Jeudi 18 juillet 2019
- Présidence de M. Jean Bizet, président -
La réunion est ouverte à 8 h 35.
Environnement - Lutte contre le gaspillage et économie circulaire - Rapport d'information et observations de M. Pierre Médevielle
M. Jean Bizet, président. - Mes chers collègues, le Gouvernement a déposé au Sénat il y a huit jours un projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, présenté par Mme Brune Poirson, secrétaire d'État, et par M. François de Rugy, alors ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire.
La conférence des présidents a décidé, hier soir, d'inscrire ce texte à l'ordre du jour du Sénat le mardi 24 septembre, jour de la rentrée parlementaire. Je précise que le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l'examen de ce projet de loi.
Comme je vous le disais lors de notre dernière réunion, ce texte ambitionne de sortir de la société du « tout jetable », ce dont on ne peut que se réjouir. Il s'inscrit dans le cadre de plusieurs directives et règlements européens dont il assure la transposition.
La conférence des présidents a autorisé notre commission à examiner ce projet de loi afin d'alerter le Sénat sur les éventuelles sur-transpositions qu'il proposerait, conformément au nouveau règlement du Sénat, validé par le Conseil constitutionnel. Notre commission exerce donc pour la sixième fois sa nouvelle mission de veille en ce domaine.
C'est notre collègue Pierre Médevielle, qui est à la fois membre de notre commission et de celle de l'aménagement du territoire et du développement durable, saisie au fond, qui s'en est chargé.
Il a dû travailler en un temps record puisque le projet de loi a été déposé la semaine dernière. Il nous a semblé préférable de traiter ce sujet maintenant, plutôt que de réunir notre commission début septembre, ce qui aurait été nécessaire pour qu'elle se prononce avant la commission saisie au fond, laquelle se réunira mi-septembre. Je remercie donc tout particulièrement Pierre Médevielle et l'invite à nous présenter ses observations.
M. Pierre Médevielle, rapporteur. - La restitution du grand débat a montré les préoccupations des Français en matière de transition écologique et leur souhait de voir mises en place des politiques plus cohérentes, notamment en matière de gestion et de traitement des déchets pour en finir avec le gaspillage et passer d'une économie linéaire à une économie circulaire.
La commission du développement durable a effectué un déplacement très intéressant à Taïwan, pays très en avance sur les questions de recyclage et de traitement des déchets. On trouve 11 poubelles en bas de chaque immeuble, chacune d'une couleur différente. Des organisations d'obédience quasi religieuse emploient des handicapés et des retraités, qui découpent à même le sol des morceaux de papier ou démontent des transistors. Des personnalités du show-business local se mêlent parfois à eux pour montrer l'exemple... De telles conditions de travail seraient inimaginables en France, à moins de passer directement par la case prison.
En cette période de Tour de France, je voudrais saluer la créativité d'une société installée en région parisienne, La vie est Belt, qui recycle les pneus de vélo pour en faire des ceintures. Rassurez-vous, mes chers collègues, ils font toutes les tailles. (Sourires.)
Pour en revenir au texte, le « paquet économie circulaire » européen fixe des objectifs chiffrés de recyclage a minima, à horizons 2025 et 2030 : des objectifs globaux, déclinés par matières, avec un accent spécifique mis sur le plastique, et par secteurs. Il précise et renforce le cadre européen relatif aux déchets, en particulier en matière de collecte séparée des déchets municipaux et des biodéchets, et de responsabilité élargie des producteurs, dite REP.
Fondée sur le principe du « pollueur-payeur », la REP impose la mise en place de filières de traitement pour certains déchets - piles et accumulateurs, véhicules usagés, médicaments...et bientôt filtres de cigarette, lingettes préimbibées et emballages non ménagers.
Certaines des prescriptions européennes sont impératives, comme l'interdiction de mise sur le marché de produits à base de plastique oxodégradable, ou l'obligation de mettre en place des systèmes de reprise, de collecte et de valorisation des emballages et déchets d'emballage en vue de leur réemploi.
Nombre d'entre elles renvoient aux États membres le soin de prendre des « mesures appropriées », qu'elles encadrent, pour atteindre les objectifs qu'elles leur assignent, y compris en matière de contrôle de l'atteinte desdits objectifs.
Enfin, elles formulent des préconisations ou des suggestions de nature à faciliter l'atteinte de ces objectifs, par exemple en matière de disponibilité des pièces détachées ou d'information des consommateurs.
Le projet de loi s'inscrit dans ce cadre européen. Tout d'abord, il transpose des obligations européennes impératives en matière d'interdiction de mise sur le marché et de création de trois nouvelles filières de REP.
Ensuite, il prévoit des mesures d'application pour la mise en oeuvre d'obligations européennes, notamment en matière de suivi et de contrôle des filières REP, d'atteinte des objectifs européens ou d'écocontribution. Il anticipe toutefois la date d'application d'une obligation européenne concernant le traitement des emballages de la restauration rapide et va au-delà des obligations européennes dans plusieurs cas, en particulier les garanties financières requises pour l'agrément des éco-organismes, ou en intégrant les coûts de nettoyage et certains coûts de prévention des déchets dans le calcul de l'écocontribution. De même, le champ de l'obligation de reprise des produits usagés va au-delà de celui que prévoit la directive.
Enfin et surtout, le projet de loi comporte un ensemble de mesures qui ne sont pas imposées par le droit européen, mais qui s'inscrivent dans la logique d'atteinte des objectifs européens impératifs en matière d'économie circulaire, en mettant en oeuvre certaines recommandations ou suggestions figurant dans les directives. Toutes ces mesures sont en outre issues de la Feuille de route pour une économie 100 % circulaire présentée par le Gouvernement début 2018. Le projet de loi introduit ainsi, pour réduire la production de déchets et lutter contre le gaspillage, une information des consommateurs sur les qualités environnementales des produits, leur réparabilité et la disponibilité des pièces détachées. Par ailleurs, il interdit la destruction de certains invendus non alimentaires et renforce les conditions d'établissement du diagnostic sur le caractère réutilisable des produits et déchets dans le secteur du BTP.
Pour favoriser le recyclage, il prévoit un taux minimum d'incorporation de matières recyclées dans certains produits. Taux et périmètre seront définis par voie réglementaire. Surtout, il prévoit la création, entre 2021 et 2022, de cinq nouvelles filières de REP purement nationales - produits et matériaux de construction, huiles lubrifiantes ou industrielles, produits chimiques dangereux pour l'environnement et la santé, jouets, articles de sports et de loisir, de bricolage et de jardinage - et élargit le périmètre de plusieurs filières existantes.
Toujours pour favoriser le recyclage, il introduit la faculté de mettre en place des systèmes de consigne, notamment pour les bouteilles en plastique.
Enfin, il harmonise les couleurs des contenants destinés à recueillir les différentes catégories de déchets ménagers.
Faciliter l'atteinte des objectifs européens et nationaux en matière d'économie circulaire et de protection de l'environnement sert de justification générale à ces sur-transpositions. Celles-ci sont toutefois susceptibles d'emporter des conséquences non négligeables pour les opérateurs économiques - producteurs, distributeurs et recycleurs -, pour les collectivités territoriales et pour les consommateurs : accroissement des coûts de production et de distribution des produits, ainsi que des coûts de collecte des ordures ménagères, modification des filières de production ou de traitement, augmentation du prix des produits et, potentiellement, de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères.
Comme l'a déjà souligné la commission des affaires européennes dans le cadre de sa mission d'alerte sur les sur-transpositions, il est impératif que l'ensemble de ces conséquences, pour nos entreprises, pour nos collectivités et pour nos concitoyens, soient évaluées au regard des objectifs européens et nationaux poursuivis. L'étude d'impact n'est guère documentée sur ce point, alors que certaines de ces sur-transpositions sont de nature à pénaliser les filières françaises en introduisant des distorsions de compétitivité par rapport à leurs concurrentes européennes ou à impacter le niveau de vie de nos concitoyens.
Il reviendra au Gouvernement d'indiquer la portée exacte des obligations qu'il propose d'introduire, de chiffrer précisément leur impact et d'indiquer les mesures d'accompagnement à mettre en place.
La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable ne manquera pas de l'interroger sur les sur-transpositions ainsi identifiées ou potentielles. Le renvoi à des dispositions réglementaires, et surtout à des ordonnances, ouvre en effet la voie à des mesures dont les thèmes sont annoncés dans l'exposé des motifs mais dont la portée n'est pas mesurable en l'état.
Le bien-fondé des objectifs n'est pas contestable. Tout est dans la mise en oeuvre. C'est bien sous cet angle que je vous propose d'attirer l'attention sur les sur-transpositions identifiées dans les observations figurant en annexe du projet de rapport d'information qui vous a été distribué.
M. Benoît Huré. - Je tiens tout d'abord à remercier M. Médevielle pour la qualité de son rapport.
Savez-vous ce que représentent les activités liées à l'économie circulaire en termes d'emplois et de PIB ? Il me semble qu'une directive portée par Michel Barnier, en 2010, lorsqu'il était commissaire européen au marché intérieur et aux services, retenait un taux de 10 % en Europe comme en France.
Prenons garde de ne pas affaiblir ces filières avec des sur-tanspositions excessives. L'économie circulaire est source de nombreux gisements d'emplois, notamment d'emplois d'insertion.
M. René Danesi. - On a beau essayer de chasser le naturel, il revient toujours au galop. Le rapport relève ainsi un certain nombre de sur-transpositions, directes ou indirectes. Je me garderai bien d'en rechercher l'origine - administration, lobbies industriels désireux d'éliminer les petits concurrents...
Notre préoccupation n'est pas de chasser les sur-transpositions par principe, mais d'éviter les risques de distorsion de concurrence. Nous pourrions peut-être suggérer à la haute administration, avant toute sur-transposition, de regarder ce que font nos principaux concurrents industriels, à savoir les Allemands. Ces derniers, qui ont souvent inspiré la directive concernée, se gardent bien de sur-transposer - s'ils ne quittaient pas l'Europe, je pourrais dire la même chose des Anglais, bien implantés à Bruxelles et à l'origine de beaucoup de directives.
Ne faisons pas de nombrilisme : il faut davantage tenir compte des risques de distorsion de concurrence. Au ministère de l'économie et des finances de regarder de plus près les sur-transpositions venues d'autres ministères.
M. Pierre Ouzoulias. - Je me permets une petite digression archéologique : les civilisations du passé que j'ai étudiées pratiquaient un recyclage quasi intégral, ce qui fait le malheur des archéologues qui trouvent très peu de verre et de métal sur leurs chantiers. En revanche, mes collègues de l'an 3000 seront ravis de voir que notre civilisation avait suivi un cours totalement différent. (Sourires.)
Il me semble que ni la directive ni le projet de loi n'abordent la question des logiciels et du matériel informatique, comme s'il n'y avait aucun gâchis ni aucune possibilité de recyclage en la matière.
Or la portabilité de nos données n'est pas absolue. Quand nous achetons un matériel, les données personnelles que nous y mettons deviennent quasiment prisonnières du fabricant. La grande difficulté de les porter sur un autre système nous oblige à acheter les mêmes outils auprès du même fabricant. Je pense aussi à la pratique détestable qui consiste à imposer aux acheteurs d'un ordinateur le système d'exploitation qui l'accompagne.
La défense des droits des consommateurs est donc aussi au centre de cette directive. Dans une société de plus en plus numérique, il me semble essentiel de s'intéresser à ces questions. On parle de l'obsolescence programmée d'une machine à laver, mais quid de celle d'un matériel informatique en raison d'un problème de système d'exploitation ou de logiciel ? Il s'agit d'une question tout aussi fondamentale.
M. Jean-François Rapin. - Pour aller dans le sens de M. Ouzoulias, on peut aussi évoquer l'obsolescence des puces.
L'économie circulaire doit nous aider à conserver les matériels. J'ai mal au coeur de constater l'obsolescence d'un ordinateur qui fonctionne encore, vieux de seulement deux ans, parce que le système d'exploitation ou la puce ne sont plus adaptés aux nouveaux standards. L'upgrading des matériels informatiques ou numériques devrait pouvoir se faire très simplement.
M. Jean Bizet, président. - Dans mon département, un jeune technicien s'est mis à réparer les iPhone voilà quatre ou cinq ans. Son entreprise emploie aujourd'hui plus de 300 personnes. Il a obtenu l'agrément d'Apple et a pu devenir son réparateur officiel dans toute l'Europe. On constate ainsi l'émergence de nouveaux métiers, de nouvelles entreprises à partir de ce substrat.
Les discussions sur l'économie circulaire ont été balbutiantes pendant quelque temps. Avec ce texte, nous arrivons à quelque chose de beaucoup plus concret, rationnel et incontournable. Nous ne pouvons plus continuer dans le tout-jetable.
M. Jean-Yves Leconte. - Je me pose juste une question : si les consommateurs font eux-mêmes le tri, comment la récupération de déchets déjà triés peut-elle coûter globalement plus cher aux entreprises de recyclage ?
M. Claude Haut. - Je comprends les réserves formulées sur les risques de distorsion de concurrence. Pour autant, il faut aussi tenir compte de la volonté de beaucoup de nos concitoyens d'avancer sur ces sujets.
Il faut donc se montrer prudent en matière de sur-transposition : ici, elles me paraissent aller dans le sens du temps et correspondre à la volonté de nos concitoyens.
M. Pierre Médevielle, rapporteur. - Monsieur Huré, l'étude d'impact n'est pas très documentée. De nouvelles filières vont se créer, c'est une évidence. Il faudra mesurer l'impact positif de l'économie circulaire en termes d'emplois et de PIB.
Monsieur Danesi, le texte entraînera certainement des conséquences économiques sur les producteurs et les distributeurs. À noter que tous les produits sont concernés par certaines des obligations nouvelles, y compris ceux venant de Chine ou d'ailleurs. Pour ce qui est des fabricants, on risque en effet d'assister à des distorsions de concurrence dès lors que ce sont les conditions de production qui sont affectées. Nous devrons être vigilants et chercher des solutions équilibrées.
Certaines mesures qui ne figuraient pas dans le « paquet économie circulaire » européen vont dans le bon sens, comme le soulignait M. Haut à l'instant. Nous sommes à un tournant, à nous de le prendre de la meilleure façon possible. Le bien-fondé de ce texte est indéniable.
Mener cette transition n'ira pas sans dommages collatéraux et pourra s'accompagner de l'élimination de petits concurrents des plus grands industriels. Il nous faut donc essayer de protéger le petit commerce et les petites entreprises. Le Gouvernement devra indiquer la portée exacte des obligations qu'il propose d'introduire. Il est essentiel de savoir où l'on va en s'appuyant sur les chiffres les plus précis possible.
Monsieur Ouzoulias, les anciennes civilisations recyclaient beaucoup, sauf les matériaux de construction. On trouve encore des fondations, des traces de mur... Cela étant dit, vous avez raison de souligner le problème des matériels informatiques pour lesquels peu de choses ont été mises en place. Les situations de quasi-monopole sur les systèmes d'exploitation constituent un frein, qu'il s'agisse de smartphones ou d'ordinateurs. Il est difficile aujourd'hui d'acheter du matériel vierge, de monter ses propres logiciels, sauf pour quelques bricoleurs. Il s'agit aussi d'un argument commercial des constructeurs : un nouvel appareil va de pair avec de nouvelles fonctionnalités, ce qui rend, de facto, les anciennes obsolètes. Il peut aussi s'agir d'un nouveau système de branchement qui oblige à changer tout notre matériel, alors même qu'il fonctionnait encore.
Jean Bizet soulignait la créativité de certaines entrepreneurs qui se spécialisent aujourd'hui dans la réparation de smartphones, d'écrans... Certes, de nouvelles filières voient le jour, mais cette situation de quasi-monopole constitue un réel problème.
La mission d'information relative à l'inventaire et au devenir des matériaux et composants des téléphones portables, présidée par Jean-François Longeot, a souligné l'importance des volumes et des quantités de matériaux, notamment de métaux précieux, en jeu. Certains fabricants de matériel informatique reprennent ordinateurs et tablettes, mais nous ne savons pas ce qu'ils deviennent ensuite.
M. Pierre Cuypers. - La meilleure façon d'éviter les déchets est d'utiliser des matières premières qui se détruisent elles-mêmes. Il me semble donc important de mettre l'accent sur la recherche. Certaines matières premières, à partir d'amidon, par exemple, pourraient nous permettre de faire de la biodégradabilité intégrale et non du biofragmentable. Le végétal peut ouvrir beaucoup de possibilités.
M. Pierre Médevielle, rapporteur. - En effet, la recherche va jouer un rôle très important en matière de recyclage.
Certaines mesures prévues par le projet de loi concernent les pièces détachées qu'il est encore parfois difficile d'obtenir. Il s'agit de sortir du tout-jetable.
Monsieur Leconte, il faut établir un distinguo entre tri et recyclage. Le plus souvent, les consommateurs opèrent un tri, lequel va effectivement faciliter le recyclage. Les décharges étant saturées, il faut trouver de nouvelles solutions. Un article du texte concerne l'harmonisation des couleurs des poubelles et des containers pour permettre aux gens de se familiariser avec ces gestes fondamentaux de tri.
Monsieur Haut, je partage tout à fait votre avis : ce texte va vraiment dans le bon sens. J'aurais aimé qu'il arrive plus tôt, mais il n'est jamais trop tard... À nous d'agir et de nous montrer vigilants.
M. Jean Bizet, président. - Pierre Médevielle sera la voix de la commission des affaires européennes lors des débats en commission et en séance publique.
À l'issue du débat, la commission autorise la publication du rapport d'information et des observations qu'il présente.
Institutions européennes - Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe - Communication de Mme Nicole Duranton sur la troisième partie de session
M. Jean Bizet, président. - Mes chers collègues, l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, ou APCE, a tenu sa troisième partie de session fin juin, à Strasbourg. Un grand nombre des douze sénateurs composant la délégation française y a participé.
Ce fut une session hors du commun à plusieurs titres. De ce fait, elle fut particulièrement médiatisée. La ministre chargée des affaires européennes est également intervenue devant l'assemblée, la France assumant la présidence du Comité des ministres du Conseil de l'Europe du 17 mai au 27 novembre 2019.
J'ai jugé utile que notre collègue Nicole Duranton, qui menait la délégation sénatoriale et qui est aussi membre de notre commission, nous tienne au courant de ce qui s'est déroulé lors de cette session, dans la mesure où s'y est joué un épisode important des relations qu'entretient l'Union européenne avec l'Ukraine et la Russie.
Mme Nicole Duranton. - Du 24 au 28 juin dernier s'est effectivement tenue à Strasbourg la troisième partie de session de l'APCE.
La délégation du Sénat y était représentée par nos collègues Maryvonne Blondin, Bernard Cazeau, Bernard Fournier, André Gattolin, Claude Kern, Jacques Le Nay, André Reichardt, André Vallini et moi-même.
Cette session, qui se tenait sous présidence française du Conseil de l'Europe, coïncidant avec le soixante-dixième anniversaire de cette organisation, a été exceptionnelle, mouvementée et inédite à plus d'un titre.
Après l'annexion illégale de la Crimée par la Russie, l'Assemblée parlementaire avait vivement protesté. Lors de sa session d'avril 2014, les pouvoirs de la délégation russe, déjà ratifiés lors de la session précédente de janvier, ont fait l'objet d'un réexamen pour « raisons substantielles ». En termes politiques, cela signifie que la délégation d'un État membre ayant violé les valeurs et obligations du Conseil de l'Europe est mise à l'index. L'Assemblée a ainsi adopté une résolution formulant plusieurs exigences pour résoudre la crise et suspendant jusqu'à la fin de la session de 2014 certains droits de la délégation russe, dont le droit de vote. En janvier 2015, lors de la première partie de session de l'Assemblée, où sont règlementairement examinés, chaque année, les pouvoirs des délégations, ceux de la délégation russe ont de nouveau fait l'objet d'une contestation.
L'Assemblée a alors adopté une nouvelle résolution renouvelant ses sanctions et les renforçant, les parlementaires russes ne pouvant plus être élus comme rapporteurs. Par ailleurs, cette résolution prévoyait une annulation des pouvoirs de la délégation russe pour la session suivante en l'absence de progrès dans la mise en oeuvre des accords de Minsk. Toutefois, l'APCE n'a pas mis cette menace à exécution.
Les parlementaires russes ont alors décidé de quitter l'Assemblée. Pour autant, la Fédération de Russie a continué d'être représentée au sein du Comité des ministres, organe « exécutif » du Conseil de l'Europe.
En juin 2017, la Russie a décidé de suspendre le paiement de sa contribution au Conseil, soit 33 millions d'euros par an. À une crise politique et institutionnelle marquée par une divergence d'approche entre le Comité des ministres et l'APCE, s'est alors ajoutée une crise budgétaire.
Pour y mettre fin, l'Assemblée parlementaire a adopté, lors de la deuxième partie de session d'avril 2019, une recommandation appelant à une coordination qui avait jusqu'alors fait défaut entre les deux organes statutaires du Conseil de l'Europe que sont l'Assemblée parlementaire et le Comité des ministres, en cas de manquement d'un État membre à ses obligations.
L'objectif était de permettre le retour de la délégation russe à l'APCE lors de la troisième partie de session de 2019, en juin, pour qu'elle puisse notamment participer à l'élection du nouveau Secrétaire général du Conseil de l'Europe et, au-delà, renouer le dialogue sur les questions relatives à l'État de droit, à la démocratie et aux droits de l'Homme.
Si le dialogue avec la Russie, malgré cette main tendue, devait échouer, une procédure de sanction, conjointement décidée par le Comité des ministres et l'Assemblée parlementaire et respectant ainsi les statuts du Conseil de l'Europe, pourrait être mise en oeuvre.
Des dérogations et modifications concernant certains articles du règlement de l'Assemblée étaient donc nécessaires. Cette révision du règlement a été adoptée au cours de la troisième partie de session de juin dernier. Elle visait, en fait, à permettre le retour de la délégation russe au sein de l'APCE.
Ce ne fut pas sans mal. Au cours d'une très longue séance, levée à 1 heure du matin, fait inédit à l'APCE, et particulièrement tendue, plus de 220 amendements au projet de résolution ont été déposés par les parlementaires ukrainiens, baltes, géorgiens, polonais, ainsi que par plusieurs élus britanniques. In fine, la résolution a été adoptée par 118 voix pour, 62 contre et 10 abstentions.
Le lendemain, les pouvoirs de la délégation russe ont de nouveau été contestés, mais en vain, par ceux-là même qui s'étaient opposés à la résolution.
La délégation russe siège donc de nouveau au sein de l'Assemblée. La délégation française était favorable à ce retour. Non pour exonérer la Russie des violations multiples et graves des valeurs portées par le Conseil de l'Europe, mais pour préserver le rôle de « forum paneuropéen de dialogue » de l'APCE, pour reprendre l'expression de Mme de Montchalin lors de son intervention, le lundi 24 juin, devant l'assemblée plénière, en tant que présidente du Comité des ministres.
La résolution souligne que l'Assemblée est le lieu où le dialogue politique sur les obligations de la Fédération de Russie, en vertu du Statut du Conseil de l'Europe, doit avoir lieu, avec la participation de toutes les parties intéressées et où la délégation russe pourrait être invitée à rendre des comptes, sur la base des valeurs et des principes de l'organisation.
En contrepartie, l'Assemblée a appelé les autorités russes à mettre en oeuvre une série de recommandations de l'Assemblée : libérer les marins ukrainiens détenus sans motif, agir pour traduire en justice les responsables de la destruction du vol MH17, prendre des mesures pour mettre fin aux violations des droits des personnes LGBTI, en particulier en République tchétchène et enfin acquitter sa dette accumulée à l'égard du Conseil de l'Europe, soit un total de 88 millions d'euros. Un premier versement de 33 millions a été effectué début juillet.
Pour autant, la ratification définitive des pouvoirs de la délégation russe reste en suspens du fait de la présence en son sein de quatre députés inscrits sur la « liste noire » de l'Union européenne.
Le deuxième temps fort de cette dernière partie de session a été l'élection d'un nouveau Secrétaire général du Conseil de l'Europe pour succéder au norvégien Thorbjorn Jagland, en fonction depuis dix ans.
Deux candidats restaient en compétition : Mme Marija Pejcinovic Buriæ, ministre croate des affaires étrangères, et M. Didier Reynders, ministre belge des affaires étrangères et de la défense présenté comme favori avec le soutien, entre autres, du gouvernement français. Finalement, Mme Marija Pejèinoviæ Buriæ a été élue par 159 pour et 105 pour son concurrent. Après notre compatriote Catherine Lalumière, elle est seulement la deuxième femme à occuper ce poste.
Je vais laisser à mes collègues membres de notre délégation et présents parmi nous aujourd'hui le soin de compléter, s'ils le souhaitent, cette rapide présentation. Je voudrais encore évoquer deux sujets emblématiques qui ont animé cette partie de session.
Un débat s'est tenu sur l'assassinat, en février 2015, en plein Moscou, de Boris Nemtsov, opposant politique notoire et militant des droits de l'Homme. L'Assemblée a adopté une résolution appelant la Russie à faire enfin toute la lumière sur cette affaire.
L'Assemblée a aussi tenu un débat sur le meurtre de la journaliste maltaise Daphné Caruana Galizia et sur l'État de droit à Malte. L'enquête sur l'assassinat de cette journaliste qui révélait des affaires de corruption impliquant des personnalités politiques est manifestement entravée. Cela met en lumière l'absence de contre-pouvoirs à Malte et l'importance de la corruption.
Si la situation en Pologne, en Hongrie ou en Roumanie est inquiétante au regard de l'État de droit, elle l'est aussi à Malte. Un amendement, adopté en commission des questions juridiques et des droits de l'Homme, tendait à placer Malte sous procédure de suivi, c'est-à-dire dans la même position que la Turquie.
Cet amendement a finalement été rejeté en séance publique, mais l'Assemblée entend bien se montrer vigilante sur l'évolution de la situation. Elle a demandé l'ouverture d'une enquête publique indépendante sur cet assassinat.
D'autres sujets sensibles ont été débattus lors de notre dernière session, notamment les violences croissantes contre les migrants, contre les enfants, contre les femmes, l'importance de la convention d'Istanbul à cet égard et enfin la situation en Syrie.
Comme après chaque partie de session, un rapport écrit sera prochainement publié présentant en détail les travaux de votre délégation à cette Assemblée.
M. Jean Bizet, président. - Cette session ordinaire était plutôt extraordinaire, notamment avec le retour de la délégation russe.
Mme Nicole Duranton. - Des élections législatives anticipées auront lieu en Ukraine, le week-end prochain. L'APCE était invitée à conduire une mission d'observation, mais les autorités ukrainiennes ont retiré leur invitation à la suite du retour de la délégation russe et menacent à leur tour de suspendre leur participation à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe...
La prochaine session d'octobre sera sans doute tout aussi extraordinaire.
M. Jean Bizet, président. - Notre Commission a reçu Mme Marija Pejèinoviæ Buriæ, qui nous avait fait une très forte impression. Je ne suis pas surpris de son élection au poste de Secrétaire général.
M. André Reichardt. - Je voudrais tout d'abord remercier Mme Duranton pour ce compte rendu qui reflète parfaitement le déroulé de cette partie de session.
Comme l'ensemble de la délégation française, je me félicite du retour de la délégation russe. Mieux vaut assurément qu'elle soit à l'intérieur de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe plutôt qu'à l'extérieur. Cela permet non seulement de renouer le dialogue, mais aussi de maintenir l'accès à la Cour européenne des droits de l'Homme, ou CEDH, aux citoyens russes, desquels émane, de très loin, le plus grand nombre de saisines de la Cour - il me semble que les seuls citoyens russes sont plus d'une dizaine de milliers à solliciter la Cour chaque année. Même si M. Poutine est allé jusqu'à dire que les décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme ne l'engageaient pas, il me semble important de permettre aux citoyens russes d'y accéder.
J'émettrais un bémol : si les membres de l'APCE ont voté en faveur du retour de la délégation russe, c'est essentiellement pour des raisons financières. Il faut avoir le courage de le dire. Tant que les Russes n'avaient pas suspendu leur financement, personne ne s'en souciait ; mais dès qu'il a été question de mettre un terme à un certain nombre de contrats de travail, les choses ont commencé à bouger. Cette question du financement revenait d'ailleurs de façon récurrente dans les discussions préparatoires de mon groupe, le PPE.
Je voudrais aussi souligner combien la Crimée est un « faux-nez ». Derrière la Crimée, les autres conflits dits « gelés » n'avancent pas d'un iota. C'est certainement en Crimée, dont la population est plutôt favorable à la Russie, qu'il sera le plus difficile de progresser. Mais n'oublions pas non plus la Géorgie. Ce qui s'y passe est inacceptable. On a créé une Ossétie du Sud qui n'existait pas. Il y avait une Ossétie, dans la partie nord du Caucase, et soudain on crée une Ossétie du Sud, en Géorgie. Je me suis rendu sur place : il n'y avait même pas de drapeau ossète. La limite - je n'ose parler de frontière - entre Géorgie et Ossétie du Sud, où l'on trouve des drapeaux et des militaires russes, ne cesse d'avancer chaque jour. Le berger qui vient faire pâturer ses chèvres en Géorgie ne peut plus le faire du jour au lendemain, parce que la « frontière » avance progressivement dans la nuit. Et tout le monde s'en moque.
De même, en Abkhazie, en Transnistrie, en Moldavie, au Haut-Karabakh... On peut discuter 107 ans du conflit entre Arménie et Azerbaïdjan, il suffirait que la Russie siffle la fin de la partie pour qu'il se dénoue. Nous savons tous que la Russie sustente l'Arménie, c'est un fait.
Il est toujours préférable de renouer le dialogue, mais à la condition que les vrais problèmes soient de nouveau mis sur la table. Or, nous savons qu'ils ne le seront pas. À peine la délégation russe était-elle de retour, dès le matin du vendredi 28 juin, que deux fronts se sont de nouveau constitués. Les Russes n'ayant pas participé aux discussions préalables de projets de délibérations qui les concernaient pourtant directement ont refusé de les voir aboutir.
La Russie est un grand pays, qui a sa place au Conseil de l'Europe. Pour autant, il va falloir continuer d'y dire les choses fortement, et non se contenter de le faire à l'APCE qui en est, en quelque sorte, le second véhicule. Le Comité des ministres doit se montrer fort pour enfin faire comprendre à la Russie qu'elle n'a pas le droit de tout faire.
Le discours qui nous a été tenu sur l'assassinat de M. Nemtsov est tout simplement inacceptable. Pour avoir entendu ces délégués russes, triés sur le volet, prendre la parole, je pense que c'est le moment ou jamais, pour le Conseil de l'Europe, de montrer qu'il existe véritablement et qu'il est autre chose qu'un cénacle où l'on se réunit de temps en temps pour se dire des choses qui ne seront pas suivies d'effet.
M. Jean-Yves Leconte. - Je remercie nos représentants à l'APCE. J'imagine qu'il a été difficile pour vous, madame Duranton, de voter pour le retour de la délégation russe, alors que vous connaissez bien la situation ukrainienne. On ne peut pas cependant renvoyer dos-à-dos ces deux voisins.
Le sentiment de trahison des Ukrainiens est profond, même si nous aurions tous voté la même chose que la délégation française : il est important que les citoyens russes puissent avoir accès à la CEDH - même si l'on sait que ses décisions ne sont pas respectées, à condition que cela ne dure pas ad vitam aeternam...
La réunification de l'Europe a été notamment permise par la conférence d'Helsinki, lorsque Willy Brandt a parlé de démocratie avec Leonid Brejnev - et même si certains en ricanaient... Voyons comment les choses se passent en Russie. Le traitement de notre compatriote Philippe Delpal, détenu en Russie, est scandaleux, et j'espère que vous pourrez sensibiliser vos collègues : il n'a aucun contact avec sa famille, il n'a pas d'interprète correct pour se défendre, y compris à l'audience ! Même le président Vladimir Poutine s'est inquiété de l'image que donnait la Russie au travers de cette affaire...
Les conflits dans l'Est de l'Ukraine continuent à faire des victimes, cela ne s'est pas arrêté aux accords de Minsk ! Ce serait inquiétant de pousser l'Ukraine à s'accommoder d'une situation avec la Russie comme condition pour continuer de l'aider.
Nous aurions aussi pu évoquer les rapports de la Turquie avec la CEDH et du nombre de recours...
À ce propos, je suis inquiet de la révolution de la doctrine du maintien de l'ordre en France, et de la réforme du Parquet, qui a abouti au classement sans suite d'une partie des conclusions de la commission d'enquête du Sénat. Même la CEDH a critiqué l'indépendance du Parquet, compte tenu des prérogatives de celui-ci... La CEDH et l'APCE critiquent tous les pays, c'est tout leur intérêt et leur rôle de forum.
Certains pays ont voté pour récupérer les 33 millions d'euros annuels, ce qui a été considéré comme une trahison par les pays d'Europe centrale. Cela nécessitera de recrédibiliser l'ensemble de la démarche. Il est bon, pour les citoyens russes, d'avoir réintégré la Russie à l'APCE, mais faisons attention et écoutons ces pays pour éviter qu'ils ne partent.
M. Claude Kern. - Félicitations pour cet excellent compte rendu. Presque tout a été dit par M. André Reichardt. Il y avait un sujet financier et une question d'accès à la CEDH pour les ressortissants russes, auxquels nous aurions fermé la porte. L'important n'est pas le versement des 33 millions d'euros mais les citoyens russes.
J'ai vécu des difficultés similaires sur le problème de la Transnistrie en Moldavie et je suis le dossier géorgien comme co-rapporteur à l'APCE.
L'APCE ne remplit pas complètement son rôle car ces sujets de fond ne sont pas inscrits à l'ordre du jour de la séance. Lançons un signal d'alarme au Comité des ministres afin qu'il agisse. Nous autres, parlementaires...
M. André Gattolin. - ... Nous sommes consultatifs !
M. Claude Kern. - C'est au Comité des ministres d'agir.
M. André Gattolin. - Tous les membres de la délégation française étaient unanimes. Je suis un grand défenseur des libertés, et j'appartiens à plusieurs ONG russes. J'ai soutenu le peuple ukrainien dans son accès à la démocratie. Après le vote, nous nous sommes fait traiter de Laval, Daladier, Chamberlain, voire de nazis ! Certains représentants ukrainiens sont en campagne électorale après l'élection d'un nouveau président sorti un peu de nulle part... Ils se veulent des sur-défenseurs de l'État de droit, et, pour eux, une sortie définitive de la Russie serait un acte politique fort. Or nous devons garder des instances multilatérales, et discuter avec la Russie. Je suis rapporteur sur les disparitions forcées au Conseil de l'Europe. Plusieurs ONG ukrainiennes, tatares et géorgiennes défendant les droits de l'Homme ont des avis totalement différents des élus de ces pays. Oui, cette réintégration semble laver la Russie, en dépit de l'invasion de la Crimée. Mais des sanctions au sein de l'APCE sont stupides : l'APCE est un organe de négociations et d'échanges interparlementaires. N'oublions pas que l'Union européenne a infligé à la Russie des sanctions économiques.
Selon les ONG, la Fédération de Russie et la Douma mettaient en cause une partie des arrêts de la CEDH au prétexte - légitime - que la Russie ne participait plus à l'APCE et donc à l'élection des juges de la CEDH. Chaque délégation propose trois noms de juges, et l'assemblée plénière vote. C'est une bonne justification pour ne pas tenir compte des décisions de la CEDH... La réintégration dans l'APCE est un geste de bonne volonté pour réengager un dialogue avec la Fédération de Russie.
Nous avons eu un débat le jeudi 27 juin au soir sur l'assassinat de Boris Nemtsov, principal opposant à Vladimir Poutine. Le rapport, extrêmement dur, a été adopté par 40 voix pour, aucune contre, et même les trois représentants russes se sont abstenus. Selon eux, le dossier est compliqué, la Russie ne siégeait plus à l'APCE depuis deux ans, mais ils se sont abstenus au lieu de voter contre... Cette ouverture est à confirmer. Acceptons de ne pas toujours dialoguer avec des amis ou des personnes pensant la même chose que nous... Les 18 membres de la délégation française, quelle que soit leur couleur politique, ont voté la réintégration.
M. René Danesi. - Certains demandent au Conseil de l'Europe beaucoup plus que ce qu'il peut donner. C'est un espace de dialogue, qui donne la possibilité aux citoyens de recourir à la CEDH, et c'est un moyen pour faire évoluer les pays de l'intérieur. Ce n'est pas un rassemblement de démocraties parfaitement fréquentables, sinon il faudrait aussi expulser la Turquie, entre autres... Ne rêvons pas !
Le Conseil de l'Europe ne règlera pas les différends avec la Russie, mais l'Union européenne a son rôle , elle a pris des sanctions et les renouvelle tous les six mois. La Russie n'a pas besoin de l'Ossétie du Sud ni de l'Abkhazie, elle maintient un conflit gelé simplement pour empêcher la Géorgie d'entrer dans l'Union européenne et l'OTAN. Il en est de même avec le Donbass et la Crimée en Ukraine. Aussi longtemps que des troupes russes stationneront sur leur sol, ces pays ne pourront intégrer ni l'Union européenne ni l'OTAN. En attendant, le Conseil de l'Europe doit poursuivre ses missions initiales.
M. André Reichardt. - Il y a quelques mois, j'avais proposé que la commission des affaires européennes s'entende avec la commission des affaires étrangères pour créer un groupe de travail sur les conflits gelés, car cela concerne aussi l'Union européenne et sa politique de voisinage. Ce n'est pas au Conseil de l'Europe que se règlera le problème mais il peut mettre en avant certains comportements liés aux droits de l'Homme dans ces territoires occupés. Je ne sais pas où en est le projet de résolution du Conseil de l'Europe sur le comportement de la Russie...
M. Jean-Yves Leconte. - C'est valable en Crimée aussi !
M. André Reichardt. - Je l'intégrais aussi dans ces territoires occupés. À partir du moment où l'on ignore ce qui se passe dans ces régions, tout est possible... C'est par la répétition de messages que nous pourrons faire évoluer les choses au sein de l'Union européenne, qui a un rôle à jouer au travers de sa politique de voisinage.
Mme Nicole Duranton. - Je remercie mes collègues membres de l'APCE pour leurs compléments d'information. La situation actuelle est un peu hypocrite : le Conseil de l'Europe a besoin de la Russie pour financer sa survie, mais il est là pour assurer les droits fondamentaux de 800 millions d'Européens. Nous ne sommes pas au Conseil de l'Europe pour faire de la géopolitique.
M. Jean Bizet, président. - Je salue l'action de la France au sein du Conseil de l'Europe, et la qualité des débats. Le Conseil de l'Europe est plus qu'une instance de dialogue. En raison de la possibilité de collatérale de saisir la CEDH, il est inévitable et pertinent d'accueillir à nouveau à l'APCE la Russie, sans être dupe de son comportement.
Oui, la Crimée est le « faux-nez » de tous les conflits gelés. Fin août, je me rendrai en Lituanie pour débattre des relations avec la Russie. Je le redis à chaque fois : le partenariat oriental n'est ni une machine de guerre contre la Russie ni une « machine à cash », mais une présence européenne ouverte pour que les peuples puissent disposer de leur destin. Certes, les Russes ne le perçoivent pas comme cela... Est-ce une subtilité de la politique étrangère russe ? Les conflits gelés ne sont pas innocents, ils empêchent l'Europe de dispenser ses valeurs et de projeter de la stabilité.
Mme Nicole Duranton. - À la suite du vote sur la réintégration de la délégation russe, j'ai reçu des menaces de la part d'Ukrainiens sur mon profil Facebook et sur mon adresse mail du Sénat, selon lesquelles j'aurais du sang sur les mains...
M. Claude Kern. - Nous avons tous reçu des menaces !
M. André Gattolin. - Ce ne sont pas des menaces physiques ?
Mme Nicole Duranton. - Non.
M. Jean Bizet, président. - C'est en tout état de cause intolérable.
M. André Gattolin. - J'ai parfois reçu des messages allant beaucoup plus loin...
M. Jean Bizet, président. - Cela mérite d'être publiquement dénoncé. Je remercie Mme Duranton de cette communication.
La réunion est close à 9 heures 55.