Mardi 18 décembre 2018
- Présidence de M. Jean Bizet, président -
La réunion est ouverte à 15 h 35.
Justice et affaires intérieures - Proposition de résolution européenne de M. Bruno Retailleau relative à un appui européen à un mécanisme de justice transitionnelle en Irak : rapport de M. Jean Bizet
M. Jean Bizet, président, rapporteur. - J'ai accepté avec grand plaisir d'être rapporteur de cette proposition de résolution européenne sur l'appui européen à un mécanisme de justice transitionnelle en Irak, déposée par notre collègue Bruno Retailleau et 80 membres du groupe sénatorial de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens, les minorités au Moyen-Orient et les Kurdes. Les présidents des groupes Socialiste et Républicain, Union Centriste et RDSE sont signataires de ce texte comme un certain nombre d'entre nous.
Je vous rappelle que le groupe de réflexion a été créé à l'initiative du président du Sénat, Gérard Larcher, en juin 2015. Composé de 130 membres issus de tous les groupes politiques du Sénat, le groupe s'est fixé à l'origine comme objectif de sensibiliser au drame vécu par les chrétiens, les minorités et les Kurdes au Moyen-Orient directement menacés par Daech et d'organiser des actions humanitaires sur place.
La défaite militaire de Daech ne doit pas aujourd'hui faire oublier le sort dramatique des communautés chrétiennes et des minorités en Irak. Le nombre de chrétiens y est passé de 860 000 en 2014 à moins de 400 000 aujourd'hui. Quelque 125 000 chrétiens auraient quitté l'Irak pour la seule année 2014. Une partie de ceux qui sont restés ont subi des violences de toute sorte, certaines relevant de la barbarie la plus sophistiquée. Le sort des fidèles des religions syncrétiques, pré-islamiques n'est guère plus enviable. Il en va ainsi des Yézidis, communauté kurdophone qui comptait en 2014 environ 600 000 membres en Irak, dont 400 000 auraient été déplacés par les combats, 1 500 sont morts et 4 000 retenus en captivité. Quelque 3 500 esclaves sexuelles yézidies sont, par ailleurs, détenues par Daech. L'une d'entre elles, Nadia Murad, qui a pu s'enfuir et témoigner, a reçu cette année le prix Nobel de la paix. Les Kakaïs, autre communauté kurdophone, seraient quant à eux 140 000 en Irak, pour la plupart déplacés après l'offensive de Daech, à l'instar des Shabaks qui seraient entre 40 000 et 60 000.
Le groupe de réflexion du Sénat a multiplié au cours des deux dernières années les initiatives pour la reconnaissance des crimes commis comme crimes de guerre, crimes contre l'humanité et pour la création, concomitante, d'un mécanisme de justice transitionnelle. Une résolution avait été adoptée à l'unanimité par le Sénat en décembre 2016. Un colloque sur cette question a été organisé en avril dernier. Le président Retailleau a été invité à intervenir lors de la troisième conférence organisée au printemps dernier dans le cadre du Plan d'action de Paris, consacré aux victimes de violences ethniques et religieuses au Moyen-Orient, adopté le 8 septembre 2015 et signé par 56 États et 11 organisations régionales et internationales. Le texte que nous examinons aujourd'hui s'inscrit dans la continuité. Il préconise, avec l'appui de l'Union européenne, la mise en place en Irak d'un mécanisme de justice transitionnelle, à même de faciliter la réconciliation entre les communautés qui composent ce pays.
L'Union européenne s'est engagée à de multiples reprises depuis 2003 pour la reconstruction en Irak. Elle a envoyé entre 2005 et 2013 une mission civile, Eujust Lex Irak, dédiée aux questions de police et de justice. Elle déploie aujourd'hui la mission EUAM Irak, chargée de conseiller et d'assister le gouvernement irakien dans la mise en oeuvre des aspects civils de la stratégie de sécurité irakienne. Le mandat de cette mission vient d'être prorogé jusqu'en avril 2020. Elle a, en outre, annoncé une aide financière de 400 millions d'euros pour la période 2018-2020 dédiée à la reconstruction du pays. Une communication adoptée par le Conseil en janvier dernier insiste précisément sur le nécessaire renforcement de l'État de droit.
C'est dans ce contexte que la proposition de résolution européenne flèche une partie des financements européens vers un mécanisme de justice transitionnelle apte à qualifier et juger les crimes commis par Daech sur le territoire irakien. Elle demande en premier lieu que ce dispositif ait une dimension internationale. L'Irak n'est pas aujourd'hui partie au Statut de Rome qui a institué la Cour pénale internationale. Les autorités irakiennes, très sensibles à leur souveraineté en la matière, sont néanmoins signataires du Plan d'action de Paris. Elles se sont donc engagées à documenter les crimes en mettant l'accent sur les exactions commises pour des motifs sectaires, ethniques et religieux. Elles doivent également garantir l'intégrité et la sécurité des victimes, des témoins et de leurs familles. Le gouvernement irakien a déjà demandé l'appui de la communauté internationale pour mener à bien ces missions. Il convient, dans ces conditions, de rechercher une solution hybride conciliant appui international et souveraineté. La proposition de résolution européenne met judicieusement en avant l'exemple des chambres extraordinaires auprès des tribunaux cambodgiens, composées de magistrats internationaux et cambodgiens, créées afin de traduire en justice les personnes responsables des crimes commis par les Khmers rouges. L'Union européenne finance pour partie leur activité. Ce dispositif pourrait être dupliqué à l'échelle irakienne. L'ajout d'une dimension internationale doit constituer, en tout état de cause, une des conditions du soutien européen.
La proposition de résolution européenne insiste également sur le travail de formation des enquêteurs et des juges. Son auteur souhaite que l'Union européenne renforce à cet effet le mandat de l'actuelle mission EUAM Irak et qu'elle contribue à la formation des forces de sécurité irakiennes aux enquêtes sur les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité. Une telle option faciliterait indéniablement la coopération avec l'équipe d'enquêteurs des Nations Unies chargée de recueillir des preuves en Irak qui va commencer ses travaux dans les prochaines semaines. Elle ne peut donc qu'être appuyée.
La proposition insiste, en outre, sur la mission Eujust Lex Irak dont le mandat s'est achevé le 31 décembre 2013. Ce dispositif avait pour objectif de renforcer l'État de droit et de promouvoir une culture de respect des droits de l'Homme dans le pays, en menant notamment des actions de formation auprès de fonctionnaires irakiens des forces de police, de la justice ou de l'administration pénitentiaire. L'auteur de la proposition de résolution souhaiterait le lancement d'une mission quasi-équivalente, plus particulièrement dédiée aux questions judiciaires. Il s'agirait de former le personnel judiciaire, en le sensibilisant particulièrement aux spécificités des instructions visant les crimes de guerre ou les crimes contre l'humanité. Une telle mission viendrait compléter tout à la fois le travail des enquêteurs et celui des chambres mixtes envisagées plus haut. L'appui européen pourrait se traduire par l'introduction dans le droit irakien des incriminations de crime de guerre et de crime contre l'humanité. La loi antiterroriste irakienne, aux termes de laquelle les combattants de Daech sont aujourd'hui jugés, ne prend pas en compte la notion de crime contre l'humanité. L'ambition de l'auteur de la proposition doit là encore être approuvée.
L'économie générale du texte comme ses préconisations ne me paraissent pas, dans ces conditions, devoir susciter de réserves ou de précisions complémentaires. Je vous propose donc d'adopter la proposition de résolution sans modification - ce qui ne signifie pas sans débat. Elle sera ensuite transmise à la commission des affaires étrangères avant un examen en séance publique le 22 janvier prochain.
L'Union européenne est souvent là pour mettre fin aux conflits. Je pense, toutes proportions gardées, à son rôle essentiel dans l'accord du Vendredi saint qui a fait cesser la guerre civile en Ulster. L'Union européenne, créée autour du couple franco-allemand, est un facteur de paix. En Irak, elle peut oeuvrer à la réconciliation des différentes ethnies.
Cette proposition de résolution est nécessaire pour épauler un pays qui en a besoin et s'inscrire dans la lutte contre ces crimes de guerre et ces crimes contre l'humanité.
M. Claude Kern. - Tout est dit.
M. Benoît Huré. - Cette proposition de résolution est très équilibrée.
Mme Colette Mélot. - On ne peut que l'approuver.
M. Jean Bizet, président, rapporteur. - Donner une dimension européenne à ce sujet à la veille des élections européennes montrera à nos concitoyens tentés par un vote eurosceptique qu'il faut y regarder à deux fois. L'Union européenne n'est pas seulement le premier marché économique mondial. C'est aussi une entité qui a des valeurs.
Mme Gisèle Jourda. - Cette proposition de résolution du président Retailleau, qui préside le groupe de réflexion - auquel j'appartiens -, porte sur un sujet qui nous touche au coeur. Je l'ai immédiatement soutenue, comme plusieurs collègues socialistes. Comme cela se fait au groupe RDSE, certains membres du groupe socialiste y seront favorables et d'autres s'abstiendront sans pour autant s'y opposer, en raison de sa difficulté de mise en oeuvre liée à la non-adhésion de l'Irak à la Cour pénale internationale.
Ce type de justice transitionnelle existe ailleurs - l'ex-Yougoslavie et la Sierra Leone en ont fait l'expérience. Elle a toute légitimité à se substituer temporairement à la justice classique pour aider les victimes et s'élever contre les crimes contre l'humanité, en attendant que le pays devienne suffisamment mûr pour le faire de façon autonome.
Nous, Européens, avec notre histoire, devons tendre la main aux minorités persécutées et montrer que nous sommes attachés à la démocratie et à la sortie de l'état de guerre, dans des pays parfois volontairement déstabilisés. Ne nous privons pas de rééquilibrer les situations.
Face au sort quotidien des Palestiniens, la communauté internationale est complètement paralysée, réduite à l'inertie, ce qui rend la solution à deux États de moins en moins viable. Même si comparaison n'est pas raison, c'est un argument de plus pour soutenir cette proposition de résolution.
M. Jean Bizet, président, rapporteur. - Merci d'avoir souligné l'importance de la souveraineté des États, à laquelle l'Union européenne est très attentive.
La proposition de résolution est adoptée.
M. Jean Bizet, président, rapporteur. - Unanimité ! Je tiens à féliciter à nouveau l'auteur de la proposition de résolution et l'ensemble du groupe de réflexion.
La réunion est close à 16 heures.
Mercredi 19 décembre 2018
- Présidence de M. Jean Bizet, président, et de Mme Sabine Thillaye,
présidente de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale -
La réunion est ouverte à 17 h 12.
Institutions européennes - Réunion conjointe avec la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale et des membres français du Parlement européen : bilan de la 8e législature du Parlement européen
Mme Sabine Thillaye, présidente. - Mes chers collègues, je souhaite d'abord la bienvenue à nos collègues du Sénat et aux membres de la délégation française au Parlement européen, qui participent à cette réunion consacrée au bilan de la huitième législature du Parlement européen. Il nous a semblé important que les commissions des affaires européennes puissent entendre ensemble les membres du Parlement européen à ce sujet avant le début de la campagne pour les élections européennes. Les chantiers législatifs accomplis sont nombreux et des textes majeurs ont été adoptés, qu'il s'agisse du règlement sur la protection générale des données personnelles, des textes sur le marché unique du numérique, de la révision de la directive sur le détachement des travailleurs, du « Paquet Énergie Climat » ou des différents « Paquets mobilité ». D'autres chantiers restent ouverts, notamment la réforme de la PAC, la réforme de l'asile avec l'épineuse question de la refonte du règlement de Dublin, ou encore la mise en place d'une fiscalité européenne harmonisée, tant en matière d'impôt sur le bénéfice des sociétés que pour la taxation du secteur numérique.
Les travaux du Parlement européen ont également été marqués par la question du respect de l'état de droit dans l'Union. Je tiens à dire ici que ce sujet nous tient particulièrement à coeur car nous souhaitons que l'Union européenne demeure fondée sur l'état de droit et reste un espace de liberté et de justice. Je ne m'attarderai pas sur la question sur la question du Brexit, qui a beaucoup mobilisé notre énergie, car je souhaite que nos discussions nous permettent de nous tourner vers l'avenir de la construction européenne. Elles doivent nous permettre de voir les défis qui nous attendent pour conforter la construction européenne auprès de nos concitoyens. J'aimerais également que nous fassions le bilan de la coopération entre les parlements nationaux et le Parlement européen, et je suis ouverte à vos suggestions pour renforcer de telles coopérations pour en faire le vecteur d'une complémentarité.
M. Jean Bizet, président. - Je me réjouis de cette nouvelle occasion d'échanger avec nos collègues députés et parlementaires européens. À l'approche des prochaines élections, il est indispensable d'avoir un regard rétrospectif sur la mandature écoulée, pour mieux préparer les défis que nous réserve celle qui vient.
Je voudrais d'abord saluer la démarche de la Commission européenne qui a souhaité se concentrer sur un nombre limité de priorités, dix au total, fidèle à son objectif de définir ce qu'on appelle « l'Europe de l'essentiel ». Cela me paraît indispensable pour répondre au reproche d'une Europe tatillonne et dispersée. Les discours annuels sur l'état de l'Union ont permis de conserver ce cap. Les initiatives présentées parallèlement se sont inscrites dans le cadre des priorités annoncées. De ce point de vue, le rôle du vice-Président de la Commission, Franz Timmermans, a été efficace pour ne conserver que les initiatives en lien avec les objectifs politiques annoncés.
Sur la base des initiatives de la Commission européenne, l'activité législative a été efficace, un accord a pu être trouvé sur près de la moitié des propositions entre le Conseil et le Parlement, et 20 % ont bien avancé dans le processus. Dans son programme de travail pour 2019, la Commission entend se limiter à un nombre restreint d'initiatives, qu'elle juge essentielles pour concrétiser ses dix priorités.
Nous devons saluer les progrès accomplis mais être conscients des défis à relever. Le marché unique est une réalisation majeure de la construction européenne, curieusement on vient d'en prendre une plus pleine conscience depuis le Brexit : nous sommes copropriétaires du premier marché économique mondial. Nous devons encore y intégrer les enjeux du numérique, et notamment les progrès de l'intelligence artificielle. Peut-être devons-nous réviser la politique européenne en matière d'autorité de la concurrence. Nous l'avons souligné à plusieurs reprises au Sénat ces dernières années. L'unanimité constitue un frein puissant à une véritable convergence fiscale ; le Président Juncker dans son discours de septembre sur l'état de l'union l'a rappelé avec insistance. Mais le travail continue car pour obtenir un changement en la matière, il faut un vote à l'unanimité.
L'union de l'énergie reste à parachever, même si le sommet de la zone euro a pu amener certains progrès. L'Eurogroupe sera appelé à travailler à une forme de budget de convergence et de compétitivité, avec une forme de budget d'investissement, ou de fonds d'investissement.
Lors du débat post-Conseil que nous avons eu avec elle, la ministre des Affaires européennes soulignait également l'importance de l'appui des parlements nationaux en la matière, notamment lors des conférences réunies en vertu de l'article 13 du Traité de la Stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire. La taille de cet instrument sera déterminée dans le prochain cadre financier pluriannuel.
On peut se réjouir que la position allemande ait évolué sur ce sujet. C'est au vu de ce qui sera proposé en janvier 2019 que l'on pourra avoir une appréciation plus précise de la portée réelle que pourra avoir cet instrument.
En matière commerciale l'Union semble sortie d'une certaine forme de naïveté, face à des partenaires qui n'hésitent pas à manier le rapport de force. Elle doit encore agir pour concrétiser le filtrage des investissements directs étrangers. Nous sommes impatients d'avancées plus significatives en matière de sécurité, avec notamment un parquet européen compétent pour lutte contre le terrorisme et la grande criminalité. Concernant les migrations nous prenons acte des progrès réalisés avec Frontex. Nous nous réjouissons que sa ligne budgétaire soit multipliée pratiquement par 2,6 dans le prochain cadre financier pluriannuel, et que le programme soit doté d'une nouvelle mission en rapport avec les procédures de retour. Les ratios ne sont en effet pas satisfaisants en France, puisqu'ils se situent autour de 14 % à 15 %. Mais Frontex a surtout une mission essentielle en matière de sécurité des frontières extérieures, nous relevons également l'augmentation du budget alloué. Le nombre de franchissements illégaux des frontières est revenu à son niveau d'avant la crise, mais il reste encore beaucoup à faire pour que l'Union parvienne enfin à une véritable maîtrise des flux migratoires. À cet égard nous regrettons le manque d'avancées sur un paquet de sept textes, dont la réforme du règlement dit de Dublin constitue l'élément central. Je regrette aussi que la présidence autrichienne n'ait pas réalisé une coordination européenne pour la signature du pacte de l'ONU sur les migrations, qui suscite inquiétudes et controverses.
Au total, nous voyons bien que l'Union européenne devrait poursuivre son recentrage sur les compétences pour lesquelles la valeur ajoutée européenne est bien perçue par les citoyens. Cette Europe recentrée doit s'affirmer sur la scène internationale et respecter pleinement la subsidiarité, sur ce sujet les propositions de la task force de Frans Timmermans sont restées en deçà de nos attentes.
L'Union européenne doit être plus lisible et plus proche des citoyens, elle doit réformer son fonctionnement pour faire toute sa place au contrôle démocratique, notamment grâce au contrôle des parlements nationaux.
M. Alain Lamassoure, membre du Parlement européen. - Merci de nous avoir associés à vos travaux, et en particulier à ce bilan de la législature. Vu du Parlement européen, nous pouvons dire que nous avons connu une législature très difficile car elle a commencé dans une conjoncture économique encore très marquée par la crise, dans une période de très grandes difficultés pour le budget communautaire. L'année précédente, l'accord sur le cadre financier pluriannuel avait consacré une baisse de 4 % par rapport au cadre précédent. Cette période a ensuite été marquée par des crises imprévues et très graves. Nous avons connu une crise qualifiée de migratoire, mais en réalité, en 2015, ce n'est pas une crise migratoire mais une crise de réfugiés, à laquelle nous avons dû faire face, à cause de la guerre irako-syrienne. Le phénomène auquel nous assistons aujourd'hui est d'une échelle beaucoup plus importante à l'échelle historique, il est appelé à durer et s'explique par des raisons démographiques, économiques et politiques.
Dans ce contexte, la Commission Juncker s'est attachée à essayer de mieux légiférer et de moins légiférer. Les résultats quantitatifs sont spectaculaires, puisque la Commission précédente nous proposait 130 textes par an, et que nous sommes à 23 textes par an sous cette législature. Je considère que c'est un progrès.
La première priorité était la relance par l'investissement, et de ce point de vue le plan Juncker a atteint ses objectifs, puisque nous avons atteint 335 milliards d'investissement financés par le plan. Si la croissance se ralentit dernièrement, nous avons pu atteindre l'année dernière une croissance qui correspond à son potentiel, de 2 % à 2,5 % de croissance moyenne du PIB et douze millions d'emplois créés. Aujourd'hui, 240 millions d'hommes et de femmes travaillent dans l'Union européenne, ce qui est un record. Cette politique de relance de l'investissement a été accompagnée de nouveaux progrès pour la création d'un véritable espace européen de capitaux, leur permettant d'être mieux alloués.
Cette politique de relance de l'investissement a été accompagnée de nouveaux progrès dans la mise en place d'un véritable espace européen de capitaux permettant aux pays ayant des excédents d'épargne d'investir dans les pays en manquant et a marqué la fin de l'Initiative Emploi des Jeunes, initiative prise sous la précédente législature et qui s'est assez bien déroulée.
Sur la réforme de la PAC où, à mon avis, la réflexion est encore insuffisante, nous avons pu faire admettre, dans le cadre de la révision à mi-parcours du cadre financier 2014-2020 de l'Union européenne, dans un texte portant le nom désuet d'« Omnibus », que les règles de la concurrence en matière économique à l'intérieur du grand marché ne pouvaient pas s'appliquer de la même manière pour l'agroalimentaire, les groupements de producteurs ayant le droit de constituer des ententes pour négocier d'égal à égal avec les transformateurs et les grands distributeurs.
Nous avons aussi encouragé la recherche de nouveaux débouchés grâce à des accords commerciaux avec le Canada, avec le Japon - accord infiniment plus important qui, curieusement, a suscité beaucoup moins de controverses entre les familles politiques au sein du Parlement européen, ce dont je me réjouis - et avec l'utilisation d'instruments antidumping particulièrement vigoureux, notamment vis-à-vis de la Chine. Le Parlement européen s'est par ailleurs opposé à ce que la Chine soit admise comme une économie de marché.
En plus de l'économie, nous avons essayé d'aborder certains défis du siècle. Tout d'abord, en ce qui concerne les migrations, il est clair que nos gouvernements ne sont pas parvenus à trouver une entente. Le bon sens mène à la conclusion que, s'il n'y a pas des politiques communes de l'amont jusqu'à l'aval, depuis la négociation avec le pays de départ et la définition du statut de réfugié et jusqu'à la reconduite à la frontière des étrangers en situation irrégulière, nous resterons inefficaces.
Nous avons pu transformer Frontex en agence chargée de garder les côtes et les frontières de l'Union européenne, la grande question étant maintenant de savoir quels moyens vont lui être affectés.
Des progrès ont été accomplis dans la lutte contre le terrorisme, des progrès dans la protection de l'environnement et la lutte contre les changements climatiques.
Nous avons réalisé une grande percée en matière de défense, ce qui était souhaité par la France depuis très longtemps, avec tout d'abord le déclenchement de la coopération renforcée dite « structurée permanente », puis l'initiative assez originale, dite « Initiative européenne d'intervention militaire », proposée par le Président de la République et entérinée par 7 à 8 pays dont la Finlande, pays par tradition neutre et enfin la mise en place d'un véritable budget pour la recherche et l'industrie.
Nous, Français, avons beaucoup travaillé et développé les programmes de sciences et de technologies. 26 satellites de navigation Galileo, le fameux GPS européen, sont en orbite. 400 millions des personnes et entreprises sont désormais raccordées à ce système.
En matière d'économie numérique, de nanotechnologies ou de biotechnologies, l'Agence de l'innovation, lancée par le commissaire européen à la recherche et à l'innovation, Carlos Moedas, sur la base du principe Mission-Driven Science, s'attaque à de grands sujets tels que la prévention de la maladie d'Alzheimer, le traitement du cancer de l'enfant, ou l'avion électrique.
Nous avons commencé, sans que cela soit encore venu au niveau du Parlement (mais nous le ferons peut-être d'ici la fin de la session), à aborder le problème de la lutte contre l'extraterritorialité des lois américaines. Cela devrait nous conduire à réaliser, vingt ans après, que l'euro a été créé, non seulement pour avoir une monnaie commune, mais aussi pour disposer d'une arme économique sur la scène mondiale. Or on constate aujourd'hui qu'Air France continue de payer de dollars les Airbus qu'elle achète, ce qui n'est pas très glorieux.
Je conclurais en disant qu'il reste à inventer un modèle de solidarité européen, solidarité entre pays européens et solidarité entre citoyens européens. N'ayant pas de budget digne de ce nom, nous avons besoin d'un modèle original. En effet, les prélèvements obligatoires en France représentent 46 % du PIB et le budget européen 1 %.
Nous prétendons financer une politique mondiale avec des aumônes. Nous nous rendons bien compte à chaque crise que si la solidarité entre les pays ou entre les pays avait été plus importante, nous aurions pu affronter la situation dans de meilleures conditions.
Cette solidarité comporte plusieurs aspects. La solidarité des démocraties implique la nécessité d'être irréprochable en matière d'État de droit. En matière migratoire, l'absence criante de solidarité a des conséquences catastrophiques, aucun pays ne pouvant se passer des autres. Il en est de même en matière de lutte contre le terrorisme. Si la police française avait disposé d'informations des polices des pays partenaires, il aurait peut-être été possible de connaître à l'avance certains plans de tueurs ayant commis des tragédies sur notre territoire.
En matière de fiscalité des entreprises, nous avons pu faire progrès dans la solidarité entre nos États. Désormais, grâce aux dispositions adoptées en commission économique et monétaire, nos pays ne se dérobent plus la ressource fiscale. Sans être parvenu à un accord pour mettre ne place un système commun d'imposition des entreprises, quels que soient les secteurs le Parlement européen a fait des propositions, les seules reconnues pertinentes à long terme, mais qui ne recueillent pas encore l'unanimité parmi nos partenaires.
Nous avons fait des progrès dans la solidarité en matière défense, bien que certains de nos partenaires continuent d'acheter prioritairement du matériel américain.
Enfin je mentionnerai la coopération interparlementaire. En commission constitutionnelle, je travaille à mon dernier rapport qui s'intéressera aux coopérations renforcées, à l'usage qu'on veut en faire et aux domaines dans lesquels la formule est indiquée. Il s'agit de faire en sorte que la procédure des coopérations renforcées permette un allègement de certaines procédures communautaires, notamment lorsque l'unanimité est requise.
J'ai l'impression que sur les sujets sur lesquels nous avons insuffisamment avancé, nous n'avancerons pas à 27. Or nous pourrions avancer à condition d'être moins nombreux. Le recours à la coopération renforcée implique des décisions qui, juridiquement, auraient la valeur des décisions communautaires pour les seuls États participant à la coopération renforcée, mais qui exigent le contrôle parlementaire. Ma recommandation formelle est d'y associer les Parlements nationaux. Dans un certain nombre de domaines correspondant à ce qu'on appelait dans le Traité de Maastricht les 2ème et 3ème piliers, c'est-à-dire tout ce qui concerne les droits de la personne et l'exercice majeur de souveraineté, il est parfaitement légitime que les Parlements nationaux jouent leur rôle. Je crois que nous aurons à multiplier les échanges, les réunions et les prises de positions communes entre les deux catégories de Parlement.
Mme Françoise Grossetête, membre du Parlement européen. - Merci Madame la Présidente de nous avoir réunis. Quand Alain Lamassoure évoque la volonté de la Commission européenne de mieux légiférer et de moins légiférer, je voudrais indiquer que pendant les deux premières années de la mandature, nous avons eu le sentiment de tourner un peu en rond en attendant les textes. Cela a entraîné beaucoup de précipitation en deuxième partie de la mandature et la grosse charge de travail actuelle.
Dans le domaine de la croissance envisagée de façon très globale, nous avons travaillé sur une série de propositions intéressantes parmi lesquelles celles concernant l'Union pour l'énergie avec le « Paquet Énergie-Climat ». En matière de transition énergétique, nous avons voté un certain nombre de textes législatifs comportant des objectifs contraignant de réduction des émissions. Le marché unique du numérique, sujet essentiel pour l'avenir de l'Union européenne, et ce qui en découle, comme l'intelligence artificielle, sont en train de s'organiser. Par ailleurs, le chantier de l'économie circulaire mis en place a permis de découvrir qu'on pouvait penser positivement les déchets. Les législations favorisent le développement de ces nouveautés. Dans le domaine de la recherche, le succès d'Horizon 2020, devenu Horizon Europe, s'est accompagné d'une augmentation du budget. Le but est, comme à chaque réussite, d'amplifier et de sanctuariser cette augmentation dans le futur budget pour la prochaine mandature.
Alain Lamassoure a cité les avancées concernant la politique spatiale européenne et le Fonds européen de la défense qui permet de soutenir l'innovation dans l'industrie de l'armement, deux domaines dans lesquels la France joue un rôle capital grâce non seulement à ses grandes entreprises et mais aussi de nombreuses PME.
Je tiens beaucoup pour ma part aux questions de santé sur lesquelles je travaille. On a parlé récemment du règlement sur les dispositifs médicaux que nous avons révisé avant que ne surgissent les scandales concernant ces dispositifs.
Je voudrais insister sur le fait que nous passons beaucoup de temps à réviser des législations. On transforme des directives en règlements qui ont l'avantage de s'appliquer partout de la même manière et d'éviter les divergences de mises en application. Or chaque fois qu'il faut réadapter une législation, une réunion n'est pas indispensable. Je l'ai vu concernant le règlement sur les médicaments pédiatriques, qui comportait une vraie lacune sur les cancers pédiatriques qui frappent de nombreuses familles en France. Dans ces cas, on ne révise pas, car la procédure est trop lourde, mais on adapte en apportant les modifications nécessaires pour que la recherche puisse se faire dans de meilleures conditions.
Il est aujourd'hui nécessaire d'avancer, mais des freins existent au niveau du Conseil. Chaque fois que nous avons des pannes de l'Union européenne, c'est parce que le Conseil est divisé et manque de solidarité. La règle de l'unanimité est un vrai frein. Sur la zone euro par exemple, nous aurions souhaité aller plus vite - c'est aussi la position de la France. On avance par petites touches, par petits pas, mais mon sentiment est que nous ne sommes pas à la hauteur de l'urgence. Outre ce frein de la règle de l'unanimité, l'Allemagne n'a sans doute pas joué le rôle attendu, en raison de ses problèmes de politique intérieure. Dans un monde instable et dangereux, l'Union européenne montre des faiblesses.
S'agissant du budget, le niveau de financement ne correspond pas à ce qui est attendu de l'Union européenne. Le cadre financier pluriannuel 2014-2020 n'avait pas prévu les problèmes migratoires ou le Fonds européen de défense. Le contexte nous a imposé ces sujets, or la réactivité est insuffisante pour ajuster les moyens, les atermoiements du Conseil et des États membres à ce sujet sont une vraie difficulté.
Mme Christine Revault d'Allones-Bonnefoy, membre du Parlement européen. - Le bilan est apprécié de manière différente selon le groupe politique d'appartenance. En premier lieu, je vais revenir sur le bilan de l'Europe sociale, solidaire et démocratique.
Les politiques sociales sont à mon sens le point faible, en dépit de la victoire qu'a représenté la révision de la directive sur les travailleurs détachés. En effet, une partie des travailleurs a été sortie du cadre général, je pense en particulier aux chauffeurs routiers, sur la demande de la France notamment, et leur sort reste suspendu aux discussions très difficiles sur le paquet Mobilité, prévues en janvier.
Nous avons également rejeté la carte électronique des services, synonyme à nos yeux de dumping social. Nous avons adopté la directive sur l'équilibre vie privée-vie professionnelle pour encourager un meilleur partage entre les deux, tant pour les femmes que pour les hommes, mais les avancées obtenues au Parlement européen sur le montant du revenu de remplacement (73 % du revenu brut dans le cas d'un congé paternité par exemple) sont bloquées au Conseil, et notamment par la France, ce qui est regrettable. Il s'agit d'une exigence portée de nombreuses années tant par les syndicats que par la grande majorité des députés européens.
Nous avons mené la bataille pour la mise en place de la garantie européenne de la jeunesse, et conforté ses moyens financiers. Nous avons aussi obtenu l'instauration d'un socle européen des droits sociaux, mais la Commission européenne n'a pas répondu à l'urgence sociale et à nos revendications : il n'y a toujours pas de salaire minimum obligatoire dans chaque État membre, ni de plan de lutte contre la pauvreté. Ce sont donc d'ores et déjà deux sujets pour la prochaine mandature.
L'Europe sociale passe aussi par une mondialisation juste et équitable. Nous nous sommes prononcés contre les accords de commerce international avec les États-Unis et avec le Canada, mais aussi avec le Japon. Je suis ici en désaccord avec mon collègue Alain Lamassoure, je considère que cet accord ne garantit pas le respect des normes sociales et environnementales européennes, le Japon n'étant en effet toujours pas signataire de certains textes cadres de l'Organisation Internationale du Travail. Il est essentiel de mettre en place un certain nombre d'outils afin, dans de prochaines négociations de ce type, d'établir un rapport de force plus équilibré entre une « Europe puissance » et ses partenaires de négociation.
Sur la crise humanitaire et la crise de l'accueil des réfugiés - la crise a concerné l'accueil, seuls 3 % des demandeurs d'asile étant venus en Europe - je partage complètement l'avis de mon collègue Alain Lamassoure sur l'absence de solidarité à l'échelle européenne. Le Parlement européen a pris ses responsabilités et voté les directives sur la table pour mettre en place cette solidarité. Mais le Conseil n'a pas rempli son rôle de co-législateur, puisqu'il a décidé de mettre ces textes de côté. C'est un très grand regret.
Le Parlement européen a également pris ses responsabilités en matière de respect des droits fondamentaux, en votant pour la première fois le déclenchement de l'article 7 et des sanctions contre le Gouvernement de Hongrie, à rebours de l'inaction manifeste du Conseil. Nous avons également soutenu les initiatives de la Commission européenne à l'égard de la Pologne, et nous avons adopté une résolution demandant à la Commission de prendre l'initiative d'une directive horizontale pour une meilleure protection des journalistes et des lanceurs d'alerte. Nous avons également poussé à la signature et la ratification par l'Union européenne de la Convention d'Istanbul de lutte contre les violences faites aux femmes. Or depuis deux ans, les États membres reculent sur ce sujet, certains d'entre eux considérant même ce texte comme incompatible avec leur ordre constitutionnel interne - comme en Bulgarie -, soit voulant retirer leur signature, comme en Pologne.
Sur les questions environnementales, c'est évidemment à l'échelle européenne qu'il faut agir, et il y a eu beaucoup de textes, dès le début de la mandature, et je suis ici en désaccord avec ma collègue Françoise Grossetête. Dès 2014, nous avons travaillé sur la préparation des accords de Paris sur le climat, avec la définition de la position du Parlement, puis sur leur traduction législative, avec le « Paquet Énergie Climat » mais aussi tout ce qui a trait à la « Mobilité Propre ». Nous venons de conclure en trilogue sur les réductions des émissions de CO2 des véhicules légers et lourds.
Une réforme ambitieuse de la PAC est sur la table, mais elle ne serait pas achevée avant la fin de la mandature. Le Parlement européen a enfin été très actif sur le front des scandales environnementaux. Nous avons mis en place une commission d'enquête sur les sujets liés au diesel, la Commission EMIS, dès 2016, et une commission spéciale, la Commission PEST, a bien avancé sur les sujets liés au glyphosate.
En matière internationale, j'ajouterai à ce qui a été dit par mon collègue Alain Lamassoure sur l'Europe de la défense, les sujets liés au terrorisme, en signalant qu'au-delà de la résolution adoptée lors de la dernière plénière, nous avions pris nos responsabilités et voté très tôt la directive relative à la transition des données PNR des passagers. Or ce texte n'est toujours pas appliqué dans l'ensemble de l'Union européenne en raison de l'inaction de certains États membres, qui ne l'ont toujours pas transposée.
Je conclurai sur un point qui est à la fois un regret et un sujet d'inquiétude, la nouvelle localisation de la Représentation de l'Union européenne à Paris. Cette dernière doit en effet quitter très prochainement ses locaux boulevard St Germain, et avait trouvé un local près de la gare Saint Lazare susceptible de l'accueillir ainsi qu'un « Parlementarium » ouvert aux citoyens européens. Tout était prêt, y compris l'engagement financier du Parlement européen. Or la France a rejeté cette proposition, et aujourd'hui règne une incertitude complète sur la localisation de cette Représentation. Il serait bon, me semble-t-il, d'intervenir.
Mme Karine Gloanec Maurin, membre du Parlement européen. - Cette mandature est marquée par un contexte très particulier, avec les suites de la crise financière de 2008, ses conséquences fortes au niveau social, et ses différentes répliques pendant la première partie de la mandature. D'autres crises se sont ajoutées, une crise géopolitique en 2015, avec la guerre.
L'Union européenne doit mener des actions fortes, comme une réponse à une situation qui va durer. Il nous faut un accueil des réfugiés, dû souvent au changement climatique, à des conditions économiques différentes, souvent douloureuses sur le continent africain, que nous devons prendre en compte. Il y a aussi la question de la prise en charge par l'Union européenne des questions climatiques, notamment dans leur dimension agricole.
La crise sanitaire est également cruciale. L'Europe apporte des solutions concrètes, via la mise en place de la « Commission Pesticides » et l'arrêt de l'usage du glyphosate. L'Europe a dû répondre à des urgences, comme la lutte contre les paradis fiscaux, sur laquelle nous commençons à avoir des réponses. Je suis aussi très attachée à la défense des droits d'auteur, ayant eu un parcours dans la culture. Le 12 septembre a marqué la réforme du droit d'auteur. Celle-ci a été non seulement importante en elle-même, mais c'est aussi un message envoyé aux GAFA. Nous leur avons dit qu'il n'était plus possible, non seulement de ne pas payer ses impôts sur les territoires européens, mais aussi d'utiliser les contenus créés par des artistes sans les rémunérer.
Ce même 12 septembre, nous avons réactivé l'article 7 du TFUE, à l'encontre de Viktor Orban. Ce n'est pas pensé contre la Hongrie, mais son dirigeant. Le Parlement européen était dans son rôle de respect de l'État de droit. Nous avons également travaillé sur la protection des lanceurs d'alerte, sur le principe de solidarité, ainsi qu'un début de réponse de prise en compte de l'accueil des réfugiés.
Pour ce qui est de la PAC, nous y travaillons activement, avec trois rapports qui accompagnent la nouvelle PAC. Nous avons des règlements horizontaux, des règlements sur l'organisation commune des marchés, ainsi que cette nouveauté de la PAC que sont les plans stratégiques nationaux. Ces derniers inquiètent beaucoup le secteur agricole français, car c'est une nouvelle configuration. La proposition de la Commission suit la bonne réforme de 2013, mais ce changement d'organisation contribue à faire naître des inquiétudes. Nous travaillons à ce qu'il n'y ait pas de disparité entre les États. C'est une réflexion que nous avons en commun au sein de la Commission AGRI. Il est étonnant que la Commission demande aux États membres de reprendre leurs responsabilités pour cette politique, qui est la plus intégrée au niveau de l'Union Européenne. Il faut saluer par ailleurs la mise en place du règlement omnibus, au sein du mandat actuel. Parmi les pratiques nouvelles que l'Union européenne demande au secteur agricole, la dimension de recherche est très importante. Dans le prochain CFP, il y aura une enveloppe de 10 milliards d'euros qui sera dédiée au secteur agricole. Il bénéficiera d'un accompagnement pour le changement des pratiques agricoles, actuellement dégradées au sein de l'Union. Aujourd'hui, l'accompagnement est encore trop modeste.
Pour ce qui est du budget, je voudrais témoigner que la Commission du Budget, et notamment le groupe des parlementaires qui a participé à la conciliation pour le budget 2019, que nous venons de voter, ont été très satisfaits, puisque nous avons obtenu une augmentation de plus de 321 millions d'euros pour l'année. Mais c'est le fruit d'un long combat, et je souhaite souligner que le Conseil a beaucoup freiné. La conciliation s'est déroulée de manière remarquable, tous les groupes politiques étaient représentés, à l'exception de l'extrême droite. Nous avons voulu réactiver l'article 15.3 d'un nouveau règlement, mis en place au sein de l'actuel CFP, qui permettait de reporter des financements engagés, de l'ordre de 400 millions d'euros sur N+2. On pouvait demander le report des financements engagés. Mais cet article n'a pas pu être activé, en vertu du refus au Conseil, notamment de l'Allemagne et de la France. Cela a été une vraie déception pour cette conciliation qui avait été menée avec une grande rigueur par Jean Arthuis et Daniele Viotti, mais nous nous sommes heurtés à l'inertie des États, de nouveau.
Cela prive l'Union de financements supplémentaires pour 2019. Mais aujourd'hui, au Parlement européen, il y a une volonté d'avancer et d'être très actifs au niveau du budget. Nous préconisons de faire passer le budget de 1 % du PIB de l'Union, à 1,3 % du PIB. Dans les années 1980, le budget a pu atteindre 1,27 %. Ce n'est donc en rien utopique. Mais il faudra être très attentif lors de toutes les négociations qui auront lieu jusqu'à la fin de 2019. J'ai espoir que la structure du budget qui sera présentée, au sein du prochain CFP, puisse être mieux suivie par les États. Ce sera notre grand combat jusqu'à la fin du mandat.
Enfin, nous n'avons pas parlé du socle européen des droits sociaux. Il a été voté en novembre 2017, et un rapport a été voté la semaine dernière en commission ECON.
M. Nicolas Bay, membre du Parlement européen. - Je vais exprimer des positions divergentes ou en profond désaccord avec mes collègues des autres groupes politiques.
Je suis coprésident du groupe Europe des nations et des libertés, et membre de la Commission des libertés. Je vais parler plus spécifiquement des sujets qui concernent cette commission.
À titre liminaire, il est frappant de voir que, à chaque fois qu'on évoque l'action de l'Union européenne, on envisage toujours d'aller plus loin dans l'intégration et dans le fédéralisme. On n'envisage jamais d'accentuer certaines coopérations et d'en réduire d'autres, et donc d'appliquer sainement le principe de subsidiarité, pourtant invoqué à tout propos. Le débat des élections européennes, qui s'ouvrira dans quelques semaines, portera sur l'efficacité de l'Europe, qui a connu une inflation législative et une inflation dans l'intégration. À chaque fois qu'on va plus loin dans l'intégration, cela aboutit à une impuissance toujours plus grande de notre continent, et des nations qui le composent. On devait se concentrer sur un certain nombre de grands sujets, où la nécessité de coopérer de manière très étroite est évidente : la sécurité alimentaire, la protection des données personnelles, le contrôle des frontières extérieures. Ce sont des grands sujets de coopération, qui sont des défis qui se posent à nous. Il y a beaucoup d'autres domaines où il faut respecter le principe de subsidiarité, et donc la souveraineté nationale. Nous ne devons plus avoir une immixtion permanente des institutions européennes dans nos démocraties.
Pour ce qui est de la réforme du règlement de Dublin, je voudrais nuancer ce qui a été dit précédemment. La crise migratoire que nous avons connue, qui a peut-être connu son apogée en termes de volume d'étrangers illégaux qui sont arrivés en Europe, en 2015-2016, n'est pas une crise des réfugiés. L'essentiel des personnes qui sont arrivées sur le territoire européen ne fuyait pas des pays en guerre. Il y en avait certes une minorité, mais tous les chiffres, y compris les statistiques relatives aux demandeurs d'asile, ont démontré que l'essentiel de ceux qui passaient par les îles de la Méditerranée ou par la route des Balkans, venaient principalement parce qu'ils fuyaient des situations économiques difficiles. Ils n'étaient donc pas éligibles au statut de réfugié, tel qu'on l'entend, s'agissant de conflits armés.
Le règlement de Dublin bloque au niveau du Conseil, mais ce n'est pas une surprise. Pour répondre à Mme Revault d'Allones, quand le Conseil bloque, ce n'est ni de l'inaction, ni de la paralysie. Il s'agit simplement d'un désaccord d'un certain nombre de pays. La réforme de Dublin IV aboutit finalement à accentuer une forme de laxisme en matière d'asile, que beaucoup de pays refusent. Les étrangers qui font une demande d'asile vont avoir le choix entre quatre pays, et vont donc s'orienter vers le plus offrant, soit celui qui offre le plus de prestations sociales aux demandeurs d'asile. Dans le cadre de Schengen et grâce à la liberté de circulation, cela aboutirait à faciliter l'installation définitive de ceux qui ne sont pas éligibles au droit d'asile, souvent déboutés mais quasiment jamais expulsés. Je pense que le blocage au niveau du Conseil va perdurer, et que si on ne réoriente pas totalement cette politique d'asile vers la fermeté, il n'y a aucune chance qu'une législation plus permissive soit adoptée par le Conseil.
Sur la question de l'État de droit, j'ai eu l'occasion de me rendre ces dernières semaines à Varsovie, à Budapest et à Bucarest. Les procédures liées à l'article 7 ont été enclenchées successivement contre la Pologne, contre la Hongrie, et on connaît un certain nombre de velléités de l'enclencher également contre la Roumanie. On peut toujours faire croire à nos concitoyens qu'il y a une atteinte systémique à l'État de droit dans ces pays, ce sera un enjeu des prochaines européennes. Mais c'est factuellement et objectivement faux.
La vérité, c'est qu'on reproche principalement à la Pologne et à la Hongrie la réforme de leur système judiciaire. J'ai été à Varsovie pendant 48 heures, j'ai pu faire une analyse très précise des réformes en cours. J'ai échangé, principalement avec les opposants, mais aussi avec les ministres et les parlementaires de la majorité. Il s'avère que les réformes mises en place permettent d'éviter que les juges ne se protègent et se cooptent entre eux. Il y a donc un contrôle parlementaire, mais il y a moins d'immixtion politique sur la justice en Pologne qu'il y en a en France. La réforme du Tribunal constitutionnel, qui est l'équivalent de notre Conseil constitutionnel, a été adoptée par le Parlement en accord avec un engagement de campagne. Elle permet d'élire les membres du Tribunal constitutionnel par le biais d'un vote à la majorité qualifiée de 2/3 des votants, ce qui implique d'y associer l'opposition, et donc d'éviter que les juges n'opèrent sans aucun contrôle démocratique.
En France, les neuf membres du Conseil constitutionnel sont nommés unilatéralement, par les Présidents des deux Chambres et le Président de la République, sans aucune voie de recours possible, dans l'opacité la plus totale, sans même être choisis parmi les hauts magistrats de notre pays. L'ingérence du pouvoir politique, exécutif et législatif, dans l'institution judiciaire est infiniment plus réelle en France qu'en Pologne. En réalité, tout le monde sait bien que c'est parce qu'ils refusent les quotas de migrants, décidés par la Commission européenne, qu'on est allés les embêter sur cette réforme du système judiciaire. Cela aboutit à protéger les magistrats qui ont sévi sous le régime communiste, qui ont sans doute un passif très critiquable. En protégeant ces gens-là, on empêche une réforme saine du système judiciaire, de ces pays d'Europe de l'Est qui sont sortis du joug soviétique il n'y a pas si longtemps.
J'en viens maintenant à l'harmonisation fiscale et sociale. Il ne faut pas se leurrer. Au-delà de la proposition actuelle d'harmonisation en matière d'impôt sur les sociétés, c'est bel et bien vers une imposition européenne que nous nous dirigeons. Or, nous l'avons vu, les Français sont actuellement mobilisés contre une fiscalité jugée, à juste titre, confiscatoire. L'alourdir encore avec un impôt européen reviendrait à emprunter une voie pour le moins dangereuse dans le contexte actuel. Quant à l'harmonisation sociale, il faut se rendre à l'évidence qu'elle n'est pas possible compte tenu des écarts considérables de salaire au sein de l'Union européenne, à moins d'une harmonisation par le bas qui alignerait le SMIC français sur le salaire minimum roumain.
S'agissant maintenant du Brexit, la négociation entre Theresa May et Michel Barnier est en réalité celle de deux opposants à la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. D'ailleurs, lorsqu'on regarde dans le détail l'accord auquel ils sont parvenus, on voit bien que dans les faits, le Royaume-Uni resterait soumis aux règles européennes mais sans représentants au Conseil ni au Parlement européen. Si cet accord devait entrer en vigueur, la volonté du peuple britannique serait, de toute évidence, bafouée.
Le Pacte de Marrakech sur les migrations va très probablement entrer en vigueur. Il nous est présenté comme juridiquement non-contraignant mais rien n'interdit à l'avenir à un juge de décider qu'il l'est.
Enfin, le CETA est en vigueur depuis le 21 septembre 2017 et l'accord de libre-échange avec le Japon est en train d'être approuvé en catimini par les instances européennes. Or, personne n'est capable de chiffrer le coût écologique de ces accords qui visent notamment à promouvoir des échanges intercontinentaux de marchandises, lesquels impliquent des porte-conteneurs particulièrement polluants. Promouvoir des circuits courts me semblerait bien plus cohérent avec la politique européenne de lutte contre le changement climatique.
M. Bernard Monot, membre du Parlement européen. - Je me souviens qu'en 1992, le traité de Maastricht nous promettait emplois, prospérité et bonheur. Aujourd'hui, nous avons exactement l'inverse : une Union de la crise économique, du chômage, des lobbies, de la dette, complètement soumise au totalitarisme financier. Pour l'élite qui incarne cette Europe, l'immigration est vue comme une solution au problème d'emplois. La Chancelière Angela Merkel a ainsi autorisé plus d'un million de migrants à entrer en Allemagne en 2015 afin qu'ils travaillent pour un salaire de misère.
S'agissant du Pacte de Marrakech, il est le dernier avatar du plan de l'ONU visant à remplacer les populations vieillissantes de nos pays.
Il faut saluer les quelques améliorations intervenues en matière de coopération fiscale. Toutefois, le problème n'est pas réglé à la racine, qui est celle d'un modèle néolibéral qui favorise une hémorragie fiscale qui coûte à notre pays 100 milliards d'euros par an.
Enfin, l'Union bancaire, telle qu'elle est mise actuellement en oeuvre, m'inquiète, en ce qu'elle pourrait favoriser une captation de l'épargne des Français au bénéfice du système bancaire en faillite.
M. Bruno Gollnisch, membre du Parlement européen. - Les peuples désavouent de plus en plus l'Union européenne et force est de reconnaître que l'euroscepticisme s'appuie sur les faits incontestables d'un échec. La Communauté européenne du charbon et de l'acier ? Nous n'avons plus ni charbon ni acier. EURATOM ? L'électricité nucléaire est en voie de disparition en Europe. Le marché unique ? Chaque jour apporte la preuve qu'il dysfonctionne de plus en plus.
Certes, il y a des réalisations positives dont on nous rabâche les oreilles : Airbus, Ariane, etc. Mais ces exemples ne doivent rien à l'Union européenne, ce sont les États qui étaient à la manoeuvre, hors cadre européen. Il y a Galileo aussi, la recherche, Erasmus... Il faut les saluer. À mon sens, c'est de ces réalisations concrètes que l'Europe devrait s'inspirer, tout en arrêtant le délire normatif dans lequel elle est tombée. Le droit européen ne peut plus être appréhendé. Il a atteint une dimension grotesque qui le rend inaccessible au citoyen.
Le délire normatif, c'est aussi les résolutions que le Parlement européen adopte en flux continu, sur tous les sujets, en donnant des leçons à la terre entière. Il faut moins légiférer, être plus modeste, et agir concrètement au service des citoyens.
M. Thierry Michels, député. - Je souhaite réagir aux propos de M. Nicolas Bay. Je suis surpris qu'après avoir passé seulement quarante-huit heures en Pologne, vous puissiez dire qu'il n'y a pas de problème concernant l'état de droit dans ce pays. Nos collègues Mme Coralie Dubost et M. Vincent Bru ont présenté en octobre dernier un rapport qui indiquait le contraire.
Concernant les nominations au Conseil constitutionnel, il est faux de dire qu'il n'y a pas de contrôle démocratique puisque sur les neuf membres qui le constituent, trois sont nommés par le président de l'Assemblée nationale et trois par le président du Sénat.
Quant au Brexit, il est clair que c'est la conséquence des mensonges faits au peuple britannique. Je comprends que vous puissiez vous en réjouir.
M. Joaquim Pueyo, député. - Au sujet du Brexit, je souhaiterais ajouter que tous les responsables politiques qui étaient en faveur du Brexit sont partis. Si la tâche était si simple, on peut supposer qu'il en aurait été autrement.
Concernant les droits fondamentaux, je suis également allé en Pologne et je n'ai pas eu les mêmes informations que celles relayées par M. Nicolas Bay. Lorsque les États membres ne respectent plus les critères auxquels ils avaient accepté de se soumettre lors de leur adhésion à l'Union européenne, il est normal que cela pose un problème. D'autant que les dits critères sont des critères intéressants. Je pense notamment à la liberté de la presse.
Je regrette qu'il n'y ait pas eu davantage d'avancées sur le budget européen et que l'harmonisation de l'impôt sur les sociétés n'ait pas abouti. Je reconnais que la règle de l'unanimité freine l'adoption des grandes décisions. Il faudrait envisager un système plus souple. La crise migratoire met en évidence le fait que le règlement de Dublin n'est plus adapté à la situation. Il faudrait le réformer. L'augmentation du budget consacré au programme Erasmus est une excellente chose.
Je reste optimiste mais je suis conscient qu'il faut continuer le combat en faveur de l'Union européenne.
M. Jean-Yves Leconte. - Je réside en Pologne et j'ai en partage pas la stigmatisation croissante de l'Europe centrale. Je souhaite indiquer que la Pologne a délivré plus de permis de séjour que la France. Néanmoins, lorsque des juges de la Cour constitutionnelle sont limogés, il est indéniable que l'indépendance de la justice est malmenée.
À l'approche des élections européennes, il me semble important de dire que la monnaie unique n'est pas responsable des malheurs de l'Europe. L'Union européenne a pu traverser dix ans de crise sans que des problèmes de monnaies viennent se surajouter à une situation difficile.
Concernant la crise migratoire, il faut rappeler qu'en trois ans (2015-2018), l'Union européenne a réussi à faire baisser l'immigration illégale. C'est une réussite.
Face au repli nationaliste actuel, il faut s'interroger sur ce qui pourrait être le meilleur vecteur de l'Union européenne, les nations ou les citoyens ? Il me semble que si l'on s'appuyait sur les citoyens, on aboutirait à une Union européenne plus cohérente.
L'exemple de l'agence Frontex est intéressant. Elle permet d'exercer un contrôle de frontières en commun selon des règles communes. Cela veut dire que les erreurs commises sont assumées en commun. L'Europe intergouvernementale n'existe plus.
M. Jean Bizet, président. -Le budget de l'Union européenne est fixé à 1,11 % du revenu national brut de l'Union européenne. Je suis persuadé que si l'on l'augmentait à 1,3 %, l'Union européenne pourrait résoudre de nombreux problèmes. Je rappelle que les ressources propres ne se mesurent pas forcément à travers un impôt européen. Je regrette la faible avancée vis-à-vis des GAFA. Nos amis allemands freinent et la France fait cavalier seul. Je ne pense pas que le refus d'instaurer une taxe communautaire règlera les problèmes de l'industrie automobile allemande vis-à-vis des États-Unis. Les très importants fonds propres des GAFA n'ont pas permis d'inventions technologiques marquantes depuis une dizaine d'années. En dehors de l'achat de quelques start-up, ils ont surtout agi comme une force de stérilisation de l'innovation. Il faudrait aussi examiner le rôle que les fonds de pension jouent dans les GAFA.
Je me réjouis de l'existence d'une transversalité de pensée entre les différents groupes politiques au sujet de la PAC. Il faut être lucide, nous aurons une enveloppe à euros constants et cela entraînera de grands drames dans les campagnes. Je suis satisfait du travail fait sur le règlement « Omnibus » qui permet d'inverser le mouvement sur la politique des ententes. Personnellement, je souhaiterais que l'on aille encore un peu plus loin, comme aux États-Unis, où, dans le secteur de l'agriculture, l'entente est la règle de base et les pouvoirs publics n'interviennent qu'en cas de dérive. L'Union européenne a fait l'inverse. Lorsqu'il y a une crise, une ligne budgétaire est ouverte mais cela n'est pas assez réactif. Une approche différente est nécessaire. L'autorité de concurrence doit également être bousculée dans d'autre domaine afin que l'on arrête d'empêcher l'émergence de champions.
Concernant la réforme de la PAC, nous avons des inquiétudes sur l'obligation qui sera faite aux États membres de définir un plan stratégique combinant des aides directes à l'agriculture, des mesures pour améliorer l'organisation des producteurs dans certaines filières et des mesures d'aménagement du territoire pour le développement rural. Ces plans risquent d'entraîner des distorsions de concurrence et de rendre le système des aides aux agriculteurs encore plus complexe alors que nous avons au contraire besoin, de simplifier et de rendre les aides de la PAC réellement accessibles à tous les agriculteurs.
Concernant la question de l'exterritorialité des lois américaines, je partage tout à fait l'analyse d'Alain Lamassoure. L'Union européenne doit trouver des moyens efficaces pour affirmer son autonomie par rapport aux États Unis. Nous pourrions tenter d'appliquer le règlement adopté par l'Union européenne en 1996 « portant protection contre les effets de l'application extraterritoriale d'une législation adoptée par un pays tiers, ainsi que des actions fondées sur elle ou en découlant », mais la mise en oeuvre de ce texte n'est jamais intervenue à ce jour. Cette pratique de l'extraterritorialité de sanctions économiques et commerciales américaines contrevient, par ailleurs, à certaines des règles de base de l'Organisation mondiale du commerce.
La mise en cause systématique et croissante du multilatéralisme par l'administration américaine doit désormais conduire l'Union européenne à défendre, de façon unie et ferme, sa souveraineté diplomatique et économique. Nous devrions nous mobiliser pour faire de l'euro une monnaie utilisée pour les transactions internationales car il est anormal que de grands groupes européens passent encore des contrats commerciaux libellés en dollars.
L'Union européenne ne doit pas avoir une attitude frileuse vis-à-vis des biotechnologies qui représentent un enjeu économique majeur. Je regrette la position restrictive prise récemment par la Cour de Justice de l'union Européenne qui a assimilé les organismes obtenus par mutagénèse à des OGM. Certains États tiers disposent déjà d'une avancée technologique considérable pour produire des semences améliorées grâce au procédé de mutagénèse, qui est difficilement détectable. L'Union européenne risque de perdre en compétitivité en se privant de la possibilité de moderniser son agriculture grâce aux bio technologies.
Plusieurs interventions ont porté sur le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières qui vient d'être adopté lors de la conférence de Marrakech, sous l'égide des Nations Unies. Je voudrais souligner que ce texte est en réalité une sorte de guide des bonnes pratiques pour la régulation des flux migratoires, les États d'origine, de transit et de destination des migrations ayant tout intérêt à coopérer pour mieux organiser ces déplacements. Je concède à Nicolas Bay que les États européens auraient gagné à ouvrir un débat politique sur cette question de la gestion internationale des migrations. Nous aurions pu ainsi expliquer quels étaient les objectifs de ce texte et rappeler qu'il affirmait la souveraineté des États à définir leur propre politique migratoire. Certains groupes politiques se sont emparés fort tardivement de ce Pacte, alors qu'il était en négociations depuis plusieurs années et ont voulu attiser les peurs des opinions publiques européennes. Pour lever toute ambiguïté, nous pourrions envisager de publier une déclaration interprétative de ce pacte qui reste un texte non contraignant, ce que les juristes anglo-saxons qualifient de « soft law ».
Pour en revenir à l'action de l'Union européenne proprement dite en matière migratoire, je salue la politique africaine de Jean-Claude Juncker qui a compris qu'il fallait développer le volet externe de la politique migratoire pour agir sur les causes profondes des migrations, et en cherchant à soutenir des projets économiques dans les pays d'origine pour fournir des emplois durables aux jeunes africains tentés par l'immigration en Europe.
Plusieurs collègues ont évoqué les conséquences du Brexit, je voudrais souligner que l'accord de « backstop » - « filet de sécurité » en français - a vocation à ne jamais s'appliquer, c'est une manière de faire pression sur le partenaire britannique.
Il est en effet essentiel que le marché unique européen se dote d'outils efficaces pour se protéger. Plusieurs intervenants ont critiqué les accords de libre-échange négociés par l'Union européenne mais je ne partage pas du tout leur point de vue. L'Union européenne a eu raison de négocier des accords avec nos principaux partenaires économiques car il faut bien constater la crise du multilatéralisme en matière d'accords commerciaux. Il est caricatural d'affirmer que ces accords sont négociés dans l'opacité. Le CEUTA est un accord mixte qui sera soumis à l'approbation des parlements nationaux des États membres et pour les autres accords, nous devons travailler le plus en amont possible pour que la Commissaire européenne en charge du commerce, Cecilia Malmström puisse recevoir un mandat clair sur les axes de négociations.
Concernant la lutte contre le terrorisme, des progrès incontestables ont été faits mais encore faut-il que les États membres mettent en oeuvre dans leur législation nationale les textes qui ont été adoptés. À ce titre, je déplore aussi que certains États membres n'aient pas encore pris les mesures nécessaires pour mettre en oeuvre la directive relative à l'utilisation des données des dossiers passagers (PNR) pour la prévention et la détection des infractions terroristes.
L'Union européenne doit se mobiliser fortement pour investir dans la Recherche, plusieurs collègues ont abordé ce thème qui doit être une priorité du prochain CFP. Il faut d'ailleurs saluer l'initiative prise par Jean-Claude Juncker qui a permis la création du Fonds européen pour les investissements stratégiques, mais il faut prolonger cet effort. Il est préoccupant de constater que la Chine et les États Unis consacrent des sommes considérables à la recherche en matière d'intelligence artificielle alors que l'Europe peine à adopter une démarche commune dans ce domaine.
Je ne voudrais pas conclure sur une note pessimiste mais je me dois de reconnaître que le couple franco-allemand, qui a joué un rôle clef pour faire avancer la construction européenne, ne fonctionne pas aujourd'hui de manière optimale. Je le regrette vivement car l'Europe aura besoin d'un nouveau souffle après le Brexit. Il faut trouver les moyens de « ré enchanter » l'Europe, c'est un défi difficile qui nous attend !
Mme Sabine Thillaye, présidente. - Je vous remercie d'avoir participé à cette réunion. J'espère que nous pourrons réorganiser ce type de rencontre plus fréquemment, ce qui permettrait de laisser plus de temps à la discussion.
La réunion est close à 19 h 08.