Mercredi 6 février 2019
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Table ronde sur le thème : « Les effets du titre Ier de la loi Egalim du 30 octobre 2018 sur les négociations commerciales en cours », autour de MM. Richard Girardot, président de l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA), Dominique Amirault, président de la Fédération des Entreprises et Entrepreneurs de France (FEEF), Dominique Chargé, président de Coop de France, et Richard Panquiault, directeur général de l'Institut de liaison et d'études des industries de consommation (ILEC)
Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui notre cycle d'auditions portant sur les effets du titre Ier de la loi EGALIM également appelée « Loi Alimentation ». Cette loi a été l'origine d'écarts de vue entre le Sénat et l'Assemblée nationale et, comme vous le savez, la commission mixte paritaire à laquelle son examen a donné lieu n'a pas abouti.
Désormais, au titre des fonctions de contrôle du Sénat, il nous faut comprendre les conséquences de l'application de cette loi. Ses effets sur les territoires sont-ils en phase avec les objectifs qui en étaient attendus, notamment en matière de rémunération des agriculteurs ? Telle est la question dont s'est emparée notre commission, à travers notamment les activités de son comité de suivi présidé par notre collègue Daniel Gremillet.
Il y a un certain nombre d'ordonnances, prévues par la loi, qui sont progressivement mises en oeuvre. Depuis le 1er février dernier, le relèvement du seuil de vente à perte à 10 % est entré en vigueur. Cette mesure a fait couler beaucoup d'encre, dans un contexte où le pouvoir d'achat de nos concitoyens est au coeur des débats. D'autres mesures de la loi EGALIM font l'objet d'une mise en oeuvre progressive et conduisent à redéfinir, à court terme, le renouvellement de nombreux contrats entre producteurs et acheteurs. Cet arsenal de mesures a un objectif défini par la loi : augmenter le revenu des agriculteurs.
Nous aurons également l'occasion de parler d'une autre ordonnance sur les coopératives qui est en cours d'examen entre les différents acteurs de la filière. Quelles en sont les perspectives ?
Enfin, nous aurons à coeur de savoir quelles sont les conséquences sur les négociations commerciales en cours de l'application de l'encadrement des promotions en volume et en valeur.
Afin d'envisager l'ensemble de ces questions, nous recevons aujourd'hui MM. Richard Girardot, président de l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA), Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF), Dominique Chargé, président de Coop de France, ainsi que Richard Panquiault, directeur général de l'Institut de liaison et d'études des industries de consommation (ILEC).
Vous avez participé aux États généraux de l'alimentation et serez à même de nous dire si les premiers résultats de l'application de la loi EGALIM et des négociations commerciales en cours vont dans le sens souhaité. À l'issue de vos présentations respectives, le débat s'ouvrira avec les questions de nos rapporteurs et du président du groupe de suivi des États généraux de l'alimentation.
M. Richard Girardot, président de l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA). - Je débuterai mon propos en saluant l'initiative de la réunion des États généraux de l'alimentation (EGA) à laquelle ont participé, durant cinq mois, 860 personnes issues de nombreuses associations et entreprises. Avant toute critique, je souhaite rendre avant tout hommage au travail que ces personnes ont effectué en commun et à ce qui a été l'esprit des EGA.
Toutefois, nous ne sommes pas satisfaits des résultats de la loi EGALIM qui n'est pas allée au bout, qui n'a pas permis d'aller au terme des impératifs des uns et des autres et de répondre collectivement aux défis des EGA. Deux mesures principales concernaient l'aval : avec une hausse de 10 % du seuil de revente à perte (SRP), la volonté affichée des EGA était d'assurer le ruissellement vers l'amont. À ce stade, seuls le marché du lait et certaines niches, comme la pomme de terre, y sont parvenus. Mais les conditions n'ont pas été réunies ailleurs pour créer de nouveau un esprit de filière, ce qui était l'objectif des EGA.
L'ANIA promeut la structuration de la filière céréale entre l'amont et l'aval, c'est-à-dire jusqu'à la distribution. La démarche est ainsi enclenchée avec les meuniers qui sont le levier intermédiaire entre le monde céréalier et la distribution.
Notre insatisfaction relative à la loi EGALIM s'explique par le fait que nous sommes toujours dans une démarche déflationniste, qu'il s'agisse des grands groupes, des PME et des ETI. Cette déflation, qui a déjà atteint sept milliards d'euros de déflation en cinq ans, devrait s'intensifier. L'ANIA a créé un Observatoire des négociations : 80 % des 450 remontées viennent des PME et font état de 1,5 à 4 % de demandes de déflation des distributeurs qui ont déjà, de leur côté, bénéficié des 10 % de SRP au 1er février. À l'aune des résultats des centrales nationales, les résultats du ruissellement se font manifestement attendre ! Et je ne prends cependant pas en compte le phénomène des centrales internationales qui sont des sociétés beaucoup plus structurées au niveau européen.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je souhaite lever une ambiguïté : si le Sénat s'est opposé à ce texte, pour des motifs précis, il souhaite désormais le succès de ses mécanismes. L'objet de l'audition n'est pas de faire un procès de la loi mais bien un point d'étape. Les désaccords sont derrière nous.
M. Richard Girardot. - Nous soutenons également la loi EGALIM et je parlais bien de la position de l'ANIA. Je ne me serais pas permis de parler de la position du Sénat.
M. Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF). - Notre fédération représente les fournisseurs PME de la grande distribution, soit 20 000 entreprises, dont 80 % sont dans l'alimentaire. Nos PME sont enracinées dans nos territoires. Travaillant avec les agriculteurs, elles sont à l'origine de la création de 80 % des emplois.
Les négociations commerciales de cette année sont encore difficiles mais ce n'est pas étonnant. Nous avons soutenu la proposition des EGA en faveur de la nouvelle répartition de la valeur. Mais les mesures retenues ne vont pas dans le bon sens. Si on veut soigner le malade, il faut s'attaquer aux causes. On n'a pas attaqué la véritable cause de la destruction de la valeur car nous ne nous sommes pas emparés du déséquilibre entre un amont atomisé et un aval extrêmement concentré. On a préféré agir sur les symptômes et prendre des mesures administrées peu compatibles avec l'économie de marché.
Premièrement, le relèvement du SRP de 10 %, du fait de l'effet masse qu'il induit sur la marge, est certainement favorable aux grands groupes, mais dessert les PME qui perdent l'accès au linéaire. Cette situation se fait aux dépens des attentes des consommateurs puisque les PME contribuent à la différenciation et à la valorisation des enseignes. N'oublions pas que 80 % de la croissance des hypermarchés et supermarchés proviennent des marques PME ! Vouloir les fragiliser alors qu'elles ont été autant de facteurs d'activation de la croissance depuis cinq ans ne va pas dans le bon sens.
Deuxièmement, l'encadrement des promotions est totalement déconnecté des réalités du marché. La limitation en valeur s'entend. En revanche, vouloir les limiter en volume est une erreur ! Les promotions peuvent faire structurellement partie du commerce, comme les produits saisonniers le démontrent ! C'est une aberration et une idiotie de vouloir les limiter en volume. D'autant que cette démarche réduit la croissance des secteurs concernés.
Enfin, l'inversion de la formation des prix va dans le bon sens, à la condition que les industriels, les PME et les agriculteurs soient en mesure de facturer leurs produits aux distributeurs afin d'améliorer leur rémunération. Aujourd'hui, la maîtrise des tarifs, c'est-à-dire in fine du positionnement stratégique d'une marque, est nécessaire. Au producteur de fixer son tarif et au distributeur, ensuite, de référencer ou non ces produits. Ce n'est qu'à une phase ultérieure que doivent débuter les négociations sur les modalités de la relation contractuelle. Il ne faut plus considérer les tarifs comme initialement négociables. Ce qui est négociable, ce sont les autres éléments du plan d'affaires. Cette confusion est destructrice de valeur !
M. Dominique Chargé, président de Coop de France. - Les EGA ont été une première à laquelle la coopération a participé avec confiance et espoir. Au-delà de la revalorisation de leurs revenus, les agriculteurs attendaient la reconnaissance de leur métier. Arrêtons de les vilipender en permanence ! Les agriculteurs font très bien leur métier et sont conscients de l'importance de la transition écologique.
En ce qui concerne les résultats de la loi EGALIM, une chose est sûre : l'augmentation du seuil de revente à perte de 10 % occasionne une rente de situation pour les distributeurs. Il y a bien une contrainte dans le commerce avec ce seuil de revente à perte. Or, il n'y a absolument pas de contrainte pour organiser le ruissellement vers les agriculteurs.
Ce seuil concerne des produits avec lesquels les distributeurs se livrent une guerre des prix. Un faible nombre de ces produits sont issus de la matière première agricole issue de nos territoires. Ces derniers étaient plutôt surmargés afin de compenser les produits sur lesquels portait cette guerre des prix. La hausse du seuil de revente à perte devait permettre une amélioration de la situation pour les produits issus de nos territoires par ruissellement.
À ce stade, la théorie du ruissellement ne fonctionne pas malgré l'engagement des EGA. La filière laitière tire cependant son épingle du jeu, le prix du lait étant le thermomètre de l'ambiance agricole française. Mais cette filière ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt ! D'autres filières, comme celles de la viande, sont dans une situation plus difficile et ont encore connu, dans un passé récent, des demandes de déflation. L'entrée par le prix, et non par la qualité du produit ou l'excellence de la filière de la production, demeure. Je plaide ainsi en faveur de l'intensification des contrôles de la DGCCRF qui présentent de réels effets vertueux.
Les produits à marques sont concernés par les négociations annuelles. Or, un autre volet de négociations concerne les produits sous marque de distributeurs (MDD), qui, pour leur part, sont des produits qui présentent un lien avec la production agricole française. Pour ces produits, certaines enseignes ont annoncé des baisses de prix. Enfin, les enseignes se sont déjà organisées pour contourner les effets de l'augmentation du SRP et la tendance est plutôt à faire bénéficier le consommateur de ce nouveau taux de marges par le biais des opérations de crédits sur carte. Il s'agit d'un contournement du processus proposé par EGALIM !
Enfin, l'objectif d'alignement des taux de promotions est contourné par des opérations nouvelles de trade marketing ou de cagnottage qui prennent d'autres formes que la promotion classique.
De ce fait, si nous sommes favorables à ce dispositif de la loi EGALIM, nous reconnaissons cependant que sa mise en oeuvre présente néanmoins de réels problèmes.
M. Richard Panquiault, directeur général de l'Institut de liaison et d'études des industries de consommation (ILEC). - Nous estimons le montant des négociations de nos entreprises adhérentes, qui représentent quelque 19 milliards d'euros et concernent 150 000 agriculteurs.
Le constat qui est partagé est que les EGA ont eu un impact sur la filière laitière. Toutes catégories agroalimentaires confondues, les taux de signature ne dépassent pas 25 % et les seuls accords réellement signés portent sur le lait. Au-delà du coup médiatique, les accords signés dans le secteur laitier en décembre ont été une première.
Aujourd'hui, c'est bel et bien l'arbre qui cache la forêt : il ne s'est rien passé dans d'autres filières agricoles, comme les céréales, les fruits et légumes, ou encore la viande. La démarche mise en oeuvre pour la filière du lait devrait être étendue aux autres filières. Les produits alimentaires non liés à des filières agricoles et les produits non-alimentaires connaissent, quant à eux, une déflation systématique, parfois à des niveaux aberrants. Ce n'est malheureusement pas une surprise !
La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) aura un rôle à jouer pour réduire les cas de déséquilibres significatifs qui seront nombreux. On ne peut pas d'un côté demander de baisser le tarif et d'un autre côté annoncer que le plan d'affaires va être en baisse significative car les assortiments ont été revus à la baisse.
Le relèvement du seuil de vente à perte (SRP), établi depuis deux jours, a conduit à de nouvelles mesures de péréquation consistant notamment en des remises sous forme de crédits sur des cartes de fidélité. Des baisses ont également été annoncées sur les prix des marques des distributeurs (MDD). On discute encore de l'ampleur de la masse financière liée à la hausse du SRP. Ce qui est clair aujourd'hui, c'est qu'une partie de cette masse financière est réinjectée en baisse de prix, par des baisses de prix des produits MDD et par des remises créditée sur cartes de fidélité pour les marques qui font l'objet du relèvement du SRP de 10 %.
Pour les promotions, je rejoins ce qui a été dit. La circulaire de la DGCCRF, mise en ligne hier, en ce qu'elle clarifie les règles en vigueur depuis le 1er janvier dernier pour l'ensemble des acteurs, doit être saluée. Cette circulaire devrait permettre d'éviter les agissements de certains acteurs, industriels et distributeurs, qui entendent contourner ce dispositif car ils n'ont pas envie que cela réussisse. Par ailleurs, les promotions représentent un sujet important dans les négociations et certains distributeurs cherchent actuellement à saturer les seuils de 34%. Il faudra être très vigilant sur l'application effective de ce seuil et sur la clarification des règles du jeu entre les acteurs.
M. Daniel Gremillet, président du groupe de suivi de l'application de la Loi EGALIM. - Le Sénat a beaucoup travaillé pour améliorer ce texte, sans pour autant avoir été suivi par l'Assemblée nationale. Il importe de faire le point sur les actuelles négociations et la prise en compte des indicateurs. Dans le secteur laitier, l'indicateur de coût de production de 396 euros la tonne est-il bien en vigueur ? De nombreux engagements ont été pris à l'égard du secteur de la production et du monde paysan. Il ne faut pas que les accords soient la source d'une nouvelle tromperie.
La répartition de la valeur résulte d'un mix entre leurs prix et ceux des marques. Par ailleurs, la loi EGALIM permet aux distributeurs d'améliorer leurs marges sur leurs marques. Est-ce un avantage donné aux grandes marques au détriment des PME ?
Comment se situe, enfin, la négociation par rapport à nos concurrents européens ? Au-delà des aspects nationaux, il semble nécessaire d'examiner le rapport de forces qui peut s'exercer à l'échelle internationale.
Dans le texte, nous avons supprimé la gratuité. Or, celle-ci semble avoir été remplacée par des produits offerts. Cette disposition aurait alors pour unique conséquence d'entraîner des pertes pour les sociétés du secteur de l'emballage ! Tout va décidément très vite !
Mme Sophie Primas, présidente - Je me souviens de cette discussion dans l'hémicycle.
M. Michel Raison. - Quelles sont les conséquences de l'application d'EGALIM sur les producteurs de lait ? Vous nous dites qu'il y a déjà un système de retour des mesures de l'ordonnance au profit du consommateur par le biais des cartes de fidélité. Or, pour redistribuer de la valeur il ne faut pas en détruire ! Cela interroge sur le ruissellement. Ceux qui habitent les montagnes savent déjà qu'il n'a jamais été facile de faire ruisseler de l'aval à l'amont, sauf au prix d'une énergie folle avec des pompes de relevage. Sur ces contrats laitiers, dans ce contexte, quelles sont les retombées pour ces producteurs ? Le prix défini par l'interprofession, qui approche les 400 euros de la tonne, a-t-il été repris lors des négociations ? Sur quels types de produits laitiers ces contrats portent-ils ? J'ai peur que les résultats annoncés ne soient pas que des effets de communication. Il incombe aux parlementaires que nous sommes d'évaluer les conséquences de l'application de la loi. Avec un tel déséquilibre entre la concentration de ceux qui achètent et la dispersion de ceux qui offrent, comment interrompre la guerre des prix ?
Mme Anne-Catherine Loisier. - Le Sénat avait une position claire sur l'élaboration des indicateurs, en donnant la priorité aux interprofessions et à l'Observatoire de la formation des prix et des marges. Cette position n'a pas été retenue. Où en sont donc les négociations sur ces indicateurs ? Certaines interprofessions sont-elles parvenues à élaborer des indicateurs ? Quelle garantie va offrir la nouvelle définition des prix abusivement bas par rapport aux nouveaux indicateurs des coûts de production ? Est-elle applicable en l'état par les coopératives dont le fonctionnement n'est pas assimilable au fonctionnement d'une société commerciale ? Enfin, disposez-vous d'éléments chiffrés sur les cas de déséquilibre significatifs ?
M. Dominique Chargé. - Les indicateurs, qui doivent être publiés par les interprofessions, font référence aux coûts de production, mais aussi aux indicateurs de marché. La question est celle de notre compétitivité à l'échelle européenne, du fait de l'interconnexion des marchés agricoles. Certaines mesures ont été prises dans le cadre de cette loi EGALIM, mais il faut tenir compte de ce contexte économique.
Pour le secteur laitier, la part du lait valorisé dans les réseaux de la grande distribution représente environ 50 % du lait produit, dont un tiers dans les produits à marques. Les contrats, dont vous avez eu écho dans la presse, représentent donc une part faible par rapport à cet ensemble. Néanmoins, cette situation est inédite et la filière laitière connaît une réelle évolution plus favorable. C'est l'arbre qui cache la forêt des autres filières. Coop de France a soutenu la démarche de définition d'indicateurs avec les autres interprofessions. Ce travail n'est pas abouti dans toutes les filières. Sur le lait, le prix avancé n'a pas encore fait l'objet d'une publication interprofessionnelle, mais est issu d'une méthode de calcul qui a permis de déterminer le prix de revient.
Sur les ordonnances qui portent sur la coopérative et les prêts abusivement bas, les coopératives ont dénoncé les conséquences d'une transposition d'une disposition du code de commerce au sein du code rural et de la pêche maritime rendue applicable aux coopératives. En effet, cette démarche détruit la nature même de la relation entre un adhérent et la coopérative. La coopérative est la propriété de chacun des associés-coopérateurs. Nous ne sommes pas dans une relation fournisseurs et actionnaires, mais dans une relation entre associés et adhérents. La vente se fait à la sortie de la coopérative, qui est le prolongement de nos exploitations et la relation avec l'adhérent n'est pas commerciale, mais c'est une relation de cession. Dès lors, l'application d'une disposition du code de commerce au fonctionnement coopératif est absolument inappropriée. L'initiative individuelle des producteurs, comme dans les fruitières productrices du Comté, qui ont mis en commun leur outil de production, a permis de maintenir, dans nos territoires, des filières de production. Il ne s'agit pas de nous dédouaner de nos responsabilités de construction des prix ou de rémunération de nos adhérents, mais il n'est pas question de laisser assimiler notre relation entre adhérents et coopératives à une relation commerciale classique.
M. Richard Girardot. - La filière laitière a été à l'initiative de la création des EGA. Il faut être vigilant. Une centrale peut s'engager dans une filière lait pour sa crème fraîche à marque distributeur. Ce produit résultait, jusqu'à 2018, de la transformation du lait français en crème. Avec le schéma qui vient de vous être décrit, un appel d'offres, tombé fin 2018, a demandé que la crème soit d'origine européenne. Une telle démarche se révèle contraire à l'esprit des EGA ! Tout n'est pas simple et il faut absolument vous informer de ce type de situation, ainsi que la DGCCRF ! Les produits laitiers, dont on a parlé dans la presse, peuvent se révéler marginaux, à l'instar des laits bio. En effet, proposer une brique de lait bio à moins de 80 centimes oblige à ne pas rémunérer l'ensemble des maillons de la chaîne de production !
M. Richard Panquiault. - Le déséquilibre significatif doit être évalué. La situation est très hétérogène par enseigne et catégorie de produits ; pour l'heure, certains acteurs, y compris dans le secteur laitier, n'ont signé aucun accord. Nous ne disposons pas de banques de données qui nous permettent d'évaluer ces déséquilibres significatifs. Il faudra que la DGCCRF se prononce sur les éventuelles assignations pour déséquilibre significatif ; cette notion juridique peut s'appliquer à tous les maillons de la chaîne de production, forte d'une jurisprudence solide, notamment issue de la Cour de cassation. C'est là un élément très structurant du droit, sur lequel il va nous falloir nous appuyer, avec la DGCCRF. L'inflation générée par la majoration du seuil de vente à perte représente de la marge pour le distributeur. Elle devrait générer soit des baisses de prix de vente ou une augmentation des rémunérations à l'achat. Dans un an, nous aurons assez de recul pour évaluer les conséquences de ce dispositif qui reste, pour l'heure, expérimental. Si les chiffres avancés sur l'impact inflationniste ont été aberrants, certains acteurs entendent mettre l'accent sur les baisses de prix au détriment de la rémunération des achats.
Mme Sophie Primas. - C'est la raison pour laquelle notre groupe de travail suivra cette situation durant toute l'année prochaine avec attention.
M. Jean-Marie Janssens. - La loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole, entrée en vigueur le 1er février, recouvre plusieurs objectifs, parmi lesquels une meilleure rémunération des producteurs. Cela passe notamment par l'encadrement des promotions des produits alimentaires dans les grandes surfaces et le relèvement du seuil de revente à perte des produits alimentaires. Ainsi, les distributeurs ont désormais pour obligation de vendre les produits avec une marge de 10 % minimum. Ces mesures, a priori positives, posent pourtant deux questions. Elles induisent tout d'abord la hausse du prix de centaines de produits en rayons, touchant directement le porte-monnaie des consommateurs. Dans un climat social tendu, je m'interroge sur le nouvel effort demandé aux consommateurs français. D'autre part, la marge de 10 % n'oblige pas les distributeurs à mieux rémunérer les producteurs. Seule la répression des fraudes pourra s'assurer de la cohérence des prix. Aussi, comment s'assurer que les distributeurs ne trouvent pas de nouveaux moyens de contourner la loi et de la détourner de son esprit ?
M. Laurent Duplomb. - Cette loi peut être comparée au « péché par envie » qu'incluait le théologien Saint Thomas d'Aquin parmi les sept péchés capitaux. En effet, il s'agit d'un péché de convoitise et d'émotion éprouvée par ceux qui désirent posséder. Nous n'aurons donc pas les résultats escomptés. Les agriculteurs espéraient un rendez-vous avec la Nation éprouvant de la fierté pour son agriculture. Tel était leur péché par envie !
Néanmoins, le pouvoir d'achat, dans notre pays, est un élément incontournable de la politique de chaque gouvernement et les produits alimentaires continuent à servir d'outils d'ajustement. Un directeur de coopérative de mon département m'avait alerté sur les incidences de la fin de la taxe farine sur les meuniers qui représentait un montant de 63 millions d'euros de taxes. Loin de garantir à la filière meunière une rentabilité accrue, la suppression de cette taxe a d'ores et déjà induit l'effet inverse du ruissellement prévu. En effet, les grands meuniers ont lâché les 15 euros économisés par tonne au bénéfice de l'industrie, laquelle, à son tour, fait de même vis-à-vis de la grande distribution, en répercutant leur manque à gagner, au final, sur les boulangers artisanaux. Cet exemple me paraît malheureusement emblématique des conséquences de l'application de la loi EGALIM.
En outre, en tant que producteur laitier, ma coopérative m'annonce un prix de base de 330 euros la tonne, au lieu des 396 euros évoqués !
Croire au ruissellement, c'est enfin ignorer les pratiques de la grande distribution qui, depuis trente ans, n'ont jamais été respectueuses de ses fournisseurs !
M. Franck Montaugé. - Je partage le constat selon lequel l'actuel rapport de forces est la conséquence d'une concentration de l'aval et de l'éclatement de l'amont. La situation serait pire sans la coopération agricole et son modèle spécifique. Hier, lors des questions au Gouvernement, nous avons interrogé le ministre sur l'ordonnance relative à la coopération. La réponse ministérielle nous laisse comprendre que le médiateur des relations commerciales agricoles ne devrait plus intervenir. Est-ce bien le cas ? Comment les acteurs de la coopération se sont-ils emparés du problème posé par les prix abusivement bas ? Enfin, grâce au Sénat et aux acteurs de la coopération, le débat est ré-ouvert avec le ministère de l'agriculture et de l'alimentation. Aussi, n'est-il pas opportun de renforcer le modèle coopératif français afin de garantir son efficience dans ses relations commerciales avec l'aval ?
M. Alain Chatillon. - La France a une propension à sur-réglementer par rapport à ses voisins européens tout en adoptant avec retard la réglementation européenne. Cette tendance est particulièrement prégnante pour les produits à forte valeur ajoutée, comme les compléments alimentaires ou les produits diététiques, qui nous permettent de valoriser nos produits agricoles et protéger notre marché national. Notre retard accumulé dans la conformité avec la réglementation européenne nous fait perdre une grande partie de nos marchés. Enfin, les montants de ladite « taxe farine », qui représentait 27 % de la marge des meuniers, ont enregistré une baisse de 35 %, tout simplement parce que les producteurs italiens et espagnols nous ont supplantés sur le marché d'Afrique du Nord.
M. Xavier Iacovelli. - Comment comptez-vous agir pour éviter le contournement de l'interdiction des remises supérieures à 34 % des distributeurs, via l'utilisation accrue des promotions dites de cagnottage ?
M. Serge Babary. - La nouvelle circulaire de la DGCCRF permet-elle de répondre efficacement aux risques de contournement de la réglementation relative aux promotions ?
M. Franck Menonville. - Nous sommes tous animés par l'esprit des EGA. Comment éviter les contournements de l'encadrement que la loi EGALIM mettait en oeuvre ? La faiblesse de cette loi me paraît avant tout de ne pas assez prendre en compte l'organisation économique et les rapports de forces qui s'y font jour. En effet, les centrales d'achat sont de plus en plus concentrées et organisées. D'ailleurs, la relative réussite dans le secteur laitier n'est-elle pas plutôt due à une meilleure structuration de la filière qu'au dispositif de la loi EGALIM ?
M. Jean-Claude Tissot. - Le diable se cache dans les détails. On ne peut attendre un an pour que les bénéfices de cette loi EGALIM et ses ordonnances afférentes soient reversés aux producteurs. C'est là une urgence !
M. Joël Labbé. - Nous avions souhaité en vain que le médiateur des relations commerciales agricoles soit saisi en cas de désaccord. Le nouveau scandale d'importation de viandes bovines en provenance de Pologne a mis au jour un nouveau dysfonctionnement. En effet, seul un quart de la production agricole française est exporté et les viandes importées sont employées, en grande quantité, par la restauration collective. Faut-il continuer ainsi en achetant ce qu'on désigne, dans la filière, comme du minerai ? En tant qu'entreprises responsables et défenseurs de notre patrimoine français, quelles sont les réponses que vous pouvez apporter à une telle situation ?
M. Daniel Dubois. - La théorie du ruissellement me laisse perplexe. Le médiateur a un rôle majeur à jouer lorsque les filières ne sont pas suffisamment organisées. Les agriculteurs ont besoin d'être reconnus. Néanmoins, améliorer la compétitivité de notre agriculture implique de résoudre les problèmes générés par la sur-normalisation et l'implantation des surfaces commerciales.
M. Jean-Pierre Moga. - .Aujourd'hui, il y a 2 600 coopératives en France. Vous craignez que les ordonnances ne mettent en péril ces structures du fait de l'assimilation de leurs relations avec leurs adhérents à des contrats commerciaux. Le Lot-et-Garonne est devenu, grâce au monde coopératif, le premier territoire producteur de noisettes et de noix en Europe. Quel est, selon vous, l'avenir du secteur et de l'esprit coopératifs ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Il est en effet inacceptable d'assimiler les relations entre un coopérateur et sa coopérative à des relations commerciales. C'est là un problème d'ordre institutionnel ! Comment le Gouvernement peut-il bafouer, en recourant à la voie réglementaire, jusqu'aux principes fondamentaux du fonctionnement des coopératives et remettre en cause l'esprit même de la législation ? C'est là une contradiction stratégique analogue à ce qui est survenu avec les SCOP, tandis que l'Union européenne a elle-même reconnu la spécificité des coopératives au motif qu'elles ne pouvaient solliciter les capitaux du marché. En outre, les Français n'accepteront pas l'augmentation du prix de certains produits si les agriculteurs n'en sont pas les bénéficiaires ! Il faut donc nous en assurer de manière indubitable ! Enfin, quel est le poids de la commande publique pour influer sur les prix ? La part de la viande d'origine étrangère utilisée par la restauration collective, dans un pays agricole comme le nôtre, est révoltante ! Quelle pourrait-être la stratégie de prix dans les commandes publiques susceptible d'améliorer le revenu des agriculteurs ?
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous démontrons que le bon sens est partagé au-delà des clivages politiques. Je suis étonnée qu'en février 2019, nous soyons à ce niveau de point mort, malgré la signature des chartes de bonne conduite à la fin de 2017. Les premiers retours que j'ai obtenus sur l'action de la DGCCRF m'inquiètent : en effet, il semble que les mécanismes prévus par la loi et les ordonnances ne soient pas, pour l'heure, maîtrisés, au risque de susciter, à terme, de la jurisprudence. L'effet, à compter du 1er janvier 2019, de l'ordonnance relative à la promotion est difficilement contrôlable, surtout lorsque des opérations promotionnelles étaient en cours à cette date. Avez-vous mis en oeuvre des actions de contrôle dans les magasins ? En outre, la protection du pouvoir d'achat des Français induit une baisse du prix des marques des PME et des parts de linéaire. Cependant, la descente de prix qui vous est demandée sur les marques distributeurs induit-elle une baisse de leurs marges ou, au contraire, des efforts de productivité ? Enfin, disposez-vous d'informations sur la situation des autres filières hors grande distribution, notamment dans la restauration collective ?
M. Richard Panquiault. - Le pouvoir d'achat est un sujet sociétal sensible. Si l'impact inflationniste de la majoration du SRP n'est pas encore connu, il est en revanche possible de tirer les leçons du passé. Les prix des produits concernés par ce relèvement, soit 1 500 références, ont baissé de 15 à 20 % au cours des quatre dernières années. Il s'agit ainsi d'augmenter de 10 % des produits dont les prix ont enregistré une baisse continue à moyen terme. Si l'impact inflationniste est estimé à 600 millions d'euros, la déflation est quant à elle estimée, sur ces quatre dernières années, à un milliard d'euros. Comme les marques nationales ont baissé de 15 à 20 %, tandis que les autres marques baissaient de 8 à 10 %, dans le même temps, les MDD ont vu leurs prix augmenter. Il ne serait donc pas anormal d'assurer une péréquation entre les marques dont le coût remonte et celles dont le coût baisse. Il est encore prématuré d'anticiper le prochain équilibre entre les marques nationales et celles des PME.
La récente circulaire de la DGCCRF précise les conditions du cagnottage. Sont ainsi inclus dans le champ d'application de cette dernière les opérations de fidélisation ou de cagnottage affectées à un produit. L'achat d'un produit précis donne ainsi droit à l'obtention d'un montant déterminé et chiffré, cumulé sur une carte de fidélité et faisant l'objet d'un bon de réduction. Ces dispositions ont ainsi le mérite de la clarté. Certes, l'ordonnance présente également d'autres points présentant, selon nous, des possibilités de contournement. Notre objectif, c'est que le dispositif fonctionne ! D'ailleurs, dès l'application du nouveau SRP, certains adhérents nous ont fait remonter des opérations de promotion spécifiques. En outre, il faut aider au succès des contrôles conduits par la DGCCRF. S'agissant du rapport de forces entre amont et aval, il nous faut consolider l'aval. Néanmoins, l'amont, c'est-à-dire la distribution et les centrales d'achat, pose également problème. Vous aviez saisi l'Autorité de la concurrence pour obtenir une évaluation de l'impact des premières alliances sur le marché. L'Autorité s'est d'ailleurs autosaisie à la suite du renouvellement des alliances intervenu il y a quelques mois pour évaluer l'impact de la concentration sur le marché. Il faut être vigilant puisque les alliances internationales interfèrent de plus en plus avec les négociations en France au point de remettre en cause les EGA.
M. Richard Girardot. - Toutes les lois ont été contournées par le passé. Nous avons en face de nous cinq clients contre cinq mille entreprises qui pèsent en grandes et moyennes surfaces (GMS) et au total près de 17 000 PME. Le rapport de forces est là. La distribution française est d'ailleurs devenue le premier fournisseur partenaire des marchands de vaisselle chinois ! Il ne faut pas hésiter à faire notre autocritique sur notre outil de production, quel que soit le statut des entreprises concernées. Nous sommes à vingt-cinq jours de la fin des négociations. La loi a été votée pour deux ans et cette première année prend valeur de test. Faisons en sorte que les EGA démontrent leur efficacité !
M. Dominique Amirault. - On ne saurait discuter un tarif ; c'est là une question d'éthique. Il faut bien distinguer la répercussion des coûts de la création de valeur. Autant il est possible de négocier les coûts dans nos sociétés, autant la création de valeur est liée au savoir-faire qui ne peut être aisément dupliqué.
Mme Sophie Primas. - Dans la première table ronde que nous avons organisée avec les professions agricoles, le tarif a été évoqué comme faisant l'objet de négociations. Ce point est ainsi contraire à l'esprit même de la loi EGALIM qui a prévu des mécanismes pour limiter les marges de négociations sur le prix.
M. Dominique Chargé. - Sur la question des tarifs, un des points de désaccord constants évoqués lors des débats de toutes les lois agricoles successives porte sur la négociabilité des tarifs. Dans l'interprétation, la négociation s'opère sur le tarif affiché par le fournisseur mais les baisses de tarifs sont expliquées par le plan d'affaires qui comprend un certain nombre de compensations. Or, pour un grand nombre de distributeurs, la négociation commence sur le tarif lui-même avant tout autre forme de procédure. C'est là un dysfonctionnement de la loi EGALIM, mais le ver est dans le fruit depuis la loi de modernisation de l'économie (LME) de 2008.
Les coopératives rendront évidemment la valeur créée sur le prix de la rémunération des producteurs qui pourront, le cas échéant, décider de développer un nouvel outil au sein de leur coopérative afin d'améliorer leur productivité. C'est là une autre manière de créer ultérieurement de la valeur.
Des craintes quant à la compétitivité de la filière agricole ont été exprimées. Le modèle agricole français est spécifique, notamment dans ses réponses aux attentes des consommateurs et des citoyens. Les charges engagées pour répondre à ces attentes devront avoir comme contrepartie la revalorisation des prix de la production agricole. Pour autant, nous fonctionnons dans un marché ouvert avec des acteurs internationaux qui participent à nos « mix clients ».
La rémunération du producteur en coopérative se fait sur l'addition et la moyenne des prix rencontrés sur ces différents marchés. Les 390 euros affichés dans certains accords médiatisés ne représentent donc qu'une partie de la rémunération du producteur.
La filière viande bovine est vouée à être au centre de nos préoccupations. Son marché est en difficulté et les mécanismes, qui lui assurent encore un certain niveau de revenus, doivent être réexaminés.
Enfin, je défends aujourd'hui des valeurs associées au modèle économique incarné par la coopérative : la liberté d'entreprendre grâce à des valeurs associatives fondées sur le mutualisme et la solidarité. Notre rôle est de faire traverser l'époque à ce modèle en l'adaptant, sans trahir ses valeurs, qui sont, à l'inverse, bafouées par l'ordonnance dont nous avons parlé !
M. Laurent Duplomb. - La politique agricole commune a été faite pour jouer sur ce tarif et le principe de compensation légitimant les aides était de compenser la différence entre le coût réel et le pouvoir d'achat de nos concitoyens. Dès lors, ne parler qu'en partant des tarifs, comme nous le faisons actuellement avec la loi EGALIM, nous détourne de la défense de nos intérêts au niveau européen, alors que se négocie la nouvelle politique agricole commune. Faute d'aboutir sur la loi EGALIM, nous écoperons alors d'une double peine !
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous vous remercions de votre participation. Ce n'était qu'un premier rendez-vous et nous aurons l'occasion de vous demander de revenir d'ici quelques mois pour dresser un premier bilan de l'application de la loi EGALIM. Notre commission auditionnera la semaine prochaine les représentants de la grande distribution, avant peut-être, dans le cadre d'une audition élargie, de vous accueillir tous ensemble, afin de confronter vos différents points de vue.
La réunion est close à 11 h 05.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.