Jeudi 19 septembre 2019
- Présidence de M. Jean Bizet, président -
La réunion est ouverte à 11 heures.
Institutions européennes - Audition de Mme Irene Lozano, secrétaire d'État espagnole pour l'Espagne globale
M. Jean Bizet, président. - Nous accueillons aujourd'hui Mme Irene Lozano, secrétaire d'État espagnole pour l'Espagne globale. L'entité « Espagne globale » est rattachée au ministère des affaires étrangères ; elle est chargée de promouvoir l'image de l'Espagne à travers le monde et de planifier les actions extérieures de l'Espagne dans les domaines économique, culturel, social, scientifique et technologique. Être responsable d'un périmètre aussi large aujourd'hui doit être quelque peu délicat...
Notre rencontre intervient après un nouveau dialogue par voie de presse entre nos deux pays : le 31 août dernier, 52 députés français ont fait part de leur préoccupation à l'égard de ce qu'ils désignent comme la « répression » des élus catalans en Espagne, emboîtant ainsi le pas aux 41 sénateurs qui avaient signé, en mars dernier, un appel au respect des droits fondamentaux en Catalogne. Madame la ministre, vous aviez alors répondu à ces sénateurs par une tribune très éclairante, parue dans Le Monde du 2 avril dernier, et votre ambassadeur à Paris, M. Carderera, avait pris soin de venir rencontrer, au Sénat, des signataires de cette tribune, parmi lesquels figuraient plusieurs membres de notre commission.
Cette fois, en réponse à la tribune des députés français, ce sont 150 parlementaires espagnols qui ont publié une tribune pour confirmer que la démocratie espagnole ne porte pas atteinte aux libertés fondamentales.
Vous avez souhaité aujourd'hui venir devant notre commission pour échanger sur ce sujet délicat ; je vous en remercie très sincèrement. Le dialogue ainsi instauré est le meilleur moyen d'apaiser les tensions et de dissiper les fausses croyances.
Au-delà, je souhaiterais que nous puissions évoquer la situation politique espagnole, puisque les Espagnols sont de nouveau appelés aux urnes le 10 novembre prochain. Quel paysage politique pourrait, selon vous, se dessiner ? Quelle coalition peut-on imaginer voir se mettre en place ? Il tarde à notre commission des affaires européennes que la situation politique espagnole se stabilise. Cela facilitera les contacts avec nos homologues du Sénat espagnol. Nous souhaiterions d'ailleurs pouvoir nous rendre de nouveau dans ce pays ami, avec lequel nous pouvons construire des politiques et des stratégies au niveau européen.
Mme Irene Lozano, secrétaire d'État espagnole pour l'Espagne globale. - Tout d'abord, il nous paraît très important d'aborder le problème catalan dans le contexte politique plus général de l'Europe, à la lumière, en particulier, des campagnes de désinformation menées par les indépendantistes.
C'est la raison pour laquelle cette visite au Sénat nous semble extrêmement importante. Nous sommes tout à fait conscients que peuvent subsister en France des préjugés sur l'Espagne, qui remontent à l'époque de la dictature. Or, celle-ci a pris fin il y a maintenant quarante ans.
Il est très important que nous expliquions aux élus du peuple français les enjeux qui prévalent en Catalogne. Ce qui est en jeu en Catalogne, ce n'est ni la liberté ni la démocratie : c'est le défi général de la montée des nationalismes en Europe. En l'occurrence, il s'agit d'un nationalisme tout à fait classique, de nature égoïste, celui d'une région qui souhaite garder ses ressources pour elle et ne plus les partager avec les autres régions espagnoles et européennes.
Dès lors, il est facile de comprendre que le problème politique qui existe en Catalogne ne se pose pas en termes de décentralisation, l'Espagne étant le deuxième pays le plus décentralisé au monde. La Catalogne a des compétences dans toutes sortes de domaines : éducation, santé, police, etc.
Le problème, en réalité, est né de la crise économique et financière de 2008 et de la récession, qui ont créé un sentiment de malaise et un mouvement anti-élites, comme dans beaucoup d'autres pays européens. Le nationalisme est apparu dans les pays qui, historiquement, présentaient une faiblesse sur ce plan. Il est apparu sous diverses variantes dans divers pays. Par exemple, le Brexit est une forme de nationalisme qui renvoie à la tradition isolationniste britannique, au souhait d'éloignement par rapport au continent européen.
Le nationalisme catalan est, pour sa part, un nationalisme périphérique, mais il est lui aussi lié aux peurs identitaires. Les peurs face à l'incertitude économique ont jeté les populations dans les bras de ce nationalisme qui est anti-européen.
En réalité, pour les indépendantistes catalans, la démocratie consiste simplement à pouvoir voter - c'est la conception qu'en ont les démocraties illibérales. C'est précisément une attaque contre la démocratie libérale qui s'est produite en Catalogne : en effet, les 6 et 7 septembre 2017, le Parlement régional catalan a adopté deux lois qui suspendaient à la fois la Constitution espagnole et le statut de la Catalogne. Si cela s'était produit en Hongrie, il est évident que cela aurait été interprété de façon tout à fait différente... En réalité, en adoptant ces deux lois, les indépendantistes ont privé les Catalans de leurs droits.
Dans un arrêt rendu voilà environ deux mois, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a estimé non recevable un recours présenté par les indépendantistes catalans, au nom justement de la démocratie libérale. En effet, en interdisant l'ouverture de la session du Parlement catalan, au cours de laquelle devait être prononcée l'indépendance, session qui s'est tout de même ouverte, le Tribunal constitutionnel espagnol a voulu protéger les institutions démocratiques de l'Espagne.
Dans une démocratie libérale, il y a séparation des pouvoirs et ce que décide le juge doit être appliqué par l'exécutif et par le pouvoir législatif. Dans une démocratie libérale, existent un équilibre entre les pouvoirs et toute une série d'institutions démocratiques. La démocratie libérale ne se résume pas au simple vote.
Ni Amnesty International ni Human Rights Watch ni aucune organisation internationale du même type n'a considéré qu'il y avait des prisonniers politiques en Espagne. Il est d'ailleurs particulièrement offensant pour les vrais prisonniers politiques qui ont pu exister en Espagne pendant toute une période de son histoire, comme cela a été, par exemple, le cas de mon grand-père à l'époque du franquisme, de se voir assimilés à des personnes ayant pu jouir de toutes les garanties pendant leur procès - transparence totale, retransmission à la télévision, droit à la défense, etc.
En Espagne, la liberté d'opinion et d'expression est pleine et entière. De fait, les partis indépendantistes existent depuis 1978. Beaucoup de personnes défendent des positions indépendantistes. Ils le font en toute liberté, mais ils ne peuvent le faire en violant la loi. L'Espagne est un État de droit.
Nous sommes particulièrement préoccupés par les campagnes de désinformation menées par les indépendantistes catalans ; c'est une préoccupation que nous partageons, d'ailleurs, avec de nombreux pays européens et avec la Commission européenne qui s'en est émue récemment.
C'est la raison pour laquelle je suis particulièrement heureuse que vous me donniez l'occasion de présenter ici et d'expliquer un certain nombre de faits qui sont souvent occultés, complètement modifiés ou interprétés de manière déformée par les indépendantistes catalans. Les partis indépendantistes catalans n'ont jamais obtenu plus de 47 à 48 % des voix aux élections en Catalogne. Certes, ce taux est élevé, et il est vrai qu'il soulève des questions politiques, mais il ne permet pas aux indépendantistes de s'exprimer au nom du peuple catalan. Ils n'en représentent pas la majorité ! Il faut savoir que l'autre moitié de la société catalane ne pense pas du tout de la même façon. Ce que les indépendantistes ont réussi à faire, c'est polariser, fragmenter, diviser la société catalane.
On connaîtra, dans les prochaines semaines, l'arrêt du Tribunal suprême, équivalent de la Cour de cassation, qui juge les leaders indépendantistes. Comme vous le savez, ceux-ci sont aujourd'hui en détention préventive. Ils ont demandé à plusieurs reprises au gouvernement espagnol de les libérer, mais le gouvernement ne peut pas le faire, puisque, en vertu de la séparation des pouvoirs qui existe dans notre pays, seul un juge pourrait mettre un terme à cette détention préventive. Par ailleurs, le gouvernement espagnol ne fera aucun commentaire sur le jugement, quel qu'il soit, qui sera prononcé par le Tribunal suprême.
Le Tribunal suprême a mené le procès avec toutes les garanties de l'État de droit. Les accusés auront un droit de recours devant le Tribunal constitutionnel s'ils considèrent que leurs droits fondamentaux ont été violés. Ils auront également un droit de recours devant la CEDH, à laquelle l'Espagne adhère pleinement, fidèle à son engagement pour la défense des droits de l'Homme.
Enfin, nous avons nous aussi l'espoir, une fois que la sentence pénale aura été prononcée, d'entrer dans une période politique beaucoup plus constructive car il est vrai que la procédure pénale a empoisonné le dialogue politique. Depuis sa prise de fonctions en juin dernier, le président du gouvernement, M. Sánchez, a toujours défendu le dialogue, non seulement entre le gouvernement central et le gouvernement catalan, mais aussi entre les Catalans eux-mêmes, car la coexistence est aujourd'hui extrêmement difficile en Catalogne. Le conflit autour de l'indépendance a conduit à une division très profonde de la société catalane, et la reconstruction prendra sans doute du temps. En tout état de cause, notre gouvernement souhaite travailler sur toutes ces questions sur le plan politique.
Bien sûr, nous sommes conscients de toutes les difficultés, mais le gouvernement de Pedro Sánchez a toujours tendu la main. Les indépendantistes ont jusqu'alors rechigné à s'asseoir à la table du dialogue.
M. Philippe Bonnecarrère. - Je vous remercie de votre venue au Sénat et de vos explications.
La gestion de la question catalane est interne à l'Espagne et relève de votre souveraineté. Nous la respectons, bien entendu, et nous ne saurions nous permettre de vous expliquer ce que vous devez faire.
Cependant, je tiens à dire que nos concitoyens sont très sensibles à cette question, pour des raisons très simples : parce que nous sommes vos voisins, parce que beaucoup de Français possèdent une résidence en Espagne - dans mon département du Tarn, où je suis élu, nombre de mes concitoyens en ont une en Catalogne -, mais aussi parce que, à la suite des événements dramatiques auxquels vous avez fait référence, beaucoup de familles espagnoles sont venues vivre dans le sud-ouest de la France - il en est ainsi dans ma ville d'élection. Par conséquent, ce que vous faites est suivi de très près par nos concitoyens.
Je mesure la difficulté de votre tâche au regard de l'importance de la question régionale en Europe. La question régionale est aussi un sujet dans notre pays : il y existe un désir d'Alsace, un désir de Bretagne, un grand désir de Corse... Le désir d'Occitanie ne semble parfois pas très loin ! Nous comprenons donc ces problèmes, que nous voyons également au Royaume-Uni et dans d'autres pays d'Europe.
J'insiste, le sujet de la Catalogne appartient à l'Espagne, mais il est suivi de très près par nos concitoyens, en particulier, bien sûr, par ceux du Sud-Ouest. Ce sont des sujets que nous partageons.
M. Simon Sutour. - Madame la Ministre, les membres de la commission des affaires européennes sont très heureux de vous recevoir. Nous sommes des amis de l'Espagne et du monde ibérique. D'ailleurs, pour ce qui me concerne, je préside le groupe d'amitié France-pays du Cône Sud de l'Amérique latine du Sénat. Comme mon collègue, je suis sensible à ce qui se passe en Espagne. Enfant, je suis allé à l'école avec les enfants des réfugiés républicains, espagnols et catalans. Cela m'a beaucoup marqué. Étudiant, j'ai combattu le franquisme qui touchait à sa fin.
Votre travail consiste à combattre ce que M. Josep Borrell, votre ministre des affaires étrangères, qui vient d'être nommé à la tête de la diplomatie européenne, appelle la « leyenda negra » d'Espagne.
Il est important que nous échangions au sujet de la Catalogne. Je fais partie des 41 sénateurs qui ont signé l'appel. Ce texte est parti de la commission des affaires européennes et plusieurs de ses vice-présidents, de différents partis, l'ont signé, même si son président, M. Jean Bizet, ne partage pas notre point de vue.
Voilà dix ans, il y avait 10 à 15 % d'indépendantistes en Catalogne. Aujourd'hui, ils sont près de 50 %. Lors des dernières élections européennes, la liste de M. Puigdemont, l'ancien président de la généralité de Catalogne, est arrivée en tête, et celle de M. Junqueras a fait un score important. Les deux listes réunies forment une majorité, même étroite. Au passage, il est regrettable que la moitié de la Catalogne ne soit pas représentée au Parlement européen, puisque M. Puigdemont ne pouvait venir à Madrid prêter allégeance à la Constitution et au roi sans être emprisonné, quand la justice espagnole interdit à M. Junqueras, qui est emprisonné à Madrid, de se présenter devant la junta electoral pour prêter serment. Cette situation n'est pas satisfaisante.
Je rappelle que, lorsqu'il était président du gouvernement, M. Zapatero avait négocié un statut avec la généralité de Catalogne, alors présidée par M. Mas. Ce statut avait été approuvé par les Cortes et par le Parlement catalan et ratifié par référendum par la population de Catalogne. Toutefois, le parti populaire a déposé un recours, qui a conduit à l'annulation en 2010 d'un certain nombre des dispositions du statut par le Tribunal constitutionnel - on en connaît la composition...
Nous sommes gênés par le fait que le gouvernement de Pedro Sánchez semble avoir fait beaucoup de pas dans le procès. Il a, de fait, la capacité de peser sur la justice. La ministre de la justice a accepté que les politiques détenus préventivement le soient en Catalogne.
Mme Irene Lozano. - C'est le juge qui l'a décidé !
M. Simon Sutour. - Je crois que c'est plus compliqué et que la ministre a eu son mot à dire.
Mme Irene Lozano. - Pas du tout !
M. Simon Sutour. - Quoi qu'il en soit, au cours du procès, l'avocat du gouvernement espagnol a considéré qu'il y avait non pas rébellion, mais sédition, ce qui implique des peines plus faibles. Bien entendu, ce problème concerne la Catalogne et l'Espagne. Cependant, en tant que citoyens européens sensibilisés à la situation de l'une comme de l'autre, nous ne pouvons pas y être indifférents.
Vous venez devant nous alors que, comme l'a indiqué le procureur général lors d'une conférence à Buenos Aires, la sentence sera rendue avant le 12 octobre.
Mme Irene Lozano. - Je crois qu'il a seulement dit qu'elle serait rendue courant octobre.
M. Simon Sutour. - Je suis formel !
Mme Irene Lozano. - Je suis informée moi aussi.
M. Simon Sutour. - Je vous laisse vérifier. Très franchement, nous avons le sentiment que les indépendantistes sont déjà condamnés.
Vous venez nous dire que la sentence sera juste. Mais la justice, c'est compliqué ! La justice est une affaire humaine. Je suis certain que la justice espagnole est très indépendante, mais cela n'empêche pas qu'elle puisse être très conservatrice. Je veux citer le cas du chanteur Valtonyc, obligé de partir à Bruxelles après avoir été condamné à trois ans et demi de prison ferme pour les paroles d'une de ses chansons. Pedro Sánchez lui-même a déclaré que la sentence lui paraissait lourde.
Vous savez que la demande d'extradition est, normalement, automatique. Dès lors, pourquoi les tribunaux belge, allemand et britannique n'ont-ils pas accepté l'extradition demandée de tous les anciens membres du gouvernement catalan.
Nous ne sommes pas victimes d'une campagne de désinformation menée par les indépendantistes. Personne n'a forgé mon opinion. Je connais l'Espagne. Je connais bien Barcelone. Mes collègues signataires de l'appel sont dans la même situation : je puis vous assurer que ce n'est pas le nouveau délégué de la généralité de Catalogne qui nous a influencés ! J'ajoute, s'agissant du Tribunal, qu'il n'est pas possible de faire appel de ses décisions.
Je respecte votre travail, mais, comme vous, je souhaite vraiment que les problèmes politiques soient réglés politiquement car la justice et la police n'ont jamais réglé les problèmes politiques de manière efficace.
M. Jean Bizet, président. - Je n'ai pas de jugement à porter sur ce qui vient d'être dit, mais je tiens à souligner que le manifeste des 41 sénateurs résulte non pas d'une initiative de la commission des affaires européennes à proprement parler, mais de certains de ses membres seulement, dont Simon Sutour et André Gattolin. Cela dit, je me réjouis que vous arriviez à la même conclusion que la ministre, mon cher collègue !
Mme Irene Lozano. - Oui, mais le chemin pour y parvenir n'est pas le même !
Vous avez manifesté une grande sensibilité à l'égard de l'Espagne, Monsieur le sénateur : elle prouve la proximité et l'affection qui existent entre nos deux pays. Je vous remercie également de l'attention que vous accordez à tous les arguments.
J'ai parlé de la désinformation pratiquée par les indépendantistes en dehors d'Espagne - mais c'est valable aussi pour l'Espagne et la Catalogne. Ils ont prétendu, contre toute évidence, que l'Union européenne reconnaîtrait l'indépendance de la Catalogne ou que les entreprises n'avaient pas peur de l'indépendance, alors que 5 000 d'entre elles sont déjà parties. Évidemment, en tant que sénateurs, vous êtes bien informés et vous avez votre propre point de vue. Quand je parle de désinformation, c'est pour indiquer que les indépendantistes mettent en avant certains faits et en occultent d'autres, et que c'est ainsi que cette question a été présentée dans le reste de l'Europe. Le précédent gouvernement porte probablement sa part de responsabilité dans cette situation car il n'a pas fait l'effort nécessaire pour expliquer la situation.
Cette désinformation est particulièrement efficace auprès des personnes très liées à la communauté historique des réfugiés politiques espagnols. Pour nous, c'est particulièrement douloureux. Je suis membre d'un gouvernement socialiste ; mon grand-père était membre du parti socialiste et a passé sept ans en prison pour cette raison. Il est donc très important que ces personnes avec lesquelles nous avons une grande proximité idéologique comprennent que le nationalisme catalan n'a rien de progressiste, qu'il est réactionnaire et égoïste, comme tous les nationalismes dans le reste du monde.
Vous avez parlé du statut de la Catalogne adopté sous le gouvernement Zapatero, qui aurait ensuite été en partie « annulé » par le Tribunal constitutionnel - en fait, ce dernier a apporté des nuances. Toutefois, ce n'est pas cette décision qui a déclenché la crise, même si les indépendantistes le prétendent. Ce jugement date de 2010 ; or, en 2012, Convergència i Unio (CiU), dont M. Puigdemont était membre, a voté avec le Parti populaire, à Madrid, la réforme du droit du travail qui a réduit les droits des salariés espagnols. Quand cela les arrange, ils disent que le statut a été le détonateur de la crise, mais en réalité, avec l'émergence du mouvement 15-M, mouvement populaire contre l'austérité, le gouvernement catalan n'a pas voulu assumer ces mesures et a tout fait pour détourner le mouvement social vers le gouvernement central de Madrid. Moi qui suis progressiste, j'estime que les indépendantistes prennent en otage le débat social pour en faire un débat identitaire. Il est important qu'un socialiste comme vous en soit conscient. De fait, en Catalogne, le débat social a disparu et tout tourne autour de la question de l'indépendance.
Vous avez dit que l'indépendantisme était passé de 10 % des voix il y a dix ans à 47 % ou 48 % aujourd'hui, ce qui est vrai. Pour moi, c'est lié au malaise social provoqué par la crise. En Italie, la Ligue du Nord obtient plus de 30 % des voix ; en France, vous avez Marine Le Pen ; au Royaume-Uni, il y a le parti du Brexit : on observe le même mouvement vers des politiques nationalistes ou identitaires en réponse au malaise politique créé par la crise. De ce point de vue, l'Espagne ne se distingue pas des autres pays.
On ne peut pas non plus dire que le problème résulte de relations difficiles entre l'État central et les régions autonomes puisque l'Espagne est le deuxième pays le plus décentralisé du monde.
Vous avez dit que la justice espagnole était conservatrice - c'est possible ; personnellement, il me semble que les juges sont tous plutôt conservateurs... Le Tribunal constitutionnel espagnol, à plusieurs reprises, a indiqué au parlement catalan à majorité indépendantiste ce qu'il ne pouvait pas faire ; les parlementaires catalans n'en ont pas tenu compte et ont attaqué le gouvernement espagnol devant la CEDH qui a donné raison au Tribunal constitutionnel espagnol, estimant que la suspension de la séance du parlement catalan était une exigence démocratique, puisque ce dernier violait la loi. Donc, les juges de la CEDH sont aussi conservateurs que les juges espagnols !
Par ailleurs, il y a un double degré de juridiction en Espagne comme dans tous les pays démocratiques. Cependant, en Espagne, les élus sont justiciables du Tribunal suprême et ont une possibilité de recours devant le Tribunal constitutionnel pour tout ce qui touche à leurs droits fondamentaux. C'est ainsi.
Un détail, enfin, ce n'est pas la procureure générale qui a dit que le jugement interviendrait au début du mois d'octobre, mais le procureur compétent pour cette affaire, lors d'un déplacement à Buenos Aires. On me précise qu'il aurait indiqué que la décision interviendrait à une date proche de la Fête nationale, qui tombe le 12 octobre.
Si M. Puigdemont ne peut pas siéger au Parlement européen, c'est parce qu'il n'est pas venu prêter serment devant l'autorité électorale à Madrid. Certes, il aurait pris un risque en le faisant, et je n'ai pas à le juger. Pour M. Junqueras, le Tribunal suprême a décidé qu'il devait rester en détention préventive, en raison du risque de fuite. Deux ans de détention préventive, c'est beaucoup, cela ne me plaît pas non plus, mais ce sont les juges qui l'ont décidé afin de ne pas fausser le jugement. Quant à Valtonyc, je peux seulement dire que j'ai défendu la liberté d'expression bec et ongles lorsque j'étais journaliste.
Enfin, si l'on observe le nombre de condamnations par la CEDH, l'Espagne est largement sous la moyenne des autres pays européens. Le cas de la Catalogne ne doit pas occulter le reste du tableau. L'Espagne a largement prouvé son engagement dans la défense des droits de l'Homme. J'aurais volontiers abordé la question de la « légende noire » de l'Espagne, mais nous ne disposons pas de suffisamment de temps.
M. Simon Sutour. - On ne peut pas comparer les indépendantistes catalans à la Ligue du Nord ou au Front national. En effet, on trouve dans leurs rangs un parti de centre droit, héritier de CiU, et un parti de gauche, la Gauche républicaine de Catalogne. Sans vouloir polémiquer, j'ajoute que Pedro Sánchez ne serait pas devenu président du Gouvernement sans leur appui.
Mme Irene Lozano. - C'est un débat intéressant : que signifie « être de gauche » pour un parti qui, lorsque se présente un problème social grave, en fait une question identitaire, comme en 2011 ? Pour moi, c'est être de droite.
M. Simon Sutour. - En tout cas, on ne peut pas parler d'extrême droite !
Mme Irene Lozano. - Enfin, la Gauche républicaine de Catalogne a voté contre le budget, ce qui a obligé Pedro Sánchez à convoquer de nouvelles élections. Donc, son soutien est à géométrie variable...
M. Simon Sutour. - Ils étaient prêts à permettre l'investiture de Pedro Sánchez cette fois-ci, ils l'ont annoncé...
Mme Irene Lozano. - C'est ce qu'ils disent !
M. Jean Bizet, président. - Compte tenu de l'importance des aspects de politique intérieure, la commission des affaires européennes n'a pas à prendre position sur ces questions. En revanche, nous avons toujours diffusé le plus d'informations possible à nos collègues. Ainsi, en ce qui concerne la possibilité pour l'Union européenne de reconnaître l'indépendance de la Catalogne, nous avons toujours été extrêmement clairs en rappelant que, en vertu de l'article 49 du traité sur l'Union européenne, seuls des États peuvent demander à adhérer à l'Union européenne. Nous avons également communiqué sur les déclarations du président Juncker à ce sujet.
Je vous remercie donc, Madame la Ministre, ainsi que votre ambassadeur, qui a été très réactif...
M. Simon Sutour. - Il est venu discuter avec les signataires de la tribune ici même !
M. Jean Bizet, président. - Nous serions très désireux de rencontrer nos homologues du Sénat espagnol, dès que la situation sera stabilisée à Madrid parce que, sur des politiques très importantes de l'Union européenne, comme la politique agricole commune, la politique de défense ou la politique commerciale, nous avons une très grande concordance de vues. Nous arrivons à un moment où il faut soigner nos liens entre Européens, surtout en prévision des turbulences qui suivront le Brexit. L'Espagne reste pour nous un grand pays ami !
La réunion est close à 12 h 05.