Jeudi 17 septembre 2020
- Présidence de M. Jean-Marie Mizzon, président -
La réunion est ouverte à 14 h10.
Examen du projet de rapport
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Nous nous réunissons aujourd'hui pour clôturer nos travaux, débutés le 24 mars. Nous devions commencer nos auditions le 31 mars, mais la pandémie de Covid-19 a décalé le début de nos travaux au 18 mai. Nous avons donc accéléré le rythme des auditions, grâce aux visioconférences, qui se sont poursuivies jusqu'au 15 juillet et se sont closes la semaine dernière, avec les auditions de la présidente du Conseil national du numérique et du secrétaire d'État chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Au total, 90 personnes environ auront été entendues notamment à l'occasion de quatre tables rondes, et d'un déplacement sur un « Territoire d'action pour un numérique inclusif ».
Le plan de relance a annoncé 250 millions d'euros en faveur d'une politique plus ambitieuse que la Stratégie nationale pour un numérique inclusif de 2018, qui, jusqu'à présent, ne bénéficiait que de 30 millions d'euros de crédits d'État. Il a le mérite d'une prise de conscience partagée par tous du caractère prioritaire d'une montée en compétences numériques de nos concitoyens.
En effet, l'illectronisme approfondit la fracture sociale et générationnelle et devient un handicap majeur dans une société toujours plus numérisée, particulièrement dans les relations avec une administration qui ferme ses guichets, réduit son implantation territoriale et met le cap sur le 100 % dématérialisé.
Notre mission s'est attachée à évaluer la politique publique d'inclusion numérique : est-elle assez financée, assez efficace, bien outillée ?
Cette politique a une dimension territoriale essentielle : le secrétaire d'État a admis lors de son audition que l'État était tout simplement dans l'incapacité de la déployer sans les collectivités locales. Or, 32 départements manquent encore à l'appel de ce déploiement. Il n'est bien entendu pas envisageable qu'ils ne puissent bénéficier des 250 millions d'euros annoncés. L'enjeu est donc celui de l'accélération et de l'amplification de ce qui a été fait jusqu'à présent, en vue d'une diffusion territoriale complète.
Dans notre évaluation de la politique publique de l'inclusion numérique, particulièrement complexe tant les acteurs sont nombreux, nous avons eu le sentiment qu'un effort substantiel en faveur de la médiation numérique était indispensable pour mieux aider les publics les plus fragiles, notamment en situation de handicap, mieux lutter contre l'exclusion par le coût, angle mort de la politique publique, construire une « éducation 2.0 » et engager un « choc de qualification » numérique des salariés, commerçant et artisans.
La médiation numérique et l'aide à la formation au numérique doit par ailleurs se professionnaliser et devenir un métier, pivot de la politique d'inclusion. Elle doit fédérer une coalition d'acteurs la plus large possible en intégrant non seulement les collectivités locales, dont la mobilisation et la prise de conscience de cet enjeu sont indispensables, mais également les opérateurs sociaux.
Nos travaux permettent aujourd'hui de formuler une quarantaine de propositions, auxquelles je souscris, et que je laisse à présent à Raymond Vall le soin de présenter.
M. Raymond Vall, rapporteur. - Le numérique est porteur de promesses d'amélioration de la qualité de vie, d'inclusion sociale, d'augmentation des connaissances et des capacités en chacun. Il est aujourd'hui synonyme de progrès pour tous.
Pourtant, 14 millions de Français au moins ne maîtrisent pas le numérique, et près d'un Français sur deux n'est pas à l'aise. Si la France est dans la moyenne européenne, la situation n'est pas satisfaisante.
Les personnes en situation de handicap, qui représentent une personne en exclusion numérique sur cinq, subissent une double peine. Si les sites en ligne doivent être théoriquement accessibles, seulement 13 % des démarches administratives leur étaient réellement accessibles en avril 2020.
Les personnes détenues, les patients hospitalisés sans leur consentement et les étrangers sont davantage encore des exclus du numérique, tout comme les personnes illettrées, au nombre de 2,5 millions, car le numérique est textuel.
Quelle que soit la forme, l'exclusion numérique constitue un handicap majeur dans une société toujours plus numérisée. L'accélération de cette évolution avec le confinement et le développement du télétravail rendent encore plus urgente l'inclusion numérique du plus grand nombre. Les exclus de la société hyperconnectée ont le sentiment d'être des citoyens de deuxième zone, et l'humiliation vire parfois à la colère.
Entreprise depuis 1998 par tous les gouvernements successifs, la dématérialisation généralisée des services publics, engagée à marche forcée pour 2022, laisse sur le bord de la route trois Français sur cinq, incapables de réaliser des démarches administratives en ligne. L'Inspection générale des affaires sociales (Igas) elle-même n'a pu réaliser, en décembre 2019, un test de demande d'aide au logement en ligne !
Le droit de saisine des administrations par voie électronique est devenu, dans les faits, une obligation, même si le Conseil d'État a rappelé, le 27 novembre 2019, l'absence de caractère juridiquement obligatoire de cette saisine par voie électronique.
Cette dématérialisation pourrait permettre d'économiser chaque année 450 millions à l'État. La gestion de la complexité administrative est externalisée vers les usagers, qui ne peuvent se retourner vers les guichets des administrations, lesquels ont fermé. L'ergonomie des sites publics est très en retard. Beaucoup d'usagers se découragent et renoncent à leurs droits.
Pendant le confinement, l'éducation nationale a basculé dans le tout numérique, outil de la continuité pédagogique. Les inégalités entre élèves et enseignants se sont révélées, soulignant la carence d'une obligation de formation au numérique du corps enseignant. Or, contrairement à une idée reçue, les jeunes, y compris les étudiants, manquent également de compétences numériques.
Le numérique, s'il peut à la marge mieux garantir les droits sociaux en repérant les bénéficiaires potentiels, constitue, pour les bénéficiaires réels, un obstacle croissant d'accès à leurs droits. Malgré des efforts récents, les opérateurs offrent rarement des outils de repérage des fragilités numériques et de formation au numérique.
Les exclus du numérique se tournent de plus en plus, pour garantir leurs droits, vers les travailleurs sociaux, qui, dans 75 % des cas, effectuent des démarches à la place de l'usager, et vers les bénévoles des associations d'aide aux personnes en grande précarité, lesquels sont de plus en plus débordés. Plus la dématérialisation s'accélère, plus la demande d'assistance numérique croît.
Pour les salariés, l'accès à l'emploi est désormais conditionné à la maîtrise du numérique. Toutefois, 12 % des demandeurs d'emploi ne le maîtrisent pas. Dans l'emploi, le numérique constitue désormais une compétence professionnelle de base. Le numérique envahit toute l'économie, y compris les métiers traditionnels, et pas seulement dans l'industrie du futur. Le numérique n'est pas non plus une porte dérobée de retour à l'emploi pour les décrocheurs scolaires, malgré certains parcours individuels exemplaires grâce à un réseau d'écoles du numérique à la pédagogie disruptive.
Le confinement ayant souligné que 5 millions de salariés rencontrent des difficultés face au numérique, il est urgent de prendre la mesure du défi d'une économie en compétition avec d'autres dans la société de la connaissance, clé de la compétitivité du XXIe siècle.
Pour les citoyens, si le recours au vote par Internet demeure limité, les procédures participatives recourent plus fréquemment au numérique, comme le référendum d'initiative partagée ou le droit de pétition devant le Parlement. La culture numérique est également un élément de l'information indépendante, qui permet de surmonter les manipulations de l'opinion.
Si nos sociétés ont pris conscience de cette prégnance du numérique, l'illectronisme, dont les conséquences sur le pacte social sont dévastatrices, a pour sa part longtemps été sous-estimé.
L'appropriation du numérique s'est faite, tant par les professionnels que par le grand public, par autoformation. Nous sommes tous des autodidactes sur Internet. Chacun est supposé savoir utiliser des outils numériques vendus comme « simples », voire « intuitifs ».
Cependant, si le risque d'illectronisme a été pointé par Lionel Jospin dès 1999, les pouvoirs publics ont longtemps considéré que l'équipement numérique suffisait, et en ont fait leur priorité. Or, une tablette magique ne suffit pas à effacer la fracture numérique. Celle-ci s'est même élargie outre-mer, ces territoires n'ayant pas bénéficié de la baisse des prix de la téléphonie mobile.
La priorité a longtemps été la couverture numérique du territoire, et non la maîtrise des usages par les personnes. Pourtant, de nombreux rapports ont souligné l'urgence de fournir à chacun un mode d'emploi du numérique. Une première tentative de structuration de l'aide aux usages numériques a certes eu lieu de 2000 à 2014, avec les « cyber-bases ». Mais elle s'est soldée par un échec dont les conclusions n'ont pas été toutes tirées : atomisation des initiatives, coordination insuffisante, absence de qualification d'une offre de médiation numérique insuffisamment professionnalisée.
Alors que France Stratégie met en valeur, dans un rapport de 2018, les bénéfices attendus d'une meilleure autonomie numérique, chiffrés à 1,6 milliard d'euros par an si la fracture numérique se résorbait, une « Stratégie nationale pour un numérique inclusif » est lancée la même année.
Volontariste, annonçant des parcours d'accompagnement dès l'été 2018, elle manque toutefois d'ambition financière. Alors que le rapport Borloo avait imaginé un « plan de bataille national » de 600 millions par an pour combattre l'illectronisme et favoriser la formation linguistique des personnes immigrées, et que le Gouvernement avait initialement évoqué un financement global de 100 à 150 millions d'euros, ce ne sont finalement que 10 millions puis 30 millions d'euros qui sont respectivement mobilisés en 2019 et 2020 pour le déploiement du principal outil de la stratégie nationale, le pass numérique, pour former d'ici à 2022 2,5 millions de Français éloignés du numérique.
Le plan de relance, présenté en septembre 2020, acte d'ailleurs l'insuffisance des moyens initialement alloués à la Stratégie, de même que sa faible ambition. Le Gouvernement entend désormais consacrer 250 millions d'euros d'ici 2022 à la formation de 4 millions de Français.
La mise en oeuvre de cette Stratégie est cependant à la peine. Seuls 209 000 pass numériques, qui doivent servir à payer la formation numérique, ont été achetés à ce jour, et peu ont été utilisés, obérant la cible de 2,5 millions de Français formés d'ici 2022. La mission d'information est bien consciente des difficultés rencontrées dans l'élaboration et l'application de cette politique nouvelle, mais le rythme de déploiement doit s'accélérer, compte tenu de l'urgence économique et sociale.
Dans certains territoires, le manque de médiateurs labellisés, répondant à une exigence de qualité et capables d'accompagner les personnes vers l'autonomie numérique, est criant. L'équilibre économique de la formation au numérique n'est pas bien calibré : le pass numérique semble avoir été fixé à une valeur trop faible (10 euros), si bien que les heures de formation et leur rémunération sont insuffisantes pour solvabiliser les prestataires, associations ou start-ups.
La structuration des lieux de formation au numérique manque de clarté et plusieurs labels se sont déployés en silos sans coordination entre eux : aux Hubs France Connectée, interdépartementaux mais ne couvrant que la moitié des départements, et aux territoires d'action pour un numérique inclusif, lancés par le secrétariat d'État au numérique, se sont ajoutés, en décembre 2018, les maisons France Service, qui seront déployées dans chaque canton d'ici 2022, puis, en février 2020, les tiers lieux « Fabriques de territoire », La Poste étant par ailleurs prête à participer à la détection des fragilités numériques grâce à son réseau de postiers et à la relation de confiance qu'ils ont nouée avec les Français. D'autres structures, comme les bibliothèques, les points Information Médiation Multi-Services ou les centres sociaux, sont aussi concernées par cette mise en réseau.
Des outils d'accompagnement sont déployés comme Aidants Connect, permettant aux aidants de réaliser des démarches administratives, Pix et Cléa Numérique, dont le financement a été laborieux, pour évaluer les compétences, mais la formation des agents locaux et des travailleurs sociaux tarde.
L'accessibilité des sites en ligne pour les personnes en situation de handicap demeure un objectif, alors que la loi de 2005 voulait voir disparaître cet obstacle en 2011 ! Si l'objectif est de rendre 80 % des sites accessibles, seuls 13 % le sont actuellement. Le recours à la notion de charge disproportionnée offre une échappatoire à ceux qui ne veulent pas jouer le jeu.
Au terme de trois mois d'investigations, de plus de 90 personnes auditionnées et 4 tables rondes, d'un déplacement au Sicoval de Labège et d'un autre au Hub France Connectée de Toulouse, la mission d'information avance 45 propositions articulées autour de sept axes d'une politique ambitieuse d'inclusion numérique.
Le premier axe consiste à évaluer plus finement l'exclusion numérique, en renouvelant régulièrement l'enquête de l'Insee et en exploitant l'expérience du confinement pour analyser les usages du numérique pendant cette période. L'évaluation des capacités numériques devrait par ailleurs être systématisée autour d'un référentiel commun. Les cartographies locales de l'exclusion numérique sont à généraliser.
Le deuxième axe tend à passer d'une logique 100 % dématérialisation à une logique 100 % accessible. À cet effet, il faut conserver la faculté d'un accès physique et/ou d'un accueil téléphonique pour l'ensemble des démarches dématérialisées des services publics. À cet égard, la plateforme téléphonique « Solidarité numérique », mise en place pendant le confinement, doit être pérennisée pour accompagner les personnes mal à l'aise avec l'outil numérique. Un droit à l'erreur doit être reconnu dans toute démarche numérique. Les sites internet doivent prendre en compte dès leur conception l'accessibilité la plus large, en intégrant notamment le point de vue des usagers tout au long du développement et de l'exploitation d'un site numérique public. L'État se doit d'être exemplaire. Le label « e-accessible » doit être rendu plus visible et chaque administration doit évaluer son niveau d'accessibilité. Les sanctions en cas de non-respect de la mise en accessibilité des sites internet doivent être renforcées. Les administrations doivent être incitées à utiliser pleinement les ressources du Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP) pour rendre accessibles leurs sites et applications internet.
L'axe n° 3 consiste à proclamer l'inclusion numérique comme priorité nationale et service d'intérêt économique général (SIEG).
Un milliard d'euros doivent être mobilisés d'ici 2022 pour financer l'inclusion numérique, soit quatre fois plus que le montant alloué par le Gouvernement dans le cadre du plan de relance. Les 250 millions d'euros seront probablement insuffisants pour atteindre le nouvel objectif de 4 millions de personnes formées d'ici 2022. En tout état de cause, cet objectif semble peu ambitieux, considérant que 14 millions de Français ne maîtrisent pas le numérique et que près d'un Français sur deux est mal à l'aise avec cet outil. Ces moyens alloués doivent par ailleurs être pérennisés dans un fonds de lutte contre l'exclusion numérique, politique publique ayant vocation à devenir structurelle. Le fonds pourrait être abondé par les gains budgétaires réalisés grâce à la dématérialisation des services publics, la taxe sur les services numériques (taxe GAFA) et une taxe sur le streaming, préconisée par la mission d'information du Sénat sur l'empreinte environnementale du numérique.
Le Fonds devra principalement contribuer à garantir une montée en puissance du pass numérique, à accélérer la structuration de l'offre de médiation numérique, à faire émerger une véritable filière professionnelle de la médiation numérique, à financer enfin la remise d'un chèque-équipement pour les ménages à bas revenus, conditionnée à la participation à une formation financée par le pass.
Pour donner une vraie ambition au pass numérique, l'ensemble du territoire doit être couvert par le dispositif d'ici 2022, et sa valeur augmentée, afin d'accroître la qualité de l'offre de médiation et privilégier l'organisation d'ateliers aux effectifs resserrés. Pour accélérer le déploiement du pass numérique par les collectivités, l'inclusion numérique doit être définie comme un service d'intérêt économique général (SIEG) et les moyens de l'opérateur APTIC, acteur en charge de déployer le pass, doivent être largement accrus par l'État. Une plus grande transparence doit par ailleurs être faite dans la mise en oeuvre du pass numérique par la publication trimestrielle ou semestrielle de statistiques relatives à son déploiement et son utilisation par les publics cibles. Enfin, l'ensemble du territoire doit être couvert par les Hubs France Connectée d'ici 2022, et leurs moyens renforcés pour leur permettre d'exercer pleinement leurs missions, notamment afin d'épauler les collectivités dans le déploiement du pass.
L'inclusion numérique doit être une priorité de l'action publique locale, pilotée par les territoires. Une conférence des financeurs doit coordonner, dans chaque département, les interventions territoriales, publiques et privées, et permettre partout le déploiement du pass numérique. Un référent inclusion numérique doit être désigné à l'échelle intercommunale, pour garantir l'infusion des offres d'inclusion numérique dans l'ensemble des territoires, y compris ruraux.
Le quatrième axe vise à repenser l'offre et l'architecture de la médiation numérique.
L'ensemble des réseaux et offres de médiation numérique, déployés en silos et peu visibles des populations cibles, doivent être regroupés sous une bannière unique, certifiés et cartographiés par APTIC et les Hubs France Connectée.
Il convient également d'accroître la qualité de l'offre de médiation numérique, en passant d'une logique d'assistance, où le médiateur fait à la place de la personne formée, à une logique capacitaire tendant à l'autonomie numérique. L'urgence est donc, parallèlement au développement du pass, de forger une véritable filière professionnelle de médiateurs numériques, par le lancement d'un plan national de formation et par une meilleure reconnaissance du métier de médiateur numérique. Une partie importante du fonds de lutte contre l'exclusion numérique préconisé par la mission d'information devra y être consacrée. Un baccalauréat professionnel « médiation numérique » pourrait notamment être créé. En parallèle, le travail de certification des lieux de médiation numérique doit mieux associer les Hubs France Connectée, et les lieux certifiés doivent être évalués de manière régulière, en s'appuyant sur un test Pix soumis aux participants des formations.
Des « sentinelles de l'illectronisme » doivent également être mobilisées pour mieux repérer et orienter les personnes éloignées du numérique vers les lieux de médiation.
Les « guichets » (La Poste, CAF...) doivent être formés et associés au repérage des fragilités numériques et les actions de diagnostic doivent y être systématisées. La formation à la médiation numérique doit être rendue obligatoire dans le cursus dispensé par les instituts régionaux du travail social. Les travailleurs sociaux doivent être mieux informés des actions de lutte contre l'exclusion numérique, pour orienter les publics vers les offres de formation financées par le pass numérique.
Pour une meilleure coordination de l'action publique, la politique d'inclusion numérique doit englober tout le champ social et tous les opérateurs sociaux (Pôle emploi, CNAM, CNAF, CNAV, MSA...), qui doivent systématiquement proposer le pass numérique.
L'axe n° 5 tend à combattre plus efficacement l'exclusion par le coût, angle mort de la stratégie nationale pour un numérique inclusif. La conférence des financeurs déclinerait ce plan à l'échelle départementale. Un chèque-équipement, destiné à la location ou à l'achat d'un équipement de préférence reconditionné pour les ménages à bas revenus pourrait être expérimenté. La remise du chèque pourrait être conditionnée à la participation à une formation financée par le pass.
Le renouvellement contraint des terminaux numériques pèse fortement sur le pouvoir d'achat des ménages à faibles revenus. La durée de vie des terminaux doit être allongée par la mise en place d'un taux de TVA réduit sur la réparation et le reconditionnement. Les sanctions pour obsolescence programmée doivent être renforcées, par exemple via un recours au name and shame. La lutte contre l'obsolescence logicielle pourrait passer par une dissociation des mises à jour correctives et des mises à jour évolutives.
Le droit à la connexion à Internet, introduit par la loi pour une République numérique et expérimenté depuis 2017 dans trois départements, doit être étendu à tout le territoire. Une gratuité d'accès à certains services numériques essentiels à l'exercice des droits civiques et sociaux ou à l'enseignement pourrait être instaurée.
L'axe n° 6 vise à construire une « éducation nationale 2.0 », fer de lance de la lutte contre l'illectronisme. Il convient, dans chaque académie, de procéder par établissement à un recensement des difficultés numériques rencontrées par les élèves et les enseignants en matière de continuité pédagogique pendant la crise de Covid-19 (infrastructures - zone blanche, matériel insuffisant ou inadéquat, compétences numériques insuffisantes).
La formation à l'utilisation des outils numériques pédagogiques doit être obligatoire pour l'ensemble des enseignants des premier et second degrés, ainsi que pour les enseignants des universités. Un état des lieux détaillé des compétences numériques des élèves et des enseignants doit être publié sur le fondement des résultats obtenus lors des évaluations de compétences prévues par l'éducation nationale. Un test sur l'illectronisme doit être incorporé à la journée Défense et Citoyenneté.
L'axe n° 7 prévoit un « choc de qualification » des salariés au numérique. Les entreprises doivent être des partenaires de la lutte contre l'illectronisme, lequel obère la montée en compétence numérique des salariés dans une économie de plus en plus numérisée, et pas seulement par le télétravail.
L'inclusion numérique doit intégrer le champ de la norme ISO 26000 relative à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSE). Le mécénat de compétences des entreprises doit être encouragé, notamment chez celles qui ont des compétences numériques pour la structuration de la médiation numérique, par exemple dans sa partie cartographique. Il faut enfin considérer la formation au numérique comme un investissement et permettre, dans les PME et TPE, soit un amortissement des frais d'accompagnement à la RSE, soit un crédit d'impôt intégrant la formation des dirigeants et des salariés à l'utilisation des outils et équipements numériques.
La crise engendrée par la pandémie de Covid-19 a montré que le numérique n'était plus, dans les entreprises, une option, mais bien une condition de leur développement et de leur survie. Aider les entreprises à se numériser par l'achat d'équipements ne doit pas conduire à oublier la formation au numérique de leurs salariés. Le plan de relance ne doit pas oublier que les salariés des TPE-PME, les commerçants, artisans et auto-entrepreneurs demeurent exclus des dispositifs de formation, alors qu'ils sont les premiers à souffrir de leur manque de compétences numériques. N'oublions pas ces « oubliés » du numérique !
Je vous signale par ailleurs qu'une version du résumé du rapport a été réalisée en FALC (facile à lire et à comprendre) par l'atelier de la Roseraie, à Carrières-sur-Seine, et validée par des personnes en situation de handicap. Ce sera ainsi le premier résumé de rapport sénatorial à être accessible à ces personnes.
Mme Angèle Préville. - Cette mission était d'une grande importance, et je souscris entièrement aux 45 propositions avancées dans le projet de rapport.
J'ai toutefois quelques modifications marginales à suggérer.
La proposition n° 2 vise à exploiter l'expérience du confinement pour analyser plus finement les usages numériques de nos concitoyens. C'est un point essentiel à mes yeux, mais ne faudrait-il pas aller plus loin et demander la réalisation d'une étude chiffrée ?
M. Jean-Marie Mizzon, président. - La formulation retenue n'empêche pas de procéder à une étude, me semble-t-il. Nous pourrions toutefois ajouter les termes « par une étude chiffrée » après les mots « analyser plus finement ».
Mme Angèle Préville. - La proposition n° 9 vise à prendre en compte, dès la conception des sites internet, les difficultés d'accès et d'utilisation que peuvent connaître certains usagers. Mais il faudrait surtout, me semble-t-il, opérer des simplifications, et adopter une présentation commune des différents services publics en ligne.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - La proposition n° 9 doit être lue avec la proposition n° 10, qui vise à intégrer le point de vue des usagers via des tests utilisateurs.
Mme Angèle Préville. - Il manque toutefois le terme de « simplification ». Par ailleurs, l'usager est-il vraiment capable de formuler clairement ses attentes dans un domaine aussi technique ?
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Dans le corps du rapport, nous appelons également de nos voeux des mises en page « simplifiées ».
Mme Angèle Préville. - La proposition n° 34 porte sur l'expérimentation du chèque-équipement, dont la remise serait conditionnée à la participation à une formation financée par le pass. Quid des personnes qui n'ont pas accès au matériel, faute de revenus suffisants, mais qui sont parfaitement capables de l'utiliser ? Il me semble qu'elles sont de plus en plus nombreuses.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Nous voulions éviter les effets d'aubaine et nous assurer que les bénéficiaires seraient capables d'utiliser le matériel.
Mme Angèle Préville. - Il ne faudrait pas non plus obliger des gens à suivre une formation dont ils n'ont pas besoin.
M. Raymond Vall, rapporteur. - Nous sommes tous d'accord sur le fait que nous ne pouvons pas délivrer de chèque-équipement sans garantie d'un niveau minimum. Et n'oublions pas qu'en la matière, les compétences sont en perpétuelle évolution. Les médiateurs seront capables de faire la part des choses et de délivrer une formation adaptée au niveau de l'utilisateur. De surcroît, l'hypothèse d'une personne disposant d'une qualification supérieure dans le domaine du numérique mais d'aucun outil me semble assez invraisemblable. Enfin, nous proposons une expérimentation.
Mme Angèle Préville. - La proposition n° 35, relative à l'allongement de la durée de vie des terminaux, est issue d'un amendement que j'avais défendu au Sénat, lors de l'examen de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et pour l'économie circulaire, et qu'il avait adopté, et je me réjouis de la retrouver dans le rapport.
La proposition n° 39 entend « imposer une formation obligatoire » aux enseignants. Ne pourrait-on pas l'exprimer de façon plus diplomate, en proposant par exemple d'intégrer cette dimension dans leur formation initiale ?
De même, le parallèle établi dans la proposition n° 40 entre les élèves et les enseignants s'agissant de l'état des lieux détaillé des compétences numériques me dérange quelque peu.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Il s'agirait bien entendu de données totalement anonymes, et il me semble important de connaître le degré de connaissance des enseignants.
Mme Angèle Préville. - Je ne voudrais pas que les enseignants se sentent stigmatisés et que l'on froisse leur susceptibilité.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Je comprends votre raisonnement, ma chère collègue, mais il nous semble important de mobiliser toute l'éducation nationale dans une coalition des efforts en faveur de l'inclusion numérique. Permettez-moi également de saluer votre implication tout au long de notre mission.
Je vais maintenant mettre aux voix le rapport.
Le rapport est adopté à l'unanimité des présents et la mission en autorise la publication.
La réunion est close à 14h50.