pleinement. Je m'interroge toutefois sur l'Union interparlementaire (UIP). Peut-être faudrait-il auditionner cette organisation à propos des thématiques qu'elle aborde ? Certains d'entre nous siègent au sein de l'UIP. C'est mon cas. Or nous n'avons eu qu'une seule réunion depuis le renouvellement sénatorial, et je ne suis pas certaine de savoir précisément à quoi sert l'UIP - pardon de le dire brutalement !
J'aimerais comprendre comment s'articule son fonctionnement avec des commissions comme la nôtre, qui est très proactive et présente dans le paysage politique français et au-delà, puisque nous auditionnons régulièrement des commissaires et des parlementaires européens. Quelle interaction l'UIP a-t-elle avec des instances comme la nôtre ? À ma connaissance, l'Union interparlementaire ne nous a jamais sollicités, et je ne suis pas certaine qu'elle sache précisément ce que fait notre commission, alors que nous menons de vraies missions d'intérêt public.
M. Didier Marie. - Les parlementaires siègent dans beaucoup d'instances internationales, permettant de faire vivre le parlementarisme à ce niveau : UIP, Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE), Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (AP-OSCE). Ces organisations n'ont pas toutes de lien direct avec le travail de notre commission. Ce serait plutôt à la commission des affaires étrangères de nouer davantage de liens avec l'UIP, dont le périmètre n'est pas exclusivement européen.
La délégation française est composée à la fois de représentants de l'Assemblée nationale et du Sénat. C'est un député qui préside la délégation. Je comprends votre interrogation, mais c'est peut-être la représentation française de l'UIP qu'il faut interroger pour mieux cerner cette assemblée, à laquelle je participe aussi depuis plusieurs années. Son fonctionnement n'est pas facile à appréhender, car il s'agit d'un cénacle regroupant 172 pays, avec des principes de fonctionnement proches de ceux de la diplomatie onusienne et assez éloignés du travail de la commission des affaires européennes.
J'ai personnellement mis deux à trois ans avant de comprendre comment cela fonctionnait. Certains collègues pourraient vous transmettre des éléments à ce sujet.
M. Jean-François Rapin, président. - D'autant que nous n'avons pas été saisis d'une demande particulière. Seule l'AP-OSCE a mené une démarche en ce sens. Pascal Allizard nous présentera d'ailleurs bientôt une communication sur les travaux qui y sont menés.
M. André Gattolin. - Deux organisations interparlementaires relèvent plus ou moins organiquement de la commission des affaires européennes, l'APCE et l'OSCE. L'APCE compte quarante-sept pays, bien plus que l'Union européenne elle-même. L'OSCE, regroupe quant à elle cinquante-sept membres. C'est un périmètre dans lequel on trouve les États-Unis, le Canada et quelques autres pays. Les personnes qui y accompagnent les membres français, comme Pascal Allizard ou moi-même, appartiennent au secrétariat de cette commission.
L'UIP relève davantage de la commission des affaires étrangères, ou de la commission de la culture pour ce qui est de la francophonie. On peut en être membre sans appartenir à la commission des affaires européennes. Ses travaux sont intéressants.
La semaine passée, durant la suspension, avec Pascal Allizard, nous avons échangé tous les jours en visioconférence dans le cadre de l'AP-OSCE. C'est certes un peu lourd : il y a beaucoup de pays, beaucoup d'échanges, et les temps d'intervention sont courts, mais beaucoup de sujets ont été évoqués.
L'UIP mène également beaucoup de travaux. L'une de nos collègues députées travaille actuellement sur les libertés et la protection des parlementaires en Biélorussie. Je m'intéresse également à ce sujet dans le cadre de l'APCE. Je me suis rapproché d'elle pour échanger des informations et voir comment je pouvais les relayer au niveau de l'OSCE.
Il faut découvrir ces institutions, comprendre qui sont les autres membres. Les sénateurs ne sont pas très nombreux dans ces instances. C'est à l'APCE que nous sommes le plus représentés.
Il faut également considérer les ponts et les différents relais que l'on peut y trouver. L'UIP traite en premier lieu de la défense et de la protection des droits des parlementaires à travers le monde.
M. Jean-François Rapin, président. - La communication de Pascal Allizard aura lieu dans deux semaines. Nous verrons ce que nous ferons par la suite.
La commission autorise à l'unanimité la publication du rapport d'information.
La réunion est close à 11h10.
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 11 h 30.
Marché intérieur, économie, finances, fiscalité - Audition de Mme Mairead McGuinness, commissaire européenne chargée des services financiers, de la stabilité financière et de l'union des marchés des capitaux
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - Avec nos collègues de la commission des affaires européennes et son président, Jean-François Rapin, que je remercie d'avoir pris cette initiative, nous avons le plaisir d'accueillir ce matin Mme Mairead McGuinness, commissaire européenne chargée des services financiers, de la stabilité financière et de l'union des marchés de capitaux.
Il y a quelques semaines, nous avons examiné et adopté le projet de loi autorisant l'approbation de la décision relative au système des ressources propres. Cette décision doit permettre de concrétiser rapidement la mise en oeuvre de « Next Generation EU », l'instrument européen de relance coordonnée.
Le portefeuille dont vous avez la charge traite de sujets complémentaires à ces mesures de soutien public : stabilité financière et bon accès des entreprises aux financements privés. Vous avez compétence à ce titre sur les questions relatives à l'union bancaire et à l'union des marchés de capitaux, mais aussi sur les négociations avec le Royaume-Uni en matière de services financiers ou encore sur les propositions de transposition des accords de Bâle.
Nous souhaitons connaître l'état d'avancement de ces dossiers, notamment des négociations avec le Royaume-Uni sur le sujet des équivalences, ainsi que la manière dont vous envisagez la finalisation des accords de Bâle III, en vue de laquelle vous devriez formuler vos propositions au printemps. Les banques françaises nous ont fait part d'inquiétudes à cet égard. Par ailleurs, toujours en matière bancaire, nous aimerions savoir comment l'Union européenne pourra, selon vous, faire face au risque d'augmentation du nombre de prêts dits « non performants » dans le contexte de crise sanitaire que nous traversons.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Madame la commissaire, après une longue expérience au Parlement européen, vous avez reçu, en octobre dernier, la charge des services financiers, de la stabilité financière et de l'union des marchés des capitaux. Ces sujets, parfois considérés comme techniques, ont pourtant une importance majeure pour l'économie européenne. En effet, la stabilité financière conditionne la prospérité et permet le financement de l'économie ; inversement, la crise actuelle fait craindre des défauts généralisés dans l'économie réelle, susceptibles de poser un risque systémique sérieux pour la stabilité financière.
De fait, l'agenda européen concernant les services financiers est particulièrement riche : l'Union économique et monétaire appelle à parachever l'union bancaire et l'union des marchés de capitaux. Aussi la poursuite de l'élaboration du cadre réglementaire européen en ces matières représente-t-elle un défi au long cours. Divers chantiers s'annoncent dans les prochains mois, concernant, notamment, l'architecture de gestion de crises et la transposition des règles de Bâle III, qui inquiète fortement nos banques : les exigences en capital plus sévères que celles-ci auraient alors à respecter pourraient les désavantager par rapport à leurs concurrentes américaines et menacer le financement du secteur public local.
Ce travail de longue haleine se trouve bousculé par le choc financier lent lié, d'une part, à la crise induite par le covid-19, qui a notamment conduit à la mise en place anticipée du filet de sécurité du mécanisme européen de stabilité (MES) et à des allégements temporaires des exigences liées aux fonds propres et, d'autre part, aux conséquences du Brexit sur la sphère financière. À ce sujet, nous serions intéressés de connaître les intentions de la Commission européenne en matière d'octroi d'équivalences et de rapatriement ou de développement d'infrastructures de marché stratégiques sur le continent européen.
La mise en place du plan de relance européen massif, assis sur un emprunt mutualisé, soulève aussi de nouveaux enjeux. Elle conduit notamment à ranimer les débats autour de l'instauration d'une taxe européenne sur les transactions financières dans le cadre de la création de nouvelles ressources propres. Sur ce sujet également, nous souhaiterions savoir quelle est votre vision.
Mme Mairead McGuinness, commissaire européenne chargée des services financiers, de la stabilité financière et de l'union des marchés de capitaux. - Je vais me concentrer sur les sujets prioritaires. Le premier est la covid-19 et la relance économique.
Cette pandémie a obligé les États membres de l'Union européenne à imposer des restrictions sanitaires larges. Il y a un an, quand les premières mesures ont été introduites, nous pensions en sortir rapidement ; malheureusement, alors que certains États membres font désormais face à une troisième vague de l'épidémie, celles-ci sont toujours nécessaires pour sauver des vies. Le secteur financier a su rester résilient durant cette crise ; les mécanismes de soutien mis en place par les gouvernements ont permis des extensions de crédits alors que les autorités régulatrices ont enjoint les banques à faire preuve de toute la flexibilité possible vis-à-vis des emprunteurs.
La Commission européenne s'est jointe aux efforts mondiaux pour stabiliser le système financier et maintenir le flux de crédit vers l'économie. Ceci s'est traduit par un paquet bancaire en avril 2020 qui a offert une flexibilité ciblée sur les règlements prudentiels et un train de mesures de relance par les marchés de capitaux, en juillet 2020, afin d'aider les entreprises européennes dans leur redressement après la crise. Des amendements ciblés à la directive concernant les marchés d'instruments financiers facilitent la vente de produits financiers de base à un vaste éventail d'investisseurs de détail, et ont été introduites de nouvelles règles sur le financement des petites et moyennes entreprises (PME) pour leur permettre de bénéficier d'une plus grande visibilité aux yeux d'un nouveau panel d'investisseurs. Le prospectus de relance a été introduit pour permettre la recapitalisation des entreprises européennes. Enfin, ce paquet de mesures est venu faciliter la titrisation des prêts dits « non performants », et offrir des manières plus simples et plus transparentes de transférer le risque à des investisseurs externes afin de libérer la capacité de prêt des banques.
Il est vital d'assurer une relance rapide pour tous les États membres de l'Union européenne, et c'est pourquoi la Commission européenne a souhaité mettre en avant la facilité pour la reprise et la résilience. Cet instrument rend disponibles 672,5 milliards d'euros sous la forme de prêts et de subventions aux États membres et, par le biais d'un soutien financier de grande ampleur pour les investissements et les réformes, il a pour but d'aider la reprise dans les États membres en encourageant l'investissement pour une économie durable et numérique. Il nous permettra également de soutenir la demande et de nourrir la croissance dans les années qui viennent.
S'agissant du plan d'action sur les prêts non performants, le secteur financier a aidé à minimiser la crise, mais l'Europe a besoin d'une stratégie claire pour maintenir la santé et la robustesse du secteur bancaire et préparer les nouveaux défis. De ce point de vue, protéger le crédit aux entreprises et aux ménages est une priorité. L'impact de la pandémie sur l'économie va sans doute se traduire par des augmentations de ces prêts non performants et des défaillances. La Banque centrale européenne (BCE) prédit ainsi que ces prêts devraient atteindre 1,4 trillion d'euros dans la zone euro. Pour le moment, le ratio de prêts non performants demeure stable, en dépit de prêts importants consentis par les banques tout au long de la crise.
Afin d'éviter leur croissance dans les bilans des banques, nous avons adopté un plan d'action en décembre dernier. Un premier train de mesures visait à améliorer la liquidité, la transparence et les transactions sur les marchés secondaires de prêts non performants, tout en protégeant les emprunteurs. Le deuxième entendait améliorer et coordonner les cadres juridiques de l'insolvabilité, de manière que le recouvrement des prêts puisse être efficace. Le troisième volet concerne les sociétés de gestion d'actifs ; la Commission européenne a émis des recommandations à destination des États membres qui décideraient de mettre en place des sociétés de gestion d'actifs nationales. Enfin, quatrièmement, nous souhaitons clarifier l'application de la résolution bancaire et des cadres sur les aides d'État ainsi que des mesures de précaution.
La Commission européenne va avancer sur le volet bancaire avec les réformes issues de Bâle III, dont elle a repoussé la mise en oeuvre dans l'Union européenne, un accord étant intervenu pour un délai complémentaire d'un an. Notre engagement à réaliser ces réformes, à moyen et à long terme, n'a pas changé ; nous entendons toutefois tenir compte des spécificités de l'Union européenne pour préserver l'intégrité des cadres existants. Comme nous l'avons dit en avril 2020, nous allons prendre en compte l'impact de la crise de la covid-19 sur la situation financière des banques. L'Autorité bancaire européenne a donc actualisé son analyse de la mise en oeuvre de Bâle III et la Commission européenne va avancer une proposition en juillet.
S'agissant de l'union bancaire, son avancement et son achèvement restent des priorités pour la Commission européenne ; la crise a démontré l'importance d'un cadre de gestion robuste pour les banques et de filets de sécurité financiers conséquents, financés par l'industrie, pour renforcer la confiance des déposants. La Commission européenne travaille donc sur un cadre de gestion de la crise et d'assurance des dépôts. Nous avons lancé une consultation publique en février à cet effet et notre ambition concernant le système européen d'assurance des dépôts n'a pas changé. : un mécanisme, garantissant également la mutualisation des pertes, est absolument nécessaire à l'union bancaire ; à défaut, nous risquons une renationalisation bancaire. Il nous faut donc travailler à un modèle hybride dans un premier temps, basé sur la coexistence de fonds de garantie des dépôts nationaux, à côté d'un fonds de l'Union européenne plus centralisé. Les deux systèmes cadres d'assurance des dépôts et gestion de crise sont étroitement liés, la priorité étant de préserver la stabilité financière et de soutenir la confiance des déposants, tout en limitant l'utilisation des deniers du contribuable.
Pour ce qui est de l'union des marchés de capitaux, la crise a démontré qu'il existait une réelle opportunité. Nous l'avions constaté après la crise de 2008 : les États-Unis avaient connu une relance plus rapide que l'Europe, parce que leurs marchés de capitaux étaient plus développés. Les États membres de l'Union européenne ont compris qu'il y avait là urgence et nous avons insisté, durant le sommet européen, sur le besoin de développer cette union des marchés de capitaux. Notre objectif le plus urgent est de favoriser la relance post-covid et de soutenir nos entreprises, en particulier les PME, mais l'union des marchés de capitaux est essentielle pour financer également les transitions numérique et durable. Nous devons être exhaustifs et ambitieux, mais également réalistes : cette union des marchés de capitaux demeure un projet à long terme, qui doit être construit étape par étape. Nous devons progresser sur certains points délicats qui demandent du temps, comme la solvabilité, sujet central au regard du risque d'augmentation des défaillances et des faillites après la crise de la covid. La supervision est donc essentielle, même s'il est vrai qu'elle constitue, avec la retenue à la source, un obstacle très ancien à l'union des marchés de capitaux. Nous nous y sommes confrontés dans le plan d'action, mais des difficultés subsistent dans les discussions entre les États membres et nous aurons besoin du soutien de tous, y compris du Sénat français, si nous voulons vraiment progresser sur ces points politiquement sensibles.
L'union des marchés de capitaux est également nécessaire à l'établissement d'une finance plus durable en ce qu'elle permettrait de mobiliser les investissements très importants dont nous aurons besoin pour atteindre nos objectifs sur le climat et sur l'environnement. Dans ce domaine, le Pacte vert, la taxonomie de l'Union européenne, les obligations vertes et notre stratégie financière durable nous permettent de raisonner à un horizon 2030-2050.
Avant de conclure, j'aimerais dessiner quelques perspectives stratégiques pour le système économique et financier de l'Union européenne. Nous évoluons dans un contexte géopolitique multipolaire, avec certains pays qui s'éloignent du multilatéralisme et qui suivent leurs propres priorités. La pandémie et le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne ont mis en lumière certaines vulnérabilités au sein de l'Union comme dans le système économique et financier mondial, parmi lesquelles le fait que nous dépendons trop d'opérateurs étrangers, en particulier dans le domaine de la compensation et du règlement des dérivés financiers, dont la plupart s'effectuent au Royaume-Uni et sont financés en dollars américains. Durant les dernières années, nous avons également constaté que le statut du dollar en tant que monnaie de réserve avait parfois été politisé, rendant plus difficile pour les entreprises européennes de s'engager légitimement avec des pays tiers, cibles de sanctions extraterritoriales illégales. La Commission européenne a donc publié en janvier une communication intitulée « The European economic and financial system: fostering openness, strength and resilience ». Elle y préconise, tout d'abord, de renforcer le rôle international de l'euro, ensuite, de continuer à développer les infrastructures de marchés financiers, d'améliorer notre résilience et, enfin, d'assurer la mise en oeuvre uniforme et cohérente des sanctions de l'Union. Je sais que la France est un soutien majeur de l'autonomie stratégique ouverte ; nous sommes très confiants et impatients de travailler avec vous sur ce point. Des sujets importants demeurent, comme le reporting pays par pays. Comme commissaire, mais aussi comme députée européenne pendant très longtemps, je considère qu'il nous revient de surmonter nos quelques divergences pour travailler de concert.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Ma première question concerne l'accord conclu à la fin de l'année 2020 entre l'Union européenne et le Royaume-Uni sur leur relation future, qui prévoit notamment la conclusion d'un protocole d'accord sur les services financiers d'ici à mars. Nous y sommes. Le Royaume-Uni a perdu le passeport lui permettant de commercialiser ses services financiers au sein de l'Union européenne et ces discussions devaient porter sur le régime des équivalences. Où en sont les discussions à ce sujet ? La Commission européenne s'oriente-t-elle vers l'octroi d'équivalences temporaires et, si oui, à quelle échéance celles-ci seront-elles révisées ?
Seconde question, notre commission des finances a organisé une table ronde sur la mobilisation de l'épargne financière des ménages afin de soutenir la relance. Les représentants du secteur bancaire nous ont indiqué que la finalisation de Bâle III risquait d'entraver le financement des entreprises non cotées, en raison d'une harmonisation des règles d'évaluation des risques entre le système financier européen et le système anglo-saxon, au détriment des entreprises européennes. Partagez-vous ce constat ? Plus largement, comment entendez-vous tenir compte de ces contraintes dans vos propositions en la matière, qui sont attendues pour ce printemps ?
Mme Mairead McGuinness. - Je vous remercie de porter à mon attention les auditions que vous avez menées ; j'ai également eu un certain nombre d'entretiens avec plusieurs parties prenantes qui nourrissent des inquiétudes sur la mise en oeuvre de Bâle III. L'objectif, à mon sens, est de renforcer et de rendre plus résilient le système bancaire. Toutefois, il faut tenir compte de certaines spécificités du système européen, encore plus dans le contexte de la covid. Dans notre étude d'impact, nous nous pencherons sur certaines de ces questions.
En ce qui concerne l'économie de l'Union européenne, vous avez évoqué les PME non cotées ; il nous faut ainsi nous assurer que celles-ci ne seront pas privées de financement, c'est très important pour la relance et nous en avons bien conscience. De même, il nous faudra être attentifs à la situation des banques de l'Union européenne à long terme et éviter une approche spéculative des fonds propres. Il est également important que les industries stratégiques soient soutenues.
Je voudrais donc vous rassurer sur un certain nombre de points ; nous sommes conscients des implications de Bâle III et nous allons prendre tout cela en compte dans notre étude d'impact, mais il faut être très clair : l'Union européenne a évoqué encore récemment l'importance du multilatéralisme. Dès lors qu'il s'agit d'un accord de niveau international, nous devons remplir nos engagements. Notre proposition va encore évoluer, nous allons prendre en compte les inquiétudes qui se sont manifestées et nous allons tirer parti du délai pour écouter toutes les parties prenantes. Nous devrons mettre en oeuvre ce processus de manière cohérente avec nos structures et en répondant aux questions qui se posent dans le système bancaire.
Pour ce qui est des relations avec le Royaume-Uni et, plus spécifiquement, du protocole d'accord, il n'y a pas, pour le moment, d'accord global sur les services financiers, puisque cela ne faisait pas partie de la négociation initiale. Nous en sommes à des discussions techniques sur ce que sera ce protocole et sur son évolution. Il s'agit encore de la structure de nos relations futures, et pas du contenu lui-même, qui fera l'objet d'un examen ultérieur.
Pour autant, avant la fin de la période de transition, la Commission européenne s'est penchée sur l'impact de la séparation sur notre système financier; pour l'heure, nous n'avons pas constaté de perturbation. Cela nous a permis de prendre le temps de travailler sur le protocole d'accord. Pour le moment, si nous pensons qu'un accord est possible, il y a deux options disponibles. Nous avons échangé avec nos collègues britanniques et ils ont échangé avec nous, il reste à modérer ces options en privilégiant ce qui pourra fonctionner pour l'Union européenne. Quand cela aura été fait, nous examinerons chaque point spécifique concernant les services financiers. Nous n'allons donc pas négocier un seul paquet, mais étudier, pour chaque domaine du système, l'impact des mesures en identifiant notre intérêt. Le chancelier britannique a décidé de changements réglementaires importants dans le système financier de son pays, dans l'objectif d'être une Grande-Bretagne « mondiale » (Global Britain).
S'agissant des équivalences, nous ne tolérerons toutefois pas de divergences, et, à mon sens, le Royaume-Uni comprend cela. Nous observons également de près les infrastructures sensibles sur lesquelles nous avons déjà accordé des équivalences limitées dans le temps et nous discutons de tout cela avec les parties prenantes.
La Grande-Bretagne reste une place financière importante, mais n'est plus la place financière globale qu'elle était. À nos yeux, il est important de travailler à la stabilité, à la résilience et à l'émergence d'opportunités. Il est vrai que, en raison du type de Brexit que le Royaume-Uni a choisi, certaines infrastructures ont été transférées à Amsterdam. Sur les équivalences, dans l'immédiat, comme sur tous les paquets du processus, nous étudions les différents sujets. Nous avons déjà obtenu quelques éléments de réponse de la part du Royaume-Uni, mais ce n'est pas encore suffisant. Nous travaillons donc à ce protocole d'accord, mais nous devons aussi travailler avec les États membres au sein du Conseil et il est très important pour moi d'en discuter avec vous. Nous n'allons pas recréer pour le Royaume-Uni le marché intérieur unique dont ils ont bénéficié jusqu'à maintenant pour les services financiers, il est donc très important que l'Union européenne s'assure que tout soit fait en préservant son intérêt.
M. Richard Yung. - Deux questions courtes : la première concerne la mise en place du filet de sécurité du MES, dont le déclenchement paraît extrêmement compliqué, laissant deviner des réticences, dans les faits, à son utilisation. Envisagez-vous d'en faire évoluer les conditions d'utilisation et de rendre celle-ci plus aisée ?
Le sujet, ensuite, de la garantie des dépôts nous occupe depuis de longues années. Deux questions : quel est le calendrier de passage des fonds de garantie nationaux au fonds européen ? De quel niveau sera ce dernier et comment seront calculées les règles de répartition entre les États ?
M. Éric Bocquet. - Vous avez évoqué les services financiers, absents de l'accord final entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. La City reste une place financière de premier plan, c'est vrai au niveau mondial comme au niveau européen. Il y a quelques mois, le gouvernement de Boris Johnson a fait part de sa volonté de créer sur le territoire britannique dix ports francs, à l'image de ceux qui se mettent en place en Suisse, au Luxembourg ou à Singapour. Quelle est votre appréciation quant au risque de voir émerger une espèce de « Singapore-on-Thames » aux portes de l'Union européenne ?
Deuxième question, un journal français, Le Monde, a publié une enquête très fouillée sur les pratiques fiscales du Luxembourg, OpenLux, dont vous avez sans doute entendu parler. Je n'ai pas vu de réactions de la part de la Commission européenne à ce sujet. Quelle analyse faites-vous de cette situation, qui concerne un État majeur de l'Union européenne, l'un de ses membres fondateurs ? Quelle est la réaction officielle de la Commission européenne sur ce sujet ?
Troisième point, enfin, je souhaite vous interroger sur l'existence, au sein du continent européen, d'États qui ne sont pas membres de l'Union européenne comme Jersey, Guernesey, l'île de Man dont les pratiques sont très particulières en matière de fiscalité, de création de sociétés, d'ouverture de compte en banque. Il est très facile de consulter sur un smartphone des sites qui proposent des créations de sociétés dans des délais très courts, avec un impôt à 0 %. Il s'agit clairement, pour employer le terme poli, d'optimisation fiscale, pour un coût très modique : 2 750 livres. Comment l'Union européenne appréhende-t-elle l'existence de ces territoires au sein de l'Europe ?
M. Victorin Lurel. - Mes questions concernent les initiatives privées en matière de paiement de détail utilisant la technologie de type « blockchain » et les cryptoactifs. La Commission européenne a-t-elle une position sur ces initiatives ? A-t-elle, notamment, des positions sur les « stablecoins » tels que Libra et d'autres services de paiement de ce type, notamment en matière de paiements transfrontières ?
Enfin, la BCE a-t-elle l'intention d'émettre une monnaie numérique de banque centrale ?
Mme Mairead McGuinness. - Beaucoup de réflexions et de travaux sont menés par la BCE sur les implications d'un euro numérique. Beaucoup de partenaires dans le monde se penchent sur ce sujet. Nous travaillons avec la BCE. Si nous allons dans cette direction - et c'est probable -, nous sommes éminemment conscients des implications et de la possibilité de conséquences imprévues. Pendant la crise de la covid, nous avons vu que le changement des systèmes financiers s'était grandement accéléré. On doit donc réfléchir à une monnaie numérique et à un cadre de régulation.
Nous avons une proposition sur les cryptoactifs avec le règlement MiCA. Même sans cadre réglementaire pour l'heure, les bitcoins et les investissements spéculatifs qu'ils représentent font partie de notre réalité. Il est possible que de grandes entreprises technologiques rejoignent le secteur financier et veuillent jouer selon leurs propres règles. Il est très important que nous suivions cela de près. L'Union européenne a été pionnière sur ces évolutions et il est important qu'il y ait une prise de conscience.
L'idée du Brexit était de se retirer de l'Union européenne pour ne plus avoir à suivre ses règles. Si j'écoute attentivement, l'idée de Global Britain est de s'en éloigner et de ne plus coopérer avec elle. Londres reste un centre financier proche géographiquement ; aussi, nous examinons tous les risques potentiels. Notre prudence sur les équivalences est due au fait que nous voulons savoir ce que les Britanniques ont derrière la tête. Le récent discours du ministre des finances britannique a pour but de donner un coup d'accélérateur à la place financière de Londres en révisant un certain nombre de règles.
Le monde n'est pas prêt pour inverser complètement la régulation financière, qui est essentielle. Nous avons vu les conséquences d'une régulation insuffisante pendant la crise. Notre cadre réglementaire nous a beaucoup aidés et soutenus pendant la pandémie que nous sommes encore en train de traverser.
Nous suivons de très près ce qui se passe au sein de l'Union européenne et au-delà. Le blanchiment et les pratiques sur lesquelles nous ne pouvons fermer les yeux sont une autre raison, encore, de disposer d'un cadre suffisamment robuste sur les systèmes financiers.
J'ai dit que je voulais mettre le consommateur, le client, le citoyen, au coeur de notre système financier. Une partie de notre travail est l'éducation à la finance, sur fond de développement exponentiel du numérique.
Nous avons des propositions, mais nous voulons pouvoir avancer sur le système européen de garantie des dépôts. Nous savons quel est l'état des lieux. Notre approche serait acceptable pour certaines parties prenantes, mais pas pour d'autres. Nous allons devoir prendre des décisions difficiles et entendre les inquiétudes. Nous devons avancer pour faire progresser tout le monde. C'est peut-être le point le plus délicat pour achever l'union bancaire, mais il est essentiel. Il y a eu un changement total d'atmosphère, peut-être dû à la covid et au soutien plus fort que jamais à l'économie. Je suis très vigilante quant aux difficultés qui peuvent se présenter. Nous avons besoin du soutien des parlements nationaux et du Sénat français pour progresser dans notre travail.
M. Jean-François Rapin, président. - Quelles sont les orientations de la Commission sur la surveillance des risques ? Nous sommes en situation de risque systémique assez sévère et il est important de disposer d'outils d'évaluation et de contrôle.
M. Claude Raynal, président. - Comment envisagez-vous la supervision sur le cadre européen de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme ? Il y a une prise en compte de ces sujets par la Commission européenne, mais aussi une certaine difficulté à obtenir un consensus des États membres sur l'autorité compétente en la matière. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Mme Mairead McGuinness. - La pandémie a eu un impact certain sur notre économie et nous devons être à l'affût des risques qui pourraient émerger. Bien que nous soyons fragilisés, il y a un très haut niveau d'épargne, notamment en France. Il y a toute cette demande retenue pour l'instant, qui devrait évoluer grâce à la vaccination. On pourrait assister à une relance comme dans les années 1920, une époque florissante.
Pour ce qui est de la sensibilité politique, beaucoup de PME avec des bons modèles ont été complètement détruites à cause de la covid. Nous devons faire attention à la façon dont nous gérons cela.
Des tests de résistance du système bancaire viennent d'être lancés et nous devrons nous pencher sur leurs résultats, en juillet. Nous devrons mener une analyse très pointue. S'il y a des risques systémiques dans certains secteurs économiques fragilisés par la pandémie, il nous faudra faire preuve de finesse, mais aussi faire attention à ne pas retirer notre soutien alors que nous ne sommes pas encore sortis de la situation - je pense par exemple aux aides d'État.
Nous sommes face à des temps difficiles. Nous savons que des entreprises ne survivront pas. Le taux de faillite a diminué dans l'Union européenne, peut-être grâce aux mécanismes de soutien, mais nous anticipons des problèmes liés à des prêts non performants au cours du deuxième semestre.
D'abord, les banques et les emprunteurs doivent se manifester maintenant. Certaines entreprises vont devoir se restructurer. Ensuite, on ne peut pas accepter un poids trop important des prêts non performants dans le bilan des banques. Avec la protection des emprunteurs à l'esprit, nous espérons le transfert de ces prêts non performants vers des marchés secondaires.
Nous allons nous assurer du soutien de la BCE. Nous savons qu'à un moment, tout cela va changer. Il va falloir regarder le niveau d'emprunt, voir où en sont nos entreprises, dans le cadre d'une relance plus durable et numérique. Les entreprises feront donc face à de nouveaux défis. Nous devons être en alerte, mais également actifs et même proactifs. Il ne faut pas attendre.
Sur la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, il y a de réelles insuffisances dans l'Union européenne et les États membres. Bien que nous ayons une législation en place, ces derniers ont continué à faire les choses différemment les uns des autres, ce qui gêne les banques qui travaillent de façon transfrontière. Les investigations financières ne sont pas coordonnées. Il faut plus de coopération dans la lutte contre le blanchiment. Nous pensons que cela doit faire l'objet d'un règlement pour que ce soit très clair pour les États membres. En dépit de différends passés, il me semble qu'un consensus émerge maintenant sur une infrastructure de surveillance à l'échelon européen. Dans la lutte contre le blanchiment, il nous faut aussi nous assurer que nous ne nous concentrons pas seulement sur le système financier.
À la fin de mon mandat en tant que commissaire, j'aimerais qu'on voie que l'on a agi contre toutes les personnes qui oeuvrent dans le blanchiment. Ce n'est pas seulement moralement condamnable, mais aussi très préjudiciable pour nos systèmes financiers. Le blanchiment d'argent est un processus destructif et dommageable et je pense que les États membres sont maintenant d'accord sur ce point.
M. Jean-François Rapin, président. - Merci de votre participation. La situation empêchant une prospective à moyen terme, nous vous solliciterons certainement dans les prochains mois pour un nouveau point.
Mme Mairead McGuinness. - Merci beaucoup.
La réunion est close à 12 h 35.