- Mardi 23 juin 2020
- Projet de loi organique et projet de loi ordinaire relatifs à la dette sociale et à l'autonomie - Audition de MM. Jean-Louis Rey, président du conseil d'administration de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) et Anthony Requin, directeur général de l'Agence France-Trésor
- Projet de loi organique et projet de loi ordinaire relatifs à la dette sociale et à l'autonomie - Audition de M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé
- Mercredi 24 juin 2020
- Proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête pour l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la Covid-19 et de sa gestion - Nomination d'un rapporteur et examen du rapport et du texte de la commission
- Proposition de loi portant création d'un fonds d'indemnisation des victimes de la Covid-19 - Examen des amendements de séance
- Proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer - Nomination d'un rapporteur et examen, en deuxième lecture, du rapport et du texte de la commission
- Projet de loi organique et projet de loi ordinaire relatifs à la dette sociale et à l'autonomie - Examen du rapport et du texte de la commission
- Proposition de loi permettant d'offrir des chèques-vacances aux personnels des secteurs sanitaire et médicosocial en reconnaissance de leur action durant l'épidémie de Covid-19 - Désignation des membres pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire
- Jeudi 25 juin 2020
Mardi 23 juin 2020
- Présidence de M. Gérard Dériot, vice-président -
La réunion est ouverte à 15 h 30.
Projet de loi organique et projet de loi ordinaire relatifs à la dette sociale et à l'autonomie - Audition de MM. Jean-Louis Rey, président du conseil d'administration de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) et Anthony Requin, directeur général de l'Agence France-Trésor
M. Gérard Dériot, président. - Nous entendons cet après-midi MM. Jean-Louis Rey, président du conseil d'administration de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) et Anthony Requin, directeur général de l'Agence France-Trésor, que je remercie d'avoir répondu à notre invitation, sur les projets de loi, organique et ordinaire, relatifs à la dette sociale et à l'autonomie.
Cette audition, ouverte à la presse, a lieu en présentiel et visioconférence et je salue nos collègues qui y participent à distance. Elle est diffusée en direct sur le site internet du Sénat.
Si notre commission entend régulièrement le président de la Cades, chargée de l'amortissement de la dette sociale, elle est moins familière de l'Agence France Trésor, rattachée à la direction générale du Trésor et chargée de la gestion de la dette et de la trésorerie de l'État.
Ces deux structures sont cependant très proches puisque depuis le 6 juillet 2017, une convention de mandat entre la Cades et l'AFT a confié à l'État la responsabilité des activités de financement et la gestion du service de la dette sociale et une seconde convention a mis à disposition les personnels contractuels de la Cades à l'AFT.
Très concrètement, même si la Cades demeure une entité juridique distincte avec sa gouvernance propre et ses recettes affectées, la gestion de la dette sociale est assurée par l'Agence France-Trésor.
Ce rapprochement, voulu par le Gouvernement précédent, était justifié par la perspective de l'extinction sur la dette sociale, perspective sur laquelle notre commission avait émis quelques doutes.
L'amortissement de la dette sociale n'a rien d'une évidence. On pourrait même trouver une certaine incongruité à amortir une dette sans cesse alimentée par de nouveaux déficits.
Le projet de loi aujourd'hui soumis à l'examen du Parlement fournit donc l'occasion de s'interroger sur quelques fondamentaux :
- l'amortissement de la dette sociale, qui avait pour objectif vertueux de ne pas reporter la charge de dépenses de transfert sur les générations futures, a-t-il encore un sens et une justification aujourd'hui, alors que la durée de vie de la Cades aura dépassé 30 ans ? Quel est l'intérêt d'un mode de gestion de la dette sociale distinct de la dette de l'État ?
- la dette des hôpitaux, pour l'essentiel une dette d'investissement immobilier, a-t-elle sa place dans la Cades ?
- a contrario, la dette de l'assurance chômage, dont la soutenabilité peut interroger, ne devrait-elle pas faire l'objet d'un amortissement ?
- quel sens et quelle cohérence y a-t-il à accompagner un nouveau transfert de dette de 136 milliards d'euros d'une privation d'une partie des recettes consacrées à l'amortissement ?
Enfin, nous nous interrogeons plus globalement sur la capacité des marchés à absorber de telles quantités de dette publique, dans les conditions fixées pour les missions de l'Agence France Trésor, c'est-à-dire « au mieux des intérêts du contribuable et dans les meilleures conditions possibles de sécurité ». Je vous laisse la parole pour un propos liminaire avant que le rapporteur général, puis nos collègues ne vous adressent leurs questions.
M. Jean-Louis Rey, président du conseil d'administration de la caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). - Je commencerai pour vous brosser un rapide état des lieux de la situation de la Cades, alors que les deux projets de loi soumis à votre examen la préparent à une nouvelle reprise de dette de près de 136 milliards d'euros.
Il lui reste actuellement 81,2 milliards d'euros à amortir, que je comparerais au montant total amorti depuis 1996, d'environ 270 milliards d'euros.
En décembre 2019, ce montant à amortir était de 89,8 milliards d'euros, clôturant une année plutôt favorable. L'amortissement total au cours de 2019 avait atteint près de 16,3 milliards d'euros, en raison de recettes plus dynamiques et de taux d'intérêt moins élevés.
Pour 2020, la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) nous avait fixé un amortissement de 16,7 milliards, qui aurait donc porté le montant restant à amortir le 31 décembre 2020 à 73,1 milliards d'euros.
Nous anticipions alors une charge d'intérêt pour 2020 évaluée à 1,8 milliard d'euros ainsi qu'un niveau de recettes pour la réalisation de cet objectif d'amortissement de 18,5 milliards d'euros - dont 7,5 milliards au titre de la CRDS, 8,5 milliards au titre de la CSG et 2 milliards au titre du versement annuel du FRR - la différence de ces deux montants aboutissant bien au montant d'amortissement escompté pour 2020.
Force est de constater, au vu des circonstances exceptionnelles que nous connaissons, que ces recettes ne seront pas toutes encaissées. À ce stade de l'exercice, je peux vous indiquer qu'il manque 600 millions d'euros par rapport à un scénario dont la crise du coronavirus aurait été absente.
Sur ces 600 millions d'euros, une très faible partie sera annulée par le troisième projet de loi de finances rectificative, à savoir la CSG et la CRDS perçues sur les non-salariés ; une partie plus substantielle sera vraisemblablement recouvrée dans un délai très rallongé ; enfin, une partie ne sera pas recouvrée du tout, du fait de la disparition ou de l'insolvabilité du cotisant. J'attire votre attention sur ce dernier aspect, dont nous ne maîtrisons pas totalement aujourd'hui les variables : nous entrons en effet dans une période de politique salariale restrictive et d'attente, hautement compréhensible, et qui risque de tarir partiellement les ressources de la Cades.
On ne peut donc que constater une incertitude à remplir nos objectifs en termes d'amortissement de la dette sociale, mais j'insiste sur ce chiffre de 600 millions d'euros de défaut d'encaissement, qui semble tout de même relativement maîtrisé.
Par ailleurs, je tiens à souligner que la solidité financière de la Cades n'est pas du tout entamée. Le 12 mai dernier, nous avons lancé une opération d'emprunt sur les marchés de 3 milliards de dollars sur trois ans. Les marchés continuent d'y réagir très favorablement : le livre d'ordres de l'opération a enregistré une offre supérieure à 8 milliards d'euros, pour un total de 122 investisseurs. Cette opération a pu bénéficier d'un taux d'intérêt de - 0,34 % et nous n'avons payé que 0,075 % de commission, soit très loin du 0,2 % dont il a été question dans la presse.
M. Anthony Requin, directeur général de l'Agence France-Trésor. - Les projets de loi soumis à votre examen prévoient un report de neuf années de la date d'extinction de la Cades, soit un peu moins d'une demi-génération.
Certaines raisons ont présidé à la constitution d'une entité spécifique pour l'amortissement de la dette sociale, qu'il me paraît important de rappeler : contrairement aux dépenses du budget de l'État, les dépenses de la sécurité sociale sont des dépenses courantes qui doivent être absorbées par des recettes courantes, et ainsi respecter les fluctuations du cycle économique. Dans ce cadre particulier, au sein duquel le déficit devrait rester l'exception, l'émission à plus long terme de la dette sociale qui en résulte nécessite un horizon borné et une ressource dédiée pour conserver le principe de saine gestion.
À partir de cette épure initiale, on a distingué la dette de l'État de la dette sociale. S'y ajoute, au sein de la dette sociale, une autre distinction entre les besoins de financement portés par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), autorisée à quérir des financements sur les marchés à horizon d'un an, afin de financer le besoin en fonds de roulement infra-annuel, et les besoins de moyen et long terme qui sont portés par la Cades.
Vous nous avez interrogés sur la capacité des marchés financiers à absorber le quantum supplémentaire de dette qu'on s'apprête à amortir. En effet, les dépenses engendrées par la crise sanitaire nous conduisent à augmenter significativement le transfert des besoins de financement à la Cades, surtout pour soulager la croissance du besoin de financement infra-annuel imputable à l'Acoss qui, de 39 milliards d'euros en début d'année, a été porté à 95 milliards pour 2020.
Cette croissance des besoins de financement connaît un mouvement similaire pour la dette de l'État, dont on anticipe une augmentation de près de 130 milliards par rapport au montant de la loi de finances initiale pour 2020.
Pour autant, malgré ces perspectives d'émissions nouvelles de dette considérables, l'environnement reste propice. En effet, la Banque centrale européenne (BCE) a apporté un certain confort aux investisseurs et aux marchés en assouplissant ces programmes d'endettement sur les marchés du crédit et en ouvrant deux programmes d'urgence successifs d'achat de titres publics pour un montant de 1 350 milliards d'euros.
Cette action d'accommodation monétaire permet aux États de refinancer des dettes dans de bonnes conditions, facilitées par un dialogue entre autorité budgétaire et autorité monétaire particulièrement coopératif. Les Gouvernements de la zone euro ont soutenu leurs économies par des plans d'urgence, puis par des plans de relance. Dans ces circonstances, je n'ai pas d'inquiétude particulière sur le placement des dettes à venir.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Comme vous l'avez indiqué, l'une des motivations des projets de transfert de dette à la Cades est de permettre à l'Acoss, en allégeant ses encours financiers, de maintenir sa couverture des besoins de financement à court terme. À quel rythme et pour quel montant de trésorerie l'Acoss se trouvera-t-elle soulagée par ces transferts ?
Vous semble-t-il par ailleurs normal que les régimes obligatoires de base de la sécurité sociale (ROBSS) aient été portés dans le passif de l'Acoss de tels montants de dette ?
Le transfert de la dette hospitalière, dont la nature me semble fondamentalement différer de celle des ROBSS en ce qu'elle est une dette patrimoniale de l'État assumée sur ses investissements, ne change-t-il pas radicalement la mission de la Cades ?
Enfin, l'Assemblée nationale a inséré au sein du PJL un article 1er bis qui commande au Gouvernement un rapport sur l'opportunité pour la Cades de contracter des « prêts à impact social ». De quoi s'agit-il et quels en seront les impacts ?
M. Jean-Louis Rey. - Je tiens d'emblée à préciser que les 31 milliards d'euros de dette sociale à maturité infra-annuelle pour 2019 ne sont pas tous logés à l'Acoss, qui n'en abrite que 26 milliards. En effet, 3,5 milliards sont détenus par la Mutualité sociale agricole (MSA) et 1,2 milliard par la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL).
La gestion de la dette sociale à court terme par l'Acoss, entité différente de la Cades, a une raison très simple : la modification des capacités d'emprunt de la Cades, consécutifs aux transferts de dette dont elle est destinataire, doit être entourée d'un certain formalisme et de certains délais. Il y faut une loi ainsi qu'une mise à jour de la documentation de nos opérations sur le marché. Or la date escomptée de la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) sur ces PJL à l'Assemblée nationale est programmée pour le 22 juillet, ce qui me paraît excessivement tardif. En effet, les marchés financiers entrent généralement en sommeil durant l'été et nous souhaiterions engager une opération d'emprunt dès la fin du mois de juillet. Cette opération, que nous anticipons de plusieurs milliards d'euros, en précéderait plusieurs autres, qui pourraient totaliser un encours de 20 milliards d'euros d'ici la fin de l'année.
La commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS) fournit le schéma de financement de l'Acoss et confirme la solidité de ses assises financières : elle peut financer la moitié de ses besoins sur les marchés financiers, le reste lui parvenant principalement des concours financiers de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Elle dispose pleinement de la trésorerie nécessaire pour financer de nouveaux titres, d'autant que nous avons eu la bonne surprise de constater qu'en mai, les encaissements de cotisations sociales ont été meilleurs qu'attendus.
Maintenant, est-il juridiquement cohérent qu'elle abrite 26 milliards de dette sociale ? La question ne mérite pas, à mon sens, de débat si passionné. Je rappelle que ces sources de financement sont protégées par la règle selon laquelle tout transfert d'une recette sociale au profit de la Cades ne peut se traduire par une dégradation des comptes de la sécurité sociale. Pour preuve, nous avions envisagé en loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 une opération de reprise de dette de 15 milliards par la Cades, financée par un transfert progressif de CSG, et nous avons dû y renoncer en raison d'un retournement de conjoncture du régime général.
Par ailleurs, pourquoi se serait-on privé du marché de l'Acoss, pour lequel l'offre et la demande fournissent encore des taux d'intérêt négatifs ? Les conditions d'emprunt y étaient favorables et il aurait été dommage de ne pas en profiter. Les circonstances exceptionnelles que nous connaissons ont temporairement dégradé cet environnement, d'où la nécessité d'opérer les transferts prévus par les PJL à la Cades.
Concernant le transfert de la dette des hôpitaux, il s'agit concrètement de montants de 10 milliards d'euros au titre du capital et de 3 milliards d'euros au titre des intérêts. Selon moi, la dette hospitalière est d'une nature tout à fait similaire à celle des ROBSS, l'hôpital étant tout de même majoritairement financé par l'assurance maladie. Par ailleurs, il ne s'agit que d'une opération ponctuelle et partielle, puisqu'on ne procède au transfert que d'un tiers de cette dette. Bien que je ne me sois pas totalement retrouvé dans l'avis du Conseil d'État, qui émet plusieurs réserves sur la compatibilité de la dette hospitalière et des missions de la Cades, je le rejoins sur ses conclusions, qui valident la mesure au motif de son caractère exceptionnel.
M. Anthony Requin. - Sur les emprunts à impact social, je ne voudrais pas déflorer tout le contenu du rapport que nous devrons remettre d'ici la fin de l'année... On a effectivement vu se développer sur les marchés des obligations thématiques, qui répondent au souci de certains investisseurs d'avoir une certitude sur la finalité de leurs investissements. Le premier exemple, qui est particulièrement abondant et qui représente aujourd'hui un segment de marché bien identifié, ce sont les « obligations vertes » qui ont notamment pour objet d'accompagner la transition énergétique et de lutter contre le changement climatique. Comme vous le savez, l'État lui-même y a succombé : afin de capter cette demande particulière, nous avons créé une « OAT verte » de maturité 2039 que nous avons émise pour la première fois en janvier 2017, pour 7 milliards d'euros, puis réémise régulièrement chaque année. Elle a aujourd'hui un encours de 25 milliards d'euros avec des conditions profitables pour le contribuable.
Le deuxième exemple est donné par les obligations à caractère social (« social bonds ») qui sont apparues ces dernières années. La crise de la covid-19 a renforcé cette thématique sur le marché. Comme le président Rey l'a rappelé, l'Unédic a inscrit la totalité de ses émissions d'obligations sous ce format. L'Assemblée nationale nous demande à présent de regarder s'il serait également opportun de le faire pour la Cades.
Nous avons entamé une réflexion sur ce thème au sein de l'AFT et avec nos banques partenaires. Cependant, il ne s'agirait pas de céder à un effet de mode. Les obligations thématiques n'auraient un intérêt que si elles permettaient d'élargir la gamme des investisseurs auxquels la Cades peut s'adresser. S'il s'avérait qu'il existe une poche spécifique d'investisseurs thématiques, nous pourrions concevoir de nous y consacrer. Toutefois, il ne faudrait pas que cela nous conduise à perdre un seul de nos investisseurs habituels.
Il conviendra également d'étudier la nature du reporting et des informations recherchées par les investisseurs dans ce cadre. Sur les obligations vertes, nous avons dû mettre en place une gouvernance indépendante et quelque peu complexe, mais qui produit des analyses intéressantes sur les bénéfices environnementaux des actions que nous finançons. Il ne s'agit pas de créer une obligation à caractère social pour se rendre compte quelques années plus tard que ce qu'elle produit ne satisfait pas les investisseurs.
M. Jean-Noël Cardoux. - Ma première question porte sur le manque à gagner de 600 millions d'euros dû aux conditions dans lesquelles est plongé notre pays. Pensez-vous que ce montant a vocation à augmenter dans les mois et les années à venir ? Même si l'on ne sait évidemment pas quelles seront les conditions économiques dans un avenir proche, c'est un risque dont il faut tenir compte.
Deuxièmement, monsieur le directeur de l'AFT, vous vous êtes montré très optimiste sur le rôle de la BCE. Il est vrai que, sans son intervention, les taux d'intérêt auraient eu tendance à déraper. Mais, en raisonnant jusqu'à présent à l'horizon de trois ou quatre ans pour l'extinction de la Cades, on pouvait raisonnablement imaginer que cette situation pourrait se maintenir. Désormais, nous raisonnons sur neuf ans de plus. Pensez-vous que la politique de la BCE pourra rester aussi accommodante sur une si longue durée ? Le principal moteur des taux d'intérêt nuls, voire négatifs, est le rachat de dettes souveraines qui est déjà peu orthodoxe par rapport aux traités européens. Un jour prochain, de nouvelles structures européennes pourraient mettre fin à ce système. Ne doit-on pas anticiper un dérapage assez sensible des taux d'intérêt qui aurait pour conséquence des difficultés de financement pour la Cades ?
Troisièmement, vous nous avez déjà indiqué que la Cades bénéficie d'une excellente cote sur les marchés, ce qui permet de bénéficier de financements dans les meilleures conditions possibles. Cependant, compte tenu de ce qu'a dit le président à titre liminaire, à savoir que la Cades n'est plus qu'une coquille qui dépend de l'AFT, ce qui n'est au demeurant pas illogique, comment s'expliquent les différences de conditions d'emprunt entre la Cades et l'AFT ? On peut imaginer que les conditions de financement sont plus favorables pour l'AFT que pour la Cades. Quel intérêt, dès lors, y a-t-il pour l'État de faire porter certaines dettes par la Cades ? Vous nous avez expliqué que créer une nouvelle structure qui aurait pour objet de figer la « dette covid » ne serait pas réaliste compte tenu des marchés. Néanmoins, l'État ne pourrait-il pas tenter de déterminer cette « dette covid » ? Je vous renvoie aux nombreuses passerelles que l'on a pu constater ces dernières années entre le budget de l'État et la sécurité sociale, et notamment aux 2,5 milliards d'euros consacrés aux mesures « gilets jaunes » que la sécurité sociale a supportés en totalité.
M. Jean-Louis Rey. - Aujourd'hui, nous constatons qu'il manque 600 millions d'euros par rapport à ce qu'on attendait ; c'est une photographie au 23 juin. Une partie résulte d'un étalement de cotisations pour les entreprises et va nous revenir. Pour la suite, tout dépend des échéances des 5 et 15 juillet. Notre analyse de la situation en juin nous laisse cependant plutôt optimistes, laissant penser que la reprise est là. Cela a une incidence plus générale sur la reprise de dette et la manière dont se distribuent les 136 milliards d'euros.
Le chiffre de 52,5 milliards d'euros de déficit prévisionnel du régime général est peut-être un majorant, et ne doit pas être vu comme une étape intermédiaire après les 40 milliards d'euros annoncés par M. Darmanin en avril. Les deux tiers de ce déficit correspondent à des déficits de recettes. Même s'il convient d'être prudent, je n'ai pas l'impression qu'un mouvement délite structurellement nos recettes. Nous en saurons plus dans quinze jours.
M. Anthony Requin. - Il y a une question sous-jacente à votre propos sur la BCE : est-on trop optimiste en considérant que les marchés actuels nous offrent une capacité de financement illimitée ?
A ce jour, aucun signal n'est adressé par la BCE quant au moment où elle envisage de sortir de sa politique accommodante : nous bénéficierons donc de taux faibles pendant quelques années encore. Or, la Cades, dont la durée de vie va être prolongée de neuf ans, va pouvoir se refinancer à un horizon de dix ans en profitant des taux d'intérêt actuels. Dans deux ans, la durée de vie de la Cades aura diminué d'autant, et il ne sera plus possible de profiter de ce segment. C'est donc aujourd'hui que nous pouvons profiter de conditions de financement à des taux très faibles pour une maturité assez longue.
En outre, si la BCE décidait de remonter ses taux d'intérêt, cela signifierait que l'inflation aurait redémarré et que les perspectives économiques seraient probablement meilleures ; les recettes devraient donc également être plus élevées. Ainsi, l'augmentation de la charge d'intérêts qui s'ensuivrait ne serait pas forcément insupportable.
S'agissant des conditions d'emprunt respectives de l'État et de la Cades, il convient de préciser que l'État, pour des raisons symboliques, emprunte exclusivement en euros et n'émet pas dans d'autres monnaies. Or, un plus petit émetteur comme la Cades peut être plus « opportuniste » et émettre sur des marchés en devises. Elle peut ainsi profiter de conditions d'emprunt qui, une fois couvert le risque de change, lui permettent de réduire le différentiel de taux de financement avec l'État - lequel est inévitable et consubstantiel à la création d'une agence publique. De plus, la Cades, par la diversité des outils dont elle dispose et l'expertise des agents qui émettent pour son compte, peut parvenir à optimiser le coût de son financement. Enfin, la Cades emprunte à une maturité moyenne pondérée beaucoup plus faible que l'État : alors que les titres émis par l'État suivent une courbe allant de trois mois à cinquante ans, la Cades émet des titres ayant une maturité de trois mois à dix ans. La courbe des taux étant ascendante, la Cades peut ainsi compenser le « spread d'agence » par des coûts d'emprunt plus faibles. Au total, il n'est donc pas démontré que faire porter la dette par la Cades revient plus cher au contribuable que si l'État la portait.
M. Jean-Louis Rey. - Je tiens à préciser que la Cades n'est pas une coquille vide. Certes, elle a passé une convention de mandat de gestion avec l'AFT, mais c'est bien le conseil d'administration de la Cades qui décide du plan de financement. La décision de mettre à disposition le personnel financier de la Cades auprès de l'AFT a été prise avec le souci de conjurer le risque opérationnel sachant que l'horizon de la caisse était à 2024. Il se trouve qu'à mon arrivée, j'ai eu à gérer le départ brutal de mon responsable de trésorerie ; cela a accéléré le processus. Mais la Cades vit toujours, et pas seulement son président !
M. Yves Daudigny. - Dans l'étude d'impact annexée au projet de loi, nous lisons que les hypothèses reposent sur une croissance du produit de la CSG et de la CRDS de 2 % par an et des charges financières estimées à 2,2 milliards d'euros par an, soit un coût d'endettement de l'ordre de 2,25 %. Comment aboutit-on à un tel coût ?
Mme Monique Lubin. - Je voulais vous parler du paquet hétéroclite que constitue la dette transférée à la Cades, ce qui a déjà été évoqué par le rapporteur général. Vous nous expliquez qu'il n'y a pas de risque à emprunter actuellement et que nous aurions tort de nous en priver mais permettez-moi d'en douter. Au total, je n'ai pas de question précise à poser mais j'ai l'impression que nous sommes assis sur un volcan ! Le financement de notre protection sociale repose sur la santé des marchés financiers et sur le bon vouloir des investisseurs : tout cela m'inquiète.
M. René-Paul Savary. - Vous disiez que nous aurions tort de se priver d'emprunter avec des taux d'intérêt négatifs. Je voulais alors vous demander pourquoi ne pas emprunter davantage et effecteur une reprise de la dette hospitalière à plus d'un tiers ? Or vous avez précisé que l'amortissement de la dette reprise par la Cades avait un horizon à dix ans. Cela conforte mon idée qu'il ne faut pas que la Cades reprenne une dette hospitalière qui devrait être amortie à long terme, pas sur dix ans. Il faut consacrer la Cades à ce qui est sa vocation : amortir la dette sociale et non pas une dette d'origine patrimoniale.
On peut aussi se demander pourquoi les Allemands ne sont pas plus endettés, alors qu'ils devraient avoir des conditions d'emprunt encore plus favorables, ayant montré leur capacité à rembourser leur dette.
J'ai une question sur le fonds de réserve des retraites (FRR), qui continue d'être ponctionné pour alimenter l'amortissement de la dette sociale. On peut le comprendre mais si l'on suit ce calcul jusqu'en 2033, il ne restera plus rien au fonds de réserve. Or, l'objectif du FRR est de lisser les fluctuations que peuvent connaitre les régimes de retraite, donc cette pratique crée un problème pour l'avenir. Comment envisagez-vous le financement des retraites et de la dette prévisionnelle ? Dans vos hypothèses sur l'évaluation de la dette sociale, prenez-vous en compte les prévisions de déficit des régimes de retraite ?
M. Jean-Louis Rey. - Dans les 136 milliards d'euros de dette il y a 92 milliards de déficit prévisionnel pour la période 2020-2023 et une bonne partie de ces 92 milliards est issue de la branche retraite, de l'ordre de 40 %. On fait intervenir le FRR en deux séquences de financement, avec un ajustement en 2025 de cette contribution pour s'adapter aux capacités du fonds et lui permettre de conserver une existence. Tout se rejoint : le rôle du FRR était de participer au financement des régimes de retraite en grandes difficultés conjoncturelles. Nous sommes dans une période qui nécessite cette mobilisation. Donc on lui fait jouer le rôle pour lequel il a été créé.
Pour répondre à M. Daudigny, le taux de refinancement de la Cades est à 1,88 % : c'est élevé par rapport au marché car nous avons encore dans notre portefeuille des emprunts qui sont datés, pour lesquels les conditions de financement étaient bien différentes. L'hypothèse de 2,25 % est formulée par le Gouvernement. Elle est peut-être un peu élevée par rapport à ce qu'on sait des marchés mais il est difficile de prédire l'avenir. Disons que c'est une hypothèse prudente. Même chose pour les recettes, on peut espérer que la hausse annuelle des recettes sera un peu supérieure à 2 %. Il y a donc des hypothèses, elles ne sont pas déraisonnables. Le plus important, c'est la crédibilité de la Cades sur les marchés. Pour cela, la Cades a des recettes solides et la question est de savoir si elles permettent d'assurer l'amortissement. Nous répondons oui et les marchés ne l'ont pas contredit.
Concernant la dette hospitalière, le chef de l'État a fait remarquer à raison que la reprise de la dette est inaudible auprès du personnel hospitalier. La perception de la mesure n'est pas très positive mais c'est une mesure très efficace. Il ne s'agit pas d'un transfert de contrat, les contrats restent auprès des hôpitaux. On met simplement à leur disposition la capacité de s'en libérer et seule la Cades peut l'assumer.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - La Cades amortit le capital, ce que ne fait pas l'État. Il y a une différence de nature.
Un autre schéma était possible. Ne pas transférer la dette hospitalière et avancer à 2021 la réaffectation de la CSG, sans changer la date de 2033 pour l'amortissement complet de la dette. Cela permettait d'offrir rapidement à la CNSA le financement qui n'est prévu qu'en 2024.
M. Anthony Requin. - L'inconvénient de ce schéma est qu'il casse le contrat moral qui nous lie avec les investisseurs pour la dette actuelle qui s'élève à 80 milliards d'euros. Changer en cours de route les termes du contrat pour l'amortissement de cette dette, qui doit l'être avec une assiette de ressources déterminée, c'est écorner le contrat de confiance. Les investisseurs pourraient ensuite douter de l'assurance d'amortir la future dette transférée de 136 milliards euros.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Il s'agirait de retirer une recette d'une côté afin de la transférer, pour une fraction équivalente, à la CNSA. Cela peut s'envisager techniquement. Vous dites qu'il est préférable que la dette hospitalière soit reprise par la Cades parce que cela ira plus vite et que l'amortissement sera réalisé, sauf que pour l'hôpital c'est la même chose. Je suis bien d'accord que c'est n'est pas tout à fait la même chose pour les comptes publics.
M. Jean-Noël Cardoux. - Je considère que transférer la dette hospitalière à la Cades c'est tout autant casser le contrat moral.
M. Bernard Bonne. - Je voudrais évoquer le transfert de 0,15 points de CSG vers la CNSA à partir de 2024. Avant la crise sanitaire, nous avons entendu tout et n'importe quoi sur l'avenir de la CRDS et sur les possibilités de financer l'autonomie. Or aujourd'hui on sait qu'il n'y aura pas de transfert de la CRDS et que la fraction de CSG ne sera réaffectée qu'à partir de 2024. Ne pensez-vous pas que le transfert de la dette hospitalière obère la capacité de transférer dès à présent ces 0,15 % pour financer l'autonomie ?
M. Jean-Louis Rey. - Pour répondre à M. Bonne, c'est un choix politique. En tant que gestionnaire de la dette sociale, nous disons qu'il faut être cohérent et constant dans ses engagements. Vis-à-vis des marchés financiers, on ne peut pas modifier chaque année les affectations de recettes, ce n'est pas possible pour que les marchés aient confiance. Il faudra donc absolument respecter le contrat que l'on se fixe à l'horizon 2033.
M. Bernard Bonne. - Vous évoquez la date de 2033 pour le financement sur les marchés mais aujourd'hui l'horizon c'est 2024. On peut donc regarder aujourd'hui ce que nous devons faire pour l'autonomie qui ne sera pas financée. On aurait pu envisager une participation financière plus rapide.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Il y a la durée d'amortissement, les recettes affectées et le montant de la dette transférée : ce sont les critères à régler, c'est mathématique. Ensuite, les choix sont politiques. Mais on ne peut pas dire qu'une voie est plus vertueuse que l'autre, la loi n'étant pas encore votée, même si je sais que vous anticipez déjà.
M. Dominique Théophile. - Les hypothèses établies pour le transfert de 136 milliards d'euros et la prolongation de l'amortissement jusqu'en 2033 prennent-ils en compte les 0,15 points qui seront ponctionnés sur la CSG ?
M. Jean-Louis Rey. - La crédibilité du processus d'amortissement repose en effet sur un transfert de 136 milliards d'euros avec une CSG réduite de 0,15 points à partir de 2024. Ce sont ces données qui crédibilisent l'hypothèse formulée, et elles sont bien intégrées.
M. Dominique Théophile. - L'horizon fixé à 2033 dépend de la somme à transférer qui s'élève à 136 milliards d'euros. Je vous trouve optimiste, on aurait pu formuler plusieurs hypothèses, selon l'évolution de la conjoncture, au cas où.
M. Gérard Dériot, président. - Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 16 h 55.
- Présidence de M. Alain Milon, président -
La réunion est ouverte à 18 h 05.
Projet de loi organique et projet de loi ordinaire relatifs à la dette sociale et à l'autonomie - Audition de M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé
M. Alain Milon, président. - Nous entendons M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, sur les projets de loi organique et ordinaire relatifs à la dette sociale et à l'autonomie, que notre commission examinera demain avant leur passage en séance publique à partir du 1er juillet. Ces deux textes transfèrent un montant significatif de dette sociale - 136 milliards d'euros - à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), dont la durée de vie se trouve en conséquence prolongée.
Monsieur le ministre, votre collègue ministre de l'action et des comptes publics, Gérald Darmanin, dont le nom figure également sur ces projets de loi, m'a fait savoir par la voix de son cabinet que sa présence n'était pas nécessaire, puisque vous étiez chargé par le Gouvernement de répondre à l'ensemble des questions que pourrait poser notre commission. J'en ai pris bonne note, bien que surpris que le ministre des comptes publics ne soit pas présent pour évoquer un texte relatif à la dette sociale, lequel ne manque pas, il est vrai, de surprendre à plusieurs égards.
On peut ainsi s'étonner que le Gouvernement choisisse de présenter les répercussions du prolongement de la durée de vie de la Cades dans un projet de loi ordinaire dont les conséquences devront être tirées par la prochaine loi de financement de la sécurité sociale, plutôt que de déposer directement un projet de loi de financement rectificative. Vous ne manquerez pas de nous objecter, comme vous l'avez déjà fait ainsi que M. Darmanin, qu'un tel texte serait prématuré, car la situation financière de la sécurité sociale n'est pas stabilisée et qu'il faudrait alors en présenter un chaque semaine.
Bien que nous nous préparions à examiner un troisième projet de loi de finances rectificative, je ne peux que saluer le perfectionnisme, les scrupules et le souci du détail du Gouvernement. Mais comment comprendre alors - c'est mon deuxième sujet d'étonnement -l'adjonction tardive d'un volet consacré à l'autonomie dont nous ignorons tout du financement, de la gouvernance, des prestations servies ou des bénéficiaires. Nous n'avons qu'une seule certitude : il s'agira d'une cinquième branche de la sécurité sociale. Le symbole est fort, mais le contenu d'autant plus décevant.
Pour financer cette nouvelle branche, le texte opère une dérivation de recettes de la Cades qui reçoit ainsi un montant sans précédent de dette mais moins de recettes pour les amortir, autre sujet d'étonnement ! De Sisyphe aux Danaïdes, en passant par Prométhée, les références mythologiques ne manquent pas pour évoquer la Cades mais une personne auditionnée par notre commission a préféré, plus modestement, se référer aux facéties du sapeur Camember pour qualifier cette opération de recettes.
Après ce rapport d'étonnement, je vous laisse la parole pour présenter les deux projets de loi, avant de la donner au rapporteur général, au président de la Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss), puis aux collègues qui le souhaitent.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. - Je vous remercie pour votre invitation. Je sais votre commission sensible aux questions de finances sociales et c'est bien volontiers que je réponds à vos questions en amont de l'examen du texte. Une nouvelle reprise de dette par la Cades constitue une nécessité de court terme au regard de la situation que nous traversons ; c'est également un outil pour affronter les grands défis de notre temps. Le temps court et le temps long représentent les deux aspects de ce projet de loi : le temps court du fait des circonstances et le temps long de l'ambition.
Il y a quelques mois, le retour à l'équilibre des comptes sociaux apparaissait proche et nous étions sur le point de fermer la Cades après vingt-huit années d'existence à apurer la dette. J'étais alors rapporteur général du budget de la sécurité sociale à l'Assemblée nationale et nous nous félicitions, avec Jean-Marie Vanlerenberghe, des perspectives plus enjouées que jamais. Vous avez évoqué le rocher de Sisyphe et le tonneau de Danaïdes : la métaphore n'est pas fausse et l'année que nous venons de traverser l'atteste. La crise sanitaire rebat les cartes et nous assistons à la reconstitution, au moins temporaire, de déficits importants. Je le regrette autant que vous, mais il n'en demeure pas moins indispensable d'assurer le financement de la sécurité sociale, dont la trésorerie est gérée par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) avec une contrainte sur la maturité des emprunts qui ne peuvent excéder douze mois. Cette trésorerie, grevée par 30 milliards d'euros de déficits cumulés à la fin de l'année 2019, a été soumise à de fortes tensions par les mesures prises et mises en oeuvre pendant la crise. Même dans la perspective d'un rebond de l'économie, les déficits à venir sont inéluctables. Or, seul un transfert à la Cades permet des placements sécurisants, car de long terme. Cette opération nous protégera contre le risque de devoir décaler le paiement des prestations sociales par manque de financement, situation que nul ne souhaite. En outre, l'hôpital public, dont chacun connaît les contraintes financières, trouverait dans cette reprise de dette de l'air et de la visibilité.
Ce projet de loi propose ainsi une opération de bonne gestion de la sécurité sociale. Il renouvelle l'engagement de rembourser la dette en application des principes de 1996, selon lesquels elle doit être gérée vertueusement et apurée au principal. Concrètement, nous devons prolonger de neuf ans, soit jusqu'en 2033, la durée pendant laquelle nous mobilisons à cette fin des recettes issues de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) et de la contribution sociale généralisée (CSG).
À l'occasion de cet engagement, nous posons aussi la première pierre de la réforme très attendue de la perte d'autonomie. Comme en 1945 lorsqu'a été créée une assurance sociale publique contre le risque de maladie ou d'accident du travail, nous faisons le choix d'assurer un nouveau risque auquel font face un nombre croissant de Français. De fait, en 2040, près de 15 % de la population, soit 11 millions de personnes environ, auront plus de soixante-quinze ans ; c'est le double du chiffre actuel. Un travail important a été réalisé à l'Assemblée nationale sur la création d'une cinquième branche de la sécurité sociale.
La question du traitement spécifique de la dette liée au Covid-19 relève à mon sens de l'échelon européen, mais nous devons agir rapidement. Dès lors, le présent projet de loi me semble représenter la meilleure, voire l'unique, solution envisageable.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - J'ai, pour ma part, six questions à vous poser. Le projet de loi organique porte sur le transfert à la Cades de 92 milliards d'euros au titre des déficits des exercices 2020 à 2023. Compte tenu des dernières hypothèses dont vous disposez, le calibrage retenu vous semble-t-il correct ? La trajectoire des comptes sociaux est-elle désormais connue ?
Selon le Gouvernement, la dette sociale générée par la crise sanitaire doit être isolée et relever d'un statut particulier. Incidemment, il a ainsi abandonné la doctrine du chacun chez soi défendue par votre collègue responsable des comptes publics. Pour autant, les mesures conduisant à des réductions de recettes pour la sécurité sociale qui pourraient intervenir dans le cadre du plan de relance seront-elles bien compensées ? Lorsque vous étiez rapporteur général, nous n'étions pas loin d'être d'accord sur ce principe...
Ma troisième question porte sur la prise en charge, par la Cades, du financement de l'amortissement d'un tiers de la dette des établissements hospitaliers. Pourquoi un tel transfert, selon un mécanisme par ailleurs complexe, alors que la dette hospitalière apparaît principalement immobilière et que l'État est propriétaire des hôpitaux ? Ne vous semble-t-il pas constituer un dangereux précédent ?
Le projet de loi prévoit qu'à compter de 2024 un quart de la CSG affectée à la Cades sera « dérivé » pour financer des dépenses courantes relatives à la dépendance. Une telle opération ne revient-elle pas à considérer comme éternelle la dette sociale, à l'instar de celle de l'État ? Si elle a vocation à être perpétuellement transmise aux générations futures, pourquoi continuer à rembourser le capital et ne pas dégager des moyens supplémentaires pour les dépenses sociales courantes ?
Par ailleurs, à quel usage sera destinée la fraction de la CSG affectée à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) pour financer la perte d'autonomie, qui représente la modique somme de 2,3 milliards d'euros ? Comment sera-t-elle répartie dans les différentes sections de son budget ?
Enfin, pouvez-vous nous donner davantage de précisions sur la méthode retenue pour ouvrir le chantier du cinquième risque, notamment le calendrier des travaux et les orientations proposées ? Risque, comme le prévoyait le texte initial, ou branche, selon le voeu de l'Assemblée nationale : où va votre préférence ? À qui sera confié le rapport de préfiguration attendue pour la mi-septembre ?
M. Olivier Véran, ministre. - Le statut de la dette liée au Covid-19 pose une question complexe. Cette dette relève-t-elle de l'État, de la sécurité sociale ou est-elle hybride ? Mon inclination naturelle allait vers la troisième option - un statut spécial pouvant éventuellement bénéficier d'un amortissement particulier -, mais l'urgence l'a exclue. De fait, si nous obérons les capacités de la Cades à emprunter suffisamment sur les marchés, nous ne pourrons plus verser les prestations sociales. En 2011, le vecteur d'un transfert de dette à la Cades a déjà été utilisé afin de pouvoir emprunter sur le long terme.
La composante principale - 30 milliards d'euros - de la dette dite « dette Covid » concerne le financement du chômage partiel, qui relève certes d'une décision de l'État, mais reste une réduction ou une suppression de cotisations grâce à laquelle la sécurité sociale a joué son rôle d'amortisseur social, de préservation des emplois et de lutte contre la pauvreté.
L'autre partie de la dette Covid est la conséquence d'une augmentation de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) en raison des dépenses induites par la crise. J'ai encore des débats philosophiques avec mon homologue chargé des comptes publics s'agissant de la compensation, mais la sécurité sociale a indéniablement joué son rôle d'amortisseur de crise. Par ailleurs, l'État s'apprête à faire un geste important sur l'Ondam, sans qu'il soit question que la sécurité sociale rembourse les sommes allouées. Nous avons de la suite dans les idées, Bercy aussi.
La dette hospitalière représente, à mon sens, la conséquence d'un Ondam contraint pendant des années par la maîtrise médicalisée. Dès lors, il n'est pas incohérent qu'elle soit en partie reprise par la Cades. Vous avez également évoqué la trajectoire des comptes sociaux : nous prévoyons, dans le troisième projet de loi de finances rectificative, un calibrage de 52 milliards d'euros d'ici à la fin de 2020. Toutefois, la crise génère encore des dépenses et des pertes de recettes et je ne peux vous dire précisément, même au milliard près, quel en sera le bilan. Nous avons donc été prudents en débloquant de manière prévisionnelle des dépenses supplémentaires suivant un mécanisme défloré en 2011 par une autre majorité, qui avait alors anticipé des déficits de l'ordre de 59 milliards d'euros.
Vous m'avez aussi interrogé sur le transfert d'une partie de la CSG à la CNSA. Afin d'éviter, compte tenu des engagements pris auprès de nos créanciers, de modifier les règles de remboursement de la dette sociale, nous avons fait le choix d'attendre 2024 avant de procéder à ce jeu de tuyauterie destiné au financement de la perte d'autonomie. Tel que je l'ai présenté au Premier ministre, le mécanisme imaginé s'apparente à une renégociation de prêt bancaire : la durée de remboursement du prêt est prolongée et le montant des mensualités réduit.
Concernant l'utilisation des 2,3 milliards d'euros, vous savez que les prévisions du rapport de Dominique Libault sur les dépenses liées à la perte d'autonomie d'ici à 2030 sont vertigineuses : il évoque 7 à 8 milliards d'euros. Parce que la population vieillit, leur augmentation est inéluctable, sans compter les crédits nécessaires à la rénovation et à la construction d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), au maintien à domicile et à l'attractivité des métiers dans les secteurs du grand âge et de l'autonomie. Les 2,3 milliards d'euros annoncés ne seront donc pas suffisants et il faudra identifier des pistes de financement complémentaires.
Compte tenu des besoins, il convient d'engager des dépenses, avant 2024, dans le cadre d'une politique ambitieuse de l'offre. Aussi, je me suis engagé à l'Assemblée nationale à ce que figure dans le prochain projet de loi de financement au moins 1 milliard d'euros supplémentaire pour la CNSA, soit davantage que les 700 millions d'euros annuels prévus par la loi Delaunay du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement. Il conviendra néanmoins d'identifier d'autres sources de financement ; se tiendra à cet effet une conférence des financeurs sur l'identification des moyens de la CNSA. En outre, une mission de préfiguration de la cinquième branche a été confiée à un inspecteur général des finances qui connaît bien la CNSA pour y avoir siégé.
M. Jean-Noël Cardoux, président de la Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss). - En novembre dernier, lorsque nous avions la chance d'entendre M. Darmanin, il nous avait indiqué que la croissance allait absorber le stock de dette figurant encore au passif de l'Acoss, soit entre 30 et 40 milliards d'euros. Selon nos projections, son montant pouvait atteindre 40 à 50 milliards d'euros à l'extinction de la Cades. Alors rapporteur général de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, vous aviez pourtant annoncé que, dès 2024, la CRDS pourrait financer la dépendance. J'avoue avoir été surpris par cette déclaration...
Le texte que vous nous présentez pour transférer à la Cades le stock des déficits non transférés augmenté de la dette Covid apparaît incontournable, mais pourquoi en profiter pour utiliser la Cades comme un fourre-tout en la chargeant de 13 milliards d'euros de dette hospitalière ? Vous justifiez cette décision par un lien avec la sécurité sociale, mais la Cades a pour mission d'amortir une dette de dépenses de fonctionnement, non de dépenses immobilières ou d'investissement. N'est-ce pas plutôt une façon habile de cacher la poussière sous le tapis pour vous permettre d'aborder le Ségur de la santé dans de meilleures conditions ? Pourquoi transférer cette dette à la Cades alors que, d'après l'Agence France Trésor et le président de la Cades, que nous avons auditionnés, l'État emprunte dans de meilleures conditions ? Pourquoi enfin, à l'occasion de ce texte vertueux mais purement financier, afficher une prise en charge de la perte d'autonomie à trois ans alors que le besoin est urgent ? Pourquoi ne prévoir que 2,3 milliards d'euros quand les prévisions estiment les besoins entre 8 et 10 milliards d'euros ? Il aurait été préférable d'aborder le financement du cinquième risque dans le prochain projet de loi de financement, sans attendre 2024 pour sa mise en oeuvre et en prévoyant des crédits suffisants.
M. Bernard Bonne. - La création d'une cinquième branche plutôt que d'un cinquième risque obligera à la nomination d'un responsable. Comment l'envisagez-vous ? Le cinquième risque avait l'avantage d'être géré rapidement via la branche famille.
Lors de son audition, le président de la Cades a indiqué qu'il avait fallu prolonger d'un an la durée du remboursement de la dette pour permettre la ponction de 0,15 % de la CSG pour la CNSA à partir de 2024. N'aurions-nous pas pu prolonger d'un an supplémentaire et commencer immédiatement le remboursement, compte tenu de l'augmentation considérable de l'endettement de la Cades résultant du transfert opéré ?
Enfin, vous avez annoncé 1 milliard d'euros supplémentaire pour la CNSA à compter de 2021, mais cela ne permettra pas de répondre à la programmation normale de la loi dite « Grand âge » annoncée, alors que le secteur se trouve déjà en grande difficulté.
M. Olivier Véran, ministre. - Monsieur Cardoux, je me souviens que vous aviez déjà évoqué l'idée de transférer à la Cades le stock de dette de l'Acoss : l'histoire vous donne raison ; cette dette sera transférée, faute d'avoir pu être apurée comme nous l'aurions souhaité. Avant la crise sanitaire, souvenez-vous toutefois que nous connaissions un rythme de remboursement de la dette sociale plus rapide que prévu. Nous espérions alors une extinction début 2024, anticipée de quelques mois. À l'Assemblée nationale, je m'étais mobilisé pour proposer qu'on réduise un peu le rythme de remboursement afin de financer les dépenses liées à la perte d'autonomie. Comme j'ai de la suite dans les idées, le présent projet de loi prévoit, à partir de 2024, un mécanisme assez similaire.
Pour apporter un autre argument en faveur de la reprise de la dette des hôpitaux par la Cades, je rappelle que l'assurance maladie en est le principal financeur. Les différences de taux d'emprunt entre l'État et la sécurité sociale sont, en outre, extrêmement marginales et amenées à évoluer d'ici à 2033 dans un sens incertain. J'ajoute que la Cades rembourse le principal, contrairement à l'État.
Il me semble impropre de parler de cinquième risque, car il en existe déjà huit. L'avantage de créer une cinquième branche est d'assurer une gestion autonome du risque de perte d'autonomie et d'éviter sa dilution entre les branches existantes. Vous serez évidemment informés et consultés sur les travaux relatifs à la gouvernance et au financement de la nouvelle branche, j'y veillerai.
Monsieur Bonne, je n'ai jamais prétendu qu'un milliard d'euros serait suffisant, mais il s'agit de compléter une enveloppe qui s'élève déjà à 23 milliards d'euros par an. Ces moyens supplémentaires permettront d'engager une politique de l'offre qui fera l'objet d'un projet de loi ad hoc. J'ajoute que le Gouvernement a déjà versé 900 millions d'euros supplémentaires aux Ehpad, dont 450 millions d'euros de primes au personnel, depuis le début de la crise sanitaire. Des décisions rapides, massives, ont été certes prises dans une actualité qui ne laissait que peu de place au débat budgétaire, mais les dépenses ont dépassé, en deux mois et demi, 3 milliards d'euros par rapport à ce qui avait été budgété.
M. Daniel Chasseing. - Je me réjouis de la création d'un cinquième risque, dont j'espérais qu'elle intervienne, puisque le Président de la République l'avait annoncée dès 2018, avant la réforme des retraites. Hélas, l'avancée attendue ne sera effective qu'en 2024 et financée seulement par 0,15 % de la CSG, soit 2,3 milliards d'euros environ. Cela est très insuffisant ! Tandis que la dépendance va s'accroître, notre taux d'encadrement dans les EHPAD de 0,6 devra rapidement atteindre 0,7 ou 0,8. Lors de son audition, Marie-Anne Montchamp, présidente de la CNSA, a jugé possible d'affecter, dès 2021, des moyens à la prise en charge de la dépendance. Cela est indispensable pour nos aînés, dont certains ne sont pas pris en charge de façon décente.
Il m'apparaît, en outre, indispensable que le conseil départemental soit l'interlocuteur unique pour l'ensemble du secteur médico-social, la dépendance au soin, qui est une délégation de l'État, en passant par l'hébergement.
Il convient enfin d'agir en matière de formation, tant
nous manquons
d'aide-soignantes et d'infirmières. La valorisation des
acquis de l'expérience (VAE) est insuffisamment connue et
l'apprentissage trop peu développé. L'effort doit donc porter sur
l'information.
M. Philippe Mouiller. - Lorsque le débat a été lancé à l'Assemblée nationale sur la création d'une cinquième branche, il a créé un engouement fort au sein du monde du handicap, engouement qui s'est un peu dilué au fur et à mesure des débats par manque de visibilité sur le contenu de la réforme et son financement. Nous attendons certes le rapport annoncé et le prochain projet de loi de financement pour des détails chiffrés, mais pouvez-vous nous en exposer les principales orientations ? Pour le monde du handicap, le reste à charge constitue un enjeu majeur. Comment ce secteur sera-t-il associé à la réflexion ? Le texte concerne-t-il l'autonomie ou uniquement la perte d'autonomie liée au vieillissement ? Il semble, en effet, difficile de diviser la prise en charge du handicap en fonction des problématiques d'âge. Enfin, envisagez-vous le passage d'une logique d'aides sociales à une logique de prestations sociales ?
M. Alain Milon, président. - En donnant la parole à M. Théophile, je salue nos collègues des Caraïbes, que nos réunions matinales à distance pendant la crise sanitaire ont obligés à un réveil en pleine nuit.
M. Dominique Théophile. - Monsieur le ministre, vous avez évoqué à plusieurs reprises l'idée d'abonder la CNSA d'un milliard d'euros supplémentaire entre 2021 et 2024 et avez souhaité que les parlementaires émettent des propositions pour des financements complémentaires. Mais avez-vous déjà des pistes pour abonder la caisse d'ici à 2024 ?
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Cette réforme est évidemment très attendue ; il faut donc la bâtir en concertation avec les acteurs des secteurs de l'autonomie et du médico-social. Alors que vous prévoyez d'affecter 2,3 milliards d'euros à la CNSA, les prévisions s'agissant des besoins de la nouvelle branche oscillent entre 8 et 16 milliards d'euros. Comment allez-vous financer la différence ? Allez-vous mettre à contribution les revenus financiers, faire participer les plus aisés ou créer une cotisation sur les bénéfices des industriels du médicament ? Que pensez-vous de l'idée de créer un risque dépendance au sein de la branche maladie ? Enfin, s'agissant de la gouvernance de la cinquième branche, pourquoi ne pas créer des caisses primaires de l'autonomie avec une gestion paritaire ?
M. Olivier Véran, ministre. - Les 8 milliards d'euros que vous mentionnez s'entendent d'ici à 2030. Je n'ai pas encore de solution pour le financement de la perte d'autonomie à si long terme ; nous avons encore le temps d'y travailler, même s'il faut identifier dès à présent des solutions, car il y aura une montée en charge progressive des dépenses. Toutes les pistes sont sur la table, même si nous privilégions la CSG qui pèse déjà sur le capital et sur le patrimoine. Quant à la création d'une nouvelle strate administrative d'agences territoriales, j'y suis plutôt défavorable : nous avons déjà un millefeuille administratif copieux que je préfère simplifier plutôt que de créer de nouveaux dispositifs. Nous pouvons nous appuyer sur les réseaux existants et les développer pour leur permettre de traiter la perte d'autonomie.
Les modalités de financement du milliard d'euros destiné à la CNSA seront traitées dans le prochain projet de loi de financement en fonction des conclusions de la mission précitée. La mise à contribution du Fonds de réserve pour les retraites (FRR) pourrait être envisagée, mais il existe aussi d'autres pistes.
La réforme concerne bien la perte d'autonomie, c'est-à-dire l'association de l'âge et du handicap. Les professionnels concernés sont évidemment étroitement associés aux travaux en cours. Nous examinons certes un texte budgétaire de transfert de déficits, mais il dessine un projet plus vaste en faveur du maintien de l'autonomie. Nous aurons ultérieurement l'occasion de débattre des modalités de financement et de gouvernance, y compris de la place des départements.
M. Olivier Henno. - Monsieur le ministre, vous avez évoqué l'urgence pour motiver les choix du Gouvernement, dont notre rôle est de comprendre la pertinence et la cohérence. Le 22 avril dernier, nous avons entendu M. Darmanin ; je l'avais interrogé sur l'Ondam qu'il proposerait en cas de projet de loi de financement rectificative et il l'avait évalué à 6,5 %. Faites-vous la même estimation ?
Par ailleurs, le Ségur de la santé a-t-il vocation à discuter de la tuyauterie du projet de loi de financement de la sécurité sociale ? N'aurait-il pas été préférable d'aborder la question de l'autonomie à l'occasion du Ségur, plutôt que de se précipiter et de prendre des décisions qui mériteraient d'être approfondies, notamment s'agissant de la place de la CNSA ?
Mme Michelle Meunier. - Ma première question concernait le périmètre de la nouvelle branche et la répartition entre handicap et âge : vous y avez répondu. La réforme ne règlera donc pas le problème du seuil à soixante-cinq ans, bien connu des départements. Les associations de personnes handicapées ont de nombreuses attentes et souhaitent des réponses précises.
Avez-vous des pistes de recettes supplémentaires ? Ont été évoquées lors de nos auditions une contribution à hauteur de 1 % sur les droits de succession, à laquelle M. Libault semble favorable, et une taxation plus importante des donations, prônée par la CFDT.
M. Yves Daudigny. - Mon intervention concerne la nature même de la sécurité sociale. Ces derniers mois, le Gouvernement, en ne compensant plus l'intégralité des réductions et des suppressions de cotisations et en envisageant le transfert des excédents vers le budget de l'État, ne semblait guère attaché à son autonomie. Mais, s'agissant d'une dette exceptionnelle dont la nature, selon vos propres mots, peut prêter à discussion dans la mesure où elle relève d'un événement mondial, vous revenez à l'autonomie en jugeant que cette dette est uniquement sociale. Il n'est pas possible, monsieur le ministre, de considérer que l'autonomie de la sécurité sociale n'existe que lorsqu'il s'agit de dettes.
Vous allez certainement attacher votre nom à la création de la cinquième branche de la sécurité sociale. C'est un événement historique inédit depuis 1945 ! Alors comment expliquer que cette question arrive dans le débat à l'occasion d'un amendement déposé sur un article concernant un rapport du Gouvernement ? Il eut été préférable qu'un pan entier du projet de loi de financement soit consacré à cette mesure avec une discussion sur la gouvernance, sur les recettes et sur les prestations, avec toute la solennité nécessaire. Avec ce texte, il y a un amalgame regrettable entre le traitement de la dette et la réponse du Gouvernement à une demande ancienne de la société.
Mme Monique Lubin. - Je ne saurais mieux dire que M. Daudigny, la création d'une cinquième branche dans ces conditions a quelque chose d'incongru ! Je voulais aussi vous interroger sur le rôle du conseil départemental et l'articulation avec la prise en charge du handicap, mais comme vous avez dit que vous ne souhaitiez pas vous éloigner de l'esprit de ce texte, je ne les poserai pas... Vous comprenez bien toutefois qu'une telle annonce suscite de nombreuses interrogations. Au-delà de la question du financement, nous souhaiterions savoir ce que cette branche contiendra et comment elle s'articulera avec les dispositifs déjà existants. J'ai l'impression que l'on met la charrue avant les boeufs !
M. René-Paul Savary. - Initialement, le Gouvernement avait évoqué un cinquième risque qu'il comptait commencer à financer par l'attribution de 0,15 % de CSG à partir de 2024. Il y avait là une volonté d'affichage, mais après tout pourquoi pas ! Cependant, l'Assemblée nationale a tout modifié et il est question désormais d'une cinquième branche. On continue à travailler en silo : les problèmes d'articulation entre le sanitaire et le médico-social, le privé et le public, la médecine de ville et la médecine hospitalière ne sont toujours pas réglés. La crise sanitaire que l'on vient de vivre et le Ségur de la santé auraient pu constituer l'occasion de construire un modèle social adapté au XXIe siècle. Or ce n'est pas le cas. Le déficit de l'Unédic n'est pas évoqué, car il ne fait pas partie du périmètre de la sécurité sociale. Rien non plus sur les régimes complémentaires, tandis que la réforme des retraites a été différée... Bref, on continue à fonctionner en silo et on en voit les difficultés.
J'ai compris que la nouvelle branche concernerait l'autonomie, c'est-à-dire le handicap et la dépendance. Mais vous avez oublié la dimension transversale. La branche vieillesse contribue déjà, en effet, à hauteur d'une trentaine de milliards d'euros, à la prise en charge de la dépendance des personnes âgées. Il en va de même pour la branche famille avec le handicap. Or, vous créez une cinquième branche sans avoir mesuré les impacts. Qui plus est, elle sera dirigée par la CNSA... La place des partenaires sociaux aurait mérité d'être précisée. On ne peut se contenter de faire comme si on allait voir cela plus tard et que ces questions ne faisaient pas partie du périmètre de la loi. Cela en relève bien dès lors que l'on crée une cinquième branche ! D'un texte budgétaire, on est passé à un texte sociétal. D'où nos préoccupations.
Le texte transfère 92 milliards de dettes prévisionnelles à la Cades : pourriez-vous nous apporter plus de précisions ? En particulier, quelle sera la part de déficit prévisionnel de la cinquième branche, puisque celle-ci aura été créée ?
M. Olivier Véran, ministre. - Vous m'avez interrogé sur l'évolution de l'Ondam avec la crise. Il me semble qu'il serait pertinent d'arrêter de parler de l'évolution de l'Ondam en taux d'une année sur l'autre. Ce n'est pas clair et cela peut être trompeur. Cette année, les dépenses vont exploser, mais l'année prochaine la situation - espérons-le - s'améliorera, et donc le taux de progression de l'Ondam devrait être moins élevé; pourtant le déficit restera considérable !
M. Alain Milon, président. - Je ne peux que vous inviter à lire l'excellent rapport de M. Savary et Mme Deroche sur le sujet !
M. Olivier Véran, ministre. - Dire aux Français que l'on dépense plus de 200 milliards pour la santé cette année est plus significatif que de leur donner l'évolution du taux...
Ce n'est pas le lieu aujourd'hui d'évoquer le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le Ségur de la santé. Un chantier colossal de discussions s'est ouvert. J'espère que l'on aboutira dans les quinze jours. Nous allons néanmoins aborder la question de l'autonomie, car il sera question de la revalorisation des salaires des soignants dans les Ehpad.
Madame Meunier, la chaîne entre le handicap et le grand âge constitue une épine dans le pied des pouvoirs publics depuis des années. Le sujet est compliqué. Les enjeux sont connus. J'en parlerai avec Sophie Cluzel et avec les associations. J'espère que la création d'une nouvelle branche permettra de reposer ces questions.
J'ai déjà dit que je ne pourrai pas répondre à la question sur le financement, une mission spécifique ayant été créée sur le sujet. Vous avez évoqué les droits de mutation à titre gratuit. Les idées fourmillent, mais attention : il n'y a pas d'argent magique... J'ai aussi répondu sur le statut de la dette liée au Covid-19.
En créant cette branche, nous avons voulu saisir l'occasion de la crise pour réaliser une promesse dont on parle depuis des années, mais que nul n'a jamais cherché à tenir...
M. René-Paul Savary. - Pour des raisons budgétaires !
M. Olivier Véran, ministre. - C'est vrai. Roselyne Bachelot l'avait d'ailleurs reconnu, tout comme Michèle Delaunay ou ses successeurs. En étendant le périmètre du projet de loi de financement de la sécurité sociale à l'autonomie, le texte permettra à la représentation nationale de débattre de la question chaque automne - un débat dont le Parlement était largement privé jusque-là -, tandis que l'adoption du projet de loi organique nous fera gagner du temps, puisque nous n'aurons pas à redéposer une nouvelle loi organique pour créer cette nouvelle branche. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale sera examiné à l'automne et une loi ad hoc sur l'autonomie suivra. Enfin on avance !
La perte d'autonomie n'est ni de droite, ni de gauche, ni du groupe La République En Marche. Tous les ministres ont voulu élargir le périmètre de la sécurité sociale, mais, à chaque fois, il a fallu reculer faute d'argent. Il n'est plus possible de différer, car on sera confronté à un mur démographique à partir de 2024-2025. Ce texte s'inscrit donc dans un travail collectif porté, année après année, par les gouvernements successifs, et j'espère qu'il sera voté à une large majorité. C'est la première fois depuis 1945 que l'on crée une nouvelle branche et un nouveau risque.
Souvenez-vous des discours d'Ambroise Croizat et de Pierre Laroque qui estimaient que la sécurité sociale devait protéger le travailleur contre les risques susceptibles de l'empêcher de gagner sa vie par son travail. Ils ont créé à l'époque les branches maladie, famille, retraite et accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), mais ils avaient aussi dit que si d'autres risques apparaissaient avec le temps, il faudrait les couvrir en élargissant le périmètre de la sécurité sociale. Faisons-le !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Vous êtes favorable à la création d'une cinquième branche dans le cadre de cette loi organique. L'Assemblée nationale l'a votée. Nous n'y sommes pas défavorables par principe. C'est selon vous la première pierre. Pourquoi pas ? Mais, le problème, c'est le financement !
Vous nous avez donné une information nouvelle en indiquant qu'il n'y aura pas de réorientation de 2,3 milliards d'euros de CSG en 2021 depuis la Cades, mais qu'un milliard serait consacré à cette branche dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Cela marque un progrès, mais c'est insuffisant. Si vous supprimiez les 13 milliards de dette supplémentaires confiés à la Cades, vous pourriez affecter 2,3 milliards dès 2021 à cette branche sans modifier la durée d'amortissement de la dette. Il existe donc d'autres solutions de financement. Il faudra définir avec précision les risques pris en charge et les financements de cette nouvelle branche. Comme Marie-Anne Montchamp nous l'indiquait, on dépense 66 milliards d'euros chaque année en faveur de l'autonomie et du handicap, mais seuls 22 milliards figurent dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale... La différence est considérable. Si le Gouvernement veut aller au-delà de l'effet d'annonce, il doit préciser ces questions.
M. René-Paul Savary. - Je fais la distinction entre la création de la branche et la gestion du risque. Pourriez-vous nous préciser la répartition des 92 milliards de déficits prévisionnels transférés à la Cades ?
M. Olivier Véran, ministre. - Le déficit de la sécurité sociale s'établirait à 52 milliards d'euros en 2020 : 31 milliards pour la branche maladie ; 14,9 milliards pour la branche vieillesse ; 3,1 milliards pour la branche famille ; 2,1 milliards pour le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) et 0,7 milliard pour la branche AT-MP. Toutes les branches sont en déficit.
M. René-Paul Savary. - Et le reste ?
M. Olivier Véran, ministre. - Pour atteindre le montant de 136 milliards d'euros de dettes transférées, il faut ajouter 30 milliards au titre de la dette cumulée de l'Acoss fin 2019, 13 milliards pour la reprise de la dette des hôpitaux, les investissements dans le champ de la santé, le transfert de 2,3 milliards d'euros de CSG de la Cades vers la CNSA chaque année, et environ 40 milliards de dette flottante : il s'agit, avec cette dernière enveloppe, comme cela a été fait en 2011 - à hauteur de 59 milliards d'euros à l'époque -, de passer des provisions afin de couvrir les risques à venir, tant que les déficits sociaux n'ont pas été consolidés, que l'épidémie n'a pas disparu et que le chômage partiel est toujours utilisé. Nous nous sommes fondés sur les prévisions des économistes.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Si ces 40 milliards d'euros n'étaient pas consommés, on pourrait peut-être envisager de revoir le financement de la Cades ou la durée d'amortissement.
M. Olivier Véran, ministre. - Je ne crois pas que le financement de la dépendance constitue un problème, en revanche il s'agit d'un enjeu. Je suis très attaché à ce que l'État paie ses dettes, tout comme la sécurité sociale. Nous ne devons pas aujourd'hui engager de dépenses que nous ne soyons pas en mesure de rembourser. Je suis toujours horripilé lorsque l'on annonce des mesures - sur les retraites, par exemple - dont le remboursement est reporté à dix, vingt ou trente ans, en se disant que les gens paieront plus tard. J'appartiens à une génération qui a connu le chômage de masse, le terrorisme, le réchauffement climatique, l'épidémie, etc. Il me semble que cette génération a aussi le droit de ne pas être grevée par avance de dettes pour les décennies à venir.
La dépense publique doit être corrélée avec des financements contemporains. En disant cela, je reconnais avoir déjà anticipé un mécanisme de financement pour l'après 2024, mais le mécanisme de remboursement de la dette sociale étant ce qu'il est, nous avons dix ans pour trouver des solutions. Nous devons avoir ce débat sur le financement. La perte d'autonomie n'est la faute à personne, mais le fait du vieillissement. Le baby-boom devient le papy-boom. Nous devons à nos aînés des soins et un accompagnement de qualité, dans le respect de leur volonté. Évidemment, cela coûte de l'argent.
C'est pourquoi nous devons avoir le courage d'en débattre ensemble et avec les Français, en expliquant ce que nous faisons : nous améliorons l'encadrement dans les Ehpad ; nous renforçons le secteur des soins à domicile ; nous facilitons l'aménagement des domiciles pour éviter que les personnes ne soient contraintes d'aller dans des établissements dans lesquels elles n'ont pas envie d'aller ; nous augmentons le personnel ; nous relevons les salaires ; nous développons de nouvelles technologies pour venir en aide aux personnes en perte d'autonomie, etc.
Différentes solutions de financement sont proposées : les uns, à gauche, veulent taxer le capital ou les entreprises ; d'autres, à droite, veulent d'abord réduire la dépense publique. Je ne sais pas quel sera l'équilibre qui sera trouvé, peut-être évoluera-t-il d'ailleurs avec les gouvernements qui se succéderont ; en revanche, il importe que nous ayons ce débat dès maintenant. C'est pour cela que nous créons une cinquième branche dès maintenant.
M. Alain Milon, président. - Merci pour les informations que vous nous avez données. Vous souhaitez qu'une large majorité vote ce texte, mais les parlementaires ne pourront pas faire autrement, dans la mesure où ils sont piégés par la médiatisation orchestrée autour de la création de cette branche. Pour l'opinion, celle-ci existe déjà. Dès lors, notre travail consiste à structurer le projet et non plus à le créer puisque les médias l'ont fait pour nous et que, sur ce point, on ne peut pas faire marche arrière.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 25.
Mercredi 24 juin 2020
- Présidence de M. Alain Milon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête pour l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la Covid-19 et de sa gestion - Nomination d'un rapporteur et examen du rapport et du texte de la commission
M. Alain Milon, président. - Mes chers collègues, en application de l'article 8 ter du Règlement du Sénat, nous examinons ce matin la proposition de résolution déposée par M. le président Larcher le mardi 16 juin dernier tendant à créer une commission d'enquête sur la crise sanitaire. Il s'agit d'une proposition de résolution présentée en dehors du droit de tirage des groupes politiques ; notre Règlement prévoit donc un vote, par le Sénat, après que la commission des lois en a examiné la recevabilité et la commission saisie au fond, l'opportunité. La commission des lois ayant émis un avis favorable à la recevabilité de cette commission d'enquête, en ce qu'elle porte sur le fonctionnement des services publics, la semaine dernière, il nous appartient ce matin de nous prononcer sur son opportunité. Je vous propose d'en être le rapporteur.
La commission désigne M. Alain Milon rapporteur de la proposition de résolution n° 512 (2019-2020) tendant à créer une commission d'enquête pour l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la Covid-19 et de sa gestion.
M. Alain Milon, président, rapporteur. - À la date du dépôt de ce texte, le bilan mondial de l'épidémie de Covid-19 depuis le 31 décembre 2019 était de 7,88 millions de cas confirmés et de 433 259 décès. Pour la France, les chiffres étaient de 157 372 cas confirmés et de 29 436 décès déclarés.
Le virus Sars-CoV-2, inconnu quelques mois plus tôt, particulièrement insidieux, puisqu'il peut être transmis par des personnes dépourvues de tout symptôme, a probablement couvé pendant plusieurs semaines avant que l'explosion du nombre de cas ne menace la capacité même de notre système de santé à y faire face. Pour ralentir la progression de l'épidémie et aplanir la courbe des hospitalisations dans les services de réanimation, notre pays a connu huit semaines de confinement aux effets économiques et sociaux dévastateurs.
Les images d'hôpitaux débordés, de soignants désemparés et dépourvus d'équipements de protection, d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) semblant livrés à eux-mêmes ont surpris et choqué, alors que le système de santé fait partie de l'identité même de notre pays et de son pacte social. Comment un pays consacrant une part aussi significative de sa richesse nationale à la santé et plaçant les questions sociales aux tout premiers rangs de ses priorités pouvait-il se trouver dans une telle situation ?
Les travaux que nous avons conduits depuis le début de la crise sanitaire ont permis d'apporter certains éléments de réponse, de documenter le degré de préparation du pays et les raisons pour lesquelles la doctrine relative aux équipements de protection s'est révélée à la fois mal appliquée et inadaptée dans un contexte de crise mondiale. Ils seront versés à la commission d'enquête, qui devra encore éclaircir certains points. Au-delà, il s'agit de comprendre comment la crise a été gérée, de déterminer si les bonnes décisions ont été prises et comment elles ont été appliquées.
À cet effet, la proposition de résolution définit une feuille de route. Elle s'attache à examiner l'état de préparation de la France à la veille du déclenchement de l'épidémie ; la gestion de la crise sanitaire par les responsables politiques et administratifs ; les choix faits par la France, à la lumière des enseignements que l'on pourrait tirer des pays européens et asiatiques qui ont semblé mieux anticiper et gérer cette crise ; la gouvernance de la crise, les difficultés rencontrées par les personnels soignants, la gestion de la pandémie par les structures hospitalières, ainsi que par les agences régionales de santé (ARS) ; l'analyse des pénuries constatées ; la situation spécifique à laquelle les Ehpad ont été confrontés et la communication de crise.
La démarche est également précisée par l'exposé des motifs de la proposition de résolution. Il ne s'agit pas, pour le Parlement, de s'ériger en procureur, dont notre pays ne manque pas, même s'ils sont, pour la plupart, autoproclamés. Cet état d'esprit général a plus tétanisé que galvanisé les personnes appelées, à tous les niveaux de notre vie collective, à prendre des décisions, notamment dans le domaine économique. Il s'agit de comprendre pour agir et pour mieux affronter la crise sanitaire qui viendra. La crise actuelle n'est pas terminée et d'autres ne manqueront pas d'advenir, dans un monde où les échanges sont nombreux et rapides et où les réservoirs viraux sont de grande ampleur. Il s'agit donc, non pas de préparer la guerre - ce terme me semble inapproprié face à un virus -, mais bien de nous mettre en ordre de bataille pour favoriser la résilience du pays. La tâche est rude, car, sans anticiper sur les conclusions à venir de cette commission d'enquête, nous savons qu'un élément majeur a fait défaut : la confiance des Français dans la parole publique et dans les recommandations des autorités sanitaires.
Si la feuille de route est précise, il convient de noter que les finalités de l'enquête telles que définies par l'article unique sont, elles, particulièrement larges et ambitieuses, puisqu'il s'agit « de l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion ».
Il faudra, comme le précise l'exposé des motifs, « déterminer dans les domaines de l'action publique et de la vie économique et sociale les dispositions nécessaires pour que notre pays soit, à l'avenir, mieux protégé contre les grands fléaux sanitaires et puisse les affronter sans restrictions excessives aux droits et libertés, ni impact majeur sur l'activité et le revenu des Français ».
Je comprends que l'on cherche à évaluer tous les pans de l'action publique et de la vie économique et sociale à la lumière de cette crise. Nos concitoyens ont pu ainsi légitimement s'interroger sur le degré d'adaptation de l'équipement numérique du pays, sur la capacité de l'école ou de l'université à répondre aux enjeux du moment, sur le fonctionnement de certains services publics ou encore sur le degré de protection des salariés des entreprises. Les commissions permanentes du Sénat se sont employées, depuis le début de la crise, à explorer ces aspects dans leurs domaines de compétences et leurs conclusions seront versées au débat public.
Compte tenu du caractère limité dans le temps d'une telle structure et du calendrier particulier de ses travaux, qui seront marqués à la fois par la période estivale, le renouvellement sénatorial et la période budgétaire, il me semble qu'elle sera d'autant plus efficace que son champ sera clairement délimité.
En conclusion, mes chers collègues, je vous propose de conclure à l'opportunité de la résolution tendant à créer cette commission d'enquête, que j'avais d'ailleurs appelée de mes voeux en Conférence des présidents dès le début de la crise, et d'accepter le champ très large qui nous est proposé. Il appartiendra à la commission d'enquête et à son bureau de définir ses priorités, en gardant à l'esprit que face à un virus, la politique sanitaire est la mère des batailles !
M. Bernard Jomier. - Nous partageons vos propos. J'ajoute un point de contexte : nos collègues de l'Assemblée nationale ont créé une commission d'enquête, qui a déjà commencé ses auditions. Nous regrettons que l'on ne puisse associer les deux chambres dans une seule commission d'enquête ; la nôtre va succéder à celle de l'Assemblée nationale, dont nous pourrons compléter les travaux, mais nous devrons faire en sorte que notre rapport n'apparaisse pas comme répétitif. En ce qui nous concerne, nous sommes attachés au choix d'une démarche de santé publique, appuyée sur le triptyque : savoir pour comprendre pour agir.
Savoir, parce que l'information a été erratique autour de l'apparition de ce virus, mais pas seulement parce que la connaissance était en construction. On ne saurait en effet faire reproche des incertitudes que fait naître un phénomène inconnu, il faut les accepter et les faire accepter par l'opinion publique.
Savoir pour comprendre, car beaucoup d'incompréhensions sont nées du défaut de partage de l'information, ce qui nous ramène à un des points focaux de cette proposition de résolution : l'analyse de ce qui s'est passé dans d'autres pays. En effet, la gestion de l'épidémie a été différente dans les démocraties et dans les pays sous régime autoritaire, en particulier en matière de savoir et de partage de l'information. C'est une question politique, et pas seulement sanitaire.
Enfin, savoir pour comprendre pour agir, et non pour juger, car nous ne sommes pas une instance judiciaire ; nous voulons agir en politique, prendre les mesures nécessaires pour mieux affronter ce type de crises. Pour cela, nous faisons le constat que la culture de santé publique n'a pas infusé dans notre pays et nous devons nous demander pourquoi. « Nous sommes en guerre ! », avons-nous entendu ; il ne s'agit pas là d'une approche de santé publique. Il serait toutefois trop facile de faire peser sur cette première déclaration un peu hasardeuse les difficultés qu'a rencontrées notre pays pour se mobiliser efficacement.
Considérant que l'on ne peut amender une telle proposition de résolution, nous l'approuverons. Le cadre proposé est large, mais il nous semble qu'un point important n'y est pas énuméré : les conséquences de la crise sur l'ensemble des chaînes de soins et les ruptures qu'elle a entraînée dans un système de santé concentré sur la réponse à l'épidémie. Or le nombre de décès liés à des non-prises en charge est probablement aussi important que celui qu'a causé la maladie - le chiffre sera sans doute connu au cours de nos travaux. Il est regrettable que ce point soit omis.
M. Martin Lévrier. - Je vous remercie de vos propos, monsieur le président, selon lesquels nous ne sommes pas des procureurs. Nous avons en effet déjà entendu ici des propos dignes de procureurs. En matière de compréhension de ce qui s'est passé, il importe, certes, que nous nous penchions sur les points négatifs et sur les faiblesses, mais nous devons aussi identifier les forces et nous appuyer dessus.
J'ai une interrogation concernant le timing : l'étendue du champ de cette commission est très vaste, mais ses travaux dureront six mois et commencent tout de suite. Nous risquons donc de perdre deux mois en août et en septembre. La crise n'est pas finie ; pourquoi, dès lors, ne pas faire débuter nos travaux en octobre ?
Mme Victoire Jasmin. - Notre commission s'est inquiétée dès le 27 février de la situation dans les Antilles, j'ai moi-même posé la question à M. Jérôme Salomon que nous auditionnions alors. À ce moment-là, celui-ci n'avait pas considéré le sujet. Je souhaite que ce travail permette de mesurer les difficultés rencontrées pour prendre en compte les différents territoires d'outre-mer. Notre collègue Antoine Karam soulignait encore hier sur Twitter combien la gestion de cette crise n'avait pas pris au sérieux la situation en Guyane, entraînant les complications actuelles : le Brésil n'a pas pris les mesures nécessaires et la Guyane en paye aujourd'hui le prix avec le confinement. L'approche sur les territoires doit être différentielle pour tenir compte de la situation et des difficultés rencontrées, ne serait-ce, par exemple, que pour obtenir des masques. Certes, il y a eu moins de cas aux Antilles, mais cette commission d'enquête pourrait apporter des éléments permettant d'anticiper des situations identiques et de les gérer différemment. J'apprécie donc l'approche que vous avez mise en avant, monsieur le président.
Mme Catherine Deroche. - Je rejoins les propos de Bernard Jomier : il s'agit d'une crise sanitaire, et c'est sous cet angle que nous devons l'examiner, depuis le tout début jusqu'à maintenant, alors que la pandémie n'est pas terminée, qu'elle connaît des résurgences ici et là et que nous ne savons pas de quoi l'avenir sera fait. D'ailleurs, les conséquences économiques importantes découlent du confinement lui-même, nous devons donc privilégier un spectre vaste, mais axé sur le sanitaire afin de montrer l'évolution de la prise en compte de la pandémie et des stratégies privilégiées : ce qui était vrai un jour ne l'était plus le lendemain.
La résolution nous offre un cadre large, mais pourrons-nous explorer des sujets qui n'y sont pas mentionnés, comme les conséquences du non-recours aux soins sur les pathologies cardiaques, par exemple, qui s'annoncent importantes ? Il ne faudrait pas que le texte nous bloque, mais je ne pense pas que cela sera le cas.
En outre, il n'est pas question de nous transformer en tribunal. Nous examinerons ce qui a bien fonctionné, mais il s'agit de nous permettre de faire face à une autre épidémie en analysant les défaillances de matériel ou d'organisation des soins, en particulier les tatillonneries administratives qui ont bloqué les initiatives locales. Il faudra repenser une bonne partie du système et nous devrons disposer d'un rapport l'analysant sous tous les angles de la manière la plus précise possible. C'est la marque du Sénat.
Mme Laurence Cohen. - Je partage les remarques déjà faites sur le fond et je déplore à mon tour que nous ne puissions pas travailler avec l'Assemblée nationale. En général, les projecteurs sont braqués vers les députés plutôt que vers nous et, s'agissant d'une commission d'enquête, on peut craindre que cela n'alimente le discours questionnant l'utilité du Sénat.
Par ailleurs, ne devrions-nous pas réviser la règle intériorisée consistant à refuser systématiquement les rapports et les bilans de toute sorte ? Comme les gouvernements successifs n'en veulent pas non plus, nous finissons par avoir du mal à évaluer les politiques publiques. Si encore le Gouvernement avait la volonté de faciliter l'élaboration d'un bilan et le travail d'évaluation, ce ne serait pas nécessaire, mais tel n'est pas le cas, et le Sénat s'autocensure en s'interdisant de demander des rapports. Nous sommes donc démunis. À ce titre, la commission d'enquête apparaît comme un outil intéressant.
Nous ne devons pas nous transformer en procureurs, en effet. Personne ne souhaite cela. En revanche, nous devons avoir un esprit critique et nous garder de nous comporter en « béni-oui-oui » comme de mordre le trait en menant un procès à charge. La science évolue : au début nous ne savions rien et nous obtenions de la part des chercheurs des éléments contradictoires ; nous avons ainsi mené des auditions passionnantes, mais qui débouchaient sur une version le matin et son contraire l'après-midi. C'est cela, la science. C'est pourquoi nous appelons à des débats contradictoires et informés ; c'est dans la confrontation des connaissances que l'on peut forger un point de vue universel. Certains, par frilosité, rejettent cette méthode : ayons, quant à nous, l'esprit libre et critique !
Enfin, je partage l'inquiétude de Mme Jasmin quant à la situation de l'outre-mer. Ceux d'entre nous qui ont mené des missions d'information dans ces territoires en sont revenus pleins d'inquiétude sur leur situation sanitaire. Certes, ils ne sont pas identiques, il existe entre eux des différences importantes, mais cela suscite de l'inquiétude. Je pense d'ailleurs que mes collègues ultramarins ont été très calmes et très patients vis-à-vis des politiques menées sans moyens financiers et humains suffisants. La situation, notamment en Guyane, est aujourd'hui terrible. Nous y avons mené une politique suicidaire qui a consisté à laisser courir les choses. J'ai été surprise de constater lundi soir que M. Véran ne semblait pas prendre la mesure de ce qui s'y passe. Or en n'écoutant pas les critiques, on ne peut rétablir la situation dans l'intérêt des populations.
C'est donc le bon moment pour lancer cette commission d'enquête. L'interruption estivale est, certes, regrettable, mais elle ne constitue pas, à mon sens, un problème gravissime.
Mme Michelle Meunier. - Notre discussion est prometteuse, mais je souhaite insister sur le fait que nous ne pourrons pas faire l'économie d'une analyse éthique de la situation. Il est plus facile de trouver des failles techniques, d'identifier des problèmes d'organisation que de porter le regard sur le terrain de l'éthique : pourtant, comment rendre compte du fait qu'une personne de plus de quatre-vingt-dix ans ne bénéficiera pas des soins programmés nécessaires à son état ? Nous pourrons nous aider d'experts en la matière, dont l'apport enrichira nos réflexions.
Mme Véronique Guillotin. - Je suis favorable à la création de cette commission d'enquête. Je regrette un peu le timing, c'est vrai, avec ces deux mois d'absence, mais nous saurons faire un travail rapproché et intense pour aboutir à un rapport de qualité. Il est essentiel de faire la lumière sur ce qui s'est passé et, surtout, de tracer des perspectives en nous appuyant sur les points forts et sur les problèmes rencontrés, afin de mieux nous préparer à une éventuelle autre crise, qu'elle intervienne bientôt ou dans de nombreuses années. Nos travaux déboucheront peut-être sur des propositions à court terme, mais alors il faudra revisiter régulièrement le sujet, car si nous ne rencontrons pas de nouveaux problèmes dans les deux ou trois prochaines années, nous risquons d'oublier, alors que notre pays doit être capable de réagir à des crises d'une telle ampleur.
Je salue l'esprit de la résolution : notre travail doit être critique, car il faut aller chercher ce qui n'a pas fonctionné, sinon il n'aurait pas d'intérêt, mais il doit également être constructif. Nous ne devons pas être un tribunal à charge.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Il est nécessaire d'évaluer la gestion de cette crise. C'est l'approche sage du Sénat que de rechercher les points forts et les points faibles, et d'en tirer non seulement les conséquences, afin de mieux gérer une autre épidémie qui surviendrait, par malheur, mais aussi des leçons sur la gouvernance de notre système de santé. À cette occasion, en effet, beaucoup de nos collègues d'autres commissions ont découvert le fonctionnement des agences régionales de santé (ARS), leur rapport hiérarchique exclusif avec le ministère et leur absence de lien avec le pilote dans le département qu'est le préfet. Il faudra donc examiner comment notre système est gouverné - c'est d'ailleurs prévu dans le texte que nous a présenté le président Milon. C'est aussi important, à mon sens, que la question de la préparation ou de la gestion de la crise.
Qu'en sera-t-il de l'organisation de nos travaux ? Il me semble que la commission d'enquête sera forte de trente-six membres, mais combien de rapporteurs comprendra-t-elle ?
M. Olivier Henno. - Cette commission d'enquête s'imposait. Nous avons vécu une période d'une portée considérable. M. Véran le disait, sa génération aura connu le chômage de masse, la transition écologique, le sida et le Covid-19. Ces événements sont sur le même plan. On n'aurait donc pas compris que le Sénat ne crée pas de commission d'enquête. S'agissant d'être sous les projecteurs, justement, il me semble que le Sénat attire particulièrement l'attention des journalistes lors des commissions d'enquête. Nous sommes alors à égalité avec l'Assemblée nationale, voire un peu au-dessus...
Je partage ce qui a été dit à propos de la nécessaire dimension éthique de nos travaux. Il est remarquable de constater que, à l'exception du Brésil, tous les pays qui ont hésité entre le confinement et la construction d'une immunité collective ont finalement choisi la première solution, qui s'imposait sur le plan éthique. Cette commission d'enquête doit en effet nous permettre, le cas échéant, de faire les mêmes choix face à des problèmes de même portée. Lorsque l'opinion publique aura mesuré l'ampleur de leurs conséquences économiques et sociales, nous aurons en effet besoin d'arguments sanitaires supplémentaires pour avoir le courage de les imposer de nouveau, le cas échéant. Cette commission est donc pertinente en ce qu'elle doit nous permettre de rationaliser nos choix à venir.
M. Daniel Chasseing. - Je suis d'accord pour privilégier un champ large. Il est nécessaire de comprendre la gestion de cette pandémie pour anticiper les prochaines ; il faut tirer les leçons en matière d'action publique pour mieux protéger notre pays à l'avenir et permettre à nos concitoyens de retrouver de la confiance dans la parole publique.
Mme Frédérique Puissat. - Je partage, sur le fond comme sur la forme, les propos tenus. L'enjeu sanitaire est fondamental, mais nous devrons également nous pencher sur les éléments relatifs au poids de cette crise sur les comptes sociaux, s'agissant notamment de la mobilisation de différents dispositifs, comme l'activité partielle. Ceux-ci ont-ils été bien calibrés ? Serons-nous capables, demain, de faire face à une éventuelle deuxième vague en les mobilisant ? Ce questionnement devra être intégré.
M. Alain Milon, président, rapporteur. - Permettez-moi de vous lire la question que nous a transmise notre collègue Florence Lassarade : Avec l'OPECST, j'ai participé à une réflexion sur l'hésitation vaccinale. Pensez-vous que nos concitoyens adhéreront à cette vaccination, en particulier le personnel en contact avec les résidents d'Ehpad ou avec le public ? Doit-on rendre le vaccin obligatoire, ainsi que celui contre la grippe ? Je voudrais opposer à notre collègue Jomier l'exemple de la Suède.
Mme Jocelyne Guidez. - Il est très important de dresser un bilan. Parviendrons-nous à évoquer l'importance des assistantes de vie et des aidants ? Ils ont vécu des moments très difficiles, on ne leur a pas proposé grand-chose, sinon un répit un peu illusoire - ne les oublions pas !
M. Alain Milon, président, rapporteur. - Nous sommes donc tous d'accord. Je répondrai sur quelques points importants.
Vous avez évoqué le timing et la date tardive à laquelle nous lançons cette commission d'enquête, après le début des travaux de celle de l'Assemblée nationale. J'en avais proposé la création dès le 19 mars en Conférence des présidents, recueillant l'accord immédiat des participants. Il a été très vite décidé de porter le nombre de participants à trente-six afin que les plus petits groupes politiques puissent y participer. Ensuite, nous ne souhaitions pas qu'un seul rapporteur soit désigné, il nous a semblé que les groupes les plus importants devaient être représentés. Le président Larcher a donc proposé d'en nommer trois, un désigné par le groupe Les Républicains, un par le groupe de l'Union centriste, un, enfin, par le groupe socialiste et républicain. Le président Larcher a souhaité, à raison, que la proposition de résolution ne soit pas votée en catimini mais par un maximum de sénateurs présents en séance publique au moment du déconfinement, afin de recueillir un écho positif dans la population. C'est pourquoi cette proposition de résolution sera examinée le 30 juin prochain. Cette date présente un autre avantage, certes un peu polémique : à l'Assemblée nationale, beaucoup de questions n'ont pas été posées et beaucoup de celles qui ont été posées ont obtenu des non-réponses. Nous pourrons donc titiller un peu plus les intéressés. Vous le voyez : il n'y a que des avantages à commencer en juillet !
Une commission d'enquête dure six mois, ni plus ni moins, c'est ainsi, même si cette période comprend les mois d'août et de septembre, mais aussi de novembre et de décembre, avec l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances, sans oublier la deuxième lecture de la loi Bioéthique, qui aura lieu au Sénat sans doute en octobre. Il y aura des collisions d'emploi du temps, nous n'y pouvons pas grand-chose.
Madame Jasmin, il est évident que cette commission d'enquête s'intéressera au territoire national dans son ensemble, en intégrant les outre-mer. Certains de leurs représentants devront d'ailleurs en faire partie.
Madame Cohen, je souhaite que nous ayons toujours l'esprit critique, même si nous ne sommes ni procureurs ni juges, afin de faire le point des conséquences de ce qui s'est passé et de déterminer comment faire autrement et mieux.
Il y aura des moments épiques et des moments médiatiques, c'est ainsi. Nous n'y sommes pour rien, mais nous sommes parfois prisonniers des médias.
À mon sens, pour terminer, nos auditions ne devront pas être à sens unique. Nous avons assisté à des débats intéressants, chacun a le droit de ne pas être d'accord et d'exprimer publiquement son désaccord, mais si la discorde scientifique devient médiatique, elle finit par peser gravement sur la confiance de nos concitoyens. Les discordes sont normales chez les scientifiques, mais elles ne le sont plus quand elles arrivent dans le champ médiatique, comme nous y avons assisté entre Parisiens - je pense à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) - et Marseillais. Je le leur dirai. Il n'est pas normal d'assister à des disputes aussi importantes dans une période de crise aussi grave, au risque de provoquer un déficit de confiance de la population dans les politiques comme dans les scientifiques.
Je compte d'ailleurs, si je devais présider cette commission, proposer des débats, avec des oppositions.
La proposition de résolution est adoptée sans modification.
Proposition de loi portant création d'un fonds d'indemnisation des victimes de la Covid-19 - Examen des amendements de séance
M. Alain Milon, président. - Nous examinons maintenant les amendements au texte de la commission de la proposition de loi portant création d'un fonds d'indemnisation des victimes de la Covid-19.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
Mme Corinne Féret, rapporteure. - Je vous ai déjà soumis l'amendement n° 1, visant à préciser les critères de présomption irréfragable de contamination en milieu professionnel ou bénévole et à limiter dans le temps le risque de contamination par le virus responsable de la Covid-19 rendant éligible au fonds une personne contaminée en milieu professionnel ou bénévole. Avis favorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1.
Mme Corinne Féret, rapporteure. - Les difficultés rencontrées dans la mise à disposition de masques, non seulement pour les soignants, mais également pour des agents de l'État plaident pour une participation de l'État au financement du fonds d'indemnisation des victimes de la Covid-19. Je vous propose donc d'émettre un avis favorable à l'amendement n° 2, dont c'est l'objet.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 2.
Mme Corinne Féret, rapporteure. - L'amendement n° 3 tend à permettre de rendre la disposition de l'article 7 prévoyant une contribution de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) au financement du fonds recevable au regard des règles posées par le code de la sécurité sociale. Avis favorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3.
TABLEAU DES AVIS
Proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer - Nomination d'un rapporteur et examen, en deuxième lecture, du rapport et du texte de la commission
M. Alain Milon, président. - Nous devons maintenant examiner la proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer. L'examen de ce texte en première lecture au Sénat avait été brutalement stoppé par le recours du Gouvernement au vote bloqué. L'Assemblée nationale l'ayant finalement adopté, ce texte a été inscrit à notre ordre du jour du lundi 29 juin prochain. Je vous propose de désigner deux co-rapporteurs : notre rapporteur de la branche assurance vieillesse, M. René-Paul Savary, ainsi que notre collègue Mme Cathy Apourceau-Poly, qui souhaite poursuivre la démarche entamée par notre ancien collègue, M. Dominique Watrin.
La commission désigne Mme Cathy Apourceau-Poly et M. René-Paul Savary co-rapporteurs de la proposition de loi n° 539 (2019-2020), adoptée avec modification par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer.
M. Alain Milon, président. - Nous allons maintenant entendre nos collègues présenter leur rapport.
Mme Cathy Apourceau-Poly, co-rapporteure. - Dans notre système social, la retraite est le reflet de la carrière. Les faibles revenus issus de la carrière des agriculteurs, chefs d'exploitation ou d'entreprise agricole, produisent, sans surprise, de maigres pensions de retraite.
Nos collègues députés André Chassaigne et Huguette Bello entendaient répondre en partie à cette injustice en déposant leur proposition de loi en décembre 2016. Notre ancien collègue Dominique Watrin avait rapporté ce texte au Sénat en première lecture en février 2018 et je tiens ici à saluer son travail au sein de notre commission et son engagement sur ce sujet. Malheureusement, le Gouvernement a utilisé le vote bloqué, prétendument dans l'attente de mesures prochaines. Que de temps perdu pour arriver enfin à cette juste et nécessaire revalorisation des pensions de retraite agricoles ! Nous devrions aboutir maintenant à une adoption définitive garantissant à nos agriculteurs une pension garantie à 85 % du SMIC, contre 75 % aujourd'hui.
Ce texte n'est pas parfait, nous en sommes conscients. Il n'est notamment pas complet, car les conjoints collaborateurs ou aidants familiaux ne sont pas concernés. Ceux-ci, - ou plutôt, celles-ci, car ce sont souvent des femmes - doivent être mieux pris en compte dans les dispositifs futurs. L'inégalité de pension entre les femmes et les hommes du monde agricole ne doit pas sortir renforcée de mesures de justice comme celles que nous nous apprêtons à voter. Il ne faut donc pas prêter à ce texte des vertus qu'il n'a malheureusement pas. S'il permet d'aider les agriculteurs retraités, il ne s'attaque pas à la racine du problème : les faibles revenus tirés de l'ensemble de la carrière. C'est bien cette injustice-là que nous devons nous efforcer de corriger à l'avenir en faisant en sorte que le travail agricole soit enfin rétribué correctement.
Je tiens enfin à souligner les avancées importantes que contient ce texte au bénéfice des départements d'outre-mer. Nous le savons, le mécanisme de complément différentiel de la garantie actuelle à 75 % ne trouve pas à s'appliquer dans ces territoires où les réalités des exploitations agricoles ne satisfont pas aux règles de calcul du dispositif. Nous nous félicitons des adaptations et des dérogations retenues qui permettront l'application de la garantie à 85 %. C'est une question d'égalité. Je tiens également à souligner la volonté de ce texte d'arriver à un déploiement effectif de la complémentaire retraite pour les salariés agricoles, et ce, sur tous les départements, y compris en outre-mer.
M. René-Paul Savary, co-rapporteur. - Je partage l'enthousiasme de ma collègue rapporteure sur l'adoption future de ce texte. C'est un progrès, certes partiel, mais considérable pour ceux qui en seront les bénéficiaires et qui ne sont aujourd'hui pas récompensés à la hauteur de leur travail.
Une pension de 85 % du SMIC sera ainsi garantie aux chefs d'exploitation ou d'entreprise agricole répondant aux critères de durée d'assurance, c'est-à-dire plus de 1 000 euros. Il s'agit ici d'un relèvement substantiel du dispositif mis en place lors de la réforme des retraites de 2014, qui prévoyait une garantie atteignant progressivement 75 % du SMIC.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale prévoit, en outre, un mécanisme d'écrêtement, qui a pu être critiqué. Je considère qu'il est légitime : cette prestation différentielle, de solidarité, s'assimile au minimum contributif du régime général, qui fait également l'objet d'un écrêtement pour les polypensionnés. Ne sont donc concernés que les chefs d'exploitation dont la carrière est complète et qui ne perçoivent pas d'autres retraites.
Le groupe La République en Marche et le Gouvernement avait retenu le 1er janvier 2022 comme date d'entrée en vigueur du texte, ce qui a fait l'objet de débats - rappelons que l'intention initiale était 2018. Un amendement a été adopté pour permettre une adoption par décret d'une partie de l'article 1er avant 2022. Nous ne sommes pas dupes du dispositif retenu, qui ne doit toutefois pas être un trompe-l'oeil. Si beaucoup espèrent une entrée en vigueur avancée à 2021, je tiens à être clair sur les lacunes de coordination que nous avons relevées : quand bien même le Gouvernement en déciderait par décret, cette entrée en vigueur anticipée ne concernerait que les nouveaux retraités de l'Hexagone. Le secrétaire d'État chargé des retraites nous a indiqué toutefois que, si la date devait être avancée, il souhaitait que cela concerne bien l'ensemble des dispositions.
Enfin, et je parle ici également en tant que rapporteur de la branche vieillesse du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), j'appelle votre attention sur le fait que les ressources prévues par le texte initial ne figurent pas dans le texte que nous examinons. Le Gouvernement indique qu'il faudra attendre un prochain PLFSS pour en savoir plus. Ce financement serait issu de la solidarité nationale. Était-il nécessaire de différer cette question et de dissocier une fois de plus le débat sur un dispositif du débat sur son financement, alors même que l'équilibre financier du régime complémentaire obligatoire demeure fragile ? La loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 prévoyait déjà, en effet, un déficit de 91 millions d'euros.
Vous l'avez compris, nous vous proposons d'adopter une position enthousiaste, mais lucide, sur ce texte. Sous les réserves que nous avons pu formuler, nous vous en proposons donc une adoption définitive qui permettra - en 2022 - une revalorisation méritée des retraites des chefs d'entreprise agricoles. Je vous propose donc un vote conforme : mieux vaut tenir que courir !
M. Philippe Mouiller. - J'ai abordé ce sujet lors de la réunion d'une assemblée départementale d'exploitants agricoles en retraite et il m'est apparu que ceux-ci n'ont pas compris que, par ce texte, on ne gérait pas le stock, mais seulement les nouveaux entrants. En matière de communication, nous avons connu la mascarade de l'année dernière et aujourd'hui, on annonce un nouveau texte, dont on ne sait rien du financement et dont les premiers visés se rendront compte qu'il ne les concerne pas. Le paquet sera joli, mais je crains le retour de bâton quand les intéressés découvriront qu'il ne s'agit là que de communication !
M. Dominique Théophile. - Notre satisfaction est mesurée : comme on dit chez nous, sa ki en bek, pa en fal ! Ce texte va enfin mettre un terme aux ruptures d'égalité, mais nous serons attentifs, car nous venons de très loin. Il répond à une demande pressante au vu de nos spécificités, notamment dans le domaine agricole. Je suis donc satisfait, mais plus ces mesures s'appliqueront tôt, mieux ce sera.
Mme Catherine Deroche. - Je partage les propos de nos co-rapporteurs, même si le texte est partiel, même si l'on aurait pu être plus précoce. J'ai été irritée de voir deux députés du groupe LREM diffuser dans mon département des communiqués dans la presse locale affirmant que le Gouvernement se préoccupait des retraités agricoles. Ce n'est, certes, pas le premier texte issu d'une proposition de loi du Sénat que l'on aura refusée pour ensuite la récupérer et communiquer. C'est lassant !
Mme Monique Lubin. - Un tiens - même un petit tiens - vaut mieux que deux tu l'auras ! Nous suivons les co-rapporteurs, mais je partage ce que viennent de dire Catherine Deroche et Philippe Mouiller. J'insiste, en outre, sur la situation faite aux femmes, qui passent une fois de plus à la trappe. Je suis fille de petits agriculteurs ; ma mère a travaillé bien plus que mon père, c'était alors le sort des femmes - ça l'est encore largement - dans les familles d'agriculteurs : elles devaient tout faire en même temps, élever les enfants, s'occuper de la ferme, etc. Elles sont pourtant toujours les parents pauvres et, une fois de plus, elles sont exclues de ce dispositif. Nous allons voter ce texte, mais je trouve que cela fait beaucoup.
Mme Victoire Jasmin. - Il est important que nous puissions poursuivre ce travail qui a été retardé après avoir été bloqué en recourant à l'article 44, alinéa 3, de la Constitution. Aujourd'hui, il faut avancer, même si ce n'est que pour 2022. Sur nos territoires d'outre-mer, l'agriculture est un secteur important, d'autant que l'on nous engage à développer les circuits courts et que nous souffrons d'un chômage important. Nous devons donc avancer pour que les jeunes puissent prendre le relais de leurs parents ; il faut donc rendre attractif le secteur, les jeunes doivent ainsi pouvoir constater que leurs parents ont une retraite digne.
Mme Laurence Cohen. - Les interventions montrent que nous sommes tous lucides et que nous nous exprimerons sur les points évoqués. La force du Sénat est de ne pas s'opposer à un petit plus ; il faut suivre le chemin, souligner les manques et examiner la situation - terrible - de ceux qui ne vont pas en bénéficier et qui sont aujourd'hui en retraite. Monique Lubin l'a dit, nous avons travaillé, avec la délégation au droit des femmes, sur les agricultrices, dont la situation est plus dramatique encore. Nous devons poursuivre ce travail et, en outre, porter ensemble les problématiques propres aux territoires d'outre-mer.
M. Martin Lévrier. - Je rejoins M. Savary dans son enthousiasme modéré. De fait, ce texte va beaucoup moins loin que notre projet de réforme des retraites, qui a été arrêté en raison de l'épidémie de Covid-19. La polémique politique ne m'intéresse pas, mais je vous rappelle que si le Gouvernement a déclenché un vote bloqué il y a deux ans, c'était avec l'accord de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et des Jeunes agriculteurs, qui préféraient alors le projet de réforme des retraites. Le véritable problème, c'est que ce dernier texte n'est pas passé.
Mme Cathy Apourceau-Poly, co-rapporteure. - M. Chassaigne l'a dit, il s'agit d'une oeuvre collective qui ne nous satisfait pas entièrement. Mme Lubin a raison, le fait que les conjoints ne soient pas pris en charge est un souci. En outre, il persiste une fausse note, une divergence, au sujet de l'écrêtement : je ne suis pas d'accord avec cette mesure. Mon groupe considère que les agriculteurs qui ont travaillé dans d'autres domaines sont ceux qui ne s'en sortaient pas, qui n'avaient pas une épouse qui apportait un salaire complémentaire, et qui avaient besoin, tout en travaillant sur leur exploitation, de dégager plus de revenus. Ce sont 100 000 agriculteurs qui seront ainsi victimes de cette mesure.
Au total, ce texte n'est pas parfait, mais il constitue une avancée, pour les agriculteurs ultramarins et pour les chefs d'exploitation agricole, dont la pension est très inférieure à ce qu'elle devrait être.
M. René-Paul Savary, co-rapporteur. - Il faut en effet dissocier le flux et le stock. Les chefs d'exploitation à carrière complète qui sont aujourd'hui retraités seront revalorisés par rapport au SMIC pour 2022. Dans l'état actuel du texte, la revalorisation interviendra donc au plus tôt au 1er janvier 2022. Les agriculteurs qui prendront leur retraite à ce moment-là - le flux - bénéficieront du texte dès 2021. Nous avons relevé ces anomalies et nous en avons fait part au ministre, qui nous a répondu qu'il prendrait une circulaire pour donner instruction à la Mutuelle sociale agricole (MSA) et à la retraite complémentaire obligatoire (RCO) de traiter le stock avant 2022, si le décret était pris. Cette manière de faire traduit bien l'impertinence de ce gouvernement par rapport aux parlementaires : une circulaire est ainsi considérée comme supérieure à un texte de loi. Celui-ci est très intéressant, mais il nous est, en outre, recommandé de ne pas l'amender, et, si nous avions la mauvaise idée de le faire quand même, aucune commission mixte paritaire n'a été programmée dans la session extraordinaire de juillet ! Je vous conseille donc de ne pas prendre d'engagement envers les retraités actuels, car nous ne savons pas quand le décret sera pris. On nous explique que la MSA peinerait à instruire les dossiers des polypensionnés, car ceux-ci seraient trop compliqués. Imaginez-vous qu'un organisme tenu par les organisations représentatives ne répondrait pas à la pression des agriculteurs ? Son président nous l'a confirmé, ainsi que les représentants syndicaux : la MSA est parfaitement capable de calculer l'écrêtement, que l'on cesse de nous faire croire le contraire !
Pour les agriculteurs dans les outre-mer, c'est également une avancée, mais pour 2022. Leur situation est particulière : ils n'atteignent pas une durée suffisante, ils travaillent sur de petites surfaces, ils exercent d'autres activités. Ils bénéficieront d'une bonification de durée pour aller jusqu'à 85 %. Là encore, ne le claironnez pas trop vite : ce sera difficile avant 2022. Le ministre affirme vouloir faire des efforts, nous verrons.
Nous avons une divergence sur le minimum contributif qui existait dans le régime agricole et qui portait sur le différentiel base plus complémentaire et dont il me semble normal qu'il soit fondé sur les mêmes bases que le minimum contributif du régime général.
Enfin, contrairement à ce que dit M. Martin Lévrier, le projet de loi sur les retraites concernait seulement le flux et pas le stock. L'avancée de ce texte est donc significative, puisque les retraités actuels seront pris en compte, certes pas assez vite et pas tous. Je vous invite donc à le soutenir.
M. Alain Milon, président. - Nous en venons à l'examen des articles.
Articles 1eret 1er bis
Les articles 1er et 1er bis sont successivement adoptés sans modification.
Article 2 (supprimé)
L'article 2 demeure supprimé.
Articles 3 et 4
Les articles 3 et 4 sont successivement adoptés sans modification.
Article 5 (supprimé)
L'article 5 demeure supprimé.
La proposition de loi est adoptée sans modification.
Projet de loi organique et projet de loi ordinaire relatifs à la dette sociale et à l'autonomie - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Alain Milon, président. - Nous examinons maintenant le rapport de notre rapporteur général, Jean-Marie Vanlerenberghe, sur le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire relatifs à la dette sociale et à l'autonomie.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Nous devons tout d'abord définir le périmètre des deux projets de loi relatifs à la dette sociale et à l'autonomie. Je vous propose d'en rester à un périmètre qui inclurait, d'une part, les mesures relatives au transfert de la dette sociale à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) et à la gestion par cette caisse des moyens qui lui sont alloués à cette fin et les mesures dont l'objet direct est d'assurer l'extinction de cette dette à bonne date, et d'autre part, la structuration de la gestion du risque de perte d'autonomie au sein de la sécurité sociale, les modalités de son examen en projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et l'information du Parlement en la matière. À l'inverse, les mesures générales sur les ressources de la sécurité sociale - cotisations, contributions, taxes affectées, compensation par l'État des pertes de recettes, etc. - dépassent ce périmètre et pourront être examinées lors du prochain PLFSS.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Si les deux projets de loi que nous devons examiner sont brefs, ils n'en sont pas moins très lourds par leur impact sur les comptes de la sécurité sociale. Ils comportent deux volets très distincts : d'une part, l'organisation de nouveaux transferts massifs de dette « sociale » à la Cades et, de ce fait, la prolongation de l'existence de cette caisse jusqu'en 2033 au lieu de 2024, et, d'autre part, diverses dispositions relatives à l'autonomie, qu'il est proposé d'ériger en risque et en branche de la sécurité sociale, qui serait gérée par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Cette caisse serait, de plus, dotée d'une fraction de contribution sociale généralisée (CSG) actuellement affectée à la Cades à compter de 2024.
La crise actuelle a un impact très fort sur les comptes de la sécurité sociale. Par une cruelle ironie, alors qu'il y a un an à peine, nous croyions atteindre l'objectif du retour à l'équilibre, les dernières prévisions du Gouvernement font craindre un déficit de 52 milliards d'euros en 2020 - le précédent record, en date de 2010, s'établissait à 28 milliards d'euros.
Tous les fondements sur lesquelles reposait la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2020 ont été chamboulés : niveau des recettes, niveau de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam), solde des branches, découvert de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), etc. Néanmoins, le Gouvernement n'a pas estimé nécessaire de déposer un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale qui nous aurait permis de faire le point et de réviser la trajectoire.
C'est la fragilisation de la trésorerie de l'Acoss qui nous vaut le dépôt des deux projets de loi que nous examinons aujourd'hui. Le Gouvernement a porté par décret l'autorisation de découvert de l'Acoss de 39 à 70 milliards d'euros, puis à 95 milliards d'euros. Mais il s'agit d'un niveau difficilement soutenable, qui pourrait rendre délicate la gestion de l'organisme d'ici à la fin de l'année. D'où la nécessité de soulager la trésorerie de l'agence au moyen de transferts massifs à la Cades qui se montent à 136 milliards d'euros, soit plus la moitié de la dette totale transférée à ce jour à la Cades depuis sa création, en 1996.
Cette somme, qui s'ajouterait aux quelque 89 milliards d'euros de dette restant à amortir d'ici à la fin de l'année 2019, se décompose en trois parties : 31 milliards d'euros correspondant aux déficits passés de différents régimes, accumulés de 2011 à fin 2019 ; 92 milliards d'euros destinés à apurer les déficits à venir des exercices 2020 à 2023 ; et 13 milliards d'euros au titre du financement d'un tiers de la dette hospitalière. En conséquence, l'échéance d'extinction de la dette sociale en 2024, jusque-là maintenue par le Gouvernement, n'a plus de sens et l'article 1er du projet de loi organique propose donc de la repousser au 31 décembre 2033.
Outre ces transferts massifs, qui seront étalés entre 2020 et 2024, l'article 3 du projet de loi ordinaire prévoit, ici aussi pour soulager la trésorerie de l'Acoss, un versement unique et intégral avant le 31 juillet 2020 de la part de la soulte du régime spécial des industries électriques et gazières (IEG) gérée par le Fonds de réserve pour les retraites (FRR) pour le compte de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV). Ce versement, qui devait légalement se faire à partir de cette année, mais aurait pu être échelonné, est précipité pour participer au rétablissement de la trésorerie de l'Acoss.
Le projet prévoit une poursuite des versements annuels du FRR à la Cades. Ceux-ci, prévus à hauteur de 2,1 milliards d'euros jusqu'en 2024, seraient prolongés à hauteur de 1,45 milliard d'euros par an à partir de 2025, sans date limite. Si ces prélèvements sont légitimes au regard des déficits vieillesse transférés, la question des missions attribuées au FRR se pose sur le long terme. Le montant du fonds à l'issue de ces opérations dépendra étroitement des conditions de marché. Pour information, selon l'administration du FRR, la plupart des scénarios aboutissent à un solde final compris entre 6 et 10 milliards d'euros. Je vous proposerai seulement un amendement de coordination.
Sur le volet autonomie, la proposition initiale du Gouvernement, assez modeste, est répartie sur trois articles. L'article 4 du projet de loi ordinaire rouvre le chantier d'une prise en charge unifiée du soutien à l'autonomie en prévoyant la remise au Parlement, en septembre prochain, d'un rapport sur les conditions de création d'un cinquième risque ou d'une cinquième branche de sécurité sociale. L'article 2 du projet de loi organique crée une nouvelle annexe aux lois de financement de la sécurité sociale présentant les dépenses publiques liées à l'autonomie, leur évolution ainsi que les prévisions de dépenses. Leur périmètre est élargi à tous les acteurs qui y concourent - la sécurité sociale, mais aussi l'État et les départements. La seule mesure financière concrète est à la fois tardive et partielle : elle figure à l'article 2 du projet de loi ordinaire et consiste à transférer à la CNSA, à compter de 2024, une fraction de 0,15 point de CSG - soit 2,3 milliards d'euros - actuellement perçue par la Cades. De manière paradoxale, le projet de loi prévoit donc de diminuer les ressources de la caisse au moment où il lui confie 136 milliards d'euros de dette supplémentaire. Cette mesure aurait pour effet de prolonger la durée d'amortissement de la dette sociale d'une quinzaine de mois.
Un rapport, une annexe au PLFSS, et le transfert d'une ressource dans quatre ans : telles étaient les réponses du Gouvernement à la crise du secteur médico-social, après l'épidémie de covid-19. L'exposé des motifs prévoit toutefois des concertations destinées à trouver des pistes de financement à plus court terme.
Mais nos collègues députés n'ont pas attendu : ils ont voté la création d'un cinquième risque et d'une cinquième branche de la sécurité sociale et en ont confié la gestion à la CNSA.
Mon analyse sur ces différentes propositions est la suivante.
Sur l'autonomie d'abord, le rapporteur de l'Assemblée nationale évoque à propos de la création du nouveau risque et de la nouvelle branche une « naissance historique », qu'il qualifie même de « vertigineuse ». Le ministre, hier, a été plus modeste en parlant d'une « première pierre ». Ne légiférons pas avec la tête qui tourne. Historiquement, la politique d'aide à l'autonomie est une politique d'aide sociale, donc gérée par les collectivités. L'allongement de la durée de la vie en a multiplié les bénéficiaires. De nouvelles ressources ont dû être créées. L'empilement des dispositifs et le croisement des financements rendent le système complexe et la dépense publique difficile à piloter. Nous n'en avons d'ailleurs qu'une vue tronquée : elle mobilise environ 66 milliards d'euros d'argent public chaque année, mais seule une vingtaine de milliards transite par la LFSS.
Rendre cette politique plus clairement assurantielle et élargir l'horizon du Parlement peut contribuer à la rendre plus efficace. C'est l'objectif de la création d'un cinquième risque et d'une nouvelle annexe au PLFSS.
Reste la question de savoir qui doit gérer ce risque. Y répondre avant de disposer du rapport chargé de faire des hypothèses à ce sujet est peut-être prématuré... Et d'importantes questions restent en suspens, notamment celle qui est relative au rôle que les départements conserveront dans une organisation centralisée imitée des autres branches de la sécurité sociale. L'exposé des motifs du texte se veut rassurant : il précise que les pistes de réforme ouvertes par le rapport respecteront l'intervention des départements et des communes, dont « la libre administration a vocation à être garantie »... Mais le plus dur reste à faire. Ce dont nous avons le plus besoin, ce sont de nouveaux moyens financiers et d'une nouvelle culture de la prise en charge du grand âge. Il faut revoir l'organisation de cette prise en charge.
En ce qui concerne la dette sociale, l'ampleur des transferts proposés et du report de la date d'extinction de la Cades nous invite à nous reposer la question fondamentale formulée par le professeur Pellet jeudi dernier : considérons-nous toujours qu'il appartient à chaque génération de financer sa propre protection sociale, ce qui suppose d'apurer complètement une éventuelle dette ? Ou bien prenons-nous acte de notre échec en léguant notre dette aux générations futures ?
Dans ce dernier cas, il faudrait transférer à l'État la totalité de la dette sociale, ne plus rembourser que ses intérêts et consacrer dès à présent à un autre usage les ressources dévolues à l'amortissement du capital. Mais il faudrait aussi assumer la rupture du pacte entre les générations.
En revanche, si, comme je vous le propose, nous conservons l'ambition de ne pas faire payer le prix de notre protection sociale à nos enfants, nous devons nous montrer cohérents et nous donner les moyens d'atteindre enfin cet objectif. À cette fin, plusieurs questions se posent.
Tout d'abord, les nouveaux transferts envisagés à la Cades sont-ils bien tous légitimes ? La réponse me semble aller de soi pour ce qui concerne les déficits passés. Avec Jean-Noël Cardoux, j'ai déjà souligné à plusieurs reprises qu'il était malsain d'accumuler des déficits au sein de l'Acoss au risque de se retrouver, à l'extinction de la Cades, avec une dette équivalente à celle qui avait motivé la création de la caisse. Même si le transfert proposé est le fruit de circonstances exceptionnelles, il doit donc être accepté.
Je pense, de la même façon, que les déficits à venir des années 2020 à 2023 ne se distinguent pas, par nature, des déficits liés à de précédentes crises économiques qu'il n'a jamais été question de confier à l'État - bien que la sécurité sociale n'en ait pas été responsable. Il est donc normal de les transférer à la Cades. Sinon, une partie de notre dette sociale sera bel et bien transmise aux générations suivantes. À mon sens, l'équilibre de la sécurité sociale doit être atteint sur un cycle économique, au cours duquel les bonnes années permettent de financer les mauvaises.
Je crois, en revanche, que la situation actuelle et l'impérieuse nécessité d'améliorer au plus vite les comptes sociaux doivent nous permettre de tordre le cou à la doctrine du chacun chez soi, qui faisait que l'État ne compensait plus les mesures de baisses de recettes sociales qu'il décidait, voire qui lui permettait de piocher dans la caisse quand il la croyait pleine en diminuant sans raison les flux de TVA... Nous devrons donc veiller à limiter les déficits à venir de la sécurité sociale en exigeant la compensation de toutes les mesures impactant ses comptes qui figureront dans le plan de relance, voire en revenant sur les non-compensations décidées ces deux dernières années sur le fondement d'hypothèses financières périmées.
En revanche, je pense qu'il est illégitime de transférer à la Cades le financement d'un tiers de la dette hospitalière, qui devrait incomber à l'État. Les hôpitaux n'appartiennent pas à la sécurité sociale. De plus, l'essentiel de la dette hospitalière provient d'investissements immobiliers. Cela n'a donc rien à voir avec le financement des déficits de la sécurité sociale. Qu'aurons-nous demain au sein de la Cades sur la base d'un tel précédent ? Et jusqu'à quand maintiendrons-nous en vie cette caisse provisoire ? Je vous proposerai donc un amendement afin d'annuler ce transfert.
Plus fondamentalement, l'extinction de la dette sociale suppose de cesser d'accumuler des déficits. Le schéma que je vous propose est le suivant. Les PLFSS offrent, dans une annexe soumise au vote du Parlement, une vision sur cinq ans des comptes de la sécurité sociale, de l'année en cours à l'année n+4. À l'avenir, la somme des soldes consolidés des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (ROBSS) et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) sur ces cinq années devra être positive ou nulle. Cela est à la fois contraignant et souple. De plus, il est prévu que, en cas de circonstance exceptionnelle au sens du traité européen de 2012, comme l'actuelle crise de la Covid-19, ce délai pourrait être étendu jusqu'à dix ans. Mais dans tous les cas, chaque génération devra assumer le financement de sa protection sociale. Il reviendra au Haut Conseil des finances publiques et au Conseil constitutionnel de juger de la sincérité de la trajectoire présentée dans les PLFSS successifs.
Cette discipline collective devra commencer dès que nous serons sortis de la crise actuelle. Puisque la Cades devra absorber les déficits prévus jusqu'en 2023, je vous propose d'instaurer cette règle d'or à compter du PLFSS pour 2025, qui fera apparaître une trajectoire pour les années 2024 à 2028. Ce n'est que de cette façon que nous pourrons sortir de la perpétuation sans cesse renouvelée du « trou » de la sécurité sociale.
C'est en raison de l'instauration de ce garde-fou que, par souci d'équilibre, je vous propose de conserver la dérivation d'une fraction de CSG vers la CNSA à partir de 2024, même si, sur le plan des principes, je considère qu'il n'est pas satisfaisant de consacrer à des dépenses courantes, aussi légitimes soient-elles, les sommes dévolues au remboursement de la dette.
M. Jean-Noël Cardoux. - Je remercie notre président et notre rapporteur. Après avoir longuement échangé, nous sommes sur la même longueur d'onde, à quelques détails près.
Vous avez rappelé avec justesse que nous avons formulé de nombreuses mises en garde à l'occasion d'auditions et d'examen des PLFSS successifs. Si notre dette publique n'avait pas été de 100 % du PIB - mais plutôt à 60 % comme en Allemagne -, nous aurions eu plus de marges de manoeuvre pour faire face aux conséquences de la crise de la Covid-19.
Notre commission est unanime pour protester contre le maintien à la charge de la sécurité sociale des cadeaux faits par l'État - notamment les 2,5 milliards d'euros post-crise des « gilets jaunes » qui n'ont jamais été remboursés par l'État, en dépit des tergiversations de M. Darmanin. Mais c'est un exercice qui est malheureusement devenu banal.
Mon groupe soutient sans réserve la proposition de notre rapporteur général d'instaurer une règle d'or, assortie toutefois de souplesses.
Nous soutenons votre proposition de ne pas accepter le transfert de la dette hospitalière. Comme je l'ai dit hier au ministre, la Cades risque de se transformer en auberge espagnole !
Le chantier de l'autonomie est lancé, mais c'est une fois de plus de l'affichage ! De surcroît, c'est une aumône : 1 milliard d'euros prévu pour la CNSA en fin d'année, c'est moitié moins que le produit annuel de la journée de solidarité ! C'est se moquer du monde. En outre, je m'interroge : la CNSA est-elle vraiment le bon outil pour porter cette réforme ? Nous avons auditionné à deux reprises sa présidente, Mme Marie-Anne Montchamp - qui fut pionnière de la création de ce cinquième risque. Son discours s'est légèrement infléchi entre ces deux auditions : lors de sa deuxième audition, elle plaidait pro domo...
Cela fait des années que l'on nous annonce cette réforme. Est-il sérieux de décaler son financement à 2024 ? Les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) doivent être rénovés, les services de soins à domicile (SSAD) sont en détresse : il y a urgence ! Il n'est pas question d'attendre si longtemps.
Puisque nous avons décidé de supprimer le transfert de la dette hospitalière, affectons d'ores et déjà, à titre transitoire, 0,15 point de CSG au financement de l'autonomie, peut-être via la CNSA dans un premier temps, et reportons au PLFSS, avec le recul suffisant, l'examen de la création d'une cinquième branche par répartition de fonds issus des quatre autres branches de la sécurité sociale. L'autonomie fait en effet partie des objectifs de la sécurité sociale et les branches maladie et vieillesse peuvent très bien s'occuper aussi des problèmes d'autonomie. Je ne suis pas convaincu de l'utilité de créer une cinquième branche qui, par définition, sera déficitaire. Nous devons y travailler. Le bon interlocuteur ne sera pas nécessairement la CNSA. Les fonds alloués sont aujourd'hui insuffisants : certaines études font en effet apparaître un besoin de financement de l'ordre de 8 milliards d'euros annuels, qui de surcroît augmenterait dans les prochaines années avec le vieillissement de la population, pour atteindre 10, voire 15 milliards d'euros. La mission d'information animée notamment par notre collègue Bernard Bonne est prête à faire des propositions, y compris sur la dimension assurantielle.
Nous ne donnerons pas de chèque en blanc sur ce texte : mon groupe n'est pas convaincu par la démarche du Gouvernement et nous présenterons des amendements en séance, notamment sur l'emploi du 0,15 point de CSG.
M. Yves Daudigny. - Je tiens à partager avec vous mon incompréhension face à ce moment parlementaire au cours duquel nous examinons simultanément deux textes qui créent - et c'est un évènement historique - une cinquième branche de la sécurité sociale et qui organisent le traitement d'une dette exceptionnelle - de l'ordre de 130 milliards d'euros -liée notamment à la crise sanitaire récente.
La création de cette cinquième branche sera historique, si le financement est prévu, si la gouvernance est précisée, si la transversalité est sauvegardée, etc. Le ministre nous a invités hier à « prendre la balle au bond », mais un tel sujet aurait mérité un texte propre ou d'être inséré dans un PLFSS, afin de lui donner la solennité qu'il mérite et nous permettre d'avoir une discussion complète. Mon groupe est favorable sans réserve à la création de cette cinquième branche et à la prise en compte de la perte d'autonomie sans distinction d'âge ni de cause : c'est une bonne nouvelle, mais tout reste à faire.
S'agissant de la prise en compte des déficits, je salue le travail de notre rapporteur général, sa cohérence et ses efforts pour défendre le projet du Gouvernement. Mais je ne partage pas son analyse et mon groupe votera contre cette partie du texte. La crise sanitaire et économique sans précédent que nous connaissons justifie que le déficit créé soit pris en charge par la solidarité nationale la plus large. Des organisations syndicales, des économistes, le Haut Conseil pour le financement de la protection sociale abondent aussi en ce sens. Il n'y a aucun obstacle à la mise en oeuvre d'une telle proposition, car la dette ne coûte rien aujourd'hui et la Banque centrale européenne (BCE) devrait maintenir des taux bas pendant encore plusieurs années - sauf à provoquer un cataclysme économique et financier en Europe.
De surcroît, notre proposition présente de nombreux avantages puisque les recettes que nous consacrions au remboursement de la dette - plusieurs dizaines de milliards chaque année - pourraient permettre de bâtir un nouvel équilibre financier de la sécurité sociale qui prenne en compte les besoins nouveaux : modernisation des hôpitaux, augmentation des ressources pour la santé, financement de la perte d'autonomie, investissements indispensables. Ainsi, nous n'aurions plus de nouveau déficit à traiter, alors que votre solution recrée du déficit. À situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle. Notre solution n'est pas déraisonnable, elle n'a pas d'inconvénient et beaucoup d'avantages. Elle aurait mérité d'être étudiée avec beaucoup d'attention.
M. Olivier Henno. - Je salue le travail, sage et équilibré, de notre rapporteur. À chaque fois - en 2017, lors de la crise des « gilets jaunes », à nouveau aujourd'hui -, nous complexifions la tuyauterie du PLFSS. Je salue la recherche d'une règle d'or. Le professeur Pellet nous l'a dit : il est inadmissible de faire peser sur les générations futures le versement de prestations sociales qui sont des salaires différés. Lors de son audition, le ministre a eu la franchise de ne pas argumenter sur la cohérence ou la pertinence du dispositif, mais seulement sur l'urgence. Cela me rappelle le sapeur Camember !
Sur l'autonomie, la méthode est quelque peu baroque et désagréable pour les parlementaires que nous sommes. Cette réforme est attendue depuis longtemps. Elle a été reportée à plusieurs reprises. Lors de son audition sur le projet de loi Bioéthique, le professeur Jean-François Delfraissy nous avait dit : « dans ce pays, on meurt mal » et nous l'avons vérifié à l'occasion de cette crise de la covid-19. Je suis partagé : les grandes avancées n'ont pas toujours eu lieu dans une grande solennité, elles sont parfois le fruit d'un accident, d'une conjoncture. Cela fait longtemps que nous attendons cette avancée. Aujourd'hui elle se heurte au Ségur de la santé. Mais faut-il bouder notre plaisir pour autant ? Je n'en suis pas certain. Il faut parfois saisir les occasions. Peut-on s'opposer sur le fond ? Je ne le pense pas. C'est un premier pas important, une avancée pour nos aînés.
M. Philippe Mouiller. - Je salue aussi cette initiative de création de cette cinquième branche, même si la méthode est contestable. Le Gouvernement fait miroiter des espoirs à certaines catégories, mais malheureusement le contenu, notamment financier, n'est pas au rendez-vous et cela risque de créer des difficultés et des frustrations.
Nous devons avoir conscience de l'importance du chantier qui est devant nous : il concerne le grand âge, mais aussi le handicap et la maladie. Le monde du handicap s'interroge et ne souhaite pas être traité par tranche d'âge, le handicap s'inscrit dans un parcours de vie.
L'enjeu financier est certes fondamental, mais il est loin d'être le seul. Nous devons également penser la réorganisation - simplification, décentralisation, etc. - de la prise en charge, dans un dialogue permanent entre l'État et les collectivités directement concernées qui doivent être profondément associées à la réforme. Nous avons publié un rapport à ce sujet en 2014 : il est encore temps d'en tirer les enseignements. Ce sera le sens de mes amendements. Et n'oublions pas les aidants qui sont terriblement absents du texte qui nous examinons aujourd'hui.
Le chantier de la prestation de compensation du handicap (PCH) doit également être ouvert, afin d'aller vers une complète remise à plat. Des travaux sont en cours, mais nous sommes en attente de ses conclusions, au-delà des bonnes intentions. Il faut aussi mettre fin aux barrières d'âge. Quelque 35 millions de personnes pourraient être concernées. Nous devrons avoir des débats autour du reste à charge zéro, de l'accès aux droits, de la gouvernance, en lien avec le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH).
Je ne peux que saluer cette initiative, mais je suis inquiet sur les mesures et la méthode et resterai vigilant sur ses effets attendus par les acteurs du secteur.
Mme Laurence Cohen. - Je partage le diagnostic posé par notre collègue Jean-Noël Cardoux. Mon groupe n'est pas favorable à la création d'une cinquième branche. La sécurité sociale a été créée pour nous accompagner de la naissance à la mort : la branche maladie peut donc tout à fait prendre en charge la perte d'autonomie.
Je m'interroge aussi sur la méthode du Gouvernement, marquée par la précipitation et le mélange des genres entre dette sociale et autonomie. Cette crise sanitaire sans précédent a considérablement accru le déficit de la sécurité sociale. Pourquoi un budget spécifique covid-19 n'a-t-il pas été établi pour éponger cette dette exceptionnelle ? La crise de 2008 avait généré un déficit pour la sécurité sociale de l'ordre de 30 milliards d'euros, loi du déficit de 50 milliards d'euros lié à la crise de la covid-19.
Nous devons nous réinterroger sur les difficultés de la sécurité sociale et notamment son manque de recettes lié aux mesures d'exonération de cotisations sociales auxquelles nous nous sommes toujours opposés. Il faut réduire les exonérations de cotisations sociales et élargir l'assiette du financement en soumettant aux cotisations sociales les revenus financiers des entreprises.
S'agissant de la perte d'autonomie, Philippe Mouiller a raison d'y voir une question de société. Nous avons tous été touchés par la situation des personnes âgées en Ehpad et à domicile pendant la crise de la covid-19. M. Pascal Champvert, président de l'association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA), que nous avons auditionné, a partagé avec nous des pistes de réflexion. Nous devons bâtir un service public de l'autonomie et de l'accompagnement au sein de la branche maladie, qui concernerait aussi les personnes en situation de handicap. Il relèverait de la sécurité sociale, mais serait organisé au niveau départemental. N'oublions pas l'accompagnement à domicile, dans la lignée des travaux de notre commission. Nous devons offrir un accompagnement digne et éthique, avec des personnels formés et bien rémunérés. Aujourd'hui ces personnels nous appellent à l'aide. La réponse du Gouvernement n'est pas à la hauteur : c'est pourquoi nous voterons contre.
Mme Michelle Gréaume. - Si l'on demande à nos concitoyens ce qu'est la dette sociale, on risque d'être très surpris... Le Sénat doit clarifier ce que l'on met dans la dette sociale. On y retrouve les dépenses non prévues de la crise de la covid-19, mais aussi les mesures politiques du Gouvernement qui ne sont pas compensées par l'État - comme les exonérations de cotisations patronales sur les bas salaires ou la prime des « gilets jaunes » - et l'investissement des hôpitaux. On en met trop dans la dette sociale et on trompe le citoyen français ! Le Sénat doit clarifier les choses sur la dette réelle de la sécurité sociale, car aujourd'hui les Français se sentent culpabilisés.
M. René-Paul Savary. - C'est un texte confus, au départ financier, qui devient sociétal. Les précédents gouvernements ont tous buté sur la question de l'autonomie : un gouvernement de droite avait renoncé à sa réforme en raison de la crise financière de 2008, un gouvernement de gauche avait considéré, avec lucidité, que les difficultés financières étaient trop importantes. Aujourd'hui, les difficultés financières s'aggravent, mais néanmoins la réforme est lancée... Je n'aime pas les choses confuses : soit c'est un texte financier, soit c'est un texte sociétal.
Je suis favorable à la prise en charge de l'autonomie, mais pas forcément sous la forme de la création d'une nouvelle branche de la sécurité sociale. Les propositions de notre collègue Yves Daudigny ne sont pas inintéressantes et méritent d'être examinées. Le Gouvernement semble s'être fait déborder et se retrouve désormais avec la création d'une nouvelle branche de la sécurité sociale, pilotée par la CNSA. Je ne suis, à ce stade, ni pour ni contre, mais évitons le fonctionnement en silo qui n'a pas fait ses preuves durant cette crise : on a vu la mauvaise articulation entre le sanitaire et le médico-social... Nous devons faire tomber les barrières d'âge. Le système est trop compliqué aujourd'hui : l'allocation aux adultes handicapés (AAH) est versée par l'État, la prestation de compensation du handicap (PCH) relève du département et l'allocation personnalisée à l'autonomie (APA) est du ressort soit du département soit de la caisse d'assurance vieillesse selon le niveau de perte d'autonomie.
Le dispositif proposé n'est cohérent ni sur le plan financier ni sur le plan sociétal. Les choses doivent être clarifiées. L'annonce d'un financement repoussé à 2024 me laisse à penser qu'il s'agit d'un coup politique.
M. Daniel Chasseing. - Permettez-moi de revenir quelques instants sur le point précédent de notre ordre du jour : je suis très favorable à l'augmentation des petites retraites agricoles à hauteur de 85 % du SMIC. C'est une mesure très attendue par les agriculteurs qui font un travail ingrat, difficile et mal reconnu.
S'agissant de la dette sociale, 29 milliards d'euros avaient été transférés à la Cades en 2010 à la suite de la crise financière. Je suis donc favorable au transfert qui nous est proposé aujourd'hui. S'agissant toutefois du transfert des 13 milliards d'euros de dette hospitalière, je suis partagé entre l'avis de notre rapporteur général et celui du ministre qui faisait valoir qu'avec un Ondam qui avait progressé de moins de 2 % par an entre 2012 et 2016 - au lieu des 4 % qui auraient été nécessaires -, les hôpitaux n'avaient eu d'autre choix que d'emprunter. Je vais donc poursuivre ma réflexion sur ce sujet.
Je suis favorable à la création d'un cinquième risque : cette réforme avait été annoncée par le gouvernement Jospin, puis repoussée en 2008 en raison de la crise internationale. La loi du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement n'avait rien apporté en dehors de la reconnaissance des aidants et des améliorations concernant le GIR 1. Certes, cette réforme arrive alors que nous connaissons des difficultés financières, mais la crise de la covid-19 a montré les grandes fragilités du maintien à domicile. Les personnes qui assurent ce maintien à domicile perçoivent en moyenne 900 euros par mois, elles sont souvent à temps partiel, dans des emplois précaires et sous-payés. Il faut aussi renforcer le taux d'encadrement dans les Ehpad. Lorsqu'il était ministre de la santé en 2006, notre collègue Philippe Bas avait annoncé l'objectif d'un encadrant pour une personne hébergée dans les cinq ans, or ce ratio n'est aujourd'hui que de 0,6 ! La revalorisation des salaires devrait aussi avoir lieu dans le cadre du Ségur de la santé. La formation doit être développée, avec notamment la validation de l'acquis de l'expérience (VAE) et l'apprentissage. Enfin, nous devrons nous pencher sur le reste à charge en Ehpad.
S'agissant des moyens financiers, je rejoins l'analyse de notre collègue Jean-Noël Cardoux : nous ne pouvons pas attendre 2024 pour avoir 2 milliards d'euros. Nous devons commencer dès 2021 afin que nos aînés soient traités dignement. La dépendance continue de croître dans les Ehpad, et le nombre d'infirmiers et des aides-soignants est inchangé ! Le conseil départemental doit être l'interlocuteur privilégié sur la question des Ehpad - avec une délégation sur le budget relatif aux soins - et du maintien à domicile.
Je suis très favorable à la création de cette cinquième branche pour l'autonomie.
M. Alain Milon, président. - Je rejoins l'analyse de notre rapporteur général : la dette immobilière de l'hôpital ne doit pas être transférée à la Cades, car c'est une dette de l'État. Les hôpitaux appartiennent à l'État et non pas à l'assurance maladie.
J'irai plus loin : c'est l'État qui a décidé le confinement et le plan Blanc, pas l'assurance maladie. La dette exceptionnelle qui est liée à ces décisions doit donc relever de l'État et de la solidarité nationale.
La réforme de l'autonomie a été introduite par amendement portant article additionnel dans un texte qui ne traitait pas de l'autonomie. C'est un coup médiatique réussi : on ne parle plus de la dette ! En outre, tout le monde pense que cette réforme de l'autonomie sera effective en septembre prochain. Pourtant, la branche n'est pas créée, son financement n'est pas assuré, ses bénéficiaires ne sont pas connus, sa gouvernance n'est pas définie, etc. Les retours de bâton risquent d'être sévères, avant ou après la prochaine élection présidentielle... C'est un coup médiatique génial, mais je regrette que nous n'ayons pas suffisamment d'éléments pour nous déterminer.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Sur l'autonomie, le ministre a identifié une fenêtre de tir et a convaincu le Premier ministre. Je le félicite d'avoir su saisir cette opportunité. La question du traitement des personnes âgées et handicapées a été un sujet d'émotion constant lors de la crise sanitaire : nous avons réalisé que nous les traitions mal. Il y a eu une évolution dans la conscience collective. Jusqu'à présent, nous avions toujours buté sur cette réforme, pour des raisons financières ou sociétales.
Je mesure néanmoins les faiblesses du dispositif. Ce que Philippe Mouiller est exact : nous devons reconsidérer complètement ce cinquième risque. Quelle place pour le maintien à domicile ? Comment transformer les Ehpad ? Que faut-il faire pour le handicap ? Le rapport prévu en septembre nous apportera-t-il des réponses ? Nous aurons aussi à faire un travail de calibrage financier dans le cadre du prochain PLFSS, pour essayer de passer de 1 à 2 milliards d'euros.
Les montants de dette annoncés ne sont à ce stade que des prévisions. Les reports de cotisations sociales ne seront pas tous annulés et devront donc se retrouver les années suivantes dans les recettes de la sécurité sociale. J'espère que la réalité sera inférieure aux 136 milliards d'euros prévus.
EXAMEN DES ARTICLES DU PROJET DE LOI ORGANIQUE
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - L'amendement COM-3 rectifié vise à supprimer l'article 1er. Mon avis est défavorable au regard de la nécessité des nouveaux transferts et de l'impossibilité de les apurer d'ici à 2024, sauf à augmenter massivement la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS). Une grande partie de cette dette relève de la sécurité sociale.
M. Yves Daudigny. - Nous ne devons pas reporter notre dette sur les générations futures. Et il faut relativiser les sommes en jeu : depuis sa création en 1996, la Cades a traité 260 milliards d'euros de dette, alors que la dette de l'État est passée, entre 2005 et aujourd'hui, de 1 000 à 2 000 milliards d'euros !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Cela n'en est pas vertueux pour autant.
L'amendement de suppression COM-3 rectifié n'est pas adopté.
L'article 1er est adopté sans modification.
Article additionnel après l'article 1er
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Mon amendement COM-4 vise à mettre en place, à compter de 2025, la règle d'or que je vous ai présentée tout à l'heure.
L'amendement COM-4 est adopté et devient article additionnel.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Je suis favorable au paragraphe I de l'amendement COM-2, qui étend explicitement la nouvelle annexe aux dépenses de prévention et de recherche. En revanche, je suis défavorable à son paragraphe II, qui fait référence à des mécanismes de péréquation budgétaire qui auraient plutôt leur place en loi de finances.
M. Philippe Mouiller. - Je rectifie mon amendement pour en supprimer le II.
L'amendement COM-2, ainsi rectifié, est adopté.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Mon amendement COM-5 est un amendement de cohérence avec, si nous le votons, le refus du transfert à la Cades d'un tiers de la dette des hôpitaux. Il supprime l'élargissement du périmètre des LFSS en matière de dette sociale. Il est donc nécessaire pour calibrer ce que l'on transfèrera à l'avenir à la Cades.
L'amendement COM-5 est adopté.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article additionnel après l'article 2
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - L'amendement COM-1 vise à étendre le champ du rapport annuel de la Cour des comptes sur l'application des LFSS.
M. Philippe Mouiller. - Nous avons besoin de politiques de l'autonomie cohérentes entre les différents ministères de l'État et les collectivités territoriales. Il est donc logique que le rapport de la Cour des comptes traite de l'ensemble.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Le rapport de la Cour des comptes ne traite pas des collectivités territoriales. Néanmoins, l'article 2 du projet de loi organique prévoit que l'annexe aux comptes de la sécurité sociale fournira des détails. Votre amendement me semble donc en partie satisfait.
M. Philippe Mouiller. - Je le retire.
L'amendement COM-1 est retiré.
Le projet de loi organique est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
EXAMEN DES ARTICLES DU PROJET DE LOI
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - L'amendement COM-4 rectifié vise à supprimer l'article 1er, qui autorise de nouveaux transferts à la Cades. Mon avis est défavorable pour les raisons que j'ai déjà indiquées.
L'amendement COM-4 rectifié n'est pas adopté.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - L'amendement COM-2 a trait aux modalités de sélection des établissements hospitaliers qui bénéficieront de la reprise de leur dette par la Cades. Il prévoit que les ARS respectent une égalité de traitement entre les différentes catégories de ces établissements, quel que soit leur statut. Il serait satisfait par l'amendement COM-7 que je vous propose pour supprimer la prise en charge du coût de l'amortissement d'un tiers de la dette des hôpitaux par la Cades ; je l'ai dit et répété, cette charge devrait incomber à l'État.
M. Alain Milon, président. - L'État devrait prendre en charge l'intégralité de la dette des hôpitaux, comme nous l'avons déjà indiqué dans un rapport en 2009.
L'amendement COM-7 est adopté ; l'amendement COM-2 devient sans objet.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - L'amendement COM-8 que je vous propose supprime un ajout inutile opéré par l'Assemblée nationale. En effet, le texte adopté par les députés répète dans la loi ordinaire ce que prévoient déjà les dispositions organiques en vigueur quant au contenu de l'annexe du PLFSS relative à la dette sociale. Cette précision n'apporte rien sur le fond, d'autant que la loi ordinaire ne pourrait s'imposer aux lois de financement de la sécurité sociale ultérieures.
L'amendement COM-8 est adopté.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - L'amendement COM-5 précise le contenu du rapport sur les emprunts à impact social de la Cades et de l'Acoss. Le champ du rapport demandé au Gouvernement doit être bien circonscrit. Comme les responsables de l'Agence France Trésor (AFT) et de la Cades l'ont souligné, ces travaux doivent montrer s'il est opportun ou non, au vu du profil de leurs investisseurs, que la Cades et l'Acoss lancent ces emprunts. Il me semble plus sage d'en rester là. Je demande le retrait de cet amendement.
M. Dominique Théophile. - Je retire mon amendement.
L'amendement COM-5 est retiré.
L'article 1er bis est adopté sans modification.
Article 2
L'article 2 est adopté sans modification.
Article 3
L'amendement de coordination COM-9 est adopté.
L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - L'amendement COM-3 précise que le rapport remis par le Gouvernement au Parlement doit également porter sur les modalités de création d'un cinquième risque ou d'une cinquième branche de sécurité sociale. La rédaction de l'amendement COM-6 de M. Théophile est plus complète et ramassée. Je demande le retrait de l'amendement au profit de l'amendement COM-6.
M. Philippe Mouiller. - Je me rallie à l'amendement COM-6. Toutefois, les aidants sont oubliés et on limite l'intervention des collectivités au terme de « financeurs ». Or, dans la mise en place de l'autonomie, celles-ci ne financent pas la mobilité, l'inclusion. Il faut que les collectivités territoriales figurent dans la phrase. Je vous propose de modifier l'amendement en ce sens.
L'amendement COM-3 est retiré.
Le sous-amendement COM-10 est adopté.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Je suis favorable à l'amendement COM-6 rectifié.
M. René-Paul Savary. - Il est noté dans l'amendement que le Gouvernement remet au Parlement ce rapport au plus tard le 15 septembre 20020.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - C'est ce qui figure dans le projet de loi.
M. René-Paul Savary. - Lorsque le Gouvernement a une année pour remettre un rapport, il ne le fait pas, alors pour le 15 septembre...
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - L'inspecteur général des finances serait déjà désigné...
L'amendement COM-6, ainsi modifié, est adopté.
L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
TABLEAU DES SORTS DES AMENDEMENTS SUR LE PROJET DE LOI ORGANIQUE
TABLEAU DES SORTS DES AMENDEMENTS SUR LE PROJET DE LOI
Proposition de loi permettant d'offrir des chèques-vacances aux personnels des secteurs sanitaire et médicosocial en reconnaissance de leur action durant l'épidémie de Covid-19 - Désignation des membres pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire
La commission soumet au Sénat la nomination de M. Alain Milon, Mmes Frédérique Puissat, Pascale Gruny, Jocelyne Guidez, MM. Yves Daudigny, Bernard Jomier et Martin Lévrier, comme membres titulaires, et de Mmes Catherine Deroche, Corinne Imbert, M. Philippe Mouiller, Mmes Michelle Meunier, Élisabeth Doineau, Véronique Guillotin, Cathy Apourceau-Poly, comme membres suppléants de l'éventuelle commission mixte paritaire.
La réunion est close à 12 h 40.
Jeudi 25 juin 2020
- Présidence de M. René-Paul Savary, vice-président -
La réunion est ouverte à 14 heures.
Audition de MM. Christophe Valentie, directeur général, Rémy Mazzocchi, directeur général adjoint, et Pierre Cavard, directeur de la prospective de l'Unedic
M. René-Paul Savary, président. - Mes chers collègues, nous accueillons cet après-midi M. Christophe Valentie, directeur général, M. Rémy Mazzochi, directeur général adjoint et M. Pierre Cavard, directeur de la prospective de l'Unedic. M. Cavard a assuré, de septembre 2019 à mars dernier, quand nous avions programmé cette audition, l'intérim de la direction générale de l'assurance chômage.
Cette audition, ouverte à la presse, a lieu en présentiel et visioconférence et je salue nos invités et nos collègues qui y participent à distance. Elle est diffusée en direct sur le site internet du Sénat.
Il y a une semaine, le 18 juin dernier, le bureau de l'Unedic a examiné des prévisions financières pour le régime d'assurance chômage à fin 2020. Ces prévisions reflètent l'ampleur du soutien apporté par l'assurance chômage pendant la crise sanitaire, via le dispositif de chômage partiel dont elle finance un tiers mais aussi via des reports de cotisations. Elles dessinent aussi une trajectoire d'emploi particulièrement inquiétante pour la fin de l'année.
Notre commission s'interroge, dans ce contexte, sur l'avenir et la soutenabilité de notre modèle d'assurance-chômage dont le déficit pourrait atteindre 25,7 milliards d'euros et la dette 63 milliards d'euros en fin d'année.
Je vous laisse la parole pour un propos liminaire avant que nos collègues vous adressent leurs questions.
M. Pierre Cavard, directeur de la prospective de l'Unedic. - Concernant les prévisions financières de l'Unedic, nous nous trouvons dans une situation inédite. Lors du bureau de l'Unedic de la semaine dernière, nous avons présenté une prévision jusqu'à la fin de cette année basée sur des hypothèses largement partagées par nos interlocuteurs - Banque de France, Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), Insee : un taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) de l'ordre de -11 %, un nombre d'emplois perdus de l'ordre de 900 000 à 1 million entre fin 2019 et fin 2020 et un déficit prévisionnel de l'assurance chômage de plus de 25 milliards d'euros, soit un déficit beaucoup plus fort que celui, inférieur à un milliard d'euros, envisagé en février dernier.
Ce déficit s'explique pour plus de la moitié par le financement de l'activité partielle, avec un coût d'environ 13 milliards d'euros pour 2020. Ce coût recouvre d'une part la participation au financement de l'allocation d'activité partielle à concurrence d'un tiers, pour 10 milliards d'euros, et d'autre part les pertes de recettes consécutives au placement des salariés en activité partielle, puisque l'indemnité correspondante n'est pas soumise à cotisations sociales.
Au-delà, le déficit résulte de l'augmentation des allocations chômage, avec une hausse des entrées en chômage et de nombreuses sorties plus tardives. De plus, pour beaucoup de demandeurs d'emploi pouvant enchaîner sur un mois des périodes d'emploi et des périodes de chômage, la période de confinement s'est traduite par une absence totale d'emploi. Au total, cet effet représente plus de 7 milliards d'euros.
Enfin, 5 milliards d'euros s'expliquent par les reports de cotisations et le manque à gagner du régime dû à une masse salariale en baisse.
Techniquement, cet exercice de prévision est plus court qu'à l'accoutumée dans son horizon : nous avons dû repartir de zéro en termes de modélisation et de mesure de l'impact de la crise. Nous sommes néanmoins arrivés à des visions assez proches de celles de nos interlocuteurs. En effet, nous sommes partis de la baisse d'activité identifiée par l'Insee dès le mois de mars pour en déduire l'ampleur de l'emploi « démobilisé ». Au vu du développement de l'activité partielle, nous sommes arrivés à une prévision de la progression du chômage.
M. René-Paul Savary, président. - Confirmez-vous l'estimation de 63 milliards d'euros de la dette de l'Unedic à fin 2020 ?
M. Pierre Cavard. - Oui, avec une précision de meilleure qualité que pour nos prévisions concernant l'emploi ou le chômage. Nous sommes en effet à mi-2020 et l'essentiel des déterminants de la dette sont déjà joués. Les différents scénarios de sensibilité en fonction de la vigueur de la reprise économique ne font varier ce chiffre que de 61 à 65 milliards d'euros et ne remettent donc pas en cause cet ordre de grandeur.
M. René-Paul Savary, président. - Pouvez-vous rappeler l'estimation précédente ?
M. Pierre Cavard. - En février 2020, nous estimions la dette cumulée en fin d'année 2020 à moins de 40 milliards d'euros.
M. René-Paul Savary, président. - Dans ces conditions, avez-vous déjà envisagé une trajectoire pour cette dette ?
M. Pierre Cavard. - En dehors du coût propre au dispositif d'activité partielle, qui est un élément de déséquilibre très fort, le modèle d'équilibre de l'assurance chômage s'apprécie sur le long terme. Les finances de l'assurance chômage ont une sensibilité particulièrement forte au cycle économique - environ quatre fois plus forte, par exemple, que les branches maladie ou vieillesse de la Sécurité sociale. Sur longue période, cela doit normalement s'équilibrer.
Avec l'activité partielle, qui représente l'équivalent d'un tiers des recettes de l'assurance chômage, nous sommes, à date, dans un système qui n'est plus équilibré. Nous nous trouvons dans un moment particulier où nous nous demandons avec quelles ressources, à quel horizon et comment financer cette dette. Dès le mois de mars, nous avons alerté le bureau de l'Unedic sur le coût de l'activité partielle et avons obtenu une délégation particulière pour assurer le financement du régime.
M. Rémy Mazzochi, directeur général adjoint de l'Unedic. - En janvier 2020, la dette de l'assurance chômage s'élevait à 39 milliards d'euros et résultait notamment de 10 années défavorables en termes d'emploi. L'assurance chômage est conçue pour fonctionner de manière contra-cyclique. Le début d'un cycle économique plus favorable permettait d'espérer un retour à l'équilibre des comptes, et donc un début de désendettement, à compter de 2021.
Le choc observé en 2020 n'est pas lié à un dysfonctionnement du marché du travail mais à une situation de crise sanitaire.
Les quelque 20 milliards d'euros de dépenses supplémentaires liées aux mesures d'urgence n'avaient pas été anticipées et ont donc été financées par émission de dette.
La question de la gestion de cette dette est ouverte, et il appartiendra aux partenaires sociaux et à l'État d'y répondre.
M. Michel Forissier. - Je suis attentivement, année après année, les comptes de l'Unedic, avec quelques inquiétudes liées à sa situation financière. Jusqu'à présent, la trajectoire semblait soutenable mais l'explosion du déficit et de la dette interroge. Vous avez présenté les facteurs qui expliquent les écarts entre les prévisions de janvier dernier et les chiffres que vous venez de publier.
L'extension du recours à l'activité partielle me semble remettre en question l'équilibre de long terme du système d'assurance chômage tel qu'il est aujourd'hui construit. Quoi qu'il en soit, la préservation de l'emploi par la prise en charge massive des rémunérations des salariés ne me semble pas soutenable dans la durée.
Selon vous, face à cette situation, faut-il attribuer d'autres financements à l'assurance chômage ? Faut-il envisager, avec les partenaires sociaux, une réforme en profondeur du système ?
M. René-Paul Savary, président. - Quel est le coût prévu de l'activité partielle de longue durée (APLD) ? L'Unedic a-t-elle été associée à cette décision dont elle devra supporter le coût ?
M. Pierre Cavard. - Nous partageons les interrogations que vous formulez. La crise que nous avons connue a été soudaine et d'une magnitude sans précédent.
Les sommes affectées à l'activité partielle, qui sont de l'ordre de 50 millions d'euros en temps normal, ont changé d'ordre de grandeur.
La réponse massive de l'assurance chômage a joué un rôle d'amortisseur, comme d'ailleurs en 2008-2009. Ces dépenses ont donc été utiles.
Nous ne sommes pas encore sortis de la crise sanitaire et nous ne sommes qu'au début de la crise économique. Il faut donc attendre pour apprécier l'effet réel sur le chômage et l'emploi du choc et des mesures qui ont été prises pour y faire face.
À ma connaissance, la répartition du coût de l'APLD entre l'État et l'Unedic n'est pas encore déterminée.
Il est évident que si l'activité partielle devait changer de nature pour devenir un outil majeur de la politique de l'emploi, il faudrait évaluer le coût de cette évolution et en préciser le financement.
M. Christophe Valentie, directeur général de l'Unedic. - Nous gérons bien aujourd'hui deux dispositifs distincts : d'une part, le régime assurantiel contra-cyclique que nous gérons à la base, et, d'autre part, le co-financement de l'activité partielle, qui est un dispositif de soutien de l'économie. Extrêmement marginal jusqu'à présent, celui-ci a été massivement mobilisé et prolongé à l'occasion de cette crise. Il ne posait jusqu'à maintenant pas de problème de financement spécifique. Aujourd'hui, se pose effectivement une question d'équilibre financier.
Avec l'activité partielle, il s'agit de soutenir les entreprises en « nationalisant » les salaires pour prévenir la destruction d'emplois. Le mode de financement de ce dispositif, qui devrait donc être distinct de celui du régime assurantiel, est en discussion.
Quant à l'APLD, nous sommes encore en phase de récupération d'informations auprès du Gouvernement. La question de la participation de l'Unedic à son financement se posera également.
M. René-Paul Savary, président. - En résumé, vous n'avez pas été associés à la décision mais vous le serez au financement, sans savoir à quelle hauteur...
M. Christophe Valentie. - Pour être plus précis, il faut bien distinguer deux phases. Il y a eu une première phase de réponse instantanée à l'état d'urgence, au mois de mars, pendant laquelle les décisions n'ont pas souffert de remise en cause de la part des partenaires sociaux. Il n'y a alors pas eu codécision mais l'Unedic y a été très tôt associée, avec une assez large adhésion aux décisions prises.
M. René-Paul Savary, président. - Cela correspond-il aux 13 milliards d'euros pour l'activité partielle ?
M. Christophe Valentie. - Tout à fait. Cependant, le confinement avait initialement été annoncé pour deux semaines, et personne n'avait anticipé ce montant au départ.
Nous sommes maintenant dans une deuxième phase, pendant laquelle des propositions sont faites qui donnent lieu à une concertation sur la réponse à apporter face à la crise et à la construction de différentes hypothèses. Des travaux d'évaluation sont menés par les partenaires sociaux.
M. René-Paul Savary, président. - Ne pouvez-vous pas donner d'estimation sur le dispositif d'APLD sur deux ans ?
M. Christophe Valentie. - Nous ne sommes pas en mesure d'annoncer un montant ni un mode de financement aujourd'hui, mais nous le ferons dans les tout prochains jours.
M. René-Paul Savary, président. - J'ai bien compris que vous étiez mis devant le fait accompli... Je passe la parole à d'autres collègues.
Mme Catherine Fournier. - Je suis surprise de ce que je viens d'entendre : à l'heure qu'il est, l'hypothèse d'une reprise de la pandémie et d'une nouvelle phase de confinement n'est pas chiffrée.
Nous sommes aujourd'hui dans une phase de consultation. À la fin, il faudra cependant que l'on sache comment se réglera cette dette.
Le dispositif d'activité partielle a été modifié par décret pendant la crise pour faire face au confinement. Quelles adaptations vous semblent pouvoir être conservées ? Lesquelles n'ont pas vocation à l'être ?
Par ailleurs, où en est la renégociation de la convention État-Unedic de 2014 sur le financement de l'activité partielle ? Comment vont s'y intégrer les nouveaux éléments du dispositif liés à la crise ? Comment voyez-vous l'évolution du protocole d'accord avec l'Agence de services et de paiement (ASP) ?
Dans l'hypothèse d'un rebond de l'épidémie, nous disposons à présent d'informations suffisantes pour mesurer les progrès réalisés au niveau sanitaire, qui permettent d'envisager un confinement moins dur que celui que nous avons vécu. Sur le plan social, disposez-vous déjà de projections ? J'ai l'impression que vous travaillez aujourd'hui au coup par coup.
M. Rémy Mazzocchi. - 13 milliards d'euros de dépenses supplémentaires pour l'activité partielle, c'est effectivement un chiffre conséquent qui montre l'ampleur du soutien de l'Unedic à l'économie.
En ce qui concerne l'année 2020, l'impact financier de la crise est désormais bien calibré : le coût de l'activité partielle sera de 13 milliards d'euros et l'Unedic aura une dette cumulée d'environ 63 milliards d'euros. Ces chiffres pourront être modulés mais l'histoire est en grande partie écrite.
Avant 2020, l'activité partielle était subsidiaire et l'Unedic ne jouait pas de rôle réglementaire dans la définition de son champ. Ainsi, les évolutions réglementaires de l'activité partielle échappent à ce stade à la gouvernance paritaire et l'Unedic se cantonne à un rôle historique de financeur. Or, l'activité partielle, renforcée par les lois d'urgence sanitaire, devient aujourd'hui un dispositif de protection sociale à part entière dans notre pays. Dans la nouvelle convention de financement qui est en cours de signature, il est donc prévu d'ici la fin de l'année un bilan des effets de ce dispositif sur l'économie et sur la prévention du risque de chômage, ainsi qu'une discussion sur son pilotage et son financement.
Il va de même en matière d'assurance chômage. À la suite de l'échec des négociations entre les partenaires sociaux, l'État peut modifier les règles par décret. Or, ses décisions en la matière ont aussi des conséquences sur la trajectoire financière du régime.
Il ne s'agit pas d'un pilotage « au coup par coup ». Après la phase de réponse à la crise, nous tâchons à présent de prendre un peu de hauteur et envisager différents scénarios, non seulement l'hypothèse que nous souhaitons tous de retour à la normale mais aussi d'autres hypothèses. Ces questions sont sur la table de l'Unedic ainsi que des négociations des partenaires sociaux avec le ministère du travail. Mais les variables sont tellement importantes à ce stade que, d'un point de vue technique, il n'est aujourd'hui pas possible de fournir une prévision pluriannuelle. Il n'y a pas, au moment où nous parlons, de certitude sur la trajectoire financière du régime. Je le répète, le régime porte aujourd'hui deux dispositifs de protection sociale : l'assurance chômage proprement dite et l'activité partielle.
Mme Catherine Fournier. - Quel est le calendrier de conclusion de cette nouvelle convention ?
M. Christophe Valentie. - La convention est en cours de finalisation. Son terme est fixé au 31 décembre prochain et un bilan de sa mise en oeuvre est prévu pour le 30 septembre.
M. Rémy Mazzocchi. - La convention a été signée ce matin par le président de l'Unedic. Nous n'avons pas attendu la signature cette convention pour mettre en oeuvre les dispositifs techniques nécessaires afin d'assurer le versement des allocations d'activité partielle par l'ASP.
Mme Frédérique Puissat. - Savez-vous combien de demandeurs d'emploi ont bénéficié du maintien de leur indemnisation pendant la crise sanitaire ? Disposez-vous d'une évaluation du coût de cette mesure ?
Existe-t-il un état des lieux de la mise en oeuvre du bonus-malus ?
Faut-il revenir sur la réforme de l'assurance chômage décidée en juillet 2019 ? Pouvez-vous évaluer l'impact financier de l'abandon des nouvelles règles ?
Enfin, faut-il isoler la dette liée à l'épidémie de covid-19 ?
M. Pierre Cavard. - Entre 200 000 et 250 000 personnes ont bénéficié du maintien de leur indemnisation jusqu'au 31 mai, pour un coût qui s'élève à 500 millions d'euros.
Sur la mise en place du bonus-malus, je ne me permettrai qu'une remarque technique. Ce dispositif doit prendre en compte le nombre de fins de contrats enregistrées l'année n-1. Pour 2021, la référence sera l'année 2020. Des adaptations seront sans doute nécessaires.
La modification de la durée d'affiliation pour bénéficier de l'assurance chômage ou du rechargement des droits est entrée en vigueur en novembre dernier. Les nouvelles modalités de calcul du salaire journalier de référence, qui devaient s'appliquer à partir du 1er avril, ont été repoussées au 1er septembre.
Un abandon de cette réforme aurait peu d'impact sur les comptes de l'année 2020 car elle ne s'applique qu'aux nouveaux entrants. Les dépenses supplémentaires s'élèveraient au maximum à 100 millions d'euros.
Rétablir une condition d'affiliation de 4 mois entrainerait une dépense supplémentaire de l'ordre de 300 millions d'euros.
M. Christophe Valentie. - Il nous est possible de suivre précisément les sources des dépenses et des recettes de l'assurance chômage. On sait donc ce qui résulte de la conjoncture ou des différentes décisions politiques prises.
La question de la gestion de la dette relève d'une discussion entre les partenaires sociaux et l'État.
M. Rémy Mazzochi. - Schématiquement, les 63 milliards d'euros de dette attendus à la fin de l'année résultent pour un tiers de décisions exogènes à l'assurance chômage prises avant la crise, pour un tiers du déséquilibre conjoncturel de l'assurance chômage et pour un tiers des effets de la crise sanitaire.
M. René-Paul Savary, président. - Nous vous remercions pour la précision que vous avez bien voulu apporter à vos réponses, dans la mesure du champ qui vous incombe. Cette audition nous sera utile dans la perspective de l'examen des prochains textes, notamment financiers.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 15 heures.