- Mercredi 20 janvier 2021
- Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et les Gouvernements des États membres de l'Union monétaire ouest-africaine - Examen du rapport et élaboration du texte de la commission
- Désignation de rapporteurs
- Enseignement supérieur en arts plastiques - Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes
- Jeudi 21 janvier 2021
Mercredi 20 janvier 2021
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 10 h 30.
Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et les Gouvernements des États membres de l'Union monétaire ouest-africaine - Examen du rapport et élaboration du texte de la commission
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons ce matin le rapport de notre collègue Jérôme Bascher sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et les Gouvernements des États membres de l'Union monétaire ouest-africaine.
M. Jérôme Bascher, rapporteur. - Notre commission se penche de nouveau sur le sujet, très symbolique et parfois très polémique, du franc CFA. Je rappelle en effet qu'à la fin du mois de septembre dernier nos collègues Victorin Lurel et Nathalie Goulet ont réalisé un travail remarquable sur la Zone franc, qui a remis en cause les préjugés et les images d'Épinal sur le sujet. Nous examinons aujourd'hui le projet de loi autorisant l'approbation du nouvel accord de coopération monétaire entre la France et l'Union monétaire ouest-africaine (UMOA).
Pour mémoire, le franc CFA est officiellement créé lors de la ratification par la France des accords de Bretton Woods, en 1945. La coopération monétaire entre la France et les quinze pays africains concernés a ensuite évolué au gré de trois accords signés dans les années 1970 : un premier avec les huit États membres de l'Union monétaire ouest-africaine, un deuxième avec les six États membres de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (Cemac), le dernier avec l'Union des Comores. Ces accords forment ce que l'on appelle la « Zone franc », même s'il s'agit bien de trois ensembles distincts disposant de leur propre monnaie.
Il est important de relever que la signature de ces accords montre qu'il s'agit d'un choix délibéré d'États souverains associés dans une union monétaire, et non de la « mainmise » de la France sur l'Afrique.
Pour ce qui concerne l'UMOA, l'accord de coopération date de décembre 1973, et ce n'est en définitive qu'en décembre 2019 que l'idée de réformer le franc CFA de l'Afrique de l'Ouest s'est brusquement concrétisée, à la suite des annonces du président Alassane Ouattara à Abidjan, en présence du président Emmanuel Macron.
Jusqu'à présent, cet accord de coopération monétaire s'était caractérisé par sa grande stabilité, aucune modification en quarante-six ans d'existence ! La parité entre le franc CFA et le franc n'a en effet pas été modifiée pendant des années, ce qui est remarquable quand on songe aux politiques monétaires des années 1970 et 1980. Il n'a ainsi été dévalué qu'à une seule reprise, en 1994. Par ailleurs, en plus de leur intégration monétaire, les États membres de l'UMOA font aussi partie d'une union économique, la Cédéao - Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest -, qui a un périmètre plus large, puisqu'elle se compose de quinze membres, dont des pays anglophones comme le Nigéria. Il ne faut pas confondre ces deux ensembles.
L'accord de coopération entre la France et l'Union monétaire ouest-africaine organise le fonctionnement du franc CFA de l'Afrique de l'Ouest. Cette monnaie a fait l'objet de critiques symboliques, mais aussi économiques. Il est vrai que l'UMOA associe des pays dont le poids économique est très inégal - la Côte d'Ivoire et le Sénégal faisant figure de locomotives - dans une union qui doit encore être consolidée : les échanges intracommunautaires y sont faibles et l'intégration financière y est limitée.
Cela étant, le franc CFA et son régime de change fixe présentent des avantages indéniables : une très grande stabilité monétaire, une bonne maîtrise de l'inflation et, donc, une forte attractivité pour les investisseurs internationaux.
Je vais maintenant vous présenter les grands principes de fonctionnement du franc CFA de l'Afrique de l'Ouest, ainsi que les évolutions prévues dans le nouvel accord de coopération monétaire.
Premier principe très important : la convertibilité illimitée en euros. La France apporte une garantie de convertibilité illimitée et inconditionnelle au franc CFA : elle s'est engagée à répondre à toute demande de conversion des banques centrales de la zone franc. Cette garantie prend formellement l'apparence d'un mécanisme de prêt et se traduit par un engagement budgétaire - et non monétaire, j'insiste sur ce point -, retracé dans le compte de concours financiers « Accords monétaires internationaux ». Dans le cadre du nouvel accord, ce principe fondamental est maintenu : il permettra de renforcer la crédibilité et la stabilité monétaires en Afrique de l'Ouest.
Deuxième principe tout aussi important : la parité fixe avec l'euro. Ce principe est également conservé dans le cadre du nouvel accord.
Troisième principe : la liberté des transactions courantes et des mouvements de capitaux à l'intérieur de l'UMOA. Ce principe n'est pas non plus modifié.
Quatrième principe, le plus contesté par les détracteurs du franc CFA, la centralisation des réserves de change : la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) devait obligatoirement déposer au moins 50 % de ses réserves en devises - ce pourcentage a varié selon les périodes - sur un compte d'opérations ouvert auprès du Trésor français. Ces dépôts demeuraient librement accessibles, tout en étant sécurisés et rémunérés. La rémunération était fixée depuis quelques années au taux plancher de 0,75 %, soit un taux très favorable dans le contexte actuel de faiblesse durable des taux. L'obligation de centralisation prenant fin dans le nouvel accord de coopération monétaire, la France n'aura plus à verser cette rémunération et la BCEAO pourra déposer ses réserves sur d'autres comptes. Pour continuer à évaluer le risque encouru au titre de sa garantie, la BCEAO s'est engagée à envoyer un reporting au Trésor français. Concrètement, celle-ci devra transmettre à intervalles réguliers des informations techniques détaillées à la France.
Cinquième principe, la présence de représentants français dans les instances techniques de la BCEAO, que ce soit au conseil d'administration ou au conseil de politique monétaire, et de l'UMOA, au sein de la commission bancaire. Là encore, ce principe était très contesté, la France étant accusée d'ingérence dans les affaires intérieures de l'UMOA, alors même, je le rappelle, qu'elle ne siégeait pas dans ses instances politiques. Ce principe disparaît dans le nouvel accord. Toutefois, des mécanismes d'urgence sont prévus. Ainsi, aux termes de l'article 8, la France pourra, en cas de crise monétaire, nommer un représentant qui aura voix délibérative au conseil de politique monétaire de l'UMOA, et qui participera donc à la mise en oeuvre des décisions prises pour prévenir ou remédier à la crise. Je précise que le niveau de déclenchement de cette procédure a été volontairement fixé à un seuil de gravité exceptionnelle, soit un taux de couverture de la monnaie inférieur à 20 %. Pour information, ce taux de couverture s'élevait à près de 80 % à la fin du premier trimestre 2020.
Enfin, si cela ne fait pas l'objet d'une disposition « en dur », le préambule de l'accord de coopération monétaire prévoit le changement de nom du franc CFA de l'Afrique de l'Ouest en « eco ».
S'agissant des autres dispositions du projet de loi, l'article 1er définit les parties à l'accord et les acronymes, tandis que l'article 7 précise les privilèges et immunités octroyés à la BCEAO pour ses établissements et ses opérations sur le territoire français. Les dispositions finales, c'est-à-dire les modalités de la transition entre les deux accords, sont prévues aux articles 9 et 10.
L'article 3 de l'accord dispose, quant à lui, que tout changement de la nature ou de la portée de la garantie nécessite une décision à l'unanimité des États parties à l'accord et doit se faire dans le respect des obligations européennes de la France.
Mes chers collègues, avec cet accord, nous allons mettre fin à un véritable « serpent de mer monétaire » africain, ce qui n'est pas rien !
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - La présentation du rapporteur n'appelle pas d'observation particulière de ma part : je souscris à cette opération de modernisation de notre accord de coopération monétaire avec l'UMOA.
M. Pascal Savoldelli. - Ce récit historique et politique est brillant, mais il pose quelques problèmes. Premièrement, vous affirmez que ces changements répondent à une demande des États membres de l'UMOA. Mais les parlements des pays d'Afrique de l'Ouest se sont-ils prononcés, comme tel a été le cas en Europe pour notre propre monnaie commune ?
Deuxièmement, cette réforme est censée, à terme, améliorer les échanges entre les pays membres. Je ne demande qu'à être convaincu ! Certes, la zone monétaire s'élargit en vue d'une monnaie commune, ou monnaie unique - ne jouons pas sur les mots. Mais, à ce jour, seuls 16 % des échanges se font entre les pays membres contre 60 % entre cette zone et l'Union européenne. Bien sûr, il faut échanger avec la zone euro ; mais la France doit aussi favoriser les échanges entre pays d'Afrique de l'Ouest.
Troisièmement, les PME africaines, notamment minières et agricoles, n'auraient pas accès au financement bancaire. On ne peut pas à la fois défendre les entreprises en France et se moquer des patrons dès lors qu'il s'agit de l'Afrique de l'Ouest.
Enfin, ce traité n'est pas technique, mais éminemment politique et diplomatique. Or l'arrimage sur l'euro empêche ces pays de réduire leurs dettes par l'inflation.
M. Philippe Dallier. - Je comprends tout à fait que, soixante ans ou presque après la décolonisation, ces États aient envie de reprendre la main en changeant le nom de leur monnaie : le franc CFA commence à dater.
Cela étant, je m'interroge sur les garanties que nous apportons. Vous dîtes que « cet accord n'entraînerait pas de risque nouveau pour la France, dont le rôle sera limité à celui d'un garant financier » : il y a là comme un oxymore ! Certes, le changement de nom de la monnaie n'emporte pas de conséquence. En revanche, plus personne ne nous représentera dans les instances compétentes et, en cas de crise, nous serons appelés pour éteindre l'incendie. Quels dispositifs sont prévus ?
En parallèle, la convertibilité en euros serait garantie via un prêt : peut-on nous détailler ce mécanisme ?
En cas de crise, comment sera contrôlée l'émission de monnaie dans ces pays ? Que d'un côté ces États veuillent mettre fin à une période postcoloniale, je peux le comprendre ; que nos entreprises aient des intérêts à préserver, je le comprends aussi ; mais jusqu'où ?
M. Claude Nougein. - Merci au rapporteur pour la clarté de son rapport. L'UMOA apparaît comme un « décalque » de l'Union monétaire européenne, chacun pouvant s'inspirer des réussites de l'autre. Je pense notamment à l'harmonisation fiscale et sociale : en la matière, l'Afrique de l'Ouest est-elle en avance sur l'Europe ?
M. Emmanuel Capus. - En vertu de l'article 4, nous perdons notre représentation au conseil d'administration de la BCEAO. La personnalité indépendante et qualifiée qui les remplacera doit être nommée « en concertation avec la France » : le terme est vague. Que signifie-t-il juridiquement ? S'agit-il d'un avis conforme ou d'un simple avis consultatif ?
M. Victorin Lurel. - Il faut réformer et peut-être, à terme, étendre la zone de l'UMOA, qui comprend à ce jour huit pays. On nous soumet aujourd'hui pour autorisation d'approbation l'accord signé en décembre 2019, qui n'a de monétaire que le nom : c'est un texte qui se traduit par un engagement budgétaire pour la France et qui appelle des applications techniques, notamment des conventions avec la BCEAO. Il y a aussi des conventions commerciales entre la Banque de France et la BCEAO, par exemple pour l'impression des billets.
M. Savoldelli a évoqué l'inclusion bancaire et la très faible bancarisation de l'économie dans ces territoires. La Côte d'Ivoire est le pays le plus bancarisé de cette zone. Or seuls 15 % de ses habitants détiennent un compte bancaire. Le développement d'une monnaie scripturale, en lieu et place d'une monnaie fiduciaire, est aussi un enjeu pour l'imprimerie de la Banque de France à Chamalières.
Aujourd'hui, la zone monétaire UMOA doit également travailler à l'intégration monétaire. J'ajoute que croissance ne rime pas nécessairement avec développement. En outre, si l'évolution amorcée est bonne, on s'arrête au milieu du gué. On ne peut pas se contenter de remplacer un nom et de mettre un terme à la centralisation des réserves, tout en conservant la parité et la convertibilité. Il faut donner des gages aux autres États, je pense à ceux de la Cédéao, qui, dès 1983, ont engagé une réflexion en la matière et qui auraient besoin d'une assistance technique, diplomatique et politique. Ainsi, le Nigéria et le Ghana déplorent une certaine précipitation ; ces pays estiment que leurs initiatives politiques ont été usurpées par les États membres de l'UMOA et les annonces des Présidents Ouattara et Macron.
Le régime de change fixe inspire lui aussi des critiques. Il présente certes des avantages, notamment pour lutter contre l'inflation, et la zone n'a connu qu'une seule dévaluation, en 1994. Mais une monnaie forte adossée à une autre monnaie forte, à savoir l'euro, est-il un instrument en faveur du développement économique ? Rien n'est moins sûr. De nombreux experts, dont Dominique Strauss-Kahn, prônent plutôt un passage à un régime de change flottant ou à un adossement à un panier de monnaies.
Enfin, il me semble que la France devrait davantage discuter avec l'Union européenne et la BCE sur ces sujets de coopération monétaire.
Pour l'ensemble de ces raisons, les membres du groupe socialiste et républicain ont besoin d'un peu plus de temps pour examiner ce dossier. Pour l'heure, nous réservons notre position.
M. Michel Canevet. - Pourquoi nous faut-il tant de temps pour ratifier un accord conclu en 2019 ? La convention de garantie prévue à l'article 2 a-t-elle été signée ?
M. Christian Bilhac. - Dans ce domaine, il faut faire preuve de pragmatisme. Voilà quarante-six ans que la France apporte sa garantie à cette monnaie. Nous en connaissons les risques et nous allons continuer à les assumer.
On supprime le dépôt des réserves de change : c'est bien la seule nouveauté. Comment notre coopération avec l'UMOA va-t-elle se poursuivre ? Je ne suis pas nostalgique de la Françafrique, tant s'en faut, mais il faut se prononcer : veut-on, oui ou non, abandonner toute l'Afrique à la Chine ?
M. Jérôme Bascher, rapporteur. - En réponse à Pascal Savoldelli, les parlements, français comme ouest-africains, n'ont pour l'instant guère été associés, en effet, à cet accord, un peu précipité, qui revêt une dimension essentiellement politique et diplomatique. L'accord a été signé en décembre 2019, mais la covid a retardé la procédure de ratification. Nous sommes saisis tardivement et la plupart des mesures sont déjà en vigueur, par voie d'avenant. Quant à la transmission de l'accord au Conseil de l'Union européenne, le texte est déjà passé par le Comité des représentants permanents (Coreper), sans soulever de difficulté particulière. Mais souvenons-nous des traités de Maastricht ou d'Amsterdam, les parlements nationaux ont aussi été saisis à la fin des négociations, ce qui est compréhensible, car celles-ci sont complexes et sont généralement menées au niveau des chefs d'État et de Gouvernement. En tout cas, le Parlement souverain doit se prononcer et peut accepter, ou refuser l'approbation de l'accord, c'est l'essentiel.
Le nouvel accord entre la France et l'UMOA ne vise que les paramètres de notre coopération monétaire, pas directement l'intégration financière et bancaire même si je conçois que d'importants efforts restent à mener dans ce domaine : si en Europe, on réclame l'achèvement de l'Union bancaire, celle-ci reste encore à construire en Afrique. Le taux de bancarisation n'est que de 16 % dans le pays le plus avancé en la matière, la Côte d'Ivoire, d'où l'absence d'un système de prêts efficaces, ce qui en retour nuit à la croissance et au développement. Tout l'enjeu pour les pays de l'UMOA est de passer d'une économie d'exportation à une économie de transformation à plus forte valeur ajoutée, propice à la croissance économique et à l'intégration sociale. La diversification économique demeure très limitée. L'intégration douanière n'est pas non plus achevée, y compris dans la Cédéao : les relations avec le Ghana ou le Nigéria l'illustrent.
Sur le choix d'un régime de change fixe, je rappelle que la plupart des pays d'Afrique ont arrimé leur monnaie à une autre devise : certains ont des accords avec le Portugal, d'autres ont leur monnaie indexée sur le dollar, etc. On peut imaginer que si l'ancrage monétaire du franc CFA de l'Afrique de l'Ouest n'était pas porté exclusivement par la France, dans cet accord de coopération monétaire, il pourrait l'être par la zone euro. Au niveau européen, il faudrait sans doute en faire plus. Toutefois, selon la décision du Conseil de l'Union européenne du 23 novembre 1998, les accords de coopération monétaire signés par la France en Afrique n'entraînent aucune obligation pour la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales. Il s'agit donc bien d'accords strictement limités à la France, l'UMOA, la Cemac et les Comores. Le Portugal pourrait par ailleurs mettre à l'ordre du jour de sa présidence tournante de l'Union européenne le sujet des accords de coopération économique avec l'Afrique.
À ceux qui s'inquiètent des risques encourus par la France, je souligne qu'aucun appel en garantie n'a été sollicité ces dernières décennies. Il s'agit d'un filet de sécurité. L'accord prévoit par ailleurs des mécanismes de suivi et d'urgence. Le risque est assez limité, d'autant que les sommes en jeu sont limitées. Le mécanisme est le suivant : la France fait un prêt et lorsque les réserves de la BCEAO sont revenues à un niveau satisfaisant, le prêt est remboursé.
En réponse à la question de savoir si la dette ne pourrait pas être effacée par l'inflation, je constate que l'on a plutôt eu tendance, jusque-là, à procéder à des annulations de dettes. L'inflation dans un pays en développement, dont le tissu économique n'est pas encore robuste, risque d'être source d'instabilité, d'augmenter la pauvreté et de décourager les investisseurs étrangers. Il en va sans doute différemment dans les pays développés, où l'inflation entraîne, mécaniquement, une baisse de la dette, au prix certes de conséquences négatives pour les plus pauvres, car l'inflation est avant tout, en vérité, une taxe sur les plus précaires. Dans l'UMOA, l'inflation s'établit à 2 % environ, contre plus de 11 % dans le reste de l'Afrique de l'Ouest.
Pour Emmanuel Capus, la nomination d'une personne qualifiée et compétente au conseil de l'administration de la BCEAO se fera sur le principe du consensus.
Il faut aussi garder en tête que la situation de l'Afrique centrale est très différente : les pays sont plus pauvres ; il n'y a pas de projet de réforme à court-terme ; il n'y a pas de leadership politique aussi affirmé qu'en Afrique de l'Ouest- sans le président Ouattara, il est possible que cet accord n'eût pas vu le jour, ou plus tard. Il semble également improbable que l'UMOA et la Cemac puissent se rejoindre à court et moyen terme.
Le projet de loi est adopté.
Désignation de rapporteurs
La commission désigne M. Bernard Delcros rapporteur du projet de loi n° 3236 (A.N. XVe lég.) ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de l'article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.
La commission désigne M. Albéric de Montgolfier rapporteur de la proposition de loi n° 2581 (A.N. XVe lég.) relative à la réforme du courtage de l'assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement.
La réunion est close à 11 h 30.
Enseignement supérieur en arts plastiques - Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes
M. Claude Raynal, président. - Nous allons procéder à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, réalisée à la demande de la commission des finances en application de l'article 58, paragraphe 2, de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), sur l'enseignement supérieur en arts plastiques.
L'enseignement supérieur en arts plastiques constitue le principal champ de formation en matière artistique. La définition de cet enseignement a évolué ces dernières années, au point qu'il n'est plus seulement dispensé dans les établissements nationaux et territoriaux placés sous la tutelle du ministère de la culture. Il apparaît aujourd'hui important de faire un point sur cette nouvelle cartographie de l'enseignement supérieur en arts plastiques et d'évaluer les moyens mis en oeuvre pour le rendre attractif et le corréler à de réels débouchés professionnels. Ce dernier point est particulièrement sensible dans le contexte actuel. Cette enquête de la Cour est donc la bienvenue.
Je salue la présence de M. Louis Gautier, président de la troisième chambre de la Cour des comptes, qui nous présentera les principales conclusions de cette enquête. Il est accompagné du président Antoine Durrleman, rapporteur, et de Jacques Tournier, conseiller-maître.
Je souhaite également la bienvenue à MM. Jean de Loisy, directeur de l'École nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA), Laurent Scordino-Mazanec, directeur de l'École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d'arts (Ensaama), et Damien Valero, président de l'association des anciens élèves de l'École nationale supérieure des arts décoratifs (Ensad-Alumni Paris). Ils pourront nous apporter les éclairages nécessaires et faire part de leurs réactions sur le travail réalisé par la Cour.
Après la présentation de l'enquête par la Cour des comptes, nos collègues Vincent Éblé et Didier Rambaud, nous livreront leur analyse en tant que rapporteurs spéciaux de la mission « Culture », et nos invités pourront ensuite réagir aux conclusions de l'enquête et à ces observations. À l'issue de nos débats, je demanderai aux membres de la commission des finances leur accord pour publier l'enquête remise par la Cour des comptes.
Sans plus attendre, je laisse la parole M. Louis Gautier, pour qu'il nous présente les principales conclusions de l'enquête réalisée par la Cour des comptes.
M. Louis Gautier, président de la troisième chambre de la Cour des comptes. - Cette enquête de la Cour des comptes sur l'enseignement supérieur en arts plastiques a été demandée par la commission des finances du Sénat et lancée en décembre 2018. Nous avons d'ailleurs pris un peu de temps pour la cibler précisément, car le domaine était initialement très vaste.
Le travail d'instruction a été très étendu. Nous nous sommes d'abord appuyés sur trois contrôles organiques réalisés antérieurement par la Cour sur l'ENSBA, l'École nationale supérieure de la création industrielle (ENSCI) et l'École nationale supérieure d'art de Limoges (ENSA), ainsi que sur cinq contrôles réalisés par les chambres régionales et territoriales des comptes. Au-delà, nous avons procédé à une enquête auprès d'une soixantaine d'établissements, écoles ou unités de formation et de recherche universitaires (UFR). Les échanges ont été très nourris ; ainsi, l'équipe des rapporteurs a rencontré environ quatre-vingt responsables et experts.
De cette enquête, il ressort que nous avons à faire à un système de formation « en archipel » qui est à la fois l'héritier et, parfois, l'otage du passé. Ainsi, certaines écoles ou académies des beaux-arts sont très anciennes - je pense notamment à Toulouse, Nantes ou Rennes. De manière générale, les collectivités locales sont très attachées aux écoles et établissements sis sur leur territoire.
Il est évidemment nécessaire de prendre en compte cette tradition, mais il faut aussi constater que le système est très éclaté. Il existe ainsi trois tutelles ministérielles : le ministère de la culture, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, et le ministère de l'éducation nationale. Il existe ensuite quatre réseaux : dix écoles nationales, trente-quatre établissements proches des collectivités locales, environ quatre-vingt écoles d'arts appliqués qui relèvent du ministère de l'éducation nationale et une quinzaine d'UFR qui sont consacrés à l'enseignement supérieur des arts plastiques. On le voit, ce sont des acteurs très divers, nombreux et répartis sur le territoire.
Notre enquête s'est centrée sur les établissements relevant de l'enseignement supérieur, c'est-à-dire les dix écoles nationales, les trente-quatre écoles territoriales et la quinzaine d'UFR, ce qui représente au total 19 500 étudiants, soit 1 % des effectifs de l'enseignement supérieur en France.
Ce secteur est très dispersé et toutes les logiques qui auraient pu jouer en faveur d'une coordination ou d'une coopération, et qui auraient permis de surmonter les divisions par réseau ou tutelle, ont peu fonctionné et ont même parfois créé de la confusion. La distinction traditionnelle, remontant à l'époque de Malraux, entre, d'un côté, l'enseignement universitaire attaché à la formation et à la connaissance des arts et, de l'autre, les écoles du réseau culturel qui enseignent la pratique artistique n'a plus de sens aujourd'hui.
Le processus de Bologne a été étendu à l'ensemble du réseau afin de faire converger les diplômes vers le système licence-master-doctorat (LMD) et d'accorder une certaine autonomie à ces établissements. Ce processus d'autonomisation donne parfois des moyens plus importants de pilotage, mais les établissements peuvent aussi être plus soucieux de leur personnalité et moins intéressés par des coopérations.
On aurait aussi pu penser que la mise en place des pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) ou des communautés d'universités et d'établissements (Comue) permettrait de faire converger le système vers des ensembles plus importants, avec une mutualisation des enseignements pour qu'ils puissent s'enrichir les uns les autres. Prenons l'exemple de l'université Paris, sciences et lettres (PSL) : le ministère de la culture n'a pas été en mesure de traiter de la même manière le Conservatoire national supérieur d'art dramatique (CNSAD), qui est membre de PSL, et d'autres écoles - celles des arts décoratifs ou des beaux-arts - qui ne sont que des partenaires. Les choix qui ont été faits n'apportent pas beaucoup de lisibilité sur la politique menée par les tutelles, notamment en termes de passerelles ou de taille critique.
Autre élément, les distinctions par discipline ne font plus vraiment sens aujourd'hui. Beaucoup de ces écoles ont été pensées avec une orientation très forte vers une spécialité particulière, alors que tout se mêle de nos jours : quand on étudie aux beaux-arts, on ne se désintéresse évidemment pas de la vidéo, de la photographie, du design, etc.
Notre premier constat est que les différentes évolutions du système de l'enseignement artistique n'ont pas créé davantage de convergences, contrairement à ce que l'on aurait peut-être pu penser de prime abord. Les particularismes, les traditions, les spécialités l'ont emporté, au risque de maintenir les cloisonnements entre les écoles relevant du ministère de la culture, celles dont le principal financeur et donneur d'ordre est une collectivité locale, et le milieu universitaire. Je prendrai un exemple : moins de 2 % des élèves ayant été scolarisés dans des lycées ou établissements du secondaire formant aux métiers d'art ont eu finalement accès à l'enseignement supérieur.
D'ailleurs, de manière générale, les formations préalables qui préparent aux concours d'entrée des écoles renforcent parfois les particularismes et la Cour constate une absence de diversité sociale et culturelle dans certains de ces établissements - j'y reviendrai.
Outre l'absence de rationalisation de l'offre au niveau national, la Cour a constaté une série de problèmes.
Il s'agit d'abord d'une question de soutenabilité : certains établissements sont d'une taille sous-critique. L'exemple de Perpignan est marquant : on ne peut nier l'intérêt territorial de son école d'art, mais il faut aussi constater que son avenir est remis en question à chaque changement de majorité...
Ensuite, le rapport entre le budget et les effectifs ne révèle pas une gestion optimale. Les financements de ces écoles et établissements sont étales : le ministère de la culture dépense environ 62 millions d'euros par an, dont 25 millions pour la rémunération des enseignants ; le budget de l'ensemble des écoles d'art territoriales atteint environ 110 millions d'euros.
Ainsi, nombre d'écoles ont un passé prestigieux et occupent une place centrale, mais leur situation est fragile. En outre, certains réseaux d'écoles se concurrencent. La concurrence vient aussi de l'étranger - je pense notamment à l'école d'art de La Cambre à Bruxelles - et d'établissements privés.
On peut relever le coût élevé de certaines formations : dans une école nationale, un élève coûte en moyenne 22 000 euros contre 10 500 en moyenne pour un étudiant à l'université, 14 000 dans une école d'art ou encore autour de 18 000 euros dans une école d'ingénieur, où les dépenses d'investissement sont également importantes.
L'un des enjeux que le système d'enseignement supérieur en arts plastiques a du mal à relever, c'est la diversité sociale. Ainsi, les classes préparatoires sont souvent coûteuses pour les étudiants - je pense notamment à Prep'Art ou aux écoles du groupe Galiléo, où l'étudiant doit payer entre 6 000 et 10 000 euros. Mais certaines expériences positives doivent aussi être relevées, par exemple la classe préparatoire Via Ferrata de l'École nationale supérieure des beaux-arts, qui compte 80 % d'élèves boursiers. Enfin, de nombreuses écoles d'art réfléchissent à revoir leurs conditions d'accès.
La lisibilité de l'ensemble du système d'enseignement supérieur en arts plastiques reste imparfaite. Ainsi, seules sept écoles sur quarante-quatre sont insérées dans Parcoursup. Les diplômes et l'accès au troisième cycle restent également peu lisibles. Surtout, l'insertion professionnelle est très inégale.
L'activité internationale des écoles peut paraître déficiente au regard d'établissements étrangers comparables, qu'ils soient allemands, italiens, anglais ou américains. Or, sur ce sujet comme sur d'autres, nous savons bien que l'union fait la force.
En conclusion, notre enquête met en avant la nécessité d'une profonde mutation pour surmonter les clivages. La nécessité de mieux faire partager une certaine vision entre tous les établissements suppose l'élaboration d'une stratégie nationale de l'enseignement supérieur en arts plastiques avec l'ensemble des acteurs. Aujourd'hui, presque aucun acteur n'a une vision d'ensemble de notre système. C'est pourquoi nous avons besoin d'une cartographie des formations, d'un fonctionnement en réseau et d'un pilotage plus affirmé.
La Cour a ainsi émis une série de recommandations sur la gouvernance, le fonctionnement et l'organisation du réseau ou encore la mutualisation des concours d'entrée. Nous évoquons aussi la problématique des boursiers, en proposant l'introduction, dans les contrats d'objectifs et de moyens (COM) de ces écoles, d'un indicateur dédié. Nous recommandons de finaliser le système LMD, en particulier pour la mise en place d'un troisième cycle doctoral. Il nous semble aussi que des critères liés à l'insertion professionnelle et au référencement artistique devraient être intégrés dans les missions des écoles. Enfin, il faut qu'elles développent une stratégie de rayonnement et d'attractivité internationale.
M. Vincent Éblé, rapporteur spécial - Lorsqu'en décembre 2018 j'avais demandé l'ouverture d'une enquête sur l'enseignement supérieur artistique, finalement limitée à l'enseignement supérieur en arts plastiques, nous avions cerné, avec la Cour des comptes, plusieurs axes de réflexion : l'insertion professionnelle des étudiants ; la diversité sociale et l'accès aux enseignements supérieurs culturels ; la politique immobilière de ces établissements ; les partenariats avec les autres écoles ; leur rayonnement international et leur intégration dans le processus de Bologne, via la réforme LMD. Le rapport rend fidèlement compte de ces orientations, et j'en remercie ses auteurs.
Derrière ces axes, nous souhaitions savoir si l'enseignement supérieur artistique français était à la hauteur de la réputation de ses grandes écoles. Vous nous confirmerez sans doute, monsieur de Loisy, que l'école nationale supérieure des Beaux-Arts dispose encore et toujours d'une certaine renommée à l'international, en raison tant de son passé que de sa situation au coeur du quartier latin. Je m'interroge cependant, à la lecture du rapport de la Cour des comptes, sur l'adéquation entre cette image et la réalité, dans un univers fortement évolutif et de plus en plus concurrentiel.
De fait, l'enseignement supérieur en arts plastiques français est-il à la hauteur de la réputation de notre pays en matière culturelle ? La réponse est nécessairement nuancée, mais il apparaît que l'exception culturelle que notre pays s'attache à défendre et à incarner peine à s'appuyer sur une architecture cohérente. La multiplicité des acteurs dans le domaine de l'enseignement des arts plastiques fragilise la cohérence des formations dispensées. Elle rend illusoires les objectifs d'insertion professionnelle affichés et affecte l'attractivité de l'enseignement à l'international, qui se retrouve concurrencé par des établissements belges, hollandais ou britanniques.
La concurrence est aussi nationale. C'est à ce titre que nous avons souhaité, avec Didier Rambaud, inviter M. Laurent Scordino-Mazanec, directeur de l'Ensaama, établissement placé, comme les autres écoles d'arts appliquées - quatre-vingt au total -, sous la tutelle du ministère de l'éducation nationale. Si cette école n'est pas concernée par l'enquête de la Cour des comptes, son enseignement peut sembler concurrencer celui des écoles supérieures en arts plastiques.
La Cour insiste d'ailleurs avec raison sur la question des arts visuels, ces derniers fragilisant la distinction traditionnelle entre arts plastiques et arts appliqués. Les arts visuels intègrent les beaux-arts, les arts décoratifs, les métiers d'art, les arts appliqués à l'industrie, le design, le cinéma et la photographie, les jeux vidéo, les images animées et les supports numériques.
Il s'agit via cette enquête, non pas de nous interroger sur la pédagogie ou l'évolution des enseignements en tant que tels, mais plutôt de réfléchir à leurs incidences sur le fonctionnement des écoles, ainsi que sur la tutelle actuellement mise en oeuvre. Le rapprochement entre écoles supérieures d'arts plastiques et écoles d'arts appliqués peut apparaître indispensable en vue d'un renforcement de leur attractivité. Il induit une nouvelle gestion administrative et budgétaire et, concomitamment, une nouvelle tutelle. Cet objectif de rationalisation nous semble indispensable en vue de rendre plus efficiente la dépense publique.
Je parle des écoles supérieures d'arts appliqués, mais je pourrais également cibler les universités : quinze d'entre elles, soit le double du nombre des écoles supérieures en arts plastiques, proposent aujourd'hui des formations dont les contenus sont de plus en plus similaires à ceux dispensés dans les établissements nationaux supérieurs. Là encore, la question du pilotage national est posée. Il ne s'agit pas de dénier aux universités le droit de proposer ce type de formation. Nous nous interrogeons simplement sur les opportunités professionnelles qu'elles peuvent offrir, alors même que l'insertion sur le marché du travail pose aujourd'hui de véritables difficultés pour les diplômés.
La question de la rationalisation de l'enseignement supérieur en arts plastiques passe également par une réflexion sur la politique immobilière des grands établissements. L'évolution des enseignements et leur ouverture à de nouveaux publics supposent souvent une adaptation de leurs locaux. Nous nous interrogeons à la fois sur les financements publics apportés et sur la logique qui préside à ces travaux.
Le cas de l'école nationale supérieure de création industrielle est assez parlant : aucun rapprochement géographique avec le pôle scientifique et technologique de Paris-Saclay n'a en effet été envisagé, alors que des travaux d'ampleur sont prévus. Là encore, la question du pilotage est posée. Il nous semble que toute dépense d'investissement dans ces établissements doit s'intégrer dans une logique territoriale et participer d'une meilleure complémentarité entre les enseignements. Tel semble être le cas des travaux prévus pour l'École nationale supérieure d'arts de Paris-Cergy, appelée à être relocalisée au sein du campus international Paris-Seine. Le ministère de la culture financerait ainsi douze des trente-deux millions d'euros déployés pour la réalisation de ces travaux.
Le plan de relance prévoit un renforcement de l'accompagnement financier des établissements dans leurs projets immobiliers ; M. de Loisy nous indiquera certainement s'il est concerné par cette aide complémentaire. Je sais que le mécénat - 725 600 euros en 2018, mais 1,2 million d'euros en 2016 - lui a permis jusqu'ici de financer un certain nombre de travaux, au risque de bloquer la tenue de certains enseignements. Or l'accès au mécénat, dans un contexte économique délicat qui vient renforcer les incertitudes liées à la révision du régime fiscal dans la loi de finances pour 2020, va sans doute être plus difficile...
M. Didier Rambaud, rapporteur spécial. - À la lecture de ce rapport, on peut être frappé par la multiplicité des acteurs en matière d'enseignement supérieur en arts plastiques : il y a dix écoles nationales supérieures d'art plastiques, trente-quatre écoles territoriales et quinze universités pour le seul secteur public, auxquelles viennent s'ajouter entre 15 000 à 20 000 étudiants disséminés au sein des écoles privées, sans parler des quatre-vingt écoles d'arts appliqués, qui dépendent du ministère de l'éducation nationale. Je me demande, finalement, si abondance de biens ne finit pas par nuire.
La question des écoles territoriales doit être posée : la Cour relève un maillage géographique resserré mais une grande disparité entre écoles sur un même territoire. Ainsi, l'École supérieure d'art Pays Basque (ESAPB) accueille cinquante-quatre étudiants, et peine à rivaliser avec ses voisines toulousaine - trois cent dix-huit étudiants -, ou bordelaise - deux cent dix-huit étudiants. Le soutien de l'État à ces établissements, même s'il est modeste - 9 % du financement desdites écoles, soit 13,6 millions d'euros - mériterait sans doute d'être repensé, en vue d'être un appui à une révision du maillage en faveur d'une plus grande complémentarité.
Cette rationalisation, combinée à une réflexion sur le rôle et la place des écoles nationales supérieures, pourrait conduire à répondre à deux défis mis en évidence par le rapport de la Cour des comptes.
Le premier concerne la lisibilité des parcours de formation. Il convient de ne pas oublier que cette dernière est rendue pour partie aléatoire par un degré inégal d'implication dans le processus de Bologne. M. de Loisy nous indiquera sans doute quelle est la stratégie de l'ENSBA s'agissant du développement d'un doctorat. La Cour des comptes indique en effet que cet établissement, comme l'ENSCI, semble être en retrait face au développement de la filière doctorale. Je relève également que les diplômes supérieurs de recherche en art (DSRA) décernés par certains établissements, dont l'École nationale supérieure d'art de Bourges, ne s'intègrent pas dans le processus LMD.
Le deuxième défi a trait à l'ouverture à l'international. La réputation de certains de nos fleurons peine à se traduire par une ouverture aux étudiants étrangers : ainsi, l'Europe centrale et orientale est faiblement représentée dans nos établissements. Quelque 373 étudiants étrangers sont répartis au sein des dix écoles nationales. On y constate, comme dans les écoles territoriales, une surreprésentation des étudiants asiatiques, sud-coréens et chinois principalement.
La rationalisation nécessaire du paysage des écoles d'arts plastiques implique une réflexion sur la spécialisation et l'adéquation de celles-ci au marché du travail. Il ne s'agit pas là d'instaurer une opposition entre création et activité professionnelle, tant la première vient nourrir la seconde. Sur ce sujet, comme sur les autres d'ailleurs, il sera intéressant d'entendre Damien Valero.
Nous avons relevé lors de l'examen des crédits de la mission « Culture », dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021, que le taux d'insertion professionnelle des jeunes diplômés en arts plastiques demeurait très faible. En 2018, le taux d'insertion dans les trois ans suivant l'obtention du diplôme s'établissait à 58 %, loin de la moyenne observée pour l'ensemble des établissements supérieurs d'enseignement culturel, soit 80 %. Je serais par ailleurs tenté de partager les observations de la Cour des comptes concernant la validité de ces chiffres, tant l'insertion professionnelle ne peut avoir qu'un lien ténu avec le diplôme. Le Gouvernement a fixé, de manière volontariste, un objectif de 66 % en 2021 pour les diplômés en arts plastiques. Cette ambition pourra-t-elle être tenue dans le contexte économique que l'on connaît ? Quels leviers actionner pour y parvenir ? Le suivi des étudiants par le ministère de la culture apparaît aujourd'hui insuffisant, à la différence de ce qui se pratique au sein des établissements privés ou des universités.
La question de l'insertion pose implicitement celle du sacrifice financier que peut représenter l'intégration dans ces écoles. On peut noter la relative modicité des droits de scolarité dans les écoles nationales et territoriales, soit respectivement 432 euros et 520 euros. Reste que ces montants n'illustrent qu'imparfaitement le coût lié à la préparation aux concours, la Cour relevant que 11 700 étudiants sont inscrits chaque année en classes préparatoires privées, dont les frais de scolarité s'élèvent pour les meilleures à 6 200 euros. Seulement 245 élèves suivent une préparation au sein de classes situées dans des établissements publics.
Il n'est pas étonnant de constater que le taux d'élèves boursiers soit très faible dans les établissements les plus prisés - à l'image de l'ENSBA -, même si une initiative comme celle de la Via Ferrata, menée par cette même école, doit être soulignée. Il n'en reste pas moins que, comme le constate la Cour des comptes, la diversité sociale semble assez limitée au sein de ces établissements, et la nouvelle voie que représente Parcoursup insuffisamment utilisée - cela concerne huit établissements sur quarante-quatre.
Il n'est pas étonnant non plus de constater, dans ces conditions, que le taux de sélection pour les écoles nationales supérieures soit plus relevé que celui de l'École nationale d'administration (ENA).
M. Jean de Loisy, directeur de l'École nationale supérieure des beaux-arts. - Il se trouve que la situation de l'ENSBA est très particulière, en tant qu'il s'agit d'un établissement qui n'enseigne ni le design ni les arts appliqués, et se restreint aux seuls arts plastiques : photographie, vidéo, art numérique, entre autres. Les étudiants qui y sont inscrits se lancent dans une aventure qui est d'abord intérieure, et ne les destinera pas nécessairement à trouver un métier facilement. On le sait, 45 % des artistes sortis des écoles d'art perçoivent, au bout de plusieurs années, moins de 5 000 euros par an au titre de leurs revenus artistiques.
Celui qui choisit le risque d'une formation à l'ENSBA - bien supérieur à celui d'une formation en marketing - accepte de se livrer à une exploration intérieure très incertaine, à l'invention difficile de formes, et à une activité culturelle qui ne semble pas nécessaire dans la vie réelle.
Il faut comprendre cette motivation et concevoir que des personnes aient envie de faire un travail spirituel, intellectuel et culturel sur eux-mêmes et sur l'invention des formes. Cela ne nous empêche pas d'avoir le désir que ces jeunes entrent dans la vie professionnelle, mais l'objectivité commande de considérer que seuls 4 à 5 % des étudiants deviendront des artistes importants pour notre vie collective. Il est vrai que la Nation fait des sacrifices financiers pour avoir des artistes, mais c'est un choix magnifique.
L'ENSBA connaît d'autres difficultés. Il y a notamment un problème de déficit d'étudiants étrangers, lesquels représentent 20 % de l'effectif total. Cela révèle non pas une absence d'attractivité, mais des problèmes linguistiques ou de notoriété à l'international. Notre système, unique, propose un enseignement par ateliers : un étudiant peut suivre pendant plusieurs années un professeur, passer éventuellement d'un atelier à l'autre ou en cumuler plusieurs, puis enseigner à des étudiants plus jeunes. Cette forme de compagnonnage est une particularité propre à la France ; on ne trouve l'équivalent qu'à Düsseldorf.
L'ENSBA est une très petite école : elle ne compte que 630 étudiants, ce qui est très peu comparé aux 11 000 étudiants du Central Saint Martins College of Art and Design de Londres, par exemple. Les grandes écoles internationales enseignent non seulement les arts plastiques mais aussi la musique, la scénographie, etc.
Des artistes sortent-ils de l'ENSBA ? On peut dire que sur les dix dernières années, sans qu'il y ait de fléchissement - au contraire -, 60 % des artistes apparus sur la scène française et ayant une existence institutionnelle, c'est-à-dire une présence dans les centres d'arts et dans les collections nationales ou régionales, sont des anciens étudiants de notre école. Cela s'explique certainement par le fait qu'ils sont formés à Paris, et se trouvent donc à portée de vue et de main des professionnels de l'art : c'est une chance, mais également un déséquilibre qu'il faut peut-être corriger.
À l'ENSBA, la diversité sociale fait défaut : il n'y a que 23 % d'étudiants boursiers environ, ce qui est très peu. Parcoursup sera sûrement l'occasion d'une ouverture beaucoup plus large. Via Ferrata est une opération fantastique puisque 100 % de ces jeunes issus de la diversité suivent des études supérieures dans une école des beaux-arts européenne ; j'ai obtenu le doublement de ce projet.
Il faut faire évoluer la formation. Une fois encore, seuls 5 % des étudiants qui sortent de l'ENSBA auront une vie d'artiste. Qu'en est-il des 95 % d'étudiants restants, dont plus de la moitié seront au RSA pendant les trois ans qui suivent leur fin d'études ? Telle est forcément la première responsabilité d'un directeur. La solution au problème de formation ne se situe pas dans le doctorat ou dans une tutelle nationale plus dirigiste. Ce qui fait l'univers d'un artiste est le caractère exceptionnel de ses centres d'intérêts, dont l'ampleur est sans commune mesure avec ceux d'un ingénieur très spécialisé, par exemple. Les entreprises, pour peu que leurs habitudes évoluent, devraient donc considérer les artistes comme des personnes très intéressantes et utiles. À l'ENSBA, j'ai commencé à créer un club d'entreprises pour en discuter avec elles. Disney, Facebook et Renault commencent à s'y intéresser, car elles ont besoin de cette capacité de disruption, d'autonomie et d'invention des signes nouveaux. L'État devrait donc faire oeuvre de pédagogie à l'endroit des entreprises.
Pour y préparer les étudiants, il faut élargir l'enseignement. Les jeunes qui sortent de nos écoles doivent avoir une vague idée de ce qu'est le monde au présent. Afin de les familiariser à ce qu'il y a de plus pointu en sciences, en économie, en politique internationale, en philosophie, en littérature, nous avons construit un ensemble de cours avec Sciences Po, l'Université Dauphine-Paris, Centrale, entre autres, et cela s'est très bien passé. Nous avons demandé à l'université Paris Sciences & Lettres (PSL) d'y participer, sans succès.
Le troisième cycle, tel qu'il est prévu, vise à former des doctorants qui deviendront des enseignants. Cela fonctionne assez faiblement à l'ENSBA et je ne l'encourage pas particulièrement, car j'ai l'intention de monter un troisième cycle d'un autre ordre. Notre priorité est en effet d'installer les artistes dans un réseau international, via un dispositif qui se situerait entre la résidence et le troisième cycle et qui me paraît très utile pour l'avenir.
M. Laurent Scordino-Mazanec, directeur de l'École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d'arts. - Les quatre écoles supérieures parisiennes en arts appliqués - Boulle, Duperré, Estienne, Ensaama - sont organisées en association, ce qui est inédit en France. Par ailleurs, il existe une concentration des formations post-bac professionnalisantes, qui accueillent 50 % des effectifs nationaux en arts appliqués.
La sémantique qui a été employée me gêne. On a entendu parler de « culture », d'« artistes », d'« arts plastiques », mais jamais d'« arts appliqués ». Nos écoles proposant des formations professionnalisantes, pour ce qui nous concerne, l'emploi n'est pas pour nous un souci. Le design et les métiers d'art ont aujourd'hui le vent en poupe et représentent une manne importante. C'est pourquoi, à chaque déplacement présidentiel, des designers ou des maîtres d'art accompagnent le président de la République : ils représentent notre patrimoine, notre culture et notre histoire. Il y a une spécificité française dans ce domaine et la France sait exporter ses savoir-faire. Les propos qui ont été tenus manquent donc de nuances.
Nous appliquons le processus de Bologne depuis trois ans et nous préparons nos étudiants à un diplôme valant grade de master, qui leur permet de poursuivre des études à l'étranger dans des écoles, que je ne considère pas comme des concurrentes, offrant des formations complémentaires. Il faut encourager cette dynamique, car c'est un passeport pour l'emploi.
Cela a été dit, on ne peut pas raisonnablement comparer les écoles françaises et les écoles internationales. Alors que je représente la plus grande école publique en arts appliqués relevant du ministère de l'éducation nationale, je ne dispose que de 13 000 mètres carrés de superficie et mon effectif est de 1 000 étudiants...
L'union fait la force, notamment pour communiquer à l'international. Le regroupement de nos quatre écoles, qui n'a en aucun cas entamé leur identité, a permis l'élaboration d'un master commun, qui est porté par le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), et la mise en place du LMD. Le fait de se fédérer donne davantage de visibilité à nos formations d'excellence.
La question du rapprochement avec les arts plastiques est intéressante, mais pour quoi faire ? Nous avons en commun l'histoire de l'art, le dessin, la perspective... ; nous pourrions même susciter des vocations de designers chez des étudiants des beaux-arts. Mais tout cela se construit, car c'est une question de compétences et de formation professionnelle.
Les étudiants internationaux ne viennent pas dans les écoles françaises parce que celles-ci ne sont pas assez chères. La notion d'école supérieure gratuite ne leur est pas familière. Par ailleurs, l'enseignement n'y est pas dispensé en anglais.
Nous avons besoin de recruter non pas d'excellents élèves mais des personnes qui ont une forte personnalité, un univers, quelque chose à raconter. Notre mode de recrutement, sans entretien, uniquement sur dossier, peut être critiqué et il est en réalité assez élitiste, mais il repose sur un principe d'équité auquel le ministère de l'éducation nationale est attaché.
Nous devons impérativement accueillir davantage d'étudiants étrangers, ne serait-ce que pour respecter la réciprocité qu'implique le programme Erasmus.
Aujourd'hui, dans Paris, le premier des campus des métiers et des qualifications est celui relatif aux métiers d'art et au design - j'en suis le directeur, puisque l'Ensaama est tête de réseau. Font partie de ce campus implanté aux Gobelins, trente établissements de formation, dont l'École nationale supérieure des arts décoratifs et l'école Camondo, un centre de formation d'apprentis (CFA) privé - la Bonne graine -, des mécènes et des institutions - Hermès, le Comité Colbert, etc.
Votre rapport arrive à point nommé, au moment où nous menons des actions communes dans le but de valoriser les filières et d'accompagner les jeunes vers l'emploi.
M. Damien Valero, président de l'association des anciens élèves de l'École nationale supérieure des arts décoratifs (Ensad-Alumni Paris). - Notre association est née en 1867 et son premier trésorier fut Auguste Rodin. Le parcours des étudiants de l'Ensad est pluridisciplinaire, ce qui évite le cloisonnement. Cette association, dont l'objet est notamment d'aider les jeunes à s'insérer professionnellement, a une antenne à Chypre dédiée aux relations internationales. Elle est présente dans 42 pays et notre réseau compte plus de 20 000 adhérents. Nous échangeons régulièrement avec l'Ensad et siégeons au sein de la fédération PSL-Alumni aux côtés de Mines ParisTech, de l'École normale supérieure, etc. À ce titre, il conviendrait de créer une adresse mail reprenant le nom de ces écoles affectée à chaque étudiant, afin de pouvoir les suivre une fois leur scolarité terminée.
Le monde industriel est prêt à accueillir les artistes et designers, lesquels font partie intégrante de la société. Notre association vise donc à développer les réseaux interprofessionnels.
M. Claude Raynal, président. - Nous aimerions aussi connaître le point de vue des intervenants sur les écoles installées dans les territoires.
Je donne la parole à notre collègue Sylvie Robert, membre de la commission de la culture.
Mme Sylvie Robert. - Ce rapport très intéressant révèle un état des lieux confus et une organisation en archipel - cela peut constituer une richesse - mais aussi des fragilités. Peu de chantiers ont avancé depuis la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP), ce qui pose le problème du pilotage par le ministère de la culture.
Les jeunes ont une appétence de plus en plus forte pour les écoles d'art. Or les capacités d'accueil n'ont pas beaucoup augmenté, ce qui entraîne une sélectivité très importante. La formation supérieure en arts plastiques doit s'intégrer dans l'ensemble de la politique culturelle. Nous savons que les artistes et designers ne sont pas hors-sol ; Ronan et Erwan Bouroullec, par exemple, travaillent avec une filière industrielle. Cela suppose de la part des ministères une action transversale, laquelle fait défaut dans notre pays, ce qui a des conséquences à l'international et en termes de formation. La question du statut des artistes-auteurs est également en panne. Les arts plastiques sont le parent pauvre s'agissant de l'accompagnement financier.
Les collectivités locales sont attachées à leurs écoles d'art, mais le passage de celles-ci au statut d'établissement public de coopération culturelle (EPCC) a été compliqué. Des regroupements ont alors eu lieu. Les questions du financement par les collectivités et du pilotage par le ministère de la culture doivent être posées si l'on veut résoudre les difficultés de certaines écoles. Il faut une véritable ambition.
L'algorithme de Parcoursup n'est pas adapté à la diversité des offres proposées par les écoles d'art. Enfin, les jeunes sont trop souvent livrés à eux-mêmes à la sortie de leur cursus, sans réseau ni carnet d'adresses. Les accompagner relève de notre responsabilité collective.
M. Michel Canevet. - La gouvernance des établissements publics, qui foisonnent, n'est pas toujours identifiable. Une organisation par pôles serait préférable et permettrait à ces écoles de trouver leur place à l'international. Le taux de boursier est de 25 %. Ne faudrait-il pas favoriser l'accès aux bourses ? Le recours au mécénat ne devrait-il pas être développé ?
Mme Sylvie Vermeillet. - L'insertion professionnelle des étudiants est insuffisante et hétérogène. Quels sont les facteurs favorisant cette insertion : la notoriété de l'école, sa localisation, le degré d'implication des professionnels et des réseaux dédiés ?
M. Louis Gautier. - Les questions institutionnelles se posent forcément en matière de politiques publiques. Leur enjeu, très actuel, est celui de la participation des écoles d'art au rayonnement mondial de la création artistique.
Pour ce qui concerne les échanges internationaux, 10 700 étudiants français étudient en Chine. La raison linguistique, la particularité, n'est donc pas prégnante dans ce domaine ; c'est vrai aussi pour les écoles françaises.
Nous avons fait la part des choses dans les réseaux, en nous concentrant sur les écoles placées sous la tutelle du ministère de la culture et en saluant les bons niveaux d'insertion professionnelle. En province, des écoles se sont regroupées, à l'instar de l'École européenne supérieure de l'image d'Angoulême et de Poitiers, ou de l'École européenne supérieure d'art de Bretagne (EESAB) qui regroupe les écoles des villes de Brest, Lorient, Quimper et Rennes.
Pour ce qui concerne l'insertion professionnelle, on peut citer l'école de Nîmes, qui a créé un troisième cycle à visée professionnalisante pour former les étudiants à la régie et au développement des oeuvres d'exposition, ce qui permet aux étudiants de trouver des débouchés. Le Montpellier Contemporain (MOCO) a mis en place une formation allant de l'école jusqu'aux lieux d'exposition, dans une logique d'intégration globale. Ce sont des exemples innovants. Il faut rompre les cadres pour créer davantage d'ensemencement, d'hybridation et de réussite : tel est le message principal de notre rapport. Par ailleurs, on observe de grands développements économiques en matière de design, notamment numérique, de mode, de bande dessinée, entre autres.
Pour favoriser l'insertion professionnelle de leurs étudiants, les écoles doivent avoir une certaine taille, un service spécialisé, travailler en réseau et disposer de bases de données sur les carrières.
M. Antoine Durrleman, rapporteur. - Nous avons délibérément choisi un périmètre d'enquête très large : non pas seulement les arts plastiques - acception que la France ne partage qu'avec Taïwan - mais l'ensemble des arts visuels. Aujourd'hui, les formes d'expression se diversifient et s'hybrident, rejoignant même le champ du spectacle vivant. Nous avons voulu dresser un état des lieux le plus clinique possible, en prenant en compte les importantes transformations des écoles d'art intervenues à la suite du processus de Bologne, mais également les changements apparus dans les universités, lesquelles se sont inspirées des savoir-faire et des méthodes pédagogiques de ces écoles : l'idée est que l'art résulte aussi d'une pratique et d'un compagnonnage.
Les établissements d'enseignement supérieur d'arts appliqués relevant du ministère de l'éducation nationale sont des exemples de transformation réussie, d'une montée en puissance à bas bruit grâce à une plus grande ambition pédagogique. Le niveau des diplômes y est passé du BTS à la licence, les cursus ont été révisés. Une stratégie de groupe a été mise en oeuvre. Leur recrutement, très sélectif - 2 % pour les écoles parisiennes -, se concentre sur les « tempéraments ». Nous nous sommes également intéressés aux grands établissements d'enseignement supérieur privés et aux écoles internationales. Le nombre d'étudiants français qui se tournent d'emblée vers les établissements étrangers est important. À Bruxelles, l'école d'art de La Cambre a dû limiter à 53 % le nombre d'étudiants français.
Les expressions artistiques évoluent, de même que les systèmes de formation. Les étudiants sont de plus en plus attirés par les écoles françaises, mais les difficultés sont considérables, parmi lesquelles le passage obligé par une classe préparatoire : dans le privé, qui compte 11 000 élèves, ces classes sont très onéreuses ; dans le public, il y a moins de 250 places. Les cursus aussi posent problème. Pourquoi toute école, même de petite taille, devrait-elle proposer un doctorat ? Mieux vaudrait préparer ce diplôme en lien avec une université, comme c'est le cas à Valenciennes.
L'internationalisation suppose une stratégie de groupe. Les grandes écoles parisiennes ne sont pas assez attractives collectivement. Elles pourraient concevoir ensemble une offre de formation leur permettant d'associer le meilleur de leurs cursus. Pour que la place de Paris rayonne, elles ne doivent pas se présenter les unes à côté des autres. Le sujet de la taille des établissements serait ainsi moins problématique.
La question de l'insertion professionnelle doit aussi être abordée de manière coopérative. Selon Emmanuel Tibloux, directeur de l'Ensad, le temps des créateurs est enfin venu. Notre économie et notre société exigent précisément de savoir penser différemment, d'être singulier. Les capacités d'invention, de création et de construction que développent les écoles d'art sont des atouts considérables pour l'insertion professionnelle.
Les difficultés dont souffre notre système de formation sont liées au manque d'une stratégie de groupe. Il s'agit d'avoir non pas un Gosplan mais un cadre de référence qui permette d'agir collectivement. Avoir une pensée globale et laisser chacun agir au plan local, voilà ce que nous préconisons dans ce rapport.
M. Jérôme Bascher. - Je salue le travail effectué par les écoles d'art depuis quinze ans pour se conformer aux standards internationaux. Vaut-il mieux avoir de grandes écoles favorisant l'hybridation et la fertilisation croisée, ou des écoles plus spécialisées ?
M. Damien Valero. - Auparavant, la classe préparatoire était le passage obligé pour intégrer une école d'art et il n'y avait pratiquement que des prépas privées, le ministère de la culture n'ayant pas mis en place de parcours public. Nous sommes aujourd'hui très heureux de voir émerger l'Association nationale des classes préparatoires publiques aux écoles supérieures d'art (Appéa). Les prépas privées ont fait du tort à nos écoles en imposant un formatage des dossiers.
Pourquoi être docteur d'État ? C'est un long parcours ; or il faut bien trouver un travail, même si l'art est davantage une façon de vivre qu'un métier... La mise en place d'un doctorat d'État est cependant importante en termes de reconnaissance des formations française. Mais qui formera ces doctorants, si l'on manque de titulaires d'habilitations à diriger des recherches (HDR) ? Les universités anglo-saxonnes, notamment américaines, intègrent quant à elles largement les doctorants en art...
S'agissant de la mutualisation des moyens, nous nous efforçons, en tant qu'anciens élèves, d'échanger nos réseaux, nos carnets d'adresses et nos plateformes. C'est un vaste chantier, puisque cela n'avait jamais été fait. Certaines écoles expriment des réticences, mais nous pouvons y arriver.
M. Laurent Scordino-Mazanec. - M. Durrleman l'a dit, l'éducation nationale a su faire un saut sans précédent en accompagnant la réforme des diplômes de l'enseignement supérieur. L'obsession de la diplomation est assez française. En Grande-Bretagne, avec un bachelor, on peut travailler ; pourtant, les Anglais viennent chercher les étudiants français pour les préparer au master : il y a des paradoxes. La notoriété des écoles oriente les choix.
J'insiste, les campus ont fait un gros travail de mutualisation et de spécialisation, sur l'initiative des régions et de l'éducation nationale.
J'en viens au mécénat. Tout d'abord, il ne peut y avoir de formation professionnalisante sans le soutien des partenaires professionnels, notamment dans l'accompagnement vers l'emploi. Pour ce qui concerne le mécénat, la réforme de la réduction d'impôt a été très préjudiciable aux établissements de formation, lesquels doivent faire de la collecte de fonds, à l'instar du fundraising pratiqué par les établissements anglo-saxons.
Les offres de formation existent en région mais sont isolées, tandis que Paris concentre les établissements. Il faut certes assurer la proximité, mais le contexte économique ne permet pas de déployer tous les champs d'enseignement sur le territoire.
M. Jean de Loisy. - Il faut mettre en perspective les 18 000 étudiants en écoles d'art en France, et les 2 millions en Chine : l'enjeu n'est pas le même...
La mutualisation est souhaitable du point de vue de la professionnalisation. Un étudiant doit avoir plus d'une corde à son arc, ce qui va au-delà de la culture générale ou du doctorat. Une filière professionnalisante proposée en cours de cursus par des établissements partenaires permet à des élèves d'enrichir leur parcours. À cet égard, je précise que je ne crois pas à l'identité entre artiste et designer.
À l'École nationale supérieure des beaux-arts, des espaces sont loués environ 50 jours par an au titre du mécénat, ce qui est assez mal reçu par les étudiants. Je m'intéresse davantage à la formation des pratiques « amateurs », qui est très rémunératrice puisqu'elle rapporte à peu près 650 000 euros par an. Nous espérons atteindre l'objectif de 1,2 ou 1,5 million d'euros.
Pour que la France existe à l'international, il faut que les artistes internationaux viennent en France. Un moyen d'y parvenir est de proposer des troisièmes cycles, auxquels il faut associer les résidences : on invite des artistes naissants à travailler avec des artistes français et des professeurs de différents pays. Une belle réussite à cet égard est le troisième cycle proposé par Le Fresnoy-Studio national des arts contemporains, à Tourcoing.
Il est incompréhensible que les travaux des étudiants d'écoles régionales ou nationales installées dans les territoires, même retirés, soient moins vus que ceux des étudiants des grandes villes. Les écoles de Paris ou de Marseille, par exemple, doivent accueillir ces travaux dans leurs espaces de présentation à destination des professionnels.
M. Claude Raynal, président. - Je remercie nos invités. Ce débat nous fait réfléchir sur les enjeux de la créativité, qui ne se limitent pas à l'art. Cette question se rencontre aussi dans les métiers de l'ingénierie : certains ingénieurs sont créatifs, d'autres moins. C'est pourquoi l'art a été introduit dans les écoles d'ingénieurs.
Je remercie M. le président de la troisième chambre de la Cour des comptes et ses collègues pour la qualité de leur rapport et de leurs exposés. M. le président Éblé vous avait confié une mission compliquée - regarder l'art par le prisme budgétaire -, mais vous y êtes parvenus avec talent.
La commission autorise la publication de l'enquête en application de l'article 58-2 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), en annexe à un rapport d'information de MM. Vincent Éblé et Didier Rambaud, rapporteurs spéciaux.
La réunion est close à 18 h 30.
Jeudi 21 janvier 2021
Audition de M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics, sur les résultats de l'exercice 2020
M. Claude Raynal, président. - Nous accueillons ce matin, sur les résultats de l'exécution 2020, M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics, qui a réalisé le même exercice hier après-midi devant nos collègues de l'Assemblée nationale.
Il est d'usage que notre commission des finances entende, au début de chaque année, le ministre chargé du budget sur les résultats de l'année passée. Les éléments transmis sont toutefois encore partiels. Les résultats détaillés seront communiqués avec le projet de loi de règlement, qui arrêtera le montant définitif des dépenses et des recettes de l'État pour 2020. Ce projet de loi de règlement - mais le ministre pourra peut-être nous le confirmer - devrait être déposé dès la mi-avril, confirmant l'avancement du calendrier par rapport aux années passées.
Les premiers éléments sur l'exécution du budget de l'État en 2020 ont été présentés hier. Il apparaît ainsi que le déficit budgétaire, tout en atteignant un niveau historiquement élevé et supérieur à celui atteint pendant la crise de 2009-2010, serait tout de même très largement inférieur à celui voté dans la quatrième loi de finances rectificative du 30 novembre 2020.
Si votre audition porte principalement sur le budget de l'État, nous serons bien sûr intéressés par les éléments que vous pourriez apporter sur l'exécution des comptes des administrations publiques locales et des administrations de sécurité sociale, qui sont elles aussi concernées très directement par les conséquences de la crise sanitaire.
Par ailleurs, comment ne pas évoquer votre entretien hier dans Les Échos et les réactions qu'il a pu susciter ? Affirmer que l'indemnisation s'arrêtera avec la pandémie n'est pas un propos très révolutionnaire. Vous avez indiqué que le niveau de dépenses actuel n'était pas soutenable dans le temps : de quel temps parlez-vous ? Cela pose la question de la capacité assurancielle de dernier ressort de l'État.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. - Permettez-moi, pour cette première réunion à laquelle je participe cette année, de vous présenter d'abord mes meilleurs voeux pour l'année 2021, qu'elle soit une année à la fois de sortie de crise sanitaire et de sortie de crise économique.
Je confirme notre volonté de vous saisir de la loi de règlement dès le mois d'avril, pour avoir un débat le plus partagé possible et pour que le Parlement soit informé plus tôt des résultats de l'exercice 2020, à la fois pour l'État et pour les sphères de la dépense sociale et des collectivités locales.
L'année 2020 a été clôturée pour ce qui concerne l'État sur un déficit inférieur au déficit prévu dans la quatrième loi de finances rectificative (LFR 4). Il n'empêche que ce déficit de clôture est presque deux fois supérieur à celui prévu en loi de finances initiale pour 2020. C'est la conséquence du choix d'une intervention massive pour faire face à la crise et des mesures d'urgence que vous avez bien voulu voter, en soutien aux secteurs les plus touchés.
Le déficit s'est donc accru entre la loi de finances initiale et la clôture de l'exercice de 85 milliards d'euros, sous l'effet de plusieurs facteurs. Le premier concerne les dépenses engagées au titre de la mission « Plan d'urgence » ouverte avec la première loi de finances rectificative du 23 mars 2020 ou sur d'autres missions budgétaires en réaction à la crise. Il y a au total 44,1 milliards d'euros de dépenses supplémentaires en 2020. Elles ont été engagées à un moment où les recettes fiscales de l'État connaissaient une forte diminution. Nous avons déploré par rapport à la prévision 37,5 milliards d'euros de baisse, les recettes fiscales s'établissant à 256 milliards d'euros pour l'année 2020. Les principaux points de baisse en matière fiscale concernent l'impôt sur les sociétés - à hauteur de 11,9 milliards d'euros par rapport à la prévision -, la TVA - à hauteur de 12,2 milliards - et la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) - à hauteur de 5,7 milliards.
Il existe quelques phénomènes intéressants à observer que nous ne savons pas encore totalement expliquer. Tout d'abord, une relative solidité de l'impôt sur le revenu puisque nous déplorons une perte de seulement 1,5 milliard d'euros. Nous connaissons même un ressaut par rapport à la quatrième loi de finances rectificative. Le deuxième phénomène qu'il nous faudra expliquer est le fait que la TVA baisse de 10 %. En comparaison, elle avait diminué en 2010 de 11 %. En revanche, la baisse est de 25 % pour l'impôt sur les sociétés cette année alors qu'elle avait été de 51 % en 2010. Il nous faudra travailler ensemble pour expliquer cette résilience plus forte de la fiscalité des entreprises, qui témoigne aussi du maintien d'un résultat plus important.
Si l'on compare avec les budgets que l'on qualifie désormais d'ordinaires, l'exécution est satisfaisante, avec des mouvements très classiques d'exécution totale pour des ministères régaliens. Il y a aussi des ministères dont le taux d'exécution progresse. Autre élément à souligner, nous n'avons pas eu à ouvrir de crédits en cours d'année sur la masse salariale, ce qui témoigne à la fois d'un phénomène d'économies de constatation, avec un moindre recours à des vacataires pendant la période de confinement, mais aussi un rapprochement significatif entre la prévision et la réalisation des dépenses.
L'explication principale de l'écart entre le déficit annoncé dans le quatrième projet de loi de finances rectificative (PLFR4) et celui constaté se trouve dans les crédits d'urgence. Nous avions fait preuve de prudence tant sur les hypothèses de récession affichées dans le PLFR4 - 11 % - que sur les dispositifs ouverts et les crédits inscrits. Premièrement, nous avions anticipé le risque d'un confinement de deux mois, couvrant également le mois de décembre. Deuxièmement, nous avions anticipé une baisse d'activité de 20 % pour chaque mois de confinement. Les enseignements du premier confinement nous ont permis collectivement d'avoir une baisse d'activité aux alentours de 11 % ou de 12 %. Elle tourne autour de 7 % ou de 8 % au mois de décembre.
17,8 milliards d'euros ont été engagés au titre de l'activité partielle, ce qui nous permet de reporter 4,8 milliards d'euros sur 2021, qui viennent s'ajouter aux crédits déjà ouverts pour l'activité partielle de longue durée. Sur le fonds de solidarité, 11,8 milliards d'euros ont été engagés, ce qui nous permet le report de 7,9 milliards d'euros sur l'année 2021, qui s'ajoutent aux 5,6 milliards que vous avez accepté d'ouvrir à l'occasion de l'examen de la loi de finances initiale. Concernant les exonérations, nous avons engagé 3,9 milliards d'euros, ce qui nous permet de reporter 4,3 milliards d'euros sur 2021. Enfin, pour les crédits qui permettent des prises de participations de l'État au capital des entreprises stratégiques, nous avons engagé 8,3 milliards d'euros et reporté 11,7 milliards d'euros.
Concernant la prise de participation au capital d'entreprises stratégiques, nous avions indiqué dès l'exposé général des motifs, notamment du PLFR4, que nous savions que les crédits ne seraient pas totalement engagés et qu'il y aurait des reports pluriannuels. Concernant les trois autres dispositifs - activité partielle, fonds de solidarité et exonération -, nous reportons près de 20 milliards d'euros, mais 9 milliards sont d'une certaine manière préemptés : les crédits que vous versons aux entreprises au titre du fonds de solidarité pour compenser la perte d'activité du mois de décembre sont des crédits de paiement versés sur l'année 2021.
De la même manière, les exonérations que j'ai évoquées et qui ont représenté un coût pour l'État de 3,9 milliards d'euros bénéficient déjà aux entreprises dans la mesure où ce sont des échéances qui ont été reportées, mais les demandes formelles d'exonérations n'ont été déposées que pour le confinement du printemps et pas pour celui du mois de novembre. C'est encore plus vrai pour les indépendants que pour les sociétés. Ce qui signifie que les 4,3 milliards d'euros d'exonérations qui ont été reportés sont d'ores et déjà engagés par cet effet de demande, avec plusieurs mois de décalage. Idem pour l'activité partielle du mois de décembre, avec cette particularité que les entreprises peuvent solliciter le versement des allocations pour l'activité partielle jusqu'à un an après avoir placé leurs salariés en activité partielle. L'effet de décalage est là aussi significatif.
Lorsque l'on regarde des crédits qui sont ainsi préemptés et ceux qui ont été ouverts à l'occasion de la nouvelle lecture de la loi de finances, nous disposons pour le début de l'année 2021 d'environ 20 milliards d'euros totalement disponibles pour financer les mesures d'urgence. Nous pouvons tenir entre trois et six mois, à conditions sanitaires constantes, sans avoir à présenter une loi de finances rectificative.
La deuxième explication du décalage entre le déficit prévisionnel de la LFR4 et le déficit constaté tient au ressaut de recettes à hauteur de 6,7 milliards d'euros : 3,6 milliards sur l'impôt sur les sociétés, 800 millions sur l'impôt sur le revenu, 1,7 milliard sur la TVA et 500 millions sur la TICPE.
Enfin, par rapport à la norme de dépenses pilotables, nous avons ouvert 8,9 milliards d'euros de crédits supplémentaires, dont 2,5 milliards d'euros font l'objet de reports. Les 6,4 milliards d'euros consommés au-delà de la norme de dépenses pilotables concernent principalement l'augmentation des aides personnalisées au logement (APL). Viennent s'ajouter les achats de masques, de matériel et le financement d'un ressaut de l'allocation aux adultes handicapés (AAH).
Pour ce qui concerne la dépense locale, nous ne disposons pas du solde aujourd'hui. Il est trop tôt pour cela. Nous savons que les dépenses d'investissement ont reculé sous le double effet du confinement et du cycle électoral plus long qu'à l'accoutumée. Nous savons pour ce qui concerne les dépenses de fonctionnement qu'au 31 décembre les recettes de fonctionnement des collectivités locales, toutes strates confondues, ont augmenté de 1,3 %. Les dépenses de fonctionnement des collectivités locales, quant à elles, ont augmenté de 0,4 %, ce qui est un point bas historique. La situation est extrêmement hétérogène entre les strates de collectivités. Les départements, par exemple, ont vu leurs dépenses de fonctionnement augmenter plus fortement, notamment sous l'effet d'une augmentation des dépenses d'allocations individuelles de solidarité à hauteur de 1,6 % en moyenne et d'une augmentation du coût du revenu de solidarité active (RSA) pour 7,2 % en moyenne, avec des écarts allant de zéro à quinze selon les départements.
Pour ce qui concerne les dépenses de sécurité sociale, par rapport aux derniers chiffres échangés lors des débats budgétaires, les dépenses de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) ont encore augmenté d'au moins 600 millions d'euros sous l'effet du renchérissement du coût de la campagne de tests. C'est la conséquence d'un double choix, celui de permettre au maximum de monde d'être testé et celui de la gratuité. Nous espérons que la moindre dégradation de l'activité économique sur la fin de l'année, se traduisant par une masse salariale plus importante que prévu, et donc des cotisations plus importantes, permettra à la sécurité sociale de faire face à ces dépenses sans dégrader davantage son déficit.
Monsieur le président, je vous confirme que la soutenabilité d'un niveau de dépenses publiques supérieur à 62 % ou à 63 % du PIB me paraît difficile. C'est la raison pour laquelle j'ai indiqué récemment que nous espérions tous que l'année 2021 soit marquée par la fin de la crise épidémique et la fin de la crise économique. J'ai eu l'occasion de souligner que les dispositifs mis en oeuvre au titre de la mission d'urgence ont un caractère exceptionnel. Ils ne doivent pas être pérennisés, sous peine de se transformer en dépenses structurelles et de peser très lourdement sur l'équilibre de nos finances publiques.
Nous devons d'ores et déjà préparer à la fois la sortie de crise et le retour vers un niveau plus soutenable des dépenses publiques. Rappelons que l'endettement a atteint 120 % du PIB à la fin de l'année 2020.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le déficit est inférieur de 45 milliards d'euros à ce qui était prévu dans le PLFR4. Le Sénat avait pointé du doigt le fait que le Gouvernement faisait le choix de prendre un peu trop de marge : 45 milliards, c'est vertigineux. Les débats budgétaires portent en général sur des millions d'euros. Dans cette période de grande tension, il faut garder nos nerfs. Les responsables politiques doivent faire attention à ce qu'il n'y ait pas trop de débordements. Les crédits reportés sur 2021 au titre du plan d'urgence représentent près de 30 milliards d'euros, dont plus de 10 milliards votés dans le PLFR4. On relève du côté des recettes fiscales une surexécution d'un peu plus de 6 milliards d'euros. Avec la sous-exécution de la mission « Plan d'urgence », il reste en gros 9 milliards à expliquer. Il n'y a pas d'ardoise magique : s'agit-il de l'évolution de recettes non fiscales ou de plusieurs sous-exécutions ?
La loi de programmation des finances publiques 2018-2022 est déjà obsolète. Elle n'était déjà pas respectée avant la crise sanitaire, elle est aujourd'hui complètement dépassée. Bruno Le Maire a annoncé qu'il renonçait à présenter une nouvelle loi de programmation. Cela ne va pas sans poser un réel problème en ces temps de doute et de crise sanitaire. C'est également l'avis du Haut Conseil des finances publiques. Comptez-vous à tout le moins nous présenter des indications pluriannuelles dans le prochain programme de stabilité ?
Enfin, les reports de crédits sont habituellement pris entre fin janvier et le mois de mars. Cette année, nous avons eu des arrêtés de report dès la fin du mois de décembre pour plus de 14 milliards d'euros, dont près de 12 milliards d'euros au titre du renforcement des participations financières de l'État. La procédure nous laisse perplexes. Comment est-il possible d'ouvrir 1,5 milliard d'euros de crédits pour le chômage partiel par un arrêté publié le 27 décembre alors que la loi de finances qui autorisait un tel report n'a été publiée que le 30 décembre ?
Monsieur le ministre, je connais votre sincérité. Quand la crise sera derrière nous, il est normal que les aides cessent. Mais pourquoi avez-vous choisi d'annoncer par voie de presse la fin du « quoi qu'il en coûte » dans cette période de grande tension ? Le Gouvernement doit faire attention, car de telles déclarations peuvent être dommageables pour la France et l'ensemble des Français.
M. Philippe Dallier. - L'exécution 2020 est moins mauvaise que prévu dans des proportions très importantes puisqu'il s'agit de 45 milliards d'euros. Cela montre la prudence du Gouvernement, mais cela pose aussi la question de notre capacité à modéliser les effets d'une crise d'une telle ampleur. Au début de la crise, Bruno Le Maire envisageait un retour à la normale en 2022. Aujourd'hui, plus personne n'y songe, d'autant qu'un confinement plus dur semble se profiler. Quid également de la sortie de crise, une fois que tout cela sera terminé ? En 2020, le nombre de dépôts de bilan était paradoxalement plus bas qu'en 2019, mais il est fort à craindre que beaucoup d'entreprises qui sont portées à bout de bras ne pourront pas survivre. Quelles en seront les conséquences sur le budget de l'État et sur le déficit public ? Pouvez-vous nous rassurer sur votre capacité à modéliser toutes ces prévisions ? En refusant une loi de programmation, le Gouvernement risque de devoir encore naviguer à vue.
Sur le programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat », il reste 397 millions de crédits disponibles, soit près de 50 % du budget. Certes, on a assez peu construit cette année, mais comment expliquer un reste aussi important ?
Mme Christine Lavarde. - Je souhaite vous interroger sur l'articulation du budget de l'État avec le système de ressources propres de l'Union européenne, dont nous allons avoir à débattre prochainement. La commission des affaires européennes a entendu le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) en début de semaine : 13 % des crédits de l'Union européenne viendraient rembourser des crédits que l'État considère avoir avancés. Sur quels crédits allez-vous vous rembourser ? Nous voulons être sûrs de ne pas compter deux fois.
M. Bernard Delcros. - Vous avez évoqué un ressaut des recettes fiscales en fin d'année. Avez-vous des éléments d'explications ? Concernant le report des crédits affectés au Covid en 2021 à hauteur de 20 milliards d'euros, si on enlève les 9 milliards préemptés par le mois de décembre, combien de temps pouvons-nous tenir sans PLFR ? Y a-t-il selon vous encore des acteurs économiques qui ne sont pas couverts ou qui sont mal couverts par les dispositifs actuels, je pense aux indépendants ? La dette s'envole. Avez-vous des éléments sur notre capacité à faire face à une éventuelle évolution des taux d'intérêt ?
Mme Sophie Taillé-Polian. - Effectivement, le niveau actuel des dépenses publiques n'est pas soutenable. Les dispositifs d'urgence visent évidemment à s'éteindre, le plus tôt sera le mieux. Je m'interroge assez fortement sur les dispositifs de lutte contre la fraude. J'entends autour de moi beaucoup de salariés qui disent être à la fois au chômage partiel et en télétravail. Il existe un détournement de ces dispositifs. Que fait le Gouvernement ? Certes, beaucoup d'entreprises sont en difficulté, mais il existe bien des mesures contre la fraude à l'assurance chômage pour les assurés. Pourquoi n'en serait-il pas de même pour les entreprises ? Il est important de s'assurer que les crédits débloqués pour aider les entreprises n'aillent pas à celles qui n'en ont pas besoin, d'autant que se posera un jour à nous la question des solutions pour payer la dette liée à cette crise.
M. Pascal Savoldelli. - Compte tenu de la situation, je me demande si un débat en séance publique dans les deux chambres ne serait pas le bienvenu. Que ferons-nous de ces 45 milliards d'euros, notamment les 28,8 milliards de crédits de dépenses d'urgence ? Ces crédits pourraient, par exemple, bénéficier à l'aide aux plus pauvres, dont la situation est catastrophique. Envisagez-vous de nouveaux investissements publics ? La situation est tellement grave que nous devons avoir un débat démocratique sur l'orientation de ces crédits. Pour ma part, je serai favorable à ce que le Gouvernement prenne une initiative « hors des clous ».
M. Éric Bocquet. - Antony Requin, directeur général de l'Agence France Trésor, indiquait mardi matin que la France avait levé une somme de 7 milliards d'euros sur une période de cinquante ans à un taux historiquement bas. La dette française fait office de valeur refuge. Je m'interroge donc sur le décalage entre l'inquiétude que vous avez exprimée quant à notre niveau de dépenses publiques et la quiétude des marchés financiers.
M. Rémi Féraud. - Ne craignez-vous pas qu'un certain nombre de dépenses qui n'ont pas été faites en 2020 ne soient reportées en 2021 ? Le nombre de faillites de restaurants a été paradoxalement très faible en 2020, mais celles-ci seront sans doute reportées en 2021, voire en 2022. À l'inverse, parmi les dépenses qui n'ont pas été exécutées en 2020, certaines n'ont peut-être pas vocation à l'être en 2021. Par exemple, des crédits importants ont été provisionnés en 2020 pour soutenir les Français de l'étranger, mais ils ont été assez peu utilisés. Seront-ils reportés ?
Cette crise intervient alors que les finances publiques étaient déjà dégradées, parce que la décision politique de réduire le déficit structurel en baissant les dépenses ou en augmentant les recettes de l'État n'a jamais été prise. Au-delà des dépenses et de la dette covid, ne faudra-t-il pas faire un véritable choix politique en ce sens ?
Mme Isabelle Briquet. - Dès avant la crise, la lutte contre le déficit structurel semblait avoir été mise au second plan, mais nous devons désormais définir une stratégie en la matière. Une loi de programmation des finances publiques n'étant pas à l'ordre du jour, comment comptez-vous procéder ?
M. Christian Bilhac. - Les recettes de l'impôt sur les sociétés, de la TVA et de l'impôt sur le revenu ont été supérieures aux prévisions. Pour réduire le déficit, il faut diminuer les dépenses, ce qui semble difficile dans le contexte actuel, ou augmenter les recettes. Je prendrai l'exemple du programme 315 du plan de relance. Grâce à un démarchage agressif, de nombreuses sociétés, souvent implantées dans les pays de l'Est, effectuent des travaux de rénovation énergétique à 1 euro chez des particuliers. C'est autant de recettes en moins pour l'État. Il serait utile de réfléchir à des actions, notamment auprès des élus locaux, afin que les crédits de ce programme induisent des recettes fiscales et bénéficient à l'artisanat local.
M. Didier Rambaud. - Alors qu'on entend tous les quatre matins que le Gouvernement n'a pas su anticiper les besoins de masques, de tests ou de vaccins, je trouve paradoxal qu'on nous reproche de trop anticiper en matière de finances publiques.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. - Je remercie Didier Rambaud !
Nous observons un décalage entre l'exécution et le scénario que nous avions anticipé dans le cadre de la LFR4. La différence est certes vertigineuse, mais il aurait été encore plus vertigineux de manquer de crédits disponibles pour financer des mesures d'urgence. Cet écart de 45 milliards d'euros est le fruit de notre prudence quant aux conditions sanitaires. Nous avons provisionné suffisamment de crédits pour faire face à deux mois de confinement afin de ne pas devoir présenter un PLFR 5.
Nous avions anticipé une baisse d'activité de 20 % au mois de novembre. Je rappelle qu'en avril nous avions enregistré une baisse de 30 %. Cette hypothèse nous semblait à la fois prudente et crédible. Or l'activité n'a diminué que de 11 % à 12 %. De ce fait, les recettes ont été supérieures à nos hypothèses, et le recours aux mesures d'urgence a été moindre. Telles sont les principales raisons qui expliquent ce décalage de 45 milliards d'euros.
S'agissant du périmètre de la norme de dépense, alors que nous avons ouvert au cours de l'année 8,9 milliards d'euros de crédits, seuls 6,4 milliards d'euros ont été engagés. S'y ajoutent un certain nombre de sous-consommations, dont 650 millions d'euros sur le budget consacré aux programmes d'investissement dans les compétences, notamment parce que le premier confinement a entraîné un ralentissement des entrées en formation et pour d'autres raisons liées à la mise en oeuvre de ce programme sur les territoires. Le budget du ministère de la transition écologique est également concerné, puisque 470 millions d'euros n'ont pas été consommés du fait du ralentissement, voire de l'arrêt des opérations de construction et des chantiers pendant le confinement du printemps. Je précise toutefois, monsieur Dallier, que nous avons demandé aux services d'accélérer les instructions en fin d'année en donnant la priorité aux dossiers de logements sociaux demandant des agréments, et que cette consigne a été respectée. Un volume important d'autorisations d'engagement a été engagé en fin d'année, mais cela aura des répercussions sur les crédits de paiement qui seront mobilisés en 2021.
J'en viens à la question des reports. Tous les crédits qui relèvent de la mission « Plan d'urgence » ou du plan de relance ouverts en 2020 feront l'objet de reports. Pour les autres missions, les reports devront être engagés au plus tard à la fin du premier trimestre. Certains crédits ne seront peut-être pas reportés en fonction des besoins exprimés. Il reste que le volume de reports est plus important que d'ordinaire.
Comme Bruno Le Maire l'a indiqué hier devant l'Assemblée nationale, nous considérons qu'à dix-huit mois de la fin du quinquennat, une loi de programmation pluriannuelle n'aurait pas grand sens. Nous aurons toutefois l'occasion de débattre de projections pluriannuelles. La Commission européenne considère pour sa part que l'acuité de la crise nous impose d'adapter nos projections au jour le jour. Comme l'année dernière, nous respecterons les mêmes consignes que les autres États de l'Union européenne. Si la Commission souhaite que nous produisions des données pluriannuelles, nous les fournirons, et si le Parlement le souhaite, nous débattrons de ces projections.
Le projet de loi de règlement sera certainement l'occasion d'évoquer les recommandations et les propositions émanant de différents groupes de travail, en particulier de la commission sur l'avenir des finances publiques présidée par Jean Arthuis que le Gouvernement a mise en place.
M. le rapporteur général et d'autres sénateurs ont évoqué les questions relatives à la dette et aux emprunts, dans la perspective d'une sortie de crise. M. Bocquet a raison : la situation actuelle est un peu paradoxale. Nous nous endettons beaucoup - en 2020, l'Agence France Trésor a levé pour plus de 260 milliards d'euros d'obligations sur les marchés financiers, un record historique -, mais les taux d'intérêt continuent de baisser. En 2019, le taux moyen d'emprunt de la France pour les obligations à dix ans était de + 0,11 % ; en 2020, il est de - 0,14 %. L'émission d'obligations à cinquante ans, à un taux de 0,59 %, revêt un caractère exceptionnel ; 7 milliards d'euros ont été ainsi souscrits. Dès le début de 2021, nous avons émis un premier programme d'obligations à dix ans, attribué à un taux de - 0,33 %. Dès lors, paradoxalement, le service de la dette sera moins coûteux en 2021 qu'en 2020, malgré une augmentation importante de la dette.
L'inquiétude du Gouvernement quant au niveau des dépenses et à leur soutenabilité est pourtant justifiée, car un retournement de cette tendance est possible. Les marchés font confiance à la France, notre dette reste une valeur refuge, comme l'a justement dit M. Bocquet, mais cette confiance peut cesser. Cela nous impose de maintenir les dépenses publiques à un niveau soutenable, de maîtriser la dette et de poursuivre les réformes structurelles.
M. Dallier a évoqué le programme 135 de la loi de finances. Les autorisations d'engagement étant beaucoup plus fortes en fin d'année, nous pourrons rattraper une partie du retard accusé sur ce programme. Nous ne disposons pas actuellement d'une modélisation nous permettant d'anticiper les effets de la crise. Nous sommes prudents dans nos projections, mais la capacité d'adaptation des entreprises sera sans doute plus grande ; le risque encouru est celui d'une sous-exécution, mais nous préférons ne pas manquer de crédits pour faire face aux besoins liés à la crise.
Mme Lavarde m'interroge sur le système de remboursement des crédits par l'UE. Le plan européen a été conçu pour soulager une partie de l'effort des États en matière de relance. Une partie des crédits de notre plan de relance pourra donc être présentée aux autorités européennes pour justifier des décaissements prévus par le plan européen, ce qui nous permettra d'amortir l'effet de ces dépenses sur nos finances publiques. Il en sera de même dans tous les États, dès lors que leurs plans de relance seront conformes aux priorités européennes. Je ne saurais aujourd'hui vous garantir la proportion de 13 % que vous évoquez.
M. Delcros a évoqué le ressaut de recettes fiscales. On le constate effectivement par rapport aux prévisions de la quatrième loi de finances rectificative pour 2020, mais nous perdons tout de même 37 milliards d'euros de recettes fiscales entre 2019 et 2020 ! Nous expliquons ce ressaut principalement par le maintien de l'activité à un niveau plus important que prévu, mais j'ai sollicité des explications complémentaires concernant l'impôt sur le revenu, où le ressaut de 800 millions d'euros observé est inattendu.
Quant aux moyens dont nous disposons pour faire face aux mesures d'urgence en 2021, nous avons reporté 28,8 milliards d'euros à ce titre de 2020 à 2021. Parmi eux, 9 milliards serviront à financer en crédits de paiement le fonds de solidarité correspondant à la perte d'activité de décembre, ainsi que l'activité partielle et les exonérations. Cela ouvrira un débat quant à l'appréciation du déficit public par rapport aux critères de Maastricht, puisque le fait générateur est connu et que le périmètre est circonscrit. Il reste donc environ 20 milliards d'euros reportés. La loi de finances pour 2021 a inscrit 4,4 milliards d'euros dans le plan de relance au titre de l'activité partielle de longue durée. Enfin, vous avez accepté d'ouvrir 5,6 milliards d'euros au titre du fonds de solidarité. Environ 30 milliards d'euros de crédits sont donc disponibles pour faire face aux mesures d'urgence ; nous pouvons donc tenir entre trois et six mois à conditions sanitaires inchangées. Par ailleurs, il y a encore du travail à mener sur la question des indépendants et des conjoints collaborateurs.
Mme Taillé-Polian m'interroge sur les fraudes. Nous avons mobilisé les directions du ministère du travail et de Bercy, notamment Tracfin, pour identifier certains circuits de fraude au chômage partiel et au fonds de solidarité. Depuis octobre, nous avons rallongé à quinze jours les délais d'instruction de l'activité partielle, qui avaient été réduits à 72 heures au premier semestre, ce qui empêchait tout contrôle a priori. Celui-ci est évidemment plus efficace : dans les cas de fraude relevés, une fois l'argent versé, il n'est plus recouvrable, puisqu'il part instantanément à l'étranger. Certains dossiers ont fait l'objet de signalements à la justice ; nous restons très vigilants.
Monsieur Savoldelli, avancer le calendrier de dépôt du projet de loi de règlement et du débat parlementaire dont il est l'occasion répond en grande partie à votre attente d'un débat plus large sur la réalité de l'exécution et les choix qui sont faits. Je peux déjà vous dire que les 28,8 milliards d'euros non consommés et reportés restent mobilisés pour répondre à la poursuite de la crise sanitaire ; ils ne seront pas fléchés vers de nouveaux programmes d'investissement public.
Monsieur Bocquet, l'émission d'obligations à cinquante ans est rarissime. La durée de maturité globale de notre dette reste autour de 8,2 ans, mais la maturité des obligations à moyen et long termes augmente légèrement ; elle est compensée par une augmentation des émissions à très court terme. Nous saisirons d'autres opportunités d'émission d'obligations à très long terme si elles se présentent ; celle-ci était surtout un test de la réaction des marchés. En l'occurrence, le taux de couverture a été très important : plus de 30 milliards d'euros ont été proposés pour une émission de 7,5 milliards d'euros.
J'ai répondu à la question de M. Féraud sur les reports de crédits ordinaires et de crédits de relance et d'urgence. Quant au programme 151, le niveau de consommation est inférieur de 55 millions d'euros aux crédits disponibles, qui avaient été augmentés par prudence dans les lois de finances rectificatives. La dépense sur l'aide sociale ne dépasse pas 5 millions d'euros ; elle a pu être financée par un redéploiement de crédits sans dégel ; 42 millions d'euros ont par ailleurs été versés à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) pour les aides à la scolarité. La dépense pour l'année scolaire 2020-2021 n'atteindrait que 23 millions d'euros, ce qui explique cette sous-consommation.
Quant aux prélèvements obligatoires, madame Briquet, je conviens qu'il faut s'attaquer au déficit structurel, ce qui nécessitera une révision des dépenses publiques et d'importantes réformes structurelles, mais nous souhaitons le faire en maintenant la trajectoire de baisse du poids des prélèvements obligatoires.
M. Bilhac a évoqué les arnaques constatées sur certains dispositifs de rénovation immobilière. Nous ne sommes pas convaincus que des créations de postes par l'État ou les collectivités soient la réponse la plus adaptée. Certains organismes sont déjà en mesure d'aider les bénéficiaires de ces dispositifs en la matière ; nos services sont aussi mobilisés. Les modalités de gouvernance des certificats d'économie d'énergie doivent aussi être examinées, pour éviter les fraudes et les effets d'inflation.
M. Claude Raynal, président. - Merci de vos réponses, monsieur le ministre.
La réunion est close à 10 h 40.