Jeudi 4 octobre 2018
- Présidence de M. Jean Bizet, président -
La réunion est ouverte à 9 h 15.
Subsidiarité - Proposition de la task force « subsidiarité » : communication de M. Jean Bizet
M. Jean Bizet, président. - Mes chers collègues, la Commission européenne a présenté, le 10 juillet dernier, les conclusions de la task force « Subsidiarité et proportionnalité ». Ce groupe de travail, mis en place au début de l'année, était composé de six membres : trois représentants des parlements nationaux désignés par la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC) et trois représentants du Comité des régions. Malgré les demandes du président du Sénat, on n'a pu « élargir » ce groupe de travail extrêmement restreint.
Il était présidé par M. Frans Timmermans, premier vice-président de la Commission européenne. Trois missions lui avaient été assignées :
- déterminer si les procédures mises en place en matière de subsidiarité fonctionnent et envisager d'éventuels aménagements ;
- définir les domaines où l'Union européenne doit intervenir et ceux où elle doit laisser la place à l'échelon national et régional ;
- mieux associer les autorités régionales et locales au processus législatif européen.
Les résultats de ses travaux seront intégrés dans la contribution de la Commission européenne au Conseil européen qui aura lieu en mai 2019 à Sibiu, en Roumanie.
Nous avions détaillé ici même, avec Philippe Bonnecarrère et Simon Sutour, en mars dernier, une contribution à ces travaux, que nous avions ensuite présentée à Frans Timmermans. Nous y appelions à la fois à un changement de méthode, en augmentant les délais d'examen des textes par les parlements nationaux par exemple, mais aussi à une nouvelle approche, plus pragmatique, de la répartition des compétences entre l'Union européenne et les États membres.
Les conclusions de la task force rejoignent dans l'ensemble nos préconisations. L'Union européenne doit adopter une nouvelle méthode de travail destinée à mettre en oeuvre ce que la task force appelle une « subsidiarité active ». Neuf propositions sont déclinées en ce sens.
S'agissant de la méthode, la task force préconise une application souple du délai d'examen par les parlements nationaux, fixé à huit semaines par le traité de Lisbonne.
Il s'agit de mieux prendre en compte les périodes de suspension des travaux parlementaires. Dans le même temps, la Commission européenne est invitée à émettre ses observations aux avis motivés dans un délai de huit semaines. La task force appelle, à terme, à une révision des traités afin que le délai atteigne douze semaines. Ce changement peut néanmoins apparaître périlleux.
Les membres de la task force concluent, comme nous l'avions demandé, à la mise à disposition par la Commission européenne de manière exhaustive et en temps opportun des informations sur les textes pour lesquels un problème de subsidiarité a été soulevé. Ils insistent également sur la nécessité pour la Commission européenne de mieux justifier son intervention, en prenant notamment en compte l'impact pour les territoires. Nous avons régulièrement souligné ici, en particulier dans le domaine de la gestion des déchets, l'absence de réflexion sur les conséquences des propositions de la Commission européenne au niveau local. On a d'ailleurs vu ce que cela a donné.
Plus largement, la task force souhaite que le Conseil et le Parlement européen intègrent dans leur réflexion les avis émis au titre de la subsidiarité par les parlements nationaux et les autorités locales et régionales disposant de pouvoirs législatifs. Une telle évolution irait en effet incontestablement dans le bon sens et contribuerait à valoriser le travail des parlements nationaux, quand bien même le seuil d'un tiers des parlements nationaux n'est pas atteint.
La task force souhaite également que l'évaluation de la législation européenne existante, via la plateforme REFIT, intègre une dimension subsidiarité et proportionnalité. Nous ne pouvons qu'appuyer une telle orientation, tant elle participe de l'effort de simplification du droit européen que nous appelons régulièrement de nos voeux.
Je suis plus réservé sur le souhait de la task force de mettre en place une grille d'évaluation commune pour évaluer le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité. L'analyse effectuée par les parlements nationaux ne saurait se limiter à une étude des objectifs poursuivis ni se fonder sur une liste de critères préalablement définis et communs à tous les États membres. Une telle grille limiterait notre capacité d'interprétation et ne permettrait sans doute pas de prendre pleinement en compte nos spécificités dans l'analyse d'une proposition de la Commission européenne.
En ce qui concerne la répartition des compétences au sein de l'Union européenne, la task force ne propose pas une vision figée et rejoint l'approche pragmatique que nous défendons ici. Elle appelle ainsi la prochaine Commission européenne à une réorientation de ses travaux dans certains domaines en vue de parvenir à une mise en oeuvre plus efficace de sa législation, en particulier dans les domaines du marché unique, des services financiers ou de l'environnement, au lieu d'élaborer de nouveaux actes législatifs. Je vous renvoie à ce qu'a fait Jean-Claude Juncker en accédant à ses fonctions, mettant environ 80 textes « de côté » - pour ne pas dire au panier.
Là encore, nous ne pouvons que souscrire à une rationalisation de l'action de l'Union européenne. Avec l'irruption du Brexit, on a vu l'importance de la réalité de la situation, le marché unique constituant le premier marché économique mondial. Je me réjouis du fait que l'unité des Vingt-Sept sur ce plan n'a fait défaut à aucun moment jusqu'à présent.
Je relève que la task force souhaite que l'Union européenne hiérarchise ses activités en fonction des priorités, ciblant notamment les questions de la sécurité, de la défense ou des migrations. Notre rapport concluait également à la nécessité pour l'Union européenne d'agir afin de donner corps au principe d'Europe puissance. Les Européens que nous sommes n'ont pas conscience de la puissance de l'Europe. Je remarque que de l'autre côté de l'Atlantique, ou du côté de Moscou, on ne cesse de prodiguer un certain nombre de conseils pour le fonctionnement de l'Europe, mais pas dans le sens que nous souhaitons.
Si les grandes lignes du rapport de la task force peuvent donc apparaître satisfaisantes, je regrette qu'elle n'ait pas pris position sur la question des actes délégués et d'exécution. Notre position en la matière est connue : il n'est pas logique que des actes qui constituent des compléments des actes législatifs ne soient pas transmis aux parlements nationaux aux fins de contrôle.
Le contrôle de subsidiarité opéré par les parlements nationaux n'est donc, in fine, que partiel. Il n'est, à l'heure actuelle, possible que sur les projets d'actes législatifs qui prévoient le recours à ce type d'acte. Il n'en demeure pas moins que le contrôle s'opère alors seulement sur l'intention de recourir à ces actes et non sur leur contenu, par essence non disponible.
En dehors de la question du délai d'examen, la task force a, par ailleurs, soigneusement évité toute relecture du protocole numéro 2 annexé au traité de Lisbonne qui encadre la procédure d'examen des textes au titre de la subsidiarité. La crainte d'en passer par une révision des traités semble avoir limité toute ambition. On peut le comprendre, mais une solution plus souple aurait pu être envisagée, comme nous l'avions indiqué dans notre rapport. Nous appelions ainsi de nos voeux l'élaboration d'une déclaration commune dans le cadre de la COSAC, aux termes de laquelle la Commission européenne s'engagerait à réexaminer les textes dès qu'un seuil minimal, plus réduit que celui fixé par le protocole numéro 2, serait atteint. Je me souviens que nous avons interpelé Frans Timmermans à ce sujet : il ne nous a pas entendus.
Ce texte prévoirait également une nouvelle transmission des textes dès lors qu'ils auraient fait l'objet de modifications substantielles lors des négociations. Ce type de procédure informelle ne constitue pas une nouveauté. Elle pourrait donner corps à des propositions abordées au cours des travaux de la task force, ce qui permettrait de donner encore plus de sens à l'examen par les parlements nationaux des textes au regard de la subsidiarité. J'ai en effet souvent constaté, lors de trilogues, que le texte de sortie est très différent du texte d'origine. C'est alors qu'il nous échappe.
Il est en effet possible de s'interroger sur l'efficacité d'un dispositif qui nécessite actuellement l'adoption d'avis motivés par un tiers des parlements nationaux pour généralement aboutir à un simple réexamen du texte. Ces avis motivés ne visent par ailleurs que les propositions de la Commission européenne et en aucune manière les compromis issus des négociations entre les colégislateurs.
Je vous rappelle qu'en octobre 2015, notre commission a ainsi été conduite à adopter un avis politique, transmis directement à la Commission européenne, pour relever que le projet de règlement relatif à des mesures structurelles améliorant la résilience des établissements de crédit de l'Union européenne, présenté en avril 2014 et largement amendé ensuite au Conseil, ne respectait pas le principe de subsidiarité. Il aurait été pertinent que les parlements nationaux puissent coordonner leurs actions visant ce projet dans le cadre prévu pour la subsidiarité, dès lors que nos arguments relevaient d'un contrôle de cette nature.
J'ai adressé un courrier à Frans Timmermans rappelant tout ceci. On pourra vous le communiquer. Je suis assez déçu de l'attention qu'on a accordée au Sénat sur ce plan.
En second lieu, on tente, dans ce dossier, de mettre en relation les institutions européennes, les 41 parlements nationaux, les instances régionales et les 80 000 collectivités locales de l'Union européenne.
Je souhaiterais que le président du Sénat recueille, sur certains textes présentés par la Commission européenne, les commentaires du président des régions de France, voire des présidents de l'AMF et de l'ADF. C'est pourquoi le délai imparti de huit semaines me paraît un peu court.
M. André Gattolin. - Il est important que le Sénat mobilise les collectivités territoriales. Je rappelle que plus on le fait tôt, plus on peut les impliquer dans le débat préalable et dans le Livre blanc ou le Livre vert consacré à chaque texte. C'est ce que font les Allemands, qui ont ainsi un certain poids dans l'élaboration du texte.
Une fois que la Commission européenne a élaboré son premier texte, elle ne discute plus qu'avec les exécutifs des États. Je sais qu'il est extrêmement lourd de participer en amont, mais c'est très efficace.
Le président du Sénat, notamment sur les textes sensibles renvoyant à des problématiques locales, pourrait alerter les régions, les départements et les grandes métropoles en leur conseillant de faire comme nos collègues allemands.
En second lieu, le suivi de la subsidiarité n'est pas systématiquement assuré à l'Assemblée nationale. Chaque rapporteur doit demander à l'administration s'il existe un problème de subsidiarité, ce qui n'est pas le cas chez nous. On doit mettre en avant nos qualités et nos atouts dans ce domaine.
Nous devons également mener un travail de fourmi en vue de considérer ces questions au regard de la nature des textes qui sont présentés : règlement pur, règlement avec renvoi au droit national, comme le RGPD, directive d'harmonisation totale ou partielle, voire « feuilles de route ». L'Union européenne produit beaucoup de feuilles de route, parfois en allant bien au-delà du cadre des compétences qu'elle énumère. Cela n'a pas la même valeur juridique, mais on a ainsi toute une série de textes.
Bien sûr, les actes délégués posent un véritable problème de subsidiarité, mais il conviendrait de considérer l'occurrence de ces problèmes en fonction de la nature des textes et leur évolution quantitative. Le fait est que l'on a de plus en plus de directives d'harmonisation totale. Je me demande parfois où est la différence par rapport à un règlement. On le voit beaucoup en matière de droit des consommateurs. C'est une manière de dire que l'on va mettre tout le monde à la valeur moyenne. Le mieux-disant français ou allemand dans ce domaine est alors rabaissé au nom d'une sorte d'unification qui s'apparente plus à un règlement qu'à une véritable directive, qui doit laisser une marge de manoeuvre et d'adaptation à chaque État dans un certain nombre de domaines, ou la possibilité de faire davantage.
M. André Reichardt. - Je voudrais insister sur la réserve que vous avez émise, monsieur le président, concernant la grille type qui doit être utilisée pour permettre aux parlements nationaux et régionaux d'évaluer la subsidiarité et la proportionnalité de manière plus cohérente tour au long du processus. Si l'on entre dans ce schéma, on conforte la thèse d'une Europe bureaucratique.
Il appartient à chaque pays de se prononcer de façon particulière selon les critères qui lui sont propres sur ce qui est subsidiaire et sur ce qui ne l'est pas. On voit bien le mal que le discours sur la taille des poissons que l'on peut pêcher ou non a pu produire dans l'esprit de nos concitoyens. Se retrouver demain une nouvelle fois face à une grille de ce type revient à emprisonner les représentants de nos concitoyens dans des règles strictes qui desservent l'idée européenne. J'insiste sur le fait qu'il convient de s'opposer à ceci, pour autant qu'on puisse le faire.
M. Jean Bizet, président. - Les analyses sont convergentes. Je souligne beaucoup l'anticipation qu'on doit avoir sur un certain nombre de textes. Il faut, pour éviter les fractures et être en harmonie avec l'ensemble des élus locaux sur des textes européens, tenter de les sensibiliser en amont. On connaît la fragilité de la ruralité et des territoires.
Je pensais essentiellement avertir les présidents de région compte tenu de leur dimension, de leur taille et de leurs compétences, mais il ne faut cependant pas occulter les présidents de l'ADF et de l'AMF. Le courrier sera le même, mais le président du Sénat aurait intérêt à les sensibiliser sur le sujet. On verra comment élaborer ce partenariat.
Selon le screening que réalisent les services de la commission des affaires européennes du Sénat, on compte environ une centaine de textes par an. On est par ailleurs à présent mobilisé sur les risques de surtransposition, dérive malheureusement assez familière de notre pays.
J'ai dû insister à nouveau sur la grille type dans le courrier que j'ai adressé à Frans Timmermans. Sans cela, le débat est déjà formaté et ne présente pas d'intérêt.
En conclusion, je répète que je suis déçu de l'absence de réaction du premier vice-président face aux remarques que l'on a pu faire. La task force a fermement campé sur son texte d'origine.
M. André Reichardt. - Cette task force est composée de six membres, dont un Français. Bien que ce ne soit pas politiquement correct, dispose-t-on des indications concernant les taux de présence et de participation ? Lorsqu'on est six, le mieux est d'être présent. À vingt ou trente, si la moitié manque, il en reste dix ou quinze. S'il manque la moitié de la task force, celle-ci se retrouve à trois personnes, chacun représentant un pays.
Je n'ai strictement rien contre M. Decoster, qui est français, mais la moindre des choses aurait été qu'il vienne vous voir, monsieur le président. L'avez-vous rencontré ?
M. Jean Bizet, président. - Jamais !
Lors du débat dans le cadre de la COSAC, on avait, toutes sensibilités confondues, insisté sur ce point, aucun pays fondateur ne siégeant parmi ces trois pays.
M. André Reichardt. - C'est un débat fondamental !
M. Jean Bizet, président. - Bien sûr. Je suis assez déçu du résultat, mais je me console en essayant de me convaincre qu'il s'agit d'une action de longue haleine.
Mme Fabienne Keller. - Il s'agit là de la lisibilité de la production législative européenne et des actes délégués. N'y a-t-il pas une réflexion plus philosophique à mener à ce sujet ? Tout citoyen qui veut participer à un processus législatif va sur le site de la Commission européenne et n'y comprend rien ! Il en va de même des élus.
En matière d'actes délégués, je voudrais évoquer un cas concret qui me frappe. Il y a deux ou trois ans a eu lieu un trafic en matière de la TVA sur les certificats carbone. Il s'agit d'une très belle politique européenne. J'ai creusé le sujet : il n'existe plus de comité de gestion, donc plus de lieu ou les États membres échangent leurs pratiques, leurs analyses à propos des mécanismes économiques qui sont en train de se construire. Ce sont des marchés administrés pour lesquels on a créé ce certificat carbone. Or, sa gestion est entièrement déléguée à la Commission européenne. Je me demande si l'on n'a pas, sur ces sujets, un problème d'organisation de gouvernance, tout autant que de contribution à l'intérieur du schéma qui nous est fixé.
La question est la même à propos de la subsidiarité. La lisibilité de ce sujet est très faible. On a beaucoup de mal à être efficace. Ne devrait-on pas réaliser un travail plus en amont ? Il faut bien sûr que l'on travaille avec les commissions qui associent les États membres, mais en faisant peut-être plus de propositions.
Cette absence de lisibilité, d'interaction, de participation et de respect des territoires est un reproche que l'on adresse beaucoup aux institutions européennes et à la politique qu'elles mènent.
M. Jean Bizet, président. - Nous n'avons guère été entendus lors du débat à la COSAC.
Je vous propose de vous communiquer les courriers du président Larcher à l'attention de M. Juncker, notamment sur la composition de la task force. Le président Larcher et moi-même le lui avons même dit de vive voix : il n'a pas réagi.
S'agissant de la certification carbone, compte tenu de sa sensibilité environnementale, c'est un sujet sur lequel Fabienne Keller pourrait rédiger un rapport. Les choses ont été occultées. Un mini-scandale a eu lieu, mais il a été plus ou moins étouffé. On ne sait pas ce qu'il en est ni comment la Commission européenne a repris la main sur ce sujet.
Mme Fabienne Keller. - On a connu le même problème pour le financement du TGV marocain. Les actes délégués qui conduisent à des décisions ne sont pas assumés politiquement du fait d'une succession de mécanismes que l'on a mis en place sans se rendre compte des conséquences.
Cela génère une tension entre la France et l'Allemagne qui mérite d'être arbitrée politiquement et non de façon technocratique.
M. Jean Bizet, président. - Il serait intéressant que vous creusiez le sujet de la certification carbone et que vous l'expertisiez, car un problème est intervenu à un moment donné, et on ne sait pas ce qui s'est passé.
Je vous propose de prendre acte de cette communication.
Politique commerciale - Extraterritorialité des sanctions américaines : rapport d'information, proposition de résolution européenne et avis politique de M. Philippe Bonnecarrère
M. Jean Bizet, président. - Notre ordre du jour appelle à présent l'examen du rapport d'information de Philippe Bonnecarrère sur l'extraterritorialité des sanctions américaines. Notre rapporteur a par ailleurs préparé une proposition de résolution européenne que nous examinerons dans un second temps.
La décision du Président américain Donald Trump, le 8 mai dernier, de retirer unilatéralement les États-Unis de l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien, a eu des conséquences stratégiques, mais aussi économiques pour l'Union européenne. L'effet extraterritorial que les autorités américaines entendent donner aux sanctions économiques et commerciales qu'elles ont remises en place affecte gravement les entreprises européennes, et singulièrement françaises, déjà présentes dans ce pays ou désireuses d'y investir, conformément aux règles européennes.
Je vous rappelle que nous avons tenu une table ronde, le 18 juin dernier, sous la forme d'une audition commune de personnalités qualifiées qui nous ont livré leurs analyses. Philippe Bonnecarrère avait évoqué le règlement de 1996 sur ce sujet il y a déjà deux ans. On avait pu constater, à l'expertise, la limite de ce règlement, d'où la proposition qui vous sera faite d'un nouveau véhicule que je trouve assez séduisant, qui est de nature à mon avis à démontrer la puissance de l'Europe, que je rappelle souvent.
Derrière l'économie, c'est véritablement une décision politique forte : c'est la première fois que l'Europe se mettrait en travers de telles décisions. Cela conforte sa puissance.
Monsieur le rapporteur, vous avez la parole.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Merci pour votre présentation, monsieur le président.
Mes chers collègues, vous avez sous les yeux trois types de documents : un projet de rapport assez complet, une proposition de résolution européenne à laquelle j'apporterai deux précisions, et un tableau qui nous servira de conclusion et vous donnera très vite les éléments d'appréciation sur ce qui fonctionne ou pourrait fonctionner et ce qui, à mon sens, ne fonctionne pas.
Notre sujet est celui de l'extraterritorialité des sanctions américaines. Je vais à ce titre vous inviter à un voyage par la pensée, un voyage à la recherche de l'Europe qui protège. En cours de route, nous retrouverons les grands débats du moment que sont le multilatéralisme, l'unilatéralisme, le rapport au droit, les rapports de force.
Les États-Unis ont développé un ensemble de règles qui, examinées globalement, forment une politique coordonnée, cohérente et efficace, dont l'impact sur notre pays et sur nos entreprises est majeur. Je vais en rappeler ici très vite quelques éléments, même si vous les connaissez par coeur.
Il s'agit du dispositif anticorruption - Foreign Corrupt Practices Act -, de dispositions en matière fiscale, du Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA), des règles du Comité pour l'investissement étranger aux États-Unis (CFIUS), par lesquelles, en 2016, les États-Unis ont interdit la cession d'une entreprise allemande à une entreprise chinoise au motif que la technologie cédée, qui concernait la robotique, pouvait avoir un impact aux États-Unis. Il s'agit aussi des règles en matière d'exportation d'armements ITAR - International Traffic in Arms Regulations -, ou de toutes les dispositions plus récentes du Cloud Act et, bien sûr, des sanctions économiques dites extraterritoriales.
Au sein de cet ensemble de mesures d'un dispositif qui doit être considéré comme coordonné, nous allons nous concentrer sur notre sujet, celui de l'extraterritorialité des sanctions américaines. Pourquoi ? Ce sujet est autonome dans le cadre que je viens de décrire, et majeur.
Il est autonome en ce qu'il porte extension de la politique étrangère des États-Unis à d'autres pays. Il oblige des États souverains, dont la France, à mettre en oeuvre une politique définie par les États-Unis. C'est donc un sujet tout à fait différent des dispositions anticorruption que j'évoquais tout à l'heure. C'est un sujet qui touche à la souveraineté des États.
L'effet extraterritorial des sanctions économiques et commerciales constitue un double défi lancé à la souveraineté des États, donc à l'indépendance diplomatique et économique de l'Union européenne et de ses États membres.
En l'espèce, l'enjeu est doublement stratégique, et d'abord pour la souveraineté économique et commerciale de l'Europe : ses entreprises se voient en effet contraintes de se retirer d'Iran en y abandonnant des marchés.
C'est surtout un enjeu de souveraineté diplomatique - ce que j'ai appelé la souveraineté des États. L'accord nucléaire a été conclu entre, d'une part, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la France, la Russie, la Chine et les États-Unis, et l'Iran d'autre part. Il se veut un instrument politique essentiel pour le gel du programme nucléaire militaire iranien.
Le retrait unilatéral des États-Unis ne doit pas contraindre les autres parties à s'aligner sur des objectifs diplomatiques qui ne les engagent qu'eux seuls. Or, la mise en oeuvre effective de l'accord suppose que chaque partie s'acquitte de ses engagements.
Le 8 mai 2018, le Président des États-Unis a décidé de mettre un terme à la participation des États-Unis à l'accord sur le nucléaire iranien (JCPoA). L'administration américaine a donc rétabli toutes les sanctions qui avaient été levées en janvier 2016. Les sanctions dites primaires concernant les ressortissants américains avaient été maintenues. Les sanctions dites secondaires ne sont pas limitées aux ressortissants américains mais affectent des opérateurs étrangers et concernent un ensemble de secteurs déterminés dans la décision américaine. Le rapport écrit détaille la nature et la portée de ces sanctions, je n'y reviens pas.
Les critères de « rattachement » au territoire américain pour incriminer et sanctionner les auteurs non américains d'une opération qui ne se déroule pas sur le territoire américain sont extrêmement larges, à commencer par l'usage du dollar. Nombre d'entreprises européennes ayant des intérêts économiques et commerciaux aux États-Unis choisissent de se mettre immédiatement en conformité. L'attractivité respective des marchés américain et iranien joue bien sûr aussi son rôle : ainsi, en 2016, les exportations allemandes vers les États-Unis sont de 114 milliards d'euros par an, celles à destination de l'Iran représentaient 3,5 milliards d'euros.
Cette démarche exige aussi des entreprises de consacrer du personnel et du temps à des études de conformité - ce qu'on appelle la compliance - pour savoir si une opération risque ou non de tomber sous le coup des sanctions. Beaucoup d'entreprises, dans le doute, préfèrent renoncer et se retirer du marché iranien, ne trouvant au surplus aucun établissement bancaire acceptant de réaliser des opérations. La menace américaine pèse d'abord sur les banques. Or, les banques européennes, dont les banques françaises, sont devenues des sortes de service public annexes et bénévoles des États-Unis, et appliquent leurs décisions.
L'Union européenne a réagi avec unité et fermeté. Il faut le saluer. Plusieurs initiatives ont été lancées pour tenter de contrer ces sanctions. Le rapport décrit certaines de ces pistes qui ne s'avèrent pas, à l'analyse, très prometteuses.
Outre le règlement de blocage, en vigueur depuis le 7 août, d'autres options paraissent crédibles.
Premièrement donc, le règlement dit de « blocage » qui avait été adopté en 1996 en réponse à l'embargo américain contre Cuba. À la suite de l'annonce du rétablissement des sanctions américaines à l'égard de l'Iran, son annexe a été mise à jour et il est en vigueur depuis le 7 août 2018.
Ce règlement a pour effet de neutraliser les effets, dans l'Union européenne, des sanctions américaines infligées à des opérateurs pour avoir poursuivi leurs opérations avec l'Iran. Ces sanctions ne sont pas reconnues par les autorités nationales des États membres, et ne peuvent faire l'objet d'un exequatur au sein de l'Union européenne, c'est-à-dire de se voir conférer un effet juridique au sein de l'Union européenne. Le règlement protège ainsi pleinement les opérateurs établis dans l'Union européenne ainsi que les citoyens et résidents européens contre l'exécution de ces décisions dans l'Union européenne, au moins sur les actifs qu'ils y détiennent.
Le règlement interdit en outre aux opérateurs européens, sauf dérogation, de se conformer aux sanctions américaines. Chaque État membre est chargé de déterminer les sanctions applicables en cas de méconnaissance de cette interdiction. La situation est donc compliquée pour les entreprises : elles sont susceptibles d'être l'objet de sanctions non seulement de la part des États-Unis, mais également de la part des États membres si elles défèrent aux sanctions américaines, ce qui constitue une position assez inconfortable. En France, c'est le code des douanes qui prévoit des sanctions pénales en cas d'infraction à la législation nationale ou européenne en matière de relations financières avec l'étranger.
La protection offerte aux opérateurs européens par ce « bouclier » apparaît limitée. Ils ne sont en effet pas protégés contre l'exécution de sanctions américaines sur le territoire américain. Ceux d'entre eux qui continueraient à échanger ou à avoir des activités avec l'Iran, directement ou indirectement, sont exposés à l'exécution des sanctions américaines sur le territoire américain, en raison des activités qu'ils y exercent ou des biens qu'ils y détiennent.
Un opérateur européen qui souhaite être actif en Iran ne peut continuer qu'à condition de n'avoir aucun actif aux États-Unis. Or toutes nos grandes entreprises ont des actifs et des marchés aux États-Unis. Il ne faut pas non plus avoir besoin d'accéder au marché international des capitaux et, au titre des règles de compliance, ne pas avoir d'actionnaires américains dans son capital : cela réduit sérieusement l'efficacité du règlement en le limitant de facto aux PME.
Une PME qui, par définition, n'a pas d'actif aux États-Unis, ne travaille pas sur les marchés internationaux et n'a pas d'actionnaire américain, doit cependant passer par une banque. C'est la banque qui, dès lors, va bloquer le système.
Le règlement de 1996 ouvre par ailleurs aux personnes ayant subi un dommage du fait de l'application des sanctions américaines un droit à réparation devant les tribunaux des États membres. Cependant, les États-Unis, en tant qu'État, bénéficient d'une immunité de juridiction qui interdit en pratique la recherche de sa responsabilité pour obtenir réparation des dommages causés par ses décisions. Une amélioration du dispositif du règlement sur ce point apparaît nécessaire.
En résumé, l'actualisation du règlement de 1996 était une bonne réponse politique mais ne constitue pas une bonne réponse technique.
Deuxièmement, plusieurs États membres travaillent à sécuriser des canaux financiers. Le Trésor américain pourrait confirmer, le 4 novembre, dans le cadre de la deuxième salve de sanctions concernant notamment le pétrole et qui sera le moment le plus sévère, qu'il demande à SWIFT, l'opérateur belge qui regroupe toutes les banques occidentales, européennes et américaines, et par lequel transitent toutes les opérations, de déconnecter de son réseau la Banque centrale d'Iran et les banques iraniennes, ce qui les empêchera de continuer leurs échanges sécurisés avec les opérateurs européens.
Il faudrait à tout le moins obtenir de l'Office of Foreign Assets Control (OFAC), au titre des exemptions dites « humanitaires », qu'une banque iranienne puisse rester connectée afin de poursuivre les échanges de biens hors sanctions : produits agricoles et pharmaceutiques en particulier. Ceci permettrait à SWIFT de bénéficier d'une garantie d'immunité pour ces opérations. On peut regretter que, pour ces secteurs « hors sanctions », certaines banques aient d'ailleurs souvent une démarche de « surconformité ».
À ce sujet, la Cour internationale de justice, saisie par l'Iran sur la base de violations d'un traité bilatéral d'amitié entre l'Iran et les États-Unis de 1955, a rendu hier, le 3 octobre, une ordonnance demandant aux États-Unis de supprimer toute entrave à la circulation de médicaments et de matériel médical, de denrées alimentaires et de produits agricoles et des pièces et services nécessaires à la sécurité de l'aviation civile. Cela étant, l'effet juridique de cette décision est à peu près nul, les États-Unis n'en reconnaissant pas l'opposabilité.
Troisièmement, le Special Purpose Vehicle (SPV), auquel le président Bizet faisait référence, a fait l'objet d'une annonce conjointe de Mme Mogherini, Haute représentante de l'Union européenne et de M. Zarif, ministre des affaires étrangères iranien.
L'idée, pour l'Union européenne, serait que des États membres recourent à ce SPV pour permettre aux entreprises européennes de continuer à commercer avec l'Iran. Il s'agirait d'une plateforme comptable, ouverte à d'autres partenaires dans le monde - en particulier la Chine et l'Inde, qui importent une grande partie du pétrole iranien. Cette plateforme enregistrerait une écriture, en euros, qui constituerait un crédit au bénéfice de l'Iran. Ce pays pourrait ainsi, grâce aux bénéfices, acheter des biens dont il a besoin - machines, marchandises, produits alimentaires et autres. Ces opérations feraient également l'objet d'un enregistrement comptable. On débiterait ensuite le compte de l'Iran, de l'Inde ou de la Chine au profit des entreprises européennes vendant des produits nécessaires à l'Iran.
Il ne s'agit pas de faire transiter des flux financiers par cette plateforme mais de disposer d'un mécanisme de compensation comptable. La presse a évoqué une « bourse d'échange opérant selon une logique de troc ». Je ne crois pas que l'on soit dans ce type de démarche, qui existait à une certaine époque, dans le cadre de « pétrole contre nourriture ». Ce serait plutôt une plateforme d'enregistrement des échanges commerciaux où l'on comptabilise les plus et les moins.
Le mécanisme peut paraître rustique au regard des performances de l'ingénierie financière d'aujourd'hui, mais cette rusticité peut être sa force et son intérêt. Vous reconnaissez là le système des Lombards qui, à la fin du Moyen Âge et au début de la Renaissance, a régi les échanges commerciaux en Europe. Les Lombards enregistraient aux Pays-Bas le résultat des opérations, qui faisaient l'objet d'une compensation par un autre de leurs comptoirs, à Lyon ou ailleurs, permettant ainsi aux producteurs de pastel du sud-ouest de commercer avec les drapiers flamands, ou aux foires de Champagne d'étendre leur secteur géographique.
Je voudrais insister sur la pertinence de la mise en place de cette plateforme d'enregistrement comptable, qui constitue indiscutablement la piste la plus prometteuse. Je vous proposerai à ce sujet une simple modification de la rédaction du point 17 de la proposition de résolution.
Je voudrais également attirer votre attention sur l'intérêt de maintenir le canal humanitaire. Je vous proposerai à cet effet un alinéa supplémentaire après le point 18.
La force de la proposition envisagée par l'Union européenne, à laquelle le Trésor français n'est pas étranger, réside dans le fait que ce mécanisme, certes rustique, n'est pas limité à l'Iran. Il pourrait en effet fonctionner pour d'autres pays. C'est ce qui fait sa force. Si demain les États-Unis - ce qui n'est pas exclu, pour ne pas dire probable - décidaient d'un nouveau train de sanctions contre la Russie et que l'Union européenne ne souhaite pas s'y associer, le mécanisme envisagé pourrait parfaitement fonctionner.
On n'est donc pas seulement dans le traitement de la question iranienne, mais bien dans la question de la souveraineté européenne.
La proposition de résolution propose ensuite de clarifier certaines dispositions du règlement de 1996. Elle préconise également de trouver, au niveau de l'Union européenne, une forme de centralisation des expertises sur cette question des sanctions, afin d'éviter des réponses disparates dans les États membres. Un organisme pourrait aussi être l'interlocuteur, la « voix » unique de l'Union dans son dialogue avec l'administration américaine. Je n'ai pas retenu l'idée d'un « OFAC européen » qui serait bien trop ambitieuse.
De manière évidente, je vous propose de rappeler dans la proposition de résolution le nécessaire renforcement du rôle international de l'euro dans les échanges internationaux. Il y a là de gros progrès à réaliser, à long terme.
Je vous propose également d'appeler à une forme de multilatéralisme, pour que l'action de l'Union européenne se traduise par des éléments concrets tels que je les ai présentés, et se prolonge, de façon plus politique, dans les forums plurilatéraux, comme le G20 ou le G7.
M. Jean Bizet, président. - Je vous adresse également mes remerciements à titre personnel. Il est vrai que j'attache beaucoup d'importance à cette question. Sans être grandiloquent, on est dans une démarche gaullienne en la matière, puisque cela concerne l'indépendance, l'autorité et la puissance de l'Europe.
M. André Gattolin. - Gaullienne et européenne !
M. Jean Bizet, président. - En effet.
Au fil du temps, il faudrait que l'on insiste sur le rôle de monnaie d'échange de l'euro dans le commerce international, ce qui suppose, ainsi que cela a été clairement indiqué dans le rapport, que l'on fasse des progrès en matière d'union bancaire et d'union économique et monétaire. Nous sommes encore loin de la perfection dans ce domaine, à un moment ou l'ombre d'une nouvelle crise peut se profiler.
Le règlement de 1996 est une bonne réponse politique par laquelle il fallait commencer, mais c'est une mauvaise réponse économique. Elle n'est pas tangible.
Ce fameux SPV doit être générique et décliné dans d'autres cas de figure, comme celui concernant les sanctions américaines probables vis-à-vis de la Russie. Notre Assemblée s'est déjà exprimée avec hauteur sur le sujet. Je me souviens de la résolution déposée par Simon Sutour et Yves Pozzo di Borgo. Il est frappant de constater que, depuis l'élaboration de ces sanctions, les courbes des flux commerciaux entre l'Union européenne et la Russie et celles entre la Russie et les États-Unis se sont inversées. En effet, les secteurs sanctionnés ont également été choisis par nos amis américains. Ce n'était précisément pas ceux qui les pénalisaient le plus.
J'espère que le SPV prospérera donc, car cela fait partie de la puissance de l'Union européenne.
M. Didier Marie. - Je félicite notre collègue pour son rapport très politique, qui pose la question de la place de l'Europe dans les rapports mondiaux, en particulier à l'égard des États-Unis.
L'Europe, comme le reste du monde, se trouve aujourd'hui confrontée à une politique américaine unilatérale qui cherche à imposer sa vision du monde, qui met à mal le multilatéralisme et, plus particulièrement pour ce qui concerne l'Iran, s'assoit sur des traités internationaux qui ont été âprement et difficilement négociés, ceci dans un but à la fois économique et politique.
On voit bien que la volonté des États-Unis est d'imposer son protectionnisme et, sur le plan politique, de renverser le régime actuel en Iran.
Cela pose la question des réponses que l'Europe doit apporter. Notre collègue Bonnecarrère les a mentionnées : elles sont avant tout politiques, même si la partie technique est significative. Elle pose avant tout la question de l'Europe en tant que puissance. Comment l'Europe peut-elle imposer ses valeurs à l'échelle internationale, relancer le multilatéralisme, faire front à l'hégémonie américaine, à l'émergence chinoise et aux relations difficiles que nous connaissons avec nos voisins russes, si ce n'est en se renforçant elle-même ?
Toute la partie sur le renforcement de l'union monétaire, la nécessité d'un budget de la zone euro, l'amélioration des capacités budgétaires est posée. Tant que ce ne sera pas fait, l'Europe aura bien du mal à peser dans son rapport avec les États-Unis et à relancer le multilatéralisme.
Je pense que les réponses sont essentiellement politiques. On peut tout de même s'inquiéter de l'attitude du président de la Commission européenne qui, suite aux menaces américaines d'ériger un certain nombre de barrières douanières supplémentaires, est « allé à Canossa » discuter d'un éventuel nouveau traité, avant même que nous n'en ayons parlé entre États membres. Cela pose de vrais problèmes !
Ce rapport est très intéressant. Je n'entrerai pas dans la discussion sur les solutions techniques - et il en existe. Elles sont mentionnées, mais elles seront de toute façon insuffisantes pour éviter que des entreprises comme Total ou PSA, par manque de soutien politique, fuient l'Iran suite aux menaces américaines, ayant techniquement plus à perdre qu'à gagner en demeurant sur place.
Voilà un rapport extrêmement politique, qui pose la question du devenir de l'Europe.
M. Pierre Ouzoulias. - Je partage totalement le propos de mon collègue et veux vous redire ici l'extrême intérêt de votre rapport, ainsi que de la vision générale qui en découle, que je partage également.
Le Gouvernement français a cependant apporté une réponse forte à ce problème. Les opérateurs des grands groupes français intervenant en Iran n'ont malheureusement pas pris cette réponse au sérieux et n'ont pas prêté foi à ces rodomontades. Ils ont aujourd'hui massivement renoncé à leurs investissements en Iran. L'Europe ne paraît donc pas crédible par rapport à ces grands groupes, et il apparaît qu'il n'existe pas de solution européenne pour contrecarrer les efforts de nos amis américains. C'est un souci.
L'effet déstabilisateur des sanctions américaines en Iran est catastrophique. J'étais à Erevan il y a trois semaines avec le groupe interparlementaire d'amitié France-Arménie. L'Arménie s'organisait comme une base arrière des investissements européens en Iran, pour des raisons culturelles liées à l'expatriation des ingénieurs français. Aujourd'hui, le blocage vis-à-vis de l'Iran les pénalise aussi gravement, à un moment où la jeune démocratie arménienne, à la suite de la révolution de velours, a besoin d'une croissance économique pour conforter le processus de renouvellement dont elle a absolument besoin. On les bloque donc dans leur développement économique et dans leur développement démocratique.
J'ai été très intéressé par ce que vous avez dit à propos de cette plateforme comptable, et je vous rejoins sur l'analyse historique. Ce sont les prémices du capitalisme tel que l'avait envisagé Fernand Braudel.
Il est intéressant de voir comment des procédures comptables ont permis le développement d'une économie, et je me pose aujourd'hui la question de savoir - sans toutefois apporter de réponse - quel effet économique pourrait produire cette innovation qui constitue un retour au passé. Je pense qu'elle ne servira pas uniquement à contourner le blocus américain. Il peut en sortir des choses très intéressantes, y compris d'un point de vue de l'économie générale.
Je suis d'accord avec la résolution. Certains points me posent cependant problème sur un plan formel concernant le renforcement international de l'euro. C'est une des façons de contourner le blocus américain, mais j'aurais aimé qu'on discute plus avant des points 21 à 23 pour savoir ce que nous mettons derrière. Je trouve que la résolution introduit des dispositions dont nous n'avons pas parlé aujourd'hui et qui méritent débat. J'éprouve donc une réticence à ce sujet. J'aurais souhaité qu'on en discute davantage avant de donner un accord.
M. Jean-Yves Leconte. - On voit bien que la loi de blocage soumettrait les entreprises à une double sanction.
Je voudrais formuler deux réflexions complémentaires avant de faire deux propositions.
Ma première remarque concerne l'obligation du visa pour toute personne qui va en Iran et qui souhaite ensuite se rendre aux États-Unis, ce qui, même avant la dénonciation par les États-Unis de l'accord sur le nucléaire, bloquait une partie des sociétés qui souhaitaient prospecter en Iran.
En second lieu, compte tenu de la manière dont l'OFAC travaille, les sanctions engendrent des distorsions de concurrence entre entreprises européennes et américaines.
Je souhaiterais donc faire deux propositions pour compléter la résolution.
Je pense tout d'abord que, dans ce contexte de guerre commerciale et politique avec les États-Unis, on doit adopter des armes proches de celles utilisées par les Américains. Je propose donc qu'on précise que « la liste des personnes, fonctionnaires et responsables politiques américains qui définissent ou concourent à la mise en oeuvre des sanctions extraterritoriales unilatérales, soit établie par la Commission européenne, afin que ces personnes soient soumises à une obligation de visa pour entrer sur le territoire de l'Union européenne ».
M. Jean Bizet, président. - C'est peut-être excessif...
M. Jean-Yves Leconte. - En second lieu, je propose que la résolution « demande que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes se saisisse des distorsions de concurrence sur les marchés soumis à des sanctions unilatérales extraterritoriales afin d'établir la liste des entreprises américaines qui agiraient ou bénéficieraient d'une autorisation de l'OFAC pour intervenir sur ces marchés, que les distorsions de concurrence constatées soient soumises à des sanctions et que les responsables de ces entreprises soient soumis à une exigence de visa pour entrer sur le territoire de l'Union européenne ».
Je pense que nous ne pouvons répondre aux États-Unis en adoptant des demi-mesures. Il ne s'agit que d'agir par réciprocité, dans la mesure où tous les opérateurs économiques européens qui travaillent en Iran sont soumis à cette règle. C'est selon moi la direction vers laquelle on doit aller, pour ensuite négocier avec les États-Unis.
M. Jean Bizet, président. - C'est un peu provocateur. Une résolution doit rester malgré tout équilibrée !
M. Jean-Yves Leconte. - Ce qui est provocateur, c'est ce que font les États-Unis !
M. Jean Bizet, président. - Ceci figurera au procès-verbal, mais la constitution d'un SPV est en soi une réponse politique et économique très forte.
M. Olivier Henno. - Ce rapport est remarquable et pose beaucoup de questions : celle de l'Europe comme puissance et celle de l'euro.
J'ai écouté avec intérêt les propositions de notre collègue Leconte. L'extraterritorialité du droit, si elle est utilisée par un certain nombre d'États, débouche forcément sur les notions de réciprocité, d'escalade et de conflit.
On a beaucoup évoqué les questions politiques et juridiques. Elles sont naturellement lourdes. Je n'y reviens pas. J'aborderai toutefois la question sous l'angle économique et concret. Dispose-t-on d'une évaluation de l'impact de ces sanctions sur les entreprises françaises, que ce soit en termes de PIB ou de développement des exportations ?
Par ailleurs, l'idée de faire revivre le modèle lombard m'a amusé, comme beaucoup ici mais, au-delà de l'intérêt juridique et économique, avez-vous une idée de ce que cela pourrait apporter aux entreprises elles-mêmes ? S'agit-il d'une pure création juridique, économique, ou constate-t-on déjà un véritable intérêt des entreprises vis-à-vis de ce modèle ?
- Présidence de M. André Reichardt, vice-président -
M. André Reichardt, président. - Le président m'a demandé de bien vouloir le suppléer.
Je souhaitais à mon tour poser une question en tant que membre de la commission. Je remercie le rapporteur pour la qualité de son rapport mais, pour être très direct, j'estime qu'il n'y a franchement pas lieu d'être optimiste quant aux possibilités de contrevenir à ces sanctions - même si ce n'est pas mon habitude.
Si l'on prend en compte les différentes propositions qui figurent dans ce document, on s'aperçoit que la faisabilité est nulle, faible ou peut soulever certaines difficultés.
J'en veux pour preuve le point 18 de la proposition de résolution concernant l'actualisation de certaines dispositions du règlement de 1996, dont vous avez rappelé le peu d'efficacité sur le territoire américain : je ne suis pas sûr que l'actualisation de ces dispositions soit de nature à lui apporter plus d'efficacité. J'aurais aimé qu'on puisse le cas échéant ouvrir quelques pistes véritablement efficaces. J'avoue que je n'en vois pas vraiment - et certainement pas sur le territoire américain.
S'agissant des décisions à même de renforcer le rôle international de l'euro, je pense que, pour faire échec au dollar, il faudrait en effet un euro qui puisse jouer le même rôle dans le monde. Permettez-moi de dire qu'on en est loin !
Je fais écho aux observations et aux interrogations de Pierre Ouzoulias, qui disait que, même s'il faut donner plus d'efficacité à l'euro face au dollar, on peut se poser des questions sur la façon d'y procéder, à tout le moins en matière de temporalité. Si cela était facile, ce serait déjà fait. Je suis persuadé que les paragraphes 21, 22 et 23 nécessiteraient un débat pour savoir si l'on y met bien les mêmes choses.
Je ne vois pas non plus comment on va pouvoir, par un renforcement du rôle international de l'euro, trouver très vite une solution aux sanctions américaines, dont on a dit à quel point elles étaient injustes, disproportionnées, etc.
Enfin, s'agissant de la troisième proposition du rapporteur relative à la plateforme comptable autonome, dont il a dit qu'elle paraissait rustique, je dois avouer qu'à titre personnel, je la trouve tellement rustique que je ne vois pas très bien comment elle peut fonctionner.
Je suis prêt à approuver cette proposition de résolution, mais est-elle à la hauteur de l'attente des entreprises européennes pour faire face aux sanctions américaines ? Comment actualiser le règlement de blocage, qui ne fonctionne déjà pas ?
Enfin, on veut parachever l'union économique et monétaire pour renforcer le rôle international de l'euro, mais on a dit à quel point c'est difficile.
M. André Gattolin. - C'est tout le discours sur l'état de l'Union du président Juncker. Il part du fait qu'on compte 300 milliards d'euros d'achat d'énergie en dollars, alors qu'on importe que 2 % de notre énergie des États-Unis.
M. André Reichardt, président. - Je suis d'accord, mais si c'était facile, cela aurait déjà été fait. Est-on à la hauteur de l'attente de nos entreprises, qui sont obligées de se désengager d'Iran, avec les conséquences que l'on sait ?
M. Jean-Yves Leconte. - C'est pour cela que j'ai fait ces propositions.
M. André Reichardt, président. - Enfin, on ne sait même pas comment va fonctionner la plateforme comptable, que vous qualifiez de rustique.
Cette proposition de résolution va-t-elle répondre aux attentes de la petite entreprise alsacienne, qui se demande ce qu'on attend pour l'aider, alors qu'elle travaille depuis deux ans maintenant pour ouvrir un marché en Iran, auquel elle est obligée de renoncer ? Qui va lui rembourser toutes les études qu'elle a engagées ? Ce ne sont pas les États-Unis !
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - La proposition de résolution comprend trois parties. Je qualifierai la première de réponse technique et juridique par rapport aux sanctions extraterritoriales.
Une deuxième partie concerne les décisions à même de renforcer le rôle international de l'euro. Il s'agit de tout ce que vous avez expliqué les uns les autres sur le fait qu'il existe en fin de compte un problème quant au rôle de l'euro.
La troisième partie est la partie purement politique, qui a fait l'objet de plusieurs interventions. Nous vous proposons de considérer que ce sujet politique doit faire partie des débats sur la gouvernance mondiale, lors des réunions du G20 ou du G7, et que l'on doit clairement aborder avec les États-Unis le fait qu'on est soit dans la catégorie des ennemis, des « foes », pour reprendre la formule de M. Trump, soit dans un partenariat commercial, équitable et équilibré.
Avec ces trois parties, nous avons en quelque sorte anticipé vos avis.
Je vous propose une première modification technique au point 17. Selon moi, la rédaction peut être précisée quant à la vocation de cette plateforme comptable, qui n'est pas d'assurer les transactions commerciales. Ce n'est pas une bourse d'échanges commerciaux, et les flux financiers ne vont pas passer par celle-ci.
Second élément : même si la question se pose aujourd'hui au sujet des sanctions à l'égard de l'Iran, malgré le JCPoA et l'accord avec l'Iran, cet outil doit pouvoir fonctionner pour d'autres pays avec, en arrière-plan, la question russe. On ne sait en effet pas de quoi l'avenir sera fait.
Je propose de rédiger les choses ainsi : « juge nécessaire de mettre en oeuvre rapidement, en concertation avec les pays intéressés, une plateforme autonome permettant de comptabiliser les produits d'échanges commerciaux avec l'Iran ou d'autres pays sous sanctions américaines ».
Arrêtons-nous quelques instants sur cette notion de comptabilisation et sur la rusticité du système. L'idée n'est pas de créer une banque, car on retomberait alors sur les problèmes de SWIFT - sanctions, etc. - ni même de disposer d'une plateforme d'échanges commerciaux qui serait immédiatement attaquée, mais d'enregistrer les plus et les moins. C'est là l'intérêt de l'idée.
Cette plateforme est un véhicule ad hoc d'enregistrement comptable des échanges : lorsque l'Iran vendra du pétrole à la Chine ou à l'Inde, des « plus » viendront s'inscrire au crédit de l'Iran. Lorsque des entreprises européennes fourniront des produits aux iraniens, des « moins » apparaîtront dans la partie européenne. La compensation in fine se fera entre la Chine - ou l'Inde et les opérateurs européens.
Très concrètement, pour reprendre l'exemple de l'entreprise alsacienne utilisé par M. Reichardt, il existe deux situations.
Première situation : cette entreprise alsacienne souhaite travailler avec l'Iran sur des secteurs non soumis à sanctions - médicaments, produits agricoles. Le problème de l'entreprise est de trouver une banque française qui accepte de réaliser les opérations. Juridiquement, rien n'interdit à une banque, pour des éléments qui ne sont pas sous sanctions américaines, d'assurer l'opération.
Toutefois, à un certain moment, la banque ne pourra matérialiser l'opération. Il faut un mouvement monétaire entre la banque française et la banque iranienne. Toutes les banques iraniennes sont aujourd'hui blacklistées et vont probablement être déconnectées de SWIFT. Pour que cela fonctionne, il faut qu'au moins une banque iranienne reste connectée à SWIFT, afin que la banque française, dans un domaine qui n'est pas sous sanctions américaines, puisse réaliser l'opération.
Ceci se traduit, pour ce premier volet, par un point 18 bis, que je vous propose d'ajouter, qui serait rédigé ainsi : « ... demande que, pour les secteurs à caractère humanitaire non soumis à sanctions, une banque iranienne reste connectée au système SWIFT ». Cette demande, monsieur Reichardt, répond bien à votre préoccupation, mais elle correspond à une situation qui a historiquement existé. En effet, lors de la mise en place des précédentes sanctions, une banque iranienne, dont j'ai oublié le nom, était restée connectée à SWIFT.
Second argument : politiquement, il faut tenir compte de la situation dans laquelle se placent les États-Unis. Imaginons que, demain, les produits agricoles ne puissent être livrés et que s'ensuivent des problèmes alimentaires en Iran. Il va être compliqué pour les États-Unis d'assumer des images télévisées de personnes frappées de malnutrition. Ce n'est pas ce qui va conduire les Iraniens à donner raison aux Américains : au contraire, ils vont se souder davantage encore. Imaginez une crise sanitaire en Iran : le résultat politique sera exactement inverse de celui qu'attendent les États-Unis.
Il peut y avoir, sans être angélique, un intérêt à conserver une banque iranienne dans le dispositif pour permettre à ce canal humanitaire de fonctionner.
En outre, selon l'argumentation américaine, la corruption serait partout présente en Iran. Ne plus permettre aux opérations d'emprunter un circuit bancaire favorise la clandestinité et vient accroître les problèmes financiers. L'idée d'un canal humanitaire est donc assez adaptée.
Pour en revenir à l'entreprise alsacienne qui produit des équipements qui, hors canal humanitaire, vont servir à la fabrication de vannes pour le gaz, de machines-outils ou des tracteurs, nous proposons deux éléments de réponse. En premier lieu, je proposerai une légère modification du point 18 : « ... demande le renforcement de certaines dispositions du règlement ». En clair, il s'agit de savoir comment traiter la question du responsable, puisqu'on prévoit la possibilité de demander des dommages et intérêts, mais sans préciser les conditions dans lesquelles cela pourrait se faire et à l'égard de qui.
Enfin, dans ce dernier cas, la rusticité de la plateforme constitue une réponse : l'entreprise qui va par exemple livrer des machines-outils en Iran ne sera pas payée par les Iraniens. Il s'agira d'une transaction avec une livraison en Iran, mais la transaction commerciale et financière sera réalisée avec, par exemple, les Chinois. L'opération financière se fera sous forme d'un mouvement d'une banque chinoise vers une banque française, en euros ou autres, ce qui est parfaitement régulier.
L'opération se soldera au bout du compte par un plus pour l'un et un moins pour l'autre, sur le compte ouvert sur cette plateforme pour l'Iran. C'est l'Iran qui dira à l'entreprise chinoise qu'elle a besoin de machines-outils alsaciennes avec les crédits ouverts sur la plateforme. L'entreprise sera donc payée par une entreprise chinoise.
On déconnecte les flux financiers de notre opération. On a en commun une ardoise sur laquelle on met les plus et les moins, où les flux financiers passent normalement.
M. André Gattolin. - Il y a deux ans, j'avais auditionné, à l'Assemblée nationale, dans le cadre du groupe de travail sur les questions arctiques, des personnes de Total et Technip à propos de leur participation financière très active dans la plateforme gazière de Yamal, en coopération avec les Russes et les Chinois. Je leur avais fait remarquer qu'ils tombaient sous le coup des sanctions américaines et européennes. Il serait peut-être intéressant de leur demander la manière dont ils procèdent.
M. Pierre Ouzoulias. - Le programme « Pétrole contre nourriture », en Irak, relevait d'un fonds spécial géré directement par le Conseil de sécurité des Nations unies et des fonctionnaires onusiens. Ils inscrivaient des plus quand le pétrole arrivait et des moins lorsqu'il s'agissait de médicaments ou de biens alimentaires. Il n'existait pas de transactions financières, mais un simple équilibre entre les deux.
Je mets de côté ce que le gouvernement irakien de l'époque a fait de ces fonds et les scandales qui ont marqué celui-ci mais, bien que primitif, cela avait bien fonctionné.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Au-delà du fait que c'est un souvenir plutôt douloureux, il s'agit d'un mécanisme de troc sous le contrôle de l'ONU, avec l'accord des États-Unis. Dans la situation actuelle, on doit l'oublier.
La création d'un système financier parallèle est compliquée. Certains ont plein d'idées à ce sujet, comme le fait de recourir à des centres de compensation, des centres de clearing en dollars en dehors des États-Unis, des SWIFT bis, etc. Tous les avis qu'on a recueillis sont défavorables. SWIFT est un outil extraordinaire : personne n'a envie de perdre toute traçabilité. Je pense qu'il existe des limites à l'ingéniosité.
Vous avez compris, monsieur Reichardt, que cette plateforme serait créée par les États. Personne d'autre ne peut le faire. Il faut protéger le système et s'appuyer sur l'immunité des États. Les banques centrales ne peuvent s'en charger, car elles sont elles-mêmes vulnérables. À titre d'exemple, la Banque de France détient dans ses réserves 43 milliards de dollars en billets verts et conserve 80 milliards de dollars pour le compte de pays étrangers. Les risques étant considérables pour une banque centrale, il faut donc que ce soit des États de l'Union européenne qui en soient membres. Il en faudrait une dizaine, et surtout que nos amis allemands en fassent partie.
C'est en effet pour eux un enjeu : l'Iran n'est peut-être pas déterminant, contrairement à leurs relations économiques avec la Russie. Nord Stream 2 est un sujet qui leur parle et qui est susceptible de susciter le moment venu des sanctions américaines. Il y a donc là une ouverture qu'il ne faut pas sous-estimer.
Je vous propose d'introduire, par rapport à l'intervention de MM. Ouzoulias et Reichardt, une quatrième modification portant sur les points 20 à 23, où ne figure que la reprise de sujets déjà discutés dans notre commission et qui ont déjà fait l'objet votre accord : convergence en matière d'union bancaire et mise en place d'une supervision unique des marchés sous une égide européenne - à une réserve près concernant la proposition de mettre en place une capacité budgétaire de la zone euro. Notre commission ne s'est pas encore prononcée sur cet aspect des choses.
Je vous propose de modifier le point 21 en conséquence.
Enfin, les points 24 à 26 portent sur les remarques relatives à la question politique et non technique. Je reconnais que nous n'avons pas donné satisfaction à M. Leconte, mais c'est là la limite de l'exercice. Je ne suis pas certain que les Allemands nous accompagneraient sur ce terrain.
Le fait que vous ayez posé cette question, monsieur Leconte, constitue une forme de signal : il révèle plus qu'un agacement de l'Union européenne. Nous nous sentons véritablement agressés par les États-Unis. Jamais notre génération n'aurait imaginé être confrontée à ce type de question - mais il faut prendre les réalités comme elles sont.
M. Jean-Yves Leconte. - La position américaine et la question de la souveraineté européenne ne constituent pas des sujets du même ordre. Il y va de la crédibilité de l'Union européenne. Les Iraniens veulent des solutions à long terme, des solutions politiques. Or l'Europe, tout en étant consciente de la situation, n'est absolument pas prête à apporter de réponse véritablement politique à ce sujet.
Depuis plus de dix ans, toute personne qui s'est rendue en Iran et qui désire ensuite voyager aux États-Unis, doit expliquer ce qu'elle est allée faire là-bas. C'est profondément anormal ! On a l'air de considérer l'OFAC comme un organisme international.
On doit aller beaucoup plus loin. Ce n'est pas une agression vis-à-vis des États-Unis. Il faut mettre notre discours en adéquation avec des positions fortes !
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - L'Iran a essayé de résoudre la question en mettant en place un système de visa par Internet, sans exiger qu'une vignette apparaisse sur le passeport.
M. Jean-Yves Leconte. - Le mensonge n'est pas acceptable en droit américain. S'il est établi qu'une personne est allée en Iran et que cela ne figure pas sur son passeport, c'en est fini pour elle des États-Unis !
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Il en allait de même pour se rendre en Israël si l'on était allé en Arabie saoudite. La vraie question est politique. Notre proposition porte bien sur cet aspect, mais il existe une limite au rôle de la commission des affaires européennes.
La question que vous soulevez à juste titre s'adresse à l'ensemble des groupes politiques de notre assemblée. Elle sera au coeur des élections européennes de mai prochain.
M. Pierre Ouzoulias. - Il faut l'espérer !
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - En effet. Nous aurons les uns et les autres plaisir à la traiter - si les groupes politiques retrouvent leur droit d'expression en séance !
M. André Reichardt, président. - Ce sera le mot de la fin !
Je remercie notre rapporteur pour ce travail.
À l'issue de ce débat, la commission, à l'unanimité, autorise la publication du rapport d'information et adopte la proposition de résolution européenne ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.
Questions diverses
M. André Reichardt, président. - Il reste deux questions diverses.
En bureau, il a été proposé que M. Bigot et votre serviteur puissent travailler sur le statut du sapeur-pompier volontaire, en aval de notre travail précédent sur la réforme du mécanisme de protection civile. Une jurisprudence récente de la Cour de justice a pour effet de soumettre au droit du travail les gardes des sapeurs-pompiers volontaires. Cela ne nous paraît pas pouvoir fonctionner.
Enfin, Fabienne Keller a souhaité être chargée de la question du recours à des actes délégués au sujet des certificats carbone. Je pense que vous n'y voyez pas d'objection.
Je vous remercie.
La réunion est close à 11 heures.