- Jeudi 7 mars 2019
- Transports - Travailleurs détachés dans le secteur des transports : rapport d'information, proposition de résolution européenne et avis politique de Mme Fabienne Keller et M. Didier Marie
- Institutions européennes - Suivi des résolutions européennes, des avis motivés et des avis politiques : rapport d'information de M. Jean Bizet
- Questions diverses
Jeudi 7 mars 2019
- Présidence de M. Jean Bizet, président -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Transports - Travailleurs détachés dans le secteur des transports : rapport d'information, proposition de résolution européenne et avis politique de Mme Fabienne Keller et M. Didier Marie
M. Jean Bizet, président. - Nous revenons ce matin sur un sujet que notre commission suit attentivement et depuis longtemps : le détachement des travailleurs, question particulièrement délicate dans les transports.
L'ampleur de la fraude permise par le détachement des travailleurs reste un sujet de préoccupation important pour notre pays, dont le régime de protection sociale des travailleurs est plus exigeant que celui de nombreux autres États membres. Cette fraude est particulièrement délicate à appréhender dans le secteur des transports, dont les travailleurs sont non seulement détachés mais aussi mobiles, ce qui rend difficile l'application de règles européennes.
La Commission a proposé l'an dernier un encadrement spécifique du détachement pour les chauffeurs routiers. Notre rapporteure Fabienne Keller va nous présenter les récentes avancées obtenues au Conseil en ce domaine, qui devraient permettre de juguler le phénomène de cabotage permanent et éviter le contournement des règles par le recours à des camionnettes de moins de 2,5 tonnes qui échappent aujourd'hui aux règles en vigueur.
Didier Marie abordera ensuite la problématique spécifique du transport aérien, qui donne aussi lieu à de nombreuses fraudes. Par exemple, le recours à de faux indépendants sert à échapper aux règles sociales applicables dans le pays abritant la base d'exploitation des pilotes. Là aussi, la Commission a pris des initiatives, mais elles semblent trouver peu d'écho.
Mme Fabienne Keller, rapporteure. - Nous vous avions déjà présenté un rapport détaillé l'année dernière, visant la révision de la directive de 1996 sur le détachement des travailleurs.
L'adoption en juin 2018 de la directive modifiant celle de 1996 a constitué une première étape en vue d'une meilleure protection des travailleurs, y compris ceux du secteur du transport. Le recours massif au détachement depuis 2010 avait en effet biaisé sa perception pour en faire un synonyme de concurrence déloyale, contribuant à la disparition de certaines filières professionnelles dans les pays d'accueil.
Le Sénat, à l'initiative de notre commission, a multiplié ces dernières années les prises de position sur ce sujet pour dénoncer les cas de fraude et appeler à des réformes d'ampleur visant tout à la fois le droit du travail et le droit de la sécurité sociale : notre but est de permettre au dispositif du détachement de redevenir le symbole d'une Europe qui protège. Rappelons par ailleurs que 125 000 Français bénéficient de ce dispositif pour exercer un emploi à travers l'Union européenne.
Les salariés du secteur du transport se trouvent dans une situation particulière à l'égard du régime du détachement. Travailleurs par essence mobiles, ils sont au premier chef concernés par l'application des normes du pays d'accueil et le maintien d'une affiliation au régime de sécurité sociale du pays où leur entreprise est établie, si tant est qu'elle y exerce une véritable activité. Reste que le caractère éphémère ou volatil de leur activité fragilise une application pleine et entière de la réglementation européenne afférente. D'autant que cette réglementation peut s'avérer peu claire.
Abordons tout d'abord le cas du transport routier de marchandises. La modification de la directive de 1996 concernant le détachement des travailleurs, approuvée en juin 2018, renvoie à une lex specialis le soin de préciser les modalités d'application du régime du détachement au secteur du transport routier, intégrée dans le paquet Mobilité I qui contient également des projets de révision des normes européennes afférentes au temps de conduite et au cabotage. Nous avions pris position l'an dernier sur les propositions de la Commission, dénonçant leur manque de clarté et le fait qu'elles représentaient un danger pour nos entreprises, déjà peu compétitives. Il y a pourtant urgence à intervenir, tant la fraude sociale est importante dans ce secteur, comme nous le détaillons dans le rapport.
Le compromis obtenu au Conseil le 6 décembre dernier sur le paquet Mobilité I va dans le bon sens et rejoint nos orientations. Le régime du détachement sera appliqué systématiquement aux opérations de cabotage, avec des dérogations ciblées pour le transport international : les activités complémentaires de chargement ou de déchargement sont limitées en nombre à l'aller et au retour - une à chaque fois, ou deux à l'aller, ou encore deux au retour - à condition qu'elles soient réalisées entre deux pays traversés et que le véhicule soit équipé du chronotachygraphe numérique de deuxième génération qui permet de géolocaliser les camions. Il convient de rappeler, à ce stade, que la législation française prévoit une application du régime du détachement dès le premier jour d'entrée sur le territoire national.
Le déploiement du chronotachygraphe serait opéré au sein des flottes opérant à l'international en 2022 pour les nouveaux véhicules et avant le 31 décembre 2024 pour les autres.
Afin de lutter contre le phénomène de cabotage permanent, le compromis prévoit la mise en place d'une carence de cinq jours après une période de cabotage, la durée du cabotage restant limitée à sept jours et le nombre d'opérations à trois. Les véhicules utilitaires légers (VUL) de plus de 2,5 tonnes sont également ciblés par ces règles, au terme d'une période de transition de deux ans. Le recours à ces camionnettes pour échapper aux règles européennes est de plus en plus fréquent.
Le cabotage sera, par ailleurs, mieux encadré par la révision des normes en matière de temps de travail. Le Conseil souhaite ainsi instaurer un droit au retour dans le pays d'établissement de l'entreprise ou au domicile du chauffeur toutes les quatre semaines.
Le Parlement européen reste, de son côté, divisé. La commission transports n'a adopté, le 10 janvier 2019, que le rapport consacré au cabotage, rejetant les rapports visant le détachement et les temps de conduite. Les trois rapports avaient déjà été rejetés en plénière en juillet dernier. Un nouveau vote est prévu dans les prochains jours. Les équilibres en présence au Parlement européen, moins politiques que nationaux, rendent difficile tout pronostic quant à une adoption.
On peut donc s'interroger sur le choix de la Commission européenne de présenter aussi tardivement des textes - trois ans après le début de son mandat - sur un sujet aussi sensible. La proximité des élections européennes donne une caisse de résonance à ces sujets dans les principaux pays concernés et suscite des crispations. Nous en venons à craindre une adoption des textes sans que la cohérence du paquet soit respectée, rendant illusoire toute possibilité d'atténuer les formes de concurrence déloyale constatées et fragilisant les tentatives de contrôle. À l'inverse, l'absence d'accord pourrait laisser la faculté à la prochaine Commission européenne de travailler sur un véritable statut du travailleur hautement mobile européen, qui intègrerait bien évidemment les chauffeurs routiers. Cette démarche ambitieuse implique une réflexion combinant droit du travail, fiscalité et droit de la sécurité sociale.
Une réflexion doit être engagée sur le mode de rémunération des chauffeurs en veillant, bien évidemment, à respecter le principe de subsidiarité. Il ne s'agit pas de proposer pour l'instant une harmonisation des taux de charges sociales mais plutôt de parvenir à définir une assiette de prélèvement commune à tous les États membres.
Si le paquet Mobilité I venait à ne pas être adopté, les transporteurs ne se trouveraient pas, pour autant, confrontés à un flou juridique puisque, comme je l'ai indiqué plus haut, la directive du 28 juin 2018 prévoit expressément que le régime du détachement s'applique aux chauffeurs routiers. Cette directive n'entrera en vigueur que le 30 juillet 2020. La législation française qui prévoit que les normes en matière de détachement des travailleurs s'appliquent dès le premier jour d'entrée sur le territoire apparaît, en attendant, difficilement contestable.
M. Didier Marie, rapporteur. - Le 2 octobre 2018, les ministres des transports d'Allemagne, de Belgique, du Danemark, de France, du Luxembourg et des Pays-Bas ont signé un appel à la mise en place d'un agenda social dans l'aviation, afin de garantir des conditions de travail équitables et appliquer de façon cohérente les droits sociaux existants. Il s'agit notamment d'encourager l'application, au niveau international, de principes de concurrence loyale ainsi que des conventions fondamentales de l'Organisation internationale du Travail (OIT). La Commission européenne n'a pour l'heure rien proposé en la matière. Sa stratégie pour l'aviation présentée en décembre 2015 mériterait d'être en effet complétée en matière sociale.
Depuis 2012, les personnels navigants des compagnies aériennes sont rattachés au régime de sécurité sociale de l'État au sein duquel se trouve leur base d'affectation - je pourrai revenir si vous le voulez sur la définition de cette notion. Si la base d'affectation constitue une référence en matière de sécurité sociale, elle ne possède pas, cependant, d'équivalent au niveau européen en matière de droit du travail. La France a élaboré de son côté la notion de « base d'exploitation » en 2006. Celle-ci est définie comme un ensemble de locaux ou d'infrastructures à partir desquels une entreprise de transport aérien exerce de façon stable, habituelle et continue son activité. Ce lieu constitue le centre effectif de l'activité professionnelle des salariés de ladite entreprise : ils y travaillent, y prennent leur service et y retournent après l'accomplissement de leur mission. C'est donc cette base d'exploitation qui détermine le droit du travail applicable.
La dérégulation complète du secteur du transport aérien et l'émergence des compagnies low cost ont coïncidé avec un contournement des règles relatives à la base d'affectation et permis de réduire les coûts. Ces stratégies contribuent, là encore, à créer les conditions d'une concurrence déloyale entre les compagnies nationales et les nouveaux opérateurs. Le rapport présente l'incidence pour Air France en termes de points de chiffres d'affaire.
Dans un secteur où les marges sont réduites, l'impact des charges sociales est direct sur la compétitivité de l'offre et la capacité de la compagnie à défendre ou gagner des parts de marché.
Le principal biais observé en matière de fraude consiste à décorréler la base d'affectation - lieu de versement des cotisations sociales - du lieu de mise en place des équipages. D'autres techniques existent, comme le recrutement de faux indépendants, qui représentent environ 70 % des équipages de Ryanair. Vueling et Easyjet ont pour leur part été condamnées en France pour le recours à de faux détachements. La pratique du « Payer pour voler » est toujours mise en oeuvre dans certaines compagnies aériennes, établies notamment en Europe de l'Est. Elle consiste à imposer aux pilotes de payer les qualifications techniques nécessaires pour piloter les avions sur lesquels ils sont affectés.
À la lumière de ces observations, nous estimons indispensable que la base d'exploitation soit la référence pour l'application du droit du travail aux salariés des compagnies aériennes, en prenant notamment appui sur la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne. Il convient également de parvenir à un encadrement européen du statut d'indépendant afin d'éviter les fraudes. Enfin, dans ce secteur, comme dans celui du transport routier, la mise en place d'un régime européen du travailleur hautement mobile est urgente. Il garantira un niveau élevé de protection sociale, une mobilité sûre et durable et la fin des distorsions de concurrence.
Reste qu'au-delà de l'adoption de nouveaux textes censés clarifier le droit existant secteur par secteur, il convient de parvenir à un renforcement de la coopération administrative entre les États d'envoi et d'accueil des salariés détachés, afin de traiter rapidement les cas de fraude au détachement et d'éviter la mise en place de stratégies durables d'optimisation sociale.
Nous avions mis en avant deux pistes l'an dernier pour rendre la lutte contre la fraude au détachement plus efficace en allant au-delà de la simple coopération administrative : la sécurisation du certificat de détachement A1 et l'appui au projet de la Commission européenne de création d'une Autorité européenne du travail. Mais les négociations entre les législateurs sur ces questions n'ont pas permis pour l'heure d'aboutir à des réponses pleinement satisfaisantes.
S'agissant des certificats, qui s'imposaient jusqu'à présent aux autorités du pays d'accueil, la jurisprudence récente de la Cour de justice de l'Union européenne devrait aider la France à les contester : l'arrêt Altun de février 2018, confirmé quelques mois plus tard, laisse la porte ouverte à une contestation rapide en cas de fraude avérée. Il faudrait maintenant oeuvrer à une codification de cette jurisprudence afin que ce certificat soit plus rapidement déqualifié, dès lors qu'il existe des doutes sérieux quant à la réalité de l'affiliation du salarié détaché au régime de sécurité sociale du pays d'établissement. Cette codification ira de pair avec la création d'un numéro de sécurité sociale européen. La révision en cours des règlements de coordination de sécurité sociale constitue une occasion, que les législateurs n'ont malheureusement pas saisie.
S'agissant du projet de règlement de la Commission européenne instituant une Autorité européenne du travail, le compromis obtenu entre le Conseil et le Parlement européen le 14 février dernier apparaît plus que timide. L'Autorité aura pour tâches principales d'informer les citoyens et les entreprises de leurs droits et devoirs dans des situations transfrontières et de faciliter l'échange d'informations entre les États membres en mettant en contact dans un même lieu des agents de liaison, comme le fait Europol. Elle devrait coordonner et faciliter des inspections conjointes - à la demande des États membres - dans une situation transfrontalière en cas de fraude, d'abus et de travail au noir. Elle jouera également un rôle de médiation en cas de litiges entre deux États membres. L'Autorité n'aura donc qu'un rôle facultatif. La création de l'Autorité ne remet pas en cause l'existence de la Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale, où peuvent être contestés les certificats A1 mais dont le mode de fonctionnement est régulièrement remis en cause, en raison de sa lenteur.
En l'état actuel du dispositif, la création de l'Autorité européenne est donc au mieux un premier pas ; il conviendra d'observer avec vigilance son action dans les mois à venir afin d'évaluer sa véritable utilité. Vous trouverez la plupart de nos observations dans la proposition de résolution européenne qui vous est soumise.
Vous le voyez, nous avons un peu avancé sur le transport routier, mais nous sommes loin du compte concernant le transport aérien.
M. Jean Bizet, président. - Merci à nos deux rapporteurs. Nous devons nous placer dans le temps long, et non juger la directive détachement à l'aune de 1996. Un certain nombre de pays d'Europe centrale et orientale jugent qu'ils ont un avantage comparatif grâce au décalage des modèles sociaux. Il faut aller vers plus de convergence des droits sociaux et lutter contre la fraude. Je suis surpris qu'au moment où les pays membres affichent une très belle unité dans le dossier du Brexit, on n'en profite pas pour rediscuter ces questions avec l'Irlande, qui continue à faire du dumping social et fiscal.
Pour le transport aérien, les progrès sont plus lents. Il y a eu des accords entre l'Union et les compagnies du Golfe, qui bénéficient d'aides d'État...
M. André Reichardt. - Merci de ce point d'étape sur un dossier qui mérite d'être suivi. Je regrette comme vous que cela avance si lentement, d'autant plus que le sujet sera d'actualité lors des élections européennes. Comme plusieurs collègues présents, je suis sénateur d'un département frontalier, où tout ce qui concerne le transport routier est regardé de près. L'Alsace est traversée du Nord au Sud par un trafic très important.
Toute règle ne fonctionne que si son application est contrôlée. Y a-t-il des contrôles et combien ? J'ai l'impression qu'il y a une fois de temps en temps des opérations coup de poing qui mettent en lumière les problèmes - ce qui ne fait que nourrir les mécontentements - et puis on n'en entend plus parler.
M. Pierre Cuypers. - Les nouveaux chronotachygraphes sont nécessaires aux contrôles.
Mme Fabienne Keller, rapporteure. - Merci de rappeler l'enjeu spécifique de l'Alsace, où la circulation de camions augmente de manière exponentielle. Comme il y a un péage en Allemagne, et que les deux autoroutes sont distantes de quelques kilomètres, les poids-lourds qui veulent circuler entre Karlsruhe et Bâle passent massivement côté français. Nous avons ainsi parfois deux files de camions !
M. André Reichardt. - Un mur !
Mme Fabienne Keller, rapporteure. - Tout à fait. Nous avons eu la chance de rencontrer l'Office central de lutte contre le travail illégal, pôle de compétence composé de gendarmes et de fonctionnaires des douanes et de l'inspection du travail, qui fait travailler les gendarmeries, donne des informations sur les montages et coopère avec ses homologues européens. Il nous a impressionnés. On nous a présenté des schémas représentant les circuits de travailleurs détachés démantelés. C'est rassurant. La directive comprend un pourcentage de contrôles obligatoires... Ce qui est sûr, c'est qu'il sera plus facile d'y procéder à partir de 2022 avec le chronotachygraphe numérique de deuxième génération, véritable mouchard, dont la deuxième génération associe mesure du temps de travail et géolocalisation.
M. Didier Marie, rapporteur. - Sur le transport routier, nous devons avoir quatre lignes rouges. Sans revenir sur la liberté de circulation, nous devons nous opposer à la libéralisation du cabotage. Cela fait l'objet d'une divergence entre le Conseil et une partie du Parlement. Le vote du texte a été repoussé au Parlement. Même s'il était voté aujourd'hui, les divergences avec le Conseil font que son adoption définitive prendra du temps. Seule la partie cabotage a été validée par le Parlement.
Deuxième ligne rouge, nous devons refuser la flexibilisation du temps de repos. Troisièmement, nous devons refuser le repos en cabine - les pays de l'Est aimeraient en effet que leurs salariés ne soient pas obligés de rentrer chez eux ou d'aller à l'hôtel. Enfin, nous devons refuser d'exclure le transport routier des règles du détachement.
Les divergences observées ne sont pas politiques mais nationales : les députés des pays où le transport routier est une part importante du PIB - Pologne, Roumanie, Bulgarie - s'opposent à ceux des pays comme la France, où ce secteur s'est effondré.
Il est possible de lutter contre la fraude dès aujourd'hui. L'Office central s'ingénie à démonter des circuits, même si les fraudeurs ont beaucoup d'imagination, à travers la sous-traitance et les fausses domiciliations, pour contourner les règles du détachement. Ce qui manque, ce sont les contrôles sur pièces et sur place, faute d'éléments techniques.
L'Irlande joue ouvertement la concurrence déloyale dans le domaine du transport aérien. Rappelons au préalable que le pilotage d'un avion possède des caractéristiques propres dont la maîtrise du manuel d'exploitation qui vise tout à la fois les caractéristiques techniques d'un appareil et les procédures spécifiques à chaque compagnie. Il ne peut donc exister de pilote indépendant. Or si le droit français interdit aux compagnies d'aviation de procéder au recrutement de pilotes indépendants, le droit irlandais ne prévoit aucune interdiction en la matière, le statut d'indépendant bénéficiant de manière générale d'incitations fiscales. Ce qui offre à Ryanair des avantages en termes de coûts très importants. Un biais pour réduire la portée du recours aux indépendants pourrait être le lancement d'une procédure devant la Cour de justice de l'Union européenne afin de lui faire constater que les incitations fiscales irlandaises peuvent être assimilées à une aide d'État. C'est un vrai sujet à aborder dans les discussions entre États membres, sujet qui pourrait être étendu à d'autres secteurs tel que le numérique.
Les fraudes dans le secteur aérien sont diverses et les compagnies low cost ne manquent pas d'imagination. Ryanair procède à un contournement institutionnalisé des règles grâce au soutien de l'Irlande. Elle a été condamnée, notamment en France. D'autres compagnies, dans les pays de l'Est, mettent en place des techniques incroyables comme le Pay to fly : pour voler sur certaines grandes compagnies, les pilotes ont besoin d'avoir cumulé 1 000 ou 1 500 heures de vol ; les compagnies low cost leur demandent de payer pour atteindre ce quota. Récemment, il y a un peu moins de pilotes disponibles et plus de tension sur le marché du travail, ce qui réduit le phénomène. Mais lisez le rapport, il comporte des exemples savoureux...
M. Benoît Huré. - Au fil des séances de notre commission, nous constatons de fortes distorsions concurrentielles sur le marché européen du travail. Nous présentons des rapports qui préconisent la répression de la fraude. Mais d'un autre côté, on peut comprendre des pays comme la Pologne qui reviennent de loin et ont dû trouver des moyens de nous rattraper.
La tâche devrait être plus facile avec le départ de la Grande Bretagne, qui voulait faire de notre Union européenne une simple zone de libre-échange. Il était difficile avec elle d'oeuvrer pour la convergence, et de réduire la compétition... Mais, comme dans le domaine du développement durable, nous devrions éviter d'être uniquement punitifs. Que proposons-nous à la Pologne comme adaptation pour que les règles communes soient plus cohérentes et mieux respectées ? Nous ne pouvons pas nous cantonner à trouver de meilleurs moyens de contrôle. L'Europe, c'est le temps long, nous dit notre président, et c'est vrai. Mais parfois il faut accélérer car nous sommes rattrapés par le temps...
Mme Fabienne Keller, rapporteure. - Merci pour ces réflexions sur le sens de l'Union européenne. Lors d'une réunion sur le Brexit, j'ai été frappée par deux chiffres : selon Eurotunnel, 40 % des entreprises propriétaires de camions qui circulent entre le Royaume-Uni et la France sont polonaises ; 10 % du PIB Polonais correspond au transport routier - chez nous, ce n'est même pas 1 % ! La Pologne a trouvé là un levier de croissance, alors que pour l'Espagne et le Portugal, c'est plutôt les fruits et légumes ou l'économie générale qui avaient permis la convergence des niveaux de vie. On peut penser que la crise de 2008, très proche dans le temps de l'élargissement, n'a pas permis une imbrication plus grande des économies. Nous avons tous le sentiment que ce modèle de convergence, joignant intégration, libre-circulation, prospérité, aides structurelles, n'a pas été efficace lors du dernier élargissement.
L'absence d'harmonisation de la fiscalité et du droit social est devenue un élément de différenciation. Loin de réduire l'écart dans ces domaines, le temps n'a fait que le creuser. L'Irlande n'a aucune raison de changer : puisqu'elle a réussi à accueillir une base fiscale considérable grâce à cette politique, elle veut la garder. Le Luxembourg, grâce à sa faible taxation, vend quatre fois le volume de gazole consommé sur son territoire ! Un tel décalage devient contraire aux principes généraux de l'Union européenne. Ce n'est pas ce genre de facteurs qui devraient fonder la décision de localisation de la base fiscale. C'est devenu un véritable poison, et nous pouvons dire la même chose sur le droit social. Il faut absolument parvenir à des résultats sur l'assiette consolidée de l'impôt sur les sociétés (Accis) et sur la mise en oeuvre du socle européen des droits sociaux, qui seront au coeur de la campagne électorale européenne. On ne peut pas proposer comme avenir radieux aux nouveaux européens chauffeurs de camions de dormir dans leur camion et de se laver à la station-service, comme nous le voyons en Alsace. Merci à Benoît Huré d'avoir rappelé ce point fondamental pour le sens de l'Union européenne.
M. Benoît Huré. - Ce n'est peut-être pas si difficile que cela à imposer, car les travailleurs dont vous parlez ne peuvent qu'espérer cette convergence. Il faut identifier ceux à qui cela profite et leur donner les moyens de réorienter leur activité, pour que tous jouent dans la même cour.
M. Jean-Pierre Leleux. - En Pologne, l'utilisation de ce levier est une véritable stratégie, qu'il s'agisse du Gouvernement ou des entreprises. Les dirigeants polonais disent ne pas comprendre notre combat pour une harmonisation. Ils soulignent que les entreprises françaises et allemandes bénéficient aussi des avantages polonais. Comment répondre aux arguments de la Pologne ?
M. Jean-Yves Leconte. - Pour avoir utilisé dans ma vie précédente des dizaines de camions par semaine pour importer vers la Pologne, je peux dire que j'ai vu les choses évoluer, petit à petit, dès avant 2004. Le transport routier s'est uberisé plus vite que d'autres domaines, peut-être grâce aux courtiers. Dans les années 1990, les camions repartaient à vide. Le basculement que nous connaissons est à tout le moins bienvenu du point de vue écologique... J'ai toujours été malheureux de ne pas pouvoir recourir au ferroviaire, qui coûtait trois fois plus cher. Pour de la longue distance, c'est aberrant ! Par exemple, du Nord de l'Angleterre vers la Pologne, cela coûte 1 100 euros ; du Sud de la France vers la Pologne, plus de 2 000 euros. On peut réguler les conditions du transport routier dans l'Union européenne avec la directive sur les travailleurs détachés, mais il ne faut pas négliger la concurrence internationale : il y a aussi des acteurs turcs et ukrainiens, qui s'en trouveraient favorisés.
M. Didier Marie, rapporteur. - En page 8, le rapport donne le nombre d'attestations délivrées par la France aux transporteurs de chaque pays, et le nombre de salariés concernés. Pour la Pologne, nous avons délivré 212 767 attestations, pour 171 498 salariés. En multipliant ce type de chiffres par le nombre d'États-membres, on se fait une idée du poids économique en jeu. Pour ces salariés, le revenu est supérieur au salaire moyen de leur pays. Et leurs revendications sociales sont sans doute en-dessous du niveau que nous jugerions nécessaire.
Si la compétitivité des entreprises européennes ne doit reposer que sur leurs coûts salariaux, nous sommes en difficulté - d'où la nécessité d'une convergence fiscale et sociale : il faut traduire en actes le socle européen des droits sociaux entériné au sommet de Stockholm fin 2017.
M. Jean Bizet, président. - Qui n'a aucune valeur juridique...
M. Didier Marie, rapporteur. - Ce ne sont que de bonnes intentions, sur le salaire minimal européen, l'harmonisation des droits sociaux... Pour éviter le délitement de la construction européenne, il faut avancer sur ces sujets.
L'élargissement était nécessaire pour des raisons démocratiques : les dirigeants de l'époque ont eu raison d'arrimer les pays de l'ex-bloc de l'Est au bloc démocratique européen. Mais la culture européenne de ces pays n'est pas la même que la nôtre. Les fondateurs de l'Europe voulaient éviter les déchirements que nous avions connus, et l'ont bâtie sur un socle de fraternité, dans un esprit, à l'origine, fédéraliste. Les pays de l'ex-bloc soviétique, eux, sortaient de décennies de mainmise de l'URSS sur leurs pays. Aussi souhaitaient-ils renouer avec leurs aspirations nationales. Cet antagonisme n'est pas encore dépassé. Il faudra donc travailler à une convergence culturelle.
M. Jean-Yves Leconte. - Elle est à l'oeuvre aujourd'hui.
M. Didier Marie, rapporteur. - Mais pas assez.
M. Jean Bizet, président. - Je me réjouis de la qualité de notre débat, à partir d'un sujet du quotidien. La convergence est nécessaire pour gommer, au fil du temps, les phénomènes de dumping fiscal, social ou environnemental. Je vous propose que nous adoptions le rapport et que nous publiions un communiqué, pour contrer la démagogie qui fleurira à la veille des élections européennes. Ce que les poètes appellent « l'Occident kidnappé » est appelé aussi à s'engager dans la convergence. L'Irlande aussi, dont nous sommes solidaires dans le Brexit, doit comprendre l'esprit de cette convergence, qui est conforme aux valeurs fondatrices de l'Union européenne.
M. Jean-Yves Leconte. - C'est déjà en train de se produire. L'Europe centrale atteint le plein emploi, les salaires augmentent : la convergence arrive. Et ces pays ont compris qu'ils ne pouvaient pas construire leur développement sur le fait d'être le low cost de l'Ouest.
M. Jean Bizet, président. - En effet, et vous êtes mieux placé que nous pour vous en rendre compte. A la veille des élections européennes, il faut le souligner.
La proposition de résolution européenne est adoptée à l'unanimité.
La commission autorise la publication du rapport d'information et adopte l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.
Institutions européennes - Suivi des résolutions européennes, des avis motivés et des avis politiques : rapport d'information de M. Jean Bizet
M. Jean Bizet, président. - Pour la quatrième année consécutive, je vous présente un rapport d'information sur le suivi des positions européennes du Sénat : résolutions européennes, avis motivés et avis politiques. Ce rapport traduit, dans le domaine des affaires européennes, l'attachement de la Haute Assemblée au contrôle des suites données à ses travaux dans le cadre plus général de l'application des lois. Ainsi, je participe désormais de façon régulière, avec les autres présidents de commission, au débat sur le bilan annuel de l'application des lois.
L'année écoulée a vu l'engagement d'une procédure expérimentale qui s'inscrit dans la problématique générale de la lutte contre la sur-transposition. La Conférence des Présidents a en effet décidé que notre commission formulerait des observations sur les projets ou propositions de loi contenant des dispositions permettant l'intégration en droit national du droit de l'Union européenne. Cette procédure expérimentale a été mise en oeuvre, jusqu'à présent, à cinq reprises, sur : le projet de loi relatif à la protection des données personnelles ; le projet de loi ratifiant l'ordonnance du 9 août 2017 transposant la directive de 2015 sur les services de paiement dans le marché intérieur ; la proposition de loi transposant la directive sur le secret des affaires ; le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises (Pacte) ; le projet de loi d'orientation des mobilités. La pérennisation de cette procédure donnera plus de visibilité encore à notre commission.
Mon rapport présente un bilan de la prise en compte et de la mise en oeuvre des différentes positions européennes adoptées par le Sénat, entre le 1er octobre 2017 et le 30 septembre 2018.
Comme l'année dernière, je souligne la très grande qualité des informations contenues dans les fiches de suivi que nous adresse le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) sur les résultats des négociations. Nous en avons reçu dix-huit cette année. Comme l'année dernière, je souhaiterais que le SGAE, à l'avenir, nous transmette ses fiches de suivi de façon plus régulière, et plus seulement sur demande, quelques semaines avant l'examen de ce rapport, afin que la procédure devienne véritablement banalisée et que notre dialogue avec le Gouvernement soit fluide et permanent. Il y a quatre ans, lorsque nous avons mis cette procédure en place, le SGAE a marqué une certaine réticence, mais, avec le temps, nous avons réussi à établir un partenariat.
Je vous rappelle également l'audition très intéressante de Nathalie Loiseau, le 20 février dernier, qui comportait un débat interactif auquel de nombreux collègues ont participé. Cette audition a aussi constitué pour notre commission l'occasion d'une riche discussion politique, en particulier sur la PAC et la politique régionale. Je considère que cet exercice constitue désormais un moment incontournable du contrôle parlementaire de l'action gouvernementale en matière européenne.
Entre le 1er octobre 2017 et le 30 septembre 2018, le Sénat a adopté dix-huit résolutions européennes, soit le même nombre que l'année précédente. Sur ces dix-huit résolutions, douze sont issues d'une proposition de résolution de notre commission, cinq d'une initiative d'un ou plusieurs de nos collègues et une du groupe de travail commun à notre commission et à celle des affaires économiques sur l'avenir de la PAC. Neuf résolutions ont donné lieu à un rapport d'information de notre commission et cinq à un rapport d'une commission permanente. Douze ont également fait l'objet d'un avis politique adressé à la Commission et deux ont même été l'occasion d'un débat en séance publique, sur les accords de libre-échange et la préservation de la PAC.
Quant aux avis motivés, le Sénat en a adopté 30 depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, dont quatre au cours de la période couverte par le rapport. Pour ce qui concerne les avis politiques, notre commission en a adressé treize à la Commission européenne entre le 1er octobre 2017 et le 30 septembre 2018, contre 21 l'année dernière.
Le respect du délai de trois mois dont dispose la Commission pour répondre a continué à se dégrader. Chacun de nos avis politiques a bien reçu une réponse, mais, parmi les treize réponses reçues, seules cinq ont été envoyées dans le délai de trois mois, contre la moitié l'année dernière. Sur les huit réponses adressées après le délai de trois mois, la moitié l'a été avec un retard de deux ou trois mois. Je regrette cette évolution récente, dans un contexte où le dialogue politique entre la Commission et les parlements nationaux est plus que jamais nécessaire à la revitalisation du projet européen. Nous adresserons un courrier sur ce point aux présidents de la Commission et du Parlement européen. De même, à la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC), les résultats du travail de la task force sur la subsidiarité ont été considérés comme laissant vraiment à désirer.
Si la qualité des réponses de la Commission reste inégale et perfectible, elle s'est globalement améliorée par rapport aux années précédentes. La Commission a visiblement cherché à répondre de façon plus complète aux observations sénatoriales. Je me félicite de cette évolution. Nous devons d'ailleurs rester vigilants sur ce point ; nous avions estimé insuffisante la réponse de la Commission à notre avis politique sur la préservation de la PAC, qui nous a conduits à lui demander des précisions complémentaires au moyen d'un nouvel avis politique.
Enfin, le contrôle du principe de subsidiarité reste la question la plus délicate. Notre commission avait contribué activement aux travaux de la task force de haut niveau mise en place par le Président Juncker sur ce sujet. Je note une amélioration régulière des réponses de la Commission à nos avis motivés, qui sont plus argumentées et portent davantage sur les points critiqués par le Sénat. Nos avis motivés sont importants car ils conduisent la Commission à mieux expliquer sa démarche. Le Sénat est l'assemblée parlementaire européenne qui adopte le plus d'avis motivés. À Bruxelles, nous sommes considérés sur ce plan comme les bons élèves de la classe des 27 !
Sur le fond, on n'observe toutefois aucune évolution satisfaisante. La Commission continue de chercher à se justifier en se fondant sur sa proposition initiale. Pourtant, dans plusieurs cas, le déroulement des négociations conforte rétrospectivement les analyses du Sénat. C'est pourquoi il serait souhaitable qu'à l'avenir, les réponses de la Commission aux avis motivés s'appuient sur le dernier état du texte afin de prendre en compte les évolutions intervenues.
Les positions européennes du Sénat sont très largement prises en compte au cours des négociations et influent véritablement sur le contenu des directives et règlements finalement adoptés. Nous le dirons dans un communiqué de presse, car il est important de le faire savoir à la veille des élections européennes.
D'une façon quelque peu schématique, il est possible de classer les résolutions européennes du Sénat en trois catégories quant aux suites qu'elles ont reçues.
Dans plus de la moitié des cas, nos résolutions ont été prises totalement ou très largement en compte. Dites-le dans vos départements ! Ainsi, du filtrage des investissements directs étrangers (IDE) dans l'Union européenne : nous avons obtenu la définition d'un standard européen pour les législations nationales sur le contrôle des IDE, ce qui est important car la surveillance spécifique des IDE peut affecter des projets et programmes européens ou encore le juste équilibre entre la protection de la sécurité et de l'ordre public et l'ouverture de l'Union européenne et des États membres à ces investissements. L'Europe n'est pas protectionniste. Elle est ouverte, mais pas offerte, et tout se négocie : la réciprocité est un concept central.
De même, sur les directives de négociation en vue d'accords de libre-échange avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande, les négociations ont permis de prendre en compte des points d'attention du Sénat, par exemple sur le développement durable, les produits agricoles - élevage et lait en particulier -, la levée des barrières non tarifaires ou encore le numérique.
On peut citer aussi l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Mercosur : si les résultats obtenus sont insuffisants pour satisfaire les intérêts français, la lenteur des négociations est précisément le signe de leur défense et de la prise en compte de nos positions.
Autre exemple : la cybersécurité en Europe. Le nouveau mandat de l'Agence européenne de sécurité des réseaux et de l'information (Enisa), future Agence européenne de cyber-sécurité, concentre ses activités sur ses missions principales et en fait une agence d'appui qui ne videra pas de leur substance les agences nationales, tandis que le dispositif européen de certification associera largement les États membres. Les élections européennes approchent, et l'on voit que certains États tentent de déstabiliser nos débats, à l'Est comme outre-Atlantique. Le Président de la République appelle à la création d'une agence européenne de protection des démocraties. L'Enisa pourrait y contribuer.
Sur le détachement des travailleurs, enfin, nos positions ont été largement prises en compte, par exemple sur la mise en échec du projet initial de la Commission de dérégulation totale du cabotage, la simplification des procédures et l'affiliation préalable au régime de sécurité sociale du pays d'envoi des travailleurs détachés. Ce sujet est très sensible sur le terrain, et les professionnels reconnaissent qu'il y a eu des progrès depuis la directive de 1996.
Dans plus de 25 % des cas, les positions du Sénat ont été partiellement suivies, par exemple sur le programme de travail de la Commission pour 2018 : notre résolution a obtenu satisfaction sur plusieurs aspects de l'Union économique et monétaire et sur l'avenir des institutions, mais nous n'avons pas eu d'informations sur plusieurs points tels que l'interopérabilité des systèmes d'information européens aux fins de gestion des frontières ou des flux migratoires, la gouvernance de l'espace Schengen ou encore les outils de défense commerciale.
Pour la réforme de l'initiative citoyenne européenne (ICE), notre résolution n'a été que partiellement suivie, puisque deux points importants pour nous, le refus de l'abaissement à seize ans de l'âge minimal pour soutenir une ICE et le droit d'initiative des parlements nationaux, n'ont pas prospéré en dépit du soutien des autorités françaises.
Sur la convergence sociale dans l'Union européenne, notre résolution a enregistré un certain nombre d'avancées, par exemple sur l'application du principe de la loi de l'État d'activité pour le calcul des prestations chômage versées aux travailleurs frontaliers ou sur l'obligation d'échange d'informations entre États membres pour mieux lutter contre la fraude et le dumping social, mais les négociations sur les différents textes sont loin d'être achevées, notamment sur la mise en place d'instruments financiers européens en faveur de la convergence sociale - que M. Leconte voit déjà se produire.
Sur la politique régionale au service de la cohésion territoriale, les avancées sont largement subordonnées aux négociations sur le cadre financier pluriannuel (CFP), même si les autorités françaises ont défendu des positions avancées par le Sénat telles que le maintien de la catégorie des régions en transition, le rôle structurant de l'accord de partenariat dans l'appropriation des priorités européennes, une coopération territoriale renforcée ou encore la prise en compte de la spécificité des régions ultrapériphériques.
Enfin, dans trois cas seulement, notre résolution européenne n'a pas, jusqu'à présent, reçu de suite effective : les contrats de vente de biens, la préservation de la PAC et la demande de renégociation du règlement sur le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER).
Globalement, donc, le bilan est très largement positif. La PAC est un sujet très sensible. D'après la ministre, la proposition actuelle « n'est pas acceptable et ne sera pas acceptée ». Nous ne demandons qu'à la croire - car ce n'était pas la position initiale du Président de la République.
M. Benoît Huré. - Je suis vraiment très heureux d'avoir rejoint cette commission lors du dernier renouvellement. L'Europe, cela ne se décrète pas, cela se construit, jour après jour. Et les rôles sont multiples. Je nous considère comme ceux qui travaillent dans l'ombre, pour que d'autres soient dans la lumière. Je suggère, pour mieux faire connaître nos efforts, d'en discuter lors de la prochaine réunion des Sénats d'Europe, qui sera présidée par le président Larcher. Il faudrait aussi mieux communiquer auprès des opinions publiques sur le succès de nos résolutions. Nous ne devons reculer sur aucune des politiques en place, mais nous connaissons la rigueur budgétaire actuelle. Pourquoi ne pas réserver une part du produit de la taxe sur les Gafa à des politiques européennes ? L'ambassadeur de France à l'OCDE est optimiste sur sa mise en place dès 2019.
M. Jean Bizet, président. - Les Sénats d'Europe se réuniront le 14 juin au Palais du Luxembourg, avec des invités d'honneurs issus des Sénats d'Afrique. Pour taxer les Gafa, la France a fait cavalier seul, mais une ouverture se dessine progressivement grâce à l'OCDE. Les 500 millions d'euros espérés sont peu de chose, mais il faut commencer à les flécher.
M. Benoît Huré. - Ce chiffre correspond à une base de 3 %... Au moins, il faut ouvrir la porte.
M. Jean Bizet, président. - Cela moraliserait leur activité. Et comme nous cherchons d'autres ressources financières...
La commission autorise à l'unanimité la publication du rapport d'information.
Questions diverses
M. Jean Bizet, président. - Nous expérimenterons la semaine prochaine la nouvelle organisation des débats européens décidée en conférence des présidents le 23 janvier dernier, qui doit permettre de renforcer l'expression des groupes politiques sur les sujets d'actualité européenne. Le prochain Conseil européen donnera donc lieu à deux débats : l'un, postérieur à ce conseil, se tiendra le mardi 2 avril en séance publique ; l'autre, préalable, aura lieu le jeudi 14 mars dans le cadre de notre commission, élargie à l'ensemble des sénateurs. J'ai demandé aux groupes politiques de désigner leur porte-paroles : plusieurs ont déjà répondu. Je vous ferai passer le projet d'ordre du jour du Conseil européen. À l'heure actuelle, il comporte les points suivants : développement du marché unique ; union des marchés de capitaux ; politique industrielle et politique européenne du numérique ; priorités pour le semestre européen 2019. Sur le changement climatique, le Conseil européen fournira des orientations pour une stratégie à long terme. Il préparera le sommet entre l'Union européenne et la Chine, prévu le 9 avril. Il examinera les progrès accomplis dans la lutte contre la désinformation.
Par ailleurs, la dématérialisation de nos travaux sera lancée prochainement, à travers l'application Déméter. La consultation au format numérique des documents examinés en commission sera dorénavant possible, mais ces documents resteront disponibles sous forme papier pour ceux d'entre vous qui le souhaiteront.
La réunion est close à 11 heures.