Mercredi 19 juin 2019
- Présidence de M. Jean Bizet, président -
La réunion est ouverte à 14 h 15.
Institutions européennes - Débat préalable au Conseil européen des 20 et 21 juin 2019, en présence de Mme Amélie de Montchalin, Secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes
M. Jean Bizet, président. - Nous sommes réunis pour débattre en présence du Gouvernement, à la veille du Conseil européen qui se tiendra les 20 juin et 21 juin. La Conférence des présidents avait donné une autorisation de principe à l'ouverture à tous les sénateurs du débat préalable au Conseil européen devant la commission des affaires européennes, sous réserve qu'il se déroule le jeudi matin. Ce débat était prévu jeudi dernier mais a dû être reporté en raison de l'organisation à la même heure d'un débat sur l'approbation de la déclaration de politique générale en présence du Premier ministre. Nous avons peiné à le reprogrammer. En raison des contraintes d'agenda, il se tient cet après-midi, alors que le Sénat va tenir séance sur le projet de loi relatif à la fonction publique. Cette solution n'est pas satisfaisante et, si la Conférence des présidents a bien voulu donner son autorisation expresse pour que le débat se tienne en dehors d'un jeudi matin, le Président du Sénat a rappelé au Gouvernement la nécessité, pour la bonne organisation des débats, de s'en tenir aux modalités définies en commun.
Un Conseil européen particulièrement important se tiendra demain à Bruxelles : les chefs d'État de l'Union européenne discuteront de la nomination des nouveaux dirigeants des institutions et adopteront l'agenda stratégique pour la période 2019-2024, qui fixera les priorités de l'Union pour les cinq prochaines années. Ils reviendront également sur le cadre financier pluriannuel (CFP) qui couvrira la période 2021-2027 ; notre commission des affaires européennes en suit la négociation depuis longtemps et je regrette, pour ma part, que la proposition de la Commission européenne maintienne une limitation globale des dépenses à 1,11 % du revenu national brut (RNB) de l'UE-27 : l'Europe mérite davantage. Ces trois sujets représentent des enjeux majeurs puisqu'il s'agit de dessiner l'avenir de l'Union européenne à moyen terme.
Le Conseil européen débattra, en outre, du changement climatique, sujet essentiel, dans la perspective du sommet Action climat, que le Secrétaire général des Nations unies organisera le 23 septembre 2019. Dans le cadre du semestre européen, le Conseil européen examinera également les recommandations par pays. En outre, les dirigeants prendront note d'un rapport sur la désinformation et les élections, élaboré par la présidence roumaine, en coopération avec la Commission et la Haute représentante. Je vous rappelle que se tiendra au Sénat demain, en format Weimar, un colloque sur la cybersécurité organisé par la présidence du Sénat.
Il est, par ailleurs, prévu d'évoquer le dossier de l'élargissement de l'Union européenne. Le Conseil affaires générales qui s'est tenu hier a débattu du paquet « élargissement » présenté le 29 mai par la Commission européenne. En 2018, le Conseil européen était convenu de répondre favorablement aux progrès accomplis par l'ancienne République yougoslave de Macédoine et par l'Albanie et de poser les jalons en vue de l'ouverture de négociations d'adhésion avec ces deux pays en juin 2019. Dans son rapport précité du 29 mai, la Commission confirme que ces deux pays ont mené les réformes attendues. Il revient donc au Conseil européen d'évaluer l'opportunité d'ouvrir les négociations d'adhésion avec l'Albanie et la Macédoine du Nord, pays auquel je porte un grand respect et dont je salue l'esprit de responsabilité à l'occasion du débat lié à sa dénomination. Il s'agit d'un sujet particulièrement délicat tant il est important de garantir aux Balkans occidentaux une perspective européenne, pour garantir la paix, la sécurité et la croissance dans toute l'Europe. À l'occasion du dixième anniversaire du partenariat oriental, le Président Larcher a adressé un message positif aux Balkans et la prochaine réunion de l'Association des Sénats d'Europe se tiendra à Sarajevo.
Je précise enfin qu'à la suite de la réunion du Conseil européen, les dirigeants de l'Union européenne à vingt-sept se réuniront pour un sommet de la zone euro dans une configuration élargie. Les progrès réalisés doivent être salués, mais ils demeurent insuffisants.
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. - L'ordre du jour du Conseil européen, le premier depuis les élections européennes, prévoit d'aborder plusieurs points intéressant directement la commission des finances.
Le premier concerne l'accord sur le budget de la zone euro qui sera discuté lors du sommet de vendredi, en format élargi. Après avoir confié, en décembre 2018, un mandat à l'Eurogroupe pour élaborer des propositions relatives au futur budget de la zone euro, les ministres des finances des États membres de l'Union européenne se sont accordés, vendredi dernier, sur les termes d'un accord visant à concrétiser cette promesse chère au Président de la République. Toutefois, à la lecture du contenu de l'accord, il semble difficile d'afficher le même enthousiasme que celui du ministre de l'économie : alors que l'ambition initiale était de prévenir les chocs macroéconomiques au sein de la zone euro, l'accord demeure limité.
Le budget pourra être mobilisé dans le cadre de réformes structurelles visant à améliorer la compétitivité des États et à favoriser la convergence des économies. Les États membres de la zone euro définiront, dans le cadre du semestre européen, des priorités économiques auxquelles les projets financés dans ce cadre devront répondre. Il ne s'agit donc plus de contribuer à la stabilisation des économies, d'autant que les États devront cofinancer les projets qui bénéficieront du financement européen. Ensuite, l'enveloppe de l'instrument budgétaire pour la convergence et la compétitivité, autre dénomination du budget de la zone euro, devrait être limitée à environ 17 milliards d'euros sur sept ans, soit 2,4 milliards d'euros par an à répartir entre l'ensemble des États de la zone euro. À titre de comparaison, ce montant correspond peu ou prou au budget consacré chaque année par la France aux anciens combattants et au devoir de mémoire, ce qui semble dérisoire pour faire converger les économies de la zone euro. Enfin, cet instrument budgétaire devrait être inclus dans le budget de l'Union européenne, ce qui conditionne son enveloppe aux négociations budgétaires du prochain CFP et, partant, à l'accord des vingt-sept États membres. Outre le fait que le Conseil européen devrait entériner le renvoi des négociations à l'automne, on peine à saisir en quoi ce budget pourrait réellement se distinguer des autres outils budgétaires de l'Union européenne. Le compromis trouvé n'est donc pas à la hauteur des ambitions annoncées pour la zone euro. Pourriez-vous préciser les priorités économiques que la France entend promouvoir à travers la mobilisation de cet instrument budgétaire ?
Par ailleurs, le Conseil européen abordera les négociations du prochain CFP, actuellement bloquées par les désaccords entre les États membres, ce qui pourrait porter préjudice à un démarrage rapide des programmes après 2020. Au-delà des montants dédiés aux politiques communes, il paraît nécessaire que le prochain règlement financier du CFP prévoie, comme celui en cours, une révision à mi-parcours. Il s'agit d'une flexibilité indispensable pour donner à l'Union européenne les moyens de répondre aux crises éventuelles, à l'image de la crise migratoire pour laquelle des crédits supplémentaires ont été débloqués. Pourriez-vous nous rappeler l'état des négociations, ainsi que la position de la France sur la révision à mi-parcours du prochain CFP ?
Enfin, bien que ce point ne figure pas à l'ordre du jour du Conseil européen, l'annonce de progrès à venir concernant l'établissement d'une taxe sur les transactions financières peut être saluée. Vendredi dernier, la réunion des ministres des finances de l'Union européenne a fait le point sur l'avancée des travaux des États membres participant à la coopération renforcée en la matière. Le ministre allemand des finances, Olaf Scholz, a alors confirmé la possibilité d'un accord d'ici à l'automne. Étant donné que le sujet de la taxe sur les transactions financières a fait l'objet de débats récurrents depuis 2011, sans jamais aboutir, pouvez-vous nous présenter les grands équilibres de l'accord ? Alors que la coopération se limite actuellement à dix États membres, pensez-vous qu'elle puisse être élargie par la suite ?
M. Ladislas Poniatowski, membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Le premier Conseil suivant les élections européennes s'annonce crucial. Je ne reviendrai pas sur la question du Brexit qui, je l'espère, ne viendra pas trop parasiter les discussions : le temps est venu pour l'Europe de se remettre en marche ! Je n'insisterai pas non plus sur la nécessité de nommer aux postes clefs de l'Union européenne des personnalités reconnues, car l'Europe aura besoin de véritables leaders pour répondre aux défis de l'avenir et aux attentes des citoyens. Je m'en tiendrai donc à deux points qui ont trait à la capacité de l'Europe à entreprendre son renouveau.
Notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est particulièrement attentive aux développements de la défense européenne. Le CFP 2021-2027 comporte à cet égard une avancée majeure : pour la première fois, l'Union européenne accepte d'investir directement dans le domaine de la défense, avec la création du Fonds européen de la défense (FEDef). Ainsi, 13 milliards d'euros devraient être consacrés à la recherche et au développement des capacités militaires européennes. Si ce montant paraît considérable, il n'est toutefois pas gravé dans le marbre. Les travaux législatifs sur le FEDef sont difficiles : il n'existe pas de consensus entre les États membres, ni entre les groupes politiques sur les questions de gouvernance, de périmètre et de critères d'éligibilité. Les États-Unis y voient une menace pour l'alliance euro-atlantique - le Président Trump l'a rappelé lors de son récent voyage en Grande-Bretagne - et pour l'industrie de défense américaine. Existe-t-il un risque de voir les montants du FEDef finalement limités lors des négociations budgétaires ? Comment, face aux pressions, maintenir une ambition élevée ?
Un autre programme intéressant apparaît dans le CFP avec la création, hors budget, d'une « facilité européenne pour la paix » dotée de 10,5 milliards d'euros, pour financer plus efficacement les coûts communs des opérations menées dans le cadre de la politique de sécurité et de défense européenne. Ce dispositif prendra le relais du mécanisme Athena de financement des opérations de l'Union européenne et de la facilité de soutien à la paix pour l'Afrique. La France était favorable à la création d'un tel dispositif, mais s'inquiétait de ses règles de gouvernance. Avez-vous obtenu la garantie que les États occuperont un rôle central dans la gouvernance de cet instrument ? Compte tenu de l'implication de la France au Sahel, il convient de rester vigilant.
Notre commission se montre enfin attentive à la problématique de l'élargissement, à laquelle elle a consacré plusieurs auditions. Actuellement, cinq pays sont candidats. Si le processus d'adhésion de la Turquie reste de facto gelé, les négociations avec la Serbie et le Monténégro suivent leur cours, malgré de modestes progrès sur la voie de la convergence. La Commission européenne recommande l'ouverture de négociations avec l'Albanie et la Macédoine du Nord. Ces États ont sans doute réalisé des progrès et peut-être devrons-nous, à long terme, les accueillir pour éviter qu'ils ne basculent sous d'autres influences. Mais l'Union européenne, notamment l'opinion publique, y est-elle prête ? J'en doute. L'Europe se débat toujours avec le retrait britannique qui paralyse son action. Pour demeurer un pôle de stabilité, l'Union européenne doit d'abord consolider son agenda stratégique, se réformer et se refonder. Comment envisagez-vous, Madame la ministre, la poursuite du processus d'élargissement ?
Mme Amélie de Montchalin, Secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. - Je sais que cette réunion a eu quelques difficultés à se tenir. Je me trouvais lundi et mardi au Luxembourg pour le Conseil des affaires générales et me rendrai dès demain au Conseil européen. Nous faisons au mieux compte tenu des contraintes de chacun ! Nous nous retrouverons mardi dans l'hémicycle pour un échange de vues sur le Conseil européen.
Le Conseil européen des 20 et 21 juin représente le premier rendez-vous après les élections européennes, le dîner du 28 mai ayant été informel. Il s'agit d'un moment clé pour préparer la période 2019-2024 et le nouveau cycle institutionnel : nous évoquerons à la fois son contenu, c'est-à-dire l'ambition commune qui sera portée au cours des cinq prochaines années, et les nominations. Nous débattrons également du prochain CFP, de la lutte contre le changement climatique et des relations extérieures. Un sommet de la zone euro a également été annoncé, ainsi qu'une réunion en format article 50, c'est-à-dire un point sur le Brexit.
Il avait été admis d'agréer un agenda stratégique pour la période 2019-2024, pour permettre au président de la Commission européenne de fonder son action sur une base ambitieuse agréée par le Parlement et par le Conseil européens. Les priorités - la protection des citoyens et des libertés, le développement d'une base économique dans l'Union européenne, la construction d'une Europe verte, juste et « sociale » (mot que la France a tenu à retenir en lieu et place d' « inclusive ») et la promotion des intérêts des valeurs de l'Europe dans le monde -, clarifiées et renforcées ces dernières semaines, ont été dévoilées par Donald Tusk lors du sommet de Sibiu. L'important est qu'elles se traduisent en résultats concrets au bénéfice des citoyens européens. Ces quatre thèmes correspondent parfaitement aux priorités portées par la France, qui aura un rôle particulier à jouer dans leur mise en oeuvre puisqu'elle assurera la présidence du Conseil de l'Union européenne au premier semestre 2022, période correspondant à la fin du quinquennat d'Emmanuel Macron.
Le Président de la République s'engagera particulièrement pour atteindre l'objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050 et en faveur de la protection de la biodiversité. La refondation de Schengen autour d'une politique d'asile harmonisée, d'un contrôle renforcé des frontières communes et d'une plus grande solidarité entre États membres participe également de ses priorités, comme la construction d'une Europe sociale. Sur ce point, la France est attachée à la fixation d'un salaire plancher au-dessus du seuil de pauvreté, pour un travail à temps complet, commun aux pays de l'Union européenne.
Le Président de la République veillera également à la poursuite du renforcement et de l'approfondissement de l'union économique et monétaire, avec la création d'un instrument budgétaire pour la zone euro ; l'accord trouvé à l'Eurogroupe ne constitue pas le point final de ce projet, figurant dans la déclaration franco-allemande de Meseberg de juin 2018. Cet instrument a vocation à monter en charge : l'organisation de CFP doit donc permettre l'intégration de futures ressources propres, comme, monsieur Eblé, le produit de la taxation des transactions financières, sans attendre 2027. La France, avec l'Allemagne, a l'intention de s'assurer que le résultat sera à la hauteur de l'ambition initiale.
Il apparaît également essentiel que l'Union européenne s'engage davantage auprès des citoyens, de la société civile, des partenaires sociaux et des acteurs locaux. L'enjeu de proximité, que le Premier ministre a rappelé lors de son discours de politique générale, concerne également le niveau européen : il s'agit d'une condition pour que les politiques décidées par les instances européennes trouvent leur manifestation concrète. J'ai justement échangé aujourd'hui avec l'Association des maires de France (AMF) sur la mise en oeuvre, par les acteurs locaux, des politiques publiques européennes. À défaut, l'Europe restera trop conceptuelle. Le Président de la République a proposé l'organisation d'une conférence pour l'Europe, associant citoyens et institutions européennes sur le programme stratégique de l'Union européenne.
Des nominations doivent intervenir pour quatre postes : celui de président de la Commission européenne, de président du Parlement, de président du Conseil et de Haut représentant pour les affaires étrangères. Ultérieurement interviendra la nomination du président de la Banque centrale européenne (BCE), dont le rôle est essentiel pour la crédibilité des marchés financiers. Le 28 mai, les chefs d'État ont rappelé leur intérêt à trouver un équilibre géographique, démographique, de genre et d'affiliation politique pour ces nominations. Le France n'est pas favorable au système des spitzenkandidaten selon lequel le candidat tête de liste de la famille politique qui a obtenu le plus de voix aux élections est automatiquement désigné président de la Commission européenne. Ce n'est à la hauteur ni des attentes démocratiques des citoyens européens, ni du signal des élections qui ont fait émerger un bloc pro-européen centriste et vert dont il convient de tenir compte. Pour la première fois, le parti populaire européen (PPE) et les sociaux-démocrates ne disposent pas de la majorité absolue au Parlement européen. Plus que les personnes ou les nationalités, le projet doit servir de fondement aux nominations. Le président de la Commission européenne doit être expérimenté et crédible, capable d'assumer sa mission au niveau international.
Pour ce qui concerne le CFP, la Roumanie, qui avait proposé une base de négociation équilibrée, s'apprête à transmettre le relais à la Finlande, dont le gouvernement, depuis de récentes élections, est davantage centriste que précédemment, ce qui simplifiera la recherche d'équilibres politiques en Europe. Nous espérons des orientations politiques claires dès le Conseil du mois d'octobre, afin de pouvoir travailler à la mise en oeuvre du CFP courant 2020 et à son application effective au 1er janvier 2021 pour éviter les retards observés lors du dernier cycle dans la mise en oeuvre des programmes.
S'agissant du changement climatique, nous souhaitons que l'Europe parle d'une voix unie et forte lors de la prochaine convention des Nations pour le climat au mois de septembre. Nous avons une ambition commune : portons un message clair.
Les chefs d'État et de gouvernement parleront également des efforts à faire pour renforcer la résilience des démocraties face à la désinformation, et notamment lutter contre les cybermenaces, sujet de très haute importance. Nous savons qu'il y a eu des ingérences extérieures pendant les élections européennes ; nous devons nous en prémunir. Ce sujet est d'ailleurs traité aussi au niveau du Conseil de l'Europe, dont la France assume la présidence jusqu'à fin novembre.
Les sanctions sectorielles européennes appliquées à la Russie sont un moyen non négligeable d'encourager un règlement pacifique du conflit dans le Donbass et d'avancer dans la mise en oeuvre des accords de Minsk. Nous déplorons les initiatives russes qui ont fragilisé les négociations, notamment le décret pris fin avril qui facilite l'acquisition de la nationalité russe par les citoyens ukrainiens de l'est de l'Ukraine. Nous restons pleinement mobilisés, avec notre partenaire allemand notamment, pour faciliter la résolution du conflit. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, était à Paris ce lundi ; il s'est ensuite rendu à Berlin. Il prend des initiatives courageuses, et il nous semble utile de le soutenir. Nous sommes à sa disposition pour organiser un nouveau sommet en format Normandie dans les semaines qui viennent.
À l'agenda des chefs d'État figure aussi le dixième anniversaire du partenariat oriental, qui a pour vocation de faciliter la coopération économique et politique avec six États d'Europe orientale et du Caucase, en matière notamment de lutte contre la fuite des cerveaux.
Il est aussi question d'un partenariat entre l'Union européenne et les pays du sud de la Méditerranée ; c'était l'un des objets du Med 7 qui s'est tenu à Malte vendredi dernier. Hier, au conseil des affaires générales, nous avons pris à l'unanimité la décision de demander à la Commission et au SEAE (service européen pour l'action extérieure) de nous remettre des propositions concrètes en vue de faire face aux agissements illégaux de la Turquie dans la zone économique exclusive chypriote. Il s'agit d'un sujet très sensible, que nos collègues chypriotes suivent avec une certaine angoisse, eu égard à la militarisation prononcée que connaissent les environs de leur île.
Je mentionne également le partenariat entre l'Union européenne et l'Afrique ; nous plaidons fortement pour que l'Afrique soit l'une des priorités du NDICI, nouvel instrument de voisinage, de développement et de coopération internationale de l'Union.
Sur l'élargissement, nous n'avons pas pu, hier, prendre de décision substantielle ; non par manque de préparation ou par manque de courage, mais parce que le Bundestag doit - il s'agit d'une exigence constitutionnelle - se prononcer avant que la voix allemande puisse s'exprimer officiellement. Le Bundestag devrait statuer en septembre sur les cas de la Macédoine du Nord et de l'Albanie, et nous nous sommes mis d'accord pour qu'aient lieu, après cela, des discussions « claires et de substance ».
Il s'agit de continuer à respecter l'esprit qui est traditionnellement celui de ce genre de discussions avec les pays candidats, en procédant sans calendrier établi sur la base de critères exigeants. Nous avons toujours dit que les Balkans occidentaux ont vocation à entrer dans l'Union européenne ; mais les conditions d'une telle entrée doivent être réunies, tant de leur côté que du nôtre, en matière de capacité d'absorption et de bon fonctionnement.
L'accord de Prespa et le traité d'amitié entre la Bulgarie et la Macédoine du Nord sont de vraies avancées, dont nous devons reconnaître la valeur ; nous avons désormais un travail précis à accomplir.
Monsieur Bizet, je ne pense pas que l'élargissement soit dans l'ADN de l'Europe : l'ADN de l'Europe est de faire avancer un projet, celui de la protection de la démocratie, de la prospérité, de la paix et d'une certaine vision du progrès ; nous n'avons aucune vocation à je ne sais quelle fuite en avant géographique.
M. Jean Bizet, président. - Sécurité et prospérité, c'est bien notre ADN !
Mme Amélie de Montchalin, Secrétaire d'État. - Ce qui est certain, c'est que nous devons ouvrir un dialogue avec les pays qui remplissent les critères en matière démocratique et économique. S'agissant de la Turquie, nous avons constaté que les conditions n'étaient absolument pas réunies pour ouvrir un nouveau chapitre et pour approfondir l'union douanière ; nous savons donc le constater lorsque les conditions nous obligent à marquer une pause dans les discussions.
La discussion au format article 50, c'est-à-dire sans le Royaume-Uni, pour étudier la question du Brexit, se tiendra ; j'étais à Londres la semaine dernière. De notre côté, nous devons rester sereins. Les conditions sont sur la table : si le Royaume-Uni souhaite sortir de l'Union, et s'il souhaite le faire de manière ordonnée, l'Union européenne est d'accord pour que la déclaration politique qui accompagne l'accord soit revue dans des termes qui puissent faire consensus au Royaume-Uni.
S'agissant de l'enjeu financier, il nous semble essentiel de rappeler que les 40 milliards d'euros qui sont évoqués au Royaume-Uni ne constituent pas une facture, mais la mesure des engagements internationaux qui ont été pris par les Britanniques vis à vis de l'Union. Un blocage du paiement serait assimilable à un défaut international, pas du tout une question de diplomatie ou de bon voisinage ; les agences de notation et les marchés financiers en tireraient les conséquences.
Pour ce qui est de la capacité de renégociation de l'Union, il est normal que nous puissions encore évoluer sur la déclaration politique ; sur l'accord lui-même, il nous semble que les solutions trouvées, à l'issue de ces deux ans et demi, sont pour la plupart les meilleures. Quoi qu'il en soit - j'ai en partie grandi à Calais -, les falaises de Douvres et de Folkestone ne reculeront pas : la relation future devra de toute façon rester forte ; les Britanniques, pour accéder au continent européen, continueront d'arriver en France, dans le Calaisis en particulier. Le vote sur le Brexit est un vote sur l'union politique. En matière d'union économique, culturelle ou de défense, il faudra trouver d'autres cadres pour coopérer, certes ; mais le plateau continental qui soutient le Royaume-Uni ne s'éloignera pas.
M. Éblé m'a interrogé sur la révision du CFP, le cadre financier pluriannuel. À mi-parcours, notre position ne fait pas l'unanimité auprès de nos partenaires. Mais il est important que nous instaurions un déflateur annuel pour maîtriser le prélèvement sur recettes ; des mécanismes de flexibilité et des rendez-vous d'ajustement seraient également utiles pour gérer un budget sur sept ans.
S'agissant du FED (Fonds européen de défense), nous maintenons notre ambition, mais nous manquons de projets, dans nos cartons, pour dépenser les 13 milliards d'euros.
Concernant la facilité européenne pour la paix, les États auront évidemment un rôle important à jouer.
M. Ladislas Poniatowski. - Madame la Secrétaire d'État, vous avez répondu avec précision à la commission des affaires étrangères ; vous n'avez en revanche pas répondu à la commission de la défense.
Quel comportement le Gouvernement compte-t-il adopter s'agissant de la création de ce fonds européen de défense ? Un grand nombre de projets industriels sont des projets mélangés, où cohabitent des entreprises britanniques, françaises, italiennes. La règle est claire : ce fonds est réservé aux entreprises des États membres de l'Union européenne. Les Britanniques pourront-ils y prétendre ?
Mme Amélie de Montchalin, Secrétaire d'État. - L'Union européenne a trop souvent été naïve en termes de souveraineté, d'innovation, de recherche et d'emploi. La règle qui a été fixée a vocation à protéger notre souveraineté. La question que vous posez est typiquement un des enjeux de la relation future que nous nouerons avec les acteurs britanniques ; ceux-ci aimeraient procéder de façon bilatérale, alors que nous préférons maintenir l'unité des Vingt-Sept. La gouvernance de ce fonds reste à préciser, mais la France y jouera un rôle important.
M. Franck Menonville. - Demain aura lieu un Conseil européen fondamental pour l'avenir de l'Union européenne : s'y dessinera le nouveau visage de la politique de l'Europe, qui demeure floue depuis trop longtemps. La France devra y faire entendre clairement sa voix, en particulier lors de la répartition des postes clés, en appuyant des personnalités expérimentées et reconnues.
Les élections européennes ont démontré que les attentes de nos concitoyens sont fortes ; le taux de participation, le plus élevé depuis vingt ans, en témoigne. Ce résultat, obtenu malgré une campagne courte et parfois confuse, met fin à des années de baisse systématique du taux de participation, depuis 1979, et révèle l'intérêt de nos concitoyens pour l'avenir de l'Union.
Le programme stratégique de l'Union européenne qui sera adopté demain devra respecter les engagements pris ; ainsi, des sujets tels que le changement climatique, l'environnement et la cybersécurité devront être coordonnés au niveau européen, qui est le plus pertinent, comme le montre la réussite de la coopération entre la France, l'Allemagne et l'Espagne en vue de créer un nouvel avion de chasse.
Des inquiétudes demeurent néanmoins. Dans certaines situations, les réponses de l'Europe restent trop timides. Trois points me semblent importants.
S'agissant d'abord de la montée en puissance de la Chine, la guerre commerciale qui sévit entre la Chine et les États-Unis a déjà fait une victime, la croissance, alors que Pékin pose les jalons de son projet de nouvelles routes de la soie. L'Empire du milieu est par exemple venu au secours du Portugal pour renflouer ses caisses ; il intervient également dans les Balkans, et les ports de Trieste et de Gênes, après celui du Pirée, se sont ouverts aux investissements chinois. L'Italie vient d'ailleurs de signer un accord avec la Chine dans le cadre de ce projet de routes de la soie, en mars 2019. Les investissements chinois en Europe sont passés de 2 milliards d'euros en 2009 à 37 milliards d'euros en 2016. Comment la France et Bruxelles perçoivent-elles cette offensive chinoise sur le sol européen ? Quelle sera la position de la France pour mieux défendre les intérêts européens dans ce contexte ? L'Union doit s'imposer comme force économique et faire respecter sa voix politique sur la scène internationale.
Deuxième point : le cadre financier pluriannuel 2021-2027. Il me semble important de rappeler la nécessité absolue de préserver le budget de la politique agricole commune. Les discussions qui ont eu lieu le 3 juin dernier à Bucarest ont confirmé que de nombreuses délégations ne sont pas prêtes à s'entendre sur une position commune sur la PAC à défaut d'une vision claire du budget qui lui sera alloué. La PAC étant un pilier essentiel de l'Union, la diminution de son budget aurait des conséquences dramatiques pour notre agriculture, qui est déjà éprouvée ; la France doit donc fermement s'y opposer.
Ce sujet démontre aussi les limites du budget européen : ses ressources sont insuffisantes. Ne faudrait-il pas avoir l'audace de le renforcer en créant notamment de nouvelles ressources propres ? À ce titre, je salue la création du futur budget de la zone euro, même si ses ambitions sont aujourd'hui limitées.
Enfin, ce Conseil européen se tiendra alors que le Royaume-Uni est plus que jamais dans une situation politique chaotique. Près de trois ans après le référendum, le Brexit reste au centre des interrogations. Mme May a démissionné ; le séisme a provoqué des secousses au sein même des partis, en témoignent l'effondrement des Tories et du Labour et le retour tristement triomphal de Nigel Farage aux élections européennes. Pour que ce chaos n'ait pas de répercussion sur l'Europe et sur son avenir, les Vingt-Sept doivent rester unis.
Madame la Secrétaire d'État, nous comptons sur la France pour être force de proposition et pour défendre nos intérêts lors de ce sommet crucial pour l'avenir de l'Europe.
M. Pascal Allizard. - Les personnalités qui seront nommées aux postes les plus emblématiques, outre qu'elles devront posséder des compétences incontestables, devront véritablement incarner leurs fonctions et mieux se faire connaître des citoyens. Leur mission : restaurer la confiance en l'Europe, redonner envie d'Europe. Il y a là un enjeu majeur, une mission de sauvetage, au moment où l'euroscepticisme prospère. Nous avons besoin de décideurs, et non de gestionnaires ou d'administrateurs.
J'en profite pour évoquer la question linguistique : chacun peut constater, ou déplorer, qu'une grande partie des documents de travail de l'Union européenne soient rédigés seulement en anglais ; qu'adviendra-t-il de cette langue en cas de sortie du Royaume-Uni ? Madame la Secrétaire d'État, comptez-vous militer pour un renforcement de la place du français ?
Les grandes lignes du programme stratégique recouvrent des préoccupations régulièrement abordées par le Sénat. Je soulignerai en particulier la nécessité d'avancer sur la voie d'une Europe puissance, seule raisonnable pour permettre à l'Europe de peser dans la nouvelle organisation mondiale. À ce titre, le poste de Haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité revêt une importance particulière pour l'avenir.
Dans le paysage mondial, les États-Unis, qui sont nos amis, nos alliés, et qui doivent le demeurer, ne se privent jamais de faire passer leurs intérêts avant tout le reste - « America First » -, surtout lorsqu'il s'agit de mettre la main sur des entreprises européennes, de taxer certains produits européens ou de nous vendre du matériel militaire sous prétexte d'une meilleure interopérabilité avec l'OTAN. Nous demeurons, nous, un marché ouvert - trop, peut-être ?
De leur côté, les Chinois, qui tissent un vaste réseau à travers le monde, ont l'ambition non dissimulée de bouleverser l'ordre mondial. Cette politique se déploie inexorablement, sur le temps long ; nous en prenons connaissance au fil de l'eau. Sceptique vis-à-vis des instances du multilatéralisme, la Chine développe ses propres initiatives, créant de nouveaux rendez-vous internationaux à sa main. Le plan continue de se déployer ; les routes de la soie viennent d'intégrer, via notamment le port de Trieste, un nouveau partenaire, l'Italie, membre fondateur de l'Union européenne, faut-il le rappeler.
Alors même que l'Union commence à prendre conscience de la nécessité de rééquilibrer ses relations, notamment commerciales, avec la Chine, elle découvre que certains de ses membres ont déjà noué des liens directs avec elle, avec des conséquences mal maîtrisées sur le long terme. Le piège de la dette est la porte d'entrée des technologies chinoises en Europe. Ce sujet doit être l'une des priorités absolues des nouvelles autorités européennes.
Autre acteur, la Russie, avec laquelle les relations ne cessent de se dégrader depuis la crise de Crimée. Les sanctions européennes ont été de peu d'impact, quand, en revanche, les mesures de rétorsion nous pénalisent. Demeure un fait géographique incontestable : la Russie est notre voisin, plus que jamais, puisque les élargissements successifs ont porté nos frontières sur les siennes. Elle aime à se définir comme une puissance eurasiatique ; elle aurait pu s'ancrer vers l'Europe après la chute du mur, mais l'occasion a été manquée - chacun en porte sa part de responsabilité -, et elle se tourne désormais vers l'Asie, en soignant en particulier sa relation avec la Chine.
Ce basculement asiatique de la Russie est loin d'être une bonne nouvelle pour l'Europe. Il est de notre intérêt collectif que les choses évoluent vers une normalisation, sans que nous renoncions pour autant à nos valeurs ; nous devons, par une politique des petits pas, trouver une voix européenne autonome, découplée des tensions sino-américaines ou russo-américaines.
Un mot sur la nécessité de relever le défi migratoire : tout indique que les flux migratoires devraient s'intensifier. Une porte se ferme et une autre s'ouvre ; la problématique de la sécurisation des frontières est loin d'être réglée, et, au-delà du drame humain vécu par les migrants, qui nous est tous insupportable, le potentiel destructeur de la crise migratoire elle-même est réel. Des lignes de fracture apparaissent entre les États et entre les citoyens, en témoignent les résultats des dernières élections ; l'afflux de migrants renforce en outre la mainmise des mafias, facteur de déstabilisation supplémentaire pour des États déjà fragiles.
S'agissant du changement climatique, dont les dernières élections européennes ont montré combien il préoccupe nos concitoyens, on ne peut plus avancer chacun dans son coin ou bloquer les évolutions. Ce problème global appelle de nous une action collective et concertée. Il convient néanmoins de ne pas retomber dans les travers connus de la machine bruxelloise : la réglementation excessive au mépris des contraintes de la concurrence extérieure. La verticalité administrative ne fonctionne pas ; elle conduit au rejet de l'Europe.
Quant aux agriculteurs, qui sont les premières victimes des changements climatiques et des pesticides, il ne sert à rien de les stigmatiser. Anticipons et accompagnons au lieu d'interdire.
Le mandat qui s'ouvre sera celui qui verra s'amorcer soit le déclin soit - c'est mon souhait - le renouveau du projet européen.
M. Philippe Bonnecarrère. - Notre groupe est bien sûr moteur en matière de construction européenne, et se veut un soutien attentif à la politique menée par le Gouvernement.
Je me limiterai à quelques observations, sans aborder les sujets qui ont déjà été évoqués, depuis l'article 50 jusqu'aux questions budgétaires et aux futures désignations.
Il y a quelques mois, notre pays a tenté de porter l'idée de listes transnationales pour les élections européennes. Ce projet, présenté tardivement, a été considéré comme une manoeuvre, et le Parlement européen l'a rejeté. Je me demande si, à l'avenir, nous n'aurions pas intérêt à anticiper cette question. Les élections européennes qui viennent d'avoir lieu sont restées très nationales dans leur déroulement ; je ne suis pas sûr que le PPE se félicite aujourd'hui de les avoir nationalisées. Ne serait-il pas opportun de poser de nouveau assez vite la question des listes transnationales aux élections européennes ?
Par ailleurs, madame la Secrétaire d'État, s'agissant des Balkans, le Gouvernement souhaite éviter la précipitation, et vous avez obtenu un report au mois d'octobre. Nous faisons bien la différence entre l'ouverture de négociations et l'élargissement lui-même. Chacun sait ce que représentent les Balkans et combien il convient, en la matière, d'être prudent.
Reste que, dans une Europe qui reste largement à construire, avec des mécanismes qui restent partiellement soumis au régime de l'unanimité, nous avons du mal à voir comment une telle intégration pourrait ne pas être contre-productive. Nous partageons donc vos réserves ; n'existe-t-il pas une solution médiane entre l'ouverture et la fermeture des négociations ? Nous pourrions par exemple renforcer notre politique de voisinage et favoriser le travail de convergence sans entrer d'emblée dans un schéma binaire, du type « entrer ou ne pas entrer dans l'Union européenne ».
J'évoquerai pour conclure la notion essentielle de souveraineté. Les questions d'énergie, les questions diplomatiques, celle de l'extraterritorialité du droit américain, sont toutes des questions de souveraineté. Qu'en est-il aujourd'hui de la souveraineté de notre pays ? Et qu'est-ce que la souveraineté européenne ? Cette question de la souveraineté est-elle franco-française ? Est-ce la geste gaullienne qui nous meut, un Louis XIV ou un Napoléon refoulés sommeillant en chacun de nous ? Ou les autres pays européens partagent-ils cette idée que la souveraineté européenne est réellement mise en cause aujourd'hui ? Y a-t-il là une vision française de l'Europe, ou cette vision est-elle partagée, nous laissant espérer que l'ensemble des pays de l'Union modifient la hiérarchie de leurs priorités pour défendre enfin, par exemple, la souveraineté numérique, la souveraineté alimentaire ou la souveraineté électorale de nos États ?
M. Simon Sutour. - Je voudrais vous féliciter, madame la Secrétaire d'État, pour la position du Gouvernement sur la situation dans les eaux territoriales chypriotes - une délégation du Parlement chypriote est actuellement en visite dans nos murs.
Sur la Russie, nous pensons que le Gouvernement gagnerait à être plus pragmatique et plus réaliste. Je vous invite à lire une résolution qui a été votée à une écrasante majorité par le Sénat, il n'y a pas si longtemps, sur les sanctions prononcées à l'égard de la Russie.
Sur les Balkans, nous sommes frileux. Le hasard fait que la Première ministre de Serbie est elle aussi dans nos murs aujourd'hui ; l'Union européenne a pris des engagements à l'égard des pays des Balkans, qui sont au coeur de l'Europe. Ils seront un jour, inéluctablement, membres de l'Union ; il faut donc engager le processus d'adhésion, chapitre après chapitre. Si nous les désespérons, ils se tourneront vers d'autres horizons.
Nous ne pouvons que nous féliciter du résultat des élections européennes, marqué à la fois par une hausse sensible de la participation et par le maintien de la prédominance des pro-européens, tant au niveau national, si l'on additionne les voix, qu'à celui du Parlement européen. Ces élections ouvrent toutefois une période d'incertitude, suscitent des interrogations et appellent notre vigilance.
Incertitude, car ce scrutin marque la fin du bipartisme européen, comme vous l'avez souligné, puisqu'il entache la capacité du groupe socialiste et démocrate et du PPE à former une majorité à eux seuls - mais les libéraux et les Verts ne forment pas une alternative, et ces derniers sont un groupe régionaliste. Les équilibres politiques et les stratégies de vote seront ainsi à bâtir et à rebâtir au gré des dossiers législatifs. Ce n'est pas sans risque, à la fois pour les projets que le Parlement européen pourra porter, pour sa crédibilité et pour son poids politique dans les négociations en trilogue - et dès à présent, dans l'élaboration du programme stratégique. Le rôle et le poids du Parlement européen sont pourtant essentiels sur de nombreux sujets, et ce Parlement devrait veiller à conserver sa capacité à promouvoir ses initiatives, mais aussi à défendre ses positions, surtout lorsqu'il porte un projet européen ambitieux.
C'est bien le Parlement européen qui, tout récemment, s'est prononcé contre le principe de macro-conditionnalité des aides structurelles, qui établissait un lien entre le versement des aides européennes et le respect du pacte de stabilité et des règles de gouvernance économique, et revenait à sanctionner les bénéficiaires de ces programmes parce que leur pays ne respectent pas les règles budgétaires et à accroître les difficultés des territoires concernés. C'est le Parlement européen aussi qui, à cette occasion, a rappelé l'importance du principe de solidarité, qui doit continuer à guider les politiques de cohésion. Reste à savoir, avec des cartes rebattues, si cette voix d'une autre mandature sera entendue par le Conseil. Nous le souhaitons vivement. Ce sont bien les conclusions de la commission sur les pesticides du Parlement européen qui poussent aujourd'hui la Commission européenne à envisager une révision des procédures d'autorisation des pesticides en Europe. Enfin, c'est bien le Parlement européen qui défend une enveloppe ambitieuse pour le prochain cadre financier pluriannuel. Le Parlement européen devra aussi se saisir de dossiers qui détermineront la capacité de l'Union européenne à s'adapter et à relever des défis nouveaux.
Le résultat de ces élections et les défis qui attendent l'Union européenne appellent également notre vigilance. Les slogans de campagne vont devoir trouver une traduction concrète : après les mots et les chiffres, les projets législatifs sont attendus. L'accord de principe partiel qui a été dégagé en fin de semaine dernière sur le projet de budget de la zone euro reflète malheureusement un décalage entre le discours et sa confrontation à la réalité des rapports de force au niveau européen. Vous avez été réaliste en disant qu'il fallait aller beaucoup plus loin, et que le Président de la République lui-même ne se satisfaisait pas totalement de cette avancée - le ministre de l'Économie et des Finances, davantage. Le résultat de ces négociations est décevant, et ce n'est pas faute d'avoir exprimé à plusieurs reprises notre inquiétude, en décembre et en mai, sur leur évolution, qui laissait présager une telle issue. À l'origine, un projet fort était porté par la France ; l'accord de principe est très éloigné de l'ambition générale : au final, une simple ligne budgétaire dans un budget général européen, avec un mandat limité en matière de convergence, autrement dit le financement des réformes structurelles visant à améliorer la compétitivité dans le cadre des objectifs du semestre européen. Toutes les fonctions innovantes ont disparu du projet, comme la perspective d'un financement sur les marchés, ou d'une dotation en ressources propres.
Qu'est-ce qui a pu conduire à tant de renoncements ? Ces négociations, à force de concessions et de compromis, ferment la porte à des ambitions futures pour la zone euro. La France a en effet cédé sur plusieurs éléments essentiels, dès sa déclaration commune avec l'Allemagne en décembre dernier - loin des annonces de juin 2018, à l'occasion du sommet de Meseberg. L'intérêt d'un budget mis à disposition des États membres de la zone euro était de favoriser leur convergence, afin de réduire les risques de dysfonctionnements économiques. C'est aujourd'hui la compétitivité qui est privilégiée au détriment de celle-ci, et qui sert désormais de prétexte pour repousser les États membres à entreprendre des réformes structurelles. La contractualisation voulue par l'Allemagne a pourtant été âprement combattue dans le passé par la France. La mise en place d'une fonction de stabilisation économique a été abandonnée, alors que nous n'avons cessé de la promouvoir car elle donnait tout son sens à cette capacité budgétaire en en faisant un véritable outil de protection en cas de nouvelle crise financière.
Un dernier mot enfin : il paraît que la nouvelle formule de débat préalable au Conseil européen en séance n'était pas satisfaisante. Il paraît qu'il fallait bouger. Nous avons bougé. Est-ce mieux ? Nous nous étions inquiété d'une affluence excessive à cette réunion de notre commission ouverte à tous les sénateurs mais nous ne sommes pas nombreux... Je souhaite que plusieurs d'entre nous, notamment à cette tribune, relisent l'article 88 de la Constitution sur le rôle du Parlement français en matière de construction européenne.
M. Jean Bizet, président. - Le Sénat siège en même temps que notre débat, c'est un fait regrettable mais, vous le savez, la semaine dernière, la déclaration de politique générale du Premier ministre a tout chamboulé.
M. Simon Sutour. - Elle a bon dos !
Mme Mireille Jouve. - Ce débat intervient quelques semaines après les élections européennes, un scrutin qui a réservé deux surprises.
On peut se réjouir de la hausse de la participation. Cette mobilisation accrue par rapport au précédent scrutin, tirée en grande partie par la jeunesse, constitue en effet un bon signal dans un contexte de remise en cause de la démocratie représentative par certains de nos concitoyens. De plus, on a observé un léger reflux de la vague populiste, malgré les scores très attendus des extrêmes en Hongrie, en Pologne et en Italie. Je mets également de côté le cas de la Grande-Bretagne, dont la politique interne est engluée dans le Brexit. Sans parler de victoire, les forces modérées pro-européennes ont en tout cas démontré une certaine résistance.
Si l'Europe souhaite capitaliser sur ces deux éléments positifs, elle doit rapidement se mettre au travail et poursuivre les ambitions du programme stratégique 2019-2024, qui prône une Europe plus protectrice, plus équitable et plus influente.
Donner une nouvelle impulsion à l'Europe, c'est également, au préalable, régler le mieux possible la question de son incarnation, avec le renouvellement des postes-clés au sein des institutions, qui est à l'ordre du jour du Conseil européen à venir. À cet égard, il est bien dommage que les règles ne soient pas clairement établies dans les traités, en particulier pour le prestigieux poste de Président de la Commission européenne. L'article 17 du traité sur l'Union européenne stipule que « en tenant compte des élections au Parlement européen, et après avoir procédé aux consultations appropriées, le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, propose au Parlement européen un candidat à la fonction de président de la commission. » Dans ces conditions plutôt souples, chacun peut trouver son interprétation. Est-ce au seul candidat en tête de la liste majoritaire qu'il revient de présider la Commission ? Ne serait-ce pas plutôt au chef du plus grand groupe parlementaire ? Ou encore, pour rejoindre la dernière position du Président de la République - qui n'est peut-être qu'un leurre -, ne faudrait-il pas donner à la Commission un visage connu, compétent et aguerri ? Pour le moment, ce sont les tractations qui définissent la règle. Au jeu des négociations, le RDSE espère que le président désigné reflétera au mieux l'expression de nos concitoyens.
Au sein de cette expression, au-delà de l'agrandissement de la famille centriste et libérale, on a pu voir une poussée des Verts, qui invitera certainement à renforcer encore davantage la place de l'écologie dans les politiques publiques. L'Union européenne a, dans ce domaine, de nombreux dossiers sur la table, au premier rang desquels la question du changement climatique, sur laquelle se penchera le Conseil européen dans la perspective du sommet Action Climat du 23 septembre prochain. Si certains de mes collègues du RDSE exercent une vigilance particulière sur cette question, je crois que, quelles que soient nos sensibilités, nous sommes tous conscients de la nécessité d'accélérer les actions pour verdir l'économie et la société. J'en profite pour saluer les projets du Gouvernement en matière d'écologie, dévoilés mercredi dernier dans le cadre de la déclaration de politique générale. Cependant, compte tenu de l'ampleur des défis, c'est l'Union européenne qui est la bonne échelle pour amplifier des réponses qui doivent le plus souvent être communes pour être plus efficaces. C'est pourquoi, au regard de la situation alarmante décrite dans le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, l'Europe doit remplir tous ses engagements pris en 2015 à la COP21, surmonter la ligne de fracture Est-Ouest et, enfin, jouer un rôle d'ambassadeur auprès de Pékin et de Washington. Pour autant, les décisions visant à la neutralité carbone ne doivent pas méconnaître les contraintes qui pèsent sur les entreprises et les agriculteurs. Lorsqu'on interdit, il faut trouver des alternatives, qui doivent être encouragées grâce à l'innovation. Il faut également proposer des solutions inclusives, pour ne pas alourdir les difficultés financières des plus fragiles qui, on l'a vu durant des semaines, savent se faire entendre. Ainsi, réussir la transition écologique implique de mobiliser des financements. L'Union européenne sait faire des efforts. Sur la dernière mandature, environ 180 milliards d'euros ont été consacrés à l'économie verte et au plan climat.
À l'ordre du jour du Conseil européen figure également le cadre financier pluriannuel 2021-2027, que devra approuver le nouveau Parlement européen. La négociation du cadre financier pluriannuel est toujours un exercice compliqué - le Brexit ayant ajouté un degré d'incertitude - parce que celui-ci traduit les priorités de l'Union européenne pour plusieurs années. Je sais que tous les États membres sont très impliqués pour défendre leurs intérêts, et je salue la détermination de la France dans ses tentatives pour préserver les politiques traditionnelles, en particulier la politique agricole commune, un volet auquel le Sénat est sensible, comme il l'a démontré récemment en séance par le vote d'une proposition de résolution que le RDSE a soutenue.
Sur le cadre budgétaire dans son ensemble, on peut partager les objectifs affirmés au sommet de Sibiu : plus de solidarité, et des moyens pour se préparer aux nouveaux enjeux, notamment en matière de sécurité et de défense. Cependant, l'équation financière est difficile à résoudre, entre la préservation des politiques fondatrices de l'Union européenne et les nouveaux défis à relever. Le Parlement européen a souligné cette difficulté en novembre dernier.
Par conséquent, au sein de ce cadre financier pluriannuel, qui connaît une augmentation très relative, avec une proposition de la Commission à hauteur de 1 279 milliards d'euros, il faudra pouvoir jouer sur les ressources propres pour parer à toute éventualité et notamment explorer les pistes pour en créer de nouvelles. Le RDSE approuve la position de la France, qui milite pour une véritable conditionnalité fiscale et sociale pour l'octroi des fonds européens. La mise en oeuvre de ce principe pourrait contribuer à une meilleure convergence entre États membres. Hélas, Paris n'est pas suffisamment entendu sur ce point. Pour donner plus de sens et de poids à l'Europe, il faut pourtant encourager une meilleure coordination entre les politiques des États membres dans de nombreux domaines. Comme Jean-Claude Juncker l'avait justement dit en 2017 dans son discours sur l'état de l'Union, pour que l'Europe prospère, les États membres de l'Union européenne doivent oeuvrer de concert. J'espère que le successeur du dirigeant luxembourgeois poussera aussi l'Europe dans cette direction !
M. Éric Bocquet. - C'est peu dire que les débats de ce Conseil européen sont d'importance, compte tenu des défis sociaux et économiques auxquels l'Union européenne est confrontée, et au lendemain des élections européennes. La participation est un peu moins mauvaise que prévu, mais cela laisse tout de même du monde sur la touche : dans notre pays, un électeur sur deux n'a pas voté. Et on sait quelle liste est arrivée en tête... Nous pensons que le populisme et la xénophobie ne sont pas des créations ex nihilo, mais qu'ils sont alimentés par les politiques de mise en concurrence des salariés et des peuples entre eux - des politiques dont les principes fondateurs figurent au coeur des traités européens.
L'ordre du jour du prochain Conseil appelle une discussion relative au prochain cycle institutionnel. Il s'agit de renouveler la composition et le mandat de la Commission, mais aussi de préparer la suite de la présidence de Monsieur Draghi à la BCE, et celle de M. Tusk au Conseil européen. Pour la Commission, des noms commencent à circuler : M. Barnier, Mme Vestager, M. Timmermans... Le Conseil européen devant proposer au Parlement un candidat à la fonction de président de la Commission, ma première question est la suivante : quelle personnalité le Gouvernement français va-t-il soutenir ? La présidence de la Commission n'est pas qu'une question de personnalité, loin s'en faut : il s'agit essentiellement d'une question politique et démocratique. Il est d'ailleurs curieux que le choix de la France ne soit déterminé que par l'exécutif, alors qu'il devrait l'être aussi par le Parlement.
La procédure de désignation du président de la Commission prend un chemin qui ne nous convient pas. L'une des maigres avancées du traité de Lisbonne, que nous sommes, en tant que groupe, les seuls à avoir unanimement rejeté en 2005, est bafouée. Le paragraphe 7 de l'article 17 du traité sur l'Union européenne prévoit une corrélation entre le résultat des élections européennes et la nomination du président de la Commission. Ce lien n'est certes pas automatique, mais il avait été respecté en 2014 par le choix de M. Juncker, qui était alors chef de file du PPE, parti majoritaire dans les résultats de l'élection européenne. À rebours de la volonté de protéger la démocratie parlementaire, le Conseil européen s'apprête à mettre à l'écart le chef de file du parti européen arrivé en tête des élections européennes, privilégiant les arrangements diplomatiques et institutionnels, à l'écart des peuples européens et de leurs représentants que nous sommes. Si M. Macron veut perturber la coalition classique entre les sociaux-démocrates et les conservateurs européens, il semble que c'est pour mieux s'y intégrer et y rallier les Verts. Il faut que tout change pour que rien ne change...
Quelle sera la position du Gouvernement français sur le programme de travail et la feuille de route de la Commission à venir ? Quels dossiers stratégiques allez-vous porter ? Quid de la lutte contre la fraude fiscale, qui atteint des centaines de milliards d'euros au sein de l'Union européenne ? Il est vrai que M. Moscovici a déclaré il y a quelques jours qu'au sein de l'Union européenne, il n'existe aucun paradis fiscal...
Parler des débats plutôt que des profils, voilà l'axe de notre groupe, que nous voulons réaffirmer dans la perspective de renouvellement à l'automne de la présidence de la BCE. Nous avions de nombreux désaccords avec M. Draghi. Le processus d'assouplissement quantitatif, qu'il a lancé dès 2015, a certes entraîné la baisse des taux et desserré l'étau du crédit. Mais il a surtout servi à alimenter les banques et la spéculation, plutôt que l'activité économique réelle. Il a aussi augmenté considérablement le passif de la BCE. Êtes-vous prête à encourager une nouvelle politique monétaire pour la BCE, qui permette le développement des services et des investissements publics sur le continent ? Comment faire face aux velléités allemandes de procéder à un relèvement brutal des taux directeurs et à l'arrêt définitif de tout instrument hétérodoxe de rachats de titres ?
Moins médiatisé, le second point à l'ordre du jour de ce Conseil européen est peut-être encore plus important pour l'Europe et pour notre pays. La négociation du cadre financier pluriannuel va toucher directement les politiques publiques à l'échelle du continent pour plusieurs années.
À titre liminaire, je voudrais souligner que le processus d'établissement de ce cadre est marqué par un déficit démocratique important. Les parlementaires européens ne jouent qu'un rôle très secondaire. Les élus nationaux sont, eux, complètement laissés à l'écart, alors même que les sommes engagées sous le vocable de ressources propres sont de l'argent public, issu de prélèvements sur recettes dans le budget de la France et des autres États.
Surtout, ce sont les orientations mêmes de ce futur cadre financier qui nous inquiètent au plus haut point. Dans deux documents, du 28 juin 2017 et du 14 février 2018, la Commission européenne a fixé ses priorités pour le prochain cadre financier pluriannuel. Elle entend s'inscrire dans la continuité, en garantissant des montants globalement stables, aux alentours de 1 % du revenu national brut de l'Union, réduire drastiquement le volume de certains budgets, notamment de la PAC et de la politique de cohésion, faciliter les coopérations renforcées et soutenir les nouvelles priorités, particulièrement pour la sécurité, la défense et la gestion des frontières extérieures. Ce sont des choix fondamentaux de politiques publiques qui se dessinent.
Les scenarii relatifs à la politique de cohésion pourraient conduire à exclure la France du bénéfice des fonds alloués dans ce cadre. Je me suis amusé à faire une petite projection sur une petite commune dans le Nord, Marquillies, qui dispose encore de douze agriculteurs en activité qui, ensemble, perçoivent 188 000 euros d'aides. Une baisse de 30 % les amènerait à perdre 60 000 euros. La France doit refuser toute baisse de ces crédits. Il ne s'agit pas d'encourager le statu quo, bien au contraire ! Une réorientation de la PAC peut être mise à l'ordre du jour, privilégiant le développement écologique et les petites exploitations.
À propos du Brexit, vous avez parlé des 40 milliards d'euros que le Royaume-Uni doit encore à l'Union européenne, en les mettant sur le même plan qu'une dette qu'un État refuserait de rembourser, ce qui ferait du Royaume-Uni un État faisant défaut. Je suis un peu surpris de ce parallèle : il ne s'agit pas d'une dette mais d'un engagement qui n'est pas tenu, parce que la démocratie est passée par là, que cela plaise ou non. Je trouve maladroit le parallèle que vous faites avec le défaut d'un État qui ne rembourserait pas sa dette auprès des marchés financiers. Cela ressemble à une sanction à l'égard du Royaume-Uni, ce qui me gêne. La dette allemande, par exemple, a bénéficié à deux reprises d'une réduction, en 1953 et en 1990 au moment de la réunification. Il s'agissait de circonstances exceptionnelles : le Brexit est une circonstance exceptionnelle pour l'Union européenne !
M. André Gattolin. - Il y a quelques mois, nous avons débattu du projet de loi reconstituant une circonscription unique pour les élections européennes - qui faisait suite à une proposition de loi que j'avais déposée en septembre 2017. Un de mes collègues m'avait dit que la participation en souffrirait. J'avais parié avec lui que je mangerais mon chapeau si sa prédiction se réalisait... On voit bien que la prétendue proximité construite par les euro- circonscriptions n'a jamais favorisé la participation. Avec ce dernier scrutin, la participation a augmenté de 8 points et dépasse tout juste les 50 %. La question des listes transnationales mérite d'être débattue avec nos partenaires, peut-être pas dans l'immédiat mais sans attendre la fin de cette mandature.
Le Président du Conseil, M. Tusk, en amont des élections européennes, avait suggéré qu'on devrait trouver un accord global sur ce qu'on appelle dans le jargon européen les top jobs : présidence du Parlement européen, présidence de la Commission, présidence du Conseil et Haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Je regrette que cet ensemble soit réduit à quatre fonctions, même si l'Eurogroupe et la BCE ne concernent que 18 pays sur 28 ou 27, et que le poste de Président de la BCE nécessite des compétences techniques particulières qui ne sauraient être agrégées avec des considérations de nature politique ou nationales. Le secrétaire général du Conseil de l'Europe sera élu la semaine prochaine, la présidence de la Cour européenne des droits de l'homme sera renouvelée l'an prochain... Dans l'ensemble européen, avec ses différentes vitesses, il y a un besoin d'équilibre. Or ces cinq dernières années, à l'exception d'une demi-présidence assurée par le leader social-démocrate allemand, ni la France ni l'Allemagne n'étaient en charge d'une de ces fonctions. L'Italie a toujours la présidence de la BCE, avec M. Draghi, la représentation pour les affaires étrangères, avec Mme Mogherini, et la présidence du Parlement européen, avec M. Tajani. L'Allemagne ou la France doivent avoir un poste d'ampleur. Il est vrai que l'Allemagne a obtenu le secrétariat général de la commission et que presque tous les directeurs de cabinet des commissaires européens sont allemands...
La notion de Spitzenkandidat est apparue en 2014. Rien dans le traité ne la prévoit. Il faudra une coalition. Dans les premières négociations ouvertes immédiatement après l'élection européenne, les élus communistes ont été invités, de même que les Verts, les centristes, le PPE et le groupement social-démocrate. La question est la représentativité. Lors de la dernière mandature, le PPE rassemblait 29 % des parlementaires : il est désormais en-dessous de 24 %. Il y a en effet un éclatement politique en groupes et en puissances. Il faut donc mettre à plat les principales forces politiques, en tous cas celles qui ne sont pas anti-européennes, pour trouver un équilibre et un compromis. Or j'ai le sentiment que, d'ici au 20 21 juin, nous n'aurons pas trouvé cet équilibre institutionnel.
Il y a un projet de banque européenne pour le climat. La banque européenne d'investissement (BEI), jusqu'alors silencieuse, intervient pour expliquer combien elle investit pour le climat. Mon sentiment est qu'elle se comporte comme une banque commerciale. Comment va-t-on construire cette banque européenne pour le climat ? La BEI pourrait en être l'embryon. En tous cas, il ne suffira pas de verdir le prochain cadre financier pluriannuel : il faut au moins 1 000 milliards d'euros dans les cinq prochaines années.
Mme Amélie de Montchalin, Secrétaire d'État. - Sur la Chine, il y a un enjeu, énoncé par MM. Macron et Juncker et par Mme Merkel. Nous ne devons pas être naïfs. La Chine est un territoire d'investissement, un pays avec des opportunités de marché et de développement, mais aussi un pays qui cherche une dynamique de puissance et de rayonnement international, parfois de manière agressive. Ses projets d'investissements ont amené un progrès important en Europe, qui est la protection de nos actifs stratégiques. L'idée n'est pas de faire du protectionnisme rigide mais de considérer que certaines activités et certaines infrastructures ne sont pas ouvertes à l'achat hostile ou semi-hostile par des acteurs étrangers car cela remettrait en cause notre souveraineté.
Sur la PAC, ma position n'a pas changé. La France aura bénéficié, au titre du premier pilier, de 52 milliards d'euros entre 2014 et 2020. La proposition de la Commission réduirait cette somme à 50 milliards d'euros. Nous nous sommes donc pleinement mobilisés pour que ces 50 milliards redeviennent 52 milliards, et que l'enveloppe de la France soit constante. Pour le deuxième pilier, la Commission propose de le ramener de 9,9 milliards d'euros à 8,5 milliards d'euros. Nous nous battons pour maximiser notre taux de retour. Notre objectif est une enveloppe constante en euros courants. Dans la grande masse du budget européen, la part agricole peut diminuer graduellement sans que cela doive être un choc ou une rupture. Surtout, nous tenons beaucoup à regarder ce qu'il y a dans les financements. Il faut une PAC modernisée, simplifiée, verdie, qui soit une politique d'investissement, de transition et de transformation. Un défi majeur est d'aider à l'insertion des jeunes agriculteurs, car 50 % des agriculteurs vont partir à la retraite d'ici à 2025. Le verdissement, c'est la méthanisation, les circuits courts, la diminution de l'emploi d'intrants chimiques ou en tout cas non totalement naturels. La PAC doit être un instrument de cette transition et non pas un instrument de menace ou de rupture. Nos agriculteurs ont en effet besoin d'être accompagnés. Nous ne sommes pas seuls à Bruxelles. Certains pays ont un intérêt pour le premier pilier, d'autres pour le second. Avec 8 à 10 milliards d'euros de plus pour la PAC au niveau européen, nous avons de quoi réorganiser les choses pour que chacun s'y retrouve. Cette demande ne paraît pas excessive.
J'ai été surprise par les chiffres que vous donnez sur les réductions de budget dans la politique de cohésion. Nous tenons à ce que la catégorie des régions en transition, qui ont un revenu par habitant d'entre 75 et 100 % du revenu moyen européen, soit préservée. Cela permettra un accompagnement du développement économique non seulement des régions les plus pauvres, mais de celles qui sont en transition, et permettra de sortir aussi d'une vision rurale ou métropolitaine de la politique européenne, pour traiter toutes les zones territoriales qui sont dans l'entre-deux, et notamment les petites villes.
La politique européenne doit s'incarner. Ce qui complique la négociation, c'est le taux de consommation et de programmation des fonds. Difficile de demander de l'argent s'il n'est pas, ou peu, utilisé ! Pour nous aider dans la négociation bruxelloise, faites tout ce que vous pouvez pour que vos élus locaux fassent augmenter les taux de programmation et de paiement. Pour le programme Leader (Liaison entre actions de développement de l'économie rurale), nous avons actuellement 15 000 dossiers recensés, finançables, qui doivent encore passer dans les moulinettes d'un système d'information qui s'appelle Osiris et qui, contrairement au dieu égyptien, n'est pas extrêmement lumineux... L'avancée du processus dépend des présidents de région. Ils annoncent avoir recruté du personnel pour accélérer le passage des dossiers papier dans les systèmes d'information. Si vous pouvez nous aider, ce sera bon pour vos territoires et pour notre négociation ! Difficile de défendre une enveloppe qui, pour l'instant, est payée à 6 % et programmée à 15 %...
Nous poussons à la création de ressources propres avec beaucoup d'intérêt, car nous pensons que l'Union européenne ne peut pas se financer uniquement sur les contribuables et les budgets nationaux. Cela peut être un impôt sur le plastique, sur le carbone, une taxe sur les transactions financières, voire même un prélèvement sur l'impôt sur les sociétés. La France n'est pas seule, et nous travaillons avec d'autres États membres : il serait bon d'avoir plus de ressources sans peser sur les déficits et les équilibres budgétaires nationaux.
Comment aider les Britanniques face au Brexit ? Nous sommes français, ils sont britanniques, et l'ingérence n'est pas notre culture : ce n'est pas de notre ressort. Pour autant, notre discours doit faire la part des choses entre un gouvernement et un peuple. Beaucoup d'entités au Royaume-Uni ne souhaitent pas rompre les liens. Il y a eu une décision politique, et c'est au peuple britannique de choisir comment elle sera mise en oeuvre : il peut y renoncer, la mettre en oeuvre de manière ordonnée, de manière brutale... Nous, nous devons avoir une parole forte sur la relation future que nous aurons à construire, car le Royaume-Uni ne va pas se déplacer dans l'océan Atlantique !
Pour incarner l'Europe, nous cherchons quelqu'un qui ait les épaules, l'énergie, l'envie de porter un projet. Ce ne doit pas être cinq ans d'enterrement mais de renouveau, en ligne avec le projet de renaissance qu'a porté le Président de la République. Il ne s'agit pas de rêver béatement d'un rebond, mais de souscrire à la nécessité de renforcer la souveraineté européenne pour défendre nos valeurs.
L'enjeu linguistique est majeur, même si parler français n'est pas une condition suffisante. Dans les institutions européennes, je m'exprime systématiquement en français dans les cercles officiels, comme d'ailleurs tous les ministres du Gouvernement. Beaucoup de mes homologues, d'ailleurs, m'expriment leur regret de ne pas pouvoir parler davantage français, langue qu'ils maîtrisent partiellement. Bref, ce n'est pas un combat perdu. Il n'y a pas qu'une seule langue officielle dans l'Union.
Vous m'interrogez sur l'Europe puissance : avons-nous un marché trop ouvert ? Le basculement asiatique potentiel de la Russie aura-t-il des conséquences sur notre développement économique ? Protéger nos actifs stratégiques, être capable d'imposer une forme de réciprocité dans nos échanges, intégrer dans nos tarifs douaniers une part liée aux normes environnementales et sociales, ce n'est pas se fermer, c'est reconnaître qu'il faut construire des équilibres. Le commerce apporte des bienfaits, mais nous devons prendre des précautions, avec lucidité.
Sur l'accord avec le Mercosur, notre Président, le Président polonais, le Premier ministre belge et le Taoiseach irlandais ont écrit hier à Jean-Claude Juncker une lettre rappelant les exigences initiales de ce mandat commercial : les quotas, les normes, le respect de l'accord de Paris... Nous savons qu'il y aura des avantages commerciaux à ouvrir les exportations européennes vers l'Amérique du Sud, mais nous savons aussi qu'il y a des menaces. Il est intéressant de voir ces quatre chefs d'État et de gouvernement écrire au président de la Commission pour lui rappeler ses obligations. Il faut de l'équité et une forme de réciprocité.
Sur les migrations, vous connaissez la forte mobilisation franco-allemande. Il faut réviser Schengen, recréer de la responsabilité aux frontières extérieures et de la solidarité à l'intérieur, autour d'un droit d'asile unifié. Schengen a été signé il y a exactement 34 ans. Il comporte deux jambes : moins de contrôles aux frontières intérieures et plus de fermeté aux frontières extérieures. Au fond, la deuxième n'a jamais avancé avec la même vigueur que la première. En cas de crise et d'afflux de réfugiés et de migrants, ce système devient dysfonctionnel. Nous ne voulons aucun quota de réfugiés, mais nous devons nous organiser beaucoup mieux pour que le droit à la protection soit un droit effectif. Il n'est pas normal que ceux qui ont droit à la protection ne la reçoivent que deux ou trois ans après leur demande, simplement parce que nous n'arrivons pas à nous organiser, parce que nos systèmes sont trop différents. Des demandes sont faites dans différents pays en parallèle, il y a une forme d'engorgement... Nous devons reprendre nos responsabilités, nous montrer solidaires, et entendre les pays qui ne souhaitent pas accueillir de migrants. Il est difficile de définir l'identité si on ne sait pas où elle s'arrête.
Comment limiter la réglementation parfois excessive générée par les fonctionnaires et qui parfois décourage de l'Europe ? En ayant un Parlement européen au clair sur le fait que sa fonction n'est pas de faire des normes mais d'apporter des résultats aux citoyens, en évitant les sur-transpositions et en concentrant l'activité là où il y a le plus de valeur ajoutée européenne.
Faut-il revenir sur les listes transnationales, alors que le paysage politique européen a été bouleversé ? Cela aurait le mérite de la clarté et celui de faire vivre le projet européen dans sa dimension transnationale. Il ne s'agit pas d'un projet fédéral mais d'un projet qui respecte à la fois les États-Nations et la voix des citoyens dans leur diversité.
Sur les Balkans, j'ai entendu des choses qui ne sont pas exactes. M. Bonnecarrère nous félicite d'avoir obtenu un report. La France n'a pas obtenu un report : elle a pris acte du fait que, le Bundestag ne s'étant pas prononcé, il était impossible de statuer sur le fond. Dans ce débat, la France fait son travail : nous analysons le rapport de la Commission point par point ; nous regardons si les critères ont été remplis ; nous essayons de comprendre si le niveau d'exigence que nous avions fixé l'année dernière a été atteint ; nous essayons de voir quelles sont les conditions à fixer aux pays qui souhaitent entrer dans la négociation. Nous n'avons rien obtenu. Il est important, d'abord, que le Bundestag se prononce. C'est alors que nous statuerons sur le fond. Les pays des Balkans ont une perspective européenne, comme cela a toujours été dit. Mais le contexte est aussi très clairement énoncé. Il y a des critères qui doivent être remplis pour que les négociations puissent s'ouvrir. Les critères ont été fixés. La Commission nous dit qu'ils ont été remplis pour l'Albanie et la Macédoine du Nord. Nous menons nos propres analyses et, sur certains points, nous pensons que la mise en oeuvre des réformes que nous avons demandées n'est pas totale. Nous avons des échanges très ouverts avec les dirigeants de ces pays. L'essentiel, c'est que les classes moyennes, les classes moyennes supérieures et les jeunes de ces pays puissent y rester parce qu'ils y voient un avenir. Nous ne construirons pas une dynamique prospère, équilibrée, démocratique, si ces pays ne conservent pas leurs forces vives. La perspective européenne est un levier, mais elle n'est pas le seul. Nous aurons à Poznan, les 4 et 5 juillet, toutes les réunions du processus de Berlin, tout aussi importantes : l'important à court terme est notre capacité à offrir des infrastructures, des partenariats, des échanges universitaires - bref, les bonnes raisons pour que les forces vives de ces pays y restent.
Nous ne sommes pas seuls à vouloir une Europe souveraine, notamment vis-à-vis de la Chine et face aux menaces internationales. Sur les questions de défense, de sécurité et d'économie, il faut que nous soyons plus souverains, en sortant des conceptions historiques de la souveraineté : il s'agit d'une manière de conserver une forme d'autonomie du jugement, d'avoir une voie qui nous est propre, de porter des combats qui sont les nôtres et d'être respectés.
La conditionnalité dans le cadre financier pluriannuel est l'un de nos objectifs : la convergence ne s'achète pas, mais l'ensemble des politiques européennes doivent être cohérentes. On ne peut pas vouloir une charte forte sur les droits sociaux, créer un salaire plancher et constater que certains pays continuent de pratiquer le dumping social.
Sur la zone euro, il y aura lors du sommet de vendredi des clarifications et, j'espère, de l'ambition. Ce qui a été négocié était très difficile à obtenir ! On peut considérer que ce n'est pas assez, mais il faut déjà reconnaître que la création de cette enveloppe, sur la base de 19 pays, pour soutenir notre convergence et notre compétitivité, est un beau résultat.
Pour dépasser la fracture Est-Ouest sur l'écologie, il faut montrer qu'il ne s'agit pas d'un hobby de bobos occidentaux mais bien d'une manière de relocaliser des emplois et de créer des économies durables. L'économie circulaire, c'est à la fois bon pour la planète, bon pour l'emploi et bon pour notre pouvoir d'achat. Il faut sortir d'une vision punitive. Si notre discours est perçu par certains pays comme un frein à leur convergence, nous n'y arriverons pas. Nous veillons, avec nos ambassadeurs au sein de l'Union européenne, à ne pas passer pour des apôtres idéologues mais à suivre les réalités des besoins des populations des différents pays.
M. Bocquet dit que les nationalistes et les eurosceptiques progressent partout. Ils ne progressent que dans deux cas de figure : en France, ils restent premiers ; en Hongrie, en Pologne et en Italie, ils ont fortement progressé, ce qui déconstruit d'ailleurs en partie la doctrine selon laquelle, quand les populistes arrivent au pouvoir, ils désillusionnent rapidement leurs électeurs. Il y a là une alerte que nous prenons très au sérieux. La meilleure réponse est dans les résultats concrets pour la vie quotidienne des citoyens.
Quand, le 28 mai dernier, les chefs d'État et de gouvernement ont chargé Donald Tusk de travailler en dialogue étroit avec les différentes délégations du Parlement européen, c'est bien pour éviter que le Conseil annonce ses candidats et découvre ensuite qu'ils n'ont pas de majorité au Parlement. Le principe de la double majorité nous oblige à travailler ensemble. Et nous avons de nombreux échanges avec les groupes parlementaires. Cet équilibre est typique de la construction européenne, qui n'est pas un État fédéral.
Sur la fraude fiscale, j'entends votre appel à approfondir notre action. Ce qui a été fait sur la liste des paradis fiscaux est déjà un grand pas. La loi française sur la lutte contre la fraude fiscale comporte des dispositions intéressantes, notamment sur les mécanismes d'optimisation, qui doivent être maintenant connus du Fisc pour repérer d'autres personnes qui auraient pu en bénéficier.
Aucun pays n'a de monopole sur la politique de la BCE, dirigée collégialement par un collège des gouverneurs. D'ailleurs, vu la situation de l'inflation et le niveau des taux français à dix ans, je ne crois pas que les conditions économiques soient réunies, ni en France ni en Allemagne ni ailleurs, pour une remontée des taux.
Enfin, le Brexit ne dispense en aucun cas le Royaume-Uni de ses obligations dans le cadre des traités. S'il ne les honorait pas, ce serait un manquement caractérisé, vis-à-vis des instances internationales mais aussi des organismes privés. C'est un constat. Les agences de notation, les prêteurs, les marchés financiers en tireraient les conséquences.. À Londres, j'ai rencontré de nombreux acteurs politiques conscients du risque qui pèse sur la souveraineté de leur pays.
Enfin, le conseil des gouverneurs de la BEI qui s'est tenu vendredi 14 juin a doublé les crédits consacrés au climat et prévu une augmentation de capital associée à la création d'une filiale spécifique pour le climat. Ces décisions sont de nature à lever les doutes. La BEI s'appuie à la fois sur les banques privées et les structures comme la Caisse des dépôts et consignations, qui soutient la transition écologique dans les territoires à travers les infrastructures et la mobilité. Voilà un embryon de ce que sera la future Banque européenne du climat.
M. André Gattolin. - Je ne suis pas certain qu'un accord sur la composition de la commission soit annoncé dès le 21 juin. Êtes-vous optimiste à ce sujet ?
M. Benoît Huré. - Merci, Madame la Ministre, de nous avoir consacré ce temps d'échange. Je suis aussi rassuré par votre présentation que par votre vision des choses, et heureux de vous entendre expliquer que la banque européenne du climat sera une branche à part entière de la BEI. Quelle que soit la configuration, le plus important est le montant des crédits.
Vous avez également évoqué la sous-consommation des crédits européens. Nous avons justement constitué au Sénat une mission d'information, dont je suis membre, sur cette thématique. Nous rendrons notre rapport au mois d'octobre. L'utilisation des différents fonds est variable. Je pense que ces compétences ont été transférées quelque peu précipitamment aux régions, qui n'ont pas toujours l'expertise nécessaire. Une explication réside dans le fait qu'elles ont dû se restructurer dans leur nouveau périmètre. Quoi qu'il en soit, le véritable bilan doit être fait à l'année n+3.
M. Pascal Allizard. - Merci pour la qualité de cet échange. Il est vrai qu'aucun des pays membres de l'euro ne peut peser sur le niveau des taux d'intérêt, mais il y a des acteurs extérieurs comme la Chine, la Russie ou les États-Unis... La faiblesse de l'euro ne risque-t-elle pas de pousser l'administration américaine à demander des mesures pour réajuster le niveau de la monnaie européenne ?
Mme Amélie de Montchalin, Secrétaire d'État. - Je suis heureuse de constater que vous connaissez la difficulté des discussions européennes... J'invite tous les mois les membres des commissions des affaires européennes des deux assemblées à échanger de manière transpartisane sur ces thématiques. Je tiens à ces échanges informels et compte sur votre capacité de relais. Les questions européennes sont complexes, mais pas inintelligibles.
Serons-nous prêts dès le vendredi 21 juin ? Je l'ignore, en revanche le calendrier est bien établi : le Parlement européen s'installe le 2 juillet et désigne son président, puis élit le président de la commission le 16 juillet. Nous sommes donc contraints de nous mettre d'accord avant. Le pire serait de s'entendre sur une personnalité, mais dans une tension telle qu'une partie des États ne la considèrerait pas comme légitime. Le consensus est indispensable, car l'Europe grandit par le compromis.
La France n'a pas de candidat, mais des exigences et des critères sur le fond. La France a posé ses conditions, qui portent avant tout sur le contenu et le projet : la capacité à porter une renaissance européenne. S'il faut que les chefs d'État se réunissent une nouvelle fois pour s'entendre, ils le feront.
Je suis heureuse que vous ayez constitué une mission d'information sur la sous-utilisation des fonds européens. La Cour des comptes a remis à la commission des finances de l'Assemblée nationale un bilan de la gestion de ces fonds par les régions. Il apparaît que le Feder (Fonds européen de développement régional) est bien utilisé, en revanche nous constatons des difficultés sur le fonds Leader et le Feamp (Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche). Je vous invite à en discuter avec les élus de vos territoires. Votre travail m'intéresse beaucoup, et j'écouterai vos préconisations. La question de l'utilisation des fonds européens est traitée en étroite collaboration entre le ministère des affaires européennes, le ministère de la cohésion des territoires et le Commissariat général à l'égalité des territoires, sous la houlette du Premier ministre. Le Secrétariat général des affaires européennes, rattaché au Premier ministre, assure un suivi mensuel de la montée en charge des financements.
Les puissances étrangères peuvent en effet intervenir sur la parité des taux de change : c'est un risque, mais nous sommes impuissants à le prévenir. En revanche, le Président de la République, lors du G20 de Tokyo la semaine prochaine, aura des discussions approfondies sur ce qui peut encourager ces comportements : les relations commerciales, des déficits de financement et de compétitivité. Je n'ai pas le pouvoir de définir le meilleur équilibre euro-dollar. Le taux de change peut, en fonction de son niveau, nous aider à exporter, ou à contenir l'inflation.
M. Jean Bizet, président. - Merci de la densité, de la précision et de la clarté de vos réponses.
Je ne reviendrai pas sur la consommation des fonds européens. Le groupe Les Indépendants a adressé un courrier à ce sujet aux présidents de région. La présidente et la rapporteure de la mission d'information sur ce thème sont membres de la commission des affaires européennes. Elles pourraient nous présenter une restitution de leurs travaux à laquelle je me propose de vous inviter.
Concernant la PAC, sur laquelle nous avons rédigé trois propositions de résolution et un document en quatre pages, nos conclusions diffèrent des vôtres. Le différentiel ne se chiffre pas en quelques milliards d'euros : il est encore plus important. Si nous nous félicitons de l'accompagnement à l'installation des jeunes agriculteurs, de l'inclusion d'un volet recherche et développement et des mesures de simplification, nous craignons une renationalisation rampante et des distorsions de concurrence potentielles. En effet, l'Union européenne semble ne plus considérer la politique agricole comme stratégique, alors que ces États-continents que sont les États-Unis, la Chine, l'Inde et le Brésil y consacrent des fonds de plus en plus importants. Mais nous ne demandons qu'à être convaincus... Le Sénat, représentant des territoires, y est extrêmement attentif. L'Union européenne a, en une décennie, perdu quatre places au classement des exportateurs de biens agro-alimentaires.
Peut-être me suis-je mal exprimé sur l'élargissement : il n'est pas dans l'ADN de l'Union européenne en tant que tel mais c'est bien la sécurité et la prospérité qui le sont. Il convient de répondre aux sollicitations des pays des Balkans, faute de quoi leur jeunesse émigrera en masse et ils s'appauvriront.
Il faudra aussi trouver une place, demain, pour le Royaume-Uni qui, au point de vue géologique, sera toujours là... Je l'ai dit hier à la Chambre des Lords et, en privé, à son speaker Lord Fowler. Je suis favorable au concept de premier de cordée, mais certains pays ne veulent pas entendre parler d'une Europe à cercles concentriques. Il faudra bien, pourtant, constituer une Europe avec des niveaux d'intégration et de convergence diversifiés.
Concernant Schengen, je partage votre avis, Madame la Ministre : chaque époque a ses vérités. Je regrette que sept États membres aient usé des clauses de sauvegarde, la vocation de Schengen étant de créer un espace de libre circulation. Néanmoins, il n'est pas normal qu'il soit possible de déposer plusieurs demandes d'asile au sein de cet espace. Nous n'avons jamais trouvé de solution pertinente sur ce point.
Enfin, sans nécessairement aller jusqu'à un Smic européen, nous avons besoin d'un socle européen des droits sociaux ou d'une charte des droits sociaux - la sémantique est à peaufiner. L'Europe ne prospèrera que dans la cohésion sociale. Ma position sur ce point a évolué en raison des crispations que nous constatons dans nos sociétés, en France et ailleurs. Le Président de la République irlandaise, avec qui le président Larcher et moi-même nous sommes récemment entretenus lors d'un déplacement à Dublin, nous a délivré un message en faveur de la cohésion européenne.
M. Ladislas Poniatowski. - Jean Bizet a engagé depuis de longs mois un travail considérable sur le Brexit, organisant des auditions et des déplacements. Observant de très près la politique intérieure anglaise, je suis très pessimiste : le prochain Premier ministre nous est déjà connu. Les parlementaires anglais que nous avons rencontrés hier nous ont confirmé que Boris Johnson figurerait parmi les deux candidats désignés par la Chambre des communes, et qu'il l'emporterait auprès des militants. Nous risquons donc, sous peu, d'avoir un mini-Trump aux Royaume-Uni.
La réunion est close à 16 h 55.