Lundi 18 novembre 2019
- Présidence de M. Michel Magras, président -
Rencontre avec les élus locaux d'outre-mer : présentation des conclusions et recommandations sur les deux volets de l'étude relative aux risques naturels majeurs
M. Michel Magras, président. - Je vous propose tout d'abord de respecter une minute de silence en l'honneur de Raymond Tekurio, maire de Hikueru dans l'archipel des Tuamotu-Gambier en Polynésie française, décédé cette nuit.
Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que les élus locaux, se lèvent et observent une minute de silence.
M. Michel Magras, président. - Je suis particulièrement heureux de vous accueillir au Sénat, en mon nom et en celui des membres de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, et de vous souhaiter la bienvenue dans la Maison des collectivités territoriales - la vôtre - pour cette rencontre qui vous est dédiée. Si la Délégation sénatoriale aux outre-mer, que j'ai l'honneur de présider, a de nombreuses occasions d'être en contact avec vous, cette manifestation est exceptionnelle et inédite. Je me réjouis de la présence de délégations de chacune des collectivités disposant de municipalités, et je salue nos anciens collègues, en particulier Karine Claireaux, maire de Saint-Pierre, que nous avons toujours plaisir à retrouver. (Applaudissements)
Ce temps d'échange nous importe à plusieurs titres. D'abord, vous êtes le premier maillon de la démocratie, par votre engagement en termes de proximité. Surtout, les problématiques d'outre-mer sont particulières et méritent en tant que telles une attention tout aussi particulière.
La différenciation territoriale est un principe auquel je suis très attaché pour les outre-mer, et dont je me fais volontiers le porte-parole chaque fois que l'occasion m'en est donnée. Elle signifie la mise en place de politiques publiques et de règles pertinentes qui prennent leur source dans les territoires, faisant de la municipalité, là encore, le premier échelon de la différenciation.
Dans cette optique, fidèle à sa mission constitutionnelle et conformément à la priorité définie par son président, Gérard Larcher, le Sénat souhaite associer toujours davantage à ses travaux les élus que vous êtes. D'ores et déjà, la délégation veille tout particulièrement, dans chacune de ses études, à valoriser les réalisations de vos territoires.
Notre délégation existe depuis novembre 2011, et elle est investie d'une triple mission : une mission d'information du Sénat sur les questions relatives aux outre-mer, une mission de veille pour la prise en compte des caractéristiques de leurs collectivités et une mission d'évaluation des politiques publiques les concernant. Elle compte 37 rapports à son actif, ce qui lui permet d'intervenir en amont du processus législatif pour alimenter et orienter les instances compétentes.
Surtout, il me semble important de souligner que, si nous nous efforçons d'appuyer nos réflexions sur les réalités locales, la délégation veille, depuis son origine, à ne jamais « ghettoïser » les outre-mer, pour reprendre une expression traditionnellement employée.
Du reste, sa composition y contribue, avec quarante-deux sénateurs élus pour moitié dans les outre-mer, tandis que l'autre moitié est désignée par le Sénat de manière à assurer la représentation proportionnelle des groupes et une représentation équilibrée des commissions.
Nous sommes également très attentifs à la mixité des équipes de rapporteurs - ultramarins-hexagonaux, majorité-opposition, hommes-femmes -, une méthode de travail qui permet de parvenir à des travaux consensuels et à la production de rapports approfondis bénéficiant d'une pluralité de regards et d'expériences, et qui participe aussi au décloisonnement des outre-mer.
J'en veux pour preuve les statistiques de l'activité sur l'outre-mer, tous sénateurs confondus, sur le dernier triennat : 167 questions écrites, 56 questions au Gouvernement et 22 questions orales, auxquelles il faut ajouter les déplacements des commissions - une délégation de la commission des lois, conduite par son président Philippe Bas, revient tout juste de la Guyane. Mais, pour appréhender la grande diversité de situations des outre-mer, nous organisons aussi de nombreuses auditions par visioconférence avec des acteurs de terrain et, par ce biais, nous couvrons l'étendue des outre-mer en optimisant pleinement les moyens technologiques.
Ces chiffres sont très largement nourris par le travail de contrôle et de suivi des sénateurs ultramarins, - je salue leur présence ce matin -, et l'investissement au sein de la délégation, dont les travaux sont le fruit d'une dynamique collective.
Nous veillons, en outre, à traiter de thématiques transversales, qui sont au coeur des problématiques essentielles des territoires couvrant l'ensemble de nos outre-mer, avec une approche par bassin océanique à laquelle je suis très attaché et, comme je vous le disais, se situant en amont du processus législatif.
Je me félicite à cet égard que nos travaux sur le foncier aient inspiré l'adoption de dispositions sur le foncier en Polynésie - Mayotte et la Guyane avaient déjà fait l'objet de mesures dans la loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique -, ou encore la proposition de loi de notre collègue député Serge Letchimy, qui contribuera à apporter une solution aux difficultés posées par les indivisions en matière d'aménagement du territoire - je pense, par exemple, aux « dents creuses ». Bref, nos travaux trouvent une traduction concrète au sein du Sénat et en dehors, et c'est heureux. Je pourrais citer encore d'autres thématiques, comme celle des normes applicables au secteur du BTP, celles de la visibilité outre-mer, des biodiversités ou encore des risques naturels majeurs - je salue, à cet égard, la présence de Frédéric Mortier, délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer.
Malgré le travail accompli, mon ambition est toujours d'aller plus loin, de faire mieux et davantage, pour poursuivre sur la voie d'une meilleure connaissance des outre-mer et d'une prise de conscience accrue de leurs réalités.
La séquence que nous organisons ce matin est l'un des moments d'un travail que nous souhaitons plus étroit avec vous, conformément à la volonté du président Gérard Larcher.
C'est pourquoi, avec mes collègues, j'ai souhaité que la seconde partie de notre matinée soit consacrée à vous présenter les outils d'échange que le Sénat met à votre disposition. Ce sont les vôtres, et je vous invite à vous en emparer.
Le président Larcher nous rejoindra ensuite pour un temps d'échange, qu'il a voulu libre pour vous laisser le choix des thèmes qui vous paraissent devoir prioritairement être abordés. Il est à l'écoute de tous les territoires, et les outre-mer n'y font pas exception.
M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur de l'étude. - Il y a deux ans, le 6 septembre 2017, le cyclone Irma, d'une violence inouïe, frappait les îles du nord de la Guadeloupe, Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Alors que nos deux territoires se retrouvaient coupés du monde, l'hexagone semblait soudain découvrir la puissance des cyclones, en même temps qu'il se souvenait que, au-delà des mers, c'étaient bien là des îles françaises qui étaient dévastées.
Passé le choc, la Délégation sénatoriale aux outre-mer a décidé de conduire une étude sur les risques naturels majeurs outre-mer, en accord avec le président du Sénat, Gérard Larcher.
Je remercie une fois encore le président de la délégation, Michel Magras, de la confiance qu'il m'a accordée en me proposant de coordonner ce travail. Tous deux sénateurs des îles touchées, nous partagions la même approche sur ce sujet : il n'était pas question de faire une commission d'enquête et de mettre en accusation des responsables qui ont tenu durant la crise du mieux qu'ils ont pu. Il s'agissait de comprendre, de dresser un bilan sans concession de la situation à laquelle nos territoires sont confrontés et de ne surtout pas regarder le passé, mais de préparer l'avenir, en vue de tirer les leçons pour améliorer notre résistance face aux aléas futurs.
Ce travail de deux ans a abouti à deux rapports. Le premier, adopté en 2018, portait sur la prévention des risques et la gestion des crises. Le second, adopté jeudi dernier, est consacré à la reconstruction, à l'accompagnement des populations et à la résilience des territoires. Au total, ce sont 100 propositions qui ont été formulées par les quatre rapporteurs, dont je salue ici le travail, l'implication et l'engagement. Je tiens à les citer et à les remercier : Victoire Jasmin, très engagée, et Mathieu Darnaud, excusé aujourd'hui, dont le département est exposé aux aléas climatiques peu après avoir subi un séisme, pour le premier volet ; Abdallah Hassani, sénateur de Mayotte, territoire menacé par la submersion, et Jean-François Rapin, élu métropolitain ancré dans les problématiques ultramarines, puisqu'il préside l'Association nationale des élus du littoral (ANEL), pour le second.
Quand le président du Sénat et le président de la délégation ont préparé cette matinée, ils souhaitaient que nous puissions travailler ensemble sur un sujet porté par la délégation et m'ont tout de suite proposé que cette séquence soit consacrée aux risques naturels. Ce sujet est avant tout un sujet territorial, un sujet local.
Les sénateurs de chacun des territoires, membres de la délégation, sont les relais des problématiques dont vous, élus, leur faites part. Ils sont les porte-voix des territoires, et nous sommes toujours vigilants quand vous nous interpellez. Nous avons aussi veillé à travailler directement avec vous. Nous avons eu à coeur de nous appuyer, tout au long de ces deux années, sur les collectivités et leurs élus dans les différents territoires, par visioconférence ou durant les déplacements que nous avons réalisés.
Deux rapports, 100 propositions. La prévention et la gestion de l'urgence, tout d'abord, font l'objet d'un premier rapport, dans lequel nous avons longuement analysé les risques auxquels sont confrontés nos territoires. Ceux-ci sont nombreux et, souvent, se cumulent : séismes, volcans, cyclones, tsunamis, inondations, submersion...
La connaissance des risques est fondamentale. Elle est un préalable indispensable à toute politique, et nous avons rappelé les investissements nécessaires dans le suivi de nombreux risques. Je me souviens de notre visite à l'observatoire volcanologique et sismologique de Guadeloupe où le directeur nous expliquait le regain d'activité de la Soufrière. Nous devons maintenir d'importants moyens scientifiques.
Sur la prévention, nous avons longuement analysé les plans de prévention des risques naturels (PPRN). Ces plans couvrent vos communes. Ils sont indispensables : il s'agit là de la préservation de vies humaines. Mais ils ne prennent pas suffisamment en compte les spécificités de nos territoires, leur contexte géographique et les contraintes liées au foncier ou au développement économique. Nous devons avancer sur ce point. Je sais que la Polynésie française travaille sur l'évolution du cadre juridique de ses PPRN et la définition des zonages et contraintes liées : nous suivrons cette expérimentation.
Le PPRN doit également être davantage concerté. Il conditionne nombre d'aménagements des communes et doit mieux intégrer les élus en amont. Mais la prévention a besoin de moyens, et nous n'avons eu de cesse de souligner les insuffisances du fonds Barnier comme, parfois, du plan séismes Antilles. Le fonds Barnier doit poursuivre son assouplissement. Face à l'urgence d'agir, la situation économique et financière de nos collectivités comme de nos populations doit être mieux prise en compte : cela impose de revoir les taux de cofinancement et les modalités d'intervention.
Ce premier volet était aussi celui de la préparation et de la gestion de l'urgence.
Nous nous sommes intéressés aux réseaux de vigilance et d'alerte, et nous avons constaté les fragilités dans les réseaux de mesures sismiques. Je me souviens de la question des lahars au Prêcheur, à la Martinique, dont la vitesse impose une surveillance extrêmement réactive. Nous avons vu les lacunes des moyens de vigilance météorologique : on nous a signalé en particulier des manques de radars et de houlographes, par exemple.
Mais nous avons aussi insisté sur les manques criants de moyens d'alerte, parfois, et particulièrement en sirènes. Je me souviens de la situation alarmante des îles Wallis et Futuna sur ce point. Le projet « Exploit », à Saint-Barthélemy, était un bel exemple d'amélioration des alertes face aux tsunamis.
Tous ces éléments sont utiles en amont, mais aussi durant les crises. Ces crises, nous avons jugé que leur pilotage ne vous intègre pas suffisamment. Intégrer les élus, ce message a été un fil directeur de ce premier volet, qu'il s'agisse de la prévention comme de la gestion de crise. Nous appelions l'an dernier à une gestion plus inclusive des risques naturels. Nous demandions notamment des séminaires territoriaux des risques naturels, avec les élus de tous les niveaux de collectivités et les services de l'État, pour faire le point sur la préparation au risque. Nous demandions aussi à mieux intégrer les exécutifs locaux : vous, mesdames et messieurs les maires, présidents de collectivités, départements ou régions.
Après la crise viennent la reconstruction et la préparation du temps long, ce que nous appelons communément la résilience.
Concernant la reconstruction, notre réflexion s'est principalement fondée sur l'expérience de Saint-Martin. Nous avons été critiques sur ce point, constatant que le pilotage par l'État de la reconstruction avait sans doute été trop unilatéral et le suivi, lacunaire, avec la disparition du délégué interministériel au bout de dix-huit mois, quand, deux ans après, la reconstruction n'est faite qu'à 49 %. Nous avons formulé des recommandations pour améliorer les pratiques dans de telles situations. Cela est valable aussi pour le déficit de coordination dont la collectivité avait la charge. Il faut que, face aux catastrophes naturelles, l'État s'appuie sur les élus locaux.
Mais, au-delà de la reconstruction, nous avons voulu penser plus globalement à l'adaptation de nos territoires et aux aménagements nécessaires à celle-ci.
Nous avons parlé de l'évolution des risques liés aux changements climatiques à l'horizon de 2050, qui touchera tous nos territoires, menaçant jusqu'au plus nordique d'entre eux, Saint-Pierre-et-Miquelon ; de l'évolution du trait de côte, par exemple, qui n'épargne aucun de nos territoires, pas même la Guyane et son littoral si étendu ; de l'évolution de certains risques, enfin, qui se sont présentés récemment. Je pense ici aux sargasses dans les Antilles, ces algues toxiques et paralysant l'activité de certaines communes. Nous avons appelé à mieux accompagner les communes qui n'ont souvent pas les moyens de procéder à l'indispensable ramassage rapide de ces algues. Je pense ici aussi, naturellement, à ce volcan qui, depuis plus d'un an, a provoqué plus de 1 800 séismes à Mayotte et fait se déplacer et s'enfoncer l'archipel. Nous avons souligné la nécessité de tenir informés les élus, qui sont interpellés au quotidien par une population inquiète.
Face à ces risques, face à ces évolutions, nous avons voulu insister sur les stratégies d'aménagement.
Cela nous a conduits à nous intéresser aux normes. Ces adaptations doivent venir du terrain. Je tiens ici à saluer le dynamisme de nos territoires sur ce point. Je pense en particulier à La Réunion, où les acteurs du BTP sont mobilisés avec le Centre scientifique et technique du bâtiment pour l'amélioration de la résistance des matériaux et des pratiques de construction face aux vents cycloniques. Je pense également à la Nouvelle-Calédonie, qui mène depuis 2016 un vaste projet d'adaptation des normes, et dont les études ont permis de réévaluer les vitesses de vents à prendre en compte en considérant les projections et les niveaux constatés empiriquement sur le territoire, et d'établir une nouvelle cartographie.
Sur ce sujet des aménagements, je n'oublie pas une question transversale, celle des réseaux. Nous avons demandé que des plans de résilience soient établis pour prévoir avec l'État et les opérateurs les enfouissements nécessaires. Nous en parlons depuis si longtemps, Irma a montré que cela était indispensable. Je n'oublie pas non plus que les aménagements sont aussi parfois naturels. Le projet « Rescue Ocean » nous l'a montré : il est urgent de valoriser les systèmes de protection côtiers.
Nous avons enfin souligné ce que l'évolution anticipée des risques signifiait, ce qu'elle imposait comme réflexions sur la préparation de nos territoires comme de nos populations. Nous appelons à impulser une réelle acculturation aux risques. Cela doit notamment conduire à des exercices plus fréquents, mais aussi à une amélioration de la couverture assurantielle.
Les sujets sont nombreux, et tous nécessitent que nous travaillions ensemble. C'est le sens de cette matinée.
Je l'ai dit lors de la présentation devant la délégation jeudi dernier, l'ambition de résilience de nos territoires ne pourra se faire qu'avec des moyens financiers adéquats et un portage politique déterminé et suivi dans la durée. Nous nous battrons à vos côtés pour que cette ambition devienne une réalité. Il y va de l'avenir de nos territoires et de la protection de nos populations.
Ce travail, comme tous les rapports réalisés par la délégation, a été conduit dans une démarche constructive. Il doit maintenant servir à l'ensemble des acteurs de la prévention et de la gestion des risques, ainsi qu'au Gouvernement. Un projet de loi est annoncé pour le printemps 2020, et je salue, moi aussi, la présence de Frédéric Mortier, qui travaille actuellement à la préparation de ce texte.
Il y a trente ans, le cyclone Hugo balayait la Guadeloupe. Quelques semaines plus tard, le Président de la République François Mitterrand était présent dans le territoire sinistré. Aux responsables locaux qu'il avait rencontrés, il avait déclaré : « Je viens d'écouter vos propos avec intérêt, car ils ajoutent à la connaissance des dossiers cet élément irremplaçable du témoignage direct d'hommes et de femmes qui ont vécu ce drame, qui sont impliqués dans la gestion, qui se préoccupent de la situation des êtres humains frappés dans leurs biens, sans doute, et plus encore souvent dans leurs espérances, comme fouettés au milieu de l'effort engagé depuis longtemps pour donner à la Guadeloupe l'équilibre qu'elle mérite ». Tout était dit. Car là est bien notre rôle à tous, ici : être les porte-paroles des réalités complexes, singulières et délicates de nos collectivités et de nos populations. Qui peut prétendre connaître vos territoires mieux que vous, élus de terrain ?
Aujourd'hui est la première étape du suivi de nos travaux. Je souhaite que ce suivi demeure régulier, étroit, exigeant à vos côtés.
M. Michel Magras, président. - Merci, cher collègue. Je vous propose à présent de procéder à un temps d'échanges avec la salle.
M. Alain Sorèze. - Je suis conseiller municipal de Pointe-à-Pitre en Guadeloupe. Je vous félicite pour ces travaux. En sus de ce rapport, il serait bon, à mon sens, de produire une étude comparative sur la gestion des catastrophes naturelles par les pays voisins dans les zones où se trouvent des collectivités d'outre-mer.
Vous avez signalé que le programme de reconstruction de Saint-Martin avait avancé à hauteur de 49 %. Quel est le niveau d'avancement de cette reconstruction dans la partie hollandaise et quelles sont les raisons de cette situation ?
Nous devons également réfléchir aux modalités de la nécessaire coopération qui doit se mettre en oeuvre après les catastrophes, notamment sur le plan militaire.
Par ailleurs, les alertes transitant par des canaux comme France Télévisions, n'ont plus d'écho, notamment chez les jeunes. Par conséquent, ne serait-il pas judicieux de lancer une application officielle destinée à assurer une information fiable pour tous les citoyens, à l'image de l'information officielle communiquée en cas de crise aux Français en déplacement à l'étranger ?
M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. -Travailler sur l'étude que vous suggérez serait envisageable, mais probablement assez compliqué. En effet, un rapport prend du temps et mobilise des énergies. De plus, la Délégation sénatoriale aux outre-mer a déjà d'autres rapports en cours d'élaboration, et la planification de ses travaux a déjà été fixée pour l'année à venir.
L'étude comparative que vous demandez serait néanmoins intéressante pour traiter du cas de Saint-Martin. Mais je tiens à dire que nous n'avons pas à rougir des actions menées par la France à la suite du passage de l'ouragan Irma. Je le pense très sincèrement, la France a été à la hauteur de l'attente. Nous n'avons pas à rougir, je le répète, d'autant moins lorsque nous regardons la situation catastrophique que connaissent aujourd'hui les Bahamas ou Porto Rico.
Quoi qu'il en soit, nous pouvons toujours faire mieux, notamment sur le plan de la coordination de l'État avec les élus locaux. Cette coordination gagnerait à être améliorée, dans le respect des responsabilités de chacun. L'État doit jouer pleinement son rôle, mais les élus locaux ne doivent pas être privés de leur rôle de terrain, appuyé sur leur bonne connaissance des populations fragiles.
Quant au pourcentage d'avancement de la reconstruction, il ne pouvait pas être réactualisé en permanence au cours de la production de notre rapport. Le pourcentage de 49 % évoqué doit donc être pris avec quelques nuances : il est issu des données du programme spatial européen Copernicus établies en août 2019.
La reconstruction a connu une période difficile du fait du manque d'approvisionnement en matériaux, du temps nécessaire pour organiser les équipes, etc. Mais depuis quelque temps les choses s'accélèrent. Ce pourcentage est donc très vraisemblablement dépassé. Lors de notre déplacement sur le terrain, les stigmates étaient encore très visibles. Ils le sont moins à présent. Il reste toutefois bien des choses à faire, notamment à l'intérieur du territoire.
Par ailleurs, si l'on ne coopère pas en période de paix, hors phénomène climatique, il est difficile de le faire en temps de crise. Nous devons donc amplifier notre coopération, surtout avec Sint-Maarten. Malheureusement, celle-ci se fait souvent à sens unique. Nous mettons à disposition nos écoles, nos services hospitaliers, sans être forcément payés de retour. Nous devons donc faire en sorte de mieux structurer cette coopération, et peut-être également la gérer plus localement pour gagner en efficacité. Cela améliorera notre performance en période de crise.
À titre d'exemple, comment se fait-il que la partie hollandaise ne soit pas en mesure de nous alimenter en eau ? Un séminaire avait été organisé avec le syndicat intercommunal d'alimentation en eau et d'assainissement de la Guadeloupe (Siaeag) précisément sur le sujet de la gestion de l'eau en période de crise. Nous devons arriver à mieux nous adapter à la situation. De manière générale, nous devons travailler de façon continue et non plus par saccades, lorsque les événements nous y conduisent, comme nous le faisons aujourd'hui.
M. Michel Magras, président. - Les travaux de la Délégation sénatoriale aux outre-mer font toujours l'objet d'un suivi attentif sur plusieurs années. Le rapport qui vous a été présenté ne fera pas exception. Nous nous assurerons notamment que les dispositions à caractère législatif qu'il comporte figurent bien dans le projet de loi sur les risques naturels majeurs pour les outre-mer.
Je félicite par ailleurs toutes les parties prenantes pour l'important travail de coopération qui a été mené dans le cadre de l'organisation de l'exceptionnelle conférence internationale sur les sargasses, qui s'est tenue du 23 au 26 octobre 2019 en Guadeloupe. La coopération est nécessaire de manière générale. Elle est toutefois peut-être plus facile à mettre en oeuvre dans les Antilles que dans le Pacifique, pour des questions d'échelle notamment.
Sur la communication, des préconisations ont été faites dès le premier rapport. Nous veillerons à en suivre les résultats.
Mme Victoire Jasmin, rapporteure. - Lorsque nous nous sommes déplacés à Saint-Martin, nous avons rencontré différents médias locaux. Il existe sur cette île une grande variété de populations qui parlent des langues différentes et n'écoutent pas toutes, par conséquent, les médias français, même en zone française. Ainsi, la plupart des gens consultent davantage les informations véhiculées par le National Hurricane Center (NHC) que celles communiquées par Météo France.
Guillaume Arnell a insisté pour que les médias locaux fassent désormais partie de la chaîne de personnes ressources fiables susceptibles de relayer dans les différentes langues les messages de la préfecture déléguée de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.
M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Comme vous le verrez dans le rapport, dans la partie hollandaise de l'île de Sint-Marteen, les réparations sont financées et pilotées par la Banque mondiale, contrairement à ce qui est pratiqué dans la partie française.
M. Ali Madi. - Je suis conseiller municipal de Sada à Mayotte. J'ai beaucoup apprécié le rapport qui vient d'être présenté. J'aurais aimé entendre davantage parler de Mayotte, mais j'imagine que les autres territoires d'outre-mer auraient souhaité la même chose les concernant.
Les tremblements de terre survenus à Mayotte ont mis à mal la structure de nombreux bâtiments, aujourd'hui fissurée. Or ce problème n'est pas pris en compte dans la construction de nouveaux bâtiments, où les mêmes méthodes archaïques restent employées. Nous risquons donc de répéter les mêmes erreurs que par le passé, ce qui produira des conséquences néfastes si la situation s'empire. Cet élément est-il pris en compte dans l'étude que vous avez conduite sur ce sujet ?
Par ailleurs, le village de Sada se trouve sur le littoral. Mais il ne faut pas oublier que des populations incontrôlées vivent dans les hauteurs, dans un environnement également touché par les conséquences des séismes, auquel la politique publique territoriale ne peut accéder. Or cela pose des problèmes notamment pour la gestion de l'eau. Quelles mesures serait-il possible de prendre pour prévenir ces risques de salubrité publique, qui menacent également les mangroves ?
Enfin, vous employez la notion d'archipel dans votre rapport. Cette notion désigne-t-elle Mayotte ou les Comores ?
M. Abdallah Hassani, rapporteur. - Mayotte a subi plus de 2 000 séismes. Si une accalmie se présente aujourd'hui, cela tient au fait que le volcan qui en est la cause s'est en quelque sorte endormi.
La population n'était pas alertée, car nous ignorions son existence. Il a fallu des missions scientifiques pour déterminer que les séismes étaient dus à la naissance d'un volcan. Ces missions se poursuivent. Nous statuerons ensuite, dans quelques mois ou dans deux ans, sur les actions à mener. Pour l'instant, l'essentiel est que la population soit informée. Lors d'un séjour à Mayotte j'ai pu constater que les élus eux-mêmes n'étaient pas informés. Les informations étaient gardées à la préfecture et communiquées par à-coups.
Il faudrait que les élus locaux soient mieux informés de l'évolution de ce volcan, pour qu'ils puissent ensuite diffuser cette information auprès de la population. Aucune prévention ne peut en effet être mise en oeuvre sans une bonne information de la population.
Concernant l'enfoncement de l'archipel, c'est la Petite-Terre qui s'est enfoncée de quinze centimètres, non la Grande-Terre. Il faut que des études plus approfondies soient menées. Il nous faut faire avec cette réalité, nous n'allons pas quitter l'île. Toutes les îles concernées sont dans cette situation.
M. Thani Mohamed Soilihi, vice-président du Sénat, président de la délégation du Bureau chargé de la présence du Sénat dans les territoires. Mayotte a été bien prise en compte dans le rapport, qui comporte de nombreuses recommandations et préconisations la concernant.
Par ailleurs, comme cela a été précisé à de nombreuses reprises, face à l'ampleur du désastre et à la multiplication des essaims de séismes, les gens ont paniqué. C'était la première fois qu'ils vivaient cela. Pour beaucoup, c'était la fin du monde. D'où l'importance de la prise en charge psychologique.
Nous l'avons vu récemment en Ardèche, le moindre tremblement de terre est très médiatisé lorsqu'il se produit en métropole. Dans nos coins reculés, pour qu'un événement fasse parler de lui, il faut vraiment quelque chose d'extraordinaire. Mayotte a toutefois bénéficié à l'époque d'une certaine couverture médiatique.
De manière générale, au Sénat, les situations ultramarines sont prises en compte à la hauteur des enjeux.
Je précise qu'un délégué interministériel, Frédéric Mortier, a été spécialement désigné par le Gouvernement pour traiter de la question des risques naturels majeurs. C'est une très bonne chose. Il manque encore de nombreuses réponses, mais le travail de M. Mortier et de son équipe nous les apportera. Nous serons alors à même dans tous les territoires d'outre-mer d'en savoir plus et de construire des préconisations et des solutions de terrain.
Mme Inayat Ali. - Je suis adjointe au maire de Sada. Vous dites que Mayotte va disparaître. Or nous, nous y vivons ! Nous savons maintenant que les séismes sont dus à un volcan. Sachant que les alertes relatives à la montée des eaux sont fréquentes, nous vivons dans la peur. Et nous manquons de réponses.
Nous aimerions être informés de l'état de Mayotte et savoir si la France s'est préparée à une éventuelle évacuation. Lorsque je suis partie pour venir ici, je me suis demandée si Mayotte serait toujours là à mon retour. Il faut donc que la population soit rassurée, informée et préparée si nécessaire.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Sur le sujet mahorais et celui de l'adaptation des bâtiments aux éventuels séismes, une mission du conseil scientifique et technique du bâtiment s'est rendue sur place. Elle a regardé comment nous pourrions adapter les logements individuels et communs afin de permettre l'absorption des secousses.
Je tiens également à vous dire que Mayotte n'est pas oubliée. Nous l'évoquons régulièrement dans cette délégation. Nous avons conscience que le problème des Mahorais est très important. Avec la distance, Paris oublie parfois l'importance des problématiques outre-mer.
Je rebondis aussi sur une partie du rapport qui m'est chère et que M. Thani Mohamed Soilihi a évoquée, à savoir la prise en compte du phénomène psychologique. Je crois que nous devons tous - professionnels de santé, élus, décideurs - veiller à le prendre en considération, car il a deux dimensions. Tout d'abord, il représente l'écueil de l'immédiateté, qu'il est important de traiter. Ensuite, ce phénomène psychologique a, dans le cadre de la reconstruction, une dimension très importante. Il faut en effet donner envie aux gens de reconstruire et de revivre sur les lieux du drame. On dit que l'on progresse tout le temps et que l'on grandit de ses échecs : je pense qu'une catastrophe naturelle peut être considérée comme un échec. Souvent, nous ne traitons pas cette dimension psychologique de la bonne façon : nous favorisons trop rapidement la volonté de reconstruire. Les témoignages de Guillaume Arnell nous permettent de comprendre que c'est à distance de l'événement que les soucis surviennent. Il s'agit de difficultés psychologiques, mais aussi d'éclatement de familles par exemple. Or, cela n'est pas bon pour la reconstruction et la résilience.
Enfin, je souhaite - plutôt : j'exige - que l'État assure un suivi des pathologies organiques et de tout de ce qui pourrait survenir après la catastrophe. Quand on subit un choc, avec une angoisse violente et un traumatisme psychologique, on peut, plusieurs années après, développer des maladies, qui sont difficiles à prendre en compte : diabète, cancer, problème de thyroïde. Je suis convaincu de l'importance de ce suivi. Je vois le délégué ministériel opiner du chef ; il est donc tout est à fait d'accord avec moi ! Il faut déployer les moyens nécessaires. En période de paix, une configuration internationale doit pouvoir être envisagée pour protéger les populations. Il s'agit d'un élément essentiel de la reconstruction.
M. Michel Magras, président. - Aucun territoire n'est oublié, tous les risques sont examinés dans ce rapport et les propositions feront l'objet d'un suivi.
Les normes ont fait l'objet d'un travail engagé il y a deux ou trois ans par la délégation. Ce travail commence à avoir un écho remarquable auprès d'organismes tant nationaux tels que le BNTEC et le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) que locaux. Il existe une réelle volonté de prendre en considération le besoin d'adapter les normes aux exigences des outre-mer. Nous le savons bien, celles-ci varient selon que l'on se trouve à Mayotte, aux Antilles ou à Saint-Pierre-et-Miquelon. Cette délégation a la volonté d'aller vers du concret et donc des dispositions qui doivent permettre à nos territoires d'avancer.
M. Christian Vernaudon. - Je suis conseiller municipal de Punaauia et le représentant de la Polynésie française au Conseil économique, social et environnemental (CESE). Ma question porte sur la convention citoyenne pour le climat. Le Président de la République a annoncé qu'il demanderait à cette convention citoyenne pour le climat de lui faire des propositions, fin janvier, en matière de politique à mener par la France sur les sujets du réchauffement climatique et de la biodiversité.
Cette convention citoyenne a été dotée d'organes de gouvernance, ce qui représente une vingtaine de personnes. Le premier constat que nous avons fait - membres du groupe outre-mer du CESE et membres de la délégation outre-mer du CESE - est qu'aucune de ces vingt personnes n'est originaire des outre-mer.
Par ailleurs, cette convention citoyenne est composée de cent cinquante personnes tirées au sort. Il nous avait été annoncé que la répartition de ces personnes serait conforme à la répartition des populations. Or, seule une personne est originaire des outre-mer : elle est de La Réunion. Il n'y a aucun représentant de l'Atlantique ni du Pacifique.
Dans ce contexte, dès le 25 octobre, le président de la délégation outre-mer du CESE, Jean-Étienne Antoinette, l'un de vos anciens collègues qui fut sénateur de la Guyane, ainsi que les conseillers économiques, sociaux et environnementaux du Pacifique ont écrit au président Patrick Bernasconi et aux membres du comité de pilotage pour demander la venue d'experts ultramarins. Nous souhaitons en effet qu'ils puissent présenter nos problématiques, car nous sommes particulièrement concernés par le réchauffement climatique et la perte de biodiversité. Nous avons récrit la semaine dernière, mais nous n'avons aucune réponse. L'ensemble des débats de cette convention citoyenne occulte à 100 % les problématiques de l'outre-mer.
J'ai donc deux choses à vous dire. Tout d'abord, votre rapport, qui est de très grande qualité, mériterait d'être présenté devant cette convention citoyenne. Ensuite - et je m'adresse au président du Sénat qui a désigné une garante, Mme Michèle Kadi -, comment faire pour que les outre-mer ne soient pas à 100 % oubliés dans cette convention citoyenne ?
M. Michel Magras, président. - Nous sommes sensibles à votre déclaration, M. Vernaudon. Je n'irai pas jusqu'à dire que nous sommes quelque peu habitués à cette situation : les territoires d'outre-mer sont en général oubliés, et cela ne date pas d'hier. Nous ne pourrons pas vous apporter de réponse, mais le président du Sénat, qui nous a rejoints, vous donnera à l'évidence quelques éléments de réponse lors de l'échange, connaissant son engagement pour nos outre-mer.
Rencontre avec les élus locaux d'outre-mer : échanges, en présence de M. Gérard Larcher, Président du Sénat
M. Michel Magras, président. - Monsieur le Président du Sénat, mes chers collègues, mesdames, messieurs les maires et les élus, chers amis, nous abordons à présent la seconde partie de notre matinée de travail au cours de laquelle nous examinerons les moyens à mettre en oeuvre pour construire une participation plus approfondie et plus active, des élus locaux ultramarins aux travaux du Sénat. Je dois vous dire que c'est à son initiative que nous sommes réunis aujourd'hui et je l'en remercie. Il m'a en effet expressément demandé de réfléchir à un format de rencontre qui lui permettrait de consacrer un temps pour échanger avec les élus d'outre-mer.
La présence du président du Sénat marque notre ambition commune de resserrer les relations entre les outre-mer et la Haute Assemblée, nos territoires et le Sénat. La délégation dédiée aux outre-mer y contribue, mais les commissions permanentes et les autres délégations sénatoriales ne sont pas en reste, et nous nous réjouissons d'une présence croissante des sujets relatifs aux outre-mer.
Je l'ai rappelé, le Sénat, fidèle à sa mission constitutionnelle de représentation des territoires, cherche à associer toujours plus étroitement les élus locaux à ses travaux. Cette volonté s'est aussi incarnée avec la mise en place, depuis 2018, d'une plateforme en ligne de consultation des élus locaux qui va vous êtes présentée dans quelques instants. Il est important de mesurer l'innovation qu'elle représente.
Je vous propose donc d'entendre notre collègue M. Thani Mohammed Soihili, sénateur de Mayotte, vice-président du Sénat, chargé de la délégation du Bureau pour la présence territoriale avant l'intervention du Président du Sénat.
Nos échanges se poursuivront ensuite jusqu'à midi, avant de nous retrouver à la présidence, dans les salons de Boffrand.
M. Thani Mohamed Soilihi, vice-président du Sénat, président de la délégation du Bureau chargé de la présence du Sénat dans les territoires. - Monsieur le Président, monsieur le président de la délégation, cher Michel Magras, mes chers collègues sénateurs, mesdames, messieurs les maires et élus d'outre-mer, chers amis, je me réjouis très sincèrement d'intervenir dans le second temps de cette réunion organisée par la délégation aux outre-mer, afin d'approfondir l'échange que nous, sénateurs, souhaitons avoir avec vous, élus d'outre-mer, sur la façon de vous associer toujours mieux à nos travaux.
Il s'agit là de l'exercice par le Sénat de ses deux fonctions reconnues par la Constitution - le vote de la loi et le contrôle de l'exécutif - de mettre en valeur sa spécificité d'assemblée parlementaire représentant les territoires, en portant les préoccupations de ceux-ci dans le débat national.
Cet exercice s'incarne au Bureau du Sénat au travers d'une délégation à la présence territoriale, dont j'ai la responsabilité, et qui se traduit de multiples manières dans les travaux du Sénat. Permettez-moi d'insister plus particulièrement aujourd'hui sur la plateforme interactive de consultation des élus locaux, que j'accompagne depuis sa création en mars 2018 et sur laquelle les élus locaux sont invités à s'inscrire. À ce jour, on dénombre 20 338 élus inscrits et, depuis novembre 2018, huit consultations ont été lancées.
Cette plateforme a été délibérément conçue pour être simple et accessible à tous sans aucune formation préalable. Dans sa version expérimentale jusqu'en fin 2020, elle permet au Sénat de consulter les élus locaux sur tout sujet. À terme, elle devrait permettre aux élus locaux de soumettre au Sénat toute forme de contribution, même si cette fonctionnalité n'est pas activée à ce jour.
Ce sont les instances institutionnelles du Sénat qui peuvent utiliser cette plateforme et, sur les huit consultations, quatre émanent des commissions permanentes -trois de la commission des lois, une de la commission de la culture et une de la commission de l'aménagement du territoire ; une émane d'une mission d'information et deux des délégations, la délégation aux outre-mer et la délégation aux collectivités territoriales. Il s'est agi - à l'occasion de l'examen d'un projet de loi ou dans le cadre d'un rapport d'information ou de contrôle d'une politique publique - de compléter les éléments d'information recueillis lors des auditions ou des déplacements par le point de vue des élus locaux directement concernés par ces problématiques.
Les thématiques de ces questions sont très diverses et je citerai la consultation de cet été sur les menaces et agressions auxquelles sont confrontés les maires, initiative lancée par la commission des lois après le décès brutal de Jean-Mathieu Michel, maire de Signes, dans l'exercice de ses fonctions. J'évoquerai aussi celles qui portent sur la sécurité des ponts, la transformation de la fonction publique locale, les nouveaux territoires de l'éducation ou encore les moyens de faciliter l'exercice des mandats locaux.
Globalement, le volume des réponses est satisfaisant - on compte entre 1 000 et 4 000 contributions - et permet de donner du crédit aux résultats obtenus. Les instances à l'origine des consultations ont pu confirmer statistiquement des ressentis ou des impressions de terrain et parfois les nuancer au vu des réponses. L'analyse des résultats permet également de faire apparaître un panel diversifié de participants, même si, bien entendu, on ne peut prétendre constituer un échantillon représentatif au sens d'une enquête d'opinion.
L'expérience acquise nous a permis d'établir le portrait-robot du bon questionnaire : une courte durée de consultation - trois à quatre semaines -, un nombre de questions limité - pas plus d'une vingtaine pour qu'il y soit répondu en dix à quinze minutes - et un maximum de questions fermées.
Plusieurs éléments permettront d'enrichir cet outil de consultation des élus locaux. Nous allons, au travers d'un appel d'offres en cours, sélectionner un prestataire de service pour nous aider à exploiter les résultats de ces consultations, afin d'intégrer plus de questions ouvertes ou des questions facultatives nécessitant un temps de réponse plus long. En outre, si les réponses reçues font ressortir l'intérêt d'aller plus loin sur certains points précis, il sera possible de compléter la consultation initiale ouverte à tous les élus locaux par une étude d'opinion qualitative réalisée au moyen d'entretiens ciblés.
J'espère que cette courte présentation vous fait prendre conscience de l'intérêt pour les élus locaux de s'emparer de cet outil, tout particulièrement pour vous les élus ultramarins.
Sur les nombreux sujets qui vous concernent et qui font très régulièrement l'objet au Sénat de rapports d'information, de colloques ou de questions adressées au Gouvernement, vos retours d'expérience, vos interrogations et vos recommandations nous sont indispensables. Aujourd'hui, nous avons prévu un moyen très simple de vous inscrire immédiatement sur la plateforme de consultation : avec le flyer qui se situe dans les sacs qui vous ont été remis ou que nous vous distribuons actuellement, il vous suffit d'activer le flash code avec votre téléphone portable. Celui-ci vous donne accès à la page d'accueil de la plateforme ; le bouton d'inscription se trouve en haut de cette page. Si besoin, le flyer vous donne également le code wifi de cette salle.
Prenez quelques instants pour effectuer cette inscription. Ainsi, lorsque vous serez avertis par votre sénateur ou votre association d'élus de la mise en ligne d'une consultation qui pourrait vous intéresser, quelques minutes suffiront pour y répondre. Vous apporterez ainsi votre contribution précieuse au débat national.
M. Michel Magras, président. - Le numérique est un moyen de vaincre les distances ; c'est une autre approche. Nous sommes à l'écoute et preneurs de toutes les informations que vous ferez remonter du terrain.
M. Gérard Larcher, Président du Sénat. - Monsieur le président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, cher Michel Magras, monsieur le vice-président du Sénat, cher Thani Mohamed Soilihi, mes chers collègues sénateurs ultramarins et métropolitains, que je vois nombreux, mes chers collègues députés - je salue nos anciens collègues et députés -, monsieur le président de l'Assemblée de Polynésie française, Gaston Tong Sang, mesdames, messieurs les maires, présidents d'associations départementales, les maires adjoints et conseillers municipaux, monsieur le membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE), monsieur le délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer, mesdames, messieurs. C'est avec plaisir que je vous retrouve ce matin et que je prends la parole devant vous qui présidez aux destinées de collectivités dispersées à travers plusieurs océans et continents, et qui, par là même, contribuez pleinement au rayonnement de la France.
Je tiens à vous dire - c'est sincère -, combien j'éprouve un attachement à vos territoires et à nos compatriotes qui y vivent, car ils portent les valeurs de la République à travers le monde.
Je tiens tout d'abord à remercier le président Michel Magras et mes collègues membres de la délégation, qu'ils soient d'outre-mer ou de l'hexagone, pour leur initiative de ce jour, qui permet de faire mieux connaître leurs récents travaux, notamment sur les risques naturels majeurs. Placés sous la présidence de Guillaume Arnell, les rapporteurs Victoire Jasmin et Mathieu Darnaud, lequel ne pouvait être présent ce matin, pour le premier volet, et Abdallah Hassani et Jean-François Rapin, pour le second, ont réalisé un travail de référence.
La rencontre d'aujourd'hui contribue également à renforcer les liens entre le Sénat et les élus ultramarins et à engager un dialogue enrichissant et utile pour la préparation de futurs textes législatifs. Elle découle d'une volonté permanente d'associer l'ensemble des élus locaux à nos travaux, comme l'a exprimé il y a un instant notre collègue Thani Mohamed Soilihi, vice-président et président de la délégation chargée de la présence territoriale du Sénat, en vous présentant la plateforme interactive de consultation des élus. N'hésitez pas à vous en servir ! Sur la question du statut des élus, nous avons reçu 18 500 réponses. Cet outil va encore monter en puissance. À l'heure de la société participative, la participation des élus en amont des textes en débat est très importante. À cet égard, la plateforme constitue une ligne directe avec le terrain. Vous devez vous l'approprier afin que nous puissions recueillir votre avis sur les propositions sénatoriales et veiller à ce que celles-ci répondent à vos attentes.
Vos territoires doivent relever de nombreux défis, qu'ils résultent, bien sûr, de la mondialisation et des échanges économiques, des flux migratoires et de leurs conséquences en matière d'éducation ou de santé, du changement climatique, que ce soit la montée des eaux - j'ai bien entendu l'inquiétude des élus de Mayotte à ce sujet - ou l'échouage des algues sargasses, dossier sur lequel Dominique Théophile s'est particulièrement investi, de la pollution au chlordécone aux Antilles, de la transition démographique - je pense au combat de Catherine Conconne pour le retour des jeunes Martiniquais au pays -, ou encore de la fracture sociale, comme Michel Dennemont l'a souligné à la suite du grand mouvement protestataire - le seul, outre-mer, qui ait été rattaché au mouvement des « gilets jaunes » - à La Réunion.
À ces défis s'en ajoute un, qui, du reste, n'est pas qu'ultramarin : la méfiance, pour ne pas dire la défiance à l'égard des politiques publiques, notamment de celles qui sont menées à destination de vos territoires. Maurice Antiste l'a rappelé lors du débat budgétaire de l'an dernier, précisant que le taux de défiance était très élevé, et même supérieur à 80 % - c'est aussi le chiffre obtenu par le Cevipof - dans un sondage paru à la fin de la semaine dernière.
Les outre-mer, pour reprendre l'une de vos formules, cher Michel Magras, sont à la fois intercesseurs, précurseurs et éveilleurs de conscience - pour nous tous, du reste. Il en résulte une nécessité absolue et permanente d'écoute et d'échanges pour une meilleure prise en compte de leurs spécificités. Ce sont celles-ci qui rendent votre tâche plus compliquée et qui réclament une plus grande capacité d'adaptation, au plus près de l'attente de nos concitoyens et des réalités locales.
Abordons un sujet cher à votre coeur : la différenciation, qui n'est pas qu'un sujet corse...
Le Président Jacques Chirac, dans le discours qu'il a tenu à Madiana, en Martinique, voilà un peu plus de dix-neuf ans, avait montré le chemin à suivre pour aider les outre-mer à relever ces défis : celui de la différenciation territoriale. Ce chemin vous tient à coeur, car il apparaît de plus en plus comme l'une des clés d'avenir des politiques publiques, notamment outre-mer. En effet, comme vous l'avez évoqué à l'issue de la première séquence de notre rencontre, l'inadaptation de certaines normes réduit l'efficacité de ces politiques. La manière dont un certain nombre de normes sont décalquées est même, parfois, un peu aberrante.
Là encore, les travaux de notre délégation aux outre-mer ont montré, notamment dans le domaine du bâtiment ou de l'agriculture, le poids des normes et leur fréquent décalage avec les réalités. Ce décalage conduit parfois à des situations dignes du père Ubu.
Il est vrai que quelques signaux sont positifs. Nous devons les accompagner et les renforcer.
La différenciation est aussi une notion commode, parce que floue. Chacun peut en avoir sa propre définition : différenciation des normes, différenciation des compétences, contrôle du Parlement, contrôle du Gouvernement... On peut l'envisager de bien des manières.
À cet égard, je me réjouis de la décision de votre délégation de se saisir du sujet, en dialogue avec les élus. En effet, si le Parlement était amené - nous sommes disponibles pour le faire - à examiner le projet de loi constitutionnelle, il nous faudrait, en toute responsabilité, clarifier les relations entre l'État et les collectivités d'outre-mer.
Je sais que plusieurs de mes collègues ultramarins y sont favorables ; je pense à nos amis de Guyane Georges Patient et Antoine Karam. Il me semble encore plus nécessaire en outre-mer que dans l'hexagone d'entrer dans une nouvelle logique de gouvernance qui puise sa force dans le territoire et lui donne la liberté de créer, d'adapter et d'entreprendre. Il est évident que cela ne peut se concevoir qu'en affirmant, d'une part, l'ancrage dans la République et, d'autre part, la nécessaire solidarité nationale.
La différenciation, dès lors qu'elle est définie et organisée - ces mots ont du sens pour moi, compte tenu de mon engagement politique et pour des raisons de principe -, ne remet pas en cause le principe d'égalité. Au contraire, elle peut constituer un moyen de garantir l'égalité. Il suffit de voir les fortes inégalités provenant, par exemple, du non-accès à l'emploi, des retards considérables en matière de santé, d'éducation ou d'équipements pour se rendre compte que l'État, au cours de ces vingt dernières années, n'a pas été en mesure d'assurer réellement l'égalité entre les territoires, même si des progrès réels ont été réalisés.
Le travail conduit par notre collègue Victorin Lurel lors de l'élaboration de la loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer le démontre, tout comme le cri d'alarme poussé par Nassimah Dindar l'an dernier en faveur de l'habitat ultramarin. Il me semble que nous devrons apporter des réponses sur un certain nombre de sujets. Il s'agit non pas d'opérer de simples ajustements budgétaires en fonction des programmes réalisés, mais de relever un véritable défi.
Oui, la situation de l'habitat ultramarin est dégradée. Elle s'inscrit dans un contexte de tension structurelle qui ne laisse pas envisager d'amélioration immédiate. Ce constat a été confirmé récemment par notre collègue Nuihau Laurey, qui, dans son avis budgétaire, a regretté une baisse importante des crédits en faveur du logement outre-mer, portés à leur plus faible niveau depuis ces dix dernières années.
Différenciation ou statu quo, les élus locaux, pour mener à bien leur mission, dans l'intérêt de leur territoire, doivent recevoir les moyens nécessaires. Or vos collectivités, face aux importants défis qu'elles doivent relever, n'ont pas toujours les ressources adéquates. Le 9 juillet dernier, le comité des finances locales (CFL) a adopté une délibération appelant à la définition d'une trajectoire de rattrapage sur cinq ans des montants attribués au titre de la péréquation dans les départements et régions d'outre-mer (DROM).
Les travaux du comité des finances locales montrent, en outre, que les critères actuels de répartition de la dotation d'aménagement des communes et des circonscriptions territoriales d'outre-mer ne permettent pas d'assurer une péréquation efficace entre les communes d'outre-mer. L'Assemblée nationale vient d'adopter un amendement au projet de loi de finances visant à un rattrapage en matière de dotations. C'est une première étape, mais nous devons aller plus loin.
Nous attendons avec quelque impatience les préconisations de notre collègue Georges Patient, qui s'est vu confier par le Premier ministre, conjointement avec le député Jean-René Cazeneuve, une mission portant sur les finances locales outre-mer, la situation financière d'un grand nombre de communes étant délicate, voire particulièrement délicate.
Nous devons obtenir de nouvelles marges de manoeuvre pour vos collectivités, afin de les sortir de cette situation, qui porte directement préjudice aux administrés, puisque les élus n'ont pas les moyens de répondre à leurs besoins. Je pense, par exemple, aux retards en matière d'équipements sportifs, dont on connaît la grande importance face aux défis sanitaires, sociaux et sociétaux de certains territoires, comme l'a montré le rapport de nos collègues Catherine Conconne, Gisèle Jourda, Viviane Malet et Lana Tetuanui.
En Nouvelle-Calédonie, la grande difficulté, pour les communes, réside dans la faiblesse des ressources, due en grande partie à l'absence de fiscalité propre. Mes collègues Pierre Frogier et Gérard Poadja m'autoriseront à reprendre à mon compte leur affirmation selon laquelle les communes calédoniennes ont été, au fond, les oubliées des accords de Matignon, puis de Nouméa. Pourtant, elles jouent, dans les moments de tension et de décision, un rôle extrêmement important pour la cohésion au quotidien, y compris face aux difficultés sociales et sociétales. J'espère que la commune calédonienne trouvera sa place dans le nouveau statut qui verra le jour après l'éventuelle sortie de l'accord de Nouméa, en fonction de la décision des calédoniens.
À Wallis-et-Futuna, ces difficultés budgétaires se font sentir dans les circonscriptions, échelons administratifs équivalents à nos communes, comme me l'ont confirmé les trois rois coutumiers, en présence de mon collègue Robert Laufoaulu.
Certes, ces constats ne sont pas nouveaux, mais quelques mesures récentes pourraient mettre à mal la part d'autonomie financière de nos communes. Je pense à la suppression de la taxe d'habitation et au transfert de la taxe sur le foncier bâti. Le dispositif de compensation nécessite 35 pages de textes et pas moins de 520 alinéas. Cela laisse rêveur. Les choses simples requièrent parfois de longues péroraisons...
Vous le savez, ces décisions auront des conséquences sur le potentiel fiscal, et donc sur le calcul des dotations et sur les fonds de péréquation. C'est un sujet important, d'autant que les règles varient en fonction des départements ou des territoires d'outre-mer.
Autre sujet sensible pour les finances de vos collectivités : l'octroi de mer. En tant que président du Sénat, je dois aborder ce sujet, qui est important. On le sait, l'octroi de mer va faire l'objet d'une révision par Bruxelles au cours de l'année 2020. Les propos de la ministre des outre-mer concernant une éventuelle transformation de l'octroi de mer dans le cadre d'un rééquilibrage avec la TVA ont suscité quelques inquiétudes. Le Président de la République, lors de son déplacement à La Réunion, s'est voulu plus rassurant, en déclarant : « on ne revient pas sur l'octroi de mer, mais il faut le rendre plus intelligent. » Commençons donc à exercer notre intelligence...
Si tout le monde convient qu'il faut apporter des améliorations au dispositif existant, le Gouvernement doit bien mesurer, avant toute prise de décisions, les incidences sur le tissu économique et l'équilibre budgétaire des collectivités. En effet, la part de l'octroi de mer dans les recettes fiscales évolue, pour certains départements, entre 37 % et 47 %. J'ai également examiné le dossier en détail pour ce qui concerne les communes - pour faire preuve d'intelligence, il faut déjà être informé !
Par conséquent, toute éventuelle modification de l'octroi de mer doit se faire dans un dialogue attentif avec les élus, dans le sens des demandes de Jean-Louis Lagourgue en faveur d'une différenciation fiscale accrue. Je fais confiance à la délégation, qui doit s'atteler à ce dossier dans les prochaines semaines. Elle se rendra à Bruxelles dans ce cadre. Je serai aux côtés des membres de la délégation si cela s'avère nécessaire pour que le sujet soit traité avec « intelligence », pour reprendre le mot du Président de la République. Au reste, je souscris à cette nécessité : l'octroi de mer ne pourra être transformé qu'en prenant en compte l'ensemble des éléments en jeu.
Je souhaite également évoquer le projet de loi engagement et proximité. Celui-ci est le fruit du travail de dialogue avec les collectivités territoriales. Il est aussi le fruit d'un texte voté à la quasi-unanimité du Sénat en 2018. Il répond à un certain nombre d'attentes des élus du bloc communal, portant, pour l'essentiel, sur les articulations entre communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ainsi que sur les conditions d'exercice du mandat.
Tout à l'heure, Thani Mohamed Soilihi a évoqué la protection des maires, notamment dans l'exercice de leurs pouvoirs de police et compte tenu des agressions dont ils sont victimes. Aujourd'hui, quatre plaintes émanant de maires sur cinq sont classées de manière verticale, ce qui pose un certain nombre d'interrogations.
Le projet de loi instaure également un pacte de gouvernance au sein des intercommunalités, prévoyant les modalités d'association des maires à cette gouvernance ainsi que la transmission d'éléments d'information sur les travaux du conseil communautaire, ou encore la possibilité de donner aux maires une autorité fonctionnelle sur les services de l'EPCI, dans le cadre d'une convention de mise à disposition.
Cependant, sur ce texte, l'approche de nos collègues députés diffère largement de celle du Sénat. Trois amendements du Gouvernement me semblent en partie redresser le tir depuis ce matin. Comme je l'ai dit clairement au Premier ministre vendredi soir en tête à tête, il ne servirait à rien que le Président de la République se soit engagé devant les maires de ce pays si l'on n'en tire pas les conséquences concrètes et si l'on ne change rien d'autre que l'apparence. (Applaudissements)
L'autre volet de ce projet de loi concerne les conditions d'exercice des mandats locaux. Un certain nombre de propositions ont été faites, notamment sur l'initiative de Jean-Marie Bockel, président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, en matière de régime indemnitaire et social, mais aussi de formation, de reconversion et de responsabilité des élus. On retrouve une partie de ces propositions dans le texte - une autre présente un caractère réglementaire.
Je sais que nos amis polynésiens auraient souhaité que certaines dispositions soient applicables immédiatement, plutôt que d'être renvoyées à une ordonnance, mais je sais aussi que le bilan des acquis en faveur des élus polynésiens est important, grâce à vos sénateurs, en particulier grâce à l'opiniâtreté et la fougue dont la sénatrice de Polynésie française fait preuve dans la défense de ses amendements. Mais il est vrai que la Polynésie est dans un cas très particulier : aucune des dispositions du code général des collectivités territoriales ne lui est applicable, au titre de l'article 43 du statut qui la gouverne.
M. Christian Vernaudon a évoqué voilà un instant la convention citoyenne pour le climat. Il est vrai que la situation est paradoxale. Les outre-mer représentent 95 % de la zone économique exclusive et 80 % de la biodiversité de notre pays. On ne saurait parler du climat sans prendre en compte le vécu et les réalités ultramarines ! Je retiens votre suggestion que le rapport qui a fait l'objet de la première séquence de notre rencontre de ce matin puisse être transmis et présenté aux membres de la convention. Je m'en ouvrirai auprès de Mme Kadi, qui a toute ma confiance, mais aussi de Patrick Bernasconi, président du CESE.
Je me suis procuré la composition de la convention : sept ultramarins en font partie, mais la plupart sont étudiants en métropole. Le tirage au sort permet d'instaurer une part de démocratie participative. Toutefois, la démocratie représentative est irremplaçable. (Applaudissements) On ne saurait parler de démocratie sans recueillir l'avis de ceux qui ont reçu, sur place, la confiance des citoyens. C'est vrai dans la commune de Rambouillet comme à l'île des Pins !
Vous pouvez trouver auprès des membres de la délégation aux outre-mer ou de moi-même des interlocuteurs attentifs pour construire les chemins de la confiance.
L'action publique est avant tout une oeuvre collective, comme le disait Stéphane Artano lors d'un récent débat. J'en suis profondément convaincu. À cet égard, cette matinée doit contribuer à porter la politique de vos territoires au niveau de la Nation tout entière.
J'ai abordé des sujets parfois techniques. Pour chacun d'entre eux, la question des moyens des collectivités territoriales, notamment des communes, se pose.
Au fond, la commune est le lieu de la proximité, de la relation de confiance qui ne s'est pas détériorée au fil des années. Je pense que l'une des forces du Sénat est d'être l'émanation d'un corps électoral composé, à 95 %, d'élus municipaux. Ces derniers représentent les citoyens dans leur vie quotidienne, laquelle se déroule d'abord au sein de la commune.
Vive la commune ! Vive l'ensemble de nos départements et territoires ultramarins ! Vive la République et vive la France ! (Applaudissements)
M. Michel Magras, président. - En votre nom à tous, vous me permettrez de remercier très sincèrement le président du Sénat pour son intervention, qui témoigne à la fois - s'il en était besoin - de son engagement et de sa connaissance des problématiques ultramarines.
Monsieur le président, je me ferai un plaisir de relayer les demandes émanant des élus d'outre-mer. Vous serez bientôt sollicité pour une participation à un débat en séance publique sur les travaux de notre délégation, ainsi que sur les aides que vous pouvez nous apporter pour l'accompagnement de nos projets au niveau européen. Nous comptons sur le soutien de la commission des affaires européennes, comme sur celui de la présidence du Sénat.
Chers amis, vous avez désormais la possibilité d'échanger avec M. le président du Sénat sur l'ensemble des sujets qui vous tiennent à coeur.
J'en profite pour saluer le président de la collectivité territoriale de Guyane, Rodolphe Alexandre, qui nous a rejoints.
M. Philippe Casseindre. - Je suis adjoint au maire de Cilaos sur l'île de La Réunion. Un sujet n'a pas été évoqué, celui de la surrémunération des fonctionnaires de l'État affectés outre-mer : elle s'établit à 53 % à La Réunion, ce qui signifie que deux personnes qui travaillent dans le même bureau et font le même travail, mais avec un statut différent, ont un écart de rémunération de 53 % ! C'est difficile à accepter, d'autant plus dans un climat social tendu... Voilà trois mois, j'avais interrogé Mme Girardin à ce sujet. Elle m'a dit qu'elle comprenait la situation, mais qu'il appartenait aux élus locaux de traiter la question...
Comme la Haute Assemblée représente les collectivités territoriales, j'en profite pour vous poser la question. Ce sujet constitue une vieille antienne. Il faut le traiter. La surrémunération tend à devenir un privilège. On sait ce qu'il en advient...
M. Emmanuel Duval. - Je suis maire de Terre-de-Bas en Guadeloupe. Je veux attirer votre attention sur la place particulière que le code rural attribue à la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) outre-mer : nous devons obtenir l'avis conforme de cette commission administrative non seulement concernant les plans locaux d'urbanisme (PLU), mais aussi sur les permis de construire dans les zones d'urbanisation future, même si la création d'une telle zone a reçu au préalable son accord. En métropole, la CDPENAF ne donne qu'un avis simple sur les PLU et n'est plus consultée ensuite. Elle ne décide donc pas à la place du conseil municipal comme c'est le cas outre-mer. Cette différence de traitement est incompréhensible et inacceptable. Le Président de la République s'était engagé à mettre fin à cette anomalie lorsqu'il avait reçu les maires ultramarins après la crise des « gilets jaunes ». Où en est-on ?
M. Didier Laguerre. - Je suis maire de Fort-de-France en Martinique. Vous avez évoqué le sous-financement structurel des collectivités territoriales d'outre-mer. Comme le Président de la République s'y était engagé, un groupe de travail sur cette question a été constitué au sein du comité des finances locales, dont je suis membre.
Le premier problème concerne l'écart des dotations entre l'outre-mer et la métropole, estimé à 85 millions d'euros en incluant l'octroi de mer dans le potentiel fiscal et financier des collectivités, alors que les taxes indirectes ne sont pas prises en compte dans ces calculs en métropole. L'écart de sous-financement est donc vraisemblablement bien supérieur à ce chiffre ! Le président de l'Association des maires de France (AMF) a évoqué le sujet la semaine dernière. Le second problème est la non-prise en compte de la neutralisation de la participation au redressement des comptes publics pour les collectivités d'outre-mer, notamment celles qui relèvent de la politique de la ville et qui perçoivent la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU). Cela représente un écart de financement approximatif, entre 2012 et 2017, de 280 millions d'euros, alors que les collectivités d'outre-mer doivent déjà, par ailleurs, investir pour répondre aux problématiques sociales, environnementales, de développement, etc. Dans certaines communes la population augmente de manière exponentielle, comme à Mayotte ou en Guyane par exemple ; dans d'autres communes, comme à la Martinique, puisque vous avez évoqué le combat de Mme Conconne, elle diminue de manière alarmante.
M. Émile Soundorom. - Je suis trésorier général de l'Association des maires de la Martinique et adjoint au maire de Rivière-Salée. L'octroi de mer semble être en sursis. Il constitue une spécificité en Europe ; or il s'agit d'une recette importante pour nos budgets. Je veux aussi vous interroger sur la règle des cinquante pas géométriques : en 2007, un arrêté du préfet a interdit aux propriétaires de maisons, prétendument illégales, installées dans cette zone, de se doter de l'électricité et de l'eau courante, pourtant vitales. Finalement les communes en pâtissent. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), cela pourrait pourtant être considéré comme une atteinte à la vie privée. Un mot enfin sur la dotation globale de fonctionnement (DGF) ; nous avons participé à l'effort de désendettement de l'État. Cela grève notre budget de fonctionnement et beaucoup de communes sont surendettées.
M. Gérard Larcher, Président du Sénat. - Je ne sais pas si je pourrai vous répondre totalement, mais je prends note attentivement de vos questions, afin qu'elles nourrissent les travaux du Sénat et alimentent les échanges que je peux avoir, en tant que président du Sénat, avec l'exécutif.
La surrémunération des fonctionnaires d'État outre-mer n'est pas un sujet nouveau, même s'il n'a pas été abordé par le Président de la République - j'ai vérifié ses propos - lors de sa visite à La Réunion. Cette question n'est pas simple. Elle est aussi le fruit d'une sédimentation du temps. Je comprends le sentiment d'iniquité entre deux personnes qui font le même travail. Si nous voulons résoudre le problème, nous devons le traiter d'une manière à la fois exigeante et sereine, sinon nous n'y parviendrons pas.
La surrémunération contribue aussi à la cherté de la vie. À La Réunion, par exemple, le niveau des prix est comparable à celui de la petite couronne de région parisienne, alors que les revenus ne sont pas comparables. Je vais m'emparer de ce sujet, dont j'entends parler depuis que je suis parlementaire et dont il était aussi question lorsque j'étais ministre du travail, même si l'outre-mer relevait davantage du ministère de l'outre-mer.
Vous avez aussi posé la question de l'application du code rural dans les collectivités territoriales d'outre-mer. Le Président de la République s'est engagé à lancer une nouvelle étape - j'allais dire « génération » - de la décentralisation qui concernerait l'ensemble des collectivités territoriales : communes, intercommunalités, départements, régions, etc. Je crois d'ailleurs que seule une nouvelle génération de la décentralisation permettra de sortir de la crise latente dans laquelle notre pays est plongé, la seule manière de rétablir la confiance, avec un État centré sur ses grandes missions régaliennes et garant de l'équité, tandis que les territoires s'organiseraient autour des principes de subsidiarité et de proximité.
Seul un texte de décentralisation parviendra à répondre à la question de la différence de traitement pour les PLU entre les communes métropolitaines et d'outre-mer que vous évoquez. L'enjeu est de briser la défiance, car celle-ci, soyons honnêtes, est sous-jacente. Nous sommes en train d'y travailler au Sénat. Je l'annoncerai mercredi à l'Assemblée des maires de France, confirmant mes propos devant l'Assemblée des départements de France (ADF) et l'Association des régions de France. J'en ai parlé avec le Premier ministre vendredi. Le texte est à peine engagé au niveau de l'exécutif. Comme pour la loi relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, nous allons faire des propositions. Le Gouvernement souhaite renforcer la déconcentration. L'État territorial que l'on a affaibli - et j'étais dans la majorité lorsque l'on l'a affaibli ! - doit retrouver de la force : on a besoin d'un État territorial fort, plutôt que de renvoyer tous les problèmes à des agences lointaines qui décident en lieu et place des collectivités. Le triptyque doit être celui-ci : décentralisation, déconcentration et différenciation. Mais si l'on ne révise pas la Constitution, on ne pourra guère aller beaucoup plus loin sur ce dernier point.
Le maire de Fort-de-France a évoqué un écart des dotations de 85 millions d'euros. Ce chiffre est avancé par le CFL, mais les analyses de l'AMF font état de 100 millions de plus... Cette question devient incontournable et mérite que nous l'examinions de toute urgence.
Le Président de la République s'est engagé à résorber l'écart de 85 millions en cinq ans. Il a réaffirmé cet engagement lors de son déplacement à La Réunion. Nous devons veiller à ce que cet engagement se traduise concrètement. Mais nous devons aussi nous entendre sur le vrai chiffre. Les dotations de péréquation des communes d'outre-mer sont regroupées en une seule dotation, la dotation d'aménagement des communes et circonscriptions territoriales d'outre-mer (Dacom). Son montant mis en répartition est calculé en tenant compte d'une majoration favorable du rapport démographique entre l'outre-mer et la métropole, ce qui n'est pas sans incidence sur la Martinique, par exemple. Nous devrons donc prendre en compte ce critère.
La variation de la population est forte en Guyane ou à Mayotte. Aussi, parfois, les territoires sont victimes du départ de leurs forces vives, problème que nous connaissons bien aussi dans certains départements de métropole. Certains de nos concitoyens ont ainsi le sentiment d'être oubliés, abandonnés, dans ce que je définissais au Président François Hollande comme « une France d'à côté ». Ceux qui se sont retrouvés sur les ronds-points n'étaient pas tous mus par le désir de violence. Avec Michel Vaspart, nous en avons rencontré à Lamballe, au coeur de la Bretagne : il s'agissait de personnes ayant l'obligation de se déplacer, avec des revenus extrêmement modestes, qui n'y arrivaient plus financièrement et qui avaient le sentiment d'être oubliés par la République. Ce sentiment existe bel et bien, que l'on habite dans le centre de la Bretagne ou en Martinique !
La question des cinquante pas géométriques est un sujet complexe. La délégation avait publié un rapport sur le foncier et l'urbanisme. La loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer comportait un certain nombre de mesures. La question que vous évoquez est celle du traitement de situations particulières héritières du temps. Pour les résoudre, un pouvoir d'appréciation s'impose de la part de ceux que j'appelle des « préfets simplificateurs ». Certains préfets ont la capacité d'ajuster et d'adapter les règles. Pour le reste, je n'ai pas la réponse aujourd'hui.
Je dirai un mot sur l'octroi de mer. L'octroi de mer représente 43,5 % des recettes fiscales des communes en Guadeloupe, 47,1 % en Martinique, 45,7 % en Guyane, 36 % à La Réunion et 76,5 % à Mayotte. Une réponse intelligente et pragmatique s'impose donc ! Tout traitement approximatif aboutira à une catastrophe. Et je n'ai pas mentionné la part départementale ni régionale de l'octroi de mer, mais, pour la seule collectivité de la Martinique, il représente un montant de 197 millions d'euros. Il n'est pas ici question de l'épaisseur du trait, c'est une part importante des recettes fiscales des collectivités. Il faudra aussi veiller à ne pas réduire l'autonomie fiscale et financière des collectivités. La compensation par des dotations entraîne une perte du levier fiscal. Souvent, on le sait bien, elle ne dure pas plus que les roses au printemps... Il vaut mieux tenir que courir !
Telles sont les réponses imparfaites que je pouvais vous faire. En tout cas, soyez assurés que nous prenons bonne note de vos questions. La Délégation sénatoriale à l'outre-mer mènera une réflexion sur les questions financières et fiscales. J'aimerais, et je sais que Michel Magras y sera attentif, que ce travail s'effectue en lien avec la commission des affaires européennes du Sénat. J'espère que nous pourrons avancer avec la nouvelle Commission européenne. L'ordre du jour sera chargé : nous aurons aussi à traiter la question des régions ultrapériphériques ou des pays et territoires d'outre-mer (PTOM). Le départ du Royaume-Uni entraînera une baisse d'un tiers du nombre des PTOM en Europe. Le nombre de pays concernés par ces sujets se réduira donc d'autant à Bruxelles. Cela aura des incidences. Les autorités françaises doivent donc se mobiliser, à tous les niveaux, y compris au niveau du Parlement, pour soulever la question auprès de la Commission.
M. Michel Magras, président. - Je ne peux que souscrire à vos propos, monsieur le Président. Je confirme que notre délégation a inscrit ces sujets à son agenda cette année.
Mme Lana Tetuanui. - Je salue l'initiative qu'a prise le président Michel Magras, sous le haut patronage de notre président Gérard Larcher. Je veux dire à l'ensemble des élus présents ce matin que le Sénat a largement contribué à faire avancer les sujets ô combien sensibles concernant nos collectivités locales.
En Polynésie française, tout le monde sait bien que rien n'avancera sans une étroite collaboration entre l'État, la collectivité et les communes. À cet égard, les travaux de la délégation sénatoriale aux outre-mer ont permis bien des progrès, notamment en ce qui concerne la question foncière et le statut de la Polynésie française, dernièrement toiletté. Il faut également remercier le président du Sénat et l'ensemble de nos collègues sénateurs.
Le Sénat vient de voter le projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique. À cette occasion, l'ensemble des sénateurs ultramarins sont montés au créneau puisque nous connaissons mieux que quiconque la vie et les besoins de nos élus, dont nous sommes les relais. Or l'Assemblée nationale a voulu remettre en cause ce que nous avions voté. Mais les propos de notre président Gérard Larcher m'ont rassurée, indiquant au Premier ministre qu'il ne fallait pas promettre monts et merveilles à nos collectivités pour tout oublier par la suite.
Les dotations ne sont pas toutes identiques selon les collectivités, même si la dotation globale de fonctionnement, en particulier sa part communale, nous réunit. En ce qui concerne la fameuse dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), il faut remercier le Sénat d'avoir pris l'initiative de l'abonder afin de compenser la fin de la fameuse réserve parlementaire octroyée annuellement à chaque sénateur. Par ailleurs, grâce au président Gérard Larcher, nous avons obtenu que les sénateurs puissent siéger dans la commission d'attribution des subventions au titre de la DETR afin qu'ils puissent donner leur avis sur la répartition des crédits pour les besoins en investissement des communes.
Enfin, j'indique que les élus polynésiens ont offert symboliquement au président du Sénat un casse-tête, à l'image de la situation à laquelle sont confrontées nos communes ultramarines.
M. Tearii Alpha. - En tant que maire de Teva I Uta et membre de la délégation polynésienne présente ce matin, et au nom du président du syndicat de la promotion des communes et du président Édouard Fritch, maire de Pirae, je vous remercie, monsieur le président Magras, du rapport de votre délégation sur le foncier en outre-mer, qui a permis de faire évoluer le code civil pour l'adapter à l'indivision en Polynésie française.
Autre sujet de préoccupation : la Polynésie française compte soixante-dix îles basses. Il faut savoir que notre territoire regroupe 30 % des atolls mondiaux. De fait, l'adaptation au changement climatique est une priorité pour nous et nous espérons que l'État comprendra qu'il faut apporter des solutions différenciées selon les communes.
J'en viens à notre lien avec l'Union européenne, alors qu'une nouvelle législature s'engage. Les pays et territoires d'outre-mer du Pacifique sont certainement ceux qui sont le mieux intégrés régionalement. Ainsi, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française sont membres du Forum des îles du Pacifique, qui ne compte en son sein que des pays souverains membres des Nations unies, par exemple l'Australie, la Nouvelle-Zélande ou la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Nous souhaitons décomplexifier le statut des PTOM afin qu'ils puissent engager de vraies discussions sur le plan international. La France est le seul État de l'Union européenne dont les outre-mer sont régis par deux types de statut, en l'occurrence celui des PTOM et celui des régions ultrapériphériques. L'Europe a adopté une ligne directrice pour les cinq prochaines années en matière environnementale et nous ne pouvons pas rester à l'écart simplement en raison de notre statut.
M. Gérard Larcher, Président du Sénat. - Madame la sénatrice, vous êtes le meilleur ambassadeur et, en quelque sorte, mon porte-parole...
À l'issue de cette matinée, je voudrais que l'on retienne que je proposerai à la conférence des présidents du Sénat qu'une fois par session soit inscrit à l'ordre du jour un débat sur un sujet majeur, qui sera défini par vous par l'intermédiaire de vos parlementaires et sur les propositions de la Délégation sénatoriale aux outre-mer. Je veillerai à ce que ce débat soit inscrit dans le cheminement annuel du Parlement et n'ait pas lieu nuitamment un vendredi soir...
Ainsi, outre les débats budgétaires, les débats spécifiques sur tel ou tel sujet, les débats organisés dans le cadre des articles 73 et 74 de la Constitution, je souhaite que notre assemblée se mobilise et prenne le temps d'organiser un tel débat, qui sera préparé en amont.
Cette proposition officielle est aussi le fruit de cette volonté exprimée ce matin, avec vos collègues de la délégation, de nous retrouver pour ces échanges au commencement de cette semaine qui est d'abord consacrée aux communes. Mais je n'oublie pas qu'il existe quelques endroits qui ne comptent pas de commune. Ainsi, l'évolution statutaire par exemple de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy a modifié la réalité communale.
Ce n'est pas pour autant que nous nous désintéressons du mode de gestion du territoire et de la proximité. Il va falloir que nous suivions un certain nombre de dossiers prégnants. Ainsi, le Premier ministre s'est penché récemment sur l'affaire des sargasses aux Antilles et le rattrapage prévu de 85 millions d'euros ne devra pas être absorbé, même partiellement, comme je l'ai lu. Non ! Ces 85 millions sont un rattrapage à réalité constante et non pas à réalité nouvelle. Nous avons évoqué cette question avec vous, monsieur le maire de Fort-de-France, il y a quelques instants.
Je suis extrêmement favorable à ce que les outre-mer aient toute leur place et jouent tout leur rôle au sein des forums régionaux. Et croyez-moi, vous n'êtes pas seuls concernés. Ainsi, il est très difficile à la région Grand Est de discuter avec le Luxembourg, alors que 300 000 frontaliers travaillent quotidiennement dans ce pays, ainsi qu'en Allemagne et, dans une moindre mesure, en Belgique. Nous travaillons d'ores et déjà sur cette question d'ordre constitutionnelle, sans qu'il soit envisagé pour autant que l'État abandonne quelque fonction régalienne.
Quand Stéphane Artano nous dit que les choses n'avancent pas avec le Canada - et nous ne manquons jamais un rendez-vous -, je le dis devant le représentant de la délégation interministérielle, cela signifie que nous restons dans un système bloqué, qui n'est pas un système de confiance. Faire confiance ne signifie pas qu'il ne faille pas rendre des comptes ou abandonner ses responsabilités, mais on ne peut pas ignorer l'environnement régional ou en être le passager clandestin, surtout compte tenu des enjeux actuels notamment dans le Pacifique, y compris les enjeux géostratégiques comme on l'a encore vu ce week-end.
Le Sénat a la chance de compter une délégation qui fonctionne réellement. Créée sous une forme quelque peu différente, elle s'est trouvée renforcée par la suite, sous la présidence de Jean-Pierre Bel quand Serge Larcher en a été son premier président, ou sous la mienne. Nous avons souhaité lui donner de la force, et c'est cette force qui lui donne son identité au Sénat.
Enfin, je salue devant nos collègues ultramarins l'engagement de nos collègues métropolitains. Faire communauté nationale au singulier, c'est partager des problèmes que nous avons à vivre dans le « singulier pluriel ». Je vois les défis auxquels sont confrontés la Polynésie et ses atolls ; ce ne sont pas ceux qu'ont à gérer les Hautes-Pyrénées, dont les problèmes sont différents. Mais voir dans le singulier la solidarité nationale est une manière d'affirmer à la fois le pluriel et le singulier.
Je vous remercie de votre présence et de votre participation et vous invite à poursuivre nos échanges dans les salons de Boffrand.
Jeudi 21 novembre 2019
- Présidence de M. Michel Magras, président -
Audition de M. Jacques Toubon, Défenseur des droits
M. Michel Magras, président. - Mes chers collègues, à la suite de différents travaux portés par le Défenseur des droits concernant spécifiquement les outre-mer, nous accueillons aujourd'hui M. Jacques Toubon, actuel titulaire de cette fonction et également ancien ministre. Nous lui avons proposé de venir nous dresser un bilan de l'action de défense et de promotion des droits outre-mer depuis sa nomination il y a cinq ans et d'échanger sur les problématiques identifiées dans nos territoires.
Je vous remercie, Monsieur le Défenseur des droits, d'avoir répondu favorablement à notre invitation et de vous prêter à cet exercice devant les membres de la délégation.
Cette audition est notamment destinée à nous permettre de connaître davantage l'organisation des délégués du Défenseur dans les territoires, leurs moyens et leur méthode de travail.
Nous savons que vous avez lancé un appel à contributions à destination des outre-mer au cours du premier semestre de l'année 2019 sur les difficultés d'accès aux services publics et sur les discriminations dont nos concitoyens se sentent victimes. Nous espérons que vous pourrez nous présenter un aperçu des réponses reçues et du bilan que vous en tirez.
Nous attendons également vos conclusions sur certaines thématiques fortes de votre action outre-mer comme la protection des enfants ou l'accès aux services publics.
Je ne doute pas que mes collègues auront eux aussi de nombreuses questions à l'issue de votre propos liminaire.
Vous avez la parole, Monsieur le Défenseur, puis je laisserai mes collègues vous interroger.
M. Jacques Toubon, Défenseur des droits. - Je vous remercie, Monsieur le président, pour votre invitation à répondre ce matin à vos questions et éclairer l'action du Défenseur des droits dans les territoires d'outre-mer et auprès des populations d'outre-mer, que celles-ci soient dans les territoires ou en métropole.
Depuis cinq ans que j'assume cette fonction, j'ai eu à coeur que l'action qui est celle du Défenseur soit effective sur l'ensemble du territoire de la République, métropole comme outre-mer. Ceci a été l'un de mes premiers engagements et je vais détailler les diverses actions et rapports que j'ai entrepris dans cette direction.
La recherche de l'égalité dans la mise en oeuvre des droits, qui est la ligne de force du Défenseur dans sa mission constitutionnelle, est encore plus prégnante et difficile outre-mer que dans le territoire métropolitain. Nous avons le sentiment, à beaucoup d'égards, que les habitants de l'outre-mer ont un accès aux droits inférieur à ce qui est le cas en métropole.
Je prendrai ici un exemple récent. J'ai publié en janvier un rapport sur la dématérialisation des procédures administratives. Ceci crée une situation d'inégalité, 20 à 25 % des personnes ayant des difficultés en informatique ou des lacunes en matière d'équipements : le service public doit le prendre en compte. Nous nous sommes rendus compte que l'accès à internet était plus difficile outre-mer : l'abonnement coûte 40 % de plus aux Antilles par exemple ! Cela s'ajoute aux difficultés de base. Si l'on s'en donne la peine - ce qui je pense est notre cas - on voit l'ensemble des éléments objectifs de difficultés à atteindre l'objectif d'égalité. La diversité spatiale, l'éloignement, les conditions climatiques - qui sont là encore des éléments objectifs - doivent aussi être pris en compte. Vous, parlementaires, élus des territoires, le savez mieux que personne. Ces éléments ne doivent cependant pas, dans un esprit fataliste, conduire à dire qu'il ne peut y avoir d'égalité.
L'outre-mer représente une proportion importante des réclamations reçues par le Défenseur des droits. Nous avons reçu 96 000 réclamations l'an dernier et atteindrons 105 000 certainement cette année. Sur ce total, 3 200 demandes émanaient de personnes résidant outre-mer. Plus de 80 % de celles-ci concernaient les relations avec les services publics et environ 10 % des questions de discriminations.
Pour faire face à ces demandes, le siège national compte 320 personnes, juristes et experts. Cette équipe mène l'activité d'études et de promotion des droits. Mais l'essentiel est bien le réseau territorial, c'est à dire entre 510 et 515 délégués sur l'ensemble du territoire, qui font des permanences dans 870 points d'accueil, dont plus de 160 dans des lieux de détention. En ce qui concerne les outre-mer, 28 délégués sont présents, assurant des permanences dans 32 lieux - préfectures, mairies, maisons du droit - dont 12 établissements pénitentiaires. Je viens de réorganiser ce réseau avec des chefs de pôles, salariés et non bénévoles comme les délégués, qui vont impulser l'action des délégués. Nous avons une cheffe de pôle Antilles-Guyane, Christelle Cardonnet, et un chef de pôle a été nommé récemment pour l'océan Indien, Didier Lefèvre, ancien conseiller territorial à La Réunion. 12 chefs de pôles régionaux vont également être désignés sur les grandes régions métropolitaines.
Je renforce ce réseau territorial. Nous avons récemment remplacé une déléguée qui a quitté ses fonctions à Mayotte mais également désigné un délégué supplémentaire compte tenu des dossiers que nous avons à gérer. Nous souhaitons que ces délégués travaillent avec les élus et les parlementaires.
Suivant les années, les délégués traitent 80 à 85 % des dossiers. Il faut avoir à l'esprit que dans huit cas sur dix, quand on parle du Défenseur des droits, il s'agit d'une personne qui est à une dizaine de kilomètres. J'ai souhaité que nous allions plus loin dans le traitement de ces réclamations individuelles et ai voulu que nous menions des études particulières et que nous ayons des témoignages.
J'ai lancé un appel à témoignages outre-mer parce que je voulais savoir comment les ultramarins se situaient par rapport aux services publics et à l'accès aux services publics. Je n'ai pas, faute de moyens budgétaires, réalisé une « enquête » mais un appel à témoignages. Celui-ci n'a bien entendu pas de valeur scientifique : à proprement parler, répondent ceux qui veulent bien répondre. Il donne cependant, dans plusieurs cas, de précieuses indications. Ces appels à témoignages peuvent être d'utiles outils. L'appel à témoignage mené à l'époque par Dominique Baudis en 2013 sur les cantines scolaires a montré sa pertinence avec les suites législatives qui ont notamment été apportées.
J'ai également mené des opérations appelées « place aux droits » avec des experts et juristes qui se déplacent, sur des places publiques. Nous l'avons fait à Toulouse, à Lille, en octobre 2018 en Martinique et en Guadeloupe et récemment, il y a un mois, à La Réunion et à Mayotte. Je n'ai malheureusement pas pu être présent dans l'océan Indien, nous rendions alors hommage à Paris au président Jacques Chirac. Mon adjointe, Défenseure des enfants, Geneviève Avenard, et la déléguée générale, Constance Rivière, m'ont représenté.
J'ai également effectué des études sur des sujets préoccupants en outre-mer. À Mayotte, nous nous sommes particulièrement intéressés aux mineurs isolés. J'ai consacré aux enfants d'outre-mer un chapitre entier du rapport 2017 sur les droits de l'enfant. En 2016-2017, j'ai moi-même réalisé une mission en Guyane dont nous avons tiré un rapport. Tout ceci, ce n'est pas pour produire des documents : chaque fois, nous avons travaillé avec la ministre des outre-mer et avons formulé des propositions. Je pense à l'allongement à cinq jours du délai de déclaration à l'état civil des naissances : c'est la traduction du terrain. Ce n'est pas une cogitation de juristes mais bien la réponse à la situation de la Guyane avec nombre d'enfants non déclarés à l'état civil.
Je vous présente mon action, mais je ne la détaillerai pas outre mesure car nous pourrions y consacrer la matinée ! Aussi, ne l'oublions pas, l'outre-mer, c'est la France : les territoires sont intégrés à l'ensemble des problématiques que nous traitons. Je ferai donc avec mon équipe une traduction écrite et plus précise de nos travaux, que nous vous transmettrons.
Le premier travail, sur place, est d'identifier les situations de rupture. Une fois objectivées, il s'agit de traiter ces situations sur le registre de la prévention. Ensuite, il faut établir des recommandations appropriées.
Je commencerai par les situations de rupture. Les services ont conduit une mission en 2016 en Guyane où je me suis moi-même rendu. Nous avons publié au début de 2017 un rapport sur le droit et l'accès aux services publics en Guyane. La situation de ce département est particulière. La protection des droits fondamentaux n'y est pas à un niveau garanti suffisant quand on compare à la métropole. Toutes nos études montrent les inégalités en matière de développement, de qualité de vie, d'équipement, les failles en matière énergétique, les questions de santé, ainsi que celles qui concernent les populations du fleuve. Dans le cadre de cette maison a été produit un rapport sur le suicide des jeunes Amérindiens. J'ai fait un certain nombre de recommandations pour que l'accès aux services publics et l'accès aux droits par les services publics soient effectifs. On ne peut pas, par exemple, admettre que les personnels du centre hospitalier de Cayenne fassent seulement un an avant de s'en aller. Il ne s'agit pas pour le Défenseur de définir les politiques publiques et se substituer à l'État ou à la collectivité unique aux nombreuses compétences.
Lorsque je me suis rendu en Guyane, la fusion des collectivités venait de s'opérer : les compétences du département et notamment l'aide à l'enfance se retrouvaient absorbées par la région qui n'en maîtrisait pas la gestion. L'État avait alors apporté une aide financière. Je tiens à préciser que si cela concerne ici la Guyane, cela témoigne de la situation générale sur le territoire de la République.
À l'occasion de l'opération « place aux droits » réalisée aux Antilles il y a un an, j'ai lancé cet appel à témoignages dont nous parlions. Il s'est déroulé de novembre 2018 à mai 2019. Nous avons recueilli près de 1 000 témoignages que nous avons complétés par une enquête téléphonique sur les départements de La Réunion, la Guadeloupe et la Martinique. Un rapport a été publié à l'issue de cet appel en septembre 2019, à l'occasion du déplacement dans l'océan Indien. Quels en sont les enseignements ? La persistance de fortes inégalités socio-économiques entre les outre-mer et la métropole, ainsi qu'entre les territoires ultramarins.
La première préoccupation est la lutte contre le chômage, avec une dégradation de la situation à La Réunion, où le chômage s'élève à 24 % en 2018. L'accès aux soins, à la santé, la protection de l'environnement et l'éducation sont les sujets qui viennent ensuite, cités par 4 résidents sur 10. Il y a également des difficultés d'accès aux services publics de santé, hôpitaux, PMI, de protection sociale, - c'est-à-dire la caisse d'allocations familiales et caisse générale de sécurité sociale. 61 % des personnes interrogées par l'enquête téléphonique et 83 % des participants de l'appel à témoignage considèrent que les services publics fonctionnent moins bien qu'en métropole. Ceux qui déclarent le plus de difficultés dans les démarches administratives sont les habitants de Mayotte et de la Guyane. Le troisième sujet est celui des discriminations dont les habitants des outre-mer sont victimes, dans l'accès à l'emploi, mais aussi au travail, ou dans les relations avec les administrations ou les services publics. 76 % des personnes déclarent avoir été témoins d'un traitement défavorable ou d'une discrimination et près de 65 % en avoir été eux-mêmes victimes. 62 % des personnes de l'enquête téléphonique citent le critère de l'origine ou de la couleur de peau, loin devant le critère de l'orientation sexuelle, de l'état de santé ou de celui du handicap.
Les opérations « place aux droits » sont une réponse apportée sur place par le Défenseur des droits. Aux Antilles, nous avons permis deux jours et demi de guichets urbains ouverts. J'ai aussi eu l'occasion d'intervenir dans des conférences avec des associations notamment. J'y ai par exemple évoqué les discriminations liées à l'orientation sexuelle, particulièrement en milieu scolaire. Nous avons signé une convention avec le recteur de l'Académie de la Martinique, à Fort-de-France.
Dans l'opération « place aux droits » réalisée à Mayotte et La Réunion, une quinzaine de juristes venus de Paris ainsi que les délégués du Défenseur des droits ont fait des permanences dans quatre communes. À la suite de cela, Geneviève Avenard et Constance Rivière se sont rendues à Mayotte cette année. À l'occasion du trentième anniversaire de la Convention des droits de l'enfant, les travaux du Défenseur ont été axés sur les droits des enfants. C'est une préoccupation qui n'est pas nouvelle : Dominique Baudis s'était rendu en 2013 à Mayotte. Nous le savons, la situation d'une immigration massive illégale pèse sur le fonctionnement des services publics - notamment la préfecture - et rend très difficile la mise en oeuvre des droits fondamentaux et ceux des enfants, parmi lesquels un droit essentiel qu'est le droit à l'éducation. Nous préparons un compte rendu sur ce déplacement, dont votre délégation sera destinataire.
Comment traiter ces situations sur le registre de la prévention et de la promotion ? Il faut rétablir les droits quand ils ne sont pas respectés. Mais l'action la plus profonde que nous devons mener - Gouvernement, Parlement, pouvoirs publics... - est celle de prévenir les atteintes aux droits, d'éviter que des systèmes soient à l'oeuvre pour provoquer les discriminations. J'ai eu à coeur de mettre au point des outils et documents, destinés à faire connaître les droits, diffusés par les délégués sur l'ensemble du territoire. Je cite un guide sur le recrutement sans discrimination, un dépliant « agir contre les refus de soins », une fiche pratique à destination des employeurs et employeuses sur le harcèlement discriminatoire au travail, un dépliant sur le harcèlement sexuel au travail, un guide de l'aménagement raisonnable, un dépliant de découverte des principaux droits pour apprendre à les faire respecter, un dépliant de défense des usagers du service public, sur l'intérêt supérieur des droits de l'enfant...
Je pense que le travail que je fais mériterait d'être mieux diffusé et connu. C'est pour cela que je souhaite y faire intervenir des présences humaines. C'est aussi pour cela que nous avons mis en place il y a 13 ans, pour lutter contre la banalisation des stéréotypes, prévenir la discrimination, et faire connaître les droits - en particulier ceux de l'enfant -, un projet porté par la Défenseure des enfants : un programme de jeunes ambassadeurs des droits pour l'égalité, les « JADE », créés en 2007. Ce dispositif concerne des volontaires du service civique qui s'engagent pour une durée de neuf mois à aller au contact des lycéens et apprentis pour promouvoir le rôle et les engagements du Défenseur, les droits de l'enfant et égalité. 94 JADE sont déployés dans 21 départements. Le budget limité du Défenseur des droits ne permet pas de financer la généralisation de ce dispositif : il faut des départements et métropoles pour financer les associations qui prennent en charge ces JADE. 425 000 jeunes ont été sensibilisés. Ce programme JADE est aussi déployé en outre-mer : cette année, il y a 12 JADE à La Réunion, 6 à Mayotte et 6 en Guyane. Nous envisageons 4 JADE en Guadeloupe et 6 à la Martinique à la prochaine rentrée scolaire.
J'ai assisté à une séance dans un collège. Nous avons discuté avec l'enseignant et la principale à la fin. Il s'avère qu'à la fin d'une intervention du JADE, une enfant a raconté au JADE et à l'enseignant tout ce dont elle était victime chez elle.
Cela montre que le Défenseur des droits, ce n'est pas un juriste qui travaille dans son bureau, derrière ses codes, avec ses experts : il mène ses actions sur le terrain, au coeur de la réalité sociale et humaine. Ma mission de veiller au respect des libertés et droits fondamentaux : ce n'est pas une mission juridique mais bien prendre à bras le corps les problèmes de la vie quotidienne. Je prends pour exemple le droit à l'éducation, ou encore le droit à la protection - je cite ici l'article 19 de la Convention des droits de l'enfant qui prévoit que les États parties font tout ce qui est en leur pouvoir pour prévenir la violence.
Un autre programme s'adresse aux collégiens et écoliers : Educadroit. Il n'est pas encore déployé outre-mer, j'aimerais qu'il le soit. Il s'agit de ressources, programmes pédagogiques et documents pour les 6-11 ans et les plus de 11 ans, pour sensibiliser les enfants et les élèves. Nous expliquons par exemple qui fait la loi, comment participer à une manifestation.... Il s'agit de faire comprendre que le levier du droit n'est pas seulement entre les mains des professionnels du droit et que tous doivent faire un usage critique du droit, qui peut leur être utile à eux et à leur famille.
Sur les réclamations individuelles, je voudrais donner des exemples de cette inégalité réelle qui se voit dans l'accès aux services publics. Je le dis cependant, le tableau des réclamations individuelles ne dresse pas un tableau de la situation ni de l'état des discriminations. Il y a pour diverses raisons des réticences à déclarer les discriminations, à s'en plaindre. Et, dans les îles ou territoires plus confinés, il y a une crainte que les choses se sachent, une peur de rétorsion. Tout le monde constate une réalité sociologique de discriminations mais peu de réclamations. C'est pour cela que j'avais par exemple été en Martinique et avais passé la convention que j'évoquais avec le recteur de Fort-de-France.
Je vais maintenant aborder des exemples illustrant la situation en Guyane. Sur la question de l'accès aux services publics et aux droits, j'ai traité les défauts de versements, par l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM), de l'aide à la continuité territoriale. Des enquêtes sont réalisées actuellement sur la situation de LADOM. J'ai considéré que les défaillances de versements de LADOM constituaient une discrimination à l'encontre des résidents d'outre-mer.
En Guyane, le recours aux droits est extrêmement faible. Je l'ai dit dans une enquête récente, un des problèmes d'accès aux droits est le non-recours. Toute une série de personnes ne sollicitent pas les droits auxquelles elles sont éligibles et, en cas de difficulté administrative, s'inclinent devant le refus. La Guyane est typique à cet égard. On voit bien qu'à cause de l'éloignement des centres administratifs, des coûts de transports, de la tenue aléatoire des permanences administratives, l'accès au droit est très complexe. La question géographique est prépondérante. J'ai présenté en 2017 des propositions visant à accélérer les décisions et procédures permettant de réaliser les travaux nécessaires à l'équilibre de la desserte du service public sur le territoire. Il est très clair que sur le territoire de la Guyane, il y a un littoral et le reste.
En matière d'éducation, il y a le problème de l'absence de lycée à Saint-Georges de l'Oyapock. À la fin de la 3e, il faut aller à Cayenne, dans des conditions difficiles, parfois en famille d'accueil. La République ne peut-elle pas prévoir que les habitants du fleuve qui sépare du Brésil puissent, sur place, avoir un accueil dans l'enseignement jusqu'au bout du secondaire ? Il faut remettre à niveau les équipements de toute nature dans ce département. Il faut mettre des effectifs dans l'accueil des services publics et déployer des maisons de services publics : le programme « France services » doit s'appliquer en Guyane avec tous les effectifs nécessaires. Il faut renforcer les missions administratives itinérantes sur les fleuves. Il faut élaborer des procédures simplifiées d'accès à l'information, en prenant en compte la fracture numérique et les populations éloignées des services publics. Il faut améliorer l'adressage et la distribution du courrier. Il faut enfin s'occuper des personnes de la fonction publique qui ont le courage de s'engager dans des postes isolés, difficiles : il n'y a pas assez d'accompagnement et d'initiation aux particularités culturelles, à la diversité linguistique. On voit des enseignants missionnés en haut des fleuves qui ne restent pas : ils n'ont pas été suffisamment bien prévenus, formés et, en quelque sort, acculturés. On ne peut prendre un poste dans le haut du Maroni comme on prend un poste dans l'Indre ou le Finistère. Mais cela veut dire un investissement, un temps de formation... Il faut un investissement supplémentaire de la collectivité nationale ou locale.
Nous avons également abordé les opérations de police à Mayotte, notamment lors des opérations de décasage. J'ai déclaré que cela était illégal et contraire aux droits fondamentaux. Nous avons dénoncé l'appel aux étrangers à quitter le territoire, ou l'appel aux opérations de décasage des étrangers. Nous ne faisons pas la police ou la gendarmerie, mais nous sommes vigilants. Des questions se posent dans la prise en charge du centre de rétention administrative et dans les services d'accueil des étrangers à Mayotte. Nous avons saisi le ministre de l'intérieur en mai 2018 sur le déploiement des forces de sécurité. Celui-ci a augmenté les moyens, à savoir une antenne du GIGN, une brigade d'intervention et une brigade de prévention de la délinquance juvénile. Sur les rapports avec la police et la gendarmerie, il y a beaucoup de difficultés. Toutefois, Mayotte est un département et doit être traité comme tel, quelle que soit la difficulté pour l'État français de traiter de manière diplomatique l'immigration en provenance des Comores.
Je souhaite enfin parler des discriminations des ultramarins en métropole, question souvent évoquée dans mes échanges avec les parlementaires. Nous traitons notamment les refus d'embauche. Une entreprise revendiquait de ne pas prendre de personnes d'origine africaine ou ultramarine. Nous avions pu mener une action, l'enquête ayant démontré la réalité de la discrimination. C'est une action de fond qu'il faut mener.
Il y a également des problèmes d'accès à la location avec des refus de caution quand la personne vient d'outre-mer ou que le compte bancaire de paiement du loyer est domicilié outre-mer. Nous avons traité ces réclamations qui sont des discriminations pures et simples. Nous avons veillé auprès de la fédération française des banques et groupements professionnels pour que des instructions soient données. La situation s'est améliorée depuis 2014 même si certains établissements ne font pas leur travail. Il y a également des difficultés dans l'accès au paiement et prêts bancaires lorsque le compte bancaire est domicilié en outre-mer. Je cite un cas d'un père de famille venant acheter un ordinateur à son fils s'installant à Bordeaux. Le paiement en trois fois qui lui était proposé à la caisse, associé à une carte de fidélité adossée à un crédit renouvelable, lui a été refusé sous prétexte de son lieu de résidence. Je pense également au cas d'une banque en ligne qui refusait l'ouverture d'un compte à une personne domiciliée outre-mer. L'entreprise a par la suite modifié sa convention générale avec interdiction de discrimination sur le lieu de résidence. Je parle de discriminations ici en métropole.
En outre-mer, les discriminations raciales sont importantes ; je le disais plus tôt, l'origine et la couleur de peau sont le premier critère cité. Le plus grand nombre de discriminations relevées, et c'est inquiétant, sont dans les administrations ou dans les relations avec les services publics, dans le travail, dans la recherche d'emploi, et dans les contrôles de police également avec des contrôles au faciès. En Guyane, nous avons un cas particulier des barrages routiers au Nord de Cayenne avec une situation de séparation, de discrimination à l'égard des populations de Saint-Laurent. J'avais dénoncé la situation des malades du VIH-SIDA qui, lorsqu'ils viennent chercher leurs médicaments, se retrouvent parfois empêchées par la fermeture du barrage. Il faut que la question soit posée : comment peut-on concevoir sur le territoire de la République, de tels barrages ?
J'ai également relevé de nombreuses discriminations à l'égard des personnes LGBTI, l'appel à témoignages en a relevé. Il faut que des chercheurs puissent travailler sur ce sujet pour objectiver ces situations. Nous avons observé des réticences à porter plainte, à dénoncer des attitudes stigmatisantes, y compris lorsque celles-ci viennent de forces de l'ordre. Le nombre de saisines est faible mais celles-ci sont significatives. Je cite le cas d'une fonctionnaire souhaitant rejoindre sa compagne à La Réunion : on lui a opposé l'absence de poste disponible quand d'autres personnes hétérosexuelles ont pu avoir des postes similaires pour rapprochement de conjoint. Ce travail doit pouvoir être engagé à l'initiative du Parlement.
J'en viens enfin à mes recommandations aux pouvoirs publics.
Je commencerai par celles sur les droits de l'enfant. J'ai particulièrement alerté sur la protection des droits maternels et infantiles. Il y a, partout en France, un désarroi sur ce secteur qui vient de faire l'objet d'un rapport d'une députée missionnée par le Premier ministre. Le taux de mortalité infantile est deux fois supérieur dans les départements d'outre-mer à la moyenne nationale - nous n'avons pas de statistique à Mayotte. Le cas de la maternité de Mamoudzou et les évacuations nécessaires à La Réunion a fait l'objet de rapports : des parents en situation irrégulière ne peuvent suivre leur enfant hospitalisé longuement vers La Réunion. La situation des enfants handicapés est également préoccupante avec une insuffisance de structures adaptées. Cela a été relevé dans l'appel à témoignages et dans mon rapport de 2017. Je signale également la situation des adolescents. Une cellule de crise a été mise en place face au phénomène suicidaire des jeunes Amérindiens, je ne sais pas ce qu'elle a donné.
J'ai également attiré l'attention des pouvoirs publics sur la situation des jeunes filles : violences sexuelles, risques de grossesse précoce, ainsi que risque de mortalité plus élevé en couches. Nous avons constaté un taux de recours à l'IVG pour les mineures plus fort outre-mer, preuve des difficultés d'accès à la contraception. Il faut des enseignements sur les droits sexuels et reproductifs, sur le consentement et sur l'égalité entre les femmes et les hommes, entre les filles et les garçons. J'ai demandé à Mayotte le développement de la présence des équipes PMI. J'ai demandé à l'éducation nationale de veiller à ce que les bilans de santé en école élémentaire soient réalisés - ce qui signifie qu'ils ne le sont pas aujourd'hui ; cela est d'autant plus important avec la scolarisation dès 3 ans.
Les dispositifs d'aide sociale à l'enfance sont largement sous-dimensionnés. Ils n'arrivent pas à faire face à la situation des mineurs non accompagnés, particulièrement à Mayotte. Quels que soient les efforts des gouvernements successifs, ceux de MM. Valls et Cazeneuve notamment, qui ont mis en oeuvre des moyens européens et nationaux, nous sommes encore très loin du compte à Mayotte, alors même que le département a essayé de faire des efforts. Ils se heurtent en effet au poids de l'immigration irrégulière.
J'en termine enfin avec la question des dématérialisations administratives. Je souhaite souligner combien la numérisation des procédures administratives qui doit aboutir d'ici 2022, soit dans deux ans et demi, peut renforcer des inégalités à l'égard de nombreux usagers vulnérables que je signalais au début de mon intervention : les accès à internet sont plus difficiles en outre-mer avec des offres aux tarifs élevés et des offres low-cost non développées. Le Gouvernement semble entendre notre préoccupation, j'espère qu'il y aura des mesures concrètes à l'égard des personnes vulnérables.
Je vous remercie pour cette occasion donnée aujourd'hui de montrer combien le Défenseur des droits s'attache à exercer sa mission dans l'ensemble des territoires. Nous accordons toute notre attention aux problématiques outre-mer, qui ont leurs spécificités, dans ce qui est notre mission : garantir l'accès aux droits fondamentaux à travers les services publics, et nous réaffirmons notre volonté de travailler avec les élus et les sénateurs de la délégation.
M. Michel Magras, président. - Je vous remercie pour cet exposé détaillé. J'ai noté votre discrétion sur les limites des moyens budgétaires...
J'ai été sensible à la situation que vous évoquiez des personnes handicapées ; on sait le retard de la France dans ce domaine, mais les difficultés rencontrées en outre-mer sont bien réelles.
M. Jacques Toubon, Défenseur des droits. - En effet, les questions financières ne sont pas de mon ressort, mais tout ce que je propose nécessite des moyens budgétaires renforcés.
Concernant les personnes handicapées et particulièrement les enfants handicapés, la situation est encore plus difficile outre-mer. Il y a de nombreuses personnes, et surtout des enfants, sans solution. Il faut les trouver, et les prestations et réponses à travers des établissements médicaux et sociaux sont insuffisantes.
Mme Victoire Jasmin. - Je vous remercie pour ces informations et cet exposé riche, vous avez balayé de très nombreux sujets et de nombreuses problématiques que nous constatons au quotidien dans nos territoires.
Concernant la dématérialisation, nous avions voté ici au Sénat un amendement sur le report, notamment pour les travailleurs indépendants, de la dématérialisation des documents fiscaux dans le cadre du projet de financement de la sécurité sociale. Cet amendement, adopté avec l'assentiment du rapporteur, n'a pas été retenu en commission mixte paritaire. Les professionnels, tout particulièrement les travailleurs indépendants, n'ont pas le personnel pour la réaliser, et ceci est aggravé avec les zones blanches, notamment.
Concernant le transport aérien, nous ultramarins sommes dépendants de l'avion. La privatisation d'aéroport de Paris (ADP) va considérablement impacter nos possibilités de transport et d'évacuation médicale. Certains cancers, par exemple pédiatriques, ne sont pas pris en charge dans nos territoires, et même si la sécurité sociale prend en charge plusieurs coûts, le transport reste une charge importante.
Concernant le transport de passagers, j'ai évoqué récemment un sujet sur l'accès aux assurances pour les transporteurs de passagers, mais aussi de marchandises. Les assurances sont hors de prix et ils sont aussi dans l'impossibilité d'accéder à certains marchés publics faute d'avoir des véhicules propres. Il faut savoir que les tarifs sont 40 % plus chers outre-mer et la concurrence est insuffisante.
Concernant le recrutement outre-mer, beaucoup d'ultramarins ont fait des études dans l'hexagone, ont les mêmes diplômes et voient leurs camarades hexagonaux avoir des postes dans leur territoire d'origine quand eux ne peuvent pas revenir. Ce problème est d'autant plus important que nos territoires des Antilles connaissent une baisse démographique. Il faut que l'État fasse l'effort de prendre en compte les compétences, les besoins et diplômes des ultramarins dans le recrutement des services de l'État et institutions déconcentrées.
M. Gérard Poadja. - Monsieur le Défenseur des droits, je salue le travail effectué par votre institution depuis plusieurs années. Je souhaite attirer votre attention sur plusieurs discriminations que connaissent des Calédoniens qui viennent dans l'hexagone. Beaucoup n'ont pas accès aux services bancaires et aux possibilités de caution en raison de la domiciliation de leur compte. Pourtant, nous sommes tous Français, établissements bancaires y compris ! Des étudiants se voient aussi opposer des refus de location pour les mêmes motifs.
Les plafonds de revenus pour les bourses sont les mêmes dans toute la France, alors même qu'en raison de la chèreté de la vie en Nouvelle-Calédonie, les salaires sont plus élevés : certains étudiants se retrouvent inéligibles alors que leurs familles n'arrivent pas à boucler les fins de mois. La ministre de l'enseignement supérieur ne veut pas l'entendre. Monsieur le Défenseur des droits, vous avez déjà jugé ces discriminations, pourtant nous n'avançons pas assez. Quelles mesures pourraient mettre fin à ces pratiques ? La devise républicaine « liberté, égalité, fraternité » doit pouvoir être une réalité pour nous tous.
Mme Jocelyne Guidez. - Je salue à mon tour votre travail. Vous étiez venu devant la commission des affaires sociales, je vous avais transmis deux dossiers dont l'un a particulièrement avancé, je vous en remercie.
J'ai moi-même vécu des difficultés importantes pour assurer un bien à la Martinique, je n'étais alors pas sénatrice, seulement maire d'une commune de 5 000 habitants dans l'hexagone... Je constate bien la complexité liée à l'éloignement et la méconnaissance de ces territoires que vous évoquiez.
En matière d'égalité, il serait déjà bon d'être égaux sur les produits de première nécessité. Il n'est pas normal que ces produits soient aujourd'hui, de 20 à 30 % plus chers qu'en métropole.
Je voudrais également vous signaler le problème des retraites, qui mettent parfois du temps à être versées - parfois avec plus de six mois de retard -, mettant les familles en difficulté, conduisant parfois à des nécessités d'emprunts : qu'en est-il outre-mer ?
Enfin, en matière de santé, beaucoup de traitements, notamment pour des cancers, nécessitent un déplacement en métropole : y a-t-il des travaux sur l'accès à la santé ?
M. Jacques Toubon, Défenseur des droits. - Mme Jasmin, cet amendement au PLFSS sera-t-il revoté cette année ?
M. Michel Magras, président. - L'issue récente apportée au PLFSS au Sénat ne vous a pas échappé... Le texte nous reviendra à la fin du mois, mais les amendements proposés sont probablement perdus.
M. Jacques Toubon, Défenseur des droits. - Ceci est regrettable. Je vous rappelle que vous pouvez me saisir sur de tels dossiers, d'autant plus que je rends, chaque année, un avis sur le PLFSS. Je suis également très intéressé par ce que vous me signalez sur la privatisation d'ADP pour laquelle je vais demander à mes collaborateurs des informations complémentaires sur ses conséquences. La question des assurances est, elle, avant tout économique et, vous l'avez dit, liée à la concurrence.
Sur le recrutement, il s'agit d'un problème récurrent. Lors de récents échanges, j'ai constaté la montée de l'exaspération de jeunes Réunionnais compétents, diplômés, de ne pouvoir être recrutés dans le département dans la fonction publique. Certains de vos collègues évoquaient l'idée d'une « préférence réunionnaise ». Cette situation est préoccupante, elle risque de décourager des familles qui font de grands efforts pour l'éducation de leurs enfants.
Monsieur Poadja, la situation de la Nouvelle-Calédonie est particulière, vous le rappeliez. Je vais regarder la question des critères sociaux pour les bourses que vous évoquiez. Sur le logement des étudiants, question que j'ai traitée, je suis inlassable ! Nous voyons des évolutions en cours sur la base de recommandations non pas du Défenseur des droits mais qui datent du temps de la HALDE ! L'exercice du Défenseur des droits est un exercice de grande patience et obstination. Il faut beaucoup de temps pour faire bouger les structures et les habitudes, pour faire comprendre combien certaines pratiques habituelles conduisent à des inégalités, à des dénis de droits. C'est vrai dans l'accès aux droits sociaux, comme les caisses de retraites, où les conseils d'administration prennent des décisions contraires au droit.
Sur les retraites, il s'agit malheureusement d'un problème national. Il y a plusieurs milliers de dossiers de retard à la Caisse régionale d'assurance maladie (CARSAT) d'Île-de-France. C'est un sujet important. Nous avons connu la situation de la caisse générale de la Guadeloupe. Malheureusement, ce qu'il se passe outre-mer ressemble à la situation générale, et cela tient du fait que les opérateurs sociaux sont en train de mettre en oeuvre des conventions d'objectifs et de gestion avec l'État qui les obligent à réduire leurs effectifs année après année. Les caisses ont des difficultés. Nous avions fait un travail sur l'accueil téléphonique, qui avait fortement diminué avec des renvois vers internet, provoquant l'impossibilité d'accéder à la caisse pour certains. La caisse nationale d'allocations familiales m'avait alors indiqué que les caisses devaient tenir compte depuis 1955 de 30 000 dispositions accumulées. Cela montre l'extrême complexité de ces sujets.
En ce qui concerne la santé, il faut un effort massif, notamment sur l'attractivité des postes de médecins. Il y a un taux de vacance au centre hospitalier de Cayenne qui n'est pas acceptable, comme le taux de renouvellement constaté.
La prise en charge y est de plus en plus difficile, ce qui rend nécessaire des évacuations sanitaires.
Deux questions me paraissent majeures aujourd'hui, particulièrement dans les départements en situation difficile comme la Guyane et Mayotte, ce sont l'éducation et la santé. Je pense particulièrement à la situation de l'enfant, qu'il soit français ou étranger. Quand je suis allé en 2016 en Guyane, les bureaux d'accueil pour les demandes d'asile avaient été fermés par le préfet. Durant cinq mois, les demandeurs d'asile n'étaient plus accueillis à Cayenne. Le département connaissait alors une vague d'immigration haïtienne à la suite d'un tremblement de terre et d'inondations. Le Conseil d'État a en partie donné raison au préfet, constatant des raisons légitimes pour la décision prise par celui-ci. Cela montre bien la difficulté, pour les grandes juridictions administratives comme le Défenseur des droits, de prendre en compte ces situations.
Mme Victoire Jasmin. - Je souhaite enfin attirer votre attention sur les radars. Une pétition est menée actuellement en Guadeloupe avec déjà 18 000 signataires. En effet, la concentration de radars tourelles est démesurée compte tenu de la population et des travaux nécessaires pour la remise à niveau du réseau routier. Cette mise en place abusive interroge les citoyens. Les droits et libertés des Guadeloupéens sont remis en cause alors que l'État réduit les moyens consacrés à la sécurité routière.
M. Jacques Toubon, Défenseur des droits. - Sur les radars, je vous invite à nous saisir : nous travaillons souvent avec la délégation nationale à la sécurité routière.
M. Michel Magras, président. - Vous avez montré la situation préoccupante qui est celle de nos territoires. Vous avez parlé d' « inégalité réelle », cela justifie les textes que nous avons pu porter pour les outre-mer, notamment une loi pour l'égalité réelle !
Je souhaite également saluer votre travail, vos rapports et recommandations particulièrement complètes.
Vous parliez du programme JADE, qui travaille surtout avec des associations. Considérant la fragilité du monde associatif, il convient de s'interroger sur les moyens de pérenniser ce dispositif dont je ne doute pas de l'efficacité.
Vous avez également parlé des conventions de résultats qu'il est nécessaire de signer avec l'État, question qui nous préoccupe tout particulièrement.
Je vous remercie enfin pour votre propos riche en constats et enseignements et utile pour nos travaux politiques.
Vous avez également insisté sur la nécessité d'une grande décentralisation, d'une autonomie de décision pour les territoires ultramarins. Je tiens à préciser que c'est ce que couvre le mot de différenciation territoriale, qui prend tout son sens dans cette nécessité pour l'État de se rendre compte que la Constitution et la loi peuvent être appliquées tout en prenant compte des spécificités de chaque territoire. J'y mets une condition : que ces solutions viennent d'en bas, de ceux qui connaissent le territoire, car ce sont ceux qui y vivent qui sont plus à même de les trouver.
Votre mission s'achèvera bientôt...
M. Jacques Toubon, Défenseur des droits. - Je quitterai en effet mes fonctions le 17 octobre 2020, mais je resterai disponible d'ici là pour travailler avec vous.
Permettez-moi de vous dire, pour la différenciation, que je tiens à formuler un impératif : que sur l'ensemble du territoire de la République, les citoyens jouissent de la même égalité de droits.
Je vous remercie de l'occasion que vous m'avez ici donnée de m'exprimer devant vous pour présenter l'action du Défenseur des droits outre-mer.
M. Michel Magras, président. - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation, nous resterons vigilants et continuerons de suivre les travaux du Défenseur des droits avec votre successeur.