- Mardi 20 octobre 2020
- Mercredi 21 octobre 2020
- Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières - Examen du rapport et du texte de la commission
- Proposition de loi pour la mise en place d'une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinée au grand public - Examen des amendements au texte de la commission
Mardi 20 octobre 2020
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 17 h 30.
Projet de loi de finances pour 2021 - Désignation des rapporteurs pour avis budgétaires
Mme Sophie Primas, présidente. - Dans la perspective de l'examen du projet de loi de finances pour 2021, nous devons désigner nos rapporteurs pour avis budgétaires sur les différentes missions qui relèvent de notre champ de compétences.
Je vous propose de désigner rapporteurs pour avis M. Laurent Duplomb, Mme Françoise Férat et M. Jean-Claude Tissot, sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » ; M. Daniel Gremillet, sur la mission « Écologie, développement et mobilité durables » ; Mme Anne-Catherine Loisier et MM. Serge Babary et Franck Montaugé, sur la mission « Économie » ; Mme Micheline Jacques, sur la mission « Outre-mer » ; M. Jean-Pierre Moga, sur la mission « Recherche et enseignement supérieur » ; Mme Dominique Estrosi Sassone, sur la mission « Cohésion des territoires » (volet Logement) ; Mme Viviane Artigalas, sur la mission « Cohésion des territoires » (volet Politique de la ville) ; M. Alain Châtillon sur le compte d'affection spéciale « Participations financières de l'État » ; et Mme Anne Chain-Larché, sur la mission « Plan de relance ».
Il en est ainsi décidé.
Projet de loi de finances pour 2021 et politique de relance - Audition de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous entendons aujourd'hui le ministre de l'économie, des finances et de la relance, M. Bruno Le Maire, sur le projet de loi de finances pour 2021. Si l'exercice budgétaire nous est familier, il prend cette année une ampleur et une importance toutes particulières.
Je relisais hier, Monsieur le Ministre, votre
présentation sur le projet de loi de finances pour 2020, il y a tout
juste un an. Vous disiez à l'époque : « La
politique économique conduite par le Gouvernement donne de bons
résultats. Notre croissance est solide. Il y a quelques années,
en termes de croissance, la France était encore à la traîne
derrière l'Allemagne. Aujourd'hui, elle est le moteur de la croissance
dans la zone euro, avec 1,4 % de croissance et 1,3 % prévu
pour l'année prochaine, là où d'autres États sont,
eux, à la limite de la récession. » Nous finissons
l'année aux alentours de - 12 % de croissance, contre - 6
à
- 8 % en Allemagne. Je ne dis pas cela pour vous jeter la
pierre, mais bien pour dire combien les perspectives ont été
bouleversées.
La crise que nous traversons depuis le mois de mars dépasse, par son impact sanitaire et économique, ce que nous avions connu jusqu'alors, touchant tous les secteurs d'activités et tous les acteurs de notre économie : ménages, entreprises, collectivités territoriales. Elle a réduit notre production, nos échanges avec le monde extérieur, mis à l'épreuve notre système de santé et notre quotidien. Cette crise est durable, nous devons désormais l'admettre. C'est dans cette optique que nous examinons le projet de loi de finances pour 2021, quatrième texte budgétaire soumis au Parlement en cette année exceptionnelle.
Nous allons vous écouter, Monsieur le Ministre, et vous interroger, car les questions sont nombreuses sur un plan de relance dont chacun espère ici qu'il réussira à maintenir l'essentiel de l'activité, à préserver le maximum d'emplois et à préparer l'avenir. Dans ce budget, il figure à hauteur de 36,4 milliards d'euros, dans une nouvelle mission consacrée à la relance, et vous prévoyez de décaisser 42 milliards d'euros dans les 16 mois à venir.
Dans le contexte de crise durable, mais aussi très mouvant, que j'ai rappelé, le plan de relance sera-t-il capable de donner le stimulus rapide que nous appelons de nos voeux ? Les baisses d'impôts, les dispositifs d'aides octroyées après de longs appels à projets, les investissements au long cours du Programme d'investissement d'avenir (PIA), sont plutôt des outils de politique économique de moyen terme que des outils adaptés à l'urgence de la relance. Les entrepreneurs qui guettaient la reprise craignent désormais le trou d'air, alors que l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) annonce une hausse de 80 % des faillites dans les mois à venir et que les plans sociaux s'accumulent... Certaines des mesures que notre commission vous avait présentées dès juin dernier trouvent seulement aujourd'hui leur traduction dans ce projet de loi : ne perdons pas davantage de temps !
La question du tempo de la relance est d'autant plus pressante que le Gouvernement a décidé la mise en place d'un couvre-feu sur de larges pans du territoire, ce qui replonge notre économie dans un semi-confinement. Les hypothèses sur lesquelles vous fondez votre budget, et les mesures mêmes qui sont soumises à notre approbation, ne sont-elles pas déjà caduques ? On parle d'un nouveau projet de loi de finances rectificative... Ce plan suffira-t-il à absorber ce nouveau choc économique, qui ne sera, malheureusement, peut-être pas le dernier ?
En outre, nous savons de longue date que les entreprises, surtout les plus petites, ont du mal à se saisir de dispositifs aux cahiers des charges lourds, pilotés depuis Paris - elles n'en ont parfois pas même connaissance. Entendez-vous mettre les moyens - notamment humains - nécessaires au déploiement rapide de cette relance jusque dans chaque commune française - alors même que baissent le financement des chambres de commerce et d'industrie (CCI) et les effectifs déconcentrés du ministère ?
Plus que jamais, il faut concilier les trois volets de votre large portefeuille ministériel : l'économie, la relance, et les finances.
Je souhaiterais justement vous interroger sur le financement du projet de loi que vous nous présentez. Au vu des incertitudes au niveau européen, de votre volonté de décaissement rapide, quelle est la soutenabilité du budget de l'État ? Quelles mesures seront prises dès aujourd'hui pour éviter de glisser sur la pente d'un endettement encore plus élevé ? Je relève que la charge de la dette est le premier programme budgétaire en termes de crédits de paiement, avec 36,4 milliards d'euros, devant le programme « Enseignement du second degré » et la mission « Plan de relance ». Ces chiffres parlent d'eux-mêmes !
Plus globalement, notre balance commerciale devrait enregistrer un déficit record de 80 milliards d'euros en 2020. Certes, la pandémie de Covid-19 a touché le monde entier, mais prenons garde à ce qu'elle ne creuse pas encore davantage les écarts entre la France et ses voisins européens, ou les autres puissances économiques, qui ont mis en oeuvre un soutien assez volontariste à leurs économies. Le budget que vous nous présentez permettra-t-il de rivaliser dans la compétition mondiale ?
Je vous cède la parole pour répondre à ces premières questions. Les rapporteurs budgétaires pour avis de notre commission pourront ensuite vous adresser leurs questions spécifiques, avant que je ne donne la parole à l'ensemble de nos collègues.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance. - Je suis très heureux de vous retrouver, de retrouver cette commission des affaires économiques, chère à mon coeur.
Je voudrais d'abord exprimer mon soutien au corps enseignant des Yvelines, qui a été particulièrement touché par la tragédie de Conflans-Sainte-Honorine, et dire à quel point je suis déterminé, en tant que ministre des finances, à lutter contre les réseaux de financement du terrorisme. Nous préparons des propositions au Président de la République pour faire en sorte que pas un euro ne puisse aller, en France, ni au financement du terrorisme, ni aux associations qui ont le moindre lien avec le terrorisme ou avec l'islam politique.
Nous travaillons dans trois directions. D'abord, les circuits de financement des associations dites cultuelles, culturelles ou sportives, mais qui cachent, en fait, des réseaux de l'islam politique, et soutiennent l'islam politique et son objectif de destruction de la nation française, de ses valeurs, de son histoire, et de sa culture. Nous luttons également contre l'anonymat des cryptomonnaies, qui permettent de financer des activités liées au terrorisme.
Nous travaillons enfin sur la responsabilité des plateformes numériques. C'est probablement l'enjeu le plus important, et l'objectif le plus difficile à atteindre, mais vous connaissez ma détermination à obtenir une juste régulation des plateformes digitales. Cela passe par leur taxation, mais aussi par la responsabilité qu'elles doivent avoir sur les contenus qui circulent sur les réseaux digitaux : quand des messages qui appellent à la haine, qui appellent directement à la vengeance contre un enseignant, sont diffusés sur un réseau social, ce réseau ne peut pas considérer qu'il ne porte aucune responsabilité dans leur diffusion. Après tout, on demande bien à un éditeur de retirer un livre qui comporterait des propos haineux ou qui appellent à la violence. Pourquoi cette obligation ne pourrait-elle concerner une plateforme numérique ? Ma détermination à mettre les plateformes numériques devant leurs responsabilités par rapport à nos sociétés et par rapport à nos valeurs est totale.
Je voudrais aussi profiter de cette audition pour vous dire à quel point le défi qui est devant nous est considérable. Nous sommes, comme je l'ai dit à plusieurs reprises, confrontés à une crise qui n'a pas d'équivalent en France depuis un siècle, c'est-à-dire depuis la grande récession de 1929. Nous avons perdu en un an, à cause du virus, 10 % de notre production nationale, de notre richesse nationale. Certains semblent avoir tendance à l'oublier, et se disent que dans deux ou trois mois, tout cela sera derrière nous. Non ! Après une chute aussi importante du produit national brut, chute qu'on observe dans tous les autres pays européens, aux États-Unis et dans beaucoup d'autres pays, il faut du temps pour se redresser. Il nous faudra au moins deux ans pour retrouver notre niveau de développement économique d'avant-crise - dont vous avez rappelé, Madame la Présidente, qu'il était satisfaisant.
Tout le défi, pour nous tous, pas simplement pour le ministre de l'économie et des finances, mais pour les entrepreneurs, pour les parlementaires que vous êtes, pour la société française toute entière, sera de combiner protection des salariés et des entreprises face à la crise et relance de l'activité économique pour préparer la France à l'après-crise. Et je ne renoncerai ni à l'un, ni à l'autre. Je compte au contraire continuer à protéger les salariés des entreprises qui en ont le plus besoin, qui sont confrontés aux obligations sanitaires liées au couvre-feu et, dans le même temps, investir dans l'avenir, dans les nouvelles technologies, dans la 5G, dans l'hydrogène, dans le calcul quantique, dans la formation des salariés.
Ne vous faites aucune illusion : la crise fera des vainqueurs et des vaincus. La Chine sortira grand vainqueur de cette crise, du point de vue économique et sans doute financier. Je souhaite que la France et l'Europe sortent aussi grands vainqueurs de cette crise, ce qui suppose que nous expliquions à nos compatriotes avec le plus de détermination possible que protéger dans l'immédiat n'exclut pas de préparer le futur.
C'est bien l'objectif qui est le mien : afficher un volontarisme économique de tous les instants, de tous les jours, de toutes les semaines, pour que nous puissions protéger notre économie et en même temps la préparer aux défis futurs.
Pour la protection, vous savez l'ampleur de ce qui a été mis en place. Je le rappelle rapidement. Les prêts garantis par l'État (PGE), d'abord, ont déjà occasionné le décaissement de 120 milliards d'euros. S'y ajoutent 6 milliards d'euros d'aide aux indépendants, aux commerçants, aux artisans, et aux très petites entreprises, à travers le Fonds de solidarité. Nous avons aussi consenti des reports d'échéances fiscales et sociales pour 42 milliards d'euros depuis le mois de mars, et dépensé 22 milliards d'euros pour le chômage partiel. Tout cela avait pour objectif d'éviter des centaines de milliers de licenciements et des dizaines de milliers de faillites. Les chiffres sont clairs : 38 000 entreprises ont fait faillite en août 2020, contre 53 000 en août 2019. Sur les douze derniers mois, le nombre de faillites en France a été de 30 % inférieur à celui observé l'an passé, grâce aux mesures de soutien que nous avons mises en oeuvre. Nous avons connu environ 750 000 destructions d'emplois. C'est un chiffre considérable, et une réalité qui touche les plus précaires, les CDD, les intérimaires, les travailleurs les moins qualifiés. Mais le chiffre aurait été infiniment supérieur si nous n'avions pas mis en place les mesures de chômage partiel que nous avons décidées avec le Président de la République et le Premier ministre.
Beaucoup de nos compatriotes souffrent de la situation actuelle. Certains sont tombés dans la pauvreté, et nous voulons leur apporter des réponses. Mais le pouvoir d'achat moyen des Français n'a été réduit que de 0,5 % quand l'activité chutait de 10 %. Nous avons donc fait le maximum - et nous continuerons à faire le maximum - pour protéger les Français.
D'aucuns demandent si tout cela ne risque pas de coûter trop cher. Cette politique ne serait-elle pas aventureuse ? Non, elle est responsable. Je me félicite que la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Mme Christine Lagarde, ait rappelé encore aujourd'hui qu'il fallait que les États continuent de soutenir, en 2020 et en 2021, les entreprises et les salariés. Elle a eu la lucidité de rappeler que rien ne serait plus irresponsable que de couper court aux mesures de soutien au moment où elles produisent tout leur effet.
Cela vous surprendra peut-être de la part d'un ministre des finances, mais je suis bien déterminé à continuer à dépenser l'argent nécessaire pour nos compatriotes, pour l'emploi et pour les entreprises. Il est moins coûteux, en effet, que l'État finance des projets de développement, des formations ou des projets pour un ingénieur aéronautique, qui aujourd'hui est privé de toute perspective chez Airbus, Thales, Safran ou Dassault, parce que le trafic aérien s'est effondré, que de voir cet ingénieur licencié, et les dix ou douze années d'études et de formation qu'il a fallu pour former un ingénieur de niveau mondial, perdues et gaspillées. Je préfère dépenser beaucoup d'argent dans les PGE pour sauver notre capital industriel et économique, plutôt que de le laisser s'effondrer et de ne plus avoir ensuite les moyens de le redresser. Les dépenses que nous faisons actuellement sont un investissement pour l'avenir des Français et de notre économie.
Notre dette atteindra donc 117,5 % du PIB en 2020, soit une augmentation d'environ 20 points par rapport à l'année dernière. Nous sommes dans le temps de la dépense publique, et nous continuerons à l'être tant que le virus circulera. C'est la position de la BCE, c'est la position du ministre de l'économie et des finances, telle qu'elle a été décidée par le Président de la République.
Mais le moment venu, quand nous commencerons à voir
l'horizon s'éclaircir
- c'est-à-dire, je l'espère,
d'ici la fin de l'année 2021 ou le début de 2022 - avant de
retrouver notre pleine croissance - c'est-à-dire, je l'espère,
dans le courant de l'année 2022 - il faudra rembourser cette dette.
Ce n'est pas le moment, mais le moment viendra. Je ne veux laisser aucune
ambiguïté devant les Français sur ce sujet.
Comment la rembourserons-nous ? D'abord, par la croissance que nous aurons retrouvée. On ne rembourse jamais de dette sans croissance : la dette publique a besoin de croissance pour être remboursée. C'est là l'instrument le plus efficace et le plus durable de réduction de la dette. Le deuxième moyen sera la maîtrise de nos finances publiques. Nous devons continuer à faire preuve de responsabilité sur les finances publiques, notamment sur les dépenses de fonctionnement. C'est ce que ferons en 2021 en refusant toute augmentation du nombre de fonctionnaires dans la fonction publique d'État. Enfin, il faut avoir le courage de dire à nos compatriotes, parce qu'ils le savent, que seules des réformes structurelles permettront de garantir des finances publiques saines sur le long terme, et que, parmi ces réformes structurelles, la réforme la plus importante, qui permet de garantir l'équilibre de nos comptes sociaux et de nos comptes publics en général, c'est la réforme des retraites.
Tous les Français comprennent que, si nous voulons continuer à financer un système de protection sociale qui est un des plus généreux et des plus efficaces au monde, si nous voulons mieux nous occuper de nos aînés, notamment sur les questions de dépendance, nous devons également augmenter le volume global de travail dans notre pays. Comprenez-moi bien : je ne porte aucune accusation contre qui que ce soit. La France est un peuple qui travaille, un peuple de professionnels, de gens qui aiment leur travail, qui sont compétents, efficaces, productifs : chaque personne qui travaille, travaille beaucoup et durement. Mais il n'y a pas suffisamment de personnes qui travaillent. D'abord, parce que les jeunes entrent plus tard sur le marché du travail ; ensuite, parce que nous avons un taux de chômage qui reste encore trop élevé ; enfin, parce que nous nous sommes résignés à une politique que je juge socialement irresponsable et économiquement contestable, qui consiste à faire partir les plus de 50 ans le plus vite possible de l'entreprise.
Pendant des décennies, on a expliqué que les personnes de plus de 50 ans étaient trop coûteuses, représentaient un poids pour une entreprise. Je considère au contraire qu'elles représentent de l'expérience, et que l'un des grands défis culturels auxquels nous faisons face est de redonner toute leur place aux plus de 50 ans dans la vie économique de notre pays.
Je vous surprendrai peut-être en disant cela, car la CGT en a fait un de ses grands combats. Je ne partage pas beaucoup de combats de la CGT, mais celui-ci, sur l'emploi des plus de 50 ans, je le partage, et je pense qu'il est vital pour notre nation. On ne peut pas dire qu'on veut inciter les Français à travailler plus longtemps et continuer dans le même temps à dire aux plus de 50 ans qu'ils sont des poids dans une entreprise.
La réforme des retraites est donc, pour moi, l'un des enjeux stratégiques des grands équilibres financiers et sociaux de notre nation dans les années à venir.
Protéger, et continuer de protéger, c'est aussi renforcer les dispositifs existants. Nous avons mis en place un couvre-feu, ce qui est indispensable du point de vue sanitaire, mais très pénalisant pour beaucoup de professions. Je salue la manière dont l'hôtellerie, la restauration, le monde du spectacle et de la culture se battent pour s'adapter à ces règles sanitaires, pour ouvrir plus tôt, pour commencer plus tôt, pour finir aussi plus tôt, et permettre malgré tout à leur clientèle de continuer à venir. Mais j'ai parfaitement conscience que, pour beaucoup de ces restaurateurs, pour beaucoup de ces gens du spectacle vivant ou de l'événementiel, les temps sont terriblement durs. Et nous ferons tout pour continuer à les soutenir, et adapter nos dispositifs.
J'ai rétabli l'accès au fonds de solidarité pour toutes les entreprises situées dans les zones où s'applique le couvre-feu. Toutes les entreprises de moins de 50 salariés y ont désormais accès, ce qui leur permet de toucher jusqu'à 1 500 euros par mois. Dans les secteurs les plus touchés - l'hôtellerie, les cafés et la restauration, l'événementiel, les salles de sport, les salles de cinéma, les salles de théâtre et de concert... - nous avons porté le fonds de solidarité à 10 000 euros par mois. Les entreprises peuvent en bénéficier dès 50 % de perte de chiffre d'affaires au lieu de 70 %, et j'ai supprimé le plafonnement à 60 % du chiffre d'affaires. J'ai également proposé des exonérations de charges sociales supplémentaires, aussi bien pour les cotisations patronales que pour les cotisations salariales, sous forme de crédit d'impôt. L'ensemble de ces mesures coûte un milliard d'euros. Elles ont été décidées la semaine dernière. Vous le voyez, nous adaptons à chaque fois le dispositif pour protéger mieux et davantage les entreprises concernées.
Les PGE ont été un immense succès, avec 120 milliards d'euros décaissés, dont 90 % pour des PME et des TPE. Vous le savez, dans vos territoires, beaucoup s'inquiètent en se demandant comment faire pour rembourser. Pour les plus fragiles, nous avons prévu, en accord avec la Fédération bancaire française (FBF), un report du début de remboursement de mars 2021 à 2022. Nous leur donnons donc un an supplémentaire pour commencer le remboursement de leurs prêts, ce qui représente un effort considérable. Ce report sera décidé au cas par cas : les 570 000 contrats ne seront pas renégociés d'un coup ! Une entreprise qui est vraiment en difficulté pourra aller voir son banquier, lui exposer sa situation, et lui demander six, huit ou douze mois supplémentaires pour commencer le remboursement. Celui-ci pourra s'étaler sur cinq années supplémentaires, soit six ans au total. Et le report pourra se faire à des taux particulièrement attractifs, que j'ai négociés avec la FBF, et qui seront compris entre 1 et 2,5 %, garantie de l'État comprise, cette garantie représentant 100 points de base. Ces taux sont extraordinairement attractifs, et je tiens à saluer l'esprit de responsabilité de la FBF qui, depuis le début de cette crise, a accompagné les entreprises et l'État dans la politique de soutien à l'économie.
Pour les entreprises qui souhaiteraient disposer de fonds propres afin d'investir pour sortir de la crise, malgré leur endettement, nous avons mis en place des prêts participatifs, dont je préciserai le taux d'ici quelques semaines, et qui seront des prêts de long terme, au-delà de sept ans. Ces prêts seront des quasi-fonds propres, et ne pèseront pas sur l'endettement des entreprises. Ils ne donneront pas droit à la modification du capital de l'entreprise, ce qui est une vraie inquiétude des entreprises de taille intermédiaire à laquelle nous avons fait droit.
J'avais indiqué au départ que nous mettrions 2 milliards d'euros de garantie de l'État sur ces prêts participatifs, pour lever de 10 à 15 milliards d'euros. Nous avons vu que c'était insuffisant pour beaucoup d'entreprises, ce qui nous a conduits à changer la donne en disant que nous fixions un objectif de 20 milliards d'euros de prêts participatifs, et que la garantie de l'État s'adapterait à ce volume global. S'il devait être dépassé, nous avons prévu dans le projet de loi de finances la possibilité de dépasser 2 milliards d'euros. L'important, en effet, n'est pas la garantie de l'État, mais les prêts participatifs pour les entreprises, et les fonds propres de celles-ci.
Le premier volet de mon action est donc de continuer à protéger, aussi longtemps que le virus sera là, et d'adapter sans cesse les dispositifs, dans le but de faire preuve de toute la souplesse nécessaire pour que personne ne soit laissé au bord du chemin. Mais dans le même temps, il faut que la relance commence maintenant. Curieusement, les mêmes qui me demandaient en juin pourquoi je n'engageais pas la relance tout de suite me disent à présent que c'est trop tôt et qu'il faut attendre la fin de la circulation du virus. Non, je n'attendrai pas la fin de la circulation du virus, pour la bonne et simple raison que je ne sais pas quand elle surviendra.
Ce que je sais, en revanche, c'est que c'est maintenant qu'il faut investir, maintenant qu'il faut relancer, maintenant que notre économie doit redémarrer. Nous devons concilier la lutte contre le virus et le redémarrage de l'économie, et conjuguer sécurité sanitaire et sécurité économique, car la sécurité économique est vitale pour des millions de Français : c'est leur emploi, leur rémunération, leurs fins de mois, leur activité qui sont en jeu, ainsi que leur psychologie, leur sécurité personnelle, et la vie de leur famille. Je me bats pour tout cela, et pour que chaque Français se dise que l'économie continue à tourner. Et ce n'est pas qu'un slogan, c'est une réalité quotidienne, que vous voyez bien sur vos territoires : les gens ont envie d'aller travailler. Quand je vois un restaurateur qui bénéficie du fonds de solidarité, il me dit toujours qu'il n'a pas envie d'être aidé, mais de travailler ! Si les raisons sanitaires rendent cela impossible dans ce cas d'espèce, je souhaite que, pour le plus grand nombre de Français, il soit possible de continuer à travailler malgré la circulation du virus.
Je constate d'ailleurs que toutes les mesures que nous avons commencé à mettre en place fonctionnent remarquablement bien, voire trop bien. Ainsi, du fonds pour la relocalisation industrielle, pour lequel nous avions prévu un milliard d'euros, dont la moitié devait être dépensée en 2020. Nous avions un millier de projets il y a de cela quelques semaines. On nous a dit que les appels à projets étaient trop compliqués : c'était une critique du Medef et de la CPME, qui était justifiée. Nous avons simplifié les dispositifs, et nous avons désormais 3 600 projets sur la table, déposés par des entreprises, des PME, dans nos territoires, qui demandent 500 000 euros ou un million d'euros pour financer une ligne de production en France plutôt qu'à l'étranger. Déjà, 100 millions d'euros sont décaissés, et nous aurons décaissé 500 millions d'euros avant la fin de l'année - il sera même probablement nécessaire de rapatrier une patrie des crédits de 2021 sur 2020, tant la demande de fonds pour la relocalisation industrielle est forte depuis que nous avons lancé ce projet, avec Mme Agnès Pannier-Runacher.
Deuxième exemple : pour la rénovation énergétique des bâtiments publics, nous avions prévu 7 milliards d'euros, et nous avons déjà pour 8 milliards d'euros de demandes, qu'il s'agisse d'universités, de casernes, de brigades de gendarmerie ou de commissariats. À vous qui représentez les territoires, je rappelle que notre volonté, avec le Premier ministre, est de placer ces fonds au plus près des territoires. Toutes les rénovations énergétiques de moins de 5 millions d'euros seront décidées au niveau local, par les préfets : rien ne remontera jusqu'à Paris. Seuls les projets de rénovation énergétiques de plus de 5 millions d'euros pour les territoires, et de plus de 8 millions d'euros pour l'Île-de-France, remonteront à mon niveau, et je rendrai les arbitrages le 20 novembre prochain. Comme 92 % des projets de rénovation énergétique des bâtiments publics représentent moins de 5 millions d'euros, l'immense majorité de ces décisions seront traitées au niveau local.
Sur toutes ces mesures, vous pouvez consulter le site internet unique que nous avons ouvert, planderelance.gouv.fr, qui permet à chacun de s'informer sur les différentes mesures du plan de relance.
L'enjeu, pour moi, est de concilier la protection de notre économie et la relance qui doit nous permettre, d'ici deux ans, de sortir plus forts de cette crise.
Mme Anne Chain-Larché, rapporteure pour avis sur la mission « Relance ». - L'axe principal du budget que vous nous présentez est, bien évidemment, la relance de notre économie, selon la terminologie qui a, depuis l'été, remplacé les mesures d'urgence et autres plans de soutien. Ce nouvel objectif de relance, que nous nous fixons collectivement, ne doit pas faire oublier que beaucoup de nos entreprises se trouvent aujourd'hui encore dans un état d'urgence économique. On anticipe une hausse de 80 % des faillites en France dans les prochains mois, et des suppressions d'emplois industriels sont déjà annoncées, en dépit des aides publiques. Le quasi-confinement imposé depuis ce week-end va, sans nul doute, replonger les restaurateurs et les débits de boisson dans le rouge écarlate. Comment votre plan de relance répondra-t-il à cette urgence économique, non pas dans six mois, dans un an, dans cinq ans, mais dès qu'il sera voté ?
Les nombreux dispositifs d'accompagnement non financiers vers la numérisation ou la décarbonation, les appels à manifestation d'intérêt, se transformeront-ils en énième guichet méconnu des chefs d'entreprises ? La superposition des dispositifs est source de complexité. Ne retardera-t-elle pas leur déploiement ? Je m'interroge non seulement sur les outils mais aussi sur les moyens que l'État se donne pour les mettre en oeuvre. Les services régionaux de Bercy, par exemple, voient leurs effectifs se réduire dans la mission « Économie ». Nous sommes tous conscients du rôle essentiel qu'ont joué les CCI ces derniers mois. Vous avez renoncé de justesse, à l'Assemblée nationale, à diminuer leur financement. Le Haut Conseil des finances publiques estimait il y a quelques jours au Sénat que vos hypothèses de décaissement, selon lesquelles la moitié des 100 milliards d'euros seront dépensés en 2021, se fondent sur une vision « volontariste » de l'effet des mesures du plan de relance sur la croissance. Monsieur le Ministre, êtes-vous trop optimiste ?
M. Serge Babary, rapporteur pour avis sur la mission « Économie ». - Mes questions porteront sur la mission « Économie » et les crédits consacrés au commerce et à l'artisanat. De façon un peu provocatrice, je souhaite vous demander où sont ces crédits ! Progressivement, les crédits de soutien au secteur disparaissent de la mission - je pense au Fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce (Fisac), mais pas uniquement - et sont saupoudrés dans d'autres missions et programmes. Depuis l'an dernier, il n'y a plus d'action spécifique consacrée au commerce et à l'artisanat. Depuis cette année, le Fisac a disparu. Depuis cette année également, l'Établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (Epareca) ou l'Agence du numérique ont rejoint l'Agence nationale de cohésion des territoires, et ne relèvent plus de cette mission. Envisagez-vous d'améliorer l'information du Parlement en regroupant les crédits consacrés au commerce et à l'artisanat au sein d'un même document ?
Ma deuxième question porte sur la numérisation des PME, qui est un besoin essentiel. La mission « Économie » prévoit 2 millions d'euros pour l'initiative « France num », dont beaucoup d'acteurs déplorent le manque de notoriété, et donc l'inefficacité. Qu'envisagez-vous de faire pour rapprocher cette initiative des entrepreneurs qui en ont réellement besoin ? Envisagez-vous de simplifier et d'unifier les divers dispositifs d'aide à la numérisation qui, s'ils partent d'une bonne intention, perdent les commerçants plus qu'ils ne les aident ?
Ma troisième question concerne le réseau des CCI. Le Gouvernement a finalement annulé la baisse de financement qu'il envisageait pour 2021. C'est bien. Au regard des moyens et de l'énergie déployée par la CCI depuis le début de la crise, envisagez-vous de les soutenir davantage et non pas uniquement de retarder la baisse de leur financement ?
M. Franck Montaugé, rapporteur pour avis sur la mission « Économie ». - La crise nous rappelle l'importance de l'industrie dans l'économie nationale, en termes d'emplois et de fourniture de biens stratégiques - pharmaceutiques, par exemple, agroalimentaires ou manufacturiers. La relocalisation doit faire l'objet d'un plan structuré, discuté avec le Parlement. Le prévoyez-vous ? Chaque crise fait aussi revenir la tentation de la délocalisation. Dans nombre d'entreprises qui ont déjà annoncé des plans sociaux, on constate que ces plans découlent d'un transfert d'activités à l'étranger. C'est ainsi que Bridgestone a investi en Pologne, Thales en Inde, Renault en Turquie... Dans le difficile contexte actuel, nous devons trouver un équilibre socialement protecteur et économiquement efficace entre d'une part les aides publiques à nos industries et, de l'autre, les contreparties à ces aides. Dans le cadre du contrôle budgétaire exercé par le Sénat, j'ai demandé à vos services de nous donner la liste des engagements pris par les entreprises du secteur aéronautique et automobile en contrepartie des plans de soutien votés en loi de finances rectificative. Vos services ne m'ont pas répondu. Le délai fixé par la LOLF est pourtant dépassé. Pouvez-vous me répondre aujourd'hui sur ce point ?
Sur le premier volet, c'est-à-dire les aides, ou encore la réponse à l'urgence économique, il faut aller plus loin dans le soutien aux PME et aux ETI en matière de fonds propres. Vous avez annoncé la mobilisation de 20 milliards d'euros de financement participatif. Selon quels critères ces fonds seront-ils attribués aux entreprises ? Vous visez celles qui ont « un vrai potentiel de rebond ». Je crains que ne soit exclu tout un plan de PME industrielles déjà endettées avec la crise, mais qui pourraient se développer en investissant. Nous devons accompagner l'ensemble de notre tissu productif, tout particulièrement au niveau local.
M. Alain Chatillon, rapporteur pour avis sur la mission « Participations financières de l'État ». - Dans les rapports successifs que j'ai pu faire sur l'Agence des participations de l'État, notre souci était la diversification. Nous considérons que, depuis des années, l'Agence des participations de l'État a concentré ses moyens sur un certain nombre d'entreprises. En matière d'entreprises stratégiques, c'était le nucléaire, mais il n'y a pas que le nucléaire qui soit stratégique pour l'État ! Nous souhaitons donc une ouverture, pour éviter ce qu'on a vu avec la crise sanitaire, c'est-à-dire un effondrement de la valorisation de l'Agence des participations de l'État.
Il y a des diversifications intéressantes sur lesquelles on aurait pu avancer. Avec mon collègue sénateur Martial Bourquin, nous avions essayé de faire avancer le dossier Alstom-Siemens, mais l'Europe nous a bloqués. On ne peut que le regretter, parce que c'était un élément stratégique très fort, et nous pensions, avec le ferroviaire, développer l'hydrogène. On aurait pu aussi rapprocher les potentiels automobiles français et allemand : Renault, PSA, et Mercedes, BMW... Avec la source d'énergie qu'est l'hydrogène, nous pouvions être attractifs sur deux secteurs importants. Bref, nous souhaitons pour l'Agence des participations de l'État une meilleure diversification et un meilleur engagement.
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis sur la mission « Cohésion des territoires ». - Mes deux questions portent sur les aspects logements et construction, tant dans le projet de loi de finances pour 2021 que dans le plan de relance. Le bâtiment est un secteur essentiel pour notre économie et pour la reprise d'activité. La construction neuve est la grande oubliée du plan de relance. Alors que 6,7 milliards d'euros sont consacrés à la rénovation énergétique des bâtiments, il n'y a rien sur la construction neuve dans le plan de relance. La ministre du logement a pris acte de cette situation et elle a promis de proposer, par des amendements au projet de loi de finances, une prolongation des dispositifs Pinel et du prêt à taux zéro. Quelle est votre position sur ces prolongations éventuelles, et sur leur dimension fiscale ?
Quelques gestes ont été faits cette semaine pour le logement social. Je pense notamment au maintien de la réduction de loyer de solidarité (RLS) à 1,3 milliard d'euros, mais également à un dispositif qui, dans le PLF, crée un abattement exceptionnel des plus-values immobilières pour construire des logements dans le cadre des opérations de revitalisation de territoires ou des grandes opérations d'urbanisme qui ont été créés grâce à la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Élan). D'autres évolutions pourraient aussi favoriser la construction de logements sociaux, en particulier via la baisse du taux de TVA, tant pour élargir à 500 mètres autour des quartiers prioritaires de la politique de la ville le taux réduit de TVA pour l'acquisition de logements neufs en zone ANRU que pour, d'une façon plus générale, aboutir à un taux réduit de TVA pour les logements sociaux. Ce n'est pas nécessairement décisif quand on construit un seul logement, mais cela devient extrêmement important lorsqu'on parle de centaines ou de milliers de logements qui restent à construire ou à rénover.
M. Jean-Pierre Moga, rapporteur pour avis sur la mission « Recherche et enseignement supérieur ». - Comme l'année dernière, dans le cadre du PLF, le Gouvernement propose un nouveau coup de rabot sur le crédit impôt recherche. Cela peut avoir des effets délétères sur la coopération entre recherche publique et entreprises. Je sais que vous aimez parler de sanctuarisation à propos de ce crédit, mais je crains que le sanctuaire soit une fois de plus profané. Ne serait-il pas préférable de reporter au-delà de 2022 cette mesure de rabot sur le crédit impôt recherche ?
Cette année, la ligne budgétaire finançant les aides à l'innovation de Bpifrance est supprimée et transférée dans le PIA 4. Le soutien aux aides à l'innovation par Bpifrance a fondu comme neige au soleil ces dernières années. J'avais défendu un amendement contre cette tendance lors du projet de loi de finances pour 2020. Il m'avait été répondu que Bpifrance avait un matelas suffisant pour financer seule ses aides. Je suis ravi de constater que le Gouvernement a changé d'avis, mais pouvez-vous nous confirmer que ce montant sera augmenté ?
Les maires et les présidents d'agglomérations craignent la fin de l'exonération de taxe foncière en quartiers prioritaires de la ville et les conséquences qui en découleraient. Les propriétaires de locaux commerciaux des quartiers prioritaires de la politique de la ville bénéficient depuis cinq ans d'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties. Celles-ci constituent une variable déterminante pour l'équilibre financier de leur entreprise, surtout dans la période que nous traversons. La fin de cette exonération entraînerait une charge financière insupportable, qui les conduirait à cesser leur activité. Le plan « France relance » ne semble pas prendre en compte cette situation, qui concerne de nombreuses communes. Envisagez-vous de prendre en compte, dans le cadre de la loi de finances pour 2021, un dispositif rectificatif ou compensatoire qui permettrait de proroger ces exonérations fiscales ?
M. Laurent Duplomb. - Notre dette s'élevait à 2 638 milliards d'euros à la fin du premier semestre 2020. Beaucoup d'experts parlent de 3 000 milliards à la fin de cette année. Beaucoup disent aussi que, les taux d'intérêt étant bas, il faut en profiter pour emprunter. Il n'en reste pas moins vrai qu'en bon agriculteur, nous savons très bien que, quand on emprunte, le bon sens veut qu'on rembourse sa dette.
Le remboursement de cette dette de près de 3 000 milliards à la fin de l'année, ou de 2 638 milliards fin juin, peut se faire de quatre manières. D'abord, par la croissance ; puis, par l'inflation, mais, malheureusement - ou heureusement - ce n'est pas le ministre de l'économie qui décide de l'inflation. Le remboursement peut se faire aussi par l'augmentation des impôts. D'où ma première question : arriverez-vous à tenir sur le principe de ne pas aller dans cette direction ? La quatrième solution est l'annulation de la dette, et beaucoup de nos concitoyens estiment, parce qu'ils ont entendu parler pendant des années, ou des décennies, d'une dette qu'on ne rembourserait jamais, que nous pourrions peut-être annuler cette dette. En réalité, cela susciterait une telle défiance des marchés que cela diminuerait notre crédibilité et mènerait à une augmentation des prix.
Si vous voulez augmenter la croissance - ce qui me semble, des quatre options, la seule plausible si l'on ne veut pas avoir du monde dans la rue et des difficultés de gouvernance - il faut que les entreprises françaises travaillent. Or, je vais vous donner un exemple. Avec mon fils, nous investissons 1,2 million d'euros dans une méthanisation. Sur cette somme, nous n'aurons donné que 200 000 euros à des entreprises françaises. Le million d'euros restant va à des Allemands, qui maîtrisent le processus, à des Roumains, qui ont construit les fosses - la même semaine où l'on interdisait à nos enfants de passer le brevet des collèges -, à des Tchèques, qui ont monté le système, à des Hongrois, à des Ukrainiens, à des Hollandais, qui ont fait le transport... Pas un Français ! Monsieur le Ministre, si l'on veut de la croissance, il faut faire travailler nos entreprises !
M. Daniel Gremillet. - L'hydrogène est un dossier stratégique pour notre indépendance et notre compétitivité. Pourtant, sur ce point, le plan de relance n'est pas à la hauteur si l'on se compare à d'autres pays de l'Union européenne, ou à d'autres pays qui sont bien plus ambitieux, notamment en Asie. Comment faire en sorte que le plan de relance, sur l'hydrogène, donne des chances à l'économie française ?
Sur la forêt, nous ne sommes pas au rendez-vous, monsieur le ministre : 200 millions d'euros pour le dossier forestier, ce n'est pas assez quand on voit la souffrance et l'enjeu pour l'économie et le climat. Comment allez-vous réagir face à cette absence de capacité financière sur le dossier ?
Sur la rénovation énergétique, je partage votre propos : il y a un vrai succès. Mais, comme l'a dit Mme Dominique Estrosi Sassone, au-delà la rénovation, il n'y a rien pour le neuf ! Dans un amendement repris par l'Assemblée, le Sénat a énoncé le fait que, dès lors qu'on est sur de l'argent public, il est dommage que les fonds accompagnant la rénovation bénéficient plutôt à des entreprises et à du matériel qui ne viennent pas de France ni d'Europe. Comment conjuguer la relocalisation avec ce plan de relance ?
Je partage votre avis : seule la croissance nous permettra de retrouver une capacité à rembourser la dette. Mais je crains un décalage par rapport au calendrier que vous avez imaginé. Même avec un an de report, les entreprises ne seront pas en mesure de rembourser aussi rapidement.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Mme Anne Chain-Larché m'interroge sur l'urgence économique. Tous les dispositifs que nous avons mis en place - fonds de solidarité, adaptation du prêt garanti par l'État, exonération de charges - doivent nous permettre de remédier à l'urgence économique. L'augmentation de l'allocation de rentrée scolaire, les 150 euros de prime pour les bénéficiaires de l'allocation de solidarité spécifique ou du revenu de solidarité active, doivent aussi apporter du soutien à ceux de nos compatriotes qui ont les niveaux de revenus les plus faibles.
Sur la décarbonation et la numérisation, j'ai entendu les critiques, tout à fait fondées - et toutes les critiques fondées sont constructives et utiles. On m'a expliqué qu'il y avait trop de dispositifs, trop de guichets, et c'était vrai, et cela compliquait les démarches. Il y aura donc un guichet unique pour la décarbonation et la digitalisation des PME en France. Cela permettra à une PME qui veut se digitaliser, et qui achètera un logiciel pour cela, d'obtenir, sur simple présentation de la facture, à une réduction d'impôt de 40 %. C'est une aide directe à la digitalisation, via un guichet unique.
Pour répondre à Serge Babary, je prône le dialogue et l'écoute, plus que jamais nécessaires en période de crise. J'entends les craintes des CCI, qui ont dû réduire le montant de la taxe affectée moyennant une clause de revoyure en cas de dégradation de la situation économique. Nous avons corrigé les chiffres et trouvé un accord, qui prévoit la baisse du plafond d'affectation de la taxe à 50 millions d'euros en 2022 et une stabilisation en 2021 du produit par rapport à la loi de finances initiale pour 2020 : 349 millions d'euros au lieu des 249 prévus, soit 100 millions d'euros rendus. Cette solution a été acceptée par les CCI et votée à l'unanimité à l'Assemblée nationale. Voilà un cas d'école de dialogue menant à des solutions conformes à l'intérêt général.
Suis-je trop optimiste ? On ne l'est jamais trop en tant que ministre de l'économie et des finances, mais je pense avoir été prudent. Début septembre, nous avons assisté à un emballement : la croissance repartait, la Banque de France évaluait la récession en fin d'année à 8,7 %, l'OCDE à un peu moins de 9 %. Tout le monde m'a demandé de ramener l'estimation pour 2020 de - 11 % à - 9 % pour créer un choc de confiance. Mais j'ai estimé que les risques relatifs à la pandémie et au contexte international étaient importants, et j'ai décidé de maintenir l'estimation à - 10 %. J'estime que la prudence est un facteur de confiance pour les Français. Nous allons passer par des hauts et des bas. Les difficultés actuelles, très importantes pour de nombreux Français, se poursuivront tant que le virus sera là. Certaines entreprises ne tiendront pas mais d'autres ouvriront, d'autres industries se créeront : je songe au site de production de batteries électriques à Douvrin, dans le Pas-de-Calais, ou à l'hydrogène, qui nous permettront de surmonter cette épreuve. Nous sommes équipés pour faire face.
Le commerce et l'artisanat sont désormais gérés par l'Agence nationale de la cohésion des territoires, sous l'autorité de Jacqueline Gourault.
Je souhaite attirer votre attention sur un projet encore trop méconnu, celui des foncières créées par la Banque des territoires, sous l'autorité de la Caisse des dépôts et consignations. Ces foncières, au nombre de 6 000 et bientôt, je l'espère, 10 000, rachètent et rénovent des locaux commerciaux en centre-ville, les rendent plus compétitifs au point de vue énergétique, les réunissent le cas échéant puis les louent à un tarif préférentiel. Je souhaite que ce dispositif simple et efficace, qui représente plusieurs milliards d'euros d'investissements, soit connu de toutes les villes moyennes et petites qui pourraient en bénéficier.
Monsieur Montaugé, j'ai entendu les critiques adressées aux donneurs d'ordres des secteurs aéronautique ou automobile. Il y a quelques jours, j'ai rassemblé ceux du secteur aéronautique - Dassault, Thales, Safran et Airbus - pour les rappeler à leurs responsabilités. Puisque nous ne sommes pas parvenus à un accord sur les relations entre ceux-ci et leurs sous-traitants, nous avons nommé un observateur indépendant pour repérer les difficultés, territoire par territoire. Alain Chatillon m'a déjà alerté sur ce sujet ; nous assurons le suivi régulier de la charte du Gifas (groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales) et de l'engagement des donneurs d'ordres à respecter les délais de paiement et à traiter avec les sous-traitants de manière appropriée. Je suis parfaitement conscient du travail qui reste à faire sur le sujet.
Toutes les entreprises ne pourront bénéficier de fonds propres et de prêts participatifs. Je suis transparent sur le sujet. J'ai refusé une garantie de l'État à 100 %, estimant que les banques doivent porter 10 % du risque. Dans le cas contraire, elles seront incitées à soutenir les entreprises sans fixer de critères, et c'est le contribuable qui paiera.
Monsieur Chatillon, j'ai regretté la décision de la Commission européenne sur la fusion entre Alstom et Siemens ; en revanche, il y a matière à se réjouir du projet associant Alstom et Bombardier, qui montre que nous avons des industries puissantes susceptibles d'opérer des fusions sur la base des compétences et des savoir-faire.
Monsieur Gremillet, l'un des enjeux de la relance est de faire de la crise une opportunité pour ouvrir de nouveaux champs d'excellence française. Avec le luxe, les vins et spiritueux, l'agro-alimentaire, l'aéronautique, nous nous sommes endormis sur nos lauriers. Ces champions industriels sont une fierté nationale, à juste titre, mais les taxes à l'importation sur les vins français et l'effondrement de l'aéronautique ont touché de plein fouet deux moteurs de nos exportations. Il est bon de chercher d'autres moteurs : plutôt que de vivre sur nos acquis du XXe siècle, construisons les succès du XXIe siècle.
C'est pourquoi nous avons décidé d'investir massivement dans l'hydrogène. La solution de facilité aurait été de donner la priorité à la réduction immédiate des émissions de CO2 en finançant des tarifs préférentiels d'achat d'hydrogène. Nous aurions ainsi développé la consommation en un an ou deux mais pas la production. Avec le Président de la République, nous avons fait le choix totalement différent de produire nous-mêmes de l'hydrogène, en investissant à toutes les étapes de la filière : les réservoirs, avec Faurecia pour champion, les piles à combustible et les électrolyseurs, avec les technologies de membrane très complexes mais prometteuses. Nous pouvons avoir d'ici quelques années une « Gigafactory » de production d'hydrogène en France. Pourquoi se priver de cette ambition ? Personne n'imaginait, lorsque la France s'est lancée dans le nucléaire, que notre pays deviendrait l'un des meilleurs spécialistes au monde dans la production d'énergie nucléaire civile ; lorsque Airbus a été créée, ils étaient peu nombreux à penser que l'Europe se doterait du constructeur d'avions le plus performant, rentable et technologiquement pointu de la planète.
Ma conviction est que nous y arriverons pour l'hydrogène. Cela suppose des investissements massifs - sept milliards d'euros - et une coopération franco-allemande. Nous en avons discuté avec le président de la République et la chancelière Merkel il y a quelques jours. Les projets avancent à très bon pas. Il reste un point de divergence - notable, je vous l'accorde : nous estimons que l'électricité alimentant les électrolyseurs est verte si elle est d'origine nucléaire, alors que les Allemands estiment qu'elle pose problème.
Madame Estrosi Sassone, une concertation est en cours avec le secteur du bâtiment, les promoteurs et les travaux publics pour améliorer l'efficacité des dispositifs Pinel et prêts à taux zéro (PTZ) tout en tenant compte des enjeux soulevés par la convention citoyenne pour le climat, notamment l'artificialisation des sols. Les dispositifs existants seront prolongés, et nous aurons avec le Parlement ce débat sur la lutte contre l'artificialisation, vitale pour nos territoires. En tant qu'élu de l'Eure, j'ai pu constater combien l'extension des zones pavillonnaires pouvait être problématique ; d'un autre côté, l'attente de nos compatriotes sur le logement individuel est forte. Il y a des choix économiques à faire, mais aussi une évolution culturelle à engager.
Concernant le crédit d'impôts recherche, je suis pour la stabilité fiscale : moins l'on touche aux impôts, mieux l'on se porte. L'ajustement que nous proposons est motivé par la mise en conformité avec l'Union européenne : ne pas le faire nous exposerait à un recours juridique aux conséquences pénalisantes. Globalement, les crédits à la recherche augmenteront, et je suis très attaché à ce dispositif qui a fait la preuve de son efficacité.
Monsieur Duplomb, tant que je serai ministre des finances, il n'y aura pas d'augmentation d'impôts dans notre pays. On peut toujours justifier une imposition des plus riches, des 1 %, des 2 %... Je rappellerai simplement que nous sommes le pays développé au taux de prélèvements obligatoires le plus élevé au monde. Ma responsabilité est donc de stabiliser, ou de faire baisser les impôts : avec 22 milliards d'euros de baisse sur les ménages et autant sur les entreprises depuis 2017, c'est ce que nous avons fait.
Sur la dette, j'en appelle à votre sens des responsabilités. Annoncer des annulations de dettes, c'est susciter la méfiance des investisseurs. Oui, la dette doit être remboursée ; oui, elle doit l'être par la croissance et oui, il faut faire travailler nos entreprises.
Monsieur Gremillet, n'étant plus ministre de l'agriculture, je ne suis pas en mesure de répondre à votre question sur le domaine forestier mais vous recevrez une réponse écrite. Avec la rénovation énergétique, vous touchez à un point important. Il faut aller vite, et il est essentiel que le nombre d'entreprises ayant la certification énergétique augmente pour que cette rénovation profite aux entreprises françaises.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je propose que vous répondiez par écrit aux sénateurs qui n'auront pas reçu de réponse ce soir.
Parmi les propositions de la Convention citoyenne pour le climat figurent des augmentations d'impôts : je ne sais pas comment vous aborderez ce sujet au sein du Gouvernement...
M. Jean-Marie Janssens. - La crise sanitaire et économique qui frappe notre pays a des conséquences graves sur l'emploi et la survie de plusieurs branches d'activité, notamment le secteur aéronautique touché à tous les échelons : compagnies aériennes, grands constructeurs aéronautiques et leurs sous-traitants. Dans mon département du Loir-et-Cher, l'entreprise Daher annonce un plan de restructuration menaçant des centaines d'emplois dans les deux sites du Val de Cher, à Montrichard et Saint-Julien-de-Chédon, et Thales se prépare à supprimer des postes sur ses deux sites de Vendôme. Malgré les 15 milliards d'euros du plan de relance pour l'aéronautique annoncés cet été, les suppressions de postes sont là et les perspectives sont mauvaises. Relancer la filière commence par sécuriser les emplois industriels du secteur et l'emploi local. Il est impératif de donner de la visibilité et du soutien aux entreprises comme Daher, pour les aider à faire les bons choix stratégiques et à ne pas s'engager dans la voie de lourdes restructurations.
Au-delà des aides financières, pouvez-vous nous présenter les mesures que le Gouvernement entend prendre pour défendre l'emploi local dans ce secteur aéronautique ?
Mme Catherine Fournier. - Je ne suis pas persuadée que les TPE-PME bénéficieront pleinement de la relance sans un choc de simplification des procédures administratives. Peu d'entre elles ont les services internes en mesure de cibler les aides adaptées, d'identifier l'interlocuteur idoine et de réunir les pièces demandées, souvent hors de proportion avec l'aide demandée. Souvent, aucun délai n'engage l'administration. Dans les Hauts-de-France, l'aide sera distribuée par un guichet unique, avec un engagement de réponse dans un délai d'un mois. Un trop grand nombre de TPE-PME renoncent à demander des aides, parce que cela demande trop de temps et d'énergie.
Pourquoi avoir baissé la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, qui n'est pas l'impôt de production qui touche le plus les TPE-PME, plutôt que de maintenir les baisses et annulations de cotisations sociales et d'impôts ? C'était pourtant le moyen le plus simple et direct de leur venir en aide.
M. Fabien Gay. - Il est dommage que nous n'ayons pas le temps d'un vrai débat. J'aurais pu vous dire que je suis d'accord avec certaines mesures, notamment les PGE pour les petits commerçants et artisans ; il faudra à mon avis les convertir en fonds propres, quand ils se retrouveront face au mur de la dette en mars prochain. Pour le fonds de solidarité, le raisonnement est le même : dans le rapport que j'ai présenté avec Serge Babary et Anne Chain-Larché, nous demandions une prolongation jusqu'au 31 décembre, et potentiellement jusqu'au 30 juin.
Pendant la crise, vous avez appelé les entreprises, surtout les grandes, à modérer leurs dividendes. Je vous le dis franchement, c'est un échec. 100 % des entreprises du CAC 40 ont été aidées. Les deux tiers ont versé des dividendes, et huit d'entre elles les ont augmentés. Certes, les dividendes sont distribués sur le résultat de 2019. Je vous pose donc la question : allez-vous légiférer en 2021 et interdire le versement de dividendes pour l'exercice 2020 ?
Un schéma que vous avez partagé sur Twitter pour présenter le plan de relance mentionnait un « suivi rigoureux ». Qu'est-ce que cela veut dire ? Les salariés voient tomber les aides publiques « à gogo » pour les entreprises, alors qu'ils subissent les plans de licenciement. Vous refusez de conditionner les aides publiques à des critères en matière d'emploi, d'environnement et de recherche et développement, mais quel suivi allez-vous mettre en place ? Ceux qui ne respecteront pas leurs obligations seront-ils sanctionnés ?
Enfin, il faudra suivre de près les développements de l'affaire Suez-Veolia. Lors de l'examen de la loi Pacte, contre laquelle nous n'étions pas nombreux à voter, vous nous assuriez que la détention du golden share par l'État dans les grandes entreprises dont il est actionnaire nous mettrait à l'abri des problèmes. On a vu par la suite que c'était plus compliqué...
Mme Valérie Létard. - J'associe à mon propos Dominique Estrosi Sassone, Viviane Artigalas et Marie-Noëlle Lienemann, co-rapporteurs de la mission d'information de notre commission sur Action Logement et la PEEC (participation des employeurs à l'effort de construction). Le journal Le Monde et d'autres médias ont eu communication du rapport de l'Inspection générale des finances sur Action Logement, alors que nous parlementaires ne l'avons pas reçu. Quand nous transmettrez-vous ce rapport de l'inspection générale des finances ? Vous avez annoncé à l'Assemblée nationale votre intention de mener à bien la réforme d'Action Logement en même temps que celle des retraites. Olivier Dussopt a annoncé un amendement demandant une habilitation à prendre ces mesures par ordonnances. Le confirmez-vous, et quel est le calendrier ? Quelles sont les intentions du Gouvernement en la matière ?
Enfin, pouvez-vous répondre à la question de M. Moga sur la possible prolongation des exonérations de TFPB (taxe foncière sur les propriétés bâties) pour les locaux commerciaux en quartiers politique de la ville ?
M. Joël Labbé. - Parmi les immenses défis que vous avez à relever figure le verdissement du budget. La méthode « budget vert » donne enfin une vision claire et transparente des niches fiscales néfastes pour le climat et des subventions aux énergies fossiles. Le rapport du Gouvernement sur l'impact environnemental du PLF évalue les exonérations ou taux réduits sur les taxes intérieures de consommation (TIC) sur les produits liés aux carburants à 5,1 milliards d'euros ; mais le rapport sur le « green budgeting » du ministère de la transition écologique avance, pour l'année dernière, le chiffre de 12,2 milliards, tandis que la Commission européenne évoque 9,7 milliards d'euros. Ces différences s'expliquent par des choix de périmètre. Il convient que nous ayons une vue globale afin d'engager une trajectoire de suppression tout en accompagnant les secteurs concernés. Envisagez-vous de nous la donner dans un futur proche et de rectifier ces chiffres ?
M. Daniel Laurent. - La filière viticole a été durement touchée par la crise sanitaire, d'autant plus qu'elle affrontait concomitamment les sanctions américaines, le Brexit et la crise de Hong-Kong. L'OMC (Organisation mondiale du commerce) vient d'autoriser l'Union européenne à appliquer des sanctions tarifaires d'un montant de quatre milliards de dollars sur des produits et services américains au titre des aides américaines à Boeing. La prochaine liste des produits taxés par les États-Unis devrait être communiquée au plus tard en février prochain.
Les représentants des producteurs et distributeurs de vins et spiritueux demandent un retrait de leurs produits de cette liste et une intensification des efforts pour une solution négociée. La décision de l'OMC risque de crisper encore davantage les Américains, alors que la baisse de valeur des exportations aux États-Unis a dépassé les 500 millions d'euros en dix mois. Alors que 30 % de notre économie dépendent des échanges internationaux, la partie export du plan de relance, qui s'élève à 247 millions d'euros tous secteurs confondus, est-elle proportionnée ?
La France, déclariez-vous le 15 octobre, compte trois grandes filières d'excellence : l'aéronautique, le luxe et les vins et spiritueux. Vous venez de dire que nous avions besoin d'autres moteurs, mais conservons d'abord l'existant. Le Gouvernement a mis en place des plans sectoriels pour l'aéronautique et l'automobile, mais pas pour les vins et spiritueux, qui pourraient être la victime collatérale d'un contentieux auquel ils sont étrangers. Le plan de relance soutiendra-t-il cette filière ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Monsieur Janssens, les emplois les plus touchés par les conséquences de la crise sanitaire sont les emplois de service à faible qualification, les intérimaires, les contrats courts. Les secteurs économiques les plus frappés sont les secteurs dits S1 et S1 bis - hôtellerie, cafés, restauration, événementiel, culture, spectacle vivant, salles de sport - et le transport aérien. Ce dernier secteur a connu une chute sans précédent, avec des perspectives qui restent très incertaines. L'effet sur les sous-traitants comme Daher est considérable, c'est pourquoi nous avons mis en place un fonds de soutien et un fonds d'investissement pour, concrètement, occuper les ingénieurs aéronautiques ; car leur disparition représenterait un coût humain et technologique considérable pour l'ensemble de la société. Je suis informé de la situation à Vendôme, et j'ai reçu voici quelques jours le président de Thales pour rechercher des solutions.
Je félicite les salariés, les représentants syndicaux et la direction d'Airbus pour l'accord qu'ils ont trouvé après des semaines de négociations : les licenciements secs sont évités, ce qui était l'objectif de l'État. Des efforts considérables sont demandés aux salariés, mais nous n'avons pas le choix car les avions ne volent plus. L'État prend toute sa part, avec un plan de soutien à 18 milliards d'euros. Concrètement, il consiste à financer le surcoût des commandes aériennes qui seraient annulées si l'État ne portait pas la garantie financière associée. Un exemple : lorsque les Émirats arabes unis estiment qu'ils n'ont plus besoin d'A380 au vu de l'effondrement du transport aérien, nous payons pour le maintien de la garantie export pour un ou deux ans supplémentaires. Cela se chiffre en milliards d'euros. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour sauver le maximum d'emplois et d'entreprises dans ce secteur d'excellence très fragilisé. Je ne vous cache pas que cela sera dur.
Madame Fournier, la complexité des dispositifs est en effet supportable en période ordinaire, mais pas en période de crise. Dans le cadre de la loi ASAP, nous avons mis en place un guichet unique pour la digitalisation des PME et porté de 40 000 à 100 000 euros le seuil de l'appel d'offres obligatoire pour les contrats publics, ce qui soulagera les petites communes. Nous avons également demandé un raccourcissement des délais administratifs, et nous allons poursuivre dans cette voie.
Les premiers bénéficiaires, en valeur relative, de la baisse des impôts de production seront les PME, qui représentent 25 % de la valeur ajoutée globale du pays mais 30 % du montant de la baisse. Nous sommes attentifs à ce que les PME bénéficient pleinement de nos choix économiques.
Monsieur Gay, j'ai fixé la règle que toute grande entreprise recevant une aide directe de l'État, sous forme de PGE ou d'exonérations de charges, ne distribue pas de dividendes. Une entreprise qui n'a pas assez d'argent pour sa trésorerie n'en a pas assez non plus pour ses actionnaires. J'ai refusé des PGE sur cette base. Puisque le dispositif sera prolongé du 31 décembre 2020 au 30 juin 2021, cette règle sera elle aussi reconduite.
Je rappelle également que les entreprises installées dans un paradis fiscal ne peuvent bénéficier d'aucune aide de l'État.
En réalité, la plupart des aides aux entreprises sont déjà conditionnelles. Pour toucher la prime à l'embauche d'un jeune apprenti, il faut l'embaucher ; pour bénéficier de MaPrimeRénov', il faut faire de la rénovation énergétique ; pour bénéficier de la prime à la conversion automobile, il faut acheter un véhicule électrique ou un véhicule Crit'Air 1. Sur les impôts de production, nous sommes en désaccord : j'estime qu'en les baissant, nous nous mettons au niveau des autres pays européens. Je ne vois pas pourquoi nous imposerions une conditionnalité, puisqu'il s'agit de fixer un cadre plus compétitif et attractif pour les entreprises françaises.
Concernant Suez et Veolia, je suis constant dans mes positions. Je n'ai pas changé d'avis sur ce dossier : la précipitation n'est jamais bonne conseillère. Le 21 septembre, on m'a expliqué que l'opération devait se faire toutes affaires cessantes. Elle a été menée dans la précipitation, sans garanties suffisantes sur l'emploi et la préservation de champions industriels. Or l'affaire est aujourd'hui bloquée. N'aurait-il pas fallu prendre le temps de la discussion pour trouver un accord amiable ? J'ai demandé aux trois représentants de l'État au conseil d'administration d'Engie de voter contre l'opération, pas sur le fond mais sur la manière dont elle a été conduite. Je maintiens ma position. L'État n'étant pas majoritaire, il a été battu, mais c'était son rôle que de rappeler certains principes.
De manière plus générale, chacun doit s'interroger sur son rôle dans l'économie. Les entreprises doivent comprendre qu'elles ont un rôle social à jouer, notamment en matière d'emploi et d'environnement. Nous n'arriverons pas à construire un modèle économique plus juste et efficace si chacun ne prend pas ses responsabilités. Je regrette la décision qui a été prise par le conseil d'administration d'Engie, je pense que nous aurions dû prendre le temps d'un accord amiable, et je considère que la préservation de l'emploi et de la concurrence dans le secteur de la gestion de l'eau et des déchets est importante pour notre pays.
Madame Létard, je vais demander la transmission du rapport de l'IGF sur Action Logement au Parlement. Des discussions sont en cours avec les partenaires sociaux, sous la direction de la ministre du logement, Emmanuelle Wargon. Tout le monde s'accorde sur le diagnostic : la gouvernance n'est pas satisfaisante, les frais de fonctionnement sont trop élevés. Il faut réformer ce système tout en préservant le financement des politiques publiques et en veillant à faire baisser la PEEC, qui est un impôt de production payé par les entreprises. Nous négocions avec les partenaires sociaux, sans brutalité ni précipitation, mais en l'absence d'accord, nous prendrons nos responsabilités.
Monsieur Labbé, plus d'un tiers du plan de relance est consacré aux questions environnementales. On nous reproche souvent de ne pas aller assez vite ; j'estime pour ma part qu'il convient, sans renier nos ambitions, de maintenir une visibilité sur le calendrier et de ne pas forcer la réalité, sous peine de le payer cher en matière d'emploi. Ce n'est pas la taxe carbone en soi qui a provoqué le mouvement des gilets jaunes, mais la concomitance de celle-ci et de la convergence des tarifs du diesel et de l'essence. C'était ambitieux en théorie, mais insupportable pour des millions de nos compatriotes. Je tiens à préciser, monsieur Duplomb, que Bercy avait alerté sur les risques d'une mise en oeuvre simultanée de ces deux mesures.
C'est le même raisonnement qui m'a conduit à étaler sur trois ans, au lieu de deux, la mise en oeuvre de l'abaissement de 138 à 123 grammes d'émission de CO2 au kilomètre le seuil de déclenchement du malus. Il faut laisser le temps aux industriels de s'adapter, au lieu de forcer la machine.
Monsieur Laurent, vous connaissez mon attachement à la filière viticole et à ses produits, mais la bonne politique vis-à-vis de l'administration américaine n'est pas l'accommodement ni la faiblesse. L'OMC nous a autorisés à imposer des sanctions de 4 milliards d'euros sur les produits américains. Nous avons donc le droit de le faire, et nous devons en avoir le courage. M. Trump, et les États-Unis de manière générale, ne respecteront que la force. Nous avons proposé un accord à l'amiable raisonnable, mais le négociateur américain n'en veut pas. Il faut montrer notre détermination, car on ne gagne rien à faire preuve de faiblesse.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie, et vous demande de répondre par écrit aux questions des sénateurs qui n'ont pu intervenir au cours de cette réunion.
Comme vous l'avez dit, le diagnostic sur Action Logement est partagé, mais nous l'avions posé dès l'examen de la loi Elan, monsieur le ministre. Nous avions voté une modification de la gouvernance, mais les décrets d'application n'ont pas été pris. Au conseil d'administration, les commissaires du gouvernement nous ont indiqué qu'ils n'avaient aucune intention de le faire, malgré la volonté du Parlement et du Gouvernement lui-même. C'est une question de démocratie et de fonctionnement de nos institutions. Je vous remercie.
La réunion est close à 19 h 5.
Mercredi 21 octobre 2020
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Sophie Primas, présidente, rapporteur. - Mes chers collègues, nous sommes saisis d'un petit projet de loi qui ne manquera pas d'alimenter de grandes discussions. Avant d'en venir au projet de loi, une fois de plus, j'aimerais avant tout vous rappeler une évidence : nos agriculteurs sont des citoyens naturellement préoccupés par les questions environnementales. Ils sont aux premières loges du changement climatique, dans leur rapport à la nature, mais aussi, malheureusement, les premiers exposés aux conséquences sanitaires des produits phytopharmaceutiques, comme l'a rappelé le travail que nous avons pu mener avec Joël Labbé et Nicole Bonnefoy, notamment, au sein de la mission commune d'information du Sénat sur les pesticides que je présidais en 2011. À ceux qui prétendent le contraire, je rappelle que la transition agroenvironnementale a débuté depuis longtemps dans nos campagnes. Les pratiques sont aujourd'hui profondément plus favorables à l'environnement qu'il y a cinquante ans.
Néanmoins, face à l'urgence climatique, nos citoyens veulent légitimement aller plus vite. Souvent éloignés des cycles naturels de l'agriculture, ils ont du mal à accepter le temps de la transition.
Pour accélérer et réussir cette transformation agricole, un soutien massif aux professions agricoles et un accompagnement au plus près du territoire sont nécessaires. À défaut, le risque est de décourager le monde agricole, déjà confronté à une crise massive des vocations liée à une stigmatisation croissante, à des revenus souvent insuffisants dans presque toutes les filières et à une concurrence féroce de l'emprise foncière urbaine.
Pour relever ce défi, prétendre accélérer les transitions par une logique punitive est contreproductif, sauf à prendre le risque, en interdisant sans proposer de solution alternative, de substituer à notre production, considérée comme la plus sûre du monde, des importations de produits agricoles cultivés ou élevés selon des modes de production interdits en France.
Dans ce contexte, la politique agricole doit s'inspirer de trois principes directeurs pour relever le défi environnemental rapidement. Premièrement, la transition écologique de l'agriculture doit s'appuyer sur la recherche et l'innovation. Deuxièmement, il convient toujours de proposer une alternative crédible avant une interdiction. Troisièmement, en cas d'interdiction de produits phytopharmaceutiques, il faut assurer une lutte effective contre les importations de denrées traitées avec les produits interdits en France. Pourtant, trop souvent, le champ est laissé à une autre politique : manque de moyens dédiés à la recherche d'alternatives ; interdiction à grand renfort de communication médiatique ; porte ouverte aux produits importés.
Je le dis avec un peu de colère et de solennité : si ce cap responsable avait été tenu plus tôt, nous ne serions pas là aujourd'hui à discuter de ce projet de loi. Venons-en justement au cas d'espèce, à savoir la situation actuelle de la filière betterave, laissée sans alternative efficace face aux virus de la jaunisse depuis l'interdiction de l'utilisation des néonicotinoïdes votée en 2016 par le Parlement dans la loi biodiversité.
Soyons clairs : il ne faut pas contester le principe de cette interdiction au regard des risques induits par ces produits pour les pollinisateurs et l'environnement, documentés dans de nombreuses études. Toutefois, l'organisation d'une telle interdiction n'a pas été gérée convenablement, laissant des filières sans solution, sans doute faute d'une étude d'impact préalable sérieuse.
Depuis le 1er septembre 2018, l'utilisation d'insecticides à base de ces substances actives est interdite en France. Aujourd'hui, plus aucun usage n'est permis. Au niveau de l'Union européenne, une seule substance active demeurera autorisée fin 2020, en usage principalement foliaire, ce qui pose au passage une évidente question de concurrence déloyale intraeuropéenne.
Après une première récolte sans épidémie exceptionnelle de jaunisse en 2019, la filière betterave sucrière est confrontée à de graves difficultés cette année. À la suite d'un hiver doux, elle a été confrontée à une vague massive d'attaques de pucerons verts du pêcher, susceptibles de propager plusieurs virus de jaunisse aux betteraves. Il en résulte des rendements historiquement bas dans les départements producteurs du sud de l'Île-de-France, alors que ce sont plutôt les régions du Nord qui sont exposées en temps normal.
Cette asymétrie géographique explique que, sur l'ensemble du territoire, les rendements n'aient diminué que de 15 à 20 % par rapport à la moyenne quinquennale. Les pertes moyennes de rendement dans les régions touchées sont toutefois de l'ordre de 40 à 50 %. Certaines parcelles, touchées à 80 %, sont inexploitables. Pour limiter les effets de ce virus, aucune solution technique suffisamment efficace n'a émergé jusqu'à présent comme alternative aux néonicotinoïdes.
L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) le disait clairement en 2018, il n'y a pas d'alternative non chimique pour la betterave, juste une alternative chimique, le produit « Karaté K », dont la durabilité est limitée en raison de l'apparition avérée de résistance.
Face à cette impasse, les planteurs ont eu l'autorisation d'utiliser deux autres produits, le Tepeki et le Movento, en traitements foliaires, mais ces solutions n'ont pas fait leurs preuves.
À ce stade, il n'y a donc pas d'alternatives suffisamment efficaces, ce que nous ont confirmé l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) et l'Institut technique de la betterave (ITB) lors de leurs auditions. L'Anses est chargée de produire un avis sur ces questions à horizon janvier 2021. Le manque d'alternatives ne provient pas d'une insuffisante mobilisation de la recherche, le projet AKER ayant été lancé dès 2012. Aujourd'hui, des solutions peuvent émerger en matière de biocontrôle, de génétique ou de pratiques culturales nouvelles.
Face à cette situation, le projet de loi prévoit d'accorder jusqu'au 1er juillet 2023 des dérogations à l'utilisation de semences, et uniquement de semences enrobées de néonicotinoïdes, dans le respect du droit européen. Des dérogations similaires ont déjà été octroyées partout en Europe : douze des principaux pays de l'Union européenne producteurs de betterave ont officiellement mis en place de telles dérogations, y compris l'Allemagne et la Pologne.
Pour ce faire, il est nécessaire de modifier la loi biodiversité.
De nombreuses garanties entourent ce projet de loi, notamment un plan de recherche pour trouver rapidement des alternatives, derrière l'ITB et l'Inrae, à hauteur de 20 millions d'euros, dont 7 millions d'euros de fonds publics, ainsi que l'engagement de la filière à mettre en oeuvre un plan de prévention pour limiter l'exposition des cultures mellifères. Les semences seront ainsi enrobées avec 25 % de produit en moins et il sera interdit de cultiver des végétaux mellifères sur une parcelle traitée durant un délai déterminé par arrêté, après avis de l'Anses.
Pour apprécier l'opportunité de ce projet de loi, j'ai acquis, lors des auditions, la conviction qu'il fallait étudier les impacts potentiels d'une absence de dérogation.
Dans les départements les plus touchés - j'ai pu le constater sur le terrain en Seine-et-Marne -, l'équation est simple : après une telle perte, aucun planteur ne sèmera de nouveau des betteraves s'il n'est pas assuré qu'une solution émerge pour se prémunir d'une épidémie identique l'année prochaine.
Les sucreries de ces départements, qui doivent s'approvisionner auprès de planteurs établis à 32 kilomètres en moyenne en France, en raison des difficultés de transport de la betterave, risquent d'être confrontées à une pénurie. Les risques de fermeture d'usines sont importants, surtout pour une industrie aussi lourde et capitalistique. Faute de rentabilité, les sites fermeront définitivement. Rappelons que la filière induit 45 000 emplois parmi les planteurs, les employés des sucreries, les transporteurs, les arracheurs, les acteurs du matériel agricole, etc. C'est tout un écosystème essentiel pour nos territoires ruraux des Hauts-de-France, de la Normandie, de la région Centre, de la région Grand Est et de l'Île-de-France qui est menacé.
En outre, ces fermetures auraient un bilan environnemental désastreux, une réduction importante des sites de production exposant la France à un risque d'importations au bilan carbone discutable, sans compter que le sucre importé sera traité avec les néonicotinoïdes interdits dans notre pays.
Cette situation serait d'autant plus paradoxale que l'impact environnemental de notre production française de sucre a considérablement diminué ces dernières années, tant en matière d'émission de gaz à effet de serre, de consommation d'énergie, d'utilisation de fertilisants ou de produits phytopharmaceutiques par les planteurs. J'ajoute que la betterave est un circuit court ! Elle est transportée sur moins de kilomètres en moyenne que ses concurrents et elle permet, par la pulpe, de fournir une alimentation locale à nos élevages. Pourquoi ne pas défendre aussi ces circuits courts ?
J'ajoute enfin mes inquiétudes sur la souveraineté française. Le sucre est un intrant stratégique dans de nombreuses industries pharmaceutiques, chimiques et agroalimentaires. Si nous fragilisons les fournisseurs en France, nous fragiliserons toute une chaîne de production, y compris les producteurs de gel hydroalcoolique... Après avoir constaté le manque de producteurs de masques au plus haut de l'épidémie, doit-on abandonner aujourd'hui les producteurs de gel hydroalcoolique ?
Je crois que tous ces risques économiques et, finalement, environnementaux justifient notre accord à ces dérogations. Bien sûr, l'interdiction d'utilisation des néonicotinoïdes demeure, et c'est essentiel.
Il y a toutefois, à mon sens, des remarques à faire sur le texte amendé par l'Assemblée nationale et sur ce qu'il n'y a pas dans ce texte.
Premièrement, en prévoyant que les dérogations ne pourront être accordées que pour la betterave sucrière, le texte pourrait être jugé comme inconstitutionnel au regard du principe d'égalité devant la loi. C'est un risque fort que le Gouvernement doit circonscrire en proposant une rédaction adaptée en séance publique. En cas de censure totale du texte, tout le dispositif pourrait être rejeté. À l'inverse, en cas de censure partielle de l'article 2, les dérogations pourraient être autorisées pour l'ensemble des végétaux.
Deuxièmement, ce n'est pas à la loi de déterminer la date à laquelle la recherche trouvera une solution. Fixer une échéance pourrait même être contre-productif. D'ici à 2023, nous sommes sûrs que les recherches avanceront, mais pas qu'elles aboutiront... Toutefois, dans un souci d'efficacité et en raison de l'urgence, je ne vous proposerai pas de modifier ce point.
Troisièmement, si je salue l'initiative du conseil de surveillance, il me semble que son fonctionnement doit être simplifié. Je vous proposerai un amendement à ce sujet.
Il me semble enfin qu'il convient d'insister sur ce qu'il n'y a pas dans le texte. C'est sans doute sur ce point que le Gouvernement doit être le plus actif.
Il ne faut pas rater le virage de l'indemnisation. En raison de la surface moyenne des betteraviers français, le plafond des aides de minimis est trop bas, même pour une indemnisation partielle. Il apparaît donc nécessaire d'obtenir une augmentation exceptionnelle de ces aides pour la filière betterave. J'ajoute que certains industriels vont être confrontés à de graves difficultés de trésorerie faute d'aides du Gouvernement, et ils ne sont pas éligibles aux aides fléchées sur la covid du plan de relance.
En outre, il ne faut pas abandonner d'autres filières qui sont aujourd'hui dans une impasse technique. Je pense à la noisette, confrontée à une absence totale de solution efficace pour lutter contre le balanin, qui peut réduire le rendement jusqu'à 80 %. Je pense également à la figue ou au navet et, plus largement, en dehors des néonicotinoïdes, à la carotte de Créances ou à la moutarde.
Le seul moyen de trouver des solutions est d'augmenter les moyens de la recherche lorsque des impasses techniques sont connues. La réduction de l'usage des produits phytopharmaceutiques va s'accélérer ces prochaines années : il faut s'y préparer aujourd'hui en mettant les moyens adéquats. Un ambitieux plan d'aide à la recherche d'alternatives aux produits phytosanitaires, prioritairement dans les filières connaissant des impasses techniques, doit être mis en place pour trouver des alternatives efficaces, tout en prenant en compte les impératifs économiques des agriculteurs.
Enfin, il faut entamer une lutte efficace contre les importations déloyales. C'est tout le sens de l'article 44 de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim) adopté par le Sénat, dont le respect n'est pas encore assuré. Il faut appeler, là encore, le Gouvernement à prendre ses responsabilités et à agir sur ces questions.
Je vous propose donc aujourd'hui, mes chers collègues, d'accepter le principe de ces dérogations en adoptant ce projet de loi et d'adopter quatre amendements, essentiellement rédactionnels, pour améliorer la rédaction du texte. Je suggère également d'appeler le Gouvernement à prendre des engagements, d'ici la séance publique, sur quatre points : la constitutionnalité de l'article 2 ; l'indemnisation des producteurs et des industriels ; l'aide à la recherche des autres filières sans alternative ; enfin, une meilleure lutte contre les importations déloyales quand un produit est interdit en France.
Je laisse à présent la parole à mon collègue Bruno Belin, rapporteur pour avis du texte au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.
M. Bruno Belin, rapporteur pour avis. - Le rapport pour avis a été adopté hier à l'unanimité moins cinq abstentions. Nous n'avons pas proposé d'amendements.
Nous avons rappelé que l'agriculture française était malade, et combien les agriculteurs étaient les premiers à s'occuper de notre environnement, sans remettre bien évidemment en cause la toxicité du produit visé dans le projet de loi.
Nous avons soulevé le risque constitutionnel de ce texte et estimé qu'il revenait au Gouvernement de trouver une voie de sortie. Nous avons particulièrement insisté sur la recherche, seule façon de progresser. Il faut accompagner et suivre les travaux qui seront engagés d'ici à 2023 et le conseil de surveillance apparaît comme l'outil indispensable de ce suivi.
Nous avons également proposé un mécanisme incitatif qui permettrait d'indemniser les producteurs qui n'utilisent plus de produits ou qui en utilisent moins.
M. Franck Menonville. - La situation de la filière betterave est pire que ce que nous avions envisagé en cours de campagne. Toute la filière est touchée, y compris au Nord et à l'Ouest.
Notre groupe votera ce texte à l'unanimité, non pas de gaieté de coeur, mais par nécessité, pour préserver notre souveraineté en sucre, en alcool et en énergie, ainsi que le mécanisme d'économie circulaire avec la filière élevage.
Mettons à profit les trois ans à venir pour mobiliser tous les acteurs de la recherche. Les producteurs souhaitent prendre des initiatives concrètes, notamment en développant les plantes mellifères en lien avec la filière luzerne. Le problème des abeilles est multifactoriel et tient notamment au manque de diversité de leur alimentation dans certaines plaines, par exemple les colzas qui n'ont pas levé dans l'Est cette année.
M. Daniel Laurent. - Si l'utilisation des néonicotinoïdes était clairement excessive à la fin du siècle dernier, les agriculteurs et les viticulteurs ont accompli des efforts considérables après le Grenelle de l'environnement, en diminuant de 50 % les traitements. La dangerosité des produits a par ailleurs considérablement diminué. On tombe aujourd'hui dans une autre forme d'excès, en refusant tout produit chimique.
Il est certes toujours possible de chercher des alternatives, mais, aujourd'hui, pour qu'une matière active obtienne un agrément, il faut en moyenne dix ans. Ne nous emballons pas, nous sommes dans le temps long, et l'économie doit primer. C'est le rôle de cette commission de le rappeler.
M. Joël Labbé. - Notre souci est en effet de défendre l'économie, mais on ne peut pas la défendre sans tenir compte des aspects environnementaux et de santé publique.
Ce projet de loi concerne tout de même 450 000 hectares de cultures. On sait que 20 % seulement de la substance est absorbée par la plante, le reste allant polluer les sols, les nappes phréatiques et les cours d'eau, avec un impact terrible sur la biodiversité.
Les abeilles ne butinent pas les betteraves, certes, et les pollinisateurs n'ont de toute façon plus leur place sur ces terres cultivées. En revanche, on ignore les conséquences de ces traitements sur le reste de la biodiversité : insectes, vers de terre, flore microbienne du sol, oiseaux insectivores, etc.
Le groupe écologiste s'opposera avec force à ce texte, sur le fond, mais aussi au nom du respect des législations en place. Je renvoie à l'article 3 de la Charte de l'environnement, selon lequel toute personne doit prévenir les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences.
Nous avons aussi voté le principe de non-régression dans la loi biodiversité en 2016 : la protection de l'environnement ne peut faire l'objet que d'une amélioration constante, en tenant compte des connaissances scientifiques et techniques du moment.
Sur l'aspect économique, nous ne voulons pas abandonner les betteraviers, bien évidemment. On peut travailler sur des subventions, selon le modèle existant pour la limitation des pertes. J'observe que la diminution de production tient aussi à la dérégulation et à la concurrence du sucre de canne importé du Brésil. Il conviendrait donc de réguler de nouveau cette production, à l'instar de plusieurs autres d'ailleurs.
Il n'y aura pas de réponse chimique, pas plus pour la betterave que pour une autre culture. La réponse, c'est un autre modèle de culture, respectueux des équilibres environnementaux. L'accent doit être mis sur la recherche publique globale et la recherche collaborative, en lien avec les exploitants qui n'utilisent plus de néonicotinoïdes.
Pousser toujours plus les rendements pour satisfaire une compétitivité exacerbée nous conduit vers une impasse.
M. Jean-Pierre Moga. - Mon département est le premier producteur de noisettes en France. Au moins 60 % de la production est impropre à la consommation cette année. On peut se réjouir de la solution temporaire proposée pour les producteurs de betteraves : ce n'est certes pas la panacée, mais elle permet de continuer à produire.
En revanche, pour la noisette, l'interdiction d'utilisation est totale, et j'avoue ne pas comprendre cette injustice qui consiste à traiter différemment les cultures.
La coopérative Unicoque finance depuis plus de dix ans la recherche de solutions alternatives, mais la lutte contre le balanin est très difficile. Au final, on va finir par importer des noisettes traitées avec les produits que nous interdisons.
Je souligne, en conclusion, que le néonicotinoïde utilisé pour la noisette, le Suprême, disposait en outre du label Abeilles. Avouez qu'il est quelque peu paradoxal de l'interdire...
M. Fabien Gay. - La transition écologique ne peut pas se faire contre les agriculteurs.
Vous balayez un peu vite le risque constitutionnel, me semble-t-il. Dès lors que l'on accorde une dérogation à une filière, il est logique que les autres lèvent aussi la main.
Quel est le pouvoir du politique face à l'économie ? Nous avons voté l'interdiction en 2016 pour une application en 2020 et, dans l'intervalle, rien n'a été fait, ou très peu, par le public comme par le privé, car ils sentaient qu'il serait possible de revenir en arrière. Il n'existe donc pas de garantie que l'on travaille à une alternative crédible d'ici à 2023.
Enfin, plus encore que le puceron, le problème fondamental de la betterave, c'est le système. Fin des quotas depuis 2017, baisse des prix, rémunération des agriculteurs, tels sont les vrais problèmes à régler.
M. Laurent Duplomb. - Cela n'a rien à voir !
Mme Anne-Catherine Loisier. - La solution n'est pas simple. Quelle était la pertinence d'une interdiction systématique en 2016 sans avoir travaillé préalablement avec les producteurs sur les alternatives possibles ? Ce n'est pas seulement un problème de compétitivité. La pire des solutions serait de laisser faire, l'importation de produits étrangers n'étant pas une solution satisfaisante. Nous devons nous interroger sur la viabilité de notre agriculture et l'avenir de nos agriculteurs.
Le groupe Union Centriste soutiendra donc ce texte, et je me permets en conclusion d'attirer votre attention sur la filière moutarde, dont l'indication géographique protégée (IGP) est vouée à disparaître d'ici deux ans. Voulons-nous qu'elle soit remplacée par des importations de moutarde OGM du Canada et des pays de l'Est ?
M. Jean-Claude Tissot. - Il ne faut pas opposer économie et écologie. Le puceron a bon dos. La filière s'est aussi fracassée sur la suppression des quotas et la concentration de la production, qui favorise la propagation des maladies.
Nous devons aussi nous poser la question de la concurrence déloyale de la canne à sucre. Nous ne sommes pas contre le sucre français, mais résolument contre les néonicotinoïdes, d'autant qu'avec l'enrobage, on traite avant même que la plante ne soit malade.
La dérogation accordée à la filière betteraves risque de servir de cheval de Troie au retour des néonicotinoïdes. On le voit d'ailleurs dans les interventions, chaque filière veut son produit. Nous avons des visions différentes de l'agriculture. C'est presque un antagonisme philosophique. Nous devons nous inscrire dans la continuité du plan pour l'agroécologie lancé par Stéphane Le Foll et nous tourner vers le biocontrôle. Autant de recherches que la réintroduction des néonicotinoïdes va stopper net.
J'ajoute pour conclure que le résultat de la campagne 2020 est sensiblement égal à celui de 2015. La problématique ne me semble donc pas tant structurelle que conjoncturelle.
M. Bernard Buis. - On comprend que ce projet de loi suscite des interrogations, mais la situation est dramatique dans certains départements, avec des baisses de rendement pouvant aller jusqu'à 80 %.
Nous choisissons, pour notre part, de sauver la filière de la betterave française, premier producteur européen de sucre, et donc d'accepter, sans enthousiasme, les propositions du Gouvernement, car il n'y a aucune alternative viable à court terme.
Le Gouvernement a assuré qu'un programme supplémentaire exceptionnel de recherche de 7 millions d'euros serait mis en place et qu'un plan permettant de renforcer la protection des pollinisateurs serait élaboré d'ici la fin de l'année. Un comité de suivi et de contrôle garantira en outre le respect de ces engagements. A contrario, nous serons défavorables à tout élargissement supplémentaire du champ de la dérogation.
M. Pierre Louault. - Ce débat ressemble à celui que nous avons eu pour le Round Up : il est assez doctrinaire, et les décisions sont prises à l'aveugle. La suppression des produits doit être progressive, il faut d'abord essayer de les réduire au maximum et rechercher dans le même temps des solutions de remplacement.
Les doctrinaires qui prônent l'interdiction totale des produits sont aussi contre toute évolution de la science. Quand on fait des essais pour sélectionner des espèces plus résistantes, on a des faucheurs qui viennent tout arracher !
Les agriculteurs sont terriblement seuls dans la recherche de solutions novatrices. L'Inrae ne les aide pas, il préfère chercher les nanomolécules qui persistent dans le sol. Soyons raisonnables, n'oublions pas qu'il y a désormais 7 milliards d'êtres humains sur terre. Ou alors, supprimons aussi le téléphone portable et les centrales nucléaires !
Vous ne voulez plus de betteraves en France ? Pas de problème, les Brésiliens sont prêts à mordre encore un peu plus sur la forêt amazonienne pour nous vendre du sucre !
M. Laurent Duplomb. - La meilleure des reconnaissances est de respecter les agriculteurs, ce qui n'était pas le cas de la loi de 2016. Ces derniers n'utilisent pas des produits par plaisir.
L'économie est mondialisée et, si nous continuons sur notre lancée, nous constaterons bientôt la disparition totale de la filière betterave en France. Certains membres de la commission des affaires économiques souhaitent pourtant s'opposer avec force à ce texte, alors que la commission du développement durable n'a enregistré que cinq abstentions...
J'avais prédit en 2019 la disparition de notre
excédent commercial agroalimentaire pour 2023. Mais, au regard des
résultats attendus pour cette année
- 3,5 milliards
d'euros d'excédent seulement -, j'ai peur que mes prévisions
ne se réalisent avant cette date. Notre dette atteindra les
3 000 milliards d'euros à la fin de l'année. Avons-nous
vraiment le luxe de poursuivre les mêmes politiques ? Nous devons
retrouver un discours apaisé sur ces sujets.
Après deux ans d'essais, nous avons la preuve que nous sommes dans une impasse. C'est pourquoi nous sommes favorables à la réintroduction des néonicotinoïdes pour la betterave, laquelle doit aussi s'accompagner de moyens importants pour la recherche, dans l'espoir de pouvoir un jour les supprimer totalement.
Je le dis souvent, l'écologie punitive ne sera jamais tolérée par les Français ! Accepterez-vous un jour qu'une caméra contrôle si vous utilisez trop d'eau ou si vous oubliez d'éteindre la lumière ?
La vision écologiste devrait avant tout réfléchir à la soutenabilité d'un modèle qui, demain, devra permettre de nourrir 10 milliards d'habitants !
M. Daniel Gremillet. - Nous sommes allés dans le mur en voulant absolument afficher des dates qui ne correspondaient nullement à la capacité de la science de répondre aux enjeux du futur.
Le directeur de l'Anses l'a dit la semaine dernière : les produits de substitution risquent d'être pires que les produits actuels. En outre, aucun industriel n'investira dans la recherche dans un pays où le politique affirme haut et fort qu'il n'y aura pas de réponse chimique.
Je serai volontairement provocateur : la covid, finalement, c'est plutôt « bio ». Mais pour sortir de cette crise planétaire, ne cherche-t-on pas précisément des réponses « chimiques » ?
Aucun sénateur ne se risquerait à prendre une décision malveillante pour la santé de l'homme. Ce texte ne concerne pas la santé humaine, mais celle des plantes. Or, en la matière, il faut savoir trouver des compromis pour continuer d'alimenter les Français sur leur territoire.
S'agissant de la recherche sur les semences, il me semble que les jeunes désertent plutôt les centres de recherche français pour aller dans des pays où le champ de recherche est plus vaste et où l'intelligence peut s'exprimer. Ce faisant, tout doucement, nous sommes en train de nous priver de la connaissance. Au-delà de la betterave, on pourrait aussi citer de nombreuses petites filières qui vont disparaître, et dont personne ne se préoccupe.
Par honnêteté, on ne peut pas légiférer sans garantir aux Français que le sucre qu'ils consommeront tous les jours correspondra à leur idéal éthique et économique d'alimentation au quotidien. Le retour en arrière, c'est aussi le risque d'un retour à une espérance de vie plus faible, inférieure à 60 ans. N'oublions pas que la chimie est aussi ce qui permet de soigner les hommes et les plantes.
M. Henri Cabanel. - Je veux moi aussi m'associer au travail qui a été réalisé. Il faut, sur ce sujet passionnant, prendre le temps de la réflexion.
Je vais commencer par ce qui nous unit. Je pense que nous sommes tous d'accord sur la nocivité des néonicotinoïdes. Nous pouvons également être d'accord sur le risque, pour notre crédibilité, de revenir sur les lois votées. Les lois visant à interdire un produit sont souvent adoptées dans la précipitation, sous l'effet de l'action de certains lobbies, sans que nous en connaissions les conséquences. Nous pouvons nous en faire le reproche ! Nous sommes aussi tous d'accord sur la nécessité que les décisions d'interdiction soient prises au niveau européen et que les produits importés respectent les règles européennes et nationales.
J'en viens à ce qui nous divise.
Je suis agriculteur. La vie d'un agriculteur n'est pas un long fleuve tranquille. Il y a des années bonnes et des moins bonnes. Il faut reconnaître que la filière des betteraves a subi un événement sanitaire exceptionnel : jamais les betteraviers n'avaient connu une aussi forte attaque de pucerons. Le métier d'agriculteur est par définition risqué, puisque l'on vit avec la nature.
Nous ne sommes pas d'accord avec le constat d'une baisse du rendement. C'est bien de la filière que nous parlons, et non des agriculteurs qui ont fait ou non le choix de semer de la betterave dans leur exploitation. Il ne s'agit pas, pour ces derniers, de monoculture : la betterave représente entre 5 et 10 % de leur exploitation.
Comme je l'ai déjà dit plusieurs fois ici comme dans l'hémicycle, l'agriculture n'est pas qu'économie : elle recouvre des problématiques économiques, environnementales et de santé. Il faut trouver le juste équilibre entre ces trois axes. Je reconnais que c'est parfois difficile.
Voilà des années que nous organisons des débats et que nous réfléchissons sur la gestion des risques, qu'ils soient économiques, sanitaires ou climatiques, mais nous n'avons jamais réussi à définir une politique de gestion des risques qui assure la sécurité des agriculteurs. Le sujet n'est pas facile, mais nous devons nous y pencher. Sinon, il faudra, demain, voter une nouvelle loi, pour faire face à un nouveau risque. Ce risque doit, à mon sens, avoir un caractère exceptionnel. L'adoption du texte permettra des traitements préventifs. Nous ne sommes pas du tout certains qu'il y aura, l'année prochaine, une attaque de pucerons aussi importante que cette année.
Aujourd'hui, nous avons la possibilité de réfléchir à la volonté des agriculteurs de s'engager dans une transition vers l'agroécologie. Les agriculteurs font des efforts importants, mais on ne peut se permettre de ne compter que sur la bonne conscience de chacun. Seule la loi doit permettre d'avancer vers une agriculture plus vertueuse et plus durable. Il est essentiel de trouver des moyens et une meilleure organisation au niveau de la filière.
Nous n'intégrons pas suffisamment la recherche dans les décisions que nous prenons, mais, aujourd'hui, je crains pour l'image que nous allons donner en revenant en arrière. C'est notre crédibilité qui est en jeu.
Ne soyons pas hypocrites : ce n'est pas à cause du puceron que la filière betteravière se porte mal. Celle-ci était déjà affaiblie, par la fin des quotas notamment. Ne tirons pas prétexte d'un événement exceptionnel pour justifier un retour en arrière, même encadré.
Mon groupe n'est pas encore totalement décidé sur le sort à réserver au projet de loi. L'agriculteur que je suis votera contre a priori, même si j'en comprends l'intérêt pour la filière. Il faut trouver un bon compromis entre l'économie, l'environnement et la santé.
M. Pierre Cuypers. - Madame la présidente, je vous remercie des propos introductifs que vous avez tenus. Je m'y retrouve complètement.
La décision que nous allons prendre est d'une importance vitale. Il faut que nous sachions mettre de côté les passions, la politique, la philosophie et le dogmatisme. Nous sommes devant une réalité économique. Allons-nous, oui ou non, continuer à produire de la betterave sucrière en France ? Voulons-nous, oui ou non, assurer notre indépendance en matière d'approvisionnement en sucre, en alcool, en gel hydroalcoolique, en aliments pour le bétail, en énergie ?
Nous devons prendre une décision dans l'urgence. Les entreprises doivent avoir le temps de fabriquer des semences pour le printemps. Il n'y a plus de temps à perdre. Il faut absolument que nous réussissions à mettre en place la recherche nécessaire pour pouvoir aboutir. Au reste, il n'est tout simplement pas possible d'aboutir d'ici à trois ans. Il n'y aura pas une solution unique : il faudra additionner l'ensemble des solutions, génétiques comme chimiques.
Cher collègue Joël Labbé, je veux rappeler que, dans les années 1970, la culture de la betterave s'étendait sur 800 000 hectares, avec des rendements de l'ordre de 45 à 50 tonnes par hectare et des rendements en sucre inférieurs à 5 tonnes par hectare. Il fallait alors satisfaire les besoins de notre alimentation. Aujourd'hui, les surfaces sont passées à 450 000 hectares. Il faut dire qu'aucune espèce végétale n'a autant évolué que la betterave sur le plan génétique au cours des cinquante dernières années. La betterave produit aujourd'hui 11 à 12 tonnes de sucre par hectare, ce qui nous permet d'être moins dépendants du reste du monde, d'exporter, de créer une richesse supplémentaire pour notre pays de l'ordre de 1,5 milliard d'euros de résultat net et de compter 46 000 emplois directs - au total, ce sont plus de 90 000 emplois qui seront complètement déstabilisés.
Nous allons vivre un drame si nous ne prenons pas une décision judicieuse, non dogmatique. Au quotidien, nous utilisons des produits issus de la chimie et de la recherche, comme le paracétamol, que nous laissons à la Chine le soin de produire. Pourtant, nous sommes capables de le faire chez nous, comme nous sommes capables de produire du sucre sans dépendre du reste du monde.
Chers collègues, je vous appelle à voter de manière sage. Nous devons nous protéger, car nous sommes vulnérables. Nous devons profiter du délai de trois ans pour mettre l'Inrae en capacité de trouver des solutions. L'Anses a avoué que, en 2016, des décisions avaient été prises sans être argumentées scientifiquement. Les produits utilisés aujourd'hui par les betteraviers sont homologués par l'ensemble des instituts. Il existe désormais des solutions qui permettent de produire les quantités de sucre dont nous avons besoin sur 450 000 hectares.
Si nous ne prenons pas la bonne décision, nous irons dans le mur. Une usine qui ferme ne rouvrira pas l'année prochaine.
M. Patrick Chauvet. - L'utilisation des produits phytosanitaires est assez récente dans l'histoire. Nos grands-parents ne les connaissaient pas. On a demandé à l'agriculture d'assurer l'autosuffisance alimentaire en France. Le résultat a été très positif.
L'enjeu est désormais de réduire les produits phytosanitaires. Cette transition vers une agriculture nouvelle en cours est une question de temps et de connaissances.
Il me semble que nous avons surtout un problème de méthode. La construction de la loi n'a pas été caractérisée par l'apaisement et l'équilibre des débats. Selon moi, il n'y a pas de déshonneur à être capable de revenir sur un sujet. C'est une attitude pragmatique, qui vise à servir nos concitoyens.
Nous devons prendre garde à nos décisions. Avec le temps, on n'évoque plus que le pilier environnemental du développement durable. Or l'équilibre de celui-ci repose sur deux autres piliers : l'économie et un volet social et humain, que l'on oublie trop souvent, alors qu'on devrait peut-être le citer en premier.
Derrière la filière betterave de notre pays, il y a aujourd'hui des agriculteurs en souffrance, par manque de reconnaissance et parce que les choses ne sont pas assez construites ni assez apaisées. De nombreux emplois indirects sont également en jeu. Élu local depuis près de trente ans, j'ai vu arriver dans mes permanences trop d'habitants qui avaient perdu leur emploi... Il est difficile de prendre une décision qui risque de laisser certains de nos concitoyens sur le bord de la route, alors même qu'une sucrerie a déjà fermé en Normandie. Faisons attention à ce que nous allons faire. C'est une question de temps dans l'action.
Je souscris complètement à vos propos, madame la présidente. Je voterai évidemment dans le sens que vous préconisez. Il me semble qu'il faut dépassionner nos débats, être plus objectifs et peut-être plus sereins. La réduction des phytosanitaires est assez consensuelle, mais elle risque de mal se passer si l'on y met de la brutalité - c'est ce que vous avez appelé, madame la présidente, « l'écologie punitive ». Regardons dans quel état est notre pays : avons-nous besoin de sujets de discorde supplémentaire ? Notre responsabilité d'élu est de servir de manière apaisée et d'apporter plus de sérénité. Je pense que nous pouvons être capables de trouver les moyens de répondre au problème sans faire souffrir l'humain. C'est essentiel.
M. Franck Montaugé. - Je suis entré dans ce dossier sans a priori. La situation est extrêmement complexe, avec des enjeux très forts pour la filière.
Je souscris totalement à ce qu'a dit Daniel Laurent sur les efforts qu'ont consentis la plupart des filières agricoles pour limiter les produits et aller dans le sens de l'agroécologie. C'est particulièrement vrai dans le domaine viticole. Cela participe d'une restauration de bonnes relations entre la société dans son ensemble et les agriculteurs. À cet égard, je crains que le vote de ce texte, à tort ou à raison, ne dégrade ces relations et l'image des agriculteurs.
Madame la présidente, nous négligeons peut-être trop le risque constitutionnel. Que se passerait-il si ce texte était censuré ? Il faut envisager cette hypothèse sérieusement et se poser la question d'un plan alternatif permettant malgré tout de soutenir les producteurs et les transformateurs concernés. Le besoin financier serait de l'ordre de 100 millions d'euros pour les producteurs et de 100 millions d'euros pour les transformateurs. Or la crise sanitaire et ses conséquences économiques nous mettent dans une situation particulière... Je ne comprends pas pourquoi nous ne formulons pas de propositions très concrètes par rapport à ce risque.
Comme Henri Cabanel, je regrette que l'on procrastine en permanence sur des sujets aussi importants que la mise au point d'outils de gestion des risques en agriculture. Des fonds existent - le Fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE), les contributions volontaires obligatoires (CVO), le fonds de stabilisation du revenu agricole, autorisé par les textes européens mais non mis en oeuvre, voire la première section du Fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA) -, qui pourraient soutenir cette filière, en attendant notamment que la recherche parvienne à trouver des produits de substitution. Je ne rejette pas les travaux de recherche en cours : il faut, de fait, combiner la génétique, les produits biocides et l'agronomie pour s'en sortir.
Je ne comprends pas que certains puissent affirmer que la suppression des quotas sucriers n'a eu aucun impact sur la filière : elle a entraîné des augmentations de production, même si ce n'est pas forcément en France, et une chute des prix. Une fois de plus, on se retrouve face à la question du revenu agricole, que l'on n'a pas correctement traitée et qui, selon moi, est fondamentale pour l'agriculture dans son ensemble. Quand va-t-on se donner comme objectif politique que les producteurs soient rémunérés à la hauteur du travail qui est le leur ? Certains agriculteurs passent leur vie à travailler et ne gagnent pratiquement rien. Cela ne peut pas durer. On ne peut pas souscrire à une logique darwinienne, où les gros deviennent toujours plus gros et tuent les petits, sans jamais régler les problèmes de fond, en particulier celui du revenu agricole.
Mme Sylviane Noël. - Madame la présidente, je vous félicite pour votre rapport de grande qualité sur ce sujet sensible.
J'entends, bien sûr, les difficultés de la filière betterave et les enjeux économiques. J'ai pu lire que, depuis 2016, malgré une interdiction des néonicotinoïdes, la France bénéficiait d'un rendement à l'hectare supérieur à la moyenne européenne en matière de betteraves. Par ailleurs, j'ai cru comprendre que l'invasion de pucerons de cette année était due à des circonstances climatiques exceptionnelles.
Pourquoi permettre la réintroduction par anticipation d'un produit en réponse à des circonstances climatiques exceptionnelles, lesquelles sont, hélas, inhérentes à l'activité agricole ? On connaît tous les conséquences des néonicotinoïdes sur la santé et l'environnement. A-t-on bien dressé le bilan coûts-avantages ?
M. Laurent Somon. - Je veux apporter le témoignage de mon territoire, la Somme, à la fois particulièrement touché par la crise de la covid - l'aéronautique est très impactée par l'épidémie -, et par la jaunisse de la betterave.
Le débat ne peut pas être qu'idéologique. Il faut un équilibre « écolonomique » et social, avec des garanties en termes d'emploi et de santé. Lors de son audition d'hier, Bruno Le Maire a évoqué la nécessité de développer de nouveaux moteurs. Certes, mais cela prend du temps. Essayons déjà de préserver les filières d'excellence, comme la culture de la betterave.
Je rappelle que la filière betterave a aussi un objectif énergétique, avec l'éthanol. Elle a par ailleurs contribué à la production de gel hydroalcoolique. On voit qu'il peut y avoir une diversification des productions dans la filière betterave. C'est important au moment où l'on parle de réindustrialiser notre pays.
La recherche ne peut pas être que chimique, mais elle doit aussi être chimique. On ne peut pas oublier que les plantes sont des êtres vivants. À ce titre, elles doivent être traitées par la chimie. La biologie ne suffit pas.
Cher collègue Fabien Gay, ce qui garantit le succès de la recherche, c'est le contrôle de l'engagement de la recherche et des moyens qui y sont consacrés. Il faudra suivre ces moyens de très près. Nous ne pourrons suivre l'évolution de la recherche sur ces sujets sans disposer d'études indépendantes, produites par l'Anses et l'Inrae.
Il convient de considérer l'impact négatif de la suppression des néonicotinoïdes, le passage de deux à cinq passages de tracteurs par jour induisant un bilan carbone négatif. Les filières s'engagent à prendre en compte les demandes sociétales et environnementales, mais les collectivités doivent aussi s'engager auprès des agriculteurs. C'est ce que fait le département de la Somme.
La réintroduction des néonicotinoïdes peut être choquante, mais elle est nécessaire à court terme. Nous avons besoin de garanties économiques pour les professionnels, mais aussi de garanties environnementales. À cet égard, ce projet me semble équilibré. Énormément d'emplois sont en jeu.
Mme Françoise Férat. - Madame la présidente, j'ai grandement apprécié votre rapport, qui dresse un état des lieux très précis. Tout y est dit. Vos propositions sont intéressantes, précises, raisonnables et équilibrées.
Que fait-on maintenant ? On peut essayer d'avancer, d'entendre les arguments et les propositions, notamment des hommes et des femmes qui, sur le terrain, sont confrontés à ces difficultés au quotidien. On peut aussi ne rien faire et rejeter la faute sur des lois qui ont été mal votées lors de précédentes mandatures... Toutefois, laisser faire ne doit pas devenir une habitude. Nous payons, en ce moment, le prix fort d'une telle attitude.
M. Jean-Marc Boyer. - Je vous remercie de votre présentation, madame la présidente. J'ai également beaucoup apprécié l'intervention argumentée et passionnée de mon ami Pierre Cuypers.
Je suis un transfuge de la commission développement durable, où l'on avait l'habitude de n'aborder les sujets que par un seul prisme. La discussion d'aujourd'hui permet d'appréhender les choses de manière beaucoup plus globale et très intéressante.
Vous avez évoqué, madame la présidente, la nécessité d'une « transition ». Ce mot est important. On ne peut pas aujourd'hui mettre par terre toute une filière qui a déjà beaucoup souffert. Il est important que l'on dispose de solutions qui permettent de réaliser cette transition sans faire trop de dégâts. J'ai vécu la fermeture de la sucrerie de Bourdon, à Clermont-Ferrand, qui a mis 50 employés dehors. Il faut aussi avoir cette réalité économique en tête. La transition doit être préparée et vraiment accompagnée.
Il n'y a pas si longtemps, une ministre souhaitait supprimer la fabrication des bouteilles plastiques en France. C'était ignorer qu'il y a, derrière, toute une économie et près de 30 000 à 40 000 personnes qui vivent de l'embouteillage. Au demeurant, avec la crise sanitaire, il n'y a plus personne aujourd'hui pour dire qu'il ne faut pas utiliser de plastiques : nous avons besoin de plexigas, de blouses, de masques...
Il faut réfléchir et trouver des solutions pour opérer une transition juste. Nous devons être réalistes. Je ne pense pas qu'il faille dépassionner le débat. Je crois qu'il faut, au contraire, le passionner et être absolument offensif. Des solutions mi-figue mi-raisin ne seraient pas satisfaisantes sur ces enjeux sociétaux importants.
M. Olivier Rietmann. - Je veux commencer, madame la présidente, par saluer votre courage. Votre rapport est excellent, mais il faut du cran pour aller au front et défendre les agriculteurs aujourd'hui. Je vous sais gré d'assumer cette responsabilité.
La France a toujours pu compter sur les agriculteurs. Dans les années 1960 et 1970, on a mis à leur disposition un certain nombre de produits phytosanitaires et on leur a demandé de produire. Il fallait alors atteindre l'indépendance alimentaire et un excédent de la balance commerciale. Depuis trente ou trente-cinq ans, on demande aux agriculteurs de produire mieux, d'utiliser beaucoup moins de produits et de diminuer considérablement leur impact sur l'environnement. Là encore, nous avons pu compter sur eux. L'agriculture française est celle qui a le plus réduit en trente son utilisation de produits phytosanitaires, que j'appelle plus volontiers « produits de soin de la plante ». Elle est aujourd'hui la plus sûre, la plus tracée et la plus durable au monde. C'est dire l'effort qui a été fait pas les agriculteurs !
Pourtant, je m'interroge : quand l'agriculture française va-t-elle sortir du purgatoire ? On lui a fait comprendre qu'elle avait dégradé partie de l'environnement en utilisant des produits polluants. On lui a imposé une phase de rattrapage, demandé de faire ses preuves... L'heure est à l'agribashing dans les médias : on accuse l'agriculture d'être responsable de beaucoup de maux.
Ce texte, que je voterai des deux mains, est l'occasion de montrer à l'agriculture française qu'en contrepartie de tous les sacrifices qu'elle a consentis nous répondons présents quand elle a besoin de nous. C'est l'occasion de lui délivrer un message très important, alors qu'une véritable crise des vocations existe aujourd'hui dans le monde agricole.
Le nouvel élu que je suis est choqué par l'attitude de certains, qui se disent conscients du problème, mais rejettent la solution proposée, alors qu'il n'y en a pas d'autres pour l'instant. Cela revient à proposer à un malade de lui couper la jambe parce que les médicaments sont susceptibles d'avoir des effets secondaires.
Montrons à l'agriculture que nous lui sommes reconnaissants des efforts qu'elle a faits, sans pour autant lui donner un blanc-seing.
Mme Sophie Primas, présidente, rapporteur. - Je vous remercie de vos encouragements.
Je vous remercie d'avoir tous insisté sur le fait que le Sénat doit être particulièrement attentif à la qualité de la loi et aux conséquences des décisions qu'il prend, parfois de façon abrupte. Je rappelle que l'interdiction des néonicotinoïdes a été introduite à l'Assemblée nationale par la voie d'un amendement déposé par Mme Batho, donc sans aucune étude d'impact, ce qui, dans l'esprit des textes qui nous régissent, pose problème.
Loin des postures politiques, le Sénat doit de temps en temps avoir le courage de dire que la qualité de la loi doit prévaloir sur l'émotion et sur l'impact médiatique des décisions. À cet égard, je continue à considérer qu'inscrire une date dans le projet de loi nous expose au risque de devoir recommencer d'ici un an ou deux.
Un autre risque est que le Conseil constitutionnel considère l'article 2 comme inconstitutionnel parce que créant une rupture d'égalité en faveur de la betterave sucrière, alors que d'autres espèces de végétaux se trouvent dans la même situation agronomique, c'est-à-dire dans l'incapacité de bénéficier d'alternatives. Nous en avons recensé une dizaine, mais, de notre point de vue, seuls le navet et peut-être les betteraves autres que sucrières présentent des caractéristiques strictement identiques. Je répète que je demanderai au Gouvernement d'apprécier le risque d'inconstitutionnalité et de nous proposer la solution qui permettrait de régler ce problème. Si l'article 2 devait être supprimé, la loi s'appliquerait à toutes les variétés. Si c'est l'ensemble du texte qui est censuré, le problème de la betterave restera entier.
Légiférer en laissant de petites filières agricoles dans l'impasse me semble extrêmement préjudiciable au niveau régional et pour la diversité même de notre agriculture. C'est absolument contraire à ce que nous recherchons tous.
Joël Labbé a évoqué la régression environnementale. Cet angle d'attaque contre la réintroduction des néonicotinoïdes par voie de dérogation me paraît procéder d'une vision très étroite. Il faudrait considérer non seulement le champ de betteraves dans lequel on va utiliser les néonicotinoïdes, mais aussi l'ensemble de la filière, car, si nous préservons nos champs de la réintroduction par voie de dérogation des néonicotinoïdes pendant une période limitée, nous mettrons en péril l'ensemble de la filière. Nous ferons donc fi de tous les efforts environnementaux qu'a consentis notre industrie sucrière, dont la consommation de fertilisants et de phytosanitaires a baissé de 70 % lors des dernières années et qui a émis 40 % de gaz à effet de serre de moins en vingt ans : c'est un avantage par rapport à l'ensemble des sucreries des pays étrangers. Au Brésil, où Bolsonaro a permis la reprise de la culture de canne à sucre, la déforestation a augmenté de 30% depuis deux ans. Or 1 hectare de betterave correspond à 1,6 hectare de canne à sucre ! Pour apprécier la régression pour l'environnement, ne regardons pas seulement le champ dans lequel va être plantée la betterave : ayons une vision beaucoup plus large, incluant l'industrie et l'ensemble des pays.
M. Laurent Duplomb. - Très bien !
Mme Sophie Primas, présidente, rapporteur. - Jean-Claude Tissot affirme qu'une baisse de production de 10 ou 15 % sur la campagne de cette année n'est pas grave, qu'elle est conjoncturelle, et non structurelle. Je ne partage pas cette vision. Sur la culture de la betterave et sa transformation par l'industrie sucrière, la vision moyenne n'est pas pertinente. Les visions ne peuvent être que locales, puisque c'est bassin par bassin qu'il faut réagir. Il y a des planteurs là où il y a des sucreries. À l'inverse, s'il n'y a pas de production de betteraves, c'est la sucrerie entière qui ferme. La concentration des planteurs autour des entreprises de transformation est majeure dans la compétitivité de notre industrie sucrière. Or de nombreux bassins au Sud de Paris sont très touchés.
Je veux rappeler, à ceux qui les dénoncent, que la fin des quotas a été décidée à une période extrêmement précise. À chacun d'assumer ses décisions...
Je pense effectivement que la filière sucrière connaît des difficultés structurelles en raison de la mondialisation du marché, de la fin des quotas et de la baisse des prix. D'ailleurs, nos deux gros groupes sucriers ont fait énormément d'efforts de compétitivité, quitte à fermer des sites, ce qui a été extrêmement douloureux dans certains territoires.
Mais on ne peut pas dire que la crise des pucerons n'est qu'un épiphénomène qui n'aura pas de conséquences durables ! Dans l'univers extrêmement capitalistique d'une sucrerie, il faut environ 100 à 110 jours d'ouverture dans l'année pour que l'usine soit compétitive. Et je parle non pas des grandes coopératives, que certains d'entre vous refusent, mais des sucreries indépendantes. Il y en a encore deux en France. Ces deux sucreries familiales, qui ont des contrats avec les agriculteurs, qui rémunèrent les planteurs davantage que les coopératives, qui ont investi pour être compétitives. En raison de cette campagne courte et des faibles volumes de sucre produits, elles sont aujourd'hui en très grande difficulté financière, alors que leur bilan et leurs comptes d'exploitation étaient sains jusqu'à cette saison.
Nous devons être attentifs à la réalité, aux conséquences de la fin des quotas et à l'organisation de notre marché. Mais il ne faut pas nier que cette année de baisse drastique des rendements sur des zones particulières de notre pays est tout à fait dramatique pour la pérennité de notre industrie sucrière.
Je me suis moi aussi interrogée sur la pertinence du traitement des seules semences, avant que le mal arrive. Les chercheurs travaillent sur les observatoires de l'arrivée des pucerons. C'est un axe de recherche très intéressant. À en croire l'Inrae, l'Anses et les professionnels, épandre du foliaire sur une parcelle est bien plus dangereux que pratiquer la microchirurgie au niveau de la semence : les ruissellements sont bien supérieurs et le biotope du sol est bien plus attaqué. Il faut trouver un équilibre entre le risque qui découlerait de l'intervention à des niveaux encore inférieurs à ce qui se fait actuellement sur les semences enrobées et l'aspersion à tout va sur l'ensemble de la parcelle. Ce sont les traitements préventifs bien ciblés qui me semblent les moins susceptibles de dégrader l'environnement.
Cher Fabien Gay, je ne peux vous laisser dire que rien n'a été fait en matière de recherche et développement, à la fois parce que l'Inrae travaille depuis maintenant dix ans sur des programmes et parce que l'Institut technique de la betterave investit sur ses propres fonds depuis une dizaine d'années sur la sélection de la betterave, pour la rendre plus résistante à l'ensemble des maladies, mais aussi plus rentable. C'est d'ailleurs parce qu'ils emmènent avec eux une dizaine d'années de recherche et de développement sur la résistance de la betterave que les professionnels acceptent aujourd'hui de plus ou moins bon gré le délai de trois ans.
Cher Daniel Gremillet, je présenterai en séance un amendement sur la question de l'honnêteté à l'égard des Français, afin qu'il ne soit pas possible de laisser entrer sur notre territoire des produits interdits alors que nous nous serions donné bonne conscience dans la loi.
Cher Franck Montaugé, je pense qu'en ne prévoyant que des dérogations temporaires et placées sous la surveillance d'un comité de surveillance, nous allons dans le sens de l'agroécologie, sans braquer ni les agriculteurs ni la population. Je comprends votre crainte sur l'image des agriculteurs, mais c'est précisément à notre assemblée de travailler à l'apaisement des relations entre le monde agricole et le monde civil.
J'aurais évidemment souhaité faire figurer dans le projet de loi des propositions sur les indemnisations, mais l'article 40 de la Constitution m'empêche de le faire. J'espère que ces propositions seront couvertes par le projet de loi de finances.
La gestion des risques est un sujet majeur, sur lequel nous devons vraiment travailler, pour les agriculteurs, mais aussi, compte tenu de la singularité de la betterave, pour tout l'écosystème, y compris industriel. Les enjeux se chiffrent en centaines de millions d'euros.
Mes chers collègues, je vous remercie de la qualité de la discussion et de votre engagement.
Je vous propose, en application de l'article 45 de la Constitution, de considérer qu'entrent dans le champ des dispositions présentant un lien direct ou indirect avec le texte les mesures relatives aux modalités dans lesquelles sont interdits les usages de produits phytopharmaceutiques et les conséquences à en tirer.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Mme Sophie Primas, présidente, rapporteur. - Les amendements COM-1, COM-3 rectifié bis et COM-5 visent à supprimer l'article 1er.
Les amendements COM-1, COM-3 rectifié bis et COM-5 ne sont pas adoptés.
M. Joël Labbé. - Pouvez-vous me confirmer que la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a voté favorablement le rapport à cinq abstentions près ?
Mme Sophie Primas, présidente, rapporteur. - Oui, à notre grande surprise.
L'amendement COM-6 a pour objet de supprimer la mention d'un décret qui dresse la liste des substances actives interdites. Or ce décret est nécessaire pour assurer la conformité de l'interdiction de l'usage de néonicotinoïdes en France avec le droit européen. Un contentieux est d'ailleurs en cours devant le Conseil d'État.
L'amendement COM-6 n'est pas adopté.
Mme Sophie Primas, présidente, rapporteur. - L'amendement COM-7 tend à autoriser l'utilisation de traitements foliaires et de semences traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant uniquement des néonicotinoïdes autorisés au niveau européen. Ne demeurera autorisé au niveau européen que l'acétamipride, qui est essentiellement utilisé en application foliaire. Dans l'analyse des risques et dans l'intérêt de l'environnement, je préfère m'en cantonner aux semences enrobées.
M. Joël Labbé. - Nous avons beaucoup réfléchi à cet amendement de repli. Nous nous sommes positionnés en fonction de la situation allemande, qui est souvent montrée en exemple. L'Allemagne n'a pas autorisé l'enrobage de semences. La démarche est ciblée : elle n'est plus préventive, mais curative, suffisamment précoce et assortie d'une vigilance. Il s'agirait pour nous d'un moindre mal sur le plan environnemental global. Le risque est déplacé du sol vers l'air.
Mme Sophie Primas, présidente, rapporteur. - À ce stade, si l'on fait une intervention foliaire en cas de pucerons, le produit tombe sur la terre, car la plante n'est pas assez développée. En outre, quand le développement est plus important, les pucerons sont souvent sous les feuilles.
L'amendement COM-7 n'est pas adopté.
Mme Sophie Primas, présidente, rapporteur. - L'amendement COM-10, que je vous propose d'adopter, vise à remplacer les mots « de l'Institut technique de la betterave, de l'Institut technique et scientifique de l'apiculture et de la pollinisation » par les mots plus génériques « des instituts techniques », ce qui permettra au Gouvernement d'ajouter, par exemple cher Joël Labbé, l'Institut technique de l'agriculture biologique.
L'amendement COM-10 est adopté.
Mme Sophie Primas, présidente, rapporteur. - L'amendement COM-9, que je vous propose d'adopter, entend fixer, par décret, un délai maximum pour la remise de l'avis sur les dérogations du conseil de surveillance.
L'amendement COM-9 est adopté.
Mme Sophie Primas, présidente, rapporteur. - L'amendement COM-11 a pour objet de sécuriser le calendrier de publication des éventuelles premières dérogations. Nous sommes aujourd'hui dans l'urgence, bien qu'il s'agisse de phénomènes au long cours. Les dates que je vous propose permettraient une harmonisation et une prise de décision très rapide.
M. Joël Labbé. - Avec l'amendement COM-8, nous proposons d'attendre les conclusions de l'Anses, qui mène ce travail.
Mme Sophie Primas, présidente, rapporteur. - Cela nous mettrait hors délai pour la saison suivante. Les planteurs décideront de ne pas replanter.
L'amendement COM-11 est adopté ; l'amendement COM-8 devient sans objet.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Sophie Primas, présidente, rapporteur. - Les amendements identiques COM-2 et COM-4 rectifié bis ont pour objet de supprimer l'article 2. J'y suis défavorable. Je signale que, si l'article 1er était adopté, la suppression de l'article 2 aurait pour conséquence que le projet de loi s'applique à l'ensemble des végétaux.
M. Fabien Gay. - Nous avons souhaité supprimer les deux articles du projet de loi, auquel nous sommes opposés. J'entends que la suppression du seul article 2 irait contre ce que souhaitons, mais nous maintenons l'amendement, dont nous pensons qu'il ne sera pas adopté, pour permettre le débat.
M. Jean-Claude Tissot. - De même, nous maintenons l'amendement COM-4 rectifié bis.
M. Laurent Duplomb. - Je m'abstiendrai sur ces amendements. Je suis moi aussi favorable à la suppression de l'article 2, parce qu'elle réglerait le problème de constitutionnalité que risque de poser le traitement différent de deux cultures totalement identiques.
À cet égard, nous devrions nous demander si le texte ne devrait pas mentionner les navets et les betteraves sucrières. Nous pourrions peut-être trouver un compromis en ce sens avec l'Assemblée nationale.
Les amendements COM-2 et COM-4 rectifié bis ne sont pas adoptés.
L'amendement rédactionnel COM-12 est adopté.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Les sorts de la commission sont repris dans le tableau ci-dessous :
Proposition de loi pour la mise en place d'une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinée au grand public - Examen des amendements au texte de la commission
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous allons maintenant examiner les amendements de séance déposés sur le texte de la proposition de loi pour la mise en place d'une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinée au grand public.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Laurent Lafon, auteur de la proposition de loi, et moi-même avons essayé de travailler en étroite collaboration avec le Gouvernement, de manière à rendre ce texte, qui pose un principe de meilleure information du consommateur en matière de sécurité, aussi compatible que possible avec les prochains dispositifs européens de cybersécurité.
Globalement, nous sommes favorables à l'amendement n° 4 déposé par la Gouvernement, afin de donner à la proposition de loi la possibilité de prospérer. Cet amendement vise à axer l'article 1er sur un volet relatif à l'information des consommateurs, ce qui est fidèle au coeur même du dispositif de la proposition de loi.
En revanche, il tend à supprimer le diagnostic a priori sur lequel l'information du consommateur était censée reposer, pour ne privilégier que le contrôle a posteriori par les services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui pourraient recevoir l'appui de ceux de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi). Cette suppression a un intérêt pratique : elle évite de créer une usine à gaz avec des mises à jour et des débats sur les indicateurs, mais elle n'est pertinente que si deux conditions sont réunies dans la mise en oeuvre. Il faut, d'abord, que les indicateurs retenus dans le dispositif d'information du consommateur soient suffisamment ambitieux et pertinents pour garantir contre les risques pesant sur la sécurité des données. Il faut, ensuite, que la suppression de l'obligation de diagnostic a priori se traduise par des moyens de contrôle a posteriori renforcés confiés à la DGCCRF. Nous connaissons toutes les difficultés que cela peut occasionner dans d'autres secteurs. Nous serons donc particulièrement vigilants quant à la mise en oeuvre réglementaire du dispositif. Je vous propose ainsi, mes chers collègues, d'interroger le ministre en séance sur ces deux points.
Le Gouvernement nous a confirmé que la suppression de la mention inspirée du nutriscore, pour un accès facile du consommateur, ne signifie pas pour autant qu'il renonce à l'idée de présenter un « cyberscore » sous forme de système d'information coloriel : il estime simplement que ce point relève surtout du pouvoir réglementaire. Je vous proposerai de le suivre sur cette question.
Nous sommes, en revanche, en désaccord sur le champ d'application : le Gouvernement propose de revenir à la notion d'opérateur de plateforme, au sens du code de la consommation, qu'il considère comme plus « sûre ». Cette modification aurait pour effet de restreindre le champ de la proposition de loi, notamment parce que les services de visioconférence qu'elle ciblait au premier chef ne seraient pas inclus. C'est pourquoi je défendrai un sous-amendement AFFECO.1 permettant de conserver un champ d'application élargi. Sous réserve de l'adoption de ce sous-amendement, la logique vertueuse de coconstruction avec le Gouvernement m'amène à vous inviter à le suivre. Je vous propose donc d'émettre un avis favorable.
En conséquence, je vous propose de solliciter le retrait des trois autres amendements déposés à cet article. L'amendement n° 2 de M. Le Gleut vise à fixer la durée du diagnostic à un maximum d'un an ; il devient donc sans objet. L'amendement n° 1 rectifié bis du groupe socialiste, écologiste et républicain, tendant à un avis de la CNIL, est satisfait par l'amendement du Gouvernement. Enfin, l'amendement n° 3 de M. Lafon devient sans objet, puisqu'il est incompatible avec l'amendement du Gouvernement, qui renvoie les sujets au niveau réglementaire.
M. Daniel Gremillet. - Le sous-amendement est absolument important dans le contexte actuel. Son adoption conditionne mon vote favorable à l'amendement du Gouvernement.
M. Franck Menonville. - Je partage l'avis de Daniel Gremillet.
M. Franck Montaugé. - L'amendement de notre groupe étant satisfait par l'amendement du Gouvernement, nous le retirerons.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 4, sous réserve de l'adoption du sous-amendement AFFECO.1.
La commission demande le retrait des amendements nos 2, 1er rectifié bis et 3, et, à défaut, y sera défavorable.
Article 2
La commission émet un avis favorable à l'amendement de suppression n° 5 du Gouvernement.
Les avis de la commission sont repris dans le tableau ci-dessous :
La séance est close à 12 heures.