Mercredi 9 septembre 2020
- Présidence de M. Jean-Marie Mizzon, président -
La réunion est ouverte à 15 heures.
Audition de Mme Salwa Toko, présidente du Conseil national du numérique
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Madame la Présidente, mes chers collègues, je vous remercie d'avoir accepté une nouvelle audition, celle du 15 juin dernier n'ayant pu se tenir.
Vous présidez une instance qui a connu un renouvellement mouvementé. Les deux derniers rapports du Conseil national du numérique, publiés en juillet 2020, concernent les travailleurs des plateformes et la feuille de route « numérique et environnement », qui plaide en faveur d'un numérique sobre.
Par ailleurs, le Conseil s'est préoccupé dès son rapport de 2013 de l'inclusion numérique, voulant dépasser le concept de « fracture numérique », afin de mieux prendre en compte les transformations des inégalités à l'ère numérique, mais également les opportunités de mobiliser le numérique pour réduire ces inégalités. Ce rapport recommandait de viser l'accès au numérique au sens large, de développer la « littératie » numérique pour tous, de renforcer les médiations et de permettre la transformation sociale en donnant du pouvoir d'agir aux citoyens.
Quatre éditions des Assises de la médiation numérique ont été tenues, la dernière à Mende, en Lozère, en 2016.
Depuis 2018, parce que le sujet de l'inclusion numérique vous tient personnellement à coeur, vous travaillez sur la diffusion de bonnes pratiques.
Après votre intervention liminaire, mon collègue, Éric Gold, en lieu et place de mon collègue Raymond Vall, rapporteur de la mission d'information empêché et qui vous prie de l'excuser, reprendra certains points du questionnaire qui vous a déjà été adressé. Les sénateurs pourront ensuite vous poser des questions.
Mme Salwa Toko, présidente du Conseil national du numérique. - Je pense que vous avez compris, à travers les auditions que vous avez déjà réalisées, la philosophie globale de l'actuelle mandature du Conseil national du numérique. Nous ne nous sommes pas saisis du sujet de l'inclusion numérique tel qu'il est perçu depuis quelques années car il existe déjà un grand nombre d'écrits sur le sujet, de la part de différentes commissions, de think tanks, d'acteurs publics ou non, etc. Je ne voyais pas la valeur ajoutée que pouvait apporter le Conseil national du numérique. En revanche, nous nous sommes attachés à prendre en compte la question de l'inclusion numérique en termes d'accessibilité pour les personnes porteuses d'un handicap, autour du thème de l'identité numérique, s'agissant de la question de la santé, notamment concernant les travailleurs des plateformes, ou, dans le dernier rapport officiel remis hier soir, autour du thème de la diversité dans la « Tech ». La question est celle de l'inclusion de l'ensemble de la population, jeune et moins jeune, dans l'activité économique liée au numérique. Le choix de la mandature est ainsi de distiller l'inclusion dans l'ensemble des travaux que nous avons menés, plutôt que de fournir un énième rapport qui aurait été très similaire à l'ensemble des écrits déjà produits, dont vous avez déjà probablement connaissance.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Je donne la parole à Éric Gold.
M. Éric Gold. - Merci, Monsieur le Président. Madame la Présidente, je souhaite compléter les propos du président Mizzon par quelques questions qui permettront de connaître votre vision de l'illectronisme et des moyens d'en sortir pour 13 millions de personnes aujourd'hui en difficulté. Nous souhaitons en premier lieu recueillir votre avis sur la Stratégie nationale pour un numérique inclusif mise en oeuvre depuis 2018. Les moyens sont-ils à la hauteur de l'enjeu ? Apparemment, les sommes indiquées dans le plan de relance prouvent le contraire. Nous souhaitons recueillir ensuite votre avis sur les actions telles que les hubs France connectée et sur l'extension de ces dispositifs sur l'ensemble du territoire. Nous souhaitons également vous entendre sur l'articulation ou l'absence d'articulation entre les maisons France Services, les fabriques de territoire et les hubs France connectée. Enfin, nous souhaitons recueillir votre avis sur la pérennisation du droit au maintien de la connexion internet, testé depuis le 1er janvier 2017 dans trois départements métropolitains.
Nous avons reçu par ailleurs aujourd'hui par courriel un document que vous avez coécrit pour faire du numérique un accélérateur de diversité. Vous pourrez peut-être nous dire quelques mots que les recommandations que vous formulez pour une France numérique plus diversifiée et plus inclusive.
Mme Salwa Toko. - Je vous propose ma vision globale et la façon dont je vis depuis presque vingt ans la question de l'injonction de l'inclusion numérique dans les pays occidentaux, notamment en France. Je partagerai mon vécu sur le terrain dans le cadre de mes précédentes fonctions au sein de la fondation Agir contre l'exclusion, en particulier en Seine-Saint-Denis. Vous pourrez sans doute mieux comprendre les raisons pour lesquelles je pense que nous avons encore des efforts considérables à accomplir, quand nos gouvernements, aujourd'hui, peinent à concentrer ces efforts aux endroits adéquats.
Je reviens en premier lieu sur le chiffre de 13 millions de personnes aujourd'hui en difficulté. Ce chiffre me laisse dubitative. Je ne comprends pas en effet la manière dont il a été calculé. Je pense que le nombre de personnes est en réalité beaucoup plus élevé. Tout dépend de la définition donnée à la question de l'inclusion et aux usages des outils numériques.
Je distingue deux points. Le premier d'entre eux a trait à l'acculturation générale à l'univers du numérique pour tout citoyen. Je l'assimile à de la culture générale, dont l'utilité est de pouvoir se situer dans l'environnement socioéconomique pour affronter les interactions avec les administrations et la vie publique, afin d'exercer ses droits et ses devoirs de citoyen. Le numérique a bouleversé ces rapports. Je souhaite vous raconter une anecdote. Il y a cinq ans, en arrivant à mon bureau en Seine-Saint-Denis, j'ai découvert dans ma messagerie électronique un courriel de la part des impôts m'expliquant que, faisant partie des personnes en France qui percevaient un certain montant de revenus annuels, je devais obligatoirement dorénavant réaliser les déclarations en ligne. J'ai pensé immédiatement pourtant que des personnes au salaire identique ne connaissaient absolument pas le numérique et n'avaient pas cette préoccupation au quotidien, ne travaillant pas dans un univers digitalisé. Je me suis alors interrogée sur les raisons qui incitaient les plus hautes administrations du pays à prétendre qu'un revenu mensuel ou annuel pouvait déterminer sa connaissance d'outils techniques.
J'étais persuadée de l'existence d'une fracture numérique. Il existe un certain type de fracture, que j'ai constaté en premier lieu auprès des jeunes que j'ai côtoyés dans le cadre de mes activités associatives. Il s'agit d'une fracture d'utilisation et de compréhension des outils qu'ils ont entre les mains. Pour les jeunes, en particulier, ces outils sont d'abord ludiques, avant d'être à usage professionnel ou civique.
C'est pourquoi la réflexion sur l'inclusion numérique m'a toujours beaucoup interrogée. Je pense que le sujet n'est pas abordé efficacement. Certes, depuis de nombreuses années, des sommes que nous pouvons estimer comme élevées sont dépensées. À l'inverse, il est possible de considérer que les moyens financiers mis en oeuvre ne seront jamais suffisants. Je pense pour ma part que nous devons absolument activer des moyens humains. Nous ne pouvons pas résoudre la fracture numérique par des solutions strictement technologiques. Nous ne pouvons la résoudre qu'avec des interactions humaines. Des personnes doivent enseigner les connaissances et les compétences nécessaires pour manoeuvrer les outils mis à la disposition du public. Par exemple, durant le confinement, Gérald Elbaz, directeur général d'APTIC, a mis en place un centre téléphonique pour accompagner les personnes. La création d'un site internet ou de tout autre outil numérique, au contraire, n'était pas susceptible de répondre aux interrogations d'une certaine catégorie de la population, loin d'être minoritaire.
Il est difficile de quantifier le nombre de personnes concernées. Je pense sincèrement cependant que l'illectronisme touche bien davantage que 13 millions de personnes. Je pense par conséquent que nous ne devrions pas aborder le sujet sous l'angle des chiffres et d'une fracture quantitative au sein de la population. Simplement, il existe, au sein de la population, des personnes qui ne parviennent pas à s'emparer des outils numériques pour exercer leurs droits et devoirs. Ces personnes ne doivent pas être pointées du doigt comme étant celles sur lesquelles nous devons porter un effort supplémentaire, comme si elles n'avaient pas obtenu un baccalauréat général de culture numérique. Malheureusement, les différents plans, notamment les derniers portés par le secrétaire d'État au numérique, continuent de s'axer sur cet angle, qui me paraît d'autant plus dangereux que nous sommes dès lors forcés de créer des lieux spécifiques. Or nous ignorons le ressenti des personnes qui se sentent exclues vis-à-vis de politiques censées les accompagner, mais qui leur font perdre de la dignité. Elles ont probablement un sentiment d'inégalité du fait de l'obligation de se tourner vers un lieu spécifique (hub connecté, maison de médiation spécifique, etc.).
Par le passé, quand nous allions payer nos impôts, nous nous rendions tous dans le même centre d'impôts. Aujourd'hui, les personnes qui ont le mieux compris le numérique ne consulteront jamais les nouveaux centres d'accueil et d'aide. Nous mettons en place ainsi des lieux qui n'accueillent que les personnes en difficulté. La vie et le quotidien de ces personnes en difficulté consistent à être accueillies dans des lieux spécifiques pour se nourrir, pour obtenir leurs allocations, pour obtenir un soutien pour leurs enfants, etc., sans parler bien entendu des lieux de soutien et d'accompagnement dans une vie professionnelle pour les sans-emploi. Je pense que nous manquons de sociologues pour nous accompagner sur ces questions. Certaines personnes, en effet, durant une grande partie de leur vie, sont susceptibles de ne connaître que des lieux spécifiquement créés pour accompagner les exclus d'une société numérique que nous vivons à marche forcée.
C'est pourquoi je n'ai pas souhaité un rapport spécifique à l'inclusion numérique ou à la lutte contre l'illectronisme. J'ai préféré travailler par exemple avec le ministère de l'Éducation nationale sur un programme dès la classe de 6e destiné à l'ensemble des jeunes consacré au numérique et à la compréhension des sciences de l'informatique. Certes, à ce jour, les professeurs ne sont pas encore en nombre suffisant. Selon moi, cependant, les postes doivent être créés immédiatement pour accueillir la future génération, qui sera confrontée au numérique d'une manière plus importante que la génération actuelle. Je pense qu'il est de notre devoir de préparer cette génération. Je pense que le ministère de l'Éducation nationale a tort de ne pas se pencher véritablement sur le sujet. Dans le cadre de la réforme du ministre de l'Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, le programme SNT (sciences numériques et technologies) a été créé il y a un an auprès des classes de seconde uniquement, pour une initiation à l'informatique et au numérique. Malheureusement, tandis qu'il devait s'agir d'un enseignement général, il n'est repris que par les professeurs de technologies ou de mathématiques. L'angle est ainsi devenu technique, quand il devait être celui d'un enseignement de culture générale, qui aurait permis aux élèves de 2nde de s'orienter ou non vers des formations par exemple d'ingénieur. L'ambition du ministre, en particulier, était de réduire l'écart entre le nombre de jeunes femmes et le nombre de jeunes hommes qui s'orientent vers une carrière scientifique. Or, comme je l'ai rappelé dans le discours que j'ai prononcé hier à l'occasion de la remise du dernier rapport sur la diversité dans la « Tech », il continue de manquer surtout une vision holistique de la société numérique que nous souhaitons mettre en place. L'ensemble des plans mis bout à bout ne constituent pas un dessein homogène permettant d'atteindre des objectifs.
Le rapport « Faire du numérique, un accélérateur de diversité » est particulier. Nous l'avons rédigé en duo avec Anthony Babkine, président d'une association qui a pour objectif d'accompagner les jeunes de quartiers prioritaires de la ville ou de zone rurale vers des carrières dans le numérique. Anthony Babkinea constaté, au travers des activités qu'il a menées dans cette association, que les jeunes, pour des raisons diverses, sont malheureusement peu informés des opportunités qui s'offrent à eux. Je pense qu'en cela, le rapport rejoint vos questions sur les hubs France connectée. Nous avons effectivement investi beaucoup d'argent au cours des années écoulées en France pour tenter de créer des lieux et d'échafauder des réseaux. Or, nous peinons à véritablement créer des réseaux. Chacun tente d'obtenir sa propre innovation, sa propre façon d'agir estimant qu'elle correspondra mieux aux besoins des territoires. Je ne nie pas que des actions précises doivent être mises en place selon les territoires. Malheureusement, au total, la situation pose la question de la façon de financer l'ensemble des structures associatives. Quand, sur un territoire, plusieurs acteurs oeuvrant sur un même sujet se battent pour obtenir une part de subventions, les réseaux et le travail en commun ne peuvent pas exister. La transposition de la vision économique capitaliste sur le monde associatif crée une concurrence qui ne permet pas, au final, de réduire la paupérisation qui s'installe dans nos territoires.
Il conviendrait en réalité de distinguer l'urgence humanitaire et la politique globale. Dans le premier cas, il s'agit d'agir de manière ciblée et localisée durant une courte période avec des moyens importants. Ces actions d'urgence seraient détachées d'une politique globale qui serait plus longue sur la durée.
Nous ne nous sommes pas suffisamment attachés à la racine du problème. Je sais que je remets ainsi en question la manière dont nous avons travaillé jusqu'à présent. Certes, je conçois que les personnes pensaient bien faire. Nous manquons néanmoins d'une intelligence collective pour répondre au mieux aux défis actuels et aux défis futurs. Je pense qu'une vision plus prospective nous permettrait de nous inscrire davantage dans l'anticipation, au contraire de ce qui a été le cas lorsque la crise sanitaire nous a touchés. Nous avons alors manqué d'anticipation pour avoir abandonné nos capacités prospectives.
Je souhaite ajouter qu'il me paraît dangereux de laisser aux mains du seul secteur associatif la mise en oeuvre de l'ensemble des mesures pensées dans le cadre des différents plans de relance, à l'échelle nationale ou au niveau local. Nous publierons à la fin du mois de septembre un rapport sur la nécessité impérieuse de la mesure d'impact dans le milieu associatif. Ce rapport ne concerne pas la question de l'inclusion dans le milieu associatif. Nous avons en effet travaillé uniquement sur les associations qui oeuvrent en faveur de la mixité dans le monde informatique, à la suite de nos travaux sur les sciences numériques et les technologies avec l'éducation nationale. Le sujet étant sensible, nous n'avons pas obtenu de saisine. Nous nous sommes donc autosaisis.
Pour vous donner un exemple, je travaille depuis dix ans sur la fracture numérique et me suis spécialisée sur la question des jeunes filles. Un grand nombre d'acteurs en France mènent des actions en matière de mixité, qu'il s'agisse d'un public collégien ou d'un public de jeunes majeurs. Les chiffres sont cependant têtus. Le nombre de jeunes filles qui s'orientent vers un baccalauréat scientifique ne cesse en effet de diminuer. Les jeunes filles qui s'orientent vers une carrière scientifique diminue également mécaniquement. Il s'agit d'une vraie difficulté. Malgré un très grand nombre d'acteurs sur le terrain, nous ne parvenons pas à renverser une tendance qui sera une vraie difficulté civilisationnelle par la suite pour ces jeunes femmes. Entendons-nous bien. Je ne souhaite pas que l'ensemble des jeunes filles deviennent des développeuses informatiques. Simplement, le monde économique devenant de plus en plus technologique, les compétences demandées dans les années qui viennent sur l'ensemble des postes, notamment les postes aux plus fortes rémunérations, exigeront une dimension technologique et numérique. Si les jeunes filles ne s'orientent pas vers ces carrières, elles n'auront accès, sur le marché du travail, qu'à des métiers ingrats et peu payés, avec ensuite de faibles taux d'indemnisation en termes de retraite.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Pourquoi ce risque est-il lié à un trop grand nombre d'acteurs associatifs ?
Mme Salwa Toko. - Depuis vingt ans, en France et dans d'autres pays occidentaux, nous constatons la chute du nombre de femmes présentes dans les univers scientifiques, notamment dans l'univers informatique. Depuis vingt ans, un nombre considérable d'acteurs travaille sur cette question. Nous pourrions penser que le grand nombre d'acteurs entraîne mécaniquement une amélioration. Or, les chiffres chutent depuis vingt ans. Il n'existe par conséquent aucune corrélation entre le nombre d'acteurs et le fait de répondre efficacement à la problématique qui se pose.
De nombreux facteurs expliquent le manque d'efficacité des différents acteurs. J'avais notamment identifié le fait que les actions ne sont pas récurrentes. Les subventions sont distribuées aux acteurs pour qu'ils aillent à la rencontre des jeunes filles à une reprise seulement dans un établissement scolaire. Cette seule rencontre ne suffit absolument pas à créer un déclic et à avoir un impact réel. C'est pourquoi j'ai souhaité réfléchir à l'impact du milieu associatif et à la manière dont les pouvoirs publics sont susceptibles de mettre en place un système qui permettrait de mieux l'évaluer. Il n'est pas question de prendre des sanctions financières, mais de faire comprendre que le travail des acteurs associatifs est insuffisant. Il s'agit, par le dialogue, de créer des actions plus pertinentes. Je pense par conséquent qu'une mesure d'impact doit être mise en place pour les acteurs qui travaillent dans la médiation, dans l'inclusion, dans l'accompagnement des personnes dites en difficulté. Il serait ingrat de ma part d'affirmer que la Seine-Saint-Denis n'est pas dotée de moyens considérables. En revanche, ces moyens sont mal distribués. Ils ne sont pas utilisés.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Devons-nous conditionner l'octroi de subventions à des critères liés à la parité, par exemple ?
Mme Salwa Toko. - Il s'agit d'un excellent exemple. Vous m'excuserez des propos durs que je me prépare à tenir. Je m'inclus d'ailleurs dans les critiques, puisque je suis présidente d'une association. Les acteurs publics, notamment les financeurs, doivent avoir le courage d'indiquer aux associations qu'elles ne travaillent pas efficacement. Ce type de discours est difficile à tenir car les associations possèdent peu de moyens. Elles se battent pour exister. Pour ma part, j'ai par exemple fait le choix de ne pas recourir au bénévolat pour ne pas avoir à indiquer à un bénévole que certes il donne de son temps, mais de manière inefficace. Je pense qu'en réalité, nous devons professionnaliser l'ensemble du tissu associatif. Il n'est pas question de retirer des subventions, mais d'user mieux de l'argent public, dont tout citoyen français a le droit de connaître l'utilisation. C'est pourquoi je suis extrêmement intéressée par le pass numérique que Gérald Elbaz développe. Les données recueillies nous permettent en effet une mesure d'impact. Nous mesurons véritablement chaque action. Au-delà, la professionnalisation du secteur me semble pour autant être une impérieuse nécessité.
M. Éric Gold. - Je suis surpris par vos propos. La multitude des structures n'est en effet pas sans conséquence positive. Elle dénote des engagements nombreux et divers. Le bénévolat, en particulier, est essentiel. Je comprends l'importance que peut revêtir la professionnalisation des compétences. L'engagement me semble néanmoins représenter également une forme de compétence.
Mme Salwa Toko. - Le bénévolat est effectivement essentiel. Le nombre de bénévoles qui souhaitent s'impliquer est d'ailleurs croissant, ce dont je me félicite. La question est de préserver la multitude d'acteurs et leur complémentarité sur le champ sur lequel ils interviennent. Je le répète : il n'est pas question qu'une mesure d'impact se transforme en volonté de sanction ou entraîne la fermeture de certaines associations. Mon propos vise à mieux accompagner les structures associatives pour qu'elles soient efficaces et ne s'épuisent pas dans des actions qui, malheureusement, ne porteraient pas leurs fruits.
Toute structure associative est différente des autres structures associatives. Les besoins selon les territoires et les personnes sont différents. Un maillage extrêmement fin est à réaliser. Quand je travaillais sur des problématiques d'insertion professionnelle, j'étais gênée d'entendre de la part des financeurs publics que nous ne travaillions pas suffisamment rapidement pour insérer les personnes dans l'emploi. Néanmoins, une personne qui n'a pas travaillé durant quinze ou vingt ans ne travaillera pas grâce à un programme de six mois. La démarche réclame des temps plus longs. La vision doit être plus fine et moins manichéenne que celle que nous connaissions jusqu'à présent. Nous devons travailler au cas par cas. L'humain mérite du cas par cas.
Dès lors, la question se pose de l'industrialisation de cette démarche. J'ai commencé à réfléchir à des pistes. Je ne possède pas cependant l'ensemble des solutions. J'en ai parlé avec de nombreux acteurs autour de moi. Il me semble que Gérald Elbaz partage cette vision. Le travail est à mener du côté associatif et du côté des financeurs. Les financeurs doivent comprendre la manière dont fonctionne le tissu associatif pour que les financements soient plus pertinents.
Je vous donne un exemple personnel. Mon association ne répond plus aux sollicitations de subventions de moins de 5 000 euros. Le travail administratif demandé est trop important pour des sommes de ce type. Or de nombreuses associations meurent si elles ne perçoivent pas ces 5 000 euros. Nous le voyons beaucoup dans l'univers de l'économie sociale et solidaire, qui recrute des jeunes diplômés en quête de sens et qui s'investissent dans le domaine associatif. Ces jeunes diplômés sont payés des sommes ridicules. Leurs formations et leurs capacités sont « exploitées ». Souhaitons-nous réellement que notre société épuise ces jeunes ? Nous devons considérer la situation de manière plus rationnelle et dépassionnée. Nous devons penser notre politique de façon plus homogène, en respectant les spécificités des territoires et des personnes, en fonction de leurs besoins ou de leurs atouts.
M. Éric Gold. - En préambule, vous avez parlé d'éducation. Il s'agit évidemment d'une priorité pour une société plus inclusive. Vous avez également évoqué un travail sur de futurs programmes scolaires en sciences numériques et technologies. Pouvez-vous préciser vos propos ? Par ailleurs, je suis toujours surpris, en voyant des jeunes manier l'informatique avec aisance, de constater qu'ils ne possèdent en revanche aucune culture « administrative » leur permettant de réaliser des démarches basiques. Je suis étonné également de constater que les enseignants n'utilisent pas toujours l'informatique à bon escient dans leurs classes. Je suis un adepte, à cet égard, de la formation continue. L'ensemble des acteurs sociaux (missions locales, Pôle Emploi, etc.) ont un rôle à jouer en la matière. Je ne suis pas certain pourtant que le travail dans le domaine soit suffisant.
Mme Salwa Toko. - S'agissant du travail que nous avons mené, un enseignement a été créé dans le corpus des programmes scolaires, sous l'impulsion du ministre de l'Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports. L'objectif est de délivrer une culture numérique et informatique auprès de l'ensemble des élèves de seconde. Il s'agit d'un premier pas. J'avais pour ma part proposé aux équipes de la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) d'examiner la possibilité d'un programme plus vaste dès la classe de 6e. Ma proposition a été mal acceptée. Nous avons cependant continué de travailler sur le sujet. Nous tenons nos pistes à la disposition de ceux qui le souhaitent. Nous considérons en particulier que deux enseignements sont à prodiguer, l'enseignement de la culture numérique (la façon dont fonctionnent un smartphone, des applications, etc.) et un enseignement plus technique, relatif aux sciences de l'informatique. Il s'agit d'un double enseignement. Les jeunes savent certes utiliser leur smartphone de manière facile et rapide. Le fait de faire glisser son doigt sur un écran ne requiert pas toutefois des capacités cognitives exceptionnelles. L'ensemble des applications proposées, notamment, sont extrêmement simples. Les jeunes, en revanche, ne savent souvent pas effectuer des recherches sur Internet, envoyer un courriel avec une pièce jointe, etc. C'est pourquoi je pense que les deux enseignements précédents sont à distinguer. Les jeunes doivent en effet pouvoir commencer à s'adapter à une future carrière. Je croyais naïvement comme vous que les jeunes, parce qu'ils utilisaient au quotidien ces outils, les maîtrisaient. Il n'en est rien.
Mme Angèle Préville. - J'ai été professeur. Chaque collège est doté d'un professeur de technologie. En théorie, chaque élève sait effectuer des recherches sur Internet, envoyer un courriel avec une pièce jointe, réaliser du traitement de texte, communiquer avec ses professeurs sur l'espace numérique de travail, etc. Un élève de 3e doit en outre avoir réussi un certain nombre d'items pour l'obtention du brevet. La formation de base est par conséquent relativement solide. Certes, ces champs évoluent rapidement. Des activités de formation continue sont probablement nécessaires. J'ai néanmoins souvenir d'avoir eu des collègues professeurs de technologie à même d'enseigner ces sujets. Je souhaite revenir par ailleurs sur la question de la professionnalisation. Un volet éthique vous semble-t-il devoir être mis en place ?
Mme Salwa Toko. - Je n'affirme pas que l'éducation agisse de manière totalement inefficace. Je lui reproche en revanche une absence d'homogénéité sur l'ensemble du territoire. Il s'agit d'une difficulté en termes d'égalité républicaine.
Par ailleurs, à ma connaissance, les personnes que nous avons auditionnées ne pensent pas à la question de l'éthique. Elles se rendent compte qu'elles ont parfois accès à des données extrêmement sensibles. Dès lors, leur éthique personnelle entre en compte. En revanche, il n'existe pas de serment, par exemple. N'oublions pas également qu'initialement, ces sujets ne faisaient pas véritablement partie de leurs missions. Subitement, ces personnes ont dû faire face à des demandes qu'elles n'avaient pas à traiter par le passé. Il existe peut-être par conséquent une nécessité de faire preuve, dans l'ensemble des structures existantes au contact des populations en difficulté, d'une forme de vigilance accrue sur les procédures mises en oeuvre. Cette vigilance particulière permettrait d'ailleurs peut-être d'apporter l'idée d'une professionnalisation.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - J'ai une dernière question. Vous indiquiez précédemment être dubitative quant au chiffre de 13 millions de personnes touchées par l'illectronisme. Je partage votre dubitation. Il semble que l'illectronisme concerne en réalité plus de 50 % des Français. Nous devons, en l'occurrence, distinguer le « flux » et le « stock ». Le flux sera traité par l'éducation nationale. Nous obtiendrons des réponses sur le sujet dans le cadre des états généraux de l'éducation nationale les 4 et 5 novembre prochains. Le stock réclame quant à lui de la médiation, de la formation continue, un travail des entreprises. Des ressources humaines sont nécessaires. Aujourd'hui, le système s'appuie sur la mise en place de hubs territoriaux. Nous avons visité un hub, qui nous a semblé organisé efficacement. Nous sommes proches par conséquent de proposer que les hubs s'occupent de la certification des lieux de médiation. Nous constatons en effet qu'APTIC n'est pas à la hauteur. Je souhaite connaître votre position sur le sujet.
Mme Salwa Toko. - Je ne peux pas répondre de manière tranchée. La particularité des hubs est de tenter de mailler l'ensemble du territoire en conservant une certaine indépendance par rapport aux besoins spécifiques de chaque territoire, afin d'oeuvrer au mieux auprès de l'ensemble des acteurs. Si les hubs deviennent des lieux de supra-gouvernance, je doute qu'ils puissent continuer de travailler avec l'ensemble des acteurs. Finalement, nous priverions le territoire de certains acteurs, qui ne seraient pas en lien avec le hub. C'est ce que nous constatons quand une grande structure commence à assumer un rôle prépondérant. Je n'investirais donc pas des moyens trop importants dans les hubs, mais davantage dans une exigence quant à leur capacité à créer du lien auprès de l'ensemble des acteurs. Parallèlement, je pense que nous devons revoir la manière d'exercer les financements, tant à l'échelle nationale qu'à l'échelle européenne. La plupart des structures associatives, aujourd'hui, ne sont pas armées en effet pour soumettre des demandes efficaces de financements.
Sur la question des 13 millions de personnes prétendument touchées par l'illectronisme, je pense qu'il s'agit d'une façon de ne pas avoir peur. Je pense pour ma part qu'il est indispensable de travailler la question du design et de l'accessibilité des sites publics. Un site public doit être simple pour en permettre un usage plus important. Nos gouvernants doivent penser à investir des moyens dans le domaine, notamment dans un souci d'harmonisation, par exemple, entre les sites des mairies pour que les usagers puissent en faire une utilisation homogène.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Je vous remercie.
La séance est levée à 16 heures 20.
- Présidence de M. Jean-Marie Mizzon, président -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Audition de M. Cédric O, secrétaire d'État chargé de la transition numérique et des communications électroniques
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Nous finalisons le rapport de la mission d'information, qui sera présenté à ses membres jeudi 17 septembre.
Les difficultés d'accès au numérique sont de trois ordres : elles touchent ceux qui n'ont pas le réseau, ceux qui n'ont pas l'outillage - un smartphone reste onéreux - et ceux qui, bien qu'ayant le réseau et l'outillage, n'ont pas le mode d'emploi. C'est à cette dernière problématique que la mission d'information s'est consacrée.
Chacun l'a constaté dans les territoires, l'épidémie de Covid-19 a souligné notre dépendance au numérique, désormais bien essentiel comme l'eau ou l'électricité pour de nombreux Français. Or l'exclusion par le coût est l'angle mort de la Stratégie nationale pour un numérique inclusif. Cette crise a également révélé nos fragilités numériques, dont une fracture ancienne, profonde, qui perdure ; elle a aggravé les inégalités scolaires, elle a souligné l'impact de la fermeture des guichets et autres services au public : banques, postes, impôts... Ces abandons, contre lesquels les « gilets jaunes » ont manifesté, déchargent l'État de ses obligations en faisant reposer sur des acteurs privés ou semi-privés une mission de service public. Ils font peser une nouvelle charge sur les épaules des collectivités territoriales. Ils fragilisent un peu plus le pacte républicain et l'égalité d'accès à un service public toujours plus numérisé.
Le plan de relance présenté le 3 septembre annonce 250 millions d'euros pour accompagner l'autonomie de quatre millions de Français vers le numérique. C'est prendre acte que les 30 millions d'euros budgétés jusque-là n'étaient pas à la hauteur. Mais cela suppose que le pass numérique soit bien dimensionné et solvable, c'est-à-dire que l'offre de médiation soit suffisante et efficiente. Or nos auditions ont montré que c'était loin d'être le cas.
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Dans les temps que nous vivons, ce sujet me semble absolument essentiel socialement, économiquement et démocratiquement. C'est un enjeu pour continuer à faire société dans un monde de plus en plus numérique. Avant d'aborder les difficultés, soulignons quand même que la révolution numérique a été synonyme d'ouverture au monde, d'accès à des biens culturels, de simplicité pour une partie de nos concitoyens, y compris parmi ceux qui sont les plus en difficulté. Lorsque la Caisse d'allocations familiales (CAF), par exemple, a décidé de passer de l'actualisation physique à une actualisation en ligne, le taux de non-recours a drastiquement diminué. Le numérique est donc porteur de simplicité, de développement économique et d'ouverture au monde dès lors que l'on met les moyens et que l'on fait les efforts nécessaires.
Pour reprendre un terme d'un philosophe qui a beaucoup travaillé sur le numérique et la technologie, Bernard Stiegler, disparu il y a quelques mois, le numérique est un pharmakon. À la suite du confinement, nous avons vu sa face positive et sa face négative de manière paroxystique. D'un côté, le confinement a été supportable, parce qu'il y avait le numérique : nous avons pu continuer à travailler - le Sénat a pu continuer à exercer son rôle démocratique -, à garder des relations avec nos proches, à nous cultiver, à avoir des loisirs. De l'autre, pour tous ceux qui n'étaient pas connectés, qui ne savaient pas s'en servir ou qui n'étaient pas suffisamment équipés - je pense aux familles nombreuses dans lesquelles un seul enfant pouvait éventuellement suivre des cours en ligne -, la fracture numérique est venue se surajouter aux fractures territoriale, sociale et économique.
L'Insee estime qu'un Français sur six n'utilise pas d'ordinateur et qu'un Français sur trois manquerait de compétences basiques. Nous savons qu'une part importante de la population est laissée de côté ou se sent laissée de côté par la transformation numérique, qui, je l'ai dit, est un enjeu social et de développement économique. C'est également un enjeu territorial ; je ne reviens pas sur le sujet.
J'ajouterai que c'est un enjeu sociétal et démocratique. Le fait que certains de nos concitoyens ne puissent avoir recours à certains services basiques, qu'ils soient publics ou privés, comme la possibilité d'actualiser sa situation auprès de Pôle emploi, de télécharger une attestation de sortie pendant le confinement ou de consulter ses comptes en ligne, pose certes problème, mais, ce qui est en jeu, c'est le sentiment d'appartenance au monde, à la société. Lorsque l'on rencontre des médiateurs numériques ou des travailleurs sociaux, ils nous disent que les questions posées par les personnes accompagnées, au-delà de savoir comment créer un compte en ligne ou envoyer un mail, portent très rapidement sur les données, les fausses informations en ligne, la gestion des écrans par les parents. Outre le problème d'urgence, il y a d'abord un problème de grammaire et le sentiment de ne plus comprendre comment le monde évolue. C'est très fréquent, mais ce n'est pas une fatalité. Au demeurant, ce n'est pas grave, car le numérique ne doit pas devenir une obligation. Il est indispensable que tout ne soit pas numérique. L'essentiel est d'ouvrir les opportunités à ceux qui le veulent et à ceux qui le peuvent et, donc, de rendre disponibles et accessibles des solutions pour accompagner les Français.
Depuis deux ans, l'État déploie une Stratégie nationale pour un numérique inclusif. Présentée par Mounir Mahjoubi, cette stratégie s'appuie sur trois éléments : rendre autonomes les personnes qui peuvent l'être, aider les aidants en les dotant d'outils et de structures, soutenir et augmenter les initiatives des collectivités territoriales. Pour suivre ce sujet, depuis maintenant quelques années, puisque j'étais conseiller numérique du Président de la République, il me semble que la difficulté est qu'il faut en même temps résoudre le problème et créer les conditions de sa résolution.
Heureusement, les collectivités n'ont pas attendu l'État pour s'intéresser à l'accompagnement numérique. Ce sont d'ailleurs en règle générale les agents territoriaux ou les travailleurs sociaux qui ont pris la vague. Or il n'existe pas ou peu de politique structurée sur le sujet. Chacun, de son côté, a tendance à réinventer la roue. Les partages d'informations, de bonnes pratiques, d'outils, la communication entre les personnes, tout cela n'existait pas jusqu'il y a deux ou trois ans. Avant même de dépenser de l'argent, c'est ce travail qui doit être mené. Nombre d'acteurs de l'inclusion numérique m'ont dit que, même s'ils avaient énormément d'argent, ils ne sauraient pas le dépenser aujourd'hui. La première chose a donc été de commencer à structurer cet écosystème, notamment avec la création des hubs territoriaux, financés par la Caisse des dépôts et consignations. Il y a quelques jours, j'étais avec les responsables du Nord, de l'Aquitaine et de la Savoie dont le rôle a été de commencer à identifier et à accompagner les territoires de manière localisée, l'idée étant d'en faire des têtes de réseau. Cette initiative est encouragée par l'État, mais de manière partenariale avec les collectivités territoriales. D'ailleurs, l'ensemble de la stratégie a été de travailler avec les collectivités territoriales. Il faut assumer d'entrée que c'est une politique que l'État ne sait pas mettre en place dans la granularité, le quotidien. Il n'y a que les collectivités qui peuvent le faire, en lien évidemment avec l'État, qui est là pour mettre en réseau, pour financer, pour accompagner.
Le deuxième élément sur lequel nous avons travaillé, c'est l'accompagnement des collectivités territoriales, notamment celles qui sont le plus engagées sur le sujet, l'ensemble étant piloté par la mission société numérique au sein de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Le lancement des « territoires d'actions pour un numérique inclusif » (TANI) a consisté en des choses très basiques, mais qui ont permis de beaucoup progresser. Cela a permis que les territoires se parlent afin que ce qui se fait de bien à Toulouse puisse profiter à la Drôme ou au Pas-de-Calais.
Le dernier élément de structuration, sur lequel nous avons beaucoup travaillé, est la MedNum, cette coopérative dans laquelle 80 autres têtes de réseau, qu'elles soient associatives, étatiques, institutionnelles ou liées à des collectivités territoriales, se sont engagées. Elle regroupe au total 5 000 salariés et a vocation à travailler à la standardisation des outils et à la diffusion des meilleures pratiques.
Dans un premier temps, le plus important nous a semblé être de structurer les acteurs et les outils, ce qui a d'ailleurs donné lieu à l'émergence d'événements comme Numérique en commun[s]. Tous les ans, les acteurs de l'inclusion numérique se réunissent pour partager des bonnes pratiques. C'était extrêmement important, parce que cela nous semblait indispensable de faire se parler ceux qui travaillaient sur le sujet.
Concomitamment, nous avons travaillé sur d'autres éléments. Je pense par exemple à Aidants Connect, qui vise à apporter des outils aux aidants, lesquels sont très souvent démunis et obligés de recourir au système D. Juridiquement, le règlement général sur la protection des données (RGPD) n'est pas scrupuleusement respecté, et heureusement, parce que, s'il l'était, les travailleurs sociaux ne pourraient pas remplir la fonction de médiation numérique.
Ce que nous avons voulu faire à travers le pass numérique, qui est cofinancé par l'État et les collectivités territoriales, c'est structurer cet écosystème et rendre viable un certain nombre de structures et d'initiatives. C'est évidemment au coeur de notre stratégie. Le pass numérique présente un double intérêt. Le premier, c'est d'obliger les structures à se parler. Dans le Béarn, par exemple, où je suis allé il y a quelques mois, le pass numérique a permis à la CAF, à Pôle emploi, au département, aux structures d'inclusion numérique de travailler à la mutualisation de leurs centres d'inclusion numérique et d'élaborer une stratégie commune. Cela n'aurait peut-être pas été possible sans la diffusion du pass numérique. Le second intérêt, c'est de permettre la solvabilisation d'un certain nombre d'actions, l'idée étant de faire émerger des modèles pérennes plutôt que de proposer une subvention du haut vers le bas, ce qui nous semble moins efficace.
Tout cela a abouti, dans le cadre du plan de relance, à une enveloppe de 250 millions d'euros sur deux ans. C'est un moment historique pour l'inclusion numérique, puisque le dernier plan d'investissement que j'ai eu l'honneur d'annoncer était doté de 15 millions d'euros. Nous avons donc presque multiplié par vingt l'investissement de l'État. À quoi vont servir ces 250 millions d'euros ?
Ma conviction est que le problème de l'inclusion numérique va se résoudre, non pas parce qu'il ne concerne que des personnes âgées et que, les générations passant, nous allons nous débarrasser du problème - or, comme vous le savez sans doute, les jeunes ne sont souvent pas beaucoup mieux outillés pour faire des démarches administratives en ligne -, mais parce que tout le monde y a intérêt : les banques, les opérateurs, l'État, les collectivités territoriales. D'ailleurs, la CAF, Pôle emploi, les collectivités, l'État investissent de plus en plus dans ce domaine. Cependant, il va se résoudre trop lentement. Lorsqu'on s'intéresse à la question de l'inclusion numérique, à la montée en puissance du pass, à la nécessité de ne pas attendre trop longtemps pour que les six à sept millions de Français que l'on peut former le soient - je pense qu'il faut traiter un peu différemment ceux qui ne seront jamais autonomes et ceux qui peuvent le devenir -, on se heurte systématiquement à un problème : le manque de formateurs. C'est le point de blocage majeur. Former quelqu'un, le rendre autonome, c'est-à-dire ne pas faire à sa place, c'est un métier. Bien sûr, il est indispensable de garder des accompagnants, des travailleurs sociaux, mais ce n'est pas leur rôle, à moins qu'ils n'aient été formés pour cela.
Notre idée pour flécher les 250 millions d'euros est simple : plus de formateurs et plus de lieux. Nous sommes donc en train d'y travailler avec les collectivités locales et les acteurs du secteur. J'ai réuni hier un petit groupe de travail composé de représentants de collectivités, d'associations, d'entreprises ou de régies de quartier pour voir comment déployer dans les deux ans qui viennent le plus intelligemment et le plus rapidement possible beaucoup plus de formateurs numériques. Je réunirai la semaine prochaine les associations de collectivités. Selon les estimations des professionnels du secteur, un formateur permet d'autonomiser en un an environ 500 personnes. Maintenant, il faut que ces formateurs arrivent sur le terrain et partout en France. Tout le sujet va donc être d'opérationnaliser ces éléments, là encore en partenariat avec les collectivités territoriales. J'ai bon espoir d'être un peu plus précis sur le dispositif d'ici à un mois. En tout cas, je souhaite que nous nous laissions le temps avec les collectivités de dessiner ce que seraient ces emplois sur le terrain, afin qu'ils soient le plus efficace possible.
M. Raymond Vall, rapporteur. - Après ce propos introductif fort intéressant, j'ai trois questions.
Le pass numérique se déploie, certes, mais, comme vous l'avez souligné, dans des délais très longs. Comment peut-on toucher rapidement la trentaine de départements qui reste aujourd'hui en dehors de sa diffusion ?
Former cinq millions de Français éloignés du numérique représente en trois ans une retombée économique de 1,4 milliard d'euros. De ce fait, le financement de l'inclusion numérique ne doit-il pas être sorti du « pacte de Cahors » et être considéré comme un investissement ? Les collectivités territoriales ne sont pas toutes sur le même pied d'égalité. Encore une fois, je me fais le porte-parole des territoires ruraux, qui, pour la plupart, ont consacré des sommes importantes aux infrastructures. Quand on va leur demander de participer à l'accompagnement de l'inclusion numérique, il va quand même falloir tenir compte des disparités de moyens. Même si le plan France Très Haut Débit a prévu 50 % d'intervention de l'État, les 50 % restant seront financés par les départements et les communautés de communes.
Enfin, une partie de cet investissement de 250 millions d'euros, dont je vous remercie d'ailleurs, ne pourrait-elle pas être consacrée à l'ingénierie territoriale ? Comment articuler cet investissement avec la mission de l'ANCT, voire du Commissariat au plan ?
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Concernant le déploiement du pass numérique, votre impatience est la mienne. Je rappelle un peu l'historique. Quand le pass numérique a été décidé, je n'étais pas encore ministre. Il a été annoncé en 2018, puis il y a eu un appel d'offres auprès des collectivités. J'ai signé les conventions à la fin de l'été 2019. Le déploiement a commencé bon an mal an au début de 2020. Aujourd'hui, nous en sommes à 200 000. Le problème est que la Covid a mis tout cela sous le boisseau ; les lieux ont fermé et mettent du temps à rouvrir : il s'agit de structures qui sont souvent assez fragiles.
S'agissant de la trentaine de départements en dehors du pass numérique, un appel d'offres de 15 millions d'euros a été relancé cet été.
Je voudrais préciser un élément sur lequel, je pense, le Sénat ne me contredira pas. L'État a systématiquement fait le pari de la concertation, de la coconstruction avec les collectivités territoriales. Cela a un avantage : si vous auditionnez les collectivités qui travaillent avec nous, vous verrez qu'elles sont relativement satisfaites de la coopération avec la mission société numérique et de la manière dont la discussion se mène. Cela a un désavantage : la rapidité de déploiement. Pour le coup, celui-ci est dans la main des collectivités. Mais je ne veux pas leur jeter la pierre : même dans les endroits où cela se passe relativement bien, par exemple, dans le Nord, en Rhône-Alpes ou dans la Creuse, cela prend plusieurs mois. Cela étant, le choix initial, qui a été que cette politique soit non pas déployée par l'État, du haut, via les préfectures, mais contractualisée avec les collectivités locales, est le bon. Maintenant, il faut que les choses s'accélèrent. Je suis moi-même très impatient.
À ce stade, les 250 millions d'euros ne sont pas destinés au pass, ne serait-ce que parce que les 20 ou 25 premiers millions d'euros qui ont été apportés par l'État, qui correspondent donc à 50 millions d'euros environ, n'ont pas tous été dépensés. Les 250 millions d'euros financeront donc - je rebondis là sur le sujet de la disparité territoriale -, des postes et des lieux sans se limiter à 50 % de la quote-part, peut-être en allant jusqu'à 100 % à certains endroits pour aller vite et résoudre le problème de l'insuffisance du nombre de formateurs. Là encore, on voit une grande disparité entre les collectivités territoriales. Certaines - les Hauts-de-France, la Savoie, les Pyrénées-Atlantiques, la Creuse - ont déployé une stratégie d'inclusion numérique, identifié les publics cibles et les acteurs. D'autres n'ont même pas mené cette réflexion. Or l'État ne peut pas se substituer à elles pour déterminer les publics prioritaires, les structures sur lesquelles s'appuyer... Il n'y a que les territoires qui peuvent le faire. L'État propose 250 millions d'euros et est prêt à financer des postes à 100 %, mais il faut lui dire où. Reste qu'il ne faut pas que ces sommes servent à financer des agents d'accueil pour aider à rebrancher le wifi ; je le dis, parce que c'est du vécu.
C'est aussi une exigence pour les collectivités territoriales de se doter d'une vision sur l'inclusion numérique, qui n'est pas qu'une vision sur le déploiement de la fibre. On peut s'appuyer d'ailleurs en partie sur les syndicats mixtes de déploiement de la fibre. Pour le moment, je ne suis pas capable de vous dire comment vont se ventiler exactement les 250 millions d'euros. Nous sommes prêts à en discuter avec les collectivités. Notre volonté, c'est l'efficacité et qu'il y ait réellement des formateurs dans des lieux avec des moyens et qu'ils soient pilotés par la collectivité. La notion de péréquation est également importante. Un département comme celui de la Creuse, qui est très rural, a une vision très précise de ce qu'est l'inclusion numérique. Nous sommes prêts à l'aider. J'ajoute que tout cela doit évidemment être pensé avec des opérateurs sociaux comme Pôle emploi, la CAF, la CNAV, etc.
Concernant le « pacte de Cahors », je peux avoir mon opinion personnelle, mais vous comprendrez que je ne déroge pas à la doxa gouvernementale. Le sujet pourrait être aussi porté soit par des hubs, soit par des associations locales, soit par des tiers-lieux financés par les collectivités. L'important est que cela soit concerté et coordonné avec l'action des collectivités, le portage de tel ou tel dispositif pouvant se discuter dans des termes qui parfois ne sont pas totalement dépendants du « pacte de Cahors », surtout que c'est l'État qui paye.
Comme vous le savez, la mission société numérique fait partie de l'ANCT. C'est la mission de l'ANCT, notamment de sa mission société numérique, d'accompagner les collectivités. Nous sommes d'ailleurs en train d'augmenter ses effectifs de sept ou huit personnes à plus de quinze. L'objectif est d'améliorer la communication entre collectivités - il faut éviter de réinventer la roue à chaque fois - et de mieux les accompagner en matière d'ingénierie. Je pense que c'est au coeur de ce que doit faire l'ANCT. D'ailleurs, elle le fait plutôt bien.
M. Éric Gold. - Nous pouvons tous nous féliciter de la poursuite et de l'accélération du déploiement de la fibre optique dans le plan de relance et de l'investissement de 250 millions d'euros pour l'inclusion numérique.
Les centres sociaux, les tiers-lieux, les espaces numériques, les Fab Lab permettent globalement une meilleure inclusion, mais il y a aussi un certain nombre de carences à relever, comme celles liées à l'équipement des territoires et des familles ou les carences éducatives au sens large. Il n'y a pas de programme éducatif dédié à cette matière dans les plus petites classes. Ce serait pourtant un bon moyen de sensibilisation.
L'un des plus gros dysfonctionnements à mon avis, c'est l'ergonomie des sites, y compris des sites institutionnels. La plupart sont très anxiogènes pour ceux qui sont un peu éloignés du numérique. Les gens ont toujours peur de se tromper et de ne pas pouvoir revenir en arrière. Une partie des 250 millions d'euros pourrait donc servir à mener des actions particulières dans ce domaine. En effet, je trouve que nos institutions ne sont pas exemplaires : leurs sites sont surtout faits pour des gens qui savent et pas pour des gens qui découvrent.
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Je ne peux qu'abonder dans votre sens.
Concernant l'équipement, si l'on regarde les exemples des conseils départementaux ou des conseils régionaux, toutes sensibilités partisanes confondues, qui ont décidé d'équiper de tablettes leurs collégiens ou leurs lycéens, on s'aperçoit que c'est quasi systématiquement un très grand échec. Je ne nie pas le coût que représente l'achat d'un smartphone ou d'un ordinateur - en entrée de gamme, un ordinateur coûte 150 à 200 euros -, mais je pense que c'est le dernier maillon de la chaîne. L'ensemble des initiatives le montre : si l'équipement n'est pas accompagné d'un apprentissage des usages, par exemple par le professeur, très vite il se retrouve mis de côté, voire mis en vente sur le Bon Coin. À titre personnel, je ne suis pas fermé à une réflexion sur les tarifs sociaux pour les équipements, mais, je le répète, c'est vraiment le dernier maillon de la chaîne. Il faut d'abord améliorer la connexion et les usages. Une réflexion pourrait aussi être menée concernant la réutilisation des équipements. J'ai l'exemple d'initiatives très intéressantes qui couplent l'inclusion numérique, l'insertion par l'activité économique et des ordinateurs de seconde main. Je l'ai vu en Guyane. C'est un cercle vertueux dans lequel nous pourrions nous inscrire.
L'éducation dans les petites classes progresse. L'éducation au numérique, en règle générale, que ce soit au code et à la grammaire, est un sujet qui me préoccupe beaucoup. Quand on se regarde, on se désole ; quand on se compare, on se console, si je puis dire. En introduisant une heure et demie d'enseignement technique et numérique obligatoire pour tous les élèves à partir de la seconde depuis septembre 2019, Jean-Michel Blanquer a fait de la France l'un des pays, peut-être le pays de l'OCDE, qui est le plus en avance dans la généralisation de l'enseignement du numérique. D'ailleurs, cela correspond à une stratégie qui commence à irriguer les petites classes, avec un élément déclencheur, qui est la formation des professeurs. Il faudrait également en profiter pour travailler sur la mixité des métiers du numérique, mais c'est un sujet auquel se heurte l'ensemble des pays développés. Oui, nous ne sommes pas très en avance, mais nous sommes souvent moins en retard que les autres, même si nous sommes loin de la ligne d'arrivée.
L'ergonomie des sites est un sujet que je connais très bien. Cette question est aujourd'hui pilotée par Amélie de Montchalin, qui est chargée de l'ensemble de la transformation publique et numérique de l'État. Oui, nous sommes allés trop vite dans la numérisation des services publics et, surtout, nous avons oublié une partie des usagers. La disparition des numéros de téléphone a fait chuter le taux d'accessibilité, sans oublier la sémantique souvent inaccessible à une partie de nos concitoyens. Nous avons donc pris ce sujet à bras-le-corps.
Depuis plus d'un an, nous publions tous les trimestres la liste des 250 démarches administratives les plus utilisées par les Français, avec sept critères de qualité, par exemple l'accessibilité par un smartphone ou le taux de satisfaction des usagers. Cela exerce une amicale pression sur mes collègues du Gouvernement quand une démarche est dans le rouge. Ce tableau peut être consulté par tous les Français et, donc, bien évidemment, par la Représentation nationale. Oui, nous avons besoin de travailler sur la qualité de notre démarche dématérialisée. Nous avons lancé il y a à peu près un an, notamment avec la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), un chantier de réintroduction des numéros de téléphone dans les administrations. Quand quelque chose ne fonctionne pas et que l'on vous dit de vous rendre à un guichet à quarante kilomètres de chez vous, le mardi de dix heures trente à douze heures trente, c'est agaçant et cela aboutit à de la colère contre le service public.
Dans le plan de relance, il y a également 2,3 milliards d'euros prévus pour la numérisation des services de l'État, des collectivités territoriales et des TPE-PME. Soyez assuré que le Président de la République s'est engagé à ce que 100 % des démarches soient dématérialisées d'ici à 2022. Pour en avoir discuté avec lui, il a conscience que, le plus urgent, ce n'est pas ce taux de 100 %, mais la qualité des 70 % actuels.
M. Jean-Marie Mizzon. - La lutte contre l'illectronisme n'est pas une option. On a choisi en France de mettre en place des têtes de réseaux par la procédure de l'appel à projets. D'où le résultat suivant que nous connaissons tous : tout le territoire n'est pas couvert et cela prend beaucoup de temps. Or, alors que nous sommes relativement pressés, il faudra attendre le prochain appel à projets. N'aurait-il pas fallu choisir une autre méthode ? Peut-être par anticipation sur la déconcentration - le deuxième ou le premier des « 3 D » -, faudrait-il que les préfets écoutent les territoires, et s'organisent avec les collectivités locales, car il y a urgence ! Mettons ce qu'il faut sur la table pour que chacun commence en temps et en heure, afin que chacun soit prêt en temps et en heure...
M. Cédric O, secrétaire d'État. - C'est ce que nous faisons avec les 250 millions ! L'appel à projets a un grand avantage : il oblige le territoire à réfléchir à sa propre stratégie. Nous avons voulu aider certains à s'aider en leur disant : « il y a de l'argent ; on vous le donne si vous avez un projet un peu structuré ». Avec beaucoup de bienveillance, cela a permis à certains territoires de s'interroger sur ce qu'ils avaient envie de faire.
Évidemment, comme vous l'avez noté, cela ne couvre pas tout le monde et cela prend du temps...
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Et de l'énergie !
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Oui, mais quand elle permet de faire émerger un projet, elle n'est pas mal utilisée. Les 250 millions ne seront, bien sûr, pas sans contrepartie : on veut savoir ce que les gens font, avoir un peu de crédit et pouvoir les animer et les former de la même façon.
L'idée est d'aller plus vite, justement, et de pas passer par ce mécanisme d'appel à manifestation d'intérêt systématique. Cela nécessite une bonne dialectique entre les préfets et les collectivités : ils ne doivent pas faire à leur place, mais piloter, et parfois faire preuve de volonté, lorsqu'elles ont d'autres priorités ; si elles n'ont pas de schémas d'inclusion, le préfet le fera à leur place, ce qui ne correspond pas toujours, comme vous le savez, à leur demande...
M. Jean-Marie Mizzon, président. - La politique numérique n'a jamais été transférée, elle n'est pas une compétence d'une collectivité en particulier, et tout le monde en fait... Je suis loin d'être centralisateur, mais lorsqu'il faut aller vite, il est parfois plus facile, à l'image des contrats de plan, de charger le préfet d'être simplement l'animateur et pas le décideur...
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Je prends bonne note de votre proposition !
M. Jean-Marie Mizzon, président. - ...et, en liaison avec le président de région, d'être l'initiateur de certains dispositifs.
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Vous touchez là au coeur de l'un de mes problèmes ...Je ne citerai pas de noms, mais dans certaines régions, et certains départements, dont c'est loin d'être la priorité alors que je ne pense pas que l'illectronisme soit absent de ces territoire. L'État se retrouve donc face à un cas de conscience : doit-il faire à leur place ?
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Vous avez reconnu que tout cela prend du temps. Pour autant, vous n'avez pas annoncé que dans le cadre d'Action publique 2022, la dématérialisation des 250 démarches les plus courantes pour les particuliers et les entreprises, qui devait être mise en oeuvre à partir de 2022 serait différée, mais vous verrez peut être, chemin faisant, comment évoluent les choses une fois que vous aurez plus de recul...
Vous avez dit que 200 000 pass ont été produits. Si le pass avait valu, non pas la 10 euros, mais 5 euros, vous n'en auriez même pas produit 50 000. Nous en avons beaucoup discuté avec certains acteurs de la médiation numérique : 10 euros, c'est relativement faible ! Ils parlent de formation low cost parce que cela nécessite des moyens humains que cette valeur du pass ne permet pas de mobiliser. Je me demande si votre estimation était bien calibrée...
Vous apprêtez-vous à étendre au territoire national le droit à la connexion à Internet, expérimenté dans trois départements, la Haute-Saône, la Marne et la Seine-Saint-Denis ?
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Les pass se présentent sous la forme de carnets de cinq ou dix tickets de 10 euros, soit 50 ou 100 euros chacun.
Certes, si dix personnes, toutes les semaines, viennent à leur session et donnent 10 euros, cela fait 100 euros par semaine, soit 500 euros au bout de cinq semaines, etc. et si plusieurs groupes font de même, cela solvabilise l'offre de médiation numérique. Bref, la difficulté est de gérer cette montée en puissance, sachant qu'au début, le pass ne suffit pas à solvabiliser un emploi. C'est pourquoi nous faisons, avec les 250 millions d'euros, un effort sur les formateurs : il faut laisser le temps au pass de se déployer...
M. Jean-Marie Mizzon, président. - C'est un temps d'amorçage...
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Exactement. Des formateurs sont déployés dans des structures qui commencent à recevoir des pass, par exemple pour 200 euros par semaine, ou par mois, et lorsque les millions de pass que nous avons payés arriveront sur le terrain, nous espérons que les mêmes structures recevront 3 000 ou 4 000 euros de pass. Nous avons besoin de temps pour que le nombre de pass solvabilise les structures : cette montée en puissance s'apparente à l'histoire de la poule et de l'oeuf...Il faut que les structures puissent payer les formateurs qui arrivent, grâce au pass, partout en France, payés par l'État, afin que les détenteurs de pass puissent être formés. Laissons le temps au pass de monter en puissance !
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Une fois que ces lieux s'autofinanceront, les formateurs seront-il appelés à d'autres endroits ou sera-t-il mis fin à leur mission ?
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Aujourd'hui, on en recense 1 200 et on a un financement de 250 millions d'euros pour deux ans : on verra ce qui se passe dans deux ans.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - De 10 euros...
M. Cédric O, secrétaire d'État. - ... a été décidée lors des expérimentations avec les acteurs de la médiation. Ce sont eux, pas l'État, qui ont choisi la valeur 10 euros, enfin en tout cas des carnets de 5 ou 10 fois.
Quant au raccordement, vous aurez noté que le plan de relance apporte 240 millions d'euros pour la couverture du territoire en fibre et que nous avons annoncé que nous travaillons notamment dans le cadre du projet de loi dit « Ddadue » de transposition des directives européennes, déjà examiné au Sénat et bientôt à l'Assemblée nationale, sur un service universel dans le cadre de la fibre. À partir de 2025, nous aurons fibré tout le territoire. À cet horizon, nous devons travailler sur cette notion de service universel, tel qu'il existe pour le téléphone ou l'électricité.
M. Raymond Vall, rapporteur. - Je souhaite vous interroger sur la simplification des outils. Avez-vous rencontré, comme nous l'avons pu lors de nos auditions, des initiatives visant à simplifier l'outil, de manière à accélérer son utilisation.
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Par outils, vous entendez des smartphones ou des ordinateurs ?
M. Raymond Vall, rapporteur. - Oui, recyclés.
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Nous y travaillons pour les sites internet de l'administration. Nous avons embauché à cette fin des spécialistes de « l'expérience utilisateur », pour simplifier les termes et les parcours. Quant aux outils, je crains hélas qu'ils soient dans la main des fabricants, plus que de l'État...
Il y a deux questions, celle de la simplification et celle de la standardisation, qui sont en dehors du champ de l'État. Nous connaissons tous des personnes, plus ou moins âgées, qui apprennent sur un téléphone, puis changent de téléphone, et vivent un véritable enfer parce que les touches ne sont plus au même endroit. Au fond, il s'agit d'autonomiser ces personnes : ce n'est pas impossible, mais il faut leur apprendre à se servir de ces outils.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Merci beaucoup pour votre disponibilité et la qualité de vos réponses.
La réunion est close à 17 h 30.