- Jeudi 14 juin 2018
- Recherche et propriété intellectuelle - Supercalculateur européen : proposition de résolution européenne et avis politique de MM. André Gattolin, Claude Kern, Pierre Ouzoulias et Cyril Pellevat
- Politique de coopération - Activités de l'Assemblée parlementaire de l'Union pour la Méditerranée : communication de M. Jean-Pierre Grand
Jeudi 14 juin 2018
- Présidence de M. Jean Bizet, président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Recherche et propriété intellectuelle - Supercalculateur européen : proposition de résolution européenne et avis politique de MM. André Gattolin, Claude Kern, Pierre Ouzoulias et Cyril Pellevat
M. Jean Bizet, président. - Notre ordre du jour appelle la communication d'André Gattolin, Claude Kern, Pierre Ouzoulias et Cyril Pellevat sur le supercalculateur européen.
Nos collègues ont préparé une proposition de résolution européenne sur laquelle nous serons appelés à nous prononcer. Nous avons souvent alerté pour que l'Union européenne ne manque pas le train de l'innovation et des grands défis qui vont façonner l'économie de demain et, au-delà, les modes de vie et l'organisation sociale. C'est pourquoi nous sommes naturellement attentifs aux initiatives qui peuvent lui permettre d'être un acteur actif dans le domaine clé des supercalculateurs.
Nous avons auditionné avant-hier Thierry Breton, le PDG d'Atos, société européenne capable de fabriquer les supercalculateurs dont nous avons besoin. Il nous a fait passer plusieurs messages et nous a rassurés : le retard de la France dans ce domaine n'est pas considérable. À nous de dire que la digitalisation de l'économie et le « saut dans le XXIe siècle » ne pourront avoir lieu sans supercalculateurs.
Je donne la parole à André Gattolin qui va nous présenter les conclusions auxquelles le groupe de travail est parvenu. Les autres membres du groupe pourront ensuite intervenir s'ils le souhaitent.
M. André Gattolin. - Monsieur le président, mes chers collègues, en préambule, je vous prie d'excuser nos collègues Claude Kern et Cyril Pellevat qui ne peuvent être parmi nous aujourd'hui. Nous avons réalisé notre travail dans un calendrier contraint, car nous avons appris récemment que l'initiative dont je vais vous parler pourrait faire l'objet d'une orientation générale au Conseil à la fin de ce mois. Pour que nous puissions prendre position avant cette échéance, j'ai dû mener les auditions en un temps très court et seul ou presque.
Et pourtant, elles étaient passionnantes ! Nous avons pu rencontrer les principaux acteurs français - brillants, compétents, engagés et volontaristes - du calcul intensif : Antoine Petit, le PDG du CNRS ; Philippe Lavocat, le PDG du grand équipement national de calcul intensif (GENCI) ; Jean-Philippe Nominé, le spécialiste du calcul à haute performance du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) ; Jean-Philippe Bourgoin, le conseiller recherche de la ministre Frédérique Vidal.
Avant-hier, le bureau de notre commission a pu entendre Thierry Breton, le PDG d'Atos. Son groupe réalise un chiffre d'affaires de près de 14 milliards d'euros par an et il est un des trois premiers constructeurs mondiaux de supercalculateurs. Depuis son alliance avec Siemens, c'est un succès franco-allemand qui a le statut d'entreprise européenne.
On parle beaucoup moins du calcul intensif que de l'intelligence artificielle. Pourtant, il est amené à jouer un rôle crucial pour la souveraineté de l'Europe dans les années qui viennent.
À quoi sert le calcul à haute performance ? Principalement à la simulation numérique : grâce à une capacité toujours plus grande d'ordinateurs de pointe, les supercalculateurs, on peut faire des simulations de plus en plus précises, de plus en plus réalistes. Au point même de ne plus avoir, parfois, besoin de tests réels. J'en prends deux exemples.
Le premier, que vous connaissez tous et qui est ancien, ce sont les essais nucléaires français. Si nous avons pu nous en passer, c'est parce que nos projections informatiques nous permettaient de déterminer avec précision leur impact et leurs conséquences. Aujourd'hui, il n'y aurait pas de dissuasion sans simulation et c'est Atos qui assure celle-ci.
Le second est plus concret, plus matériel, ce sont les crash tests des voitures et les tests de l'aéronautique sur les ailes d'avions. Avant, on faisait 7 000 crash tests de voitures. Aujourd'hui, sept ! Les premiers tests se font, eux, sur des simulateurs qui intègrent tous les paramètres de ces matériaux complexes. Je vous laisse, dès lors, imaginer les gains - de temps, de matériels, financiers - qui en découlent.
Pour la recherche, l'avantage est aussi important : on peut améliorer les prévisions climatiques et météorologiques, le développement de nouvelles molécules pour les médicaments. Les exemples se déclinent dans de nombreuses disciplines.
Cette évolution va s'accentuer encore dans les années qui viennent, car nous aurons toujours plus de données à analyser avec le big data. Je vous ai souvent dit que la donnée était au centre de l'économie numérique, vous en avez un exemple concret. Pour analyser ces masses de données, il faut des calculateurs de plus en plus puissants. C'est un outil stratégique dans la compétition économique mondiale et aussi un élément de souveraineté.
Or, malgré des efforts engagés dès 2007, l'Europe souffre de deux carences : un sous-investissement par rapport à ses concurrents, et une dépendance à des technologies importées. La Commission européenne estime que le sous-investissement se situe entre 500 et 750 millions d'euros par an. La Chine, les États-Unis, le Japon, et aussi la Suisse, ont investi et vont investir des milliards.
Pour ce qui est de la dépendance, c'est assez simple. Pour faire marcher un supercalculateur, il faut des dizaines de milliers de microprocesseurs et le marché de ces derniers est dominé par les grandes entreprises américaines comme Intel, qui fournit à elle seule 80 % des processeurs pour ordinateurs. Les Chinois ont aussi lancé leur propre filière, à des fins domestiques. Et ce, malgré l'existence en Europe d'entreprises de pointe dans le calcul intensif, comme Atos. Face à cela, il fallait réagir et c'est ce que la Commission européenne a fait, en deux temps.
Le 7 février dernier, elle a présenté une proposition visant à créer une entreprise commune pour le calcul à haute performance, EuroHPC. Cette initiative me paraît intéressante sur trois aspects.
Premièrement, sa structure : plutôt qu'une nouvelle agence européenne qui mettrait la main sur les capacités des États membres, la Commission propose de créer une entreprise à laquelle participeraient, en plus de l'Union elle-même, les États et les acteurs privés qui le souhaitent. Cette plus grande place accordée aux États membres, du point de vue tant décisionnel que financier, me paraît plus féconde.
Deuxièmement, les objectifs de l'entreprise commune : acquérir et exploiter d'ici à 2020 des machines du niveau le plus avancé actuellement, qui permettent de faire entre 10 et 33 milliards d'opérations par seconde ; développer, sur la base d'un partenariat public-privé de recherche, un véritable savoir-faire pour construire en Europe, d'ici à 2023, des machines de nouvelle génération capables d'un milliard de milliards d'opérations par seconde.
Troisièmement, l'engagement financier : la Commission européenne met sur la table 486 millions d'euros de l'actuel cadre financier. Les États membres participant au projet devront en faire autant, et le secteur privé devra lui aussi investir. Au total, l'entreprise commune devrait être dotée d'un budget d'1,4 milliard d'euros pour 2019 et 2020.
À cela, il faut ajouter l'annonce, la semaine dernière, d'un budget pour un programme européen nouveau en faveur du numérique. La Commission européenne propose 9,2 milliards d'euros pour ce secteur sur la période 2021-2027. Sur ces 9,2 milliards, 2,7 milliards d'euros seraient consacrés au calcul à haute performance. Avec cette pérennisation de l'engagement financier sur presque dix ans, l'Union se donne les moyens de disposer de capacités de calcul parmi les plus avancées au monde.
Ce budget irait à l'entreprise commune et les États membres devraient, à leur tour, apporter le même montant que l'Union européenne. Ainsi, au total, près de 6,4 milliards d'euros d'argent public seraient consacrés au calcul à haute performance entre 2019 et 2027, soit plus de 700 millions d'euros par an. L'effort ainsi fait placerait l'Union européenne au même niveau que ses grands rivaux mondiaux.
Le projet porté par la Commission européenne est essentiellement d'inspiration française. Appelant de nos voeux, depuis plusieurs années, une véritable politique industrielle européenne en faveur du numérique, nous ne pouvons que nous en réjouir. C'est bien ce qui se passe ici : nous avons au départ un écosystème public/privé à la pointe de la recherche pour une technologie qui va répondre aux besoins de la société numérique ; puis la puissance publique, à l'échelle européenne, est prête à investir massivement dans ces projets, parce qu'ils sont durablement bons pour l'économie et notre souveraineté ; enfin, il y a la possibilité de développer une technologie européenne et une filière industrielle d'avenir, créatrice d'emplois qualifiés et renforçant nos meilleures entreprises dans la compétition mondiale. C'est la raison pour laquelle nous soutenons cette initiative.
Trois questions se posent encore.
La première concerne l'engagement des États et leur participation au projet. Les choses évoluent dans le bon sens. S'ils étaient sept à signer une déclaration en faveur du calcul à haute performance en mars 2017, ils sont aujourd'hui quinze à avoir annoncé s'engager dans l'entreprise commune. Maintenant, il faudra qu'ils apportent leur financement.
Deuxième question, toujours en matière de financement, les 2,7 milliards d'euros que l'Union consacrerait au projet entre 2021 et 2027 font partie du prochain cadre financier pluriannuel, qui n'est pas arrêté. Nous plaidons pour que ce budget stratégique soit sanctuarisé, mais il est impossible de dire ce qu'il en sera à la fin des négociations.
Troisième question, enfin, quel pays hébergera quelle machine ? C'est une question importante car, quand vous avez l'infrastructure et que vous l'exploitez, vous développez la recherche et le savoir-faire. Or, si l'entreprise commune sera propriétaire des machines, celles-ci seront hébergées sur le territoire d'un État membre, qui les acquerra à terme. Au total, il y aura quatre machines : les deux machines achetées et de niveau pré-exaflopique, et deux machines qui seraient construites en Europe, dans un second temps.
Il y a un enjeu pour la France : les machines dont nous disposons, notamment celle du CEA, arriveront en fin de vie vers 2022-2023. Donc, plutôt que d'héberger les premières machines, avec des processeurs américains, notre pays pourrait développer l'une des deux premières machines européennes et démontrer ainsi son savoir-faire. Il ressort de nos auditions que toute la filière française du calcul à haute performance est prête à s'investir dans un projet européen.
C'est donc une véritable filière industrielle de pointe que nous pourrions développer en Europe, et particulièrement en France. Appuyée sur une recherche d'excellence, soutenue par un groupe de niveau mondial comme Atos et d'autres acteurs innovants, elle pourrait créer nombre d'emplois qualifiés à très qualifiés dans notre pays.
Voilà les raisons qui nous amènent à vous présenter une proposition de résolution pour appuyer ce programme aujourd'hui et dans les années qui viennent.
M. Jean Bizet, président. - Nous avons aussi appris, au sujet de l'obsolescence, qu'au terme de la loi de Moore, non démentie depuis 30 ans, les capacités des microprocesseurs sont doublées tous les 18 mois.
M. André Reichardt. - Je remercie M. André Gattolin pour la qualité de son engagement sur ce dossier compliqué. L'audition de Thierry Breton était également passionnante. Avec ce projet enthousiasmant, c'est de l'avenir de l'Union européenne qu'il s'agit. Face aux géants américain et chinois, elle doit se réveiller, et elle est en train de le faire.
Ce projet est à mettre en rapport avec nos travaux sur la cohésion régionale européenne et sur la politique agricole commune (PAC), domaines où l'argent manque. Il faut faire un choix et ne pas baisser les bras. Comme l'a dit André Gattolin, il faut sanctuariser ces crédits.
Enfin, je me félicite de l'excellence des acteurs français, dont Atos. J'espère que nous pourrons, au travers de cette proposition de résolution, convaincre le Gouvernement de soutenir cette approche et le rôle moteur de la France, en préparant l'arrivée de la prochaine génération de machines de calcul à haute performance.
M. Pierre Cuypers. - Les propos que nous venons d'entendre sont enthousiasmants. Et s'il y avait un grain de sable ? A-t-on réfléchi à une sauvegarde en cas de bug ?
M. Pierre Médevielle. - Je félicite André Gattolin pour cet exposé passionnant.
On parle beaucoup, ces derniers jours, de météo et de Brexit. Les Anglais s'étant dotés d'un supercalculateur de prévisions météorologiques, le président de Météo France se fait du souci pour la commercialisation de ses prestations, notamment auprès de l'aviation civile. Un supercalculateur météo français est-il prévu dans ce programme ?
M. Daniel Gremillet. - L'enthousiasme d'André Gattolin doit pouvoir se communiquer à la jeunesse française, qui aura envie de s'investir dans un projet européen de cette envergure.
Nous devons redonner du souffle et une dynamique à l'Union européenne. Le fait que l'Europe soit à la pointe dans ce domaine nous rassure, alors même que nous étions jusqu'à présent très dépendants des États-Unis.
L'Europe a besoin, non pas d'arbitrages à volume constant, mais d'une ambition budgétaire rénovée qui doit être complémentaire par rapport à ses fondamentaux, telle que la sécurité alimentaire.
Mme Laurence Harribey. - Nous appelons de nos voeux la structuration de ce projet européen, qui soulève la question de la stratégie et de la politique industrielles, et de la politique de concurrence. Thierry Breton a insisté sur l'importance de faire émerger des entreprises européennes, statut dont bénéficie ATOS. Nous ne pouvons pas agir au coup par coup.
D'un côté, nous avons des politiques traditionnelles, qui ont du mal à faire encore sens aujourd'hui mais qui sont pourtant indispensables pour la cohésion sociale et territoriale ; de l'autre, un enjeu industriel. Dans ce contexte, il faut une stratégie européenne claire.
Les politiques sont souvent trop réactives. Les enjeux, notamment en matière de cybersécurité, exigeraient une intervention davantage en amont.
Thierry Breton a souligné le caractère dramatique du Brexit dans son secteur : 16 000 de ses collaborateurs travaillent en Angleterre.
M. Jacques Bigot. - Je félicite le rapporteur pour son travail.
Je m'interroge sur la rédaction de la proposition de résolution : il faudrait davantage souligner que l'excellence française ne peut réussir que dans le cadre d'une filière européenne. Les investissements européens doivent être importants pour pouvoir faire face aux États-Unis et à la Chine.
Mme Gisèle Jourda. - Je m'associe aux propos de nos collègues. Nous avons présenté un rapport sur les nouvelles routes de la soie et l'évolution de la Chine dans ce domaine. La dimension européenne est l'enjeu majeur. Il ne faut pas oublier non plus la question de la défense et des armements de combat.
J'ai visité l'entreprise Huawei : dans notre pays, ce sont des étudiants et des chercheurs principalement français qui promeuvent ses produits. Ce sont nos talents que nous laissons partir en raison d'une absence de prise en considération des enjeux géostratégiques.
Il ne s'agit pas que de commerce : les équilibres géopolitiques se jouent aussi dans ces secteurs.
M. André Gattolin. - L'audition de Thierry Breton nous a conduits à ajouter deux paragraphes à notre proposition de résolution. Certains de ses propos étaient frappants : il a insisté sur le fait que l'Europe était trop naïve et ne protégeait pas assez ses entreprises. L'argent est versé à des laboratoires ou à des entreprises qui travaillent en réalité pour des grands groupes non européens. La technologie développée grâce aux fonds européens part vers les États-Unis ou la Chine. Dans un secteur aussi stratégique, nous devons protéger et soutenir nos laboratoires et entreprises. Les autres grandes puissances ne s'en privent pas ! L'argent européen doit aller aux acteurs européens. Nous avons trop longtemps tenu un discours d'ouverture du marché, de concurrence, de coopération joyeuse et amicale entre grandes puissances....
La dimension de défense est effectivement très forte. Même le Royaume-Uni ne fait pas totalement confiance à une technologie sous domination américaine ou d'un État tiers... Theresa May a été contrainte par sa majorité à céder sur le Brexit « dur ». Nous ne pouvons nous réjouir du Brexit. ATOS a 16 000 employés outre-Manche, et Thierry Breton a insisté sur le fait qu'il ne peut pas se permettre de perdre tous ces talents.
Il est essentiel de renforcer une industrie européenne et de développer nos acteurs français. Nous avons des scientifiques de haut niveau. Comment les garder s'il n'y a pas de projet industriel pour suivre la phase de recherche ? Les chercheurs risquent de s'éparpiller pour aller travailler dans des entreprises concurrentes qui les valoriseront.
Ces supercalculateurs ne sont pas de simples machines : il faut mettre en place des milliers de logiciels complexes. Ils produisent du temps-calcul. Je m'étais révolté il y a trois ans contre la décision du Gouvernement de couper dans les réserves d'investissement de Météo France, qui devaient lui servir à acquérir ces nouveaux ordinateurs. Dans un ou deux ans, les siens seront obsolètes... David Cameron, alors Premier ministre, avait financé l'achat d'un supercalculateur spécialisé destiné au service de la météo britannique, pour 264 millions d'euros, ce qui leur donne une excellente capacité d'anticipation des accidents météorologiques. Avec un calculateur qui prendrait en compte l'artificialisation des sols, il serait possible de prévoir les risques d'accident de façon très précise.
Ces ordinateurs produisent du flux permanent - les données météo, par exemple - et peuvent faire des simulations complexes, utiles pour le secteur industriel. Le secteur de la cybersécurité, qui nécessite des calculs de risques, sera un très gros consommateur de données.
Il faut sanctuariser ce projet, et pour une fois l'approche de la Commission est pragmatique et de long terme. Sur les 9,2 milliards d'euros affectés au programme numérique dans le prochain cadre pluriannuel financier, 2,7 milliards seront consacrés aux supercalculateurs, 2,5 milliards à l'intelligence artificielle et 2 milliards à la cybersécurité. L'intelligence artificielle est stratégique : elle se développera avec des moyens de recherche importants et des capacités décentralisées dans chacune des entreprises. Sans supercalculateur, il n'y a ni indépendance, ni souveraineté, ni capacité à garder une entreprise compétitive. La simulation est essentielle si l'on veut rester compétitifs, pour contrer par exemple la Chine, qui a décidé de lancer une gamme d'avions de transport - les futurs concurrents de Boeing et d'Airbus.
Les acteurs que nous avons rencontrés pendant nos auditions, qui forment en quelque sorte « l'équipe France », ont insisté sur la qualité de nos talents - des chercheurs potentiellement nobélisables - mais ont souligné la nécessité d'engager des formations spécifiques. Il est essentiel que des machines soient implantées dans notre pays. Ces machines exigent des compétences humaines, des niveaux élevés d'ingénierie et des logiciels spécifiques : c'est une usine humaine !
La question des arbitrages européens est importante dans le futur cadre financier pluriannuel. Il faut aussi avancer sur la question des ressources propres. Le montage est ici intéressant : une partie du projet est financée par d'autres États. À l'origine, le projet était porté par sept pays, les plus importants - France, Allemagne, Italie, Espagne... Nous risquions donc d'être en situation de minorité lors des discussions au Conseil. Aujourd'hui, quinze États sont concernés, dont la Bulgarie ; ce n'est pas anodin, car la commissaire chargée du dossier Mariya Gabriel est bulgare. Il faut éviter un coup de Trafalgar !
M. Jean Bizet, président. - Je remercie André Gattolin pour son travail. Je propose d'organiser un déplacement pour voir à quoi ressemble un supercalculateur.
Nous avons donc ajouté les points 15 et 16 à la proposition de résolution.
Monsieur Bigot, je vous propose d'ajouter entre les points 17 et 18 les mots : « relève toutefois que seule une action au niveau européen nous permettra d'assurer notre autonomie ».
Sur ce sujet, l'Europe fait preuve de réalisme : nous sommes de moins en moins naïfs dans cette compétition internationale. Nous devons investir, sans que cela se fasse au détriment de certaines politiques. Je me suis assuré auprès du ministre plénipotentiaire Pascal Hector que, dans le cadre de la négociation du cadre financier pluriannuel, l'Allemagne était bien prête à consacrer davantage de financement au budget de la politique agricole commune. À charge pour la France de prendre toutes ses responsabilités en la matière.
Nous devons adresser ce message à la jeunesse pour les élections européennes de mai 2019 : tout n'est pas négatif en Europe !
Il faut remettre sous les projecteurs le statut d'entreprise européenne.
Enfin, je veux redire que le Brexit est un véritable suicide collectif de l'Union européenne. Le coût pour les acteurs de chaque côté de la Manche pourrait être de 20 milliards d'euros par an en cas d'accord de libre-échange hard et de mise en oeuvre de barrières tarifaires et non tarifaires. Quel handicap dans la conjoncture actuelle par rapport aux autres États-continent...
En ce qui concerne la juridiction unifiée en matière de brevet, dans laquelle la Grande-Bretagne est engagée, nous attendons la ratification de l'Allemagne, suspendue à une décision de la Cour de Karlsruhe. Si la ratification n'intervient pas dans les délais convenus, la Grande-Bretagne pourrait avoir dans les mains une arme malicieuse en termes de dumping dans le domaine de la recherche.
À l'issue de ce débat, la commission a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne suivante, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne :
Politique de coopération - Activités de l'Assemblée parlementaire de l'Union pour la Méditerranée : communication de M. Jean-Pierre Grand
M. Jean Bizet, président. - Nous allons maintenant entendre la communication de Jean-Pierre Grand sur les activités de l'Assemblée parlementaire de l'Union pour la Méditerranée (AP-UpM).
Notre collègue n'est pas membre de notre commission, mais il mériterait de l'être. Il représente le Sénat, depuis octobre dernier, au sein de cette assemblée qui est constituée dans le cadre de l'Union européenne. Il a succédé à notre ancien collègue Louis Nègre. Je rappelle aussi que Simon Sutour représente avec Alain Dufaut le Sénat au sein de l'Assemblée pour la Méditerranée, laquelle est dotée d'un statut juridique international spécifique et dispose d'un statut d'observateur à l'Assemblée générale des Nations unies.
Jean-Pierre Grand a participé à la dernière session plénière de l'AP-UpM, qui s'est tenue au Caire. Il va donc nous dire les enseignements qu'il en retire. Il nous donnera aussi son éclairage sur la question du siège du secrétariat de l'Assemblée, pour lequel la ville de Marseille a fait acte de candidature, en compétition notamment avec Rome. Je souhaite que Marseille emporte cette compétition !
M. Jean-Pierre Grand. - J'ai assisté, il y a un mois au Caire, à la session plénière de l'Assemblée parlementaire de l'Union pour la Méditerranée, où je représente le Sénat.
Ma première observation portera sur les débats en tant que tels. La session était entièrement dédiée à la question de la lutte contre le terrorisme. Ayant pris connaissance des échanges qui ont eu lieu par le passé au sein de cette assemblée, je craignais que ce sujet ne soit phagocyté par deux autres problématiques : le conflit israélo-palestinien et la question du Sahara occidental. En tant que vice-président de la commission des affaires politiques, de la sécurité et des droits de l'homme, qui était chargée de la préparation d'une recommandation sur le rôle des parlements nationaux dans la lutte contre le terrorisme, j'ai pu cependant observer une véritable unanimité sur le sujet, sans que ces deux questions ne viennent paralyser l'adoption du texte, ce qui n'était pas gagné d'avance.
Il en découle un texte relativement équilibré, abordant cette problématique sans naïveté et pointant tous les domaines dans lesquels les pays des deux rives doivent unir leurs efforts : la lutte contre le trafic d'armes, le blanchiment d'argent, la contrebande de biens culturels ou la surveillance d'internet, dans le respect bien évidemment des libertés fondamentales. Nous avions débattu des mêmes problématiques lorsque j'ai accompagné le président du Sénat au Niger et au Tchad. La recommandation insiste notamment sur le renforcement de la coordination entre les institutions financières, les autorités répressives et les organes judiciaires.
Le texte a été adopté à l'unanimité en séance plénière. Je relève l'absence d'écho médiatique sur ce vote, dont la portée symbolique me paraît pourtant importante. On en revient sans doute au problème de positionnement et de visibilité de l'Union pour la Méditerranée, qu'avaient relevé nos deux collègues Louis Nègre et Simon Sutour dans leur rapport présenté en 2016 sur le volet méditerranéen de la politique de voisinage. C'est un problème de positionnement, car l'Union pour la Méditerranée a été envisagée à l'origine comme un organe au service de projets concrets de développement : tronçons autoroutiers, usines de dessalement... C'est aussi un problème de visibilité, car l'Union pour la Méditerranée, et en particulier sa branche parlementaire, s'inscrit dans un cadre institutionnel euro-méditerranéen déjà bien fourni : Fondation euro-méditerranéenne Anna Lindh pour le dialogue des cultures, Centre pour l'intégration en Méditerranée, Office de coopération économique pour la Méditerranée et l'Orient, Assemblée régionale et locale euro-méditerranéenne et enfin Assemblée parlementaire de la Méditerranée. Je doute notamment de la pertinence de disposer de trois assemblées parlementaires euro-méditerranéennes.
Comme l'avaient indiqué nos collègues il y a deux ans, il pourrait être envisagé une fusion des organes parlementaires au sein de l'AP-UpM, d'autant plus que celle-ci va se structurer avec la mise en place dans les prochains mois d'un secrétariat permanent. Il s'agirait pour l'heure d'un dispositif assez léger qui ne devrait pas dépasser la dizaine de personnes, principalement un secrétaire général et un directeur chargé des affaires financières. La gestion des quatre commissions et des deux groupes de travail continuerait, en effet, à dépendre des chambres des parlements des États membres qui en assurent les présidences.
Reste la question de la localisation de ce secrétariat. Un appel à candidature a été lancé et trois villes ont déposé un dossier : Rome, Istanbul et Marseille. Une décision devait être rendue par le bureau de l'AP-UpM à l'occasion de cette session. Nous n'avions aucune chance ! Deux des quatre membres sont italiens. Ce bureau est composé jusqu'en 2020 du Parlement européen (membre permanent et représentant de la rive Nord de la Méditerranée), de la Chambre des députés italienne (au titre de la rive Nord), du Parlement turc et de la Chambre des représentants égyptienne (tous deux au titre de la rive Sud).
La présidence égyptienne de l'AP-UpM était favorable au dossier français, le premier à avoir été déposé. Les autorités italiennes se sont engagées à adopter un accord de siège pour l'AP-UpM, prévoyant un régime classique de privilèges et immunités accordés aux institutions internationales. J'ai, à l'occasion d'un entretien avec le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, reçu l'assurance que la France accorderait un régime semblable si Marseille était choisie.
À l'invitation de la présidence égyptienne, et alors que ce n'était pas prévu, j'ai pu m'exprimer devant le bureau de l'AP-UpM. J'ai rappelé le symbole que représentait Marseille, l'engagement de la France à accueillir le secrétariat permanent, le consensus politique autour de cette question et les termes de mon entretien avec le ministre. Je me suis notamment appuyé sur le cas de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, installée en France, et j'ai souligné que des précisions seraient apportées rapidement par le Gouvernement sur les contours d'un accord de siège, qui répondrait en tous points à l'offre romaine.
La France ne propose pas d'accord de siège « préalable » ; c'est seulement lorsque nous sommes désignés pour accueillir une ambassade que nous prenons les dispositions nécessaires. J'ai également précisé que l'engagement italien pouvait être remis en question au regard de la situation politique de ce pays, puisque l'Italie n'avait plus de gouvernement à cette époque !
Malgré un soutien du Parlement européen, représenté par un député italien, au dossier romain, la présidence égyptienne a obtenu un report du vote à la prochaine réunion de bureau. Celle-ci, initialement fixée au 25 juin prochain, pourrait être reportée à la rentrée en raison du contexte politique en Turquie. En attendant, il apparaît urgent que les autorités françaises étayent le dossier marseillais afin qu'il présente les mêmes garanties que celui déposé par l'Italie.
Il convient d'intensifier notre lobbying. Nous ne gagnerons qu'à la condition d'être très actifs sur ce plan. J'ai d'ores et déjà prévenu la mairie de Marseille et le conseil régional Provence-Alpes-Côte d'Azur. J'ai également transmis ces informations au cabinet de Gérard Larcher, qui avait appuyé - comme François de Rugy - la candidature marseillaise. Le président Larcher a adressé, récemment, une nouvelle lettre au ministre de l'Europe et des affaires étrangères, réaffirmant son soutien.
La délégation de l'Assemblée nationale à l'AP-UpM envisage aujourd'hui le dépôt d'une proposition de loi prévoyant un accord de siège. Ce texte aurait avant tout une valeur symbolique, dans l'attente de la désignation officielle. Une démarche identique au Sénat pourrait faire sens et appuyer la candidature marseillaise. Je m'en suis ouvert auprès du cabinet du président et vais prendre contact avec mes collègues des Bouches-du-Rhône. Je rappelle que la France a été, en 2008, à l'origine de la création de l'Union pour la Méditerranée et que l'installation sur son territoire d'un de ses organes apparaît plus que légitime.
En conclusion, j'ai été frappé, alors que je ne connaissais pas l'AP-UpM, par l'activité et l'implication de ses membres, notamment la détermination et la pugnacité des femmes, par exemple de la délégation parlementaire algérienne. Cette affirmation des femmes de la rive Sud de la Méditerranée est rassurante dans le contexte que l'on connaît.
M. Simon Sutour. - Avec Jean-Pierre Grand, au-delà de nos divergences politiques, nous avons un point commun : nous avons tous les deux travaillé avec Georges Frêche, qui était un grand Méditerranéen.
Notre commission des affaires européennes m'a désigné pour suivre les questions méditerranéennes. J'ai siégé il y a quelques années à l'AP-UpM et je siège aujourd'hui à l'Assemblée parlementaire de la Méditerranée (APM). Le Sénat ne désigne en effet qu'un représentant à l'AP-UpM, et c'est logiquement un membre de la majorité sénatoriale qui est désigné, tandis que nous avons deux délégués à l'APM.
Ces deux structures sont complémentaires mais différentes. L'AP-UpM rassemble les pays de l'Union européenne et les pays de la rive Sud : c'est l'organe privilégié, pour le volet méditerranéen, de la politique de voisinage de l'Union européenne.
L'APM, reconnue par les Nations unies, est, quant à elle, une réunion des parlements des pays qui bordent la Méditerranée. Sa composition tend à s'élargir. Lors de la dernière assemblée générale à Bucarest en février, nous avons ainsi voté en faveur de la présence de la Fédération de Russie en tant que membre associé.
Ces deux assemblées ont pour avantage de réunir tout le monde, en particulier les Israéliens et les Palestiniens.
Je constate avec satisfaction que la France a gardé sa vice-présidence de la commission politique et de sécurité de l'AP-UpM. Avant moi, Robert del Picchia avait occupé ce poste, et c'est d'ailleurs lui qui l'avait conquise pour la France. J'ai aussi été amené à présider cette commission. Jusqu'à récemment, le bureau de la commission politique comptait aussi un vice-président israélien et un vice-président palestinien ; ce n'est plus le cas, mais tout le monde continue à s'y retrouver.
M. Jean-Pierre Grand. - Les Israéliens ne sont pas venus au Caire...
M. Simon Sutour. - C'est en effet dommage. Mais chacun était à l'APM présent à Bucarest. J'ai fait voter une résolution sur les problèmes de la région et le conflit israélo-palestinien, qui a été adoptée à l'unanimité, y compris par les représentants israéliens et palestiniens, qui se sont parlé. C'est positif.
L'Assemblée parlementaire de la Méditerranée s'est battue pour que son siège soit installé à Marseille, à la villa Méditerranée, propriété du conseil régional qui est inoccupée. Lors de notre réunion à Porto, nous avons obtenu la majorité, mais pas la majorité qualifiée nécessaire. Il y a l'idée sous-jacente d'une mise en commun des moyens des deux assemblées, sous la houlette du secrétaire général de l'APM, M. Sergio Piazzi.
Le siège de l'APM est à Malte : cela paraissait idéal au départ, mais il n'y a pas de vols directs et les loyers sont très élevés. La question d'une relocalisation se pose. Le président égyptien de l'AP-UpM est favorable au dossier de Marseille.
M. Jean-Pierre Grand. - En effet.
M. Simon Sutour. - Au-delà des problématiques d'organisation, il faut souligner l'intérêt de ces structures qui permettent aux parlementaires européens et des pays de la rive Sud de la Méditerranée de se parler. Il y avait même une délégation syrienne à Bucarest. L'Union européenne joue un rôle majeur grâce à sa politique de voisinage.
M. Jean Bizet, président. - Je vous remercie.
La réunion est close à 10h25.