Mercredi 21 février 2018
- Présidence de M. Vincent Éblé, président -
La réunion est ouverte à 09 h 30.
La politique d'émission de dette par l'État et le développement du marché des obligations vertes - Audition conjointe de Mmes Myriam Durand, directrice générale de Moody's France, et Catherine Lubochinsky, professeur en sciences économiques à l'université Paris II Panthéon-Assas, et de M. Anthony Requin, directeur de l'Agence France Trésor
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. - Nous avons régulièrement l'occasion d'évoquer ensemble le niveau de la dette, qui atteint environ 1 700 milliards d'euros pour la dette de l'État et 2 200 milliards d'euros pour la totalité de la dette publique, c'est-à-dire incluant la dette locale et la dette sociale.
La France fait en effet partie, nous le savons bien, des États européens dont la dette publique est la plus élevée.
En revanche, notre suivi porte plus rarement sur la politique d'émission à proprement parler, c'est-à-dire non pas le niveau, mais les caractéristiques et l'évolution de la structure de la dette émise.
Les titres de dette varient en effet selon plusieurs facteurs, comme la maturité, le taux d'intérêt ou encore l'éventuel lien avec l'inflation.
La politique d'émission de la dette souveraine a d'ailleurs récemment fait l'objet de controverses, en particulier sur l'encaissement de primes à l'émission importantes par l'État. Le sujet est d'autant plus intéressant que la politique d'émission de l'État a connu une inflexion originale en 2017, avec la création d'un nouveau type de titres, les « OAT vertes ».
Au surplus, les perspectives pour les années à venir ne sont pas sans enjeu, en particulier au regard du resserrement attendu de la politique monétaire menée par la Banque centrale européenne qui pourrait conduire à des difficultés de placement de la dette française auprès des investisseurs et à une évolution des caractéristiques des titres émis.
Nous avons donc souhaité organiser cette audition afin de compléter les traditionnels constats portés sur la hausse du volume de dette par un regard plus fin sur les caractéristiques des titres émis par l'État et le développement du marché des obligations vertes.
Nous avons le plaisir de recevoir Anthony Requin, directeur de l'Agence France Trésor, Myriam Durand, directrice générale de l'agence de notation Moody's France et Catherine Lubochinsky, professeur de sciences économiques à l'université Paris II Panthéon-Assas.
Je vous rappelle que cette réunion est ouverte à la presse et retransmise sur le site internet du Sénat.
Pour préserver le caractère interactif à nos échanges, je vais donner la parole à nos intervenants pour de brèves interventions avant de laisser ensuite le débat s'installer.
Pour commencer, je donne la parole au directeur de l'Agence France Trésor, Anthony Requin, qui va revenir sur l'émission de dette « verte » de janvier 2017 et son inscription dans la politique d'émission de l'État.
M. Anthony Requin, directeur de l'Agence France Trésor. - Je vais commencer par brosser un portrait de ce nouveau type d'obligations que nous avons émises en 2017, avant d'en venir à l'actualité plus récente de cette forme nouvelle de dette. Tout d'abord, je me permets quelques rappels historiques sur la première « OAT verte » française. Sa genèse remonte à l'impulsion donnée par le Président de la République en avril 2016, à l'occasion de la quatrième conférence environnementale et aux orientations données en septembre 2016 conjointement par la ministre de l'environnement d'une part et le ministre de l'économie et des finances d'autre part.
À la suite de ces impulsions, l'Agence France Trésor a été chargée de préparer l'émission d'obligations vertes souveraines, dans le cadre du programme de financement de l'État pour l'année 2017. En annonçant son intention d'émettre de telles obligations, la France a ainsi inauguré un segment déjà occupé par des collectivités locales et des entreprises mais encore jamais par un État pour de tels montants.
Le 24 janvier 2017, la France a ainsi été le premier État souverain au monde à émettre, pour une taille de référence, des obligations vertes. J'entends par « taille de référence » un montant de plusieurs milliards d'euros, soit un montant offrant aux investisseurs une souche obligataire d'une taille suffisante pour assurer sa liquidité sur le marché. La liquidité d'un actif est en effet, je le rappelle, un élément important, qui contribue à en déterminer le prix.
Qu'est-ce qu'une obligation verte ? C'est une obligation pour laquelle l'usage des fonds levés est dédié à un projet ou à un ensemble de projets générant un impact environnemental positif. Elle se distingue d'une obligation classique par une information précise et spécifique sur les investissements qu'elle finance et leur caractère vert, information que l'émetteur doit rassembler et mettre à disposition de l'investisseur tout en impliquant un risque financier identique pour ce dernier. Du point de vue du risque de crédit, une obligation verte n'est pas différente d'une obligation classique émise par l'État français.
L'Agence France Trésor a donc mis au point un cadre de référence, que vous pourrez retrouver sur notre site internet, qui détaille l'utilisation du produit de cette émission obligataire. Ce cadre de référence s'articule autour de quatre objectifs nationaux : la lutte contre le changement climatique, l'adaptation au changement climatique, la protection de la biodiversité et la réduction de la pollution de l'eau, de l'air et du sol.
Les dépenses vertes éligibles auxquelles sont adossées nos émissions obligataires « vertes » sont des dépenses de l'État qui respectent ce document cadre. Elles incluent des dépenses du budget général, ainsi que des dépenses des programmes d'investissements d'avenir. Les dépenses concernées sont de nature variée : il peut s'agir de dépenses fiscales, d'investissement, de fonctionnement ou d'intervention, mais leur caractéristique commune est de permettre le déploiement de la politique environnementale de la France.
Pour adosser nos émissions d'OAT vertes pour l'ensemble de l'année 2017, nous avons ainsi identifié 13 milliards d'euros de dépenses vertes éligibles, relatives pour certaines au budget de l'année 2016. En effet, dans le standard de marché, les investisseurs acceptent de refinancer des dépenses déjà effectuées, ainsi que des dépenses en cours ou à venir. Dans ce dernier cas, il peut s'agir de dépenses relatives à des projets non identifiés mais dont les caractéristiques sont connues. Nous avons aussi inclus des dépenses ou des décaissements à venir dans le cadre des programmes d'investissements d'avenir.
L'identification des dépenses vertes éligibles résulte d'un travail effectué en amont par un comité interministériel, rassemblant des représentants des ministères de l'environnement, de l'agriculture, de l'enseignement supérieur et de la recherche, du Commissariat général à l'investissement ainsi que des ministères de l'action et des comptes publics, de l'économie et des finances. Au total, près de dix programmes budgétaires, que votre commission examine au moment de la loi de finances, sont concernés par l'assiette des dépenses vertes éligibles, ainsi que les trois programmes d'investissements d'avenir.
Voici quelques exemples concrets de dépenses vertes éligibles sélectionnées : les contributions au financement du programme européen d'observation satellitaire COPERNICUS, pour un montant de 250 millions d'euros par an ; la recherche fondamentale sur le climat, mise en oeuvre par CliMERI-France, qui contribue à l'analyse des évolutions climatiques futures. Une grosse partie des dépenses concerne en outre le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), pour 1,6 milliard d'euros en 2016 et 874 millions d'euros en 2015. Cette dépense est réalisée in fine par les ménages ou par les établissements en charge du logement social, au titre de la réalisation de travaux de rénovation du bâtiment. Nous avons également inclus les projets relatifs aux « Ecocités » ou encore des projets innovants comme la première route solaire, qui produit de l'énergie propre par le biais de l'énergie solaire. Nous avons financé l'observation et la recherche sur la pollution atmosphérique avec ACTRIS-FR, qui représente un investissement de 10 millions d'euros et mobilise 2 millions d'euros de fonctionnement annuel ; des dépenses de soutien aux opérateurs ferroviaires et à l'intermodalité, comme les taux réduits de contribution au service public de l'électricité (CSPE), l'exonération partielle de la prise en charge par l'employeur des frais de transport pour ses employés, les subventions aux opérateurs ferroviaires subissant des surcoûts liés à la mise en oeuvre de l'intermodalité ; l'appui à des projets innovants relatifs à l'économie circulaire ou encore le programme de recherche sur les hydroliennes, produisant de l'énergie propre grâce aux courants marins ; enfin, des dépenses relatives à la biodiversité, à l'agriculture biologique, à la gestion forestière, à travers l'Office national des forêts, et aux parcs nationaux.
Les dépenses vertes éligibles représentent donc une assiette de près de 13 milliards d'euros, sur lesquelles nous pouvions adosser les émissions de l'année 2017. À travers l'émission inaugurale et le double ré-abondement, en juin et en décembre 2017, nous avons ainsi pu émettre 9,7 milliards d'euros d'obligations vertes. La souche créée en janvier 2017, soit l'OAT juin 2039, cumule en effet 9,7 milliards d'euros d'encours.
Je tiens à préciser que le concept d'obligation verte ne contrevient pas au principe d'universalité budgétaire, car les fonds levés ne sont pas gérés séparément du reste des ressources publiques. L'adossement que nous faisons entre le produit de l'émission obligataire et les dépenses vertes est purement notionnel : il nous appartient ensuite d'attester auprès des investisseurs que nous avons effectivement dépensé un montant équivalent aux fonds levés pour les différents programmes budgétaires pour lesquels nous en avions manifesté l'intention. Afin d'en apporter la garantie aux investisseurs, un audit sera réalisé par un cabinet international. Je vais y revenir par la suite, lorsque j'évoquerai le reporting.
En termes de prix, les obligations vertes ont été émises dans des conditions financières équivalentes à celles des autres obligations émises par l'État français. Cette opération a été structurée de manière à assurer aux investisseurs qu'ils obtiendraient sur ce titre une liquidité équivalente à celle des autres obligations assimilables du Trésor, les OAT. Ainsi, dans la mesure où le risque de crédit est le même, puisque l'émetteur reste l'État français, il n'y avait aucune raison pour que le prix de l'obligation verte soit différent du prix des obligations classiques. La pratique a confirmé cette théorie, dès lors ni l'émission inaugurale, ni les deux abondements réalisés en juin et décembre n'ont engendré de quelconque surcoût pour le contribuable français.
L'OAT verte a donc trouvé sa place dans la courbe des taux de l'État. Certains observateurs estiment d'ailleurs que les deux abondements réalisés en juin et décembre ont été réalisés dans des conditions de prix avantageuses. Certains ont parlé à cette occasion d'un « greenium », contraction entre green et premium, soit un avantage de coût pour ce type d'obligations.
De plus, ce nouveau type d'obligations nous a permis d'élargir notre base d'investisseurs. S'agissant de l'émission inaugurale effectuée par syndication, pour laquelle nous disposons d'un niveau de détail granulaire au sujet des investisseurs ayant acheté notre obligation, nous estimons que nous avons atteint à peu près un tiers de fonds spécifiques « verts » que nous n'aurions pas touchés si nous n'étions pas venus sur le marché avec ce produit. En outre, alors que sur les opérations de syndication classiques, nous avons à peu près 100 investisseurs dans le livre d'ordres, nous en avions environ 200 à cette occasion.
Cette opération, qui nous a permis de renouer avec une politique d'innovation, au coeur de la pratique de l'Agence France Trésor, nous a également valu une certaine notoriété, voire une reconnaissance des professionnels de marché : elle a d'ailleurs été primée à plusieurs reprises.
J'en viens à l'actualité des obligations vertes. D'abord, nous travaillons à la mise en oeuvre des engagements de reporting pris auprès des investisseurs. Après le vote de la loi de règlement, nous fournirons donc un reporting sur les décaissements effectifs, afin d'attester que nous avons bien dépensé un montant équivalent à nos levées de fonds sur le marché en 2017, soit 9,7 milliards d'euros. Comme je l'ai déjà évoqué, ce reporting sera réalisé par un cabinet d'audit international. Nous effectuons également un reporting sur les indicateurs de performance, en utilisant l'information qui vous est fournie dans les projets annuels de performance, annexés aux missions budgétaires. Il s'agit de rassembler toute l'information sur les dépenses vertes éligibles que nous avions identifiées. Enfin, nous avons mis sur pied, au mois de décembre 2017, un conseil d'évaluation de l'obligation verte, composé de neuf personnes, chargé d'informer les investisseurs sur les impacts environnementaux positifs générés par ces dépenses vertes, conformément à l'objectif de neutralité carbone en 2050 fixé par la stratégie nationale bas-carbone et à l'objectif de limiter le réchauffement climatique à 2°C.
Nous avons également annoncé le montant des ré-abondements qui pourraient être effectués au cours de l'année 2018, avec la même méthode qu'en 2017, en identifiant donc des dépenses vertes éligibles au titre des émissions 2018, pour un montant potentiel de 8 milliards d'euros, à travers les mêmes programmes budgétaires et les programmes d'investissement d'avenir 1 à 3.
Pour conclure, nous sommes en bonne voie de réaliser les engagements pris en 2016 : en premier lieu, il s'agissait de montrer que les marchés de capitaux étaient suffisamment matures pour absorber des programmes de financement des États destinés à atteindre les objectifs fixés au cours de la COP 21. En ce sens, nous contribuons donc à porter la position de la France en matière de politique environnementale. Nous participons par ailleurs à la mise en place d'un écosystème financier, en proposant aux investisseurs un actif vert, sûr et liquide. Nous contribuons au rayonnement de la place financière de Paris, en mettant en valeur son écosystème, puisque nous avons des atouts dans la compétition que se livrent les places financières internationales. Par la vertu de l'exemple, nous pensons entraîner d'autres États à suivre le chemin ouvert par la France. À ce titre, la Belgique devrait réaliser dans les prochaines semaines une émission à bien des égards similaire à celle réalisée par la France, pour près de 5 milliards d'euros, plaçant le pays en seconde position sur le marché pour une taille de référence. Enfin, nous contribuons à rehausser le standard de qualité du marché des obligations vertes.
L'OAT verte est donc importante dans la stratégie de financement de l'État, dont elle fait maintenant intégralement partie. Je rappelle toutefois que cette OAT verte ne représente que 8 % du programme de financement de l'État pour 2016, qui totalise 195 milliards d'euros. En termes d'encours, elle ne représente que 0,5 % du stock de la dette de l'État.
Mme Myriam Durand, directrice générale de Moody's France. - Je vais essayer de donner quelques points de référence pour comprendre le marché des obligations vertes.
Tout d'abord, c'est un marché relativement récent. Les premières obligations vertes ont été émises en 2007 par la Banque européenne d'investissement (BEI), puis par la Banque mondiale. La croissance sur les dernières années est très nette : on est passé de 600 millions d'euros pour la première obligation, à 155 milliards de dollars en 2017. Nous pensons que le niveau de 250 milliards d'euros sera atteint en 2018.
C'est ensuite un marché en progressive maturité. Des projets de plus en plus diversifiés sont financés par ces obligations. En 2013, 60 % des projets financés concernaient les énergies renouvelables, alors qu'ils ne représentaient plus qu'un tiers des projets financés l'année dernière. Désormais, les obligations vertes financent des projets qui portent sur la gestion durable des déchets, les transports, l'utilisation des sols ou de l'eau et, d'une manière générale, l'adaptation au changement climatique.
Cette activité d'émission est également portée par une demande d'investissement socialement responsable, largement soutenue par l'Europe. Cela a été particulièrement notable avec la COP 21, même si c'était déjà le cas avant. La croissance a certes été plus forte dans d'autres régions du monde comme les États-Unis, mais le quantum d'actifs sous gestion reste supérieur en Europe.
Enfin, le marché est caractérisé par une répartition croissante par type d'émetteurs. Les États représentent une part relativement faible des émetteurs à ce jour, 7 % environ, mais leur croissance est importante. La France a ouvert la voie et beaucoup de pays ont émis depuis, même s'il s'agit de montants moindres que ce que l'on constate pour les sociétés non financières, les titrisations ou les banques de développement.
Dans ce contexte de marché en maturation, Moody's a lancé un produit d'évaluation, le Green Bond Assessments (GBA). Il n'y pas de différence sur l'objectif de l'évaluation entre une obligation verte et une obligation classique : on apprécie l'aptitude à rembourser la dette. Pour les Green bonds, on regarde cinq critères, qui concernent notamment l'affectation des produits d'émission. Nous évaluons également la gouvernance : quel type de communication, quel type de reporting l'émetteur a-t-il mis en place ? Je précise que cette évaluation n'est pas une note. GB 1 correspond à une évaluation excellente et GB 5 à une mauvaise évaluation. Nous avons attribué une trentaine d'évaluations jusqu'à présent. Sur le facteur relatif à la communication et la transparence de l'information, on constate une certaine disparité dans les scores obtenus.
Je terminerai en évoquant les émissions souveraines. La France a clairement ouvert la voie en terme de taille, puisque la Pologne avait émis juste avant mais pour un montant bien moindre. Il y a eu d'autres émissions par la suite : les îles Fidji et le Nigeria, pour des montants toujours inférieurs. Lorsque l'on observe la note de la dette souveraine, on peut souligner le fait que les Green bonds sont une obligation au même titre que les autres obligations émises par les émetteurs souverains.
Mme Catherine Lubochinsky, professeur de sciences économiques à l'université Paris II Panthéon-Assas. - Je vais essayer d'être un petit peu plus caustique et provocatrice et expliquer que la finance verte est faite pour voir la vie en rose dans un environnement morose !
La finance verte est un compartiment de la finance en faveur du développement durable, censée contribuer à financer des projets qui cherchent à lutter contre les conséquences du changement climatique. La question est de savoir si elle y contribue vraiment.
Il est nécessaire de contextualiser l'émergence de cette « vertitude » pour mieux la comprendre : la finance a été couverte d'opprobre après la crise financière et les acteurs financiers ont eu besoin de restaurer leur image et leur réputation, ce qui explique dans un premier temps l'investissement dit « socialement responsable ». Celui-ci a ensuite été progressivement délaissé au profit de fonds thématiques dans le domaine des infrastructures, de l'avenir et de la pollution de l'eau. Il existe également des fonds « zéro carbone », et même un fonds « Happy at work » ! La finance est parfois très créative. On constate donc un engouement à la fois des investisseurs et des émetteurs pour la finance verte, qui s'explique par la prise de conscience par les États des risques liés aux changements climatiques.
L'émission des obligations vertes suit trois objectifs. Tout d'abord, il s'agit d'envoyer un signal. Je pense que c'est l'objectif le plus significatif et le plus efficace. Le deuxième objectif est d'attirer des investisseurs, en particulier institutionnels. L'article 173 de la loi sur la transition énergétique a été la disposition la plus efficace puisque elle oblige les investisseurs à déclarer les critères extra-financiers pris en compte dans la gestion de leurs actifs, ce qui constitue une véritable incitation à la mise en oeuvre de stratégies « vertes ». Le troisième objectif de la finance verte est de faciliter le financement pour les États et les entreprises de mesures d'atténuation des risques climatiques. Ces besoins de financement sont considérables.
Je formulerai quelques remarques sur ces obligations vertes.
Les révolutions industrielles et technologiques ont été financées sans recourir à des produits financiers spécifiques. La problématique majeure à l'heure actuelle, en particulier en France, est de mobiliser l'épargne à long terme, ce qui est un problème récurrent et commun à tous les secteurs économiques.
Deuxième remarque, le vert peut se décliner dans toutes les formes de financements. Pourquoi les banques n'accordent-elles pas de crédits verts, pourquoi n'y a-t-il pas encore d'émission d'actions vertes ? Je pense que ça ne va pas tarder.
Un problème important reste l'insuffisante homogénéité des critères de certification entre les pays.
Aux États-Unis, il y a moins d'émissions d'obligations vertes en raison d'un problème juridique : la crainte d'avoir des class actions si l'utilisation des fonds n'a pas été conforme aux attentes.
Malheureusement, le risque climatique est encore mal évalué et donc mal intégré dans les prix. Les études économétriques faites sur le prix des obligations vertes, leurs performances et leur rendement n'intègrent donc pas la composante prime liée spécifiquement à la diminution du risque écologique.
J'insisterai sur le fait que, pour un État, émettre des obligations vertes ne sert qu'à envoyer un signal. Comme Anthony Requin l'a souligné, les dépenses qui ont été identifiées étaient déjà budgétées. S'il n'y a pas assez de financement, on finance le déficit budgétaire par émission d'OAT. Je n'ai pas l'impression que ce sont des dépenses conditionnées par l'obtention d'un financement, ce qui est un peu gênant.
Le seul avantage est donc selon moi que l'État peut profiter de l'engouement des investisseurs. Cela se traduit par une prime à l'émission : l'État emprunte, dans certains cas, à un taux légèrement inférieur à celui du marché des obligations « traditionnelles ».
L'étude de la Banque des règlements internationaux (BRI) de septembre 2017 sur ces primes de risques à l'émission montre que cet effet proviendrait uniquement de l'engouement massif des investisseurs institutionnels.
Anthony Requin a utilisé l'idée d'affectation notionnelle pour expliquer que les obligations vertes ne contreviennent pas au principe de non-affectation des recettes aux dépenses. Dans ce cas, pourquoi recourir aux obligations vertes qui comportent l'inconvénient de favoriser la fragmentation des marchés obligataires, ce qui peut entraîner des problèmes de liquidités ?
L'étude de la BRI que j'ai déjà citée souligne par ailleurs que les entreprises ou les institutions qui présentent le risque environnemental le plus élevé émettent ces obligations « vertes » dans des proportions importantes. Quand on regarde ces émetteurs, on peut s'inquiéter du phénomène de « greenwashing ». Les « Amis de la Terre » distribuent chaque année le prix Pinocchio, attribué il y a deux ans à une grande banque qui avait émis une obligation verte, mais finançait en même temps la mine de charbon la plus polluante au monde. La Banque européenne d'investissement, qui est une institution très respectable, vient quant à elle d'accorder l'un des plus gros prêts de son histoire pour financer le Trans Adriatic Pipeline, projet d'exploitation de gaz fossile au sud de l'Europe. La France a donné son accord, malgré l'impact climatique et social potentiel.
On constate donc quelques contradictions. De même, des sociétés pétrolières se sont rassemblées pour lancer un fonds vert. On a l'impression que si on fait une bonne action une fois par semaine, on peut faire ce qu'on veut le reste de la semaine !
Je suis cependant convaincue que le réchauffement climatique est un véritable enjeu, dont les risques vont se matérialiser à long terme, alors que la préoccupation des investisseurs et des élus est généralement plus centrée sur le court terme.
M. Vincent Éblé, président. - Avant de céder la parole au rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l'État », Nathalie Goulet, j'aimerais poser une première série de questions aux intervenants. Mes deux premières questions sont adressées à Anthony Requin, qui représente l'Agence France Trésor. La faiblesse des taux d'intérêt associée à un contexte de marché favorisant les réémissions sur souches anciennes a conduit à l'encaissement d'importantes primes à l'émission ces dernières années. Les primes à l'émission ont permis de ralentir la hausse de l'endettement de l'État. Avec la remontée des taux, peut-on s'attendre au phénomène inverse ? Va-t-on faire face à des décaissements de décotes à l'émission qui accéléreront encore davantage l'augmentation du stock de dette souveraine ?
Par ailleurs, on observe que le marché des obligations « vertes » est très peu développé en Amérique du Nord, principalement en raison de contraintes réglementaires beaucoup plus lourdes qu'en Europe. Cette asymétrie amène à se demander si les engagements pris par l'émetteur d'obligations vertes sont réellement contraignants, d'un strict point de vue juridique, en Europe. En d'autres termes, si l'émetteur ne procède pas aux dépenses « vertes » annoncées, quelles sont les conséquences légales sur le stock de dette émise ? Les investisseurs ont-ils droit à un dédommagement ?
Je souhaiterais interroger Catherine Lubochinsky à partir du constat selon lequel le taux de rendement à l'émission des OAT vertes était, selon les documents rendus publics, « pleinement en ligne avec la courbe des OAT traditionnelles ». Dans la mesure où le marché est moins profond et moins liquide, comment expliquer d'un point de vue économique que le taux d'une OAT verte ne soit pas plus élevé que celui d'une OAT traditionnelle ?
Enfin, à Myriam Durand, je voudrais demander ce que lui inspire la volonté des investisseurs de rendre publique leur participation à la syndication de janvier 2017 qui contraste avec la discrétion coutumière des acteurs financiers sur le volume et la répartition de leurs achats. Les profils d'investisseurs intéressés par les obligations vertes privées et les obligations vertes publiques lui paraissent-ils identiques ? Si le rendement est similaire, quel est l'intérêt pour un investisseur d'acheter des obligations vertes plutôt que des obligations publiques classiques ?
M. Anthony Requin. - Sur la première question, les taux d'intérêt négatif, qui s'appliquent encore au segment de la dette publique allant jusqu'à la duration de trois ans, ont en effet généré mécaniquement des primes à l'émission. Ce n'était pas la volonté de l'Agence France Trésor, mais le contexte monétaire a joué et nous a permis d'encaisser des primes à l'émission assez importantes en 2015 et 2016. Ce fut encore le cas en 2017, mais pour des valeurs moindres. De mémoire, les primes à l'émission ont atteint 22 milliards d'euros en 2015, 18 milliards d'euros en 2016 et se sont repliées à 10 milliards d'euros en 2017. Si la remontée des taux d'intérêt se confirmait, les produits correspondants s'amenuiseraient, en effet, nécessairement.
Dès 2017, il nous est arrivé de procéder à des émissions avec décote sur des titres à dix ans. En effet, dans le contexte préélectoral en France, nous avons fait face à une augmentation des primes de risque. Nous avons dû réémettre à des taux supérieurs aux taux faciaux des obligations à renouveler, et, ainsi, supporter les décotes correspondantes. Pour les années à venir, si les taux devaient se tendre, ce que je ne souhaite pas, nous pourrions devoir supporter des décotes globales à l'émission.
Sur la portée juridique des engagements pris dans le cadre des émissions vertes, il faut se référer à l'arrêté ouvrant l'émission de l'OAT correspondante, celle à l'horizon de juin 2039. Sa lecture oblige à distinguer deux types d'engagement, le premier relatif aux intentions d'emploi des fonds ainsi levés, le second aux informations données, qui indique que l'État fait rapport sur les dépenses financées par l'émission. Il s'agit clairement de deux engagements nuancés, l'un non sanctionnable, l'autre plus ferme. Mais, évidemment, nous sommes déterminés à tenir nos engagements et savons que l'image de l'émetteur que nous sommes en dépend.
Mme Catherine Lubochinsky. - Je complèterai juste l'intervention d'Anthony Requin pour indiquer que, selon moi, au-delà des primes d'émission et des décotes, c'est bien le taux de rendement de l'émission qui compte pour apprécier l'impact d'une éventuelle remontée des taux sur les finances publiques. Le Trésor a peu de prise sur ce point qui dépend des conditions de marché.
En ce qui concerne les écarts de taux de rendement entre OAT classiques et obligations vertes, étant donné l'homogénéité des risques financiers, il y a lieu de considérer un effet de mode, même si la taille du marché des obligations vertes, avec environ 500 milliards de dollars, ne représente encore qu'une très petite partie d'un marché obligataire qui se monte à plus de 100 trillions de dollars. La demande étant plus forte que l'offre, le coût des emprunts verts en est allégé d'autant. Cela dit, ce phénomène doit également être relativisé. L'étude de la BRI montre qu'il existe un écart de taux de l'ordre de 18 points de base à l'avantage des obligations vertes alors que dans les compartiments classiques, les écarts de taux peuvent atteindre des niveaux nettement plus élevés. Ainsi en va-t-il par exemple pour les spreads entre obligations françaises et allemandes, actuellement de 30 points de base.
Mme Myriam Durand. - Trois commentaires pour expliquer les allocations en obligations vertes alors que les rendements peuvent être moins favorables. En premier lieu, avant même le développement de ce segment, des investisseurs se trouvaient liés par des engagements de souscription sur ces thématiques et, corrélativement, d'abstention de financer certains secteurs considérés comme porteurs de nuisances. Ce qui est nouveau, c'est la loi sur la transition énergétique qui oblige les investisseurs à expliquer leur stratégie, qui, combinée avec les grandes négociations sur le climat, la COP 21 notamment, a contribué à alimenter la demande de titres verts. Enfin, des initiatives supranationales poussent les investisseurs dans la même direction. Par exemple, la « task force » sur la transparence climatique dans le secteur financier (TCFD) qui avait été lancée avant la COP 21, dont les conclusions ont été rendues à la fin de l'année dernière, invite les investisseurs et les émetteurs à améliorer la transparence de leurs projets au regard des objectifs environnementaux. Mais, il faut aussi évoquer le G20 avec son groupe de travail sur la finance verte et la Commission européenne et son groupe d'experts de haut niveau qui créent un contexte favorable au développement des emprunts verts.
Mme Nathalie Goulet. - Catherine Lubochinsky confirme ses écrits sur « le doux mirage des obligations vertes ». Dans la mesure où ces obligations peuvent être adossées à des dépenses déjà engagées, la question se pose de l'évaluation des effets additifs de ces financements sur les dépenses dites « vertes ». Anthony Requin, comment concrètement est organisée l'information des émetteurs sur les projets financés ? Quels services de l'État la mettent-ils en oeuvre ? Disposez-vous d'une estimation des coûts engendrés par ces devoirs d'information ? Vous avez indiqué que les obligations « vertes » ont, pour partie, financé la route solaire située dans l'Orne. Le département aussi a participé à la concrétisation de ce projet. Merci de nous exposer comment ce projet a été finalisé.
M. Arnaud Bazin. - Merci pour ces regards croisés et utiles puisque la contradiction a été apportée. En écoutant la position de l'Agence France Trésor, je me suis demandé quelle est la plus-value des émissions vertes étant donné l'homogénéité des conditions de prix et des impératifs à réunir, notamment la suffisante profondeur des tranches, avec les conditions des émissions plus classiques, pour assurer le succès de ce type d'opérations de financement. Finalement, seule la manifestation d'intérêt de nouveaux investisseurs ressort comme vraiment singulière. Dans ces conditions, même si la réponse est un peu dans la question, on peut s'interroger sur la contribution de l'émission verte à la couverture des besoins à financer. Y avait-il le moindre risque qu'une émission classique ne la permette pas ? Par ailleurs, merci de nous éclairer sur le profil des nouveaux investisseurs.
M. Claude Raynal. - Ma première question était analogue à celle de mon collègue Arnaud Bazin. Je relève les mêmes similitudes entre obligations « vertes » et OAT traditionnelles et la même seule originalité des émissions vertes, celle qui consiste à attirer de nouveaux investisseurs. Qui sont ces nouveaux investisseurs ? S'agissant des informations à fournir au marché, n'occasionnent-elles pas des surcoûts par rapport à des financements traditionnels ? Quelle en est l'ampleur ? L'appétence des investisseurs pour ces nouvelles émissions me suggère que les collectivités territoriales, qui participent à des projets longs de nature environnementale, pourraient peut-être recourir à des emprunts verts de leur côté. Cette idée vous semble-t-elle robuste ?
M. Jean-François Rapin. - Je souhaiterais disposer de précisions sur l'encadrement des informations à donner au marché. S'agit-il de normes réglementaires, de stipulations conventionnelles ou bien est-ce une simple pratique ?
M. Alain Houpert. - Je relève avec intérêt que Catherine Lubochinsky nous suggère que les obligations vertes ont ceci pour elles qu'elles permettent d'entrevoir le salut au pécheur contre l'environnement et qu'ainsi elles peuvent transfigurer l'écologie en « escrologie ». En qualité de rapporteur spécial des crédits agricoles, je souhaiterais savoir si Moody's note des obligations au titre de l'agriculture et moyennant quels moyens d'expertise.
M. Jean-François Husson. - Deux brèves questions. La première porte sur les singularités éventuelles de la structure de détention de la dette verte, qu'elle soit publique ou privée, par rapport à la dette classique. Ma seconde question est plutôt destinée à Anthony Requin. Avez-vous conduit des évaluations sur l'effet additif des financements verts sur les dépenses pour l'environnement ?
Mme Christine Lavarde. - Je voudrais savoir si les obligations vertes attirent des investisseurs qui ne seraient jamais venus sur le marché financier, le considérant comme peu recommandable, mais qui acceptent d'investir dans ces titres. Ma deuxième question est de savoir si l'Agence France Trésor intervient dans la définition des appels d'offres lancés dans le cadre des interventions publiques, par exemple, ceux des programmes des investissements d'avenir, pour préciser les caractéristiques des projets ainsi financés afin qu'elles soient conformes à l'esprit des émissions vertes.
M. Anthony Requin. - S'agissant de l'intérêt pour l'Agence France Trésor d'émettre ce type d'obligations, je rappelle que nous sommes chargés d'exécuter un programme de financement prévu par l'exécutif. Dès lors que la décision d'émettre une obligation verte a été prise, mon objectif est de mettre en oeuvre cette décision en toute cohérence avec le mandat de l'Agence, c'est-à-dire financer l'État tout en respectant les intérêts des contribuables, dans les meilleures conditions de sécurité. Au regard des métriques de coûts et de l'effet de notoriété qui ont découlé de cette émission, je considère que ces objectifs ont été atteints.
L'élargissement de la base des investisseurs est également un élément positif : la diversité des investisseurs est un atout pour la dette française et participe de la résilience de la courbe des taux, en cas de perturbations affectant les marchés de capitaux. Plus la base d'investisseurs est large et diversifiée, à la fois d'un point de vue géographique et d'un point de vue de la nature des institutions qui détiennent la dette, plus les taux d'intérêt sont résilients à un choc idiosyncratique touchant telle région du monde ou telle catégorie d'investisseurs. Ce n'est donc pas un mince avantage que d'être en mesure d'attirer près d'un tiers de nouveaux types de comptes dans notre base d'investisseurs.
S'agissant des coûts supplémentaires générés par l'infrastructure que nous avons mise en place, une partie des coûts sont des coûts échoués. Les fonctionnaires en charge de l'OAT verte travaillent déjà pour l'Agence. Seul un agent, dont le poste n'existait pas auparavant, chargé de projet à l'Agence France Trésor, suit spécifiquement ce dossier.
Nous avons quelques coûts de gestion supplémentaires, comme la rémunération du cabinet d'audit international, de l'ordre de quelques dizaines de milliers d'euros, qui réalisera le reporting, et sera sélectionné prochainement par le biais d'un appel d'offres. Sa mission consistera à certifier que nous avons bien dépensé les sommes que nous avons levées pour des dépenses vertes éligibles. Je précise que les membres du conseil d'évaluation de l'obligation verte ne sont pas rémunérés - seule la prise en charge des billets d'avion des membres, afin d'assurer leur présence aux réunions du conseil, deux fois par an, représentera un coût supplémentaire. Les montants financiers que nous avons levés sur le marché et le demi-point de base de taux plus avantageux avec lequel nous avons émis nos ré-abondements en juin et en décembre 2017 me paraissent couvrir largement ces coûts de gestion supplémentaires.
S'agissant de l'identification des dépenses éligibles, elle fait effectivement intervenir les ministères dépensiers : nous passons collectivement en revue les dépenses qui pourraient être éligibles au regard du cadre de référence de l'OAT verte que nous avons défini. Nous excluons par exemple toutes les dépenses qui pourraient induire un investissement dans des énergies carbonées, ainsi que les subventions aux organismes qui pourraient émettre eux- mêmes des obligations vertes, afin d'éviter tout « double comptage ». Des principes clés cadrent ainsi notre obligation verte et nous permettent d'identifier les dépenses vertes éligibles. C'est à ce titre que le ministère de l'environnement a souhaité inclure dans la liste des dépenses vertes éligibles la route solaire, que nous avons voulu montrer aux investisseurs comme type de projet rendu possible par les OAT vertes. Cette dépense aurait probablement été de toute façon financée, j'en conviens. Toutefois, je considère que la plus-value apportée par l'OAT verte ne se mesure pas à l'instant « T », mais après plusieurs années, lorsqu'un écosystème a vu le jour et rend possibles certains projets.
Une question m'a particulièrement interpellé : « pourquoi les collectivités territoriales ne pourraient-elles pas émettre des OAT vertes pour financer des projets locaux à connotation environnementale ? ». Si vous n'avez pas cet écosystème, peut-être que cette idée n'aurait pas germé et le financement de ces projets ne verrait pas le jour. Les États-Unis ont constitué, dans la Silicon Valley, un écosystème pour financer l'innovation et notamment l'innovation de rupture. Aujourd'hui, les apports en termes de croissance économique, de gains de productivité que le financement de ces projets a permis de générer sont particulièrement visibles. Nous faisons le pari qu'il en sera de même s'agissant des obligations vertes : nous pensons que création de cet écosystème va permettre, si ce n'est pas à l'instant « T », du moins à long terme, de financer des dépenses « vertes » additionnelles.
Mme Myriam Durand. - Des précédents existent dans d'autres pays. Vous pouvez voir dans le document qui vous a été distribué que les collectivités locales représentent une petite part des acteurs des émissions « vertes », mais une part en croissance. La ville de Göteborg a émis l'année dernière un milliard de couronnes suédoises pour financer des projets verts - il me semble qu'il s'agissait d'immeubles à bas carbone. Ces projets auraient-ils vu le jour sans les obligations vertes ? Je l'ignore, mais le fait est que de nombreuses collectivités locales suivent attentivement ce sujet.
M. Anthony Requin. - L'Agence France Trésor n'intervient pas directement dans la sélection des projets effectuée par le Commissaire général à l'investissement, pas plus que nous n'intervenons dans les choix budgétaires des ministères dépensiers. Peut-être ces ministères ou le Commissariat général à l'investissement vont-ils petit à petit intégrer cette dimension dans les demandes de crédit ou dans la sélection des projets à intégrer au sein des dépenses vertes éligibles. Nous ne désespérons pas, par exemple, que nous puissions récupérer, au titre des dépenses vertes éligibles, l'ensemble des financements alloués aux énergies renouvelables, actuellement financées par le biais d'une taxe versée sur le compte d'affectation spéciale « Transition énergétique ». Nous ne pouvons donc pas demander aux investisseurs de financer une dépense déjà financée par l'impôt. Si cette taxe n'était plus « fléchée », près de 5 milliards d'euros de dépenses supplémentaires éligibles seraient immédiatement disponibles, ce qui nous assurerait de pouvoir continuer à abonder nos souches pour créer la liquidité nécessaire pour garantir un prix équivalent à celui de nos autres OAT.
Mme Catherine Lubochinsky. - Je vais être très brève, l'essentiel ayant été dit. Les obligations vertes participent de la mise en place d'un « cercle vertueux », créant une incitation pour les agents économiques à « verdir » leur portefeuille ou leurs actions. De manière générale, il existe deux types d'incitations majeures : d'une part, l'incitation obligatoire, c'est-à-dire la réglementation, plutôt efficace, et d'autre part, l'incitation fiscale. Dans ce dernier cas, même si des « bonus-malus » sont mis en place, le multiplication des taxes pose problème et rigidifie la politique budgétaire. Avec une réglementation incitant à révéler les efforts faits dans la lutte contre le réchauffement climatique, je crois qu'on peut élargir la base des investisseurs mais aussi élargir la base des émetteurs. La société Fannie Mae, qui refinance des prêts immobiliers, via des mortgage back securities (MBS), a été le plus gros émetteur d'obligations vertes aux États-Unis l'an dernier ! Ces prêts sont verts car ils ont été accordés avec une composante « amélioration d'économie d'énergie ». Ceci démontre qu'on peut toujours trouver quelque chose pour verdir un projet !
M. Claude Nougein. - Myriam Durand, vous avez indiqué, concernant les obligations vertes, qu'il s'agissait d'une évaluation et non d'une notation. Pourriez-vous préciser quelle est la différence entre les deux ? Le degré d'engagement de la responsabilité de l'agence varie-t-il entre évaluation et notation ?
M. Éric Bocquet. - Il nous faut beaucoup parler l'anglais ce matin. À la commission des finances c'est fréquent : l'anglais semble être la langue privilégiée en matière de finances, comme chacun le sait.
Pour ma part, je suis content de recroiser une représentante de l'agence Moody's dans la mesure où, depuis quelques années, les agences de notation, dont l'avis était presque sacré avant la crise de 2008, s'étaient faites beaucoup plus discrètes. Vous réapparaissez donc. Si les banques ont été pointées du doigt pendant la crise de 2008, il en a été de même pour les agences de notation qui, pour le dire vite, n'avaient rien vu venir, y compris sur la dette grecque. Tout allait bien, madame la marquise... On sait ce qu'il est advenu par la suite.
Le sujet ne me paraît d'ailleurs pas épuisé. Une des préconisations du rapport sénatorial de 2012, à la préparation duquel j'avais participé avec Frédérique Espagnac et Aymeri de Montesquiou, demeure d'actualité : ces professions devraient être davantage réglementées. Les agences de notation sont-elles même notées par d'autres instances ?
Ma deuxième question porte sur le risque de conflit d'intérêt que présente la notation : en effet, même s'il ne s'agit que d'une note ou d'une évaluation, l'avis des agences a forcément, il me semble, une incidence sur le taux de l'obligation. L'enjeu financier est important. Or c'est l'émetteur qui paye sa notation. N'y a-t-il pas là un potentiel conflit d'intérêts ? La situation a-t-elle vraiment évolué depuis 2008 ?
Concernant l'Agence France Trésor, j'aimerais savoir s'il vous arrive de refuser de vendre une obligation verte à un investisseur qui manifeste son intérêt pour ce type de produit, alors qu'il ne serait pas « vert » lui-même. Est-ce déjà arrivé ?
Dernière question, concernant un sujet sur lequel mes collègues ont également manifesté leur préoccupation : y a-t-il un contrôle a posteriori et sur pièces de l'utilisation des fonds levés grâce aux obligations vertes ?
M. Jérôme Bascher. - Je m'interroge sur le recul dont on dispose pour l'heure, au regard à la fois des montants émis, qui demeurent faibles, et de la date récente de création de ce type d'obligation. Il est difficile d'établir des constats solides avec un recul aussi modeste.
Concernant la méthode d'évaluation des obligations vertes, un point me surprend : quatre des cinq critères ne sont pas réellement discriminants. Seul le critère relatif à la gouvernance est un facteur de divergence. Pourquoi multiplier les critères s'ils ne permettent pas réellement de porter un regard différencié sur les différents titres émis ? On reste un peu sur notre faim. Difficile donc de savoir, à ce stade, si la place de Paris a intérêt à se pencher sur les greens bonds et s'ils peuvent constituer un avantage comparatif durable.
M. Marc Laménie. - Sur la troisième page du document présenté par Myriam Durand, on note une explosion de la masse financière en termes d'émissions obligataires vertes mais, concernant la répartition, je me demande pourquoi on observe une telle baisse de la part des énergies renouvelables.
M. Philippe Dallier. - Je crois que, si j'avais encore quelques doutes sur le côté « gadget » ou en tous les cas cosmétique de ces opérations, je vais sortir de cette audition en ayant les idées bien arrêtées. Vous nous avez d'ailleurs expliqué que les Américains ne sont pas très allants sur le sujet puisqu'il y aurait peut-être des risques de class action si l'émetteur n'était pas capable de démontrer que les fonds étaient dépensés de façon conforme aux objectifs affichés.
Même si le marché n'est, pour l'heure, pas très important, est-il vraiment appelé à se développer ? Peut-il constituer un élément d'attractivité pour la place de Paris et quels bénéfices la place financière luxembourgeoise, qui se positionne sur ce créneau de la finance verte, peut-elle en attendre - à l'échelle qui est la sienne ?
M. Emmanuel Capus. - Les mots de Catherine Lubochinsky sonnent juste : une idée rose dans un climat morose. Dans l'absolu, je ne suis pas contre le fait d'envoyer un signal positif dans un climat pesant même si ça n'a pas un impact majeur sur notre économie.
Concernant la critique récurrente de « greenwashing », comment l'Agence France Trésor s'assure-t-elle que les dépenses vertes sont bien engagées ? N'est-il pas relativement facile de « verdir » une dépense ordinaire pour la rendre éligible ?
Par ailleurs, vous nous avez expliqué que, pour l'heure, une dépense visant au développement des énergies renouvelables n'était pas une dépense verte éligible, ce qui n'est pas très intuitif. Ne serait-il pas préférable de mettre en place une norme internationale afin que les dépenses vertes éligibles au financement par ce type de produit soient les mêmes dans le monde entier ? Cela fait-il partie des sujets traités par le comité de haut niveau sur la finance responsable qui a remis ses conclusions à la commission européenne il y a quelques jours ?
Mme Frédérique Espagnac. - Comment le tiers indépendant certifiant que les dépenses ont été réalisées est-il choisi ? Combien coûte sa rémunération ?
J'observe qu'en dehors de la Pologne, la plupart des pays européens n'ont pas encore émis de dette souveraine verte. Comment l'expliquez-vous ?
M. Anthony Requin. - La technique de la syndication nous permet d'avoir davantage la main sur les montants que nous allouons à chacun des investisseurs. En l'espèce, nous avons enregistré un livre d'ordres record de 23,5 milliards d'euros de demandes, pour un montant émis de 7 milliards d'euros. Nous avons privilégié à cette occasion les investisseurs institutionnels, fonds de pension et gestionnaires d'actifs. En revanche, lorsque nous faisons des réabondements, cela passe par le mécanisme des adjudications souscrites par les spécialistes du Trésor, et là nous n'avons pas un contrôle similaire sur les détenteurs finaux des titres émis.
Pour répondre à la question qui portait sur notre capacité à faire des évaluations, je précise que c'est la raison pour laquelle nous avons créé le conseil d'évaluation de l'obligation verte, dont l'objectif est de mener des études de long terme quant aux impacts environnementaux que nos dépenses vont générer. Le Conseil d'évaluation va probablement choisir cette année comme premier objet d'étude le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), sur lequel nous avons déjà 4 ou 5 années de recul.
J'ai le sentiment que la construction de ce marché, de cet écosystème, est un élément d'attractivité de la place de Paris. L'association Paris-Europlace, chargée de la promotion de la place de Paris, en fait un des deux piliers qui la différencient des autres places financières.
Sur les critiques de « greenwashing », nous avons plusieurs éléments pour s'assurer que les dépenses sont bien vertes. Le travail entre les administrations permet de sélectionner les dépenses au travers de critères assez stricts. Il n'y a pas d'incitation au sein des administrations à vouloir absolument inclure des dépenses qui ne seraient pas vertes. Nous sommes tout à fait conscients du risque que prendrait l'État français en termes d'image à faire financer par les investisseurs des dépenses qui ne seraient pas vraiment des dépenses vertes.
En aval, nous sommes en train de mettre en place un système de vérification en sélectionnant un cabinet d'audit pour attester auprès des investisseurs que nous avons effectivement dépensé les sommes sur lesquelles nous nous étions engagés. Nous avons également constitué un conseil d'évaluation des obligations vertes, complètement indépendant et composé de personnalités du monde académique, de climatologues, de spécialistes des politiques publiques, qui auront un regard professionnel et critique sur la manière dont les rapports d'évaluation seront réalisés.
D'autres émetteurs pourraient suivre cette démarche. Nous souhaitons qu'il y ait une norme internationale qui permette de définir ce qui est vert. Il y a cependant beaucoup de parties autour de la table, avec des objectifs et un état de maturation différents. Par exemple, en Chine, le charbon est une source d'énergie encore très utilisée. Lorsque vous financez des modes de production d'électricité à base de charbon, plus propres et plus économes, cela peut être considéré par certains analystes comme une dépense « verte » alors que ce n'est bien sûr pas le cas en France.
Pour répondre à Frédérique Espagnac, le tiers indépendant sera sélectionné par appel d'offres. Nous sommes en train de définir le cahier des charges et nous prendrons un cabinet de renom, afin que les investisseurs aient confiance. C'est le mieux disant qui sera sélectionné et je souhaite que le coût soit particulièrement modéré.
Concernant les autres États européens, nous avons certes été à l'avant-garde de ce mouvement, mais la Belgique par exemple est en train de structurer une opération d'émission d'obligations qui emprunte à bien des égards au modèle que nous avons mis en place. Parmi les réticences que j'ai pu recueillir auprès de mes autres collègues gestionnaires de la dette, il y a notamment la crainte du morcellement, de la fragmentation de la dette publique, qui se traduirait par un surcoût à l'émission. Beaucoup de pays du nord de l'Europe sont des petits émetteurs et préfèrent donc se concentrer sur des produits classiques pour assurer leur liquidité. Nous avons démontré qu'une OAT verte est avant tout une OAT, elle ne diffère d'une obligation classique émise par l'État français que par les engagements de reporting. D'un point de vue du prix, elle ne se différencie pas d'une obligation classique.
La dernière objection qui a pu être levée est celle de la contrainte organique de non-affectation des recettes à certaines dépenses particulières. Les investisseurs sont prêts à accepter l'approche d'équivalence notionnelle, pour autant qu'il existe un tiers certificateur pour assurer in fine qu'il y a bien eu des décaissements en faveur des projets que nous avions identifiés.
Il y a une pression de l'opinion publique pour que la France ne soit pas seule sur ce marché. L'Allemagne, par exemple, a quand même environ 150 milliards d'euros de titres obligataires émis chaque année au titre du refinancement des dettes passées, qui pourraient permettre d'émettre une souche obligataire verte.
Mme Catherine Lubochinsky. - Pour répondre à la question de savoir pourquoi il n'y a pas d'autres États sur le marché de la dette souveraine « verte », il faut noter que l'excédent budgétaire, en particulier pour l'Allemagne, limite les marges de manoeuvre. Ensuite, d'autres pays comme l'Italie et l'Espagne ont des préoccupations économiques plus pressantes à court terme et la prise en compte de l'aspect social et environnemental n'est pas encore mûre. Enfin, des pays comme la Pologne émettent effectivement des obligations vertes, mais ils sont aussi parmi les plus gros émetteurs de CO2 avec leurs mines de charbon.
Mme Myriam Durand. - Sur la question du volume des énergies renouvelables dans l'affectation des produits d'émissions des obligations vertes, on note en effet que le pourcentage a diminué, mais elles ont continué à augmenter en montant brut. Il y avait un important parc éolien et solaire à financer, sur les quatre ou cinq dernières années.
Par ailleurs, nous manquons encore de recul, le marché est encore en maturation. Nous avons donc élaboré une grille de lecture pour répondre à une demande des investisseurs de davantage de transparence, de plus de critères. C'est difficile pour les agences de notation d'essayer de résoudre le problème de l'absence d'indicateurs communs d'un pays à l'autre, même si nous utilisons les mêmes méthodologies quel que soit le pays où nous travaillons.
Enfin, je tiens à souligner que les agences de notation sont tout à fait réglementées.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 20.