- Mercredi 21 février 2018
- Proposition de résolution européenne sur les directives de négociation en vue d'un accord de libre-échange entre l'Union européenne et l'Australie, d'une part, et la Nouvelle-Zélande, d'autre part - Examen des amendements déposés sur le texte de la commission
- Table ronde rassemblant des représentants de consommateurs
Mercredi 21 février 2018
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 10 heures.
Proposition de résolution européenne sur les directives de négociation en vue d'un accord de libre-échange entre l'Union européenne et l'Australie, d'une part, et la Nouvelle-Zélande, d'autre part - Examen des amendements déposés sur le texte de la commission
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous allons examiner les amendements déposés sur la proposition de résolution européenne sur les directives de négociation en vue d'un accord de libre-échange entre l'Union européenne et l'Australie, d'une part, et la Nouvelle-Zélande, d'autre part. Madame le rapporteur, je vous laisse donner votre avis sur la liasse d'amendements.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE
Mme Anne-Marie Bertrand, rapporteur. - Les amendements nos 12, 10 et 8 portent sur l'exclusion totale ou partielle des productions alimentaires du champ des négociations commerciales avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande. L'amendement n° 10, lequel demande une exclusion des négociations réduite aux seuls produits sensibles, est un amendement de repli par rapport à l'amendement n° 12 demandant une exclusion de l'ensemble des productions alimentaires. L'amendement n° 8 est très proche de l'amendement n° 10.
Exclure tous les produits agricoles, cela revient à mettre un terme aux négociations commerciales avant même leur début ! C'est une demande irréaliste qui n'a aucune chance d'être acceptée ni par la Commission européenne ni par les autres États membres. Par ailleurs, l'exclusion complète des produits agricoles est contraire aux intérêts du monde agricole français et européen. La France a par exemple des intérêts offensifs forts dans le domaine des vins et fait de la reconnaissance des indications géographiques un objectif essentiel. Avis défavorable aux amendements nos12, 10 et 8.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos12, 10 et 8.
Mme Anne-Marie Bertrand, rapporteur. - L'amendement no 6 propose de préciser que cet accord risque de causer un préjudice important à la sauvegarde de la société rurale, de son économie et de son identité. Or, des accords commerciaux avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande ne présentent pas ce risque. Le laisser penser est complètement exagéré. Il y a même de fortes chances que certaines filières agricoles françaises tirent profit d'un tel accord, notamment la filière vinicole. Ce qui est vrai, en revanche, c'est que la négociation de ces accords implique qu'on prête une attention particulière à certaines filières fragiles et qu'on mette en place des mesures de protection adaptées. C'est ce que fait cette proposition de résolution européenne. Avis défavorable à l'amendement n° 6.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 6.
Mme Anne-Marie Bertrand, rapporteur. - Les amendements nos 7 et 11 demandent au Gouvernement de s'opposer à l'application des accords avant une ratification par le Parlement. Ces amendements se heurtent à un obstacle juridique de taille. Saisie par la Commission européenne d'une demande d'avis pour déterminer si l'Union disposait de la compétence exclusive pour signer et conclure seule l'accord de libre-échange avec Singapour, la Cour de justice de l'Union européenne a rendu le 16 mai 2017 un important avis, qui permet de préciser à quelles conditions un accord commercial est mixte ou non. Elle considère que la quasi-totalité des dispositions susceptibles d'entrer dans le champ d'un accord commercial de nouvelle génération relève de la compétence exclusive de l'Union. Les États membres n'ont finalement le droit d'approuver les accords que si ces derniers contiennent des dispositions portant sur le régime de règlement des différends entre investisseurs et États. Au regard de ces éléments, avis défavorable sur les amendements nos 7 et 11.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je crois qu'il s'agit d'amendements de positionnement politique mais ils se heurtent au droit, on comprend le message qui est derrière.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 7 et 11.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous propose de passer à l'amendement n° 4 de M. Daunis et de ses collègues, pour faire suite à notre discussion de la semaine dernière.
M. Marc Daunis. - L'amendement essaie de tirer les leçons de ce qui s'est passé pour le CETA et les négociations relatives à d'autres accords de libre-échange en prévenant l'impact cumulé de ces accords commerciaux sur les secteurs les plus sensibles, en particulier le secteur agricole, qui ne doit pas servir de variable d'ajustement dans les accords commerciaux. L'amendement liste les éléments qui devront constituer la position française lors des négociations. Il reprend mot pour mot la position des autorités françaises actuelles portant spécifiquement sur la perspective de l'ouverture de négociations commerciales avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande.
Mme Anne-Marie Bertrand, rapporteur. - Cet amendement fait cinq demandes : la définition d'une enveloppe globale de concessions soutenable pour chaque produit sensible, une segmentation plus fine des produits sensibles, le recours à des conditionnalités et à une clause de sauvegarde spécifique et, enfin, la prise en compte des sensibilités des outre-mer. Je suis tout à fait favorable à une segmentation plus fine des produits sensibles et à la prise en compte des sensibilités des outre-mer. Toutefois, les autres demandes sont déjà satisfaites par des dispositions de la proposition de résolution. Mon avis est donc favorable si une rédaction alternative, issue des objectifs de votre amendement et mentionnant uniquement la référence à la segmentation plus fine des produits sensibles et à la sensibilité des outre-mer, était adoptée.
M. Joël Labbé. - Je trouve cet amendement complet, pertinent et argumenté. On parle d'une vision globale, et à mon avis, cela va mieux en le disant.
Mme Anne-Marie Bertrand, rapporteur. - La référence à l'enveloppe globale figure déjà dans la proposition de résolution, à l'alinéa 27. Il y est indiqué que, pour les produits agricoles sensibles, l'étude d'impact se base sur une enveloppe globale d'importations, correspondant à un montant cumulé maximum d'accès au marché européen, qui soit soutenable pour chaque filière sur une période donnée. On ne peut être plus clair. Le recours à des conditionnalités est pour sa part mentionné de façon forte à l'alinéa 33. Enfin, la partie qui concerne les clauses de sauvegarde spécifique est satisfaite par l'alinéa 31, qui demande aux négociateurs de prévoir des mesures de sauvegarde spécifiques, précises et opérationnelles pour les produits sensibles. Sur ces trois points, l'amendement est redondant avec le texte de la résolution.
M. Michel Magras. - J'apprécie que le cas des outre-mer ait été traité à plusieurs reprises dans la proposition de résolution puisque lorsqu'un accord est signé, quand bien même les préconisations relatives à l'outre-mer existent, la question est de savoir si elles sont suffisamment précises pour être efficaces. Je comprends parfaitement l'avis favorable de la commission si les autres parties de l'amendement sont déjà satisfaites.
M. Marc Daunis. - On a l'air d'avoir une discussion technique alors que c'est une proposition de résolution qui donne un mandat. Je préfère avoir un petit luxe de précautions et prendre le risque de nous répéter. De plus, à l'heure actuelle, c'est satisfait par filière et non par produit.
M. Michel Magras. - Je précise que c'est le gouvernement français qui signe le mandat et, dans les notes des autorités françaises, ce que dit l'amendement est déjà écrit.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je rappelle qu'il a reçu un avis favorable de Madame le rapporteur sous réserve de modifications pour éviter les redondances dans le texte. Il n'y a donc pas d'ambiguïté dans le soutien qui lui est apporté. Même si je trouve que d'un point de vue légistique il faut éviter les répétitions sans cesse, je soumets au vote cet amendement intégral, sans modification.
La commission émet un avis favorable à l'amendement no 4.
Mme Anne-Marie Bertrand, rapporteur. - L'amendement n° 1 demande que tout nouvel accord de libre-échange soit établi sur l'exigence de mise en oeuvre de normes de production comparables à celles de l'Union Européenne, concernant les produits destinés aux consommateurs de l'espace communautaire, cela tant au niveau des normes sanitaires et phytosanitaires, environnementales, sociales, qu'au niveau des normes relatives au bien-être animal et aux prescriptions de la dénomination de vente.
L'Europe est libre de fixer les normes que doivent respecter les produits qui entrent sur son territoire. Il suffit que ces normes soient non discriminatoires, c'est-à-dire qu'elles s'appliquent également aux produits venant de tous les pays tiers comme à ceux qui sont produits sur son sol. La non-discrimination est d'ailleurs l'une des règles de base de l'OMC.
Mais cette capacité souveraine d'imposer des normes aux produits étrangers concerne en quelque sorte les produits finis. Or, ce que demande cet amendement est très différent et va beaucoup plus loin. Il n'est plus question ici des normes qui s'appliquent au produit, mais des normes qui s'appliquent au processus de production. Autrement dit, cet amendement prétend dicter aux pays tiers la façon dont ils doivent produire sur leur sol pour commercer avec l'Union européenne. Et le champ de cet amendement est de surcroît extrêmement vaste. D'une part, il englobe presque tous les types de normes (sanitaires et phytosanitaires, environnementales, sociales et relatives au bien-être animal). D'autre part, il concerne tous les produits de consommation finale, agricoles, artisanaux et industriels.
Subordonner ainsi la conclusion des accords commerciaux à l'alignement des normes de production des pays tiers sur les normes européennes reviendrait à rendre impossible le commerce avec la plupart des pays du monde, puisque c'est en Europe que ces normes sont les plus sévères.
Une telle disposition, si elle devenait réalité, serait considérée comme une mesure protectionniste par tous nos partenaires commerciaux et conduirait sans doute à des mesures de rétorsion dont toutes les entreprises exportatrices européennes seraient les premières victimes.
Par ailleurs, si on appliquait une telle mesure, cela entraverait l'importation de la plupart des produits de consommation finale ou conduirait à leur renchérissement immédiat, de sorte que les consommateurs européens seraient, eux aussi, victimes de cette disposition.
Je comprends le souci de protéger les filières sensibles mais cela doit se faire par des mesures ciblées et proportionnées et non pas par des mesures générales dont l'impact économique serait fortement négatif pour notre économie.
L'Europe ne peut pas faire du respect de ces normes de production le préalable à des négociations commerciales. Elle peut en revanche utiliser les négociations commerciales pour rechercher une convergence des normes de production avec ses partenaires. C'est justement l'un des intérêts des accords de nouvelle génération. Ils permettent à l'Europe de négocier des convergences réglementaires en contrepartie d'un accès facilité au marché européen. Compte tenu de ces éléments, avis défavorable.
M. Laurent Duplomb. - Je voudrais développer trois éléments. La problématique aujourd'hui n'est pas de dire que nous allons appliquer quelque chose de discriminatoire sur les produits que nous allons importer mais c'est, qu'en important ces produits, on fait de la discrimination à l'égard des produits que nous produisons.
Ensuite, les règles de l'Organisation Mondiale du commerce pouvaient se comprendre il y a quelques années quand l'Union européenne avait une politique agricole commune qui protégeait ses agriculteurs par des filets de sécurité, par la préférence communautaire, par le stockage de produits en cas de crise. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Les produits européens sont concurrencés par les produits mondiaux sans mesure d'assurance et de protection. Si on fait le constat factuel que l'Union européenne ne protège que de moins en moins dans un monde très volatil, on vient ajouter par les accords de libre-échange tels qu'ils sont écrits, encore plus de volatilité qui fait courir un risque supplémentaire à toutes les productions. Mon amendement vise à discuter de la politique commerciale de l'Europe pour qu'elle protège davantage nos productions. Qui peut accepter quand il est consommateur de mettre des normes sur les produits européens pour en acheter d'autres qui ne correspondent pas à ces normes ? Comment accepter que sur toutes les télévisions et les radios on ait des reportages à charge qui mettent en avant une agriculture qui ne respecterait pas soi-disant les volontés de la société et accepter tous ensemble que les produits qui rentrent depuis l'extérieur ne les respectent pas ?
Je vais terminer par l'explication du mot résolution. En droit, une résolution est un anéantissement rétroactif d'un acte juridique pour cause d'inexécution ou de mauvaise exécution. Au vu de la situation, je pense que cet amendement va dans le sens d'une résolution qui permet de traiter d'une mauvaise exécution de la politique commerciale européenne.
M. Joël Labbé. - Si nos motivations ne sont pas les mêmes avec Laurent Duplomb, je voterai l'amendement en l'état.
M. Henri Cabanel. - On doit assumer nos responsabilités en tant que parlementaires français en votant un tel amendement.
M. Daniel Laurent. - Suite aux états généraux de l'alimentation, le Gouvernement oublie les engagements qu'il a pris au regard des accords de libre-échange. Je soutiens totalement l'amendement.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Dans ces accords, il y a une dimension de volume et de parts de marché. Mais se pose également la question du volet sanitaire qui, avec les scandales que l'on a pu connaître, se pose de toute évidence. Faire entrer des produits d'un certain nombre de pays qui ne répondent pas à nos normes sanitaires, ce serait faire prendre des risques au consommateur européen et, en tant que parlementaire, on ne peut pas se le permettre.
M. Alain Chatillon. -Vous avez vu l'affaire Lactalis. Dans les prochaines années, avec tous les produits qui entrent, des affaires similaires se produiront. Si on ne va pas au bout, nous irons à Bruxelles s'il le faut.
M. Pierre Louault. - L'Union européenne doit comprendre que si on impose des normes de production et de qualité des produits, c'est qu'elles sont nécessaires à la santé des Européens.
Mme Anne-Marie Bertrand, rapporteur. - Je tiens à préciser que je défends les agriculteurs, moi-même fille d'agriculteurs, épouse d'agriculteurs et ayant un fils agriculteur. Je rappelle juste qu'au sein même de l'Union européenne, il y a des divergences. On en débattra ce soir.
Mme Sophie Primas, présidente. - Vous avez compris que Madame le rapporteur joue son rôle de rapporteur et attire l'attention sur le champ de cet amendement, qui concerne tous les produits et pas seulement les produits alimentaires. Je vous suggère donc de jeter tous vos smartphones et vos chaussures qui très probablement n'ont pas été produits selon les mêmes normes européennes que les nôtres! Je soumets donc cet amendement au vote.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 1.
Mme Anne-Marie Bertrand, rapporteur. - L'amendement n° 3 rectifié bis a pour objet d'appeler la Commission européenne à prévoir des dispositions relatives aux services numériques encourageant les flux de données transfrontaliers tout en assurant le respect de la législation européenne en matière de protection des données et en prévoyant un droit des parties à réguler. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 3 rectifié bis.
Mme Anne-Marie Bertrand, rapporteur. - L'amendement n° 2 demande que les négociateurs des accords de libre-échange soient accompagnés de personnes expérimentées et compétentes. Si, sur le fond, je partage cet avis, est-ce pour autant diplomate de partir du postulat que les négociateurs du gouvernement et de la Commission sont inexpérimentés et incompétents ?
M. Laurent Duplomb. - On ne dit pas que ceux qui négocient sont incompétents mais qu'il faudrait plus de compétences.
Mme Sophie Primas, présidente. - C'est ce que cela veut dire quand même...
M. Alain Chatillon. - Il existe en Allemagne ce que l'on appelle le tiers temps. Les hauts fonctionnaires qui siègent à Bruxelles ont l'obligation de passer un tiers de leur temps avec ceux qui exécutent les normes européennes qu'ils édictent dans leur pays. Je demande qu'il y ait la même chose en France.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 2.
Mme Anne-Marie Bertrand, rapporteur. - L'amendement n° 9 formule toute une série de demandes comme le maintien de normes de haute qualité aussi bien au niveau de la production que de la transformation, ou encore la préservation du système européen de signes de qualité et le régime du certificat d'obtention végétale. Il semble que le projet de mandat de négociation offre un cadre clair visant à maintenir des normes de qualités, comme le demande cet amendement. Il semble également que la plupart des points abordés dans cet amendement concernent la définition et l'évolution de la politique agricole commune. C'est un problème interne à l'Union européenne. Le contenu de la PAC ne se définit pas dans le cadre des négociations commerciales avec les pays tiers. Il ne faut pas se tromper de débat. Avis défavorable.
M. Joël Labbé. - Dans la mesure où le dernier alinéa demande le retrait du volet agricole d'un accord qui ne respecterait pas ces conditions, je soutiendrai cet amendement. Il est dans l'intérêt du bien commun.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 9.
Mme Anne-Marie Bertrand, rapporteur. - L'amendement n° 5 recommande que les États membres et la Commission adoptent une nouvelle stratégie globale consolidée en matière de politique commerciale commune qui repose sur un corpus commun d'exigences et de principes valable pour tous les futurs accords commerciaux et qui encadre le mandat de négociation délivré à la Commission européenne. Pour moi, ce sera un avis de sagesse.
M. Marc Daunis. - Notre travail réalisé en amont de cet accord avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande doit orienter une nouvelle stratégie commerciale commune basée sur les éléments que nous avons adoptés dans la proposition de résolution.
La commission émet un avis de sagesse à l'amendement n° 5.
Mme Sophie Primas, présidente. - Merci beaucoup. Je suis sûre que ce soir nous aurons un débat long, riche et extrêmement intéressant.
Les avis de la commission sont repris dans le tableau ci-après.
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques et de M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales -
La réunion est ouverte à 10 h 50.
Table ronde rassemblant des représentants de consommateurs
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Nous arrivons au terme du cycle d'auditions que, conjointement, nos commissions des affaires économiques et des affaires sociales ont décidé de mettre en place très rapidement à la suite de la commercialisation de laits infantiles fabriqués par l'entreprise Lactalis et infectés par des salmonelles. Nous cherchons à comprendre les tenants et les aboutissants de cette affaire, ce qui nous a conduits à entendre tous les acteurs qui interviennent dans la vie d'un produit agroalimentaire, depuis sa production jusqu'à sa consommation.
Nous avons donc remonté au cours des cinq dernières semaines toute la chaine des acteurs : le producteur, les distributeurs, les services chargés de la sécurité alimentaire. Les auditions l'ont mis en lumière : la sophistication des dispositifs de contrôle dans notre pays n'empêche pas la survenance de problèmes sanitaires ; et à plusieurs reprises, les auditions ont permis de pointer des dysfonctionnements à divers endroits : dans la production, d'abord et avant tout, mais aussi au stade du contrôle administratif et de la distribution des produits.
Restait la dernière étape : entendre ceux qui éventuellement subissent ces dysfonctionnements, c'est-à-dire les consommateurs. C'est donc à ce titre que nous vous recevons aujourd'hui, en vos qualités de représentants des consommateurs, voire plus précisément pour certains, de parents d'enfants victimes directes de cette contamination.
Je précise pour mes collègues que si vous représentez tous les consommateurs, vous le faites d'un point de vue et selon des structures qui diffèrent puisque nous accueillons l'Institut national de la consommation, établissement public chargé de l'information des consommateurs et d'apporter une aide aux associations de consommateurs, deux associations de consommateurs agréées généralistes - UFC-Que Choisir et Consommation Logement Cadre de Vie (CLCV) - ainsi qu'une association qui s'est créée pour la défense spécifique des familles victimes dans cette affaire : l'Association des familles victimes du lait contaminé aux salmonelles.
Nos commissions ont lancé ce cycle d'auditions pour comprendre ce qui s'est passé, et déterminer ce qui doit être fait pour qu'une contamination de ce type n'advienne plus, d'autant plus qu'elle concerne des produits en principe particulièrement surveillés car destinés à de très jeunes enfants.
Nous ne cherchons pas ici au Sénat à déterminer des responsabilités individuelles, à faire le procès de tel ou tel acteur. Certains d'entre vous ont déposé des plaintes devant le juge pénal, et il reviendra donc à ce dernier de trancher. Pour autant, votre éclairage sur ce qui s'est passé, et sur ce qui devrait se faire pour l'avenir, nous a semblé essentiel.
C'est pourquoi j'adresse à chacun d'entre vous les questions suivantes, auxquelles je vous remercie de répondre globalement pour une durée n'excédant pas cinq minutes par intervenant.
De quoi, selon vous, les dysfonctionnements constatés sont-ils le symptôme ?
Comment garantir plus efficacement la sécurité alimentaire des produits transformés, notamment ceux qui visent les publics les plus fragiles ? Au cours des auditions menées au Sénat, certaines pistes d'évolution, parfois très pratiques, ont été suggérées, soit par les administrations, soit par les distributeurs. Que vous inspirent-elles ?
Enfin, puisque certains parmi vous ont choisi la voie de l'action pénale, le réflexe pénal vous semble-t-il vraiment efficace pour mettre un terme à de tels dysfonctionnements ? Des sanctions civiles ou administratives nouvelles ou renforcées devraient-elles être envisagées ?
Le président Milon va compléter ce bref propos introductif, puis vous aurez la parole. Dans un dernier temps, nos collègues des deux commissions réunies vous poseront leurs questions.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. - Au nom de la commission des affaires sociales, je souhaite également la bienvenue aux représentants des consommateurs - institutionnels et associatifs - que nous recevons aujourd'hui.
Il nous a effectivement paru indispensable de clore ce cycle d'auditions par le recueil de vos témoignages et de vos observations sur les difficultés et les défaillances révélées à l'occasion de l'affaire Lactalis. Notre objectif commun est de dégager des pistes d'amélioration pour tendre, encore davantage, vers le respect de la sécurité sanitaire de notre alimentation, en particulier pour nos concitoyens les plus fragiles. Votre retour d'expérience nous sera donc particulièrement précieux.
Je vous propose d'entrer dans le vif du sujet pour répondre aux interrogations qui viennent d'être énoncées.
M. Quentin Guillemain, président de l'Association des familles victimes du lait contaminé aux salmonelles. - Je vous remercie pour votre invitation.
Notre association a été créée le 19 décembre 2017 et compte à ce jour plus de 700 familles adhérentes dont les enfants ont été malades ou ont consommé un ou plusieurs produits incriminés. Cette association a été constituée, suite à l'absence de réponses aux questions que se posaient les familles et à la nécessité d'organisation et de soutien mutuel, y compris sur les questions juridiques. Nombre de ces familles sont traumatisées d'avoir donné, de leur propre main, du lait empoisonné à leurs enfants. Certaines ont eu des enfants dont la salmonellose a été diagnostiquée et d'autres non, car pour certaines d'entre elles, les coprocultures indispensables au diagnostic leur ont été refusées. Elles ont passé des semaines dans les hôpitaux sans savoir de quoi souffraient leurs nourrissons. Elles ont fini par apprendre, grâce à la médiatisation de cette affaire, la cause de ces troubles. La plupart du temps, on leur a dit qu'ils manquaient d'hygiène. On a culpabilisé les familles et l'on découvre aujourd'hui qu'il s'agissait d'une contamination dans l'usine de fabrication. Le doute s'est installé sur toute la nourriture infantile.
Les familles espèrent que cette audition permettra de prendre conscience de l'importance de ce scandale et des enjeux qui en découlent. Nous voulons savoir comment cette contamination a été possible, identifier les responsabilités des uns et des autres, et en tirer les conséquences. Vous écrivez la loi : vous avez la responsabilité de faire en sorte que cela ne se reproduise plus et que la sécurité sanitaire soit garantie au moment même où vous allez examiner la loi issue des États généraux de l'alimentation. J'espère que vous saurez relever ce défi.
À ce jour, 30 à 40 de nos adhérents ont déposé plainte auprès du pôle santé publique du procureur de la République contre Lactalis et pour certaines d'entre elles, contre des grandes enseignes de distribution et des pharmacies. Toutes ces plaintes sont déposées pour mise en danger de la vie d'autrui ou pour blessures involontaires. Une enquête préliminaire est ouverte et nous attendons encore la nomination d'un juge d'instruction permettant à toutes les parties d'accéder au dossier. Aucune information judiciaire n'a été ouverte dans le dossier Lactalis qui en est toujours au stade d'une enquête préliminaire près Mme la procureure de la République de Paris. Le juge Van Ruymbeke, cité dans certains médias ce matin, n'a été saisi que d'une seule plainte déposée il y a quelques semaines contre l'État pour complicité de crime. Pour ce type de plainte, un juge d'instruction est obligatoirement nommé. Il dira si elle doit prospérer ou pas. Nous espérons qu'un juge d'instruction sera nommé : au cours de vos auditions, certains ont utilisé l'argument du secret de l'instruction mais, comme il n'y a pas d'instruction, il ne peut y avoir de secret...
Nous n'en pouvons plus d'apprendre chaque jour dans la presse ou par les auditions des uns et des autres, y compris au Sénat, des bribes d'informations. Nous avons ainsi été surpris d'entendre M. Dehaumont et Mme la directrice de la DGCCRF évoquer des éléments devant vous qui ne nous avaient pas été communiqués malgré nos récentes questions.
M. le ministre nous avait promis une totale transparence et des réponses écrites à nos interrogations. Cette promesse est restée lettre morte comme celle des sanctions évoquées par le président de la République. Il est temps que les victimes puissent être actrices de cette enquête, mais la loi ne permet pas à l'association d'agir en leur nom car, pour être considérée, une association doit être agréée et avoir plusieurs années d'existence. C'est pour cette raison que les plaintes individuelles se multiplient. En outre, il s'agit dans ce cas d'une procédure civile, ce qui exclut une responsabilité pénale. Il est surprenant de devoir créer une association de victimes avant même d'être victime.
Un numéro vert a été mis à disposition des parents le 2 décembre par Lactalis, puis le 10 décembre par la direction générale de la santé. Lorsqu'on les appelait, ces numéros donnaient des informations sur les produits retirés. Mais on a menti aux familles car, pendant un long moment, on leur a dit que les laits qu'ils donnaient à leurs enfants n'étaient pas concernés alors qu'elles ont ensuite découvert dans la presse que tel n'était pas le cas. Or, aucune famille n'a été recontactée alors qu'elles avaient laissé leurs coordonnées.
Les listes agrégées et les listes des produits à l'international ne sont pas non plus publiées sur les sites officiels à l'heure actuelle. Il s'agit d'un défaut d'information manifeste.
Cette affaire s'est déroulée durant une période de gastroentérite. Or, la salmonelle conduit à une gastroentérite, même si les symptômes sont un peu différents. Les tests de selles n'ont pas été systématiquement faits sur les enfants dans les hôpitaux, alors que les parents amenaient les boites de lait incriminées. Les conséquences peuvent être graves : des septicémies, des rectorragies, des infections diverses, des méningites peuvent survenir.
Les parents ont été chaque fois des lanceurs d'alerte : le 13 décembre, cinq lots ont été retirés en toute discrétion dans les pharmacies, n'apparaissant sur aucune liste officielle. Ce retrait a été révélé par les familles, alors que l'État et Lactalis se renvoyaient la responsabilité de l'absence de ces produits sur leurs listes et invoquaient des erreurs. Le 3 janvier, une famille de l'association révélait dans la Voix du Nord avoir acheté du lait en promotion dans un supermarché Leclerc alors qu'il aurait dû être retiré de la vente. Des journalistes ont ensuite découvert que d'autres grandes surfaces continuaient à vendre ces produits.
Nous avons également informé les ministres que ces laits continuaient à être vendus sur Internet. Lors du deuxième contrôle, soixante sites Internet ont été mentionnés.
Les citoyens n'ont plus confiance dans cette entreprise. Certains estiment qu'il s'agit d'un fleuron de l'industrie agro-alimentaire française. Nous dirions qu'il s'agit plutôt d'une entreprise dont nous avons honte. M. Besnier devrait démissionner pour sauvegarder son entreprise, ses salariés et préserver l'image de toute une filière qui pâtit de ses actes. La loi qui vient est une opportunité qu'il vous faut saisir pour garantir la sécurité sanitaire.
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous allons faire notre travail. Je rappelle que cette audition n'est pas un tribunal.
M. Jean-Yves Mano, président de l'Association Consommation, logement et cadre de vie (CLCV). - Merci de nous recevoir. Les événements que nous vivons depuis deux mois conduisent à une rupture de confiance du consommateur dans la qualité alimentaire. Les derniers éléments en notre possession ne font qu'aggraver ce sentiment.
Nous nous sommes focalisés sur la production de lait infantile, mais cette usine fabriquait-elle d'autres produits ? À ma connaissance, tel est le cas : l'usine fabrique également de la poudre de lait. Or, personne ne s'est interrogé sur la traçabilité de ces produits distribués au secteur industriel et de leurs conséquences potentielles.
Il y a deux jours, un laboratoire nantais a constaté la présence de substances allergènes dans des produits fabriqués par Lactalis. Or, on nous dit que les tests devraient être répétés jusqu'à une dizaine de fois pour que les résultats soient confirmés. Il existe donc des pressions internes pour que le laboratoire qui dépend financièrement du donneur d'ordre ne puisse publier librement le résultat de ses contrôles. Ces révélations mettent en doute la véracité de tous les autocontrôles effectués par les laboratoires sur ordre de Lactalis. Je comprends mieux la réaction de M. Besnier qui rappelle qu'il a fait effectuer 17 000 tests. Mais les laboratoires ne sont-ils pas incités à présenter des tests le plus proche possible des normes en vigueur ? Ce n'est pas rassurant.
Nous nous réjouissions de disposer d'un système de contrôle de la qualité alimentaire performant. Mais nous constatons une certaine confusion entre les interventions des services vétérinaires, du ministère de l'agriculture et de la DGCCRF. S'est-on interrogé sur les rythmes des contrôles ? Compte tenu de ses effectifs, les contrôles de la DGCCRF sur des entreprises comparables à Lactalis sont effectués tous les trois ans. La direction générale préfère cibler ses interventions sur des entreprises de plus petite taille, jugées plus faillibles. En outre, il s'agit de contrôles le plus souvent sur documents. Ne faut-il pas repenser les tests des administrations ?
Les autocontrôles sont sans aucun doute indispensables, mais on ne peut s'en contenter. Une autorité, financièrement indépendante du donneur d'ordre, doit réaliser des contrôles. Le cas du laboratoire nantais illustre mon propos.
L'affaire du lait contaminé révèle des défaillances en chaîne, à commencer par Lactalis, mais aussi de la grande distribution, des pharmaciens, des crèches, des hôpitaux. Alors qu'il s'agissait d'un problème de santé publique, des produits dont le retrait avait été publié, ont continué à être distribués. Heureusement, Bruno Le Maire a imposé par arrêté la fermeture de l'usine et le retrait total des boites de lait. Un nouveau protocole est indispensable.
Lorsque nous avons rencontré Bruno Le Maire, début janvier, nous avons suggéré qu'un site unique centralise la totalité des retraits alimentaires, alors qu'aujourd'hui, tel n'est pas le cas, d'où une confusion et une dilution de l'information des consommateurs. De plus, un numéro vert doit être à disposition des consommateurs lanceurs d'alerte. Si un consommateur découvre un produit retiré en magasin, il n'a aujourd'hui d'autre choix que de prévenir la presse locale. Un numéro vert sous la responsabilité de l'administration serait le bienvenu.
Les cartes de fidélité seraient un bon moyen de prévenir les acheteurs potentiels. Dans une enquête de la CLCV sur la politique des retraits, 77 % des consommateurs se plaignaient d'un manque d'information et souhaitaient qu'elle transite par les cartes de fidélité.
M. Bruno Le Maire nous a déclaré que des décisions seraient rapidement prises. Nous y sommes : nos concitoyens attendent des actes, et non pas que cette affaire de santé publique soit enterrée.
M. Cédric Musso, directeur de l'action politique d'UFC-Que Choisir. - L'affaire Lactalis fait suite à de nombreux scandales alimentaires, dont celui du Fipronil ou celui des lasagnes au cheval. Nous souhaitons des mesures de long terme pour éviter la répétition de ce genre d'affaires.
En ce qui concerne Lactalis, les défaillances sont intervenues dans les contrôles en amont, avec une détection trop tardive de la bactérie. L'Institut Pasteur a pourtant établi que cette bactérie était la même que celle mise en cause en 2005. Que s'est-il donc passé entre 2005 et 2017 ? Manifestement, les services de l'État n'ont pas été informés de certains contrôles positifs révélant la présence de pathogènes.
À cela s'ajoutent des défaillances dans la procédure de rappel des produits. UFC-Que Choisir avait déjà eu l'occasion de dénoncer l'ineffectivité du système à propos de certains détecteurs de fumée et cosmétiques. Même si le Premier ministre n'y voit qu'une fausse polémique, on ne peut minimiser l'effet des changements intervenus dans l'organisation de la DGCCRF. Les effectifs ont été diminués de 1 000 agents entre 2007 et 2012 et le fonctionnement pyramidal de la direction générale a été éclaté en directions interministérielles, de sorte que les missions des agents se sont accrues les obligeant à délaisser la surveillance des marchés. Il faudrait rétablir la chaîne de commandement si l'on veut que la DGCCRF intervienne de manière efficace.
L'information aux consommateurs est également insuffisante. Il manque un site unique où ils pourraient trouver des informations actualisées, en cas de rappel ou de retrait d'un produit. Dans l'affaire récente des jambons contaminés à la listeria, celui de la DGCCRF ne mentionnait pas l'ensemble des lots rappelés. Il faudrait aussi prévoir des messages d'alerte audiovisuels en cas de crise sanitaire d'ampleur. Pour l'instant, les consommateurs ne restituent en moyenne que 20 % des lots lorsqu'un produit est rappelé.
Le réflexe pénal est une autre piste à explorer, car il devrait revenir au juge pénal de faire toute la lumière sur les responsabilités en cas de contamination d'un produit. L'affaire Lactalis a fait éclater au grand jour les insuffisances du dispositif de réparation des préjudices en France. L'action de groupe de la loi Hamon est limitée au préjudice patrimonial, tandis que l'action de groupe en matière de santé ne concerne qu'une liste de produits où le lait infantile ne figure pas. Il faudrait une refonte de la philosophie des dommages et intérêts qui développerait un aspect punitif, à l'image de ce qui se fait dans les pays anglo-saxons. Les entreprises ne pourront réclamer davantage de liberté que si elles prennent davantage de responsabilités.
Mme Agnès Christine Tomas-Lacoste, directrice générale de l'Institut national de la consommation. - L'Institut national de la consommation (INC) est un établissement public à caractère industriel et commercial qui compte 70 salariés de statut privé. Il informe les consommateurs avec le soutien des 15 associations nationales agréées et des centres techniques régionaux de la consommation. Benjamin Douriez qui m'accompagne est le rédacteur en chef adjoint de la revue 60 millions de consommateurs, qui est éditée par l'INC.
Nous ne souffrons certainement pas d'un manque de textes pour prévenir la contamination des produits de consommation. Il en existe une vingtaine, règlements européens, normes, etc., dont certains datent de 1998, comme celui qui impose aux professionnels une obligation de résultat en matière de sécurité. En revanche, la mise en oeuvre réelle et pratique de ces textes ne va pas de soi.
Si le produit est encore en magasin, les distributeurs pourront établir des codes-barres pour bloquer la mise en circulation des lots contaminés. L'affichage manque souvent de clarté dans les magasins. On gagnerait en efficacité si tous les magasins utilisaient le même affichage d'alerte, unifié et visible. Il faudra également prendre en compte la situation des cliniques et des hôpitaux.
Si le produit a été acheté par des consommateurs, l'entreprise en charge de sa mise sur le marché devra prévoir une information efficace sur la contamination des lots. Les alertes pourront prendre la forme de flashes télévisés adaptés selon la gravité du risque. Le site de la DGCCRF n'est pas renseigné en totalité : en 2017, sur les 270 produits rappelés, il n'en recensait que 60. Pour créer un site unique qui soit efficace, il faudra obliger les fabricants à communiquer les informations sur les produits contaminés le plus vite possible. Cette obligation existe déjà, mais n'est pas respectée. La dernière affaire sur les lots de jambon contaminés à la listéria a montré combien il était essentiel de pouvoir informer les consommateurs par toutes les voies possibles, car pas moins de sept types de jambon sont touchés.
Il faut renforcer les autocontrôles qui existent déjà par des contrôles effectués par un service indépendant issu de l'État. La directrice de la DGCCRF reconnaît que les moyens de sa direction sont réduits. On pourrait travailler à mettre en place des processus de contrôle mieux ciblés et plus précis. La prévention reste essentielle.
Enfin, pour ce qui est de l'obligation de résultat, il est important que les laboratoires puissent informer directement les autorités administratives dans le cas d'un contrôle positif.
M. Martial Bourquin. - Je remercie les présidents de nos deux commissions d'avoir organisé ces auditions. Je remercie également les représentants des associations de consommateurs pour la qualité de leurs interventions.
Nous savons tous qu'en matière d'autocontrôles se pose le problème de l'indépendance de ceux qui les pratiquent : il suffit de réécouter l'émission diffusée il y a quelques jours sur Europe 1 à ce sujet. La DGCCRF doit jouer son rôle et pour cela elle a besoin d'effectifs suffisants et de moyens à la hauteur de sa mission. Certaines familles ont déjà vu leur bébé tomber malade ; demain, la bactérie qui nous menacera sera peut-être mortelle.
Il n'est pas admissible que des pharmacies continuent à écouler des produits dont on sait qu'ils sont contaminés. Les retraits doivent être systématiques sous peine de poursuite judiciaire. S'il y a des trous dans la raquette, nous devons veiller à réparer ces trous pour que la raquette fonctionne.
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Comment avez-vous recensé les cas de nourrissons qui avaient ingéré du lait en poudre contaminé ? Quelles preuves demandez-vous aux parents, alors que le diagnostic médical est difficile à établir surtout quand le nourrisson n'a pas été hospitalisé ? Comment traitez-vous le problème des fausses victimes, ceux qui sont en quête d'argent à tout prix, comme on l'a vu lors des attentats de Nice ?
Mme Florence Lassarade. - Si l'affaire Lactalis a pris autant d'importance, c'est parce que les victimes sont des bébés, parfois nouveau-nés, dont les parents sont souvent avides d'informations. Davantage de transparence améliorerait la situation.
Le diagnostic de la salmonellose est très facile à poser à partir d'une simple coproculture. Cependant, dans quelle mesure faut-il imposer la coproculture à tous les enfants qui ont été exposés ? Il y a un problème de coût et il faut prendre en compte la gravité de la pathologie. Au cours de mon exercice comme pédiatre, j'ai été confrontée à des cas de nouveau-nés contaminés. Même si l'enquête remontait jusqu'au laboratoire, l'origine réelle du germe n'était en général pas retrouvée.
L'allaitement maternel est la prévention élémentaire. Un enfant contaminé par la salmonelle trouvera sa thérapeutique dans le lait maternel. Encore une fois, le lait de vache n'est pas le lait maternel.
Mme Michelle Gréaume. - Pour éviter des incidents comme l'affaire Lactalis, il faudrait auditionner les laboratoires qui travaillent pour les entreprises, comme la société Eurofins, basée à Tours, qui a oeuvré pour Lactalis. On aurait ainsi une meilleure vision de la manière dont les entreprises travaillent, ce qui faciliterait la mise en place des mesures adéquates pour garantir la sécurité sanitaire.
M. Fabien Gay. - Nous devons poursuivre nos auditions en matière d'autocontrôles, car il y a manifestement une défaillance de l'État. Les entreprises de l'agroalimentaire sont soumises à une exigence de rentabilité financière. Les organismes privés qui opèrent les autocontrôles dépendent de l'industrie alimentaire et sont mises sous pression, ce qui les incite à franchir la ligne rouge. La souche est présente depuis 2005 dans l'usine de Craon. En tant que législateur, nous devons imposer des contrôles dès lors que des traces de contamination sont détectées dans l'environnement.
La semaine dernière, j'ai été agacé par le fait que l'on minimise la situtation, en soulignant qu'elle ne concernait que 30 cas de contamination. Comment recenser avec certitude les cas de salmonelle, alors que cette contamination peut prendre la forme d'une grosse gastro-entérite et ne pas être détectée pour ce qu'elle est ? Comment savoir s'il n'y a pas eu plusieurs dizaines ou centaines de cas de salmonellose ?
M. Alain Duran. - A l'issue de ces auditions, nous partageons un même constat, celui d'un dysfonctionnement. Évitons d'ajouter une autre loi à la loi, un autre règlement au règlement, ce qui rendrait toute application impossible. J'apprends ce matin qu'il existe un numéro vert qui ne donne pas la vraie information ; que le code barre pourrait être utilisé comme une barrière informatique pour arrêter la distribution des produits contaminés ; que les autocontrôles sont opérés par des organismes non-indépendants. Il y a là matière à réagir concrètement pour remédier à la rupture de confiance avec les consommateurs. Nul besoin de nouveaux règlements.
M. Daniel Gremillet. - N'oublions pas que la législation a changé. Auparavant, les services de l'État avaient pour prérogative d'autoriser la mise sur le marché des produits. Faut-il en revenir à ce système dirigé par l'administration ?
La nécessité de clarifier les notions de rappel et de gradation fait consensus. Le fait que le site de la DGCCRF ne mentionne que 60 des 270 produits rappelés en 2017 n'est pas forcément choquant, car on distingue les risques sanitaires et les risques d'aspect sans conséquences sur la santé.
Dans les Vosges, en 2017, on a décidé d'arrêter la distribution d'eau potable dans une commune pour cause de contamination. Or, il s'est avéré que l'eau de la commune en question était bonne hormis dans l'endroit privé où le prélèvement avait été effectué. Les associations de consommateurs ont un rôle à jouer dans l'éducation au risque alimentaire.
Ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain : nous savons ce qui se passe dans notre pays. Quid des produits importés en provenance de l'Union européenne et d'ailleurs ?
M. Roland Courteau. - Comment a-t-on osé dire aux associations ou aux familles que la contamination provenait d'un problème d'hygiène domestique ! Passez-moi l'expression, mais j'en ai ras-le-bol d'entendre les fabricants, l'État et les distributeurs se renvoyer la balle, dire que c'est la faute à pas de chance ou que le risque zéro n'existe pas.
Je remercie les associations pour leur vigilance et leurs recommandations dont nous ferons bon usage. Mesdames et Messieurs, si vous n'existiez pas, il faudrait vous inventer !
Enfin, je partage les préoccupations de mes collègues Bourquin et Gremillet sur les contrôles à effectuer et les moyens qu'il faut allouer à la DGCCRF.
M. Yves Daudigny. - Il faudrait effectivement s'intéresser aux laboratoires qui testent les produits pour les entreprises : le PDG de Lactalis a émis des doutes sur la fiabilité du laboratoire chargé de tester les produits de sa firme.
L'Institut Pasteur a recensé 25 cas de bébés contaminés par la même salmonelle entre 2006 et 2016. Étiez-vous informés de ces cas de contamination ?
M. Joël Labbé. - Je salue également l'action des associations de consommateurs ou de victimes qui jouent un rôle essentiel.
Je ne peux que déplorer cette période de massification alimentaire. Il faut tout mettre en oeuvre pour inverser la tendance et favoriser la relocalisation de l'alimentation.
Pourquoi les entreprises ont-elles recours aux autocontrôles, sinon parce que l'État n'a plus les moyens de mettre en oeuvre une politique publique de contrôle ? Pour trouver de l'argent, il faudrait ponctionner les grandes entreprises de l'industrie alimentaire, les taxer et prélever sur leurs bénéfices la valeur des coûts du contrôle exercé par des organismes publics. Le mécanisme sera compliqué à mettre en place. C'est à ce prix que nous reconstruirons la confiance des consommateurs.
M. Laurent Duplomb. - Comment garantir l'impartialité de ceux qui représentent les consommateurs et les victimes ? Rien n'interdit de poser la question à l'heure où l'on demande la moralisation de la vie politique. Ceux qui prennent la parole au nom des consommateurs sont-ils soumis ou non à une forme de lobbying, à un manque d'objectivité qui relèverait de la défense d'une position politique ?
Mme Annie Guillemot. - Il y a manifestement une incapacité à empêcher que de telles affaires se reproduisent et c'est une souffrance pour les familles. Bien sûr, les associations de consommateurs font leur travail. Cependant, des affaires comme celle des prothèses mammaires ont montré que les consommateurs touchés étaient contraints de former des associations de victimes pour faire valoir leurs droits. Ces personnes en souffrance devraient être prises en charge directement par la solidarité nationale.
M. Benjamin Douriez, rédacteur en chef adjoint de 60 millions de consommateurs. - Le site de notre revue fait état de 270 rappels de produits en 2017, dans l'alimentation et ailleurs. Le site de la répression des fraudes n'en recense que 60, sans qu'aucune logique apparente explique les manques : certains produits importants n'y figurent pas tandis que d'autres, moins importants, sont signalés. Le rappel des cent lots de jambon contaminés à la listéria ne figure pas sur le site de la DGCCRF, mais il est mentionné sur celui du ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation. Les situations sont variables. L'information n'est pas satisfaisante. Certains professionnels n'informent pas la répression des fraudes du rappel de leurs produits, malgré l'obligation qui s'exerce en la matière.
Mme Sophie Primas, présidente. - Il apparaît nécessaire de qualifier le rappel, de l'ordonner et de l'organiser pour mieux informer les consommateurs.
M. Jean-Yves Mano. - Les associations de consommateurs sont agréées par l'État et ne reçoivent aucune contribution du secteur professionnel. Nous travaillons à mettre en place des partenariats. Il suffirait de remettre aux associations de consommateurs une taxe parafiscale pour garantir leur neutralité absolue. À mon tour de vous poser la question, Monsieur le sénateur Duplomb : pour quel lobby intervenez-vous en nous remettant en cause ?
M. Laurent Duplomb. - Je me réfère à des informations factuelles qui circulent dans la presse.
M. Quentin Guillemain. - Quand ma fille a bu ce lait contaminé, je suis allé trouver le pharmacien. On m'a répondu que le lait de ma fille, intolérante aux protéines de lait, avait été prescrit sur ordonnance et que cela ne changeait rien qu'elle en ait bu un peu plus ou un peu moins. On ne m'a donné aucune information. C'est inadmissible.
L'État a les noms des pharmaciens qui n'ont pas respecté la règlementation en matière de retrait des produits contaminés. Pourquoi ne prend-il pas des sanctions à leur encontre ?
Quant au recensement des victimes, j'ai reçu plus de 3 000 mails depuis le 19 décembre. Nous n'avons pas encore pu tous les traiter. On nous transmet des dossiers médicaux et des résultats de coprocultures. Pour l'instant, nous recensons 48 familles victimes dont je peux vous fournir les dossiers.
Les coprocultures sont réalisées à partir du moment où il y a une suspicion de contamination, qu'il s'agisse des symptômes de la gastro-entérite, des selles très odorantes ou d'enfants qui ont bu des lots de lait ayant fait l'objet d'un retrait. À ma connaissance, aucune obligation de test n'est prévue. D'où notre demande.
Les laboratoires ne font remonter les résultats des tests positifs que sur la base du volontariat. Un réseau de laboratoires affiliés à l'Institut Pasteur contrôle la salmonella agona, en cause dans l'affaire Lactalis. Mais d'autres salmonelles ont été repérées dans l'entreprise, ce qui justifierait des contrôles renforcés.
On peut désigner comme parents victimes ceux qui ont acheté des lots de lait contaminé et qui les ont fait boire à leurs enfants sans être informés de la contamination. Quant à l'hygiène, elle joue un rôle dans les cas de salmonellose classiques et l'Institut Pasteur ne manque pas de sensibiliser les familles à ce sujet.
Enfin, si vous soupçonnez les associations de consommateurs de partialité, allez jusqu'au bout de votre raisonnement, Monsieur le sénateur. Je lis la presse comme vous. On y dit tout et son contraire. Mais, je ne crois pas qu'il y ait eu de remise en cause ou de décrédibilisation des victimes. Les victimes sont là.
M. Cédric Musso. - Vous parliez d'un trou dans la raquette ; c'est à se demander s'il y a encore un cordage dans la raquette ! Un acteur de la grande distribution est passé aux aveux, puis une autre enseigne l'a fait, de sorte que chaque enseigne a décidé de lancer des investigations internes, selon sa procédure propre.
Il faudrait des contrôles d'hygiène par les services de l'État pour vérifier l'innocuité des produits. Il ne s'agit pas de balayer les autocontrôles d'un revers de la main. Le système doit marcher sur ses deux jambes, avec les contrôles officiels et les autocontrôles.
Le recensement des victimes est une excellente question. Même une coproculture négative n'éteint pas le risque. À chaque fois qu'un scandale éclate, il y a trois ministères aux avant-postes - Bercy, l'Agriculture et la Santé - sans gestion interministérielle de la crise. Nous avons sollicité à de nombreuses reprises le ministère de la Santé sur le recensement des victimes dans l'affaire Lactalis, sans obtenir satisfaction.
Il faut arrêter de multiplier à l'envi les lois en prenant des mesures gadget. Mieux vaut privilégier un diagnostic approfondi. Le blocage en caisse ne doit concerner que les produits potentiellement contaminés. Un système d'indemnisation et de dédommagement des victimes en cas de scandale aurait un effet dissuasif efficace sur les entreprises. La France doit avancer sur un droit punitif.
Enfin, laissez-moi vous dire que l'UFC-Que choisir est effectivement sous influence, celle des consommateurs.
Mme Florence Lassarade. - La salmonellose est une intoxication connue, la plupart du temps transmise par les oeufs. La pathologie est fréquente. Le traitement antibiotique ne sert à rien et est même contre-indiqué, car il allonge le temps de présence de la bactérie dans l'organisme. L'élimination progressive par l'organisme prend au moins trois mois. La salmonellose reste une pathologie assez bénigne.
Les maternités sont pour la plupart tenues d'acheter des biberons tout prêts pour éviter la manipulation du lait et le risque d'une contamination. Il me semble que la salmonelle a surtout été retrouvée dans des laits en poudre, pas dans des laits reconstitués. D'énormes progrès ont été réalisés dans les maternités.
Des pathologies beaucoup plus graves que la salmonelle existent, comme l'épidémie de rougeole qui court en ce moment. Il faut raison garder.
M. Quentin Guillemain. - On parle d'enfants en très bas âge, qui pour certains étaient déjà fragilisés par des maladies chroniques.
Mme Florence Lassarade. - D'où l'importance du lait maternel, encore une fois.
Mme Sophie Primas, présidente. - Ces auditions ont été organisées dans le seul but de comprendre les défaillances de notre système sanitaire. Je remercie tous mes collègues ainsi que les représentants des associations. Un document sera élaboré qui regroupera des recommandations ciblées autour de ce qui a fait consensus.
La réunion est levée à 12 h 10.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.